Pages

jeudi 11 avril 2024

Le jeudi avec Marcel Proust : Du côté de Chez Swann Première partie Cambray : La vieillesse

Giorgione :  La Vecchia (1505- 1508 ) sur le cartellino est écrit : Avec le temps ( Voilà ce que je suis devenue)

 

Quand Marcel Proust nous parle de Tante Léonie, il la décrit parfois d'une manière satirique qui révèle ses ridicules et qui nous fait sourire. Mais derrière ce portrait on sent l'affection du jeune garçon et une petite musique triste, une phrase musicale obstinée, lancinante, qui nous étreint le coeur, celle d'une vie gâchée, d'une mort lente, d'un abandon à la vieillesse. Comment Proust qui meurt à l'âge de 51 ans peut-il connaître aussi bien  "ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort"  si ce n'est par sa maladie, cette lutte qu'il a menée parfois cloué au fond de son lit, terrassé par l'asthme, pour achever son oeuvre.

Aussi A la Recherche du temps Perdu qui permet de ressusciter l'enfance où tout est encore possible, où tout est découverte et nouveauté, est aussi le livre de la vieillesse, thème récurrent de l'oeuvre.

Dans du côté de chez Swann Cambray, l'enfant est sensible très jeune au passage du temps et aux ravages qu'il inflige aux êtres humains et qu'il devine métaphoriquement en observant le dessèchement des tiges, des feuilles et des fleurs du tilleul de l'infusion que Françoise prépare à Tante Léonie.

  Françoise faisait infuser son thé ; ou, si ma tante se sentait agitée, elle demandait à la place sa tisane et c’était moi qui étais chargé de faire tomber du sac de pharmacie dans une assiette la quantité de tilleul qu’il fallait mettre ensuite dans l’eau bouillante. Le dessèchement des tiges les avait incurvées en un capricieux treillage dans les entrelacs duquel s’ouvraient les fleurs pâles, comme si un peintre les eût arrangées, les eût fait poser de la façon la plus ornementale. Les feuilles, ayant perdu ou changé leur aspect, avaient l’air des choses les plus disparates, d’une aile transparente de mouche, de l’envers blanc d’une étiquette, d’un pétale de rose, mais qui eussent été empilées, concassées ou tressées comme dans la confection d’un nid. 

 Les feuilles de tilleul sont présentées comme un tableau de peintre " les eût fait poser de la façon la plus ornementale". Jouant sur les mots, Proust suggère qu'il ne s'agit pas de n'importe quel tableau mais d'une nature morte car la mort est présente dans tous les mots, dans la comparaison avec une aile transparente de mouche mais aussi dans l'accumulation des termes qui introduisent l'idée du changement en autre chose et de la perte, de la destruction : dessèchement, treillages, incurvées, perdu, changé, empilées, concassées, tressée...

Et l'enfant s'interrogeant sur la nature de ces végétaux, conclut : C’était bien des tiges de vrais tilleuls, justement parce que c’étaient non des doubles, mais elles-mêmes, et qu’elles avaient vieilli. 

De même le portait de Giorgione ci-dessus ( c'est la mère du peintre) perd son identité pour devenir l'allégorie de la vieillesse et nous dit, pointant le doigt vers sa poitrine : "voilà ce que je suis devenue !" .  La Vieccha comme les fleurs du tilleul, a subi la métamorphose d'un caractère nouveau à un caractère ancien.

Et chaque caractère nouveau n’y étant que la métamorphose d’un caractère ancien, dans de petites boules grises, je reconnaissais les boutons verts qui ne sont pas venus à terme; mais surtout l’éclat rose, lunaire et doux qui faisaient se détacher les fleurs dans la forêt fragile des tiges où elles étaient suspendues comme de petites roses d’or – signe, comme la lueur qui révèle encore sur une muraille la place d’une fresque effacée, de la différence entre les parties de l’arbre qui avaient été « en couleur » et celles qui ne l’avaient pas été – me montrait que ces pétales étaient bien ceux qui avant de fleurir le sac de pharmacie avaient embaumé les soirs de printemps. Cette flamme rose de cierge, c’était leur couleur encore mais à demi éteinte et assoupie dans cette vie diminuée qu’était la leur maintenant et qui est comme le crépuscule des fleurs (I, 51-52).  

 Ainsi tout le texte est le prolongement de cette antithèse entre la couleur qui s'oppose à l'absence de couleur,  la jeunesse à la vieillesse,  la vie à la mort :  l'éclat rose,  roses d'or,  flamme rose, lueur, viennent ainsi en antithèse avec  pâles,  fragile, effacée, demi éteinte, assoupie, diminuée. Opposition renforcée par la comparaison entre les soirs de printemps (le début de la vie, la naissance)/ et le crépuscule des fleurs (la fin de la vie, la mort).

 Quant à la vie, une métaphore la symbolise tout au cours du texte, celle de la lumière, une petite flamme frêle, toujours prête à s'éteindre : éclat rose, lunaire et doux, c'est la lumière d'un cierge vacillant dans l'obscurité de l'église.

La description du tilleul séché représente donc la vieillesse ou plus précisément l'effacement de la vie comme si la mort n'intervenait pas brutalement mais s'imposait peu à peu, insidieusement, telle une "fresque" qui perd peu à peu ses couleurs avant de disparaître sous le passage du temps.

Dans le texte qui suit l'on peut noter le parallélisme entre la description du tilleul séché et le procédé de vieillissement de Tante Léonie, son effacement progressif.

« Oui, un jour qu’il fera beau, j’irai en voiture jusqu’à la porte du parc. » C’est sincèrement qu’elle le disait. Elle eût aimé revoir Swann et Tansonville ; mais le désir qu’elle en avait suffisait à ce qui lui restait de forces ; sa réalisation les eût excédées. Quelquefois le beau temps lui rendait un peu de vigueur, elle se levait, s’habillait ; la fatigue commençait avant qu’elle fût passée dans l’autre chambre et elle réclamait son lit. Ce qui avait commencé pour elle — plus tôt seulement que cela n’arrive d’habitude — c’est ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort, s’enveloppe dans sa chrysalide, et qu’on peut observer, à la fin des vies qui se prolongent tard, même entre les anciens amants qui se sont le plus aimés, entre les amis unis par les liens les plus spirituels, et qui, à partir d’une certaine année cessent de faire le voyage ou la sortie nécessaire pour se voir, cessent de s’écrire et savent qu’ils ne communiqueront plus en ce monde. Ma tante devait parfaitement savoir qu’elle ne reverrait pas Swann, qu’elle ne quitterait plus jamais la maison, mais cette réclusion définitive devait lui être rendue assez aisée pour la raison même qui, selon nous, aurait dû la lui rendre plus douloureuse : c’est que cette réclusion lui était imposée par la diminution qu’elle pouvait constater chaque jour dans ses forces, et qui, en faisant de chaque action, de chaque mouvement, une fatigue, sinon une souffrance, donnait pour elle à l’inaction, à l’isolement, au silence, la douceur réparatrice et bénie du repos.

 Comme dans toute grande oeuvre, quand un auteur vous parle de lui, il vous parle de vous. Cependant on ne peut pas lire les textes de Marcel Proust de la même manière, que l'on soit jeune ou âgé, et l'émotion qu'il suscite en nous ne peut-être la même quand on se sent proche ou non de la vieillesse. Il y a fort à parier que si vous êtes jeune, ce texte vous paraîtra remarquablement bien écrit voire plein d'émotion mais peu menaçant.  Mais si vous êtes âgé(e), si vous avez des amis qui, déjà, maladie ou fatigue, ne vous écrivent plus ou ne se déplacent plus, vous sentirez une sorte d'osmose passer de Tante Léonie à vous-même à peine encore retenu(e) au-dessus de l'abîme. Je crois que ce qu'il y a de plus triste dans le renoncement, c'est le fait que l'on éprouve du plaisir à le ressentir, aucune révolte mais un assentiment, et c'est ce que me fait découvrir Marcel Proust...




dimanche 7 avril 2024

Théâtre : Sophocle : Antigone

 

Antigone de Sophocle Entre danse et théâtre

J’ai assisté à la représentation de Antigone de Sophocle à La Scala de Provence dans la mise en scène de Laurent Hatat  et Emma Gustaffon.

Antigone, Ismène, Polynice et Etéocle sont les enfants de Jocaste et d’Oedipe qui sans le savoir a épousé sa mère et est devenu le roi de Thèbes. Tous appartiennent à la famille de Labdacides marquée par la fatalité.
Après la mort d’Oedipe, Polynice et Etéocle se disputent le pouvoir et Polynice appuyé par les Argiens attaque Thèbes. Thèbes triomphe mais les deux frères sont morts. Créon, leur oncle, prend le pouvoir. Il ordonne d’enterrer Etéocle mais refuse toute sépulture à Polynice qu’il considère comme un traître. Antigone décide d’ensevelir son frère malgré l’interdiction. Elle sait qu’elle risque la mort. Découverte, elle est enfermée vivante et se pend. Son fiancé Hémon, fils de Créon, se suicide et la mère d’Hémon aussi.
Dans la pièce de Sophocle, Antigone juge que les lois de Dieu sont supérieures au pouvoir humain et elle se dresse contre la tyrannie de Créon. Ce dernier représente l’Hybris, l’orgueil démesuré de l’homme qui se prétend l’égal de Dieux.  Il représente ici la raison d'état supérieure pour lui au règles de la morale.
Au-delà de la signification religieuse, Antigone est devenue le symbole de tous ceux qui s’élèvent contre le pouvoir lorsqu’il est synonyme d’injustice ou d’inhumanité. Elle s’insurge contre l’illégitimité et le Mal en  politique.

Le texte traduit par Irène Bonnaud et Malika Hammou est moderne, direct et beau et résonne toujours de manière aussi actuelle quant au message qu’il fait passer depuis près de  2500 ans qu’il ne cesse de nous parler ! Il nous dit qu’il faut savoir dire non au pouvoir lorsque celui-ci est injuste. Et c’est bien sûr un message toujours vrai qui ne cesse de nous interpeller dès que nous tournons nos regards vers le présent. C’est pourquoi j’ai moins apprécié le texte moderne ajouté à celui de Sophocle pour nous « donner des exemples d’injustice et de lutte à notre époque », comme si le spectateur n’était pas capable de comprendre tout seul, comme si le texte n’était pas assez clair !

Que Sophocle ait choisi une femme pour nous montrer cette vérité n’est pas anodine. Créon ne supporte pas la désobéissance mais il l'accepte encore moins venant d’une femme !  Et ce n’est pas, non plus, inintéressant de savoir que c’est une toute jeune fille (les femmes grecques étaient mariées en moyenne vers l’âge de 14-15ans) et Antigone est sur le point de célébrer son mariage avec Hémon. J’ai d’ailleurs bien aimé l’interprétation d’Antigone toute pétrie d’indignation envers le mal, d’intransigeance envers ceux qui ne pensent pas comme elle (sa soeur Ismène ), de courage et de fragilité pourtant devant la mort. Ismène est un personnage secondaire. Elle représente ceux qui, silencieux, n’approuvent pas mais ont peur d’intervenir. Pourtant, elle ne manque pas de courage lorsqu’elle veut partager le sort de sa soeur et la comédienne qui interprète le rôle permet de souligner son importance. La majorité n’est-elle pas plutôt Ismène qu’Antigone quand il s’agit de risquer sa vie ? Par contre, l’interprétation de Créon joué par une femme m’a paru moins convaincante, pas assez naturelle, un peu trop déclamatoire. Je ne suis jamais arrivée à voir le personnage ni à ressentir de l’émotion à travers elle.
Ce que j’ai le plus apprécié dans la mise en scène, c’est le mélange entre le théâtre et la danse, le mouvement laissant place à la parole, la parole le cédant au mouvement, une danse sur une musique originale qui est très belle en harmonie avec le texte et signifiant par rapport aux évènements. La scène est couverte de fibres noires qui est à la fois la terre qu’Antigone dépose par poignées sur le corps de son frère, mais qui représente aussi le destin, les danseurs dessinant leurs évolutions, traçant des arabesques sur la noirceur du sol éclairé de rouge, troué de sang.

Antigone : Texte Sophocle


Traduction Irène Bonnaud et Malika Hammou


augmentée de textes commandés à Julie Ménard


Conception et mise en scène Laurent Hatat & Emma Gustafsson


Avec Mathilde Auneveux, Flora Chéreau, Sylvie Debrun, Bouba Landrille Tchouda, Claire-Lyse Larsonneur, Samir M’Kirech


Assistant à la mise en scène Mathias Zakhar


Création musicale Laurent Pernice


Création lumière Anna Sauvage


Régie générale et plateau Roméo Rebiere


Administration et production Henri Brigaud et Elena Le Junter


jeudi 4 avril 2024

Le Jeudi avec Marcel Proust : Du côté de chez Swann, première partie Cambray : Marcel Proust et l'Art

Claude Monet Nymphéa


Je suis en train de lire du côté de chez Swann, le premier livre de A la Recherche du temps perdu dont nous devons faire une LC avec Miriam le 15 mai. Mais cette lecture me donne envie de venir de temps en temps, avant cette date, noter les impressions qu'éveille en moi la rencontre du texte dans une chronique que j'appellerai Le Jeudi avec Marcel Proust. Et d'abord, outre l'omniprésence de la nature, l'omniprésence de l'Art, sous toutes ses formes, qui imprègne l'oeuvre et devient une façon de voir, une manière d'appréhender la réalité et de la transformer. Marcel Proust n'est pas peintre mais il voit la nature comme un tableau et pas seulement la nature, mais les êtres et les choses aussi.

Ainsi, je note, quand il va se promener au bord de la Vivonne, du côté de Guermantes, combien cette description des Nymphéas est proche des tableaux de Monet. C'est une évidence tant il y a de points communs entre la vision du peintre et de l'écrivain. Dans son livre L'herbier de Marcel Proust, Dane Mc Dowell écrit :  
 
"Chasseur d'éphémère comme Monet, obsédé comme lui par le temps qu'il fait et le temps qui fuit, Proust évoque avec des mots la poésie et le mystère de la peinture impressionniste, autant que la sérénité et la joie qu'elle transmet ".  (Editions Flammarion)
 

L'impressionnisme : les Nymphéas de Monet

" Çà et là, à la surface, rougissait comme une fraise une fleur de nymphéa au cœur écarlate, blanc sur les bords. "

 

Claude Monet "une fleur de nymphéa au coeur écarlate"
 

" Plus loin, les fleurs plus nombreuses étaient plus pâles, moins lisses, plus grenues, plus plissées, et disposées par le hasard en enroulements si gracieux qu’on croyait voir flotter à la dérive, comme après l’effeuillement mélancolique d’une fête galante, des roses mousseuses en guirlandes dénouées."

 

Claude Monet : " des roses mousseuses en guirlandes dénouées"
 

" Ailleurs un coin semblait réservé aux espèces communes qui montraient le blanc et rose proprets de la julienne, lavés comme de la porcelaine avec un soin domestique, tandis qu’un peu plus loin, pressées les unes contre les autres en une véritable plate-bande flottante, on eût dit des pensées des jardins qui étaient venues poser comme des papillons leurs ailes bleuâtres et glacées sur l’obliquité transparente de ce parterre d’eau ; de ce parterre céleste aussi : car il donnait aux fleurs un sol d’une couleur plus précieuse, plus émouvante que la couleur des fleurs elles-mêmes ; et, soit que pendant l’après-midi il fît étinceler sous les nymphéas le kaléidoscope d’un bonheur attentif, silencieux et mobile, ou qu’il s’emplît vers le soir, comme quelque port lointain, du rose et de la rêverie du couchant, changeant sans cesse pour rester toujours en accord, autour des corolles de teintes plus fixes, avec ce qu’il y a de plus profond, de plus fugitif, de plus mystérieux — avec ce qu’il y a d’infini — dans l’heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel."

 

Monet : il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel."



L'impressionnisme : les asperges : Manet

 Botte d'asperges Manet
 
 
 Mais Proust ne dédaigne pas les natures mortes et si la description des asperges fait penser à Manet, elle évoque aussi les peintres hollandais. Ah! ces asperges ! Elles jouent un grand rôle dans toute la première partie comme révélation du caractère de Françoise. Comme sujet de conversation avec Léonie aussi, qui de son lit, observe les passant et les voit passer avec "des asperges grosses comme le bras" , elles témoignent de la curiosité de la vieille dame mais aussi de sa vie étriquée, réduite à la fenêtre de sa chambre entrouverte sur le monde où elle ne va plus jamais.
 
"Mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outre-mer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied – encore souillé pourtant du sol de leur plant – par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s'étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d'aurore, en ces ébauches d'arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j'en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum.


Edouard Manet : l'asperge



La pauvre Charité de Giotto, comme l'appelait Swann, chargée par Françoise de les « plumer », les avait près d'elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre ; et les légères couronnes d'azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue."
 
La Charité de Giotto ainsi nommée par Swann est la fille de cuisine qui assiste Françoise, la cuisinière, et qui est terriblement enceinte ! On apprendra plus tard que si Françoise a fait manger des asperges à ses maîtres presque tous les jours cet été-là, c'est parce que ces légumes donnaient des crises d'asthme à la pauvre Charité dont la cuisinière était jalouse, craignant que sa patronne tante Léonie ne la préfère à elle.
 

Le Trecento italien : La charité de Giotto

La charité de Giotto


"L’année où nous mangeâmes tant d’asperges, la fille de cuisine habituellement chargée de les « plumer » était une pauvre créature maladive, dans un état de grossesse déjà assez avancé quand nous arrivâmes à Pâques, et on s’étonnait même que Françoise lui laissât faire tant de courses et de besogne, car elle commençait à porter difficilement devant elle la mystérieuse corbeille, chaque jour plus remplie, dont on devinait sous ses amples sarraux la forme magnifique. Ceux-ci rappelaient les houppelandes qui revêtent certaines des figures symboliques de Giotto dont M. Swann m’avait donné des photographies. C’est lui-même qui nous l’avait fait remarquer et quand il nous demandait des nouvelles de la fille de cuisine, il nous disait : « Comment va la Charité de Giotto ? ». D’ailleurs elle-même, la pauvre fille, engraissée par sa grossesse, jusqu’à la figure, jusqu’aux joues qui tombaient droites et carrées, ressemblait en effet assez à ces vierges, fortes et hommasses, matrones plutôt, dans lesquelles les vertus sont personnifiées à l’Arena. Et je me rends compte maintenant que ces Vertus et ces Vices de Padoue lui ressemblaient encore d’une autre manière.
 
 
Giotto chapelle de Scrovegni : La prudence, la fermeté, la tempérance, la foi, la charité, lespérance

 
 De même que l’image de cette fille était accrue par le symbole ajouté qu’elle portait devant son ventre, sans avoir l’air d’en comprendre le sens, sans que rien dans son visage en traduisît la beauté et l’esprit, comme un simple et pesant fardeau, de même c’est sans paraître s'en douter que la puissante ménagère qui est représentée à l’Arena au-dessous du nom « Caritas » et dont la reproduction était accrochée au mur de ma salle d’études, à Combray, incarne cette vertu, c’est sans qu’aucune pensée de charité semble avoir jamais pu être exprimée par son visage énergique et vulgaire. Par une belle invention du peintre elle foule aux pieds les trésors de la terre, mais absolument comme si elle piétinait des raisins pour en extraire le jus ou plutôt comme elle aurait monté sur des sacs pour se hausser ; et elle tend à Dieu son cœur enflammé, disons mieux, elle le lui « passe », comme une cuisinière passe un tire-bouchon par le soupirail de son sous-sol à quelqu’un qui le lui demande à la fenêtre du rez-de-chaussée."
 
 
L'envie et la colère

 
L’Envie, elle, aurait eu davantage une certaine expression d’envie. Mais dans cette fresque-là encore, le symbole tient tant de place et est représenté comme si réel, le serpent qui siffle aux lèvres de l’Envie est si gros, il lui remplit si complètement sa bouche grande ouverte, que les muscles de sa figure sont distendus pour pouvoir le contenir, comme ceux d’un enfant qui gonfle un ballon avec son souffle, et que l’attention de l’Envie — et la nôtre du même coup — tout entière concentrée sur l’action de ses lèvres, n’a guère de temps à donner à d’envieuses pensées."

C'est dans l'église Arena, à Padoue  et dans la chapelle Scrovegni que l'on peut admirer les fresques de Giotto qui raconte la vie du Christ et les groupes de Sept vertus et sept vices. J'ai toujours eu envie de les voir et disons que Proust en  rajoute encore !
 


L'Arena et les fresques de Giotto Chapelle des Scrovegni




Giotto : Les vices: le désespoir, l'envie, l'idolâtrie, l'injustice, la colère, l'inconstance, la sottise


Giottodi Bondone ou Ambrogiotto di Bondone, dit Giotto, né en 1266 ou 1267 à Vespignano ou Romignano et mort le 8 janvier 1337 à Florence, est un peintre, sculpteur et architecte italien de la République florentine. Artiste majeur du Trecento, ses œuvres sont à l'origine du renouveau de la peinture occidentale.((Wikipédia) On peut voir de très belles fresques de lui à la basilique de Santa Croce et à la Basilique de Saint François d'Assise.


L'Architecture  médiévale : entre roman et gothique
 
 
L' église de Saint Loup de Naud


 

Tantôt, c’est une femme réelle, la servante qui perd son statut d'être humain et qui devient peinture, qui se transmue en  oeuvre d'Art  sous la puissance de l’imagination de l’enfant renforcée et comme authentifiée  par celle de l’adulte, monsieur Swann.

Tantôt ce sont les statues du porche de l’église de Saint André des Champs qui deviennent vivantes s’incarnant comme des figures familières qui peuplent les rues de Combray. Ainsi en est-il de Théodore, le garçon de chez Camus, mauvais sujet peut-être mais  qui, pour venir en aide à Tante Léonie alitée, prend  la mine naïve et zélée des petits anges des bas-reliefs, s’empressant, un cierge à la main, autour de la Vierge défaillante, comme si les visages de pierre sculptée, grisâtres et nus, ainsi que sont les bois en hiver, n’étaient qu’un ensommeillement, qu’une réserve, prête à refleurir dans la vie en innombrables visages populaires, révérends et futés comme celui de Théodore, enluminés de la rougeur d’une pomme mûre. Non plus appliquée à la pierre comme ces petits anges, mais détachée du porche, d’une stature plus qu’humaine, debout sur un socle comme sur un tabouret qui lui évitât de poser ses pieds sur le sol humide, une sainte avait les joues pleines, le sein ferme et qui gonflait la draperie comme une grappe mûre dans un sac de crin, le front étroit, le nez court et mutin, les prunelles enfoncées, l’air valide, insensible et courageux des paysannes de la contrée. 
 
 
Vierge gothique Calvados

 
Cette ressemblance, qui insinuait dans la statue une douceur que je n’y avais pas cherchée, était souvent certifiée par quelque fille des champs, venue comme nous se mettre à couvert, et dont la présence, pareille à celle de ces feuillages pariétaires qui ont poussé à côté des feuillages sculptés, semblait destinée à permettre, par une confrontation avec la nature, de juger de la vérité de l’œuvre d’art.
 
Comme le personnage de Swann, le jeune Marcel fait descendre les personnages des murs, des toiles ou des socles où les siècles les avait figés. La réalité ne lui apparaît vraie que confirmée par l'oeuvre d'Art ou inversement !





Cette église Saint André des Champs est citée dix-sept fois dans la Recherche. C'est l'ancien prieuré clunisien de Saint Martin des Champs à Paris, exemple parfait du passage du roman au gothique et symbole du peuple français, qui a servi de modèle à Proust pour la description de l'église de Saint André des champs. 
Mais celle-ci est aussi  composée de plusieurs références architecturales : La Cathédrale de Chartres, l’église de Saint-Loup-de-Naud (Seine-et-Marne, près de Provins).
 
 
Cathédrale de Chartres


Quant à l'église Saint-Hilaire son clocher et ses fameux vitraux, elle aussi est une construction à partir de  de monuments différents dont Proust lui-même a parfois oublié l'origine. Il écrit en 1918 : « Ma mémoire m'a prêté comme modèles beaucoup d'églises. Je ne saurais plus vous dire lesquelles. Je ne me rappelle même plus si le paysage vient de Saint-Pierre-sur-Dives ou de Lisieux. Certains vitraux sont certainement les uns d’Évreux, les autres de la Sainte-Chapelle et de Pont-Audemer »


Vitrail de la cathédrale d' Evreux


"Il y en avait un qui était un haut compartiment divisé en une centaine de petits vitraux rectangulaires où dominait le bleu, comme un grand jeu de cartes pareil à ceux qui devaient distraire le roi Charles VI ; mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regard en bougeant eût promené à travers la verrière tour à tour éteinte et rallumée un mouvant et précieux incendie, l’instant d’après elle avait pris l’éclat changeant d’une traîne de paon, puis elle tremblait et ondulait en une pluie flamboyante et fantastique qui dégouttait du haut de la voûte sombre et rocheuse, le long des parois humides, comme si c’était dans la nef de quelque grotte irisée de sinueux stalactites que je suivais mes parents, qui portaient leur paroissien ; un instant après les petits vitraux en losange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible dureté de saphirs qui eussent été juxtaposés sur quelque immense pectoral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes ces richesses, un sourire momentané de soleil ; il était aussi reconnaissable dans le flot bleu et doux dont il baignait les pierreries que sur le pavé de la place ou la paille du marché ; et, même à nos premiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il me consolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir, comme en un printemps historique et qui datait des successeurs de saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre."

On le voit, ce que décrit Marcel Proust rappelle l'émerveillement ressenti par l'enfant quand il contemple les effets fantastiques du kaléidoscope. Le vocabulaire fait appel tour à tour aux champs lexicaux de l'incendie "éteinte et rallumée""mouvant et précieux", et surtout de la pluie dans une longue métaphore filée "ondulait""dégouttait" , "les parois humides" "le flot bleu et doux", "baignait" et où l'oxymore pluie flamboyante unit l'incendie à la pluie, le ruissellement de l'eau entraînant l'image de la grotte "irisée de sinueux stalactites". Mais l'enfant n'oublie pas qu'il est dans une église "la nef de quelque grotte". Puis intervient le champ lexical de la pierre précieuse : "l'infrangible dureté des saphirs" "les pierreries", la beauté de la nature prenant ensuite le relais de la beauté de l'art , "un sourire momentané du soleil" et  les myosotis de verre."
 
Comparaisons avec l'incendie, métaphores de la pluie, image de la grotte et de ses stalactites, de la pierre précieuse, des fleurs et du soleil. Le texte de Proust est en lui-même un éblouissement, une oeuvre d'art qui rend bien compte de la beauté des vitraux. !
 
 
 
Pont-Audemer : Eglise Saint-Ouen

 
XVIII siècle :   Le goût des  ruines


Clair de lune Hubert Robert


Dans chaque jardin le clair de lune, comme Hubert Robert, semait ses degrés rompus de marbre blanc, ses jets d’eau, ses grilles entr’ouvertes. Sa lumière avait détruit le bureau du télégraphe. Il n’en subsistait plus qu’une colonne à demi brisée, mais qui gardait la beauté d’une ruine immortelle. Je traînais la jambe, je tombais de sommeil, l’odeur des tilleuls qui embaumait m’apparaissait comme une récompense qu’on ne pouvait obtenir qu’au prix des plus grandes fatigues et qui n’en valait pas la peine. Des grilles fort éloignées les unes des autres, des chiens réveillés par nos pas solitaires faisaient alterner des aboiements comme il m’arrive encore quelquefois d’en entendre le soir, et entre lesquels dut venir (quand sur son emplacement on créa le jardin public de Combray) se réfugier le boulevard de la gare, car, où que je me trouve, dès qu’ils commencent à retentir et à se répondre, je l’aperçois, avec ses tilleuls et son trottoir éclairé par la lune.

Dans ce texte le point de vue artistique est délibérément choisi par l'écrivain, un peintre du XVIII siècle à une époque où le goût des ruines romaines ou médiévales prédominent dans l'art. Ici, le tableau du peintre vient se substituer à la réalité et parvient même à l'effacer : "le clair de lune semait ses degrés rompus de marbre blanc" pour faire apparaître "une colonne à demi brisée". C'est la lumière qui fait surgir la fantasmagorie comme le fait la lanterne magique dans sa chambre d'enfant à Combray, envoyant danser sur les murs et la poignée de la porte les ombres de Geneviève de Brabant et de Golo. 
On voit ici comment, plus tard, le son (les aboiements des chiens) et l'odeur (des tilleuls) associés à cette vision du peintre du XVIII siècle, ressuscitent le souvenir et rappellent l'image du passé enfoui dans la mémoire comme le fait le goût de la madeleine trempée dans du tilleul de Tante Léonie. Ainsi le temps n'est jamais retrouvé brut,  directement,  mais seulement  par l'intermédiaire de tous les  sens.
 
 Hubert Robert né le 22 mai 1733 à Paris et mort le 15 avril 1808 dans la même ville est un peintre français, dessinateur, graveur, professeur de dessin, créateur de jardins et conservateur au muséum central des arts de la République. Il est un des principaux artistes français du XVIIIᵉ siècle. (Wikipédia) Ses peintures de ruines en font un précurseur des romantiques.
 
 
Et comme l'on ne peut épuiser ce thème de l'art chez Proust, je m'arrête, sachant que ces passages sont presque tous  situés dans la première partie de Du côté de chez Swann intitulée Cambray et que j'en ai noté bien d'autres en avançant dans ma lecture.


Voir ce livre recommandé par Keisha sur l'Art dans l'ensemble de La Recherche du temps perdu.
 
Le musée imaginaire de Marcel Proust  Tous les tableaux de A la recherche du temps perdu  Eric Karpeles Editions Gallimard
keisha ICI 





mardi 2 avril 2024

Evelyne Bloch-Dano : Une jeunesse de Marcel Proust


Une jeunesse de Marcel Proust d’Evelyne Bloch-Dano est un ouvrage original par le point de vue choisi pour faire revivre l’enfance de  l’écrivain et des amis de son âge. En effet, c’est par  le biais de ce que l’on a appelé le questionnaire de Proust que l’on pénètre dans la Recherche du temps perdu. Une étude passionnante qui nous apprend beaucoup sur les garçons et surtout sur les filles de la fin du XIX siècle et début du XX siècle. Nous avons l’impression de faire une promenade du côté des jeunes filles en fleurs tout droit sorties du questionnaire. Or, celles-ci, parfois, comme elles nous ressemblent ! Je parle pour celles d’entre nous qui avons fait nos études dans les années 1950/ 1960 ! A cette époque-là on regardait plutôt du côté du début du siècle tout au moins en ce qui concernait l’école - avec des programmes semblables, des lectures et des  sujets de devoir aussi - que de la fin du siècle, du moins jusqu’en 68.*

Marcel Proust, Antoinette Faure et un camarade d'école ( inconnu) : 
Antoinette et Marcel ont à peu près le même âge (14 ans). On voit combien la jeune fille paraît plus mûre que son ami.


L’écrivaine part d’un album anglais appartenant à Antoinette Faure, intitulé Confessions. An album to record thoughts, Feeelings etc., album oublié au fond d’une malle, retrouvé bien des années après par le fils d’Antoinette, et dans lequel on a retrouvé les réponses de Marcel Proust daté au 4 septembre 1887 avec la célèbre réplique à la question : "Votre idée du malheur : être séparé de maman.". C’est à l’occasion des derniers jours de l’exposition maritime internationale au Havre que les amis d’Antoinette se sont réunis chez elle et qu’elle présente  le questionnaire comme un jeu de société.

Antoinette et sa soeur aînée Lucie sont les filles de Félix Faure, négociant havrais, qui deviendra président de la république. Monsieur et madame Faure sont amis avec les parents de Marcel. Celui-ci partageait les jeux d’Antoinette au parc des Champs Elysée à Paris et ils avaient nombre d’amis communs..  
Bien sûr, Marcel n’est pas le seul à qui elle a fait remplir son album ! Evelyne Bloch Dano se propose alors de retrouver tous ceux qui figurent dans ces pages. C’est facile quand les personnes ont signé de leur nom et prénom mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois ne figure qu’un prénom, d’autre fois, pour les garçons surtout, moins nombreux, renâclant peut-être à se livrer à ce genre de divertissement, aucune information sur l’identité. Il faut dire que le questionnaire à l’opposé du journal intime est une manifestation publique et que certains ne s’y prêtent pas avec la même sincérité !

Il faut alors retrouver de qui il s’agit par une minutieuse enquête ! Une quête à la recherche du temps perdu est alors menée par l’écrivaine et se révèle une mine riche et inépuisable de renseignements sur Marcel lui-même, sur la jeunesse de son temps du moins dans les milieux sociaux aisés, à l’exclusion des classes populaires, sur les relations qu’il a entretenues avec ses jeunes amis, et sur la manière dont l’enfance influe sur son oeuvre. Un vrai travail de fourmi ou d’enquêteur  qui ramène à la vie des jeunes gens disparus depuis si longtemps!

Comme les policiers dans les séries télévisées, j’aurais pu afficher sur mon mur des feuillets portant les détails récoltés dans les archives !

Evelyne Bloch-Dano s’appuie aussi sur un second questionnaire plus tardif intitulé Les confidences de Salon qui montre les évolutions mais aussi les constantes de Marcel Proust malgré la différence d’âge entre les deux questionnaires.

1887 : Marcel Proust à 16 ans


Que se propose  Evelyne Bloch-Dano  en menant cette enquête ?

L’intérêt n’est pas seulement documentaire. Je n’oublie pas qu’à l’origine de mon projet il y a cette interrogation  : « le questionnaire de Proust » est toujours présenté et analysé seul. Qu’en est-il quand on compare les réponses de Marcel et ses congénères ? Est-il vraiment si exceptionnel ? Sa singularité saute-t-elle aux yeux ?

L’intérêt n’est pas seulement documentaire mais …  il l’est, bien heureusement, et pour notre plus grand plaisir ! Et je dois dire que c’est l’un des aspects que j’ai adoré. L’on y devine les caractères des filles, Lucie, Antoinette, mais aussi Marie, Juliette, Blanche, Mathilde, Madeleine et d’autres encore… leurs rêves, leurs révoltes (l’une d’entre elles ne veut pas se marier ! l’autre veut faire ce qui lui plaît ! et l’autre se bagarrer !) leurs idées du bonheur, leur conception du malheur, leurs loisirs (l’une aime jouer du piano, les autres « causer » avec leurs amies et beaucoup se plonger dans la rêverie mais c’est un défaut qu’on leur reproche ), leurs goûts littéraires, et pas seulement (l’une, originale, apprécie les sandwiches, les autres le chocolat, le chocolat et encore le chocolat,  beaucoup le vin de Champagne mais peu, le thé !), leurs opinions par rapport à leur pays. En filigrane aussi, même si ce n’est pas le but poursuivi par Evelyne Bloch Dano, on voit se dessiner la condition féminine à cette époque. Toutes ces petites filles intelligentes, audacieuses et cultivées qui ont environ 16 ans au moment où elles répondent seront mariées pour la plupart deux ans après. Elles répondent unanimement quand on leur demande : Qu’aimeriez-vous être si vous n’étiez pas vous-même :  un garçon ! ». Pour les garçons, ce qui domine c’est le ton potache, les plaisanteries un peu lourdes, les vantardises, mais aussi apparaissent leur culture et les valeurs morales qu’ils admirent en cette fin de siècle. Tout cela révèle ce qu’ils sont même s’ils sont moins sincères ! Ce sont tous des enfants marqués par la défaite de 1870 et leurs sentiments patriotiques entretenus dans les familles et à l’école sont vifs.

Quant à Marcel ?  Il est la fois mûr intellectuellement mais encore très enfant. Même à l’âge de 17 ans, il avoue qu’il a pleuré quand sa mère est partie en voyage. Mais ajoute l’auteur,  il est beaucoup plus ambivalent que l’on ne croit. Il a pris conscience que son homosexualité l’expose aux railleries et cruautés des garçons de son âge et à la réprobation de sa famille. Il a compris qu’il faut se montrer discret et qu’il faut composer avec la société. Il va lui falloir s'imposer pour conquérir sa liberté.

"Ses réponses nous montrent un garçon différents des autres. Elles ont confirmé la maturité de sa réflexion, son goût des nuances, sa délicatesse, son besoin de tendresse, son affectivité, son attachement à sa mère et aux valeurs transmises par celle-ci. Il a pris les questions au sérieux contrairement à ses camarades, et fait preuve d’un certain courage car il est toujours plus facile de se cacher derrière l’humour et la dérision ( …) Plusieurs réponses le rapprochent des filles, soit parce qu’il les fréquente davantage, soit parce que ses goûts, hérités de sa mère et de sa grand-mère font vibrer une sensibilité identique."

Marcel Proust a-t-il emprunté à ses ami(e)s et à leurs parents pour créer ses personnages ? C’est aussi la question ! On a souvent chercher les « clefs » qui permettaient de les identifier. Mais  il a  toujours nié s’être inspiré d’une seule source. De même que pour les lieux de son roman, les personnages sont composites, ils ne sont pas fixés une fois pour toute mais ils évoluent. Les jeunes filles en fleurs sont vues d’abord en groupe, une vision floue, en mouvement comme «  une bande de  mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage - les retardataires rattrapant les autre en voletant -  une promenade… » .

Cette vision en mouvement, écrit Evelyne Bloch-Dano, où les individualisations se fondent dans l’ensemble, ou bien surgissent pour disparaître au profit d’une autre, me rappelle le moment où, feuilletant pour la première fois l’album d’Antoinette, j’avais conscience de la succession des écritures et des couleurs, sans parvenir à m’arrêter à une page, la lisant parfois et l’oubliant aussitôt. »

Un essai passionnant, très agréable à lire et qui nous apprend beaucoup sur la société bourgeoise de cette époque et sur Marcel Proust.




Je rappelle les lectures communes sur Marcel Proust ici


LC Du côté de chez Swann pour le 15 Mai  Miriam Claudialucia

 

LC : Laure Murat : Proust roman familial pour le 25 Avril  :  Aifelle   Claudialucia

 

LC :  Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret  OU/ET Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet BD 1 et 2  On peut choisir de lire l'un ou l'autre ou les deux.   

Pour le 28 Avril  : Fanja   claudialucia

 


Voici ICI les titres de livres à lire autour de Marcel Proust


Pour ceux et celles qui ont déjà lu La Recherche et qui veulent nous accompagner et pour tous ceux qui veulent approfondir leur lecture, nous  présentons aussi une liste non exhaustive de livres à lire autour de Marcel Proust et il y en a pour tous les goûts. On les lit quand on a a envie, au rythme que l’on préfère. Et là aussi vous mettez un lien et le logo en direction de vos blogs. Nous proposerons de temps en temps une récapitulation  de vos participations.

Proust roman familial Laure Murat  Editions Laffont

Une saison  avec Marcel Proust de René Peter  Editions Gallimard

Une jeunesse de Marcel Proust de Evelyne Bloch-Dano  Editions Stock

Un été avec Marcel Proust  de Antoine Compagnon...  Editions des Equateurs

Le Proustographe Proust à la recherche du temps perdu en infographie de Nicolas Ragonneau  Editions Denoël

Le grand monde de Proust Dictionnaire des personnages de la Recherche du temps perdu de Mathilde Brézet  Editions Grasset

Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret   Editions Laffont

Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet  BD 1 et 2  Editions Noctambule

A la recherche du temps perdu de Stéphane Heuet BD tome 1 à 8

Comment Proust peut changer votre vie de Alain de Botton

A la lecture de Véronique Aubouy et Mathieu Riboulet

L’herbier de Marcel Proust  de Dane Mc Dowell   Editions Flammarion
Claudialucia ICI

Le manteau de Proust Lorenza Foscini  Editions Quai Voltaire
claudialucia ICI

Les enquêtes de Marcel Proust : Pierre-Yves Le Prince  Editions Gallimard
claudialucia ICI

La madeleine et le savant Balade proustienne du côté de la psychologie cognitive André Didierjan  Editions Seuil
keisha ICI
claudialucia ICI

Un humour de Proust avec Denis Podalydès et  Jean-Philippe Collard  concert-lecture sur scène
Claudialucia ICI

 La petite cloche au son grêle  Paul Vacca :  ( à propos de Marcel Proust) roman Livre de poche
claudialucia

A la recherche de Robert Proust  Diane Margerie  Editions Flammarion
claudialucia ICI

Le musée imaginaire de Marcel Proust  Tous les tableaux de A la recherche du temps perdu  Eric Karpeles
keisha ICI  Editions Gallimard

Proust et les autres  Proust à Cabourg, Proust et son père, Proust et Céleste  Christian Péchenard   Editions La petite vermillon 

keisha ICI

Proust contre La déchéance de Joseph Czapski  Editions Noir sur blanc

Nathalie ICI
keisha ICI

Dictionnaire amoureux de Proust  Jean-Paul et Raphaël Enthoven  Editions Grasset
keisha ICI

Chercher Proust Michaël Uras  Livre de poche

keisha ICI 


Une autre Proustolâtre, Nathalie qui dédie son blog à Marcel Proust et Mark Twain

 Lire l'introduction à la Recherche du temps perdu  de Nathalie dans son blog Chez Mark et Marcel

  Il vous faut lire aussi la présentation de La Recherche du Temps perdu relu par Nathalie dans son blog Chez Mark et Marcel ICI





dimanche 31 mars 2024

Cothias/ Parras : Le lièvre de Mars

Tome 1

Le lièvre de Mars de Lewis Caroll donne son titre à la bande dessinée de Cothias et Parras. Pourquoi ce titre ?  L’auteur joue sur les mots :  le Lièvre de Mars fait référence à l’expression anglaise « Mad as a March hare », allusion au comportement belliqueux des lièvres au moment de la reproduction à cette époque de l’année.  Alice l’évoque en souhaitant qu’en Avril le lièvre soit moins fou.  

Lièvre de Mars, aussi, parce le héros David Ruthefort, un américain, ne cesse de fuir, jouant le rôle d’un lièvre, pourchassé par des ennemis acharnés qui en veulent à sa vie. Il  entraîne dans la mort tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre lui viennent en aide, l’équipage d’un bateau de pêche, un ambassadeur, un vice consul, un chauffeur de taxi, une prostituée et l’hécatombe se poursuit de tome en tome… David est accusé de meurtres et traqué par les autorités  françaises et le FBI. On comprend qu’il détient un secret qui le désigne comme l'homme à abattre auprès des services secrets américains.

 

Tome 2


Quand il rencontre Alice ( et oui, toujours une allusion à Lewis Caroll), une psychothérapeute aveugle,  dont il tombe amoureux, il lui confie qu’il a fait des études de micro-biologie et a été recruté avec d’autres spécialistes par un astrophysicien renommé. Celui-ci leur explique qu’il est possible de terraformer Mars à l’aide d’une bactérie qui se nourrit de gaz carbonique et rejette de l’oxygène rendant ainsi la planète habitable. David s’endort et se retrouve sur Mars en même temps que les autres savants. Après deux ans de travail là-bas, on les enferme dans une salle de douche qui semble sortie tout droit des camps nazis et on les gaze. Grâce à ses records de plongée en apnée, l'américain peut retenir son souffle plus longtemps et reste le seul survivant. Il se réveille, en plein océan, recueilli par des marins pêcheurs dont le bateau est pris pour cible, puis échoué sur une plage de Bretagne. Transporté à l’hôpital, il passe pour fou quand il explique d’où il vient mais quelqu’un s’introduit dans sa chambre et essaie de l’abattre.

 


 Dès lors, la chasse à l’homme s’intensifie. Il est désormais aidé par Alice et ses amis. Pour échapper à ses poursuivants, dans le tome 3, il subit une intervention esthétique afin de changer de visage (et oui comme Boggart dans  Les passagers de la nuit  avec Lauren Bacall). Mais désormais la question se pose : David Rutherford est-il réellement allé sur Mars ou aurait-il été abusé ?  et si oui pourquoi ?  Il décide de retourner d’où il vient, c’est à dire aux USA pour enquêter.

Et voilà le combat finit faute de combattants car je n’ai pu lire que les trois premiers tomes empruntés à la bibliothèque et les suivants tardent à rentrer ! Un lecteur paresseux ? Quand les rendra-t-il ? Je ne sais ? Je vous le dirai car je veux savoir la suite !

Ce que j’ai pensé de cette bande dessinée ? Je n’aime pas le personnage, mais alors pas du tout ! C’est un savant mais il semble expert dans tous les sports de combat, style super héros invincible. Pire, c’est un homme odieux, arriviste, prétentieux. Marié, il n’aime plus sa femme et la pousse au suicide par son attitude immonde. Evidemment, en tant que lièvre, il devient une victime mais de là à être sympathique !!
De plus, d’un tome à l’autre, on va d’une violence à l’autre :  cela n’arrête jamais ! Enfin, je n’aime pas particulièrement les illustrations !  Et pourtant je veux lire la suite ! Contradictoire, c’est certain, mais je veux savoir la fin : est-il réellement parti sur Mars et si oui, la planète est-elle devenue viable? Si non, a quoi rime ce simulacre ? Enfin, pourquoi est-il l’homme à abattre ? Quel secret d’état détient-il ? 

 La curiosité me perdra ! 


Dasola Ta loi de ciné


vendredi 29 mars 2024

Brandon Sanderson : Tress de la mer émeraude


 

Tress de la mer d'émeraude est un livre de  Brandon Sanderson, le premier des quatre romans secrets écrits par l'auteur pendant la pandémie de covid19.

Tress vit sur un rocher, une île exiguë que la pierre noire rend plutôt lugubre. Seuls les marins qui déchargent les marchandises lui laissent entrevoir d’autres horizons, les lunagrées, dont les douze lunes de couleurs différentes sont vénérées comme des déesses par les habitants du pays.
La jeune fille vit dans la lunagrée verdoyante, celle qui déverse des spores vertes, ( mortelles au contact de l’eau), celles-ci formant l’océan de la même couleur. Un océan de spores ! La vie est monotone sur l’île mais Tress, petite fille humble, effacée et sage, simple laveuse de vitres, s’en accommode.  N’a-t-elle pas pour ami, le "jardinier" du château,  Charlie, qui n’est autre que le fils du Duc ? Or, elle est amoureuse  de lui et réciproquement. Mais voilà que Charlie est amené au loin par son père pour se marier avec une princesse et qu’il disparaît, enlevé par la sorcière de la mer de Minuit, la mer aux spores noires, la plus dangereuse de toutes. Il faut traverser la mer Pourpre où vit un terrible dragon pour atteindre l’antre de  la sorcière et l’affronter.  
Pour sauver le jeune homme, Tress décide de partir et comme chacun le sait, l’amour soulève les montagnes et, en l’occurence, ici, traverse les océans ! 

Comment la petite laveuse de vitres va-t-elle s’enfuir, passagère clandestine sur un bateau de contrebandiers, puis prisonnière et bientôt capitaine sur un vaisseau de pirates ? Comment va-t-elle être aidée (ou non?) par son ami le rat parlant et les marins ? Comment va-t-elle se révéler fûtée, fûtée, et pleine de ressources, la petite laveuse de vitres ? C’est ce que je ne vous dirai pas !  Il va falloir lire le livre! Et oui, c’est comme ça, la vie !

Ma première impression, je l’avoue, a été de me retrouver dans un conte de fées traditionnel plutôt que dans un roman Fantasy : la structure d’abord en trois parties, la situation initiale, l’élément perturbateur, les péripéties avec les adjuvants magiques ou pas qui interviennent jusqu’à la résolution finale si possible heureuse. L’héroïne, la petite laveuse de vitres, est bien un personnage de contes déterminée par ce qu’elle représente socialement et non par ce qu’elle est,  comme la petite fille aux allumettes, le petit ramoneur, le vilain petit canard…
Je me suis dit qu’il s’agissait donc d’un conte pour enfants et j’ai un peu renâclé à entrer dans le livre. J’aime les romans fantasy mais ceux qui s’adressent aux adultes. Pourtant, je voyais déjà se dessiner l’originalité du récit, c’est la fille qui part secourir son amoureux (un peu falot, le pauvre gars !) et qui va se révéler indépendante, intelligente, astucieuse et courageuse et, ce qui n'empêche rien, gentille, altruiste! Elle devient donc au cours de la lecture, de plus en plus intéressante surtout quand son caractère s’affirme et qu’elle commence à travailler avec les spores.  Donc, un bon point ! Ensuite, j’ai commencé à goûter un humour à La Princesse Bride, le film culte de mes filles, de mes petits-enfants et de leur grand-mère, vu et revu cent fois.  Et là, re re re bon point !

Mais j’étais gênée parfois par un humour potache, un peu lourd, en tout cas que je ne comprenais pas toujours, jusqu’au moment où je me suis aperçue que c’était le narrateur Hoid* qui prenait la parole, un être apparemment fou, subissant un sortilège lancé par la sorcière et qui tient des propos incohérents dont certains, pourtant, ont un sens caché. J’ai pensé aux personnages d’Alice au pays des Merveilles, le chapelier par exemple, confinant à l’absurde, un humour au deuxième degré. Le roman prenait des colorations différentes, interrompues parfois par des considérations qui s’adressent aux adultes plutôt qu’aux enfants. Et finalement j’ai aimé et je l’ai lu avec plaisir.

Bon, je me serais épargnée toutes ces hésitations, ces interrogations sur le roman si j’avais lu la post-face de Brandon Sanderson, avant ma lecture mais, disciplinée, je l’ai lue après : «  Je ne voulais pas d’un conte de fées, mais visais quelque chose d’adjacent. L’idée n’était pas néanmoins pas d’obtenir un résultat trop enfantin. Je souhaitais quelque chose que mes fans apprécieraient : un conte de fées pour adultes en quelque sorte. Chemin faisant, je me suis retrouvé en train de repenser à l’incroyable roman de William Goldman, Princess Bride (1987) qui parmi mes lectures, se rapproche le plus du ton que je tâchais d’atteindre . »  Un conte de fées pour adultes, c’est exactement ce qu’il est parvenu à réaliser !

*C’était le premier livre que je lisais de Brandon Sanderson  donc je ne savais pas  que Hoid est un personnage récurrent dans les livres de cet auteur et dans l’univers du Cosmere qu’il a créé.. Elantris est le premier  livre où il apparaît.

Et comme il s'agit de navigation même sur des spores, je participe à la lecture commune du Booktrip en mer de Fanja ICI