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dimanche 12 février 2023

Alexis Jenni : La conquête des îles de la Terre Ferme

 

Le livre passionnant d'Alexi Jenni La conquête des îles de la Terre Ferme laisse la parole à un narrateur fictif, Juan de la Luna, qui raconte son histoire. C’est par un long retour en arrière que celui-ci, vieillissant, présente d’abord son enfance, celle d’un fils d’Hidalgo d’Estramadure presque aussi pauvre que ses paysans mais pétri d’orgueil et nourri de chevalerie. Un jeune garçon qui multiplie frasques et sottises avec les garnements de son âge, puis est envoyé dans un monastère où il apprend à aimer la lecture et où il devient presque moine. Presque, oui, car le voilà qui s’enfuit pour suivre une femme mariée, pècheresse tentatrice. Enfin, envoyé au diable, c’est à dire à Cuba, par le vieux mari de sa maîtresse, notre héros fait connaissance de Hernan Cortès et son récit finit par rejoindre la grande Histoire : celle de la conquête de l’empire aztèque. Le jeune homme que Cortès appelle Innocent  - et c’est vrai qu’il a encore l’innocence d’une jeunesse préservée de la violence dans un monastère -  devient son secrétaire et mieux son historien. 


Hernando Cortes (wikipedia)

Las de végéter dans cette île où il ne voit pas la couleur de l’or, Hernan Cortez décide de partir en levant une armée hétéroclite, d’aventuriers, d'hidalgos désargentés, de paysans, d’artisans, plus rarement de vrais soldats de métier. Ils sont cinq cents au départ, renforcés par des esclaves noirs, tous galvanisés par l’énergie et les paroles de Cortès. Ce dernier est un chef né, il a le discours qui fédère et suscite l’enthousiasme, le charisme qui draîne les sympathies, une volonté qui ne plie jamais et une assurance qui en impose. Il saura aussi se montrer ferme, impitoyable et dur pour maintenir la discipline. Bien décidée à faire fortune, la petite troupe embarque sur des vaisseaux armés par le gouverneur de Cuba pour découvrir de nouvelles îles. Ils accosteront bientôt sur la terre ferme d'abord chez les Mayas,sur les côtes du Yucatan,  puis au Mexique, pour le plus grand malheur de ceux qui y vivaient. 

 

carte du voyage de Hernando Cortés

 
Et là, on est sidéré et l’on se demande comment une troupe aussi peu nombreuse et constituée pour ainsi dire de bras cassés, a pu vaincre un empire si immense, si puissant, si organisé, et détruire une civilisation millénaire aussi raffinée que brillante.

Certes, les Espagnols pouvaient passer pour des Dieux aux yeux des autochtones. Ils avaient des vaisseaux, des armures, des chevaux, des chiens de guerre, des canons, mais ceci en nombre limité alors qu’ils devaient affronter des milliers d’hommes, des combattants innombrables aux techniques de guerre éprouvées. Certes, les conquérants sont aidés par les épidémies qu’ils propagent dans tout le royaume et qui déciment les populations mais dont ils sortent indemnes. Leur cupidité ainsi que la ferme conviction qu’ils possèdent la vraie foi et qu’ils doivent christianiser ces peuples dans l’ignorance les fanatisent.  De plus, ils ne peuvent plus revenir en arrière. Et pour cela Cortés fait brûler les navires sur la côte du Mexique rendant impossible tout idée de retour. Ils n’ont plus qu’un choix : vaincre ou mourir ! 

Pourtant ce qui est décisif et lorsque Cortès s’en aperçoit il saisit sa chance, c’est que les Aztèques et leur empereur Montezuma ont des ennemis. Les populations qu’ils ont vaincues comme les Totonaques ou le  Tlaxcaltèques doivent leur payer de lourds tributs aux Mexicas en jeunes gens pour les sacrifices humains et en récolte. Or, jouer sur la division est le plus sûr moyen de vaincre. Des milliers de combattants viennent rejoindre les conquistadors.

 

Calendrier solaire aztèque

Alexis Jenni n’est pas sans manier l’ironie et c’est un des plaisirs du roman, quand il met face à face les mentalités des deux peuples, soulignant ainsi l’avidité, l’appât du gain qui mènent les uns et le curieux sens de l’honneur des autres qui au regard des européens est d’une grande naïveté. Ainsi le plan de guerre de Montezuma pour chasser les Espagnols, stratagème que tous ces conseillers considèrent comme imparable, est celui d’humilier les ennemis en leur faisant des cadeaux somptueux :

« Offrons le grand soleil d’or et la lune d’argent qui sont prêts depuis que les premiers signes sont apparus (…) Ils sont peu nombreux, ils sont pauvres, ils sont démunis, ils errent sur des rivages qui ne sont pas les leurs. Ils ne sauraient être à la hauteur de nos cadeaux, ils ne pourraient que s’humilier en nous offrant un présent. Honteux, troublés, répétant jusqu’à perdre le souffle des remerciements, incapables de combler une telle dette, ils partiront. Ou ils s’offriront d’eux-mêmes en sacrifice. »

Or plus les cadeaux sont luxueux, plus s’accroît au contraire l’avidité des envahisseurs !

Incompréhension totale entre deux cultures : lndignation vertueuse des Espagnols devant cette terrible religion aztèque qui pratique des sacrifices humains, offre le coeur et le foie à manger aux Dieux, verse le sang pour faire avancer la course du soleil ! Mais eux-mêmes, Espagnols, bons catholiques brûlent vif leurs ennemis sur des bûchers comme le pratique leur église, les pendent à un gibet ou les humilient, ce qui est bien pire pour les indiens que d'être mangé !  Les uns trouvent que tous ces dieux serpent, dieu soleil … sont grotesques et ridicules, les autres restent dubitatifs devant un dieu unique mais qui est trois, un dieu qui a une mère toujours vierge !
Enfin, entre les Espagnols qui tuent et anéantissent leurs adversaires pour faire table rase et s’emparer de tous leurs biens et les Aztèques qui ménagent leurs ennemis pour pouvoir les taxer, on comprend que malgré leur incommensurable supériorité numérique les perdants n’étaient pas à même de triompher.
Et puis il y a la leçon que reçoit Innocent auprès de son maître Cortés, on ne peut régner que par la terreur et l’émerveillement mais la terreur d’abord, la terreur ! Au risque d’y perdre son âme. Et le roman se clôt sur des personnages vieillissants et désenchantés qui ont perdu ce qu’il y avait d’humain en eux.

"Je sais bien ce que je suis devenu. La toute-puissance exercée par certains hommes sur d'autres qui en sont dépourvus les rend ignobles."

Ce roman nous dit l’auteur raconte une histoire vraie mais avec "les menteries qui sont au coeur de tout roman". Et après tout quand les historiens eux-mêmes ne sont pas d’accord, c’est finalement la version romanesque qui a raison !

Il en résulte un récit prenant, foisonnant, avec des personnages, qui, s’ils ne sont pas obligatoirement sympathiques, sont hauts en couleurs, pittoresques, truculents, parfois terrifiants, que cela soit du côté des envahisseurs mais aussi des Aztèques, un roman épique qui nous raconte une histoire pleine de cruauté, de mouvement, de violence, villages incendiés, population massacrée, amoncellement de cadavres, flots de sang. Il y a de grands moments dans cette épopée, comme lorsque les conquistadors arrivent devant la ville extraordinaire de Mexico-Tenochtitlan,

"On nous logea dans un palais, il était immense, il était pour nous. Il fallut pour ça traverser toute la ville, et une heure durant nous dûmes marcher dans les rues sans en voir le bout, sans que s'interrompe jamais l'alignement continu des maisons, des palais, des temples, entrecoupés seulement d'autres rues perpendiculaires, de jardins plantés d'arbres, de canaux où les indiens debout sur des barques allaient comme dans des rues."

et qu'ils prennent conscience de leur petitesse :

"La foule sur la chaussée était telle, et l’Empereur si spectaculaire, et ses guerriers si impressionnants, face à nous si seuls au milieu des eaux, que je me dis à cet instant-là, en regardant la ville colossale où nous nous apprêtions à entrer, que nous étions allées trop loin et qu’à force de jouer habilement avec de mauvaises cartes Cortés finirait par perdre; et ce jour était peut-être arrivé, ce serait aujourd’hui, ou alors demain." 

Episodes épiques aussi, celle de leur fuite nocturne après la mort de Montezuma et la bataille homérique qui s’ensuit ou encore le transport des bateaux à dos d’hommes à travers les montagnes et la dernière bataille. Le roman nous offre aussi une réflexion sur la violence de la colonisation espagnole qui a tout sacrifié à l’appât de l’or et à la prétendue supériorité de sa religion.

Merci Ingammic pour ce livre que j'ai beaucoup aimé ! ICI





samedi 11 février 2023

Lisbonne : Musée national d'art ancien : le MNAA (2) : La Renaissance portugaise

 Nuno Gonçalvez : Panneaux de Saint Vincent de Fora au MNAA
 

 Quand vous vous rendez au musée national d'art antique ( le MNAA) de Lisbonne vous pensez y voir la série de tableaux de Nuno Gonçalvez, peintre portugais du XV siècle (actif 1450 à 1471), dont tous vos guides vous parlent avec gourmandise ! Nuno Gonçalves, le peintre des Painéis de São Vicente de Fora, ces panneaux sublimes rassemblant cinquante huit personnages autour de Saint Vincent qui figure dans les deux peintures centrales vêtu d'une large chasuble rouge damasquinée. Magnifiques portraits, pleins de vie, de caractère, de couleurs qui révèlent des individus dotés de caractère et  dont on a l'impression  que l'on pourrait les rencontrer sur la place du Commerce !

 

Nuno Gonçalvez : Panneaux de Saint Vincent de Fora au MNAA Lisbonne

 

Nuno Gonçalvez : Panneaux de Saint Vincent de Fora au MNAA Henry le navigateur

 

Je crois, en voyant les images des visiteurs assis sur des bancs face aux panneaux  que cet ensemble est regardé par les visiteurs avec la même révérence et le même bonheur  que celui des  tapisseries de la Licorne au musée national médiéval de Cluny à Paris ! 

Hélas ! quand j'y suis arrivée, voilà  ce que j'ai aperçu : 

 

Nuno Gonçalves : Restauration des panneaux de Saint Vincent de Fora

Et oui, en restauration ! Mais c'est une bonne chose que les panneaux soient exposés dans un espace vitré pendant le temps où ils sont soustraits au public. On peut en voir la beauté et puis l'on se dit qu'il faudra revenir à Lisbonne !

Ce musée est si riche que l'on peut y rester des heures sans se lasser. Il me faut donc choisir ce que je vais présenter dans ce billet ! Dans celui qui précédait j'ai publié des images de la légende de santa Auta. Je continue donc par  mes coups de coeur  correspondant à l'âge d'or de la Renaissance portugaise  à une époque où la richesse du Portugal est à son apogée et ou les rois Manuel 1er dit le Fortuné et Jao III  encouragent les arts et attirent à leur cour les plus grands artistes. 

La Renaissance portugaise s'appuie pour dégager sa propre originalité sur les aspects techniques et artistiques de la Renaissance italienne et flamande. Des peintres flamands viennent se fixer à Lisbonne. Van Eyck, lui, a séjourné au Portugal de 1428 à 1429.  On comprend pourquoi l'influence flamande avec la connaissance de la technique de la peinture à l'huile, fut si importante au Portugal. 

 

 Jose Afonso  (actif 1504-1540)    

 

Jose Afonso : l'adoration des bergers (détail)

 Jose Afonso  (actif 1504-1540) est nommé peintre royal par Manuel 1er et intendant des peintures. C'est lui qui coordonne tout ce qui a trait à la l'art pictural, sélection des peintres, mise à disposition des pigments et matériaux, ordonnance des festivités, relations diplomatiques. Il s'entoure des plus grands artistes de Lisbonne et parmi eux des peintres flamands.

Autour de Jose Afonso gravitent les  principaux artistes de cet âge d'or dont Nuno Gonçalves (actif 1450-1492), Cristóvão de Figueiredo (actif 1515-1554) qui est peut-être l'auteur de la légende de Santa Auta (Voir Ici ) ou encore Gregorio Lopes (actif 1513-1550).  

Francisco Henrique d'origine flamande attire dans son atelier d'autres peintres flamands, Frei Carlos, le maître de Lounhira, le maître anonyme de l'Enfer, qui se fixent au Portugal.


 L'Enfer : un maître inconnu

 

L'Enfer  maître anonyme Renaissance portugaise MNAA Lisbonne


Les spécialistes se divisent quant à l'attribution de l'oeuvre. Ce maître inconnu pourrait être un peintre flamand ou un peintre portugais influencé par la peinture flamande, on l'a aussi attribué à un atelier français. Mais peu importe ! Car ce qui frappe c'est la force et la cruauté de cette oeuvre ! Le peintre témoigne d'une imagination féconde à la Jérome Bosch quant aux différents supplices et à leur raffinement. L'oeuvre a peut-être été conçue pour un monastère et l'on y voit d'ailleurs de nombreux moines. On comprend la violence de ce tableau si l'on pense qu'elle s'adressait à un public qui vivait dans la hantise du péché et pour qui la peur de l'enfer était quelque chose de bien réel. J'imagine la terreur de ceux qui voyaient ce tableau avec la crainte de ce qui les attendait au-delà ! Si cette oeuvre est remarquable, on ne peut pas dire, par contre, que le christianisme est une religion rassurante !

 

 L'Enfer de maître inconnu Renaissance portugaise MNAA Lisbonne (détails)

  Gregorio Lopez (actif 1513-1550)

 

Gregorio Lopez : la naissance de la Vierge MNAA (1530-1540)




 

Voilà mon tableau préféré de Gregorio Lopez. Evidemment, tous les atistes ne peignaient à cette époque que des scènes religieuses. Gregorio Lopez ne fait pas autrement avec ce tableau montrant la naissance de la Vierge. Mais loin d'être seulement une peinture iconique, c'est une scène de la vie quotidienne. 

Un bébé vient de naître - peu importe lequel - dans une famille aisée. Des servantes et parentes entourent le lit de l'accouchée que l'on réconforte. Trois des femmes ont le visage tourné (en un seul mouvement) vers l'enfant, pôle d'attraction, qui est sur les genoux d'une servante. Celle-ci le lave dans une petite bassine. Le bébé est adorable et particulièrement minuscule. Que porte l'une des servantes dans un panier ? J''aimerais bien le savoir.

 La personne penchée sur le lit de la mère, semble d'un rang supérieur aux autres par sa vêture. Je n'arrive pas à déterminer ce qu'elle fait. On dirait qu'elle lit un message à l'accouchée. Celle-ci a un visage doux, reposée, heureux, une main délicate est posée sur la couverture. Elle porte une auréole. C'est sainte Anne. Le père, Joachim, lui aussi auréolé, est selon la tradition, appuyé sur son bâton, en pleine méditation.  C'est le seul personnage conventionnel qui obéit à des codes religieux. On dirait qu'il s'ennuie et non qu'il est heureux du bébé qui vient de naître. Il n'est pas naturel dans cette scène qui l'est pourtant beaucoup. 

La composition est très rigoureuse : Trois personnages à la tête du lit, trois personnages au pied du lit dont le mouvement converge en avant vers le bébé, en arrière vers le hors champs de la pièce.  La profondeur est rendue par le rideau soulevée qui laisse percevoir une arrière-salle avec quelqu'un en train de s'affairer, peut-être de sortir des vêtements d'un coffre ? La  ligne médiane passe sur le lit et  nous amène jusqu'à la servante qui allume le feu, non pas au milieu mais un peu décalé sur la droite par rapport à l'axe médian. La servante agenouillée attire l'attention sur des détails domestiques. Elle attise le feu d'un petit brasero  avec une sorte d'éventail en paille peut-être pour faire chauffer de l'eau ou pour maintenir la chaleur près du lit.  A observer les détails des costumes de tous !


Gregorio Lopez : la naissance de la Vierge MNAA (détails)


Francisco Henriques ( actif 1506 -1519)


Henriques Francisco retable de sao Francisco de Evora   : la dernière cène, la récolte de la manne


En 1509, Francisco Henriques participe à la décoration de l’église Sao Francisco d’Evora et se rend en Flandres en 1512 pour recruter des artistes. Frei Carlos, le maître de Lourinha et le maître anonyme de l’Enfer auraient fait partie de son atelier. Il est le beau frère de Jose Afonso. Il meurt de la peste en 1518-19.
Le retable de Sao Francisco d'Evora comporte seize panneaux dont onze se trouvent au MNAA . J'ai choisi de montrer ici ceux de La Cène et de  La récolte de la manne  car eux aussi  fourmillent de détails pris sur le vif qui dépasse l'allégorie religieuse pour atteindre l'humain. La peinture fixe un geste en suspens comme dans une photographie  : le personnage en vert qui nous tourne le dos se penche pour saisir  une aiguière, l'un porte un couteau à la bouche, d'autres sont plongés dans une discussion, Jésus tend la main pour attraper ce que lui tend l'un de ses compagnons. Là aussi la Cène obéit à des codes, Jésus est au centre de la table, tourné vers nous, entouré des apôtres, Jean est endormi mais la peinture est une scène entre amis. 
La récolte de la manne témoigne d'un fait miraculeux mais est aussi un beau tableau champêtre dans lequel on peut admirer la composition avec ce petit sentier sinueux qui amène le regard vers le château, juste en haut dans le coin gauche de la scène et puis les habits, les coiffes, les chapeaux, les turbans, qui apportent une connaissance sur la manière dont on se vêtait, les coloris chaleureux qui donnent vie au tableau.


Henriquez Francisco  retable de sao Francisco de Evora  MNAA Lisbonne : la dernière cène, la récolte de la manne (détails)


Frei Carlos

Frei Carlos moine et peintre d'origine flamande  MNAA


Frei Carlos moine et peintre d'origine flamande  MNAA


Frei Carlos (+ 1540) est un peintre flamand qui a probablement travaillé dans l'atelier de Francisco Henriques.  Il  rejoint l'ordre des moines hyéronimites de Sintra en 1517. Les tableaux que j'ai choisis, ces deux Vierges, au visage doux, graves mais sereins, l'une en train de donner le sein, l'autre de jouer avec son bébé qui mange des cerises, donnent un vision souriante et réconfortante de la religion à l'inverse de l'Enfer.


Frei Carlos Evora 1er moitié du Xvi siècle Vierge et deux anges


Quelques portraits du MNAA

 

Cranach Lucas l'Ancien : Salomé

 

Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) peint ici un tableau effrayant :  La richesse des vêtements de Salomé,  cette fourrure rousse qui encadre son visage et tombe sur ses épaules soulignant le chasuble noir aux lignes blanches sur un corsage aux tons mordorés, ses manches de tissu brillant, tout concourt à la vision d'une grande dame de la Renaissance, hautaine et impassible. Le visage dur de Salomé qui se détache sur le fond noir du tableau, son regard qui part dans le lointain, son indifférence, accentuent l'horreur de ce qu'elle porte entre les mains : la tête de Jean-Baptiste sur un plateau...


Maître flamand inconnu : portrait de femme (1569)


Joos van Cleves maître Flamand Anvers  : Eleonor d'Autriche

Eleonor d'Autriche Hasbourg est née à Louvain (pays-Bas des Hasbourg) en 1498 et est morte en Castille en 1558. Elle est la soeur de Charles Quint. Elle fut reine du Portugal de 1518 à 1521 en épousant Manuel 1er qui la laissa veuve puis reine de France avec son mariage avec François 1er. Son portrait est peint par Joos van Cleves peintre flamand de l'école d'Anvers.


Isabel du Portugal 1503-1539

Isabel de Portugal (1503_1539) est la fille de Manuel 1er et  de sa seconde épouse Marie d'Aragon.  Elle épouse en 1526 son cousin l'empereur Charles Quint, roi d'Espagne, du Pays-Bas. Son portrait est de peintre inconnu et la date est imprécise : le milieu du XVI siècle.


Maître inconnu : Jean de Luxembourg

Jean de Luxembourg 1475-1508 est mort à Bruxelles en 1508, il était seigneur de la ville. Il fut nommé chevalier de la toison d'or et devint le favori préféré du roi Philippe de Castille.


La statuaire  portugaise du XV et début XVI siècle

 

Troisième étage du musée national d'art ancien MNAA



Mestre Pero : Saint jacques


Mestre Pero : Vierge attendant l'enfant Jésus MNAA


Joao Afonso  : Sainte Agate, sainte Lucie et sainte Catherine


Joao Afonso : Sainte Catherine MNAA Lisbonne


Joao Afonso archange saint Michel 1450


Artiste flamand actif au Portugal : Saint Jacques


Cornelis de Holanda 1520-1525 Saint Marc l'évangéliste


Pierre Brueghel le Jeune (1564-1636)

 

Pierre Breughel le Jeune Les sept oeuvres de miséricorde

Les sept oeuvres de miséricorde selon les Evangiles représentées ici par Pierre Brueghel sont : Visiter les prisonniers, Ensevelir les morts, Accueillir les étrangers, Visiter les malades,  Donner à boire à ceux qui ont soif, Vêtir ceux qui sont nus ; Donner du pain à ceux qui ont faim.


Pierre Breughel le Jeune Les sept oeuvres de miséricorde  : Donner du pain MNAA Lisbonne

La salle des portraits des Francisco Zurbaran ( Actif 1614-1664)


Francisco Zubaran : Saint Paul  et Saint Jacques le Majeur MNAA Lisbonne

Francisco de Zurbarán est un peintre du Siècle d'or espagnol (1598–1664). L'art de Zurbarán est profondément religieux. Il peint des personnages mystiques,  qui expriment leur foi et témoignent de la grandeur divine. Il est l'artiste par excellence de la contre-réforme.

La salle réservée aux Zurbaran présente les douze apôtres grandeur nature. Surélevés, ils nous dominent de toute leur stature. Le peintre attache beaucoup d'importance au rendu des étoffes et des plis, tout en cherchant à rendre le recueillement, le mysticisme de ces hommes qui se tournent vers Dieu. Impressionnant !


Francisco Zubaran : Saint André MNAA Lisbonne


Francisco Zubaran : Saint Simon MNAA Lisbonne


Voir Lisbonne : le musée national de l'art ancien  : le MNNA (1) le retable de Santa Auta


jeudi 9 février 2023

Lisbonne : Musée national d'art ancien MNAA (1) : Le retable de Santa Auta La légende de Saint Ursule

La légende de sainte Ursule : le mariage de Saint Ursule et du prince Conan

 La légende de Sainte Ursule

La légende de Saint Ursule, vierge martyre, et des onze mille vierges, est très répandue au XVI siècle. Il y a plusieurs variantes à cette légende qui date, selon les sources, du III ou V siècle. Le récit rapporté par Voragine dans La légende dorée entre 1261 et 1266 présente Ursule comme la fille d'un roi chrétien breton. Demandée en mariage par un roi d'Angleterre pour son fils, Conan, (parfois Etrée ou Etérée), elle exige qu'il se convertisse au christianisme et pour s'éloigner de son fiancé en attendant le mariage elle effectue, avec onze mille vierges, un pèlerinage de trois ans auprès du pape Cyriaque à Rome. Sur le chemin du retour, elle et ses compagnes sont prisonnières des Huns qui assiégent Cologne. Elle refuse d'épouser leur chef (Attila ?) et d'abjurer sa foi. Elle et ses suivantes  sont massacrées par les Huns. On a retrouvé une sépulture à Cologne au XII siècle que l'on a supposée être celle d'Ursule et de ses compagnes. Le nombre de onze mille gravé sur la tombe semble être une erreur de lecture des chiffres romains : XIMV qui ont été interprétés ainsi : XI . M . V - onze Mille Vierges mais qui pourrait l'être d'une autre manière : XI. Martyres. Vierges.  Mais rien n'atteste de toute façon l'existence de cette sainte.

 Santa Auta,  l'une des onze mille vierges

Le retable de Santa Auta est un polyptyque de cinq peintures à l'huile sur bois de chêne datant d'environ 1520-1525 conçu pour le couvent de Madre de Deus fondé par Dona Leonor, à Xabregas. Il a été peint par un artiste portugais de la Renaissance connu sous le vocable de Maître du rétable de Santa Auta et fait référence à la légende de Saint Ursule. J'ai lu dans un article qu'il avait été attribué, entre autres, à Cristóvão de Figueiredo mais sans authentification. Dona Leonor, la soeur de Manuel 1er, épouse de Jao II, qui vénérait Sainte Ursule avait reçu les reliques de santa Auta, l'une des compagnes de la sainte, envoyée de Cologne par son cousin, Maximilien d’Autriche. 

 Le retable de Santa Auta qui est à présent l’un des joyaux du musée national d’Art antique de Lisbonne présente trois panneaux, dont deux sont peints des deux côtés, avers et revers, cinq peintures, donc, qui narrent la légende de sainte Ursule.
Le panneau central raconte le martyre de Sainte Ursule et des onze mille vierges, l'avers du panneau latéral gauche montre le mariage de Saint Ursule avec le prince païen Conan converti au catholicisme; au revers le départ des reliques de Sainte Auta pour Lisbonne. L' avers du panneau droit montre le pape Cyriaque bénissant Ursule et ses  compagnes et au revers l’arrivée des reliques de Santa Auta à l'église de Madre de Deus.

 L'avers panneau gauche : le mariage d'Ursule et de Conan

 

Le prince Conan  et sainte Ursule

Le prince Conan et Sainte Ursule sont unis par l'évêque Jacques d'Antioche, du moins dans cette version portugaise. Dans d'autres versions, il n'y a pas de mariage. Sa main gantée de rouge bénit l'union des deux souverains. Le luxe des toilettes et des bijoux est remarquable. Au-dessus d'eux un ange consacre la sainteté de cette union et derrière eux  six musiciens noirs, probablement des esclaves, qui ne sont pas rares à la cour du roi Manuel au moment des découvertes des pays d'Afrique, introduisent le son et la musique dans cette célébration princière.

 

Les musiciens noirs (détails)

A côté de Sainte Ursule se tient Sainte Auta et deux autres dames de haut lignage, des suivantes. Comme Ursule, Auta porte une couronne et est habillée somptueusement, ce qui témoigne de son rang élevé. Elle tient une flèche dans la main, symbole de son martyre.   

 

Le mariage de Conan et Sainte Ursule : détail : à gauche Sainte Ursule, à droite Sainte Auta
 

Derrière Conan, trois gentilhommes et un  page qui tient la traîne du prince. Malgré le sujet religieux, le Maître de la légende de Santa Auta a voulu peindre un mariage de cour et la scène encadré de lourdes tentures, de brocarts d'or et de velours, est digne d'une scène de théâtre profane... pour notre plus grand plaisir ! Remarquez le manteau de brocart en soie de sainte Ursule ou celui du prince, avec col, liseré et rabat des manches en hermine.


Le mariage de Conan et Sainte Ursule : détail : gentilhommes et pages

 

L'avers du panneau droit : la bénédiction de Sainte Ursule et de ses compagnes

 

Le maître de Santa Auta MNAA

Dans le panneau droit le pape Cyriaque bénit le prince Conan, Sainte Auta, Sainte Ursule et toutes ses compagnes avant leur départ à Cologne.

 

 Le panneau central du rétable de Sainte Auta

 


Bien qu'il soit central, ce panneau ne raconte pas le début de l'histoire mais la suite, après la mariage d'Ursule et Conan et la bénédiction du pape. 

Dans ce panneau central qu’il faut lire de gauche à droite, on voit qu’une histoire nous est racontée comme dans une BD

Dans la partie gauche du tableau, Ursule part de Rome et s’embarque pour Cologne.  La foule est massée sur le quai. Au premier rang on reconnaît  l'évêque d'Antioche, le pape Cyriarque, la robe rouge d'un cardinal qui accompagnent sainte Ursule dans son voyage. On les retrouvera à l'arrivée.  Ursule monte dans la barque et s'installe auprès du prince Conan et  de Sainte Auta. Le batelier repousse le quai avec le rame. C'est le départ.

A droite, le paysage est celui de l'estuaire du Tage. A l'arrière plan figurent sept galions et deux caravelles qui rappellent la période historique, fin du XV et début du XVI siècle, et les grandes découvertes maritimes portugaises. Les drapeaux portugais des rois don João II ainsi que les  fanions et  drapeaux avec la sphère armillaire de don Manuel I sont déployés. Nous sommes dans l’âge d’or du pays. De ces nefs partent les embarcations qui transportent les passagers  vers le rivage. Avant même que celle de sainte Ursule et de ses compagnons accoste le massacre a déjà commencé.

La violence se déchaîne. Une femme est  morte, affaissée sur la rive, un cimeterre va s'abattre sur la tête d'une autre. Un des assaillants a saisi l'une d'elle par les cheveux et la tire hors de la barque. Les Vierges sont massacrées par des personnages qui ont tout l’air d’être des Turcs (et non des Huns),  rappelant les conflits du Portugal pour la route du commerce avec les  barbaresques. Derrière et jusque dans le lointain arrivent les autres barques transportant les onze mille vierges.


Le revers du panneau gauche  : le transfert des reliques de Santa Auta

 

L e retable de Sainte Auta  : le transfert des reliques de Santa Auta de Cologne
 
La procession transportant les reliques de Santa Auta part de Cologne dont les fortifications forment l'arrière plan. Des frères sont chargés du reliquaire recouvert d'un drap d'or, suivis par une foule parmi laquelle on distingue un cardinal coiffé de rouge. Sur l'escalier des marins dévotement agenouillés attendent de recevoir l'urne pour la hisser sur le galion. Au  premier plan se dresse Santa Auta tenant un livre dans la main, couronnée d'une auréole et d'une couronne. La pointe de la flèche témoignant de son martyre est fichée dans sa poitrine. Elle a la palme du martyre à la main. Elle est située au-dessus des humains, leur tournant le dos, comme entre ciel et terre, entièrement  coupée des liens terrestres dans son ascension vers la sainteté. Le vêtement de brocart de soie décoré de fils d'or et de fils de perles offre un décor de feuillages entrelacés. De ces manches, amples, aux poignets brodés, émerge un bouillonné de mousseline de soie blanche délicatement noué par des rubans bleus. On le voit la piété ne gêne pas l'élégance !

Le revers du panneau droit : l'arrivée des reliques à Lisbonne

 

L' Arrivée à Lisbonne des reliques de santa Auta  au couvent de la Mère de Dieu
 

Le revers du panneau droit est le pendant du revers du panneau gauche mais dans une symétrie inversée, la foule sort de la ville de Cologne, la procession entre dans la ville de Lisbonne. La Sainte se trouve à droite du panneau, puis sur la gauche. Elle tient la flèche et la palme du martyre de la main droite et un livre de la main gauche. Une chaîne d'or avec un large anneau  enserre sa taille, peut-être un symbole de chasteté ? La châsse est portée dans l'église du couvent de la Mère de Dieu dont on voit la façade ornée des armoiries du roi Jao II et de dona Leonor et d'un médaillon de della Robbia. Le porche trilobé est encadré de colonnes torses. Derrière la silhouette de la sainte, en arrière-plan, apparaissent quatre personnages féminins dont l'un est dona Leonor .

***

 Cet ensemble de tableaux est magnifique, je l'ai adoré. On se laisse prendre par la main pour entrer dans la légende. Les personnages sont très jeunes, presque des enfants, beaux, purs. Le maître du retable de Santa Auta possède l'art du portrait et sa composition donne vie et mouvement au récit. La magnificence des habits, la vivacité des coloris, en font une oeuvre pleine de charme même si elle décrit une histoire tragique.  

Comme tous les peintres qui ont représenté cette légende, le Maître du retable de Santa Auta a adapté la légende à son pays, il s’éloigne quelque fois d’autres versions et a laissé parler son imagination. Il témoigne de la haute société de son temps à Lisbonne, les personnages sont habillés de vêtements du  XVI siècle et rappelle la cour portugaise. Il rappelle aussi l'importance de son pays à une époque où le Portugal étend son empire et où l'or des épices va profiter aux arts  en irriguant la cour des rois portugais.


La sainte Ursule de Vittore Carpaccio


Vittore Carpaccio :  le rêve d'Ursule, un ange lui prédit le martyre

 

De nombreux peintres de la Renaissance ont représenté la légende de Sainte Ursule qui connaissait une dévotion particulière en Europe : le maître de la légende  de Saint Ursule de Cologne, celui de Bruges,  ... mais celui que je connais est Carpaccio, peintre vénitien, au musée de l'Académie, dont le récit se  situe, bien évidemment, dans un décor vénitien.


Vittore Carpaccio : La légende de Saint Ursule Rencontre des fiancés musée de l'Accademia Venise

A suivre :   Lisbonne : Le musée national d'art ancien le MNAA (2) : La renaissance portugaise

dimanche 5 février 2023

Steinunn Johannesdottir : L 'esclave islandaise tomes 1 et 2


Tome 1

La 4e de couverture de L'esclave islandaise de Steinunn Jihannesdottir paru aux éditions Gaïa nous fait savoir que : "En 1627 aux îles Vestmann, au sud de l'Islande, le Raid des Turcs enlève 400 Islandais, vendus comme esclaves par-delà les mers du sud. »

C’est cette histoire que l’écrivaine Steinum Johannesdottir va nous raconter en prenant pour personnage principal l'une des femmes enlevées :  Gudridur. Pourquoi cette dernière ? Parce qu’elle a par la suite épousé l'un des plus grands poètes d’Islande, auteur de chants bibliques très appréciés, Hallgrimur, et ainsi sa vie est plus connue que les autres du moins après son retour.
Gudridur accompagnée de son fils est amenée à Alger où elle et ses compatriotes sont vendus sur la place du marché. Vêtus d’habits de laine sous une chaleur torride, après un voyage en mer épuisant, malades, séparés de leur famille, certains d’entre eux meurent dès les premiers jours et sont enterrés dans un petit cimetière qui existe toujours à Alger.

 C’est, pour Gudridur, l’apprentissage humiliant et terrible d’être ravalée au rang d'esclave et de vivre au service d’un riche dey, soumise à la fois sexuellement aux désirs du maître, et travaillant dur au service de la première épouse. Maladie, fièvre, coups de fouet, Gudrigur reste neuf ans esclave à Alger avant d’être rachetée par le roi danois Christian IV. Quant elle part, Gudridur doit laisser son fils là-bas. Converti à l’Islam, élève dans une école coranique, il n’a pas été racheté. 


Tome 2 : le retour


Le voyage de retour à travers la Méditerranée, puis sur les routes de France et en mer jusqu’au Danemark sera tout aussi éprouvant. S’ajoute aux souffrances physiques, l’angoisse de ceux qui reviennent sans savoir si leurs conjoints les auront attendus, ni s’ils sont morts, ni si ceux qui sont restés au pays les accepteront après leur séjour chez les barbaresques. 

L'intérêt du roman réside dans la description des voyages et de la vie dans les deux pays. Steinunn Johannesdottir  rend sensible le contraste frappant qui existait entre les deux civilisations : l’Islande, ses chaumières basses, enfumées, obscures, en terre battue, ses feux de tourbe qui fument et empuantissent l’atmosphère, le froid, les vents incessants, la neige, les tempêtes et la difficulté de la lutte pour la survie. De pauvres marins partent et souvent meurent en mer pour assurer la subsistance de la famille.
Alger, la belle, toute blanche sur la colline, le soleil avec le bleu du ciel et celui de la mer, les palais de mille et une nuits où Grudidur est enfermée comme esclave, avec ses fontaines, ses fleurs, ses fruits cueillis sur l’arbre, sa végétation luxuriante et ses bains, le hammam, un luxe extraordinaire. La vie de l'esclave dépend du maître; il peut être dur et maltraitant et les châtiments sont parfois horribles. L'un des compatriotes de Grudidur a eu le nez et l'oreille coupés pour s'être trompé de puits. Par contre son amie épouse un dey et préfère se convertir pour s’intégrer dans la société.  

Un autre thème est celui de la religion, celle rigoriste et sévère des Islandais protestants. Les mentalités sont bien observés. Gudridur lutte pour conserver sa foi qui la soutient et l'empêche de sombrer dans le désespoir. Mais cette religion puritaine fait naître un sentiment de culpabilité et de faute quant à sa vie dans le harem.

L'esclave islandaise est un roman d’aventures mais aussi un roman historique. L’écrivaine s’est rendue en Algérie, pour connaître la ville, les lieux où étaient vendus les esclaves, le cimetière des Islandais. Elle a refait le chemin du retour emprunté par les esclaves libérés. Elle s’appuie sur des recherches solides, des documents originaux comme, entre autres, la lettre écrite par Gudridur à son mari quand elle était prisonnière, celles envoyées au roi Christian IV par les Islandais, les récits racontés par ceux qui ont été libérés, les nombreux écrits suscités par cette terrible histoire depuis le XVII siècle les cartes, gravures, documents … et le reste est laissé à l'invention, à l'imagination, il s’agit d’une fiction intéressante et agréable à lire.