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lundi 17 avril 2023

En visite à Paris !

Le nouveau Caillebotte au musée d'Orsay
 


A Paris avec les petits-enfants ! A bientôt ! 




mercredi 5 avril 2023

Sirpa Kähkönen : Ville au coeur de pierre

 


 

En 1918 a lieu en Finlande -qui est en train de conquérir son indépendance - une guerre civile qui oppose les blancs, conservateurs nationalistes, bourgeoisie et classe moyenne, et les Rouges composée d’ouvriers et de paysans. Les Rouges perdent et sont enfermés dans ces camps de prisonniers où règnent famine, maladies, sévices et humiliations. 39 000 personnes périssent pendant cette guerre. 

Voir  : Kjelle Westö : Un mirage finlandais
 

Saint Pétersbourg : palais de l'Ermitage

 

C’est lorsque son mari Ilia sort de ce camp en 1922 que Klara décide de partir avec lui en Russie, à Saint Pétersbourg, pour trouver la liberté. C’est ainsi que commence le roman de Sirpa Kähkönen : Ville au coeur de pierre. Le titre joue sur les mots, cette ville tour à tour Petrograd, Saint Pétersbourg, est la ville arrachée aux marais par le tsar Pierre le Grand, la ville de Pierre, avant de devenir Léningrad à la mort de Lénine en 1924. Et par la suite, la ville au coeur de pierre ou Klara va perdre ses illusions.

Klara, est la narratrice de la première partie Petrograd I et deuxième partie du roman Leningrad II. Quand elle arrive à Petrograd, la misère, le désordre règnent. La Révolution a emporté avec elle toutes les structures, le bouleversement est total et laisse tout à faire, tout à entreprendre, tout à construire pour espérer des jours meilleurs et il faut du coeur à l’ouvrage !  Klara n’en manque pas. Tout en s’intégrant dans un petit groupe d’exilés finlandais, en s’entourant d’amis, elle s’occupe des enfants de rue, orphelins, misérables, affamés et malades, vivant de vols, de prostitution, couchant dans des caves insalubres. Klara a  foi en la Révolution, elle croit au progrès et ne se ménage pas.

"Dans ma confusion, je chantais tantôt en finnois tantôt en russe - les mots semblaient m’échapper -, j’étais émue et je pensais quelque chose comme : ces enfants verront le jour où l’esclavage, la faim, l’oppression auront disparu, où la fraternité entre les hommes sera réelle et banale et non plus le rêve d’une poignée de gens."

Mais elle est déjà consciente des failles du système. Pour nourrir la ville, l’armée réquisitionne le bétail, les récoltes des paysans qui, bientôt, réduits à la misère, sont obligés de laisser partir leurs enfants à la ville, ceux-ci venant grossir le flot incessant d’enfants des rues. C’est la révolution elle-même qui nourrit ses propres faiblesses. C’est ce qu’explique son beau-frère Lavr qui s’est d’abord engagé dans l’armée rouge pour défendre la révolution :

« Tu sais contre qui nous dirigeons nos armes en premier ?
Contre les ouvriers et les paysans. Ceux pour qui tu as fait la lutte des classes en Finlande. Nos propres ouvriers, nos propres paysans. L’ouvrier gréviste qui se crève à un boulot de misère, le paysan à qui on saisit sa récolte jusqu’au dernier grain. »

Les Bourgeois et, parfois, les profiteurs, il y a en a encore dans cette société comme partout ailleurs. Ainsi ceux, hommes d’affaires qui ont servi le tsar, continuent à faire fortune et à jouir de privilèges, belles maisons, riches vêtements, voyages, spectacles et fêtes. On les laisse faire ! Du moins tant qu’on a besoin d’eux ! Parmi eux Henrik et l’amie de Klara, Ielena, jeune et jolie finlandaise ambitieuse qui épouse Henrik.
Mais c’est à la mort de Lénine que peu à peu les choses se gâtent, le conformisme et l’autoritarisme se renforcent, la surveillance des moindres faits et gestes, la suspicion aussi. Les finlandais sont accusés d’espionnage. Chacun se méfie du voisin et n’ose exprimer à voix haute sa pensée. Torture, disparitions, exécutions sommaires. Klara, elle-même est suspecte : n’a-t-elle pas fait chanter à ses enfants un poème de Maikowsky  sur la Russie « pays d’abricots et de puces »?

Les autres parties du roman de III à la partie V qui va jusqu’après la deuxième guerre mondiale devant Leningrad assiégée par les Allemands, donnent d’autres points de vue et éclairent les autres personnages, Dounia et Guénia, les enfants adoptifs de Klara, Ilia son mari, Henrik et Ilena, Tom, Choura, Galkin. Tous ces personnages tournent autour de Klara et leurs faiblesses, leurs compromissions, parfois, mettent en valeur la beauté et la pureté du personnage. On voit comment elle a idéalisé ses amis sans voir leurs défauts, leur égoïsme, elle a donné tout son amour, toute sa force aux enfants, à ses amis et à la croyance en une vie meilleure. 

Le récit se fait celui du désenchantement, de la fin du rêve :

Je voulais savoir comment on peut vivre sans joie et sans espoir demande Ielana.
« La prison te l’apprend, dit Galkin. La prison, c’est le meilleur creuset pour faire des hommes nouveaux. Il n’y a rien de tel. »


Encore un beau livre sur un sujet historique intéressant dans une langue pleine de nostalgie et avec un personnage féminin très fort.

lundi 3 avril 2023

Jean Racine : Bérénice mise en scène par Robin Renucci


Bérénice est une pièce de Racine que je n'avais jamais vue sur scène avant cette représentation au Chêne noir d'Avignon, dans la mise en scène de Robin Renucci, metteur en scène et directeur de La Criée de Marseille. Vue, non, ni même étudiée mais lue, oui, comme toutes les pièces de Racine. Donc, je n'avais pu qu'imaginer les personnages et avoir un idée personnelle de l'intrigue. C'est loin d'être ma pièce préférée, je la trouve un peu longue, je lui préfère Phèdre. Mais j'ai aimé la lecture proposée par Robin Renucci.

Bérénice, pièce classique en cinq actes, est présentée pour la première fois en 1760 à l'Hôtel de Bourgogne. C'est peut-être la pièce de Racine où il y a le moins d'action et où il ne se passe rien ou presque. Louis XIV a apprécié Bérénice car elle montre une lutte entre le sentiment amoureux et la Raison d'Etat, celle-ci, bien sûr, triomphant !  La pièce semble être à la gloire de la monarchie mais elle est avant tout une analyse du sentiment amoureux. 

 

L'intrigue

 

Jean Racine : Bérénice mise en scène Robin Renucci photo Olivier Pasquier

Bérénice, princesse de Judée, est amenée à la cour de Rome par Titus qui a assiégé Jérusalem et conquis la ville. Le jeune homme aime Bérénice et veut l'épouser mais la mort de l'empereur Vespasien, son père, change tout car Titus est appelé à le remplacer. Or, la loi romaine s'oppose au mariage de l'empereur avec une étrangère. Titus doit lutter entre son devoir et son amour. S'il épouse Bérénice, il sera infidèle aux lois de Rome et comment pourrait-il ensuite en être le garant ?   

Antiochus, lui aussi palestinien, allié à Titus, a suivi Bérénice à la cour de Rome parce qu'il aime la princesse. Désespéré par le futur mariage de celle-ci avec Titus, il décide de lui avouer son amour mais la réponse négative de la jeune femme le décide à partir. Cependant, la nouvelle de la rupture de Titus et de Bérénice change tout.   

La pièce, même si chacun des trois amoureux veut mourir et menace de mettre fin à ses jours, est sans éclat tragique. Chacun se résignera à son sort. Bérénice retournera à Jérusalem, l'amour d'Antiochus ne sera pas récompensé. Titus souffrira mais règnera.

Tout l'intérêt de Bérénice réside donc dans l'étude des sentiments amoureux des personnages, de la souffrance, à la colère, à la résignation. Et ce qui fait la force de cette pièce et fait aussi que l'on ne l'oublie pas, c'est la langue racinienne, la musique, la mélancolie des mots, quelque chose qui ressemble au souffle du vent, très fluide, très léger, qui communique nostalgie et douce tristesse.

Les vers les plus célèbres de Bérénice dans la scène 5 de l'acte IV, illustrent cette musicalité et donnent le ton de la pièce.

 Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

 

 La mise en  scène de Robin Renucci

 

Jean Racine
 

Et dans la mise en scène de Robert Renucci, c'est d'abord cette maîtrise de l'alexandrin qui touche le spectateur. Pas de déclamation ici, la langue coule avec simplicité, l'alexandrin se fait langue naturelle, simple, quotidienne, et permet de goûter la musique du vers.

Les acteurs ne quittent pas le plateau et s'assoient autour de la scène où se déroulent les entrevues de chacun des personnages, une scène réduite qui représente une pièce du palais de Titus ou comme l'indique Racine : un cabinet qui est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice. Et cette disposition convient parfaitement à la pièce de Racine qui obéit à la règle des trois unités, d'action de temps et de lieu : "Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."(Boileau). J'ai vu des spectacles cet été au festival d'Avignon qui reprenaient ce dispositif mais  gratuitement alors qu'ici je l'ai apprécié.

L'interprétation des personnages 


Julia Bartet (rôle de 1893-1919)
 

Robin Renucci a voulu, dit-il,   "faire ressentir non seulement l'amour impossible de Titus et Bérénice mais aussi le désir fou, irrationnel, que ce premier amour provoque chez Antiochus. Un trio d'amoureux malheureux." C'est pourquoi Antiochus prend de l'ampleur dans la mise en scène de Renucci, passant de personnage secondaire à principal, occupant autant de place que Titus à côté de Bérénice. Et cela, c'est nouveau !

 Alors que ma propre lecture m'avait fait m'imaginer un Titus triomphant, non sans douleur, certes,  mais avec un certain panache dans son renoncement, Robert Renucci souligne ses faiblesses - il pleure,  son confident Paulin doit l'exhorter à être ferme- et sa lâcheté apparaît quand il charge, par exemple, Antiochus de dire à Bérénice sa décision de la quitter, n'osant le faire lui-même. Je ne suis pas sûre que Louis XIV aurait aimé cette interprétation !

Au nom d’une amitié si constante et si belle,
Employer le pouvoir que vous avez sur elle :
Voyez-la de ma part.

D’un amant interdit soulagez le tourment :
Épargnez à mon cœur cet éclaircissement.
Allez, expliquez-lui mon trouble et mon silence.
(Acte II scène 2)

Un autre personnage auquel je n'avais pas prêté attention est celui du confident Arsace que le metteur en scène tire vers le comique. Et oui, il nous surprend cet Arsace avec les conseils terre à terre qu'il donne à Antiochus, lui recommandant la patience pour reprendre Bérénice maintenant qu'elle est abandonnée par Titus. Ce bon sens populaire, on a l'impression d'entendre un valet de comédie plutôt qu'un confident de tragédie classique, contraste tellement avec l'exaltation amoureuse d'Antiochus, dans le plus pur style tragique, que l'on ne peut qu'en sourire  !

Et qui peut mieux que vous consoler sa disgrâce ?
Sa fortune, Seigneur, va prendre une autre face :
Titus la quitte. (Acte III scène 2)

Enfin, si les deux amoureux paraissent faibles, il faut bien reconnaître que le beau rôle est donné à Bérénice. Après les premiers moments où elle éprouve incompréhension, colère et désespoir, c'est elle qui se ressaisit la première et par souci de dignité quitte la scène noblement.

Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse.
Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.


Bien sûr, l'interprétation de certains des personnages surprend le spectateur mais pourtant il y a ici un respect et un amour du texte qui n'excluent pas un lecture personnelle, originale et intéressante de la pièce. Tout ce que j'aime dans la mise en scène théâtrale.


Bérénice de Jean Racine au Chêne noir Mars 2023

Avec Tariq Bettahar, Thomas Fitterer, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Amélie Oranger et Henri Payet 

Mise en scène Robin Renucci

Scénographie et lumières Samuel Poncet

Costumes Jean-Bernard Scotto

Collaborateur pour la dramaturgie Nicolas Kerszenbaum

Assistante à la mise en scène Karine Assathiany


jeudi 30 mars 2023

Alena Mornstajnova : Hana

 

  La première partie du roman Hana de Alena Mornstajnova, écrivaine tchèque, a pour titre :  Moi Mira et se situe entre 1954 et 1963.  Mira raconte son histoire en commençant par cette date 1954, jour d’anniversaire de sa mère, Rosa, où ses parents, son frère et sa soeur, sont victimes d’une épidémie de thyphus qui les tuera, épidémie liée à l'eau souillée d'un puits.  Elle est épargnée par la maladie et la petite rebelle fait connaissance de la solitude et de la douleur de l'absence mais aussi de la culpabilité, sachant qu'elle ne doit la vie qu'à sa désobéissance et à la punition qui s'ensuivit.. 

Il n’y avait plus personne pour m’interdire de monter au grenier, de descendre à la cave ou d’aller du côté de la rivière. Personne pour m’aimer.

Elle est d’abord recueillie par Ivana Horackova qu’elle ne connaît pas mais qui se prétend amie de sa mère. Pourquoi cette étrangère s'occupe-t-elle de la fillette ? Cette dernière doit compter sur les réticences de Jaroslav Horacek, le mari d’Ivana, qui n’est pas ravi de l’accueillir chez lui et sur l’animosité des enfants, Ida et son frère Gustav. Mais un jour, sa tante Hana vient la chercher. Or, cette femme est étrange, bizarre, sans que la fillette comprenne pourquoi. 

Moi j’avais peur de tante Hana. Elle restait assise sur une chaise comme un grand papillon de nuit tout noir, le regard fixe.

Le récit se termine à l'époque du mariage de Mira, sa grossesse et son installation dans l’ancienne maison de ses parents. Il a pour toile de fond la vie dans la démocratie populaire tchèque, les défilés obligatoires pour célébrer l’anniversaire de l’URSS ou du 1er Mai,  et la nécessité de se taire quand on est en désaccord, ce que son mari va apprendre à ses dépens : 

Il n’avais pas compris qu’il pouvait penser certaines choses, mais en aucun cas de les dire à haute voix ou les écrire.

La deuxième partie se situe entre 1933 et 1945 et s’intitule : Ceux qui m’ont précédée  

Mira y découvre  à travers ceux qui l'ont précédée, tout ce qui échappait à sa compréhension lorsqu’elle était enfant. La mort des membres de sa famille juive dans un camp de concentration, le retour d’Hana, seule survivante, les liens qui existaient entre Hana et les Horacek. Elle apprend comment sa mère, Rosa, a échappé à la déportation. C’est ainsi que ce second récit vient éclaircir les zones d’ombre qui existaient dans le premier récit.

La troisième partie donne la parole à la tante : Moi Hana de 1942 à 1963 et présente des évènements que nous connaissons mais sous un point de vue différent, celui d’Hana et le récit prend alors toute sa forme, toute son ampleur tragique. Hana n’est pas seulement marquée par la déportation, elle est en proie à la culpabilité, se jugeant coupable à deux reprises de la mort de sa famille. Pourtant, et bien qu’elle ait des difficultés à l’exprimer, c’est l’amour qu’elle ressent pour Mira et, plus tard, pour le fils de celle-ci, qui va la tirer du côté de la vie.

Des souvenirs viennent toujours me rendre visite. Il y a en a encore beaucoup de pénibles, mais il y en a de plus en plus qui me donnent envie de vivre.

Hana est un beau roman, aux personnages attachants et dont on suit la vie avec intérêt.  L'antisémitisme, la déportation et l'holocauste sont évidemment au centre du récit mais, au-delà, le roman raconte l'histoire d'une famille sur plusieurs générations :  les arrière-grands parents de Mira, des juifs très pratiquants ; ses grands-parents : Elsa Helerova et Ervin Heler, ce dernier s'éloignant de la religion, et leurs filles, Hana et  Rosa ; ses parents Rosa et Karel Karasek. A travers eux, ce sont trente ans de l'Histoire du pays, traversé par une guerre mondiale, qui nous sont présentés. Enfin, Hana est une histoire d'amour et d'amitié trahies mais cette trahison a des conséquences terribles.  L'un des thèmes principaux du livre est d'ailleurs la culpabilité, sentiment partagé à des degrés divers et pour des raisons différentes par Hana, Ivana et Mira. La construction à plusieurs voix et en trois parties qui se chevauchent et s’éclairent alternativement donne densité et force à ce récit tragique raconté dans une langue sobre et limpide. 

Hana prix du livre tchèque en 2018

LC  avec Eva, Fabienne  

 



 

mardi 28 mars 2023

Zygmunt Miloszewski : Inestimable.

 

 En quête d’un livre en librairie pour le rendez-vous de la littérature des pays de l’Est, je tombe sur cet auteur polonais que je ne connaissais pas (mais qui connaît bien la France) Zygmunt Miloszewski et ce roman intitulé Inestimable. La critique de Télérama en quatrième de couverture me décide : « Une course-poursuite haletante sur fond de changement climatique ». Allez,  pourquoi pas ? je le prends et voilà  ! Il est lu !

A noter d’abord que ce livre est assez inclassable : un roman d’aventures, d’espionnage médical, de science-fiction, un thriller selon les uns,  un policier ? Un roman tout fou, tout délirant et plein d’humour et qui nous mène par le bout du nez avec des revirements incessants. Quels sont les méchants et les gentils ? Peu importe puisque l’un peut rapidement se révéler l’autre et vice versa.

Difficile aussi de le résumer sans déflorer le sujet. Je note cependant que le personnage récurrent Zofia Lorentz, spécialiste d’Art, éminente directrice du musée national de Varsovie (plus pour longtemps !) a déjà fait des apparitions dans des romans précédents (que je n’ai pas lus). Ici, elle part à la recherche des artefacts perdus des Aïnous dans l’île Sakhaline, au coeur de la Caverne du Songe bleu. Ne serait-ce que le nom et les aventures qu’elle y vit en font un roman à la Indiana Jones mais… ce n’est qu’une infime partie d’un tout et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on voyage sans cesse dans ce roman, de la Pologne à la Sibérie à Paris jusqu’à Abidjan, perdu au milieu de la taïga Sibérienne ou des tempêtes de l’Altlantique ! Sofia est accompagné du scientifique Bogdan Smuga dont on comprend vite que ce n’est ni l’art, ni la passion ethnologique qui le guident. Alors, un trésor ?  la richesse ?  le Pouvoir ? Encore moins ! Autour des ces personnages centraux fourmillent une nuée d’individus plus ou moins probables dont certains hautement en couleurs;  et de beaux personnages secondaires inattendus, surprenants, le Père André, qui parle de la foi et de Dieu en se mettant à la portée de tous et un autre que j’aime beaucoup, le vieux Martin Meller, le canadien de Sudbury, le seul "loup de mer de l’Ontario "!

Je dis tout cela et je n’ai pas encore rien dit  ! Revenons au terme de science-fiction mais pas si fiction que cela, hélas ! On peut même dire que l’on est en plein dedans : le réchauffement climatique avec les conséquences tragiques qui mèneront à l’extinction de l’humanité. En effet, comme le remarque Zygmunt Miloszewski, ce n’est pas la planète qui est menacée, c’est nous ! Elle ? Elle continuera à tourner bien longtemps après que nous aurons disparu ! 

Alors, si l’on trouvait un élixir pour remédier au Mal ? Et là, on est presque dans le conte de fées sauf que non, c’est scientifique !  Mais si le remède était pire que le Mal ? ou pas mieux ? Car la science a ses limites et ses fanatismes surtout si elle est sans conscience et l’on ne peut faire le bien -ou ce que l’on croit être le bien- des gens sans leur consentement.  C'est ce qu'affirme le mari de Zofia :

 « Et puis, je suis un humaniste, je crois que l’Histoire nous enseigne l’existence. Chaque fois que quelqu’un a tenté de changer le monde pour le bien de l’humanité, ça s’est mal terminé, même si au début, ça allait dans le bon sens. Songe à l’Empire romain, à l’Eglise catholique, à Lénine ou à Napoléon. »

L’écrivain en profite pour dénoncer l’âpreté, la malhonnêteté, des grands trusts pharmaceutiques et la dépendance des chercheurs financés par ces multinationales toutes puissantes. D’une manière plus générale, il critique le cynisme des Riches, ceux qui, responsables bien souvent des catastrophes climatiques, construisent pour eux et leurs semblables, des abris souterrains qui leur permettront de survivre après le cataclysme qui aura eu raison de la vie sur terre. Et oui, nous sommes dans la réalité !

Pour ma part, j’ai eu un début un peu hésitant car le récit paraît décousu dans les premiers chapitres et,  parfois, j'ai ressenti quelques longueurs. Mais ce n’est qu’une impression car tout se tient et tout se met en place au fur et à mesure. Le roman propose des réflexions intéressantes et qui nous concernent tous, sur la morale scientifique, les rapports de force qui interagissent sur la planète et nous transforment obligatoirement en perdants et en pions sur un échiquier truqué. Nous nous croyons libres dans un monde où tous nos gestes sont espionnés et analysés. Et puis j’ai adoré l’humour. Ah! cette chasse à l’ours hilarante en pleine taïga ou encore le repêchage de Zofia en plein océan, l’invraisemblance, le rocambolesque et la démesure faisant partie des ressorts comiques ! Enfin, pour ce roman, on peut  dire : Sérieux, s'abstenir ! ...  et pourtant, c'est sérieux, car au-delà du rire et par le biais de la fiction,  c'est bien du devenir de l'humanité dont il est question !