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dimanche 9 février 2020

La citation du dimanche : Les femmes écrivains sont-elles dangereuses ?

Livre de la cité des dames de Christiane Pisan
Incroyable comme la notion de danger est souvent liée aux femmes qui écrivent avec son corollaire : la peur !   Danger et peur ! Mais il faut noter que soit elles sont dangereuses pour elles-mêmes, soit pour les autres. Soit on a peur pour elles, soit ont a peur d'elles ! Il est vrai que dans ce dernier cas, les hommes écrivains pourraient l'être tout autant !

 Les femmes qui écrivent vivent dangereusement Laure Adler

 

Les femmes qui écrivent vivent-elles dangereusement ? Certaines d'entre elles - pour qui l'écriture nécessite solitude, rupture du lien social, repli dans un cercle familial choisi, souffrances intérieures exacerbées, corps négligé, mais cerveau en ébullition - manquent de pitié pour elles-mêmes, meurent jeunes, en pleine lucidité, faisant face aux terreurs suprêmes.
Les soeurs Bronté, Jane Austen reconstruisent le réel par leur imaginaire. D'où la nécessité de leur solitude.  

Sur Jane Austen

Voici le jugement que porte sur Jane Austen, l'une de ses connaissances. C'est une amie d'une certaine Mrs Mitford qui connaissait Jane et ne l'appréciait pas.

Ensuite vient l'amie anonyme de Mrs Mitford qui lui rend visite et selon qui "elle  (Jane) s'est pétrifiée dans le bonheur du  célibat pour devenir le plus bel exemple de raideur perpendiculaire, méticuleuse et taciturne qui ait jamais existé; jusqu'à ce que "Orgueil et préjugés" ait montré quel diamant précieux était caché dans ce fourreau inflexible, on ne la remarquait pas plus en société qu'on ne remarque un tisonnier ou un pare-feu... Il en va tout autrement maintenant, poursuit la bonne dame, c'est toujours un tisonnier, mais un tisonnier dont a peur... Un bel esprit, un dessinateur de caractères qui ne parle pas est bien terrifiant en vérité!"

 Olga Tokarczuk


L'écrivaine polonaise, prix Nobel de littérature, Olga Tokarczuk, dans son livre Sur les ossements des morts prête les pensées suivantes à la narratrive, Janina, personnage principal de son roman qui a pour voisine une femme écrivain :

Si je la connaissais moins bien, j'aurais peut-être lu ses livres. Mais puisque je la connais, j'ai trop peur de cette lecture. Peur de m'y reconnaître, présentée d'une façon que je ne pourrais certainement pas comprendre. Ou d'y retrouver mes endroits préférés qui, pour elle, n'ont pas du tout la même signification que pour moi. D'une certaine façon, les gens comme elle, ceux qui manient la plume, j'entends, peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de mentir, de ne pas être eux-mêmes, de n''être qu'un oeil qui ne cesse d'observer, transformant en phrases tout ce qu'il voit; tant et si bien qu'un écrivain dépouille la réalité de ce qu'elle contient de plus important : l'indicible.

Et puis il y a cette affirmation de Marguerite Duras : 




 Tout le monde sait écrire à condition de savoir aller jusqu’au plus profond de notre puits noir. »

vendredi 7 février 2020

Challenge Jack London : Mars 2020 à Mars 2021


 Challenge Jack London pour ceux qui veulent approfondir son oeuvre

Jack London, c'est, bien sûr, l'auteur de mon enfance. J'ai lu et relu tous ses livres sur les animaux Michaël chien de cirque, Jerry dans l'île  et en particulier ceux qui se déroulent dans le Grand Silence blanc : L'appel de la forêt, Croc Blanc. Ils m'ont fait largement rêver et voyager ! C'est certainement à Jack London, donc, (et à James Oliver Curwood) que je dois mon amour des pays nordiques et des paysages de neige (mais pas du froid, non, non non !).


 Jack London est un auteur prolixe et je me rends compte que la plupart du temps, l'on ne connait pas entièrement son oeuvre. Donc, pourquoi ne pas partir à l'aventure tous ensemble au cours d'un challenge qui permettrait d'explorer non seulement les pays de neige et de grand froid mais aussi les romans autobiographiques, la mer, les îles exotiques, les luttes sociales du XIX siècle et début du XX ième.


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Je vous invite donc à lire à votre gré, en toute liberté et en prenant votre temps, des romans, des nouvelles et des essais de Jack London. On peut aussi lire les BD, voir les films qui sont des adaptations de ses oeuvres, et s'intéresser à sa biographie.
  

Pour s'inscrire à ce challenge qui durera un an, il suffit d'avoir envie de lire au moins UN livre de l'écrivain et pour les passionnés autant que vous le désirez.
Il n'y a pas de date impérative, vous pouvez  commencer le challenge dès maintenant si vous le souhaitez.  La seule contrainte est de venir mettre un lien dans mon blog pour que je puisse noter les oeuvres lues. (Pour trouver la page ou déposer les liens, cliquez sur  la vignette du challenge Jack London dans la colonne de droite de mon blog).

 Les éditions Laffont ont regroupé les oeuvres de Jack London par thèmes. Je publie ici les premières de couverture de ces livres qui permettent de se rappeler les titres parce que je trouve cette classification pratique et intelligente mais je ne vous invite en aucune manière à les lire dans cette édition. Chacun fait ce qu'il veut, sachant que si vous avez une liseuse vous pouvez charger ses oeuvres complètes gratuitement.





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Pour participer à ce challenge, vous pouvez choisir votre préféré parmi  trois logos :








Les participants au challenge (Liste en cours)  

 

 

 

 

 










Electra La plume d'Electra








Ingammic Book'ing







Kathel : Lettres express

Contruire un feu London/Chabouté

La peste écarlate







Lilly et ses livres :

La peste écarlate






Maggie Mille et un classiques






Marylin Lire et merveilles








Miriam Carnet de voyages et notes de lectures

Une fille des neiges







Nathalie : chez Mark et Marcel






 Patrice Et si on bouquinait un peu ?









Ta d Loi du ciné Blog de Dasola











Tania Textes et prétextes


mardi 4 février 2020

Yasunari Kawabata : Kyoto (2)

Kitagawa Utamaro
Dans Kyoto, roman publié en 1962, Yasunari Kawabata, écrivain japonais, prix Nobel de littérature, raconte l’histoire de Chieko, fille adoptive d’un grossiste en tissus, Sata Takichiro, et de son épouse Shige. Nous apprenons bien vite qu’elle est une enfant trouvée et, plus tard, qu’elle a une soeur jumelle. La rencontre fortuite des deux soeurs a lieu au cours de la fête de Gion et leur étroite ressemblance ne peut laisser place à aucun doute quant à leur gémellité. Mais alors que Naeko a été élevée dans un  milieu modeste, sur les hauteurs, et travaille à l’entretien des cryptomères, ces beaux arbres qui servent à la construction des  temples et des maisons, Chieko a fait des études et est devenue une jeune fille raffinée, capable d’apprécier la beauté sous toutes ses formes. Le tisserand Hideo qui est amoureux de Chieko se sent attiré par Naeko, sans trop savoir de laquelle il est réellement amoureux.  Mais ce n’est pas tant le thème du double, de la gémellité ni celui de l’éducation sociale que cherche à explorer Kawabata. Ce qui l’intéresse, c’est de montrer à travers les yeux attentifs et cultivés de Chieko la beauté de ce qui l’entoure. 

Hasegawa Kyuzo / Sakura Zu 1592
« A l'endroit où l'arbre penche fortement, un peu en dessous, on devine deux petites cavités dans le tronc ; dans chacune des cavités, ont poussé des violettes. Et, à chaque printemps, apparaissent des fleurs. D'aussi loin que Chieko se souvienne, il y a toujours eu ces deux souches de violettes sur l'arbre.
Trente centimètres environ séparent les violettes du haut de celles du bas. La jeune fille qu'était Chieko en venait à se demander :
« Arrive-t-il que les violettes du haut et celles du bas se rencontrent ? Se connaissent-elles ? Que signifie pour les fleurs "se rencontrer", "se connaître" "  ?
Des fleurs, il y en avait à chaque printemps, trois, cinq, au plus, c'était à peu près le compte. Pas davantage, et pourtant, dans les petites cavités au haut de l'arbre, à chaque printemps, surgissaient des boutons et s'épanouissaient les fleurs. Cjieko les contemplait de la galerie, ou, au pied de l'arbre, levant la tête ; s'il lui arrivait d’être frappée par la « vie » de ces violettes sur le tronc,  parfois leur « solitude » l’envahissait."

Cependant au-delà de cette beauté, Kawabata montre la progression constante de la modernité qui vient peu à peu saper les bases de la civilisation japonaise ancestrale. Ainsi Sata Takichiro, le père de la jeune fille, refuse d'utiliser des métiers mécaniques pour tisser des tissus à la mode, bon marché et aux couleurs vives.  Pour lui, le kimono représente un art de vivre épuré, lié à la spiritualité. La vulgarité des objets et des goûts nouveaux, l’industrialisation, les rapports uniquement mercantiles entre le vendeur et l'acheteur, le choquent comme le rendent triste la disparition des coutumes, l’atténuation du sentiment religieux et social, la réorganisation économique induites par l’occupation américaine du Japon après la guerre de 1945.

Temple de Kyoto
La description de Kyoto est si précise avec les noms des différents quartiers de la ville, des itinéraires pour s’y rendre, les diverses fêtes religieuses, les précisions sur la fabrication des tissus, que d’aucuns ont pu dire qu’il s’agissait d’un guide touristique !
Il n’en est rien, évidemment. L’intention de l’auteur est tout autre. Même s’il s’attache à la description précise des lieux, Yasunari Kawabata écrit Kyoto pour célébrer la beauté de la ville et de la nature et pour en  en montrer la fragilité. Il pratique ce que les japonais ont appelé le mono no aware qui est une sensibilité à la mort des choses et une empathie pour leur vie détruite. Les fleurs vivent mais leurs pétales tombent. Le temps de la floraison est si court. Et au-delà, les êtres humains ne sont-ils pas comme les fleurs, si belles, si vivantes, mais avec un vie si brève. 

Shimura Tatsumi
Yasunari Kawabata montre, à travers les changements qui ont lieu à l’époque de l’écriture  du livre, que la ville ancienne est en train de disparaître par pans entiers. Il porte sur cet effacement, ce que l’on appelle le regard ultime, le matsugo no me, ce regard que l’on attache à une chose ou un être que l'on voit pour la dernière fois, et qui, est une annulation de cette chose ou cet être. Et il y a, bien sûr, un sentiment poignant de nostalgie qui résulte de ce constat. Au moment même où l’on est pénétré par le sentiment de la beauté que font naître les évocations poétiques de Kawabata, on éprouve le regret de savoir que ce n’est plus. C’est donc bien intentionnellement que l’écrivain a nommé son oeuvre Koto en japonais, l’ancienne capitale, et non Kyoto, le titre moderne choisi pour la traduction française.
Le style de Kawabata repose donc sur le recueillement, le silence, la contemplation qui élève l’âme. On peut dire que ni l’intrigue, ni les personnages ne sont primordiaux dans ce roman. J’ai dû étudier ce livre à l’université quand j’étais étudiante et je me souviens qu’il m’avait peu enthousiasmée. Il en est tout autrement aujourd’hui. J’ai été subjuguée par la magnificence des descriptions de Kawabata, touchée par la disparition de cette beauté précieuse, sensible à la fragilité des choses. Et puis finalement, j’ai aussi trouvé les personnages attachants, j’ai aimé faire la rencontre de Chieko si fine et délicate et de Naeko, humble mais pleine de dignité, et j’ai partagé leurs pensées intimes avec beaucoup de bonheur. Un très beau livre !



"De l'autre côté du pont il y a un cerisier que j'aime."
Ses doubles fleurs pourpres étaient d'une extrême beauté. C'était un arbre célèbre. Les branches retombaient à la manière du saule pleureur, puis se déployaient largement. Lorsqu'ils furent sous l'arbre, une brise imperceptible dispersa des pétales aux pieds de Chieko, sur ses épaules.
Déjà, à l'ombre de l'arbre, les fleurs étaient tombées, éparses sur le sol. D'autres dérivaient à la surface de l'étang. Mais quelques-unes seulement, sept ou huit, peut-être...


dimanche 2 février 2020

La citation du dimanche : Yasunari Kawabata : Kyoto (1)

Peinture de Rin Nadeshico ICI

Je présenterai bientôt mon commentaire sur la lecture du roman de Yasunari Kawabata : Kyoto. En attendant, voici un passage intéressant qui nous amène à réfléchir sur la condition humaine.

Il y a de nombreux amateurs de grillons au japon.  Chieko, une jeune fille japonaise, élève des grillons dans un vase.
 
Vase de  Tamba

« Dans un vase, c’est cruel, non ? » avait-elle dit, mais son amie lui répondit que c’était encore préférable, plutôt que de les élever en cage et qu’ils meurent. (…)
A présent les grillons de Chieko se sont multipliés, si bien qu’il fallu deux vases de Tamba. Chaque année ramène, aux environs du premier juillet, l’éclosion des oeufs, puis, vers la mi-août, ils commencent à chanter.
Et c’est ainsi que dans l’étroitesse d’un vase, dans son obscurité, ils vivent,  chantent, pondent et fixent leurs oeufs, meurent. Puisqu’ils perpétuent l’espèce, oui, c’est préférable à les élever en cage et qu’ils ne vivent que l’espace d’un été, mais il reste que c’est une vie au fond d’un vase : pour eux, le vase est l’univers.
« L’univers dans un vase » c’est une ancienne légende chinoise, que Chieko connaissait. Le vase renferme un palais d’or et des tours de perles, des nectars exquis et les mets rares des monts et des mers; le vase clos était un « autre monde » coupé de la réalité qui est nôtre, un lieu enchanté. C’est une des nombreuses légendes des ermites magiciens.
Si les grillons sont dans un vase, ce n’est évidemment pas qu’ils veulent fuir le monde. Savent-ils même qu’ils sont dans un vase… ? Et ainsi passe leur vie.

Et qu'en est- il de l'homme ? semble nous dire Kawabata.

**

Rin Nadeshico : Cheiko ?
Voilà comment je m'imagine la jeune et jolie Cheiko, le personnage principal de Kyoto de Kawabata, à partir de ce dessin de Rin Nedishco, peintre contemporaine.

Le père adoptif de Cheiko, vendeur en gros d'étoffes et de kimonos fabriqués à la main, dessine lui-même le motif des tissus destinés à sa fille, refusant de sacrifier à la modernité, aux couleurs trop criardes, à son goût,  et sans raffinement.

Aussi la jeune fille devait-elle être plutôt semblable aux "peintures de belles personnes ", les "bijin-ga de l'époque Edo " (1603_1870), style de peinture qui a perduré jusqu'au début du XX siècle et dont Rin Nedshico s'inspire.

Bijin-ga de Kitagawa Utamaro (1800)
Bijin-ga de Utagawa Yoshitsuru
Grande Bijin en promenade de Sugimura Jihei
Bijin à l'horloge de Sukenobu (XVIII siècle)
Bijin avec ombrelle de Toyohara Chikanobu (1890)
Miyagawa Choshun

mardi 28 janvier 2020

Jack London : Martin Eden (2)


Martin Eden est un roman en partie autobiographique de Jack London dans lequel il conte l’histoire de Martin, un jeune marin issue d’un classe sociale misérable, qui a très tôt dû abandonner ses études pour travailler et rapporter de l’argent à sa mère. Un jour, il vient en aide à un jeune bourgeois attaqué par des voyous et celui-ci l’invite dans sa famille pour le remercier. C’est là que Martin Eden tombe amoureux fou de la soeur du jeune homme, Ruth,  jeune fille cultivée qui poursuit ses études à l’université. Il décide de s’instruire pour se hisser à son niveau et être digne d’elle. Entre deux voyages en mer, Martin lit, se cultive, se lance dans les études, dormant à peine, progressant dans sa manière de s’exprimer et s’ouvrant ainsi à la connaissance donc à la beauté. Il sent en lui une profonde envie d’écrire mais ses manuscrits lui sont toujours refusés. Pourtant, il s’obstine au grand déplaisir de Ruth, devenue sa fiancée, qui le voudrait établi dans une situation bourgeoise, confortable et sans risque. Les premières désillusions s’installent mais je ne vous en dis pas plus pour vous laisser découvrir ce que devient Martin Eden par la suite.

Dans cet ouvrage où Jack London met beaucoup de lui-même, même si le personnage reste fictionnel, nous suivons avec intérêt le personnage de Martin. Ce jeune homme, grossier et frustre d’allure et de langage mais capable d’idéalisme et de délicatesse dans les sentiments nous devient extrêmement attachant. C’est avec talent que Jack London analyse ce que peut ressentir le jeune homme complexé dans cette société qui l’accueille avec bienveillance mais aussi condescendance. Comment faut-il se tenir à table, comment faut-il saluer, quelles sont les règles des bonnes manières ? Honte de sa maladresse, des ses gestes sans grâce, de sa voix rude, de sa grammaire défectueuse, de ses vêtements déformés, de sa naissance populaire. C’est avec empathie que nous le suivons dans les progrès de son éducation, que nous voyons cette intelligence en friche, s’ouvrir à toutes les formes de la connaissance, littérature, poésie, art, mathématiques, sciences. Son courage, son acharnement à l’étude, son intelligence qui lui permettent d’accéder au savoir en autodidacte, forcent l’admiration. Jack London nous fait partager l’ivresse intellectuelle qui s’empare de Martin quand il découvre le savoir  et qu’il voit son horizon jusque là borné s’étendre.
Pourtant, peu à peu, Marin Eden prend conscience du conformisme de sa fiancée et aussi plus généralement de la classe sociale à laquelle elle appartient. Ces intellectuels ne jugent l’art, la littérature, qu’avec des idées toutes faites et  les étroits préjugés de leur classe. Leur superficialité le déçoit. Chez eux tout n’est que façade, trompe l’oeil. Il éprouve une grande déception devant leur snobisme, leur suffisance, leur indifférence à la misère qui les entoure. Martin Eden s’aperçoit que, même en adoptant les codes de la bonne société, en voulant à tout prix s'y intégrer, il appartient toujours au monde ouvrier, il est du côté des misérables :  de sa soeur  Gertrude peinant toute la journée pour élever ses enfants tout en travaillant dans un taudis, sous la domination d’un mari tyrannique, de Lizzie la jeune ouvrière amoureuse de lui qui a les yeux durs d’un quelqu’un qui n’a jamais connu la tendresse et l’amour, de Maria, sa logeuse, qui élève seule ses sept enfants. Il rejette le socialisme au nom de l’individualisme qui lui permettra d'arriver au but qu'il s'est fixé mais ne trouve que le vide face à lui.

Le livre présente aussi une réflexion sur l’écriture, la formation de l’écrivain. Martin Eden est poussé par une force intérieure à écrire. C’est une nécessité impérieuse. C’est en écrivant beaucoup qu’il progresse et, bien sûr, en lisant beaucoup. Les nombreux échecs qu’il subit, tous les manuscrits lui sont refusés, lui montrent que là aussi le conformisme règne et l’on s’en tient aux idées conventionnelles et aux valeurs établies. S’ensuit une critique en règle des éditeurs de magazines plus ou moins filous, où, non sans humour, Jack London règle ses comptes avec un milieu qu’il connaît bien !
On pourrait penser à voir les certitudes de Martin Eden sur la valeur de ce qu’il écrit et la bonne opinion qu’il a de son intelligence, que c’est un homme imbu de lui-même ! Mais Jack London nous dit le contraire : « Il était loin de se douter que les êtres remarquables sont semblables aux grands aigles solitaires, qui planent très haut dans l’azur, au-dessus de la terre et de sa banalité moutonnière. »

Un très beau livre donc que j'ai découvert avec beaucoup de plaisir.

dimanche 26 janvier 2020

La citation du Dimanche : La beauté avec Martin Eden de jack London (1)

Saint Rémy Van Gogh
J'ai lu mais pas encore commenté Martin Eden, le roman autobiographique de Jack London et j'ai raté le film, hélas, que j'étais pourtant très curieuse de découvrir.!
Dans Martin Eden, Jack London, qui eut une enfance malheureuse dans un milieu défavorisé, fit très jeune l’apprentissage de la pauvreté et du travail en usine. Devenu marin, il tombe amoureux d’une jeune fille cultivée de la grande bourgeoisie. Pour elle, il décide de s’instruire et son intelligence supérieure alliée à une force de travail peu commune, l’ouvre à un univers qu’il ne connaissait pas : la littérature, la poésie, l’art, la science. Découverte qui va transformer sa vie entière  :

Avant, je ne savais pas que la beauté avait un sens. Je l’acceptais comme telle, comme une réalité sans rime ni raison. J’étais dans l’ignorance. A présent, je sais, ou plus exactement, je commence à savoir. Cette herbe me paraît beaucoup plus belle maintenant que je sais pourquoi elle est herbe, par quelle alchimie du soleil, de la pluie et de la terre elle est devenue ce qu’elle est. Mais c’est tout un roman que l’histoire du moindre brin d’herbe et un roman d’aventures ! Cette seule idée m’émeut. Quand je réfléchis à tout ce drame de la force et de la matière et à leur formidable lutte, j’ai envie d’écrire l’épopée du Brin d’herbe ! (…)
Tenez, je plonge ma figure dans l’herbe et l’odeur qu’aspirent mes narines évoque en moi mille pensées, mille rêves. C’est l’haleine de l’univers que j’ai respirée; c’est sa chanson et son rire, sa douleur, ses larmes, ses luttes et sa mort. J’aimerais vous dire, à vous, à l’humanité entière, les visions évoquées en moi par cette odeur d’herbe.
Jack London
Herbe Vincent Van Gogh
Christian Bobin trouve dans un brin d'herbe la force de résister à la disparition de sa femme et à la douleur du deuil. Un passage que j'ai déjà cité dans mon blog en 2008 !

"Je fais du tout petit, je témoigne pour un brin d'herbe. Le monde tel qu'il va, mal, je le connais et je le subis comme vous, un peu moins que vous peut-être : dessous un brin d'herbe, on est protégé de beaucoup de choses. (...) Le désastre, je le vois. Comment ne pas le voir? Le désastre a déjà eu lieu lorsque je commence à écrire. Je prends des notes sur ce qui a résisté et c'est forcément du tout petit, et c'est incomparablement grand, puisque cela a résisté, puisque l'éclat du jour, un mot d'enfant ou un brin d'herbe a triomphé du pire. Je parle au nom de ces choses toutes petites. j'essaie de les entendre. Je ne rêve pas d'un monde pacifié. Un tel monde serait mort. J'aime la lutte et l'affrontement comme j'aime la vie du même amour." (...)
La beauté est une manière de résister au monde, de tenir devant lui et d'opposer à sa fureur une patience active.

Christian Bobin
Volubilis peinture japonaise

Et Walt Whitman :

"Un volubilis à ma fenêtre me plaît plus que toute la métaphysique des livres."

"Je pense qu’un brin d’herbe ne compte pas moins que le labeur des étoiles
Et que la fourmi est également parfaite et un grain de sable et l’oeuf du roitelet
Et que la reinette est un chef d’oeuvre du plus haut des cieux
Et que la ronce grimpante pourrait orner les salons du ciel
Et que la plus infime jointure de ma main l’emporte sur toute mécanique
Et que la vache qui broute tête baissée surpasse n’importe quelle statue
Et qu’une souris est un miracle capable de confondre des milliards d’incroyants."

La majesté et la beauté du monde sont latents dans n'importe quel iota du monde »

Walt Whitman