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vendredi 9 septembre 2016

Victor Del Arbol : toutes les vagues de l'océan



L’un des livres les plus marquants que j’ai lus cet été est le roman de Victor Del Arbol : toutes les vagues de l'océan. J’ai été fascinée par la force de ce roman, sa diversité, sa richesse et la manière dont l’écrivain nous plonge au coeur de l’Histoire, nous immergeant complètement dans les grandes tragédies du XX ième siècle.

Gonzalo Gil a épousé une femme riche, la fille d’un grand avocat. Il y a perdu son âme; avocat lui-même, il a tout fait pour rester indépendant mais il va être obligé de rentrer dans les rangs en signant un accord de fusion avec le cabinet de son beau-père et, ce faisant, en aliénant sa liberté.  Ses rapports avec sa femme et son fils laissent à désirer et voilà qu’on lui annonce le suicide de sa soeur Laura avec laquelle il est en froid depuis de nombreuses années. Celle-ci a perdu son fils, assassiné par un maffieux, et la police la soupçonne d’avoir tué ce dernier avant de se donner la mort. L’enquête menée par un policier au passé trouble s’oriente vers la Matriochka, nom donné à un groupe de la maffia russe qui a à sa tête un chef aussi puissant que mystérieux.

 La mort de sa soeur est un déclic qui va provoquer le réveil de Gonzalo. Peu à peu remontent à sa mémoire des souvenirs anciens, en particulier de Laura. Peu à peu aussi, nous pénétrons dans le passé de sa famille.
La mère, Esperanza, Katerina Orlovska, d’origine russe, farouche et passionnée, voue un culte à son mari. Mais que se cache-t-il derrière ses silences? Le père, Elias, est considéré comme un héros. Ingénieur communiste, il est parti travailler à Moscou et  a été envoyé en déportation en Sibérie par Staline dans l’île de Nazino où il connaît l’horreur; puis de retour en Espagne il s'est illustré dans la guerre civile espagnole du côté des communistes contre Franco.

Ile Nazino  dite l'île aux cannibales

Le récit est mené sur trois époques différentes :  les années 30, en Russie, à Moscou puis en Sibérie, plus précisément dans l’île de Nazino en 1933; à Barcelone pendant la guerre civile dans les années 1936-37. Et dans la Barcelone contemporaine en 2002.
Le voyage des exilés vers la Sibérie et leur séjour sur l’île Nazino, l’île aux cannibales, sont hallucinants. On préfèrerait que ce soit une fiction mais Victor del Arbor s’appuie sur des faits attestés. Le retour à Barcelone et les cruautés de la guerre civile ne le sont pas moins. On suit le récit avec passion tant l'écriture en est belle et vibrante. Ces personnages extrêmes comme Igor Stern, le tueur, chef de bande, Elias et Esperanza sont remarquables. En même temps on éprouve de la compassion d’abord pour Elias dont l’innocence a été tuée en même temps que les valeurs morales et puis ensuite pour les enfants, Laura et Gonzalo, victimes collatérales des sursauts terribles de l’histoire.
Après l’horreur, la nostalgie s’installe devant le récit de ces vies ratées, de la cruelle enfance de Gonzalo et sa soeur. On éprouve beaucoup d’émotions en lisant ce livre, on s’attache à certains personnages, on a mal pour eux.

Barcelone 19 juillet 1936

Ce roman remue, émeut, pousse à la réflexion. Victor del Arbor ne juge pas Elias. Il en fait un portrait clinique qui nous pousse à nous interroger sur les frontières poreuses et malléables entre le bien et le mal. Comment Elias, ce jeune homme idéaliste et pur, peut-il devenir cet homme revenu de tout, endurci, sans scrupules, qui souffre et fait souffrir en retour? L’écrivain nous ouvre les yeux sur la nature humaine, sur ce qu’il y a d’obscur en elle. Jusqu’où irions-nous pour sauver notre vie? Et quand le Mal devient une habitude comment ne pas être contaminé ? Comment préserver un fond d’humanité ? A partir de quel moment Esperanza devient-elle, elle aussi, monstrueuse ? Même le tueur Igor Stern, cannibale, image de l’ogre, est une victime. Quand il avait neuf ans, les cosaques  tsaristes l’ont obligé  à mettre le feu à son père dont ils avaient arraché la peau. Dans la guerre civile espagnole, les atrocités ont lieu des deux côtés. Ce livre remet en cause toutes les idéologies, toutes les certitudes lorsqu’elles sont perverties par le pouvoir, les intérêts économiques, par le fanatisme. Il montre que l’homme est capable du pire… mais pas seulement car l’amitié est présente dans cette histoire et curieusement là où on l’attend le moins, entre un franquiste et un communiste; l’amour aussi, celui de Laura qui protège son petit frère, lui épargne d’être confronté à la réalité, celui d’Elias pour Irina morte en Sibérie et qui reste un fantôme accroché à sa vie, l’amour aussi de Gonzalo et Tania.
Un seul bémol pour moi, c'est dans le dénouement de l'enquête qui ne me semble pas conforme avec la psychologie des personnages ni avec ce qu’ils viennent de vivre.
Ce qui n’empêche pas Toutes les vagues de l’océan d’être un grand livre et un coup de coeur !

Je ne résiste pas à citer un extrait du roman pour que vous ayez une idée de la maîtrise du style. Nous sommes sur sur l'île Nazino. Les soldats qui gardent les prisonniers viennent de céder à un moment de panique et ont tiré dans la foule :

"Quand s'éteignit l'écho des derniers coups de feu, l'îlot était jonché de cadavres. L'air sentait la poudre. Même les soldats, qui s'acharnaient encore quelques minutes plus tôt, contemplaient ce spectacle dantesque en silence, effrayés de leur propre rage. Certains vomissaient, d'autres sanglotaient. Plus de deux cents hommes, femmes et enfants moururent ce jour-là. Une demi-douzaine de soldats tombèrent aussi.  Et soudain, au loin, un écho musical transperça la brume qui enrobait le fleuve. Entouré de cadavres, un vieil homme jouait de l'harmonica, assis sur un tronc d'arbre. La musique répandait sa tristesse. La scène était démentielle, hallucinante, incroyable. Mais le vieillard était bien réel, les notes de son harmonica s'élevaient au-dessus des gémissements des blessés.

Le commandant qui avait ordonné aux soldats de cesser le feu s'approcha du vieux, son revolver à la main, marchant comme un automate. Tous pensaient qu'il allait l'exécuter. Au bout d'une longue minute, il ôta son manteau, recouvrit délicatement les épaules du vieil homme, comme si c'était son père ou son grand père, s'assit à côté de lui, promena un regard dément, releva la visière des sa casquette à la pointe de son revolver, laissa son regard errer sur les cadavres figés dans des positions invraisemblables, à genoux, les yeux écarquillés, la bouche béante tournée vers le ciel. Les doigts tremblants, il chercha une cigarette dans sa veste, l'alluma et aspira une longue bouffée. Le vieillard jouait toujours. Alors, l'officier appuya son revolver contre sa tempe et se fit sauter la cervelle.

Victor del Arbol
 Víctor del Árbol, né en 1968 à Barcelone, est un romancier espagnol, auteur de roman policier. Il fait ses études supérieures en histoire à l'Université de Barcelone. De 1992 à 2012, il travaille comme fonctionnaire du gouvernement de la Catalogne. Il participe également à une émission radiophonique de Ràdio Estel.
Il amorce une carrière d'écrivain avec la publication en 2006 du roman policier El peso de los muertos. C'est toutefois la parution en 2011 de La Tristesse du samouraï (La tristeza del samurai), traduit en une douzaine de langues qui lui apporte la notoriété. Pour ce roman, il remporte plusieurs distinctions, notamment le prix du polar européen 2012.
En 2015, son roman Toutes les vagues de l’océan remporte le le grand prix de la littérature policière * du meilleur roman étranger.
En 2016, il reçoit le prix Nadal pour La víspera de casi todo. (Wikipedia)

 * Il faut dire que je n'ai jamais considéré ce roman comme policier tout au cours de ma lecture !

Toutes les vagues de l'océan compte 596 pages au lieu de 600 !  Je le classe comme un pavé ou non?Allez, oui!

 

mercredi 21 octobre 2015

Olivier Barde-Cabuçon : Humeur noire à Venise


Humeur noire à Venise de Olivier Barde-Cabuçon est le troisième livre des aventures plombières du chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges à Paris. C’est le titre que Louis XV a accordé au jeune homme pour le remercier de lui avoir sauvé la vie en 1757.Volnay se rend à Venise avec le moine ( je ne sais pourquoi ce personnage s’habille en moine puisque c’est un mécréant, il faut lire les livres précédents pour le comprendre, je suppose), un moine qui n’est autre que le père du jeune homme, en proie à une dépression après le départ de la femme qu’il aime. Volnay espère ainsi chasser l’humeur noire de son compagnon et il répond aussi à l’appel au secours de Chiara son ex-amoureuse dont le cousin, le comte de Trissano, issu d’une grande famille vénitienne, est menacé de mort. 

Les mystères de Venise

Venise, une ville de roman noir
Nous voilà donc à Venise et sachez que l’intrigue comme la ville va nous entraîner dans un tourbillon d’aventures dont on n’a pas besoin de savoir si nous y croyons ou non!   Si bien que la jeune Violetta qui se rend dans la ville travestie en garçon (pour remplacer son frère afin d’éponger une dette d’honneur en se mettant au service d’une grande famille patricienne) nous paraît tout à fait naturelle. D’autant plus que, comédienne, elle cite Shakespeare (de quoi bien s’entendre avec le moine) et que nous voilà plongés en même temps dans une comédie Shakespearienne et pas n’importe laquelle, « La nuit des rois »! Après tout, nous sommes à Venise, ville des mystères, du complot, des apparences, des reflets et des masques.

Venise, la ville des reflets
Ceci dit, dans Humeur noire, ce n’est pas l’intrigue policière même si elle est passablement compliquée, qui nous mène par le bout du nez mais..  Venise! J’ai même parfois l’impression que l’écrivain passionné par son sujet ( c’est un spécialiste du XVIII siècle et manifestement il connaît la Serinissime comme sa poche) n’hésite pas à ralentir l’action pour expliquer la ville : sa naissance qui l’extrait des eaux en l’asseyant sur des millions de pieux de bois, arbres innombrables arrachés aux forêts; son histoire, son fonctionnement politique, ses intrigues, ses palais luxueux rongés par l’humidité mais aussi par le manque d’argent des nobles et leur goût du paraître. Nous apprenons aussi l’opposition entre la mer et les Terres fermes, entre le commerce maritime et l’agriculture, et le combat incessant que mène la ville pour sa survie. 
Un belle promenade dans Venise : nous glissons en gondole dans les rios; nous pénétrons dans de somptueux palaispar l'entrée des maîtres bien différente de celle des domestiques et assistons à l'envers du décor,  nous y rencontrons Goldoni et les petites orphelines! visitons l'arsenal, avec ses hangars, ses ateliers, ses bassins d'amarrage et où tous les corps de métiers sont représentés, sommes reçus au palais des Doges

 Et peut-être irai-je lire les débuts des aventures de Volnay qui se passent en France et où le jeune homme se bat en duel avec Casanova; Rien de moins!

Ils s'enfoncèrent dans les canaux intérieurs au milieu des chants  et des accents de guitare. De petits plongeons signalaient des rats se jetant à l'eau pour traverser le rio. Les vielles maisons aux murs humides et aux pieds crevassés par l'eau saumâtre se succédaient, leurs façades lépreuses parfois illuminées par un rai de lumière. Au-dessus, le linge séchait et les chats s'assoupissaient sur les balcons ou les bords des fenêtres.
Venise : un rio
Les rayons du soleil précédant le coucher avaient laissé place au bleu le plus pur avant de se dissoudre dans le noir de la nuit. Le moine se glissa dans la rue, échappant un peu plus loin au contenu des restes d'un pot de nuit qu'une perfide petite vieille jetait par la  fenêtre sans souci du passant qu'il était. Cela le fit rire.
Venise bruissait de vie, de mouvements, de plaisirs et de lumières. (...)
Soudain le moine retrouva tout ce qu'il avait oublié, quelques-uns des mille trésors de la vie qui font chanter le coeur : la lumière du soir, le rire d'un enfant qui efface soudain les peines, la beauté d'une âme, le regard perçant d'une femme, une mélodie, un air d'opéra, la grâce d'uneballerine, l'esprit de fête.

Venise : coucher de soleil sur la lagune
Venise : San Marco, la nuit

dimanche 18 octobre 2015

Dostoievski /Visconti : Les nuits blanches ET Le peintre Vassili Sourikov



Les nuits blanches de Dostoievski est une longue nouvelle qui se déroule à Saint Pétersbourg pendant quatre nuits et une matinée, dans une atmosphère que la lumière des nuits blanches rend irréelle. Un jeune homme solitaire se promène dans les rues et sur les ponts de la ville quand il rencontre une jeune fille en pleurs.  Celle-ci lui raconte qu'elle est désespérée parce que son fiancé ne vient pas au rendez-vous que tous deux s'étaient fixés un an auparavant. Le jeune homme accompagne la jeune fille pendant ces quatre nuits et en tombe amoureux ; mais celle-ci oubliera-t-elle celui qu'elle aime?

 La nouvelle commence comme un conte et l'on peut penser que ces rencontres sous une lumière  magique se termineront romantiquement. Or, Dostoievski est tout sauf romantique : C’est un nuit de conte, ami lecteur, une de ces nuits qui ne peuvent survenir que dans notre jeunesse. Le ciel était si étoilé, le ciel était si clair que lorsque vous leviez les yeux sur lui, vous ne pouviez, sans même le vouloir, que vous demander : est-il possible que sous un ciel pareil, vivent toutes sortes de gens méchants et capricieux? Cela aussi c’est une question bien jeune, ami lecteur, mais puisse Dieu vous l’inspirer le plus souvent possible.

Cette histoire est, en effet,  celle de la désillusion et de la solitude. Elle est racontée par un narrateur âgé qui s'étonne de la jeunesse et de la naïveté de ces personnages. Et c'est évident pour lui, ils apprendront bien vite que la vie n'est pas ce qu'ils croient et que le mal existe! Comme Dostoievski lui même l'apprendra auprès des bagnards quand il sera déporté en Sibérie en 1849.
La jeune fille, Nastenka,  innocente, naïve, qui vit seule avec sa grand mère aveugle, ne connaît pas le monde. Elle rêve qu'elle se marie avec l'Empereur de Chine car le rêve est sa seule liberté. Lorsqu'elle tombe amoureuse, c'est du seul homme qu'elle a rencontré, le locataire de sa grand mère.  Elle s'est fiancée avec lui en secret et espère qu'il reviendra la chercher dans un an comme il l'a promis. On peut dire que cet homme est le seul moyen pour elle d'échapper à un univers borné qui ressemble bien à une prison. Mais est-elle victime d'une illusion? En tout cas même si elle naïve, elle sait bien jouer la coquette et sa conduite envers le jeune homme montre que les femmes ne sont qu'inconstance et cruauté.
Quant au jeune homme si solitaire, si timide, enfermé dans ses rêves, il ne peut participer au monde extérieur et ne peut vivre que d'illusions. Il parle bien -  évidemment l'écrivain lui prête sa voix - et c'est "un conteur magnifique" comme le lui dit la jeune fille. Il se berce de mots et de beaux sentiments. J'avoue qu'il m'a profondément agacée avec ses larmoiements sur lui-même même si ceux-ci sont incontestablement littéraires c'est à dire bien écrits!. La solitude dont il désespère, il ne cesse pourtant de la cultiver, il s'en pare, il s'en vante même avec une sorte  de souffrance orgueilleuse. Et finalement il en est fier! C'est une Emma Bovary masculin et russe et Dostoïevski est encore plus méchant que Flaubert envers son personnage! On ne peut donc le plaindre quand il se retrouve seul. Il est surtout victime de lui-même, de son incapacité à vivre sa vie et de son orgueil. Finalement loin de nous attendrir, le personnage nous amène à réfléchir sur nous-mêmes et à nous interroger sur le sens que nous voulons donner à notre vie.

La préface de Michel de Castillo

Je me suis interrogée au cours de cette lecture, sur la gêne et l'irritation que j'ai ressenties en découvrant ce personnage masculin. Et c'est Michel del Castillo qui m'a donné la meilleure des réponses. Je le cite.
La tristesse du livre, sa noirceur tiennent d'abord à cette parodie de la grandeur d'âme et de la pure passion. Tel un acide, l'ironie corrode les phrases sonores dont le jeune dostoïevski a longtemps fait son miel. La partition retentit de stridences qui écorchent les oreilles. Avec une délectation ricanante, Dostoievsky emplie les lieux communs, multiplie les références et les clins d'oeil, déchaîne les cordes des envolées pathétiques. Ce faux roman d'amour, ce faux romantisme... ce reptile déguisé en rêveur, cette ville elle-même, artificielle, illusoire, monstrueuse, cachant ses pustules derrière ses marbres et ses palais, jusqu'à ces nuits qui ne sont ni des jours ni des nuits, mais des cauchemars blafards, tout est marqué sous le sceau de l'inauthenticité.

C'est ce que signifie ces avertissements donnés à Nastenka par le jeune homme :

"Il existe à Saint Pétersbourg des recoins assez étranges. Ces recoins, ils ne semblent pas visités même par le soleil... Dans ces recoins ma chère Nastenka, semble survivre une tout autre vie, très différente de celle qui bouillonne autour de nous... Et cette vie est un mélange d'on ne sait quoi de purement fantastique, de violemment idéal avec quelque chose d'autre.. de morne, de prosaïque, d'ordinaire, pour ne pas dire : d'invraisemblablement vulgaire.."

Et s'il y a ironie, on peut dire qu'elle est féroce lorsque dans le dénouement le jeune homme s'exclame :  "Mon Dieu! une seule minute de béatitude! N'est-ce pas assez pour toute une vie d'homme?"

Le peintre Sourikov et la Boyarina Morozova

La première de couverture de la collection Babel Actes Suds offre un très joli portrait, détail d'une grand tableau historique de Vassili Ivanovitch Sourikov que j'ai vu à Moscou dans la galerie Tetriakov.

Moscou La galerie Tetriakov : musée de peinture russe
La galerie Tetriakov

Vassili Ivanovitch Sourikov; la Boyarina  Morozova (1887) (cliquez sur les images)

Le tableau montre la boyarina chargée de chaînes amenée dans la citadelle où elle mourra. C'est un moment de l'Histoire religieuse russe. Le patriarche de Moscou Nikon pour uniformiser toutes les églises orthodoxes de Russie et de Grèce avait  réformé la liturgie en 1666-1667.  Une réforme qui provoqua un schisme (Raskol) entre les "vieux-croyants" ( les starovères)  et les autres. Conduite en prison la boyarina qui se tient du côté des schismatiques fait un signe d'opposition : elle lève deux doigts en l'air pour montrer que c'est ainsi que les "vieux croyants" continueront à se signer et non avec trois doigts pour symboliser la Trinité comme le préconisait le patriarche. A partir de 1685, les "vieux-Croyants" furent persécutés, des dizaines de milliers de d'entre eux furent exécutés, condamnés au bûcher ou emprisonnés à vie. La persécution dura jusqu'en 1905 date à laquelle Nicolas II signa une loi garantissant la liberté de la religion..

C'est dans la foule des "Vieux-croyants" que l'on retrouve la jeune fille de la première de couverture de Les nuits blanches. On peut voir, d'après ce tableau, que les vieux croyants se recrutent dans toutes les classes de la société, mendiants, femmes et hommes du peuple, riches et nobles.

Moscou  : Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)
Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)

Si on la regarde de plus près, on perçoit sa tristesse lorsqu'elle regarde la boyarina, ce qui ne laisse aucun doute sur son appartenance au groupe des "vieux-croyants".

Moscou Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)
Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov Boyarina  Morozova (détail)

Mais dans la foule, à gauche, certains ricanent. A voir ces visages caricaturaux, on ne doute pas un instant de quel côté le peintre balance!

Galerie Tretiakov :  Vassili Ivanovitch Sourikov; Boyarina  Morozova (détail)

Vassili Ivanovitch Sourikov

Galerie tretiakov Moscou Vassili Sourikov : Autoportrait
Vassili Sourikov : Autoportrait

Le peintre Vassili Sourikov est né en 1848. Il a appartenu au mouvement  réaliste et au groupe des peintres ambulants (ou itinérants) qui apparut en Russie à partir de 1863 pour réagir contre les méthodes et l'enseignement de l'Académie des Beaux-Arts de Saint Pétersbourg. Parmi eux pour neciter que le plus célèbre : Répin.  Ils privilégient une peinture de caractère historique et social et ont des idéaux libertaires, démocratiques..

Autres oeuvres de Vassili Sourikov à la galerie Tétriakov de Moscou 
 et au musée russe de Saint Pétersbourg


Moscou Galerie Tétriakov Vassili Sourikov Le matin de l'exécution des Streltsy (1881)
Galerie Tétriakov Le matin de l'exécution des Stretsly (1881)
La scène se passe sur la place Rouge, devant l'église de Basile-Le-Bienheureux. On voit les murailles du Kremlin, symboles du pouvoir autocrate. Les  Streltsy, ce sont les boyards moscovites, qui se sont rebellés contre le pouvoir du Tsar Pierre 1er, profitant de son séjour en Europe. Revenu à Moscou, Pierre le Grand a une réponse terrible. Des milliers de conjurés sont exécutés et le tsar transfère sa capitale dans la ville qui fait bâtir au bord de la Néva : Saint Pétersbourg. Le tsar, à droite, monté sur son cheval, regarde la scène.

Moscou : Vassili Invanovitch Sourikov Le matin de l'exécution des Stresly (1881) détail
Galerie Tétriakov Le matin de l'exécution des Streltsy (1881) détail


La conquête de la Sibérie par Yermak par Vassili Sourikov  Les Russes (à gauche) fusillent sans pitié avec leurs armes à feu attaquent leurs ennemis qui se défendent avec des arcs et des flèches. 
La conquête de la Sibérie par Yermak. Huile sur toile par Vassili Sourikov (1895). Musée russe (Saint Petersbourg)

Vassili Sourikov : La prise de la forteresse de neige Musée russe Saint Pétersbourg
Vassili Sourikov : La prise de la forteresse de neige Musée russe Saint Pétersbourg
Toujours une grande compostition mais cette fois-ci pour montrer la gaieté du peuple russe au cours d'une amusante bataille dans la neige .
Saint Pétersbourg Musée russe Sourikov : La prise de la forteresse de neige
Vassili Sourikov : La prise de la forteresse de neige Musée russe Saint Pétersbourg(détail)

Musée russe Le monument à Pierre le grand sur la place du Sénat à Saint Pétersbourg le fameux cavalier de bronze statue de Falconet.
Le monument à Pierre le grand sur la place du Sénat à Saint Pétersbourg

Saint pétersbourg Musée russe  Vassili Sourikov : le vieux soldat
Musée russe  Vassili Sourikov : le vieux soldat

Moscou Vassili Sourikov : portrait de sa fille Olga
Galerie Trétiakov  Vassili Sourikov : portrait de sa fille Olga

Luchino Visconti

Luchino Visconti
Luchino Visconti de Modrone est le fils du duc Giuseppe Visconti de Modrone. La famille Visconti régna sur Milan jusqu’au XVème siècle et appartient donc à la grande aristocratie italienne proche de la famille royale. Elle possède un palais à Milan, une villa renaissance sur le bord du Lac de Côme et un château à Plaisance. Il est réalisateur de cinéma, metteur en scène de théâtre et écrivain;

Passionné de chevaux (il s’occupait d’une écurie de sa propriété et était champion d’équitation), il l’est aussi d’opéra et de musique et rencontre les plus grands musiciens de l’époque dans le salon de sa mère (Puccini, Toscanini); la famille a une loge particulière à la Scala. Il était lui-même violoncelliste.  Ce qui explique l’importance de la musique dans son oeuvre cinématographique. De plus, dans leur propriété au bord du lac de Côme, la villa Erba, son père aimait monter des pièces de théâtre. Les enfants Visconti interprétaient de nombreux personnages.  Le rôle préféré de Luchino était Hamlet (modestement!) et avant d'être attiré par le cinéma, il se passionnait pour le théâtre.

Il débuta sa carrière en 1936 comme assistant de Jean Renoir avec les Bas-fonds et Partie de campagne. On peut dire qu'il a été à bonne école! C'est en France, avec Renoir, que Luchino clarifie ses idées au sujet du fascisme et de Mussolini et adhère totalement aux idées esthétiques mais aussi politiques du Front Populaire. C'est parmi les intellectuels parisiens et dans ce contexte de liberté qu'il affirme et accepte entièrement son homosexualité.
Son premier film est Ossessione en 1942 (Les amants diaboliques) d’après le roman Mc Caine : Le facteur sonne toujours deux fois.

Le Notti Bianche :  Les nuits blanches

Les nuits blanches: Maria Schell et Marcello Mastroïani

Les nuits blanches (1957) est une adaptation du roman de Dostoievski. Visconti déplace l’action de Saint Pétersbourg à Livourne, dans le quartier Venezia, dont il reconstitue un quartier en studio à Cinecitta.
Pourquoi Livourne? Par ses canaux et ses ponts, la ville est censée rappeler Saint Pétersbourg.
Pourquoi en studio? Parce qu’il permet à Visconti de réaliser son projet de réunir théâtre et cinéma. Le brouillard est rendu par des voiles de tulle comme au théâtre. Les jeux d’ombre et de lumière doivent paraître artificiels et faux, offrant ainsi un décor onirique au récit qui est filmé en noir et blanc. Ceci n’empêche pas le réalisme. De même que Dostievski situait le récit de Les nuits blanches dans un quartier populaire et  pauvre, de même le quartier ou vivent les personnages de Visconti est lépreux, mal famé et les habitants modestes mais.. d'une manière très esthétique. Le récit est fidèle à l’histoire mais ni au sens ni à la psychologie des personnages du roman. 
Marcello Mastroiani (Mario) est un jeune homme, trop beau, trop sûr de lui, prompt à prendre mouche et en aucun cas il n'est le rêveur déconnecté du monde, cultivant sa différence, s’enivrant de mots et de sentiments faux, et s’apitoyant sur lui-même dans une pose affectée. Au contraire, il paraît très prosaïque. En fait, il s’efface même, par moments, devant le personnage féminin, Natalia, incarnée par Marie Schell qui prend plus d’importance que lui, à la différence du roman. Il faut dire que Maria Schell était alors au sommet de sa gloire et est particulièrement mise en valeur.  Son interprétation  exacerbe le romantisme de l’histoire.
On peut dire, donc que Visconti n’a été fidèle à l’écrivain que par la forme mais non par le fond.










Le livre : Les nuits blanches de Fédor Dostoïevski
Le film : Nuits blanches de Luchino Visconti
Bravo à Aifelle, Dasola, Eeeguab, Kathel, Keisha, Thérèse, Valentine, 
Merci à tous pour votre participation.

dimanche 15 février 2015

Alfred Bertram Guthrie : La captive aux yeux clairs





Alfred Bertram Guthrie est né à Bedford dans l'Indiana. Il passe sa jeunesse à Choteau, petite ville du nord du Montana. Diplômé en 1923 de l'Université du Montana, il part s'installer dans le Kentucky pour y être journaliste. Il revient à Choteau en 1943. Il publie The Big Sky (La captive aux yeux clairs) en 1947 et The Way West (Oregon -Express ou La route de l’ouest) en 1950 pour lequel il reçoit le prix Pulitzer. Ces ouvrages sont parmi les plus connus de la littérature du Montana.
Source










 Je ne peux présenter le livre aujourd’hui ni la liste des participants sortis victorieux de l’énigme. Mais je le ferai un peu plus tard  car le livre est une belle découverte qui plaira à tous les amateurs de Nature Writing (et autres!).

 En attendant, je vous invite à aller lire le billet de Hélène lecturissime ICI

 et le billet de Wens sur le film ICI

Le roman : La captive aux yeux clairs de Alfred Bertram Guthrie (The big Sky)
 Le film :La captive aux yeux clairs de Howard Hawks



mardi 20 janvier 2015

Valentine Goby : Kinderzimmer


Kinderzimmer de Valentine Goby Actes sud est un récit sur le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück



Kinderzimmer, le titre du roman de Valentine Goby, désigne en allemand la chambre des nourrissons, la nurserie. Quel mot tragiquement ironique appliqué à la pièce où naissent les enfants des mères déportées à Ravensbrück, camp de concentration pour femmes pendant la deuxième guerre mondiale. Le livre est une formidable antithèse entre la vie et la mort rassemblés dans un même lieu.

C'est la première fois que je lisais un ouvrage présentant le vécu des femmes dans un camp de concentration, expérience forcément semblable et pourtant très différente de celui des hommes que nous connaissons à travers les romans de George Semprun (un de mes auteurs préférés) ou de Primo Levi. Que représentent les règles, la grossesse, l'accouchement, l'allaitement à Ravensbrück, sinon des étapes particulières vers une mort certaine. Mila, le personnage de Kinderzimmer, est enceinte lorsqu'elle arrive au camp. Elle nous fait pénétrer dans cet univers, elle nous initie à la faim, à l'absence d'hygiène, au froid, à l'épuisement, la maladie; elle nous fait partager le désespoir qui mène à la perte d'estime de soi, au désir d'en finir; elle nous associe au combat mené par ces femmes courageuses pour sauver les nouveaux-nés. Pour arracher son enfant à la mort, Mila trouve un sens à sa vie.  C'est ce qui fait  la beauté du livre, cette lutte de la lumière contre les ténèbres dont parle aussi Jorge Semprun, cette alliance de l'amour et de l'amitié plus forte que la violence et la haine, ce petit filet d'espoir qui redonne confiance en la nature humaine.

Le style de Valentine Goby est beau, sobre et en même temps cruel et l'on ne peut être qu'emporté par ce récit poignant et glaçant :
Alors elle voit les crânes des bébés alignés sur les deux étages des lits superposés, serrés les uns contre les autres, immobiles. Et s'approchant davantage, les peaux moitié nues, les langes puants et pleins. Et les visages. Des vieillards miniatures en série, figures plissées et jaunes, ventres gonflés, jambes maigres et bleues. Quinze petits corps en haut, quinze petits corps en bas, deux fois, les plus chétifs et ridés réunis sur une même paillasse, collection de monstres minuscules. (...)
-Où est-ce qu'ils vont après trois mois?
- Ils meurent.

Pourtant, j'avoue que j'avais quelques doutes en commençant ma lecture de Kinderzimmer après avoir lu les romans de Jorge Semprun. Il me semblait que tout était dit! Comment pouvait-on écrire après lui?
 Certes, dès le début l'on sait que le livre va être sérieux et documenté puisqu'il est né de l'expérience de l'auteure, enseignante, qui reçoit dans sa classe des rescapées de ce camp; de plus, elle a rencontré de nombreux survivants, prisonnières et enfants nés à Ravensbrück. Cependant, un témoignage, même s'il est précieux pour conserver le souvenir, n'est pas une oeuvre littéraire. 
Or, dès que j'ai commencé à lire, dès le prologue, j'ai senti que j'étais bien devant devant un écrit qui dépassait le seul témoignage; l'auteure ne se contente pas de raconter (fort bien d'ailleurs) la vie à Ravensbrück, elle nous place selon un point de vue qui donne une dimension universelle et philosophique au récit et l'histoire devient l'Histoire. Ce point de vue, c'est celui de de l'ignorance et de l'innocence. Quand Mila arrive au camp, elle ne sait pas, elle ne connaît même pas le nom de Ravensbrück et le mot «camp» ne recouvre aucune réalité. Comme il y a toujours une première fois pour un tout-petit qui découvre les merveilles du monde, il y a une première fois aussi pour découvrir le camp, apprendre ce que recouvrent les mots, comprendre le sens. C'est la démarche inverse de celle de l'enfant, c'est découvrir l'horreur, le néant, en un mot, le Mal absolu, reflet de la folie des hommes. Et pourtant y survivre!
Un très beau livre, à lire donc!

Sur l'arrivée au camp de Ravensbrück
Elles sont imprononçables, les phrases habituelles. Ni nous marchons jusqu'au camp de Ravensbrück, à cause du nom ignoré. Ni nous sommes placés en quarantaine, ce block n'a de fonction qu'aux yeux des prisonnières anciennes. Ni à 3h30 j'entends la sirène, car elle n'a pas de montre. Impossible de dire Il y avait une kinderzimmer, une chambre de nourrissons : elle n'en a rien su avant d'y laisser son enfant. Un chagrin monte, qui est un deuil. L'histoire finie n'a plus de commencement possible. Et même s'il y a des images sûres, l'histoire qu'on raconte est toujours celle d'un autre.






Je peux le mettre en livre voyageur si vous voulez?

mercredi 7 janvier 2015

Herbjorg Wassmo : Le Livre de Dina/ Fils de la providence/ L'héritage de Karna



Actes Sud publie dans sa collection Thesaurus (tome 2) la saga norvégienne de la grande écrivaine Herbjorg Wassmo : Le livre de Dina, Le fils de la Providence, l'héritage de Karna, trois suites romanesques racontant l'histoire de Dina, un personnage hors du commun qui va nous laisser pantelant tout au long de notre immersion dans son univers, de Benjamin, son fils, et de Karna sa petite fille. Un surprenant et envoûtant pavé de 1400 pages, un vrai trésor littéraire (Thesaurus, Actes Sud a raison!) que l'on dévore de jour comme de nuit (avis aux insomniaques!) mais que l'on savoure aussi tant il révèle de surprises, d'émotions en tout genre, de découvertes et de talent de la part de cette romancière! Et oui, il s'agit d'un de mes coups de foudre de la fin de l'année 2014 et comme je n'ai pas eu le temps de vous en parler, il est juste qu'il figure en premier plan en ce début de l'année 2015.

Dina : un personnage fascinant

 

film adaptation du roman de H.Wassmo

 

Le Livre de Dina, c'est avant tout un personnage entier, imprévisible, violent et farouche, condamnée par son passé : sa mère meurt dans d'atroces souffrances à la suite d'un accident dont Dina, petite fille, est la maladroite responsable. L'enfant, abandonnée à elle-même, rejetée par un père qui ne veut pas s'occuper d'elle, va être marquée par un sentiment de culpabilité, thème omniprésent du roman, sorte de malédiction qui poursuivra Dina toute sa vie mais aussi à travers elle, son fils. Cette faute originelle explique peut-être le destin de cette femme qui, quoi qu'elle fasse, ne peut être sauvée : une prédestination qui nous rappelle que nous sommes en pays protestant! Mais s'y ajoutent encore la puissante personnalité de Dina, sa force de caractère, son intelligence et son don des affaires et, aussi, le charme qu'elle exerce sur les hommes et l'ascendant qu'elle a sur tous. Dina est faite de tout cela et cela donne un mélange explosif, qui l'amène, et nous avec, jusqu'aux portes de la folie. En effet, les fantômes des morts qu'elle sème sur son passage ne la laissent pas toujours en repos. Mieux vaut ne pas contrarier la jeune femme, ni surtout l'abandonner ! Mieux vaut aussi ne pas l'aimer si l'on ne veut pas souffrir. La violence de cette héroïne, redoutable, pourrait repousser le lecteur alors qu'elle va va, au contraire, exercer sur lui une étrange fascination.

Son absence de convention, son indépendance à cette époque- la Norvège du XIX siècle- en fait un être hors du commun, un personnage marquant. Elle n'accepte pas les conventions sociales, pas plus qu'elle ne se plie aux règles de la bienséance et de la morale bourgeoise et religieuse. Devenue veuve à 18 ans, elle va reprendre en main les affaires de son mari, Jacob, propriétaire terrien et maître d'un grand comptoir de commerce et traiter d'égale à égal avec le monde des affaires exclusivement masculin. C'est une femme passionnée, et surtout libre, qui agit et ne laisse personne lui dicter son destin.

Film : adaptation du roman

C'est que Dina n'est pas un monstre malgré les apparences, elle souffre et elle est toujours sincère, une sincérité qui n'hésite pas à trancher et à faire mal. Les terribles évènements de son enfance ont provoqué un tel traumatisme qu'elle est d'une sensibilité exacerbée, une écorchée vive, dans une incapacité de parler qui dure des années, un mutisme qui est un enfermement mais peut-être aussi une auto-punition. Elle ne peut s'exprimer qu'à travers la musique et son instrument, le violoncelle. Et c'est pourquoi elle vient toujours au secours de celui qui souffre, qui est méprisé, considéré comme inférieur, en particulier lorsqu'il s'agit des femmes. Là encore elle fait fi des conventions. Ainsi, elle prend à son service dans la grande maison, Stine, la lapone, mère célibataire, mise au ban de la société, qui est elle aussi un beau personnage féminin de même que mère Karen, la belle mère de Dina, une vieille dame, intelligente et cultivée, qui inspire le respect. Le livre révèle ainsi de belles figures de femmes dont Oline, la cuisinière, mais les portrait d'hommes sont aussi très intéressants, en particulier Anders, le second mari de Dina, et le père que se choisit Benjamin.
D'un livre à l'autre, «La» Dina devient un être mythique qui manque à tout le monde lorsqu'elle disparaît et qui finit par représenter, lorsqu'elle revient au pays à la fin du second et du troisième livre, l'incarnation de la justice (même si elle en a une conception très personnelle!) et de la probité (Dina ne ment jamais sur ses sentiments)... et aussi les fondations solides qui servent de base à tous les membres de la famille. Et finalement, contre toute attente, le lecteur est amené à aimer Dina, à se passionner pour elle, à composer avec le Mal et le Bien qui font partie intégrante de sa personnalité.

Un roman entre réel et fantastique

 

source

 

L'un des grands charmes du roman est la découverte de cette région de Norvège qui est le berceau de Herbjorg Wassmo, et qui s'étend au-delà du cercle polaire, dans le comté du Nordland. Il abrite un peuple de marins et de pêcheurs, de fermiers et de commerçants qui vivent des ressources de ce milieu sauvage et souvent déshérité. La pêche est une grande richesse de la région et Anders, excellent marin, part dans des campagnes en mer qui durent des mois. La vie y est dure. La nature est toujours présente et nous vivons l'alternance de saisons rigoureuses, de la neige et de la glace qui isolent pendant de longs mois, des nuits polaires interminables et des jours qui durent et s'éternisent. C'est cette sauvagerie des éléments qui rejaillit sur les personnages. Dina marquée par son enfance est aussi façonnée par ce milieu, c'est pourquoi elle devra tout quitter pour échapper à ses fantômes. Car le fantastique est là, les morts côtoient les vivants qui ne les voient pas toujours mais Dina et son fils, oui! A moins qu'ils ne soient que l'émanation de cerveaux malades portant le poids de leur culpabilité. le roman oscille ainsi entre réalisme et fantastique.

Un style à la fois poétique et populaire

 
Comté de Northland source


Quand on commence à lire le prologue de Les Limons vides, premier du livre de Dina, qui raconte en fait la fin – avant de laisser place à un immense flash-back- il y a une telle force dans le récit dès les premières lignes, que l'on ne peut plus revenir en arrière. On se sent emporté dans un grand courant impétueux où l'on ne peut que s'immerger avec un étonnement qui n'a d'égal que notre impatience de poursuivre.
Le style de Herbjorg Wassmo est un mélange très envoûtant entre la poésie des grands espaces, des contrées sauvages et le style parler de ces gens d'une classe populaire (pêcheurs, marins..) ou d'une petite bourgeoisie (propriétaires, commerçants) dont la richesse se construit grâce à un travail acharné ; maîtres et serviteurs, ne sont donc pas si éloignés les uns des autres au niveau du langage bien que les classes sociales et les hiérarchies soient fortement marquées. Thomas, le valet de ferme, amoureux de Dina, l'apprend à ses dépens.
Même si l'on sent la tendresse que Wassmo porte à ses personnages, même si elle nous transmet leur souffrance et nous la fait éprouver, elle n'utilise jamais le pathos et le trémolo. Le ton est sobre,  jamais sentimental. Le non-dit est encore ce qui a le plus de force pour exprimer les sentiments de ces gens, pudiques et rudes, peut-être parce que le pays et les conditions de vie font d'eux des  "taiseux" et Dina encore plus à cause de son traumatisme.

Lu dans Télérama : « Wassmo est une fougueuse, une mangeuse de lecteurs » ! Je vous promets que c'est bien vrai!

 Fils de la providence 

 

Fils de la providence est l'histoire de Benjamin lui aussi abandonné par sa mère et portant sur ses épaules depuis l'enfance le poids de la culpabilité de Dina. Le personnage est complexe, déchiré et tourmenté. Lui aussi fait du mal autour de lui, digne fils de Dina mais c'est l'amour qu'il éprouve envers sa fille Karna qui le régénère..  La quête de sa mère absente est une constante du roman que j'ai aimé mais moins que Le Livre de Dina car celle-ci me manquait et de plus, une grande partie de l'intrigue ne se passe pas en Norvège. La personnalité de Benjamin est intéressante mais Dina, même absente, reste le personnage le plus passionnant. On la retrouve en fin de livre..

L'Héritage de Karna 

 

 Dina revenue au pays joue à nouveau un rôle important dans l'intrigue et marque de sa présence, de ses idées et de sa force tous les autres personnages sur lesquelles elle exerce toujours un grand pouvoir.  Elle paraît plus calme, assagie, maîtresse d'elle-même et femme d'affaires avisée.Elle peut enfin aider les autres et leur faire sentir son amour. Karna, sa petite-fille, enfant imaginative et sensible, sujette a des crises d'épilepsie, est attachante. La fille de Stine a un rôle important dans ce troisième roman et Benjamin devenu médecin est partagé entre deux femmes qu'il  aime à sa manière. La société est en train d'évoluer et de nombreux changements interviennent dans l'économie du comté. Le roman n'a pas perdu de sa force et reste passionnant.

Le livre de Dina
Les limons vides
Les vivants aussi
Mon bien-aimé et moi 

Fils de la providence 

L'héritage de Karna
 L'héritage de Karna
Le pire des silences
Les femmes si belles
 

lundi 1 décembre 2014

Maria Ernestam : Les oreilles de Buster






Le moins que l'on puisse dire c'est que l'incipit du roman de l'écrivaine suédoise Maria Ernestam, Les oreilles de Buster  est en forme de coup de poing :

"j'avais sept ans quand j'ai décidé de tuer ma mère. Et dix-sept ans quand j'ai finalement mis mon projet en exécution."

  Au moins on est tout de suite dans l'ambiance! Voilà qui illustre bien le thème du blogoclub de Silyre et Lisa pour lequel j'ai lu ce livre sur "l'amour maternel"!

Le thème principal 

A l'occasion de son 56ème anniversaire Eva reçoit de la part de sa petite-fille un journal intime et elle commence à écrire ses souvenirs. Sa mère, une femme très belle, ne l'aime pas et ne cesse de l'humilier. C'est donc l'absence d'amour maternel qui est décrit ici et la souffrance puis la haine que Eva va finir par éprouver pour cette mère froide, indifférente, sarcastique. S'ajoute un  grand amour brisé mais que Eva n'a jamais pu oublier, voilà quelle est la matière de ce roman.  

Ce livre a eu la malchance de tomber après ma lecture de l'auteure norvégienne Herbjorg Wassmo Le livre de Dina qui met aussi en scène une meurtrière mais... quelle force dans ce portrait et dans la vie de cette femme! Cela m'a presque fait paraître fade l'histoire d'Eva. 

Des personnages peu convaincants 

C'est que, en dehors de l'incipit, j'ai trouvé le roman peu convaincant.  Même s'il raconte des faits assez horribles, il manque de force. Peut-être parce que je n'ai pas pu complètement croire à cette petite fille de sept ans qui nourrit sa vengeance et s'exerce au crime sur son entourage dès qu'il se montre désagréable, humains ou animaux (de là le titre les oreilles de Buster : il faut savoir que Buster est un chien). Peut-être aussi parce que la mère d'Eva, en dehors de son manque d'amour, est un personnage assez convenu et manque de force. Une femme qui préfère ses amants à sa fille, qui n'aime pas son enfant, est une mauvaise mère, mais est somme toute assez banale ! Et si en plus elle préfère travailler parce qu'elle ne s'épanouit pas dans son foyer, là, je suis de tout coeur avec elle!  En fait, elle ne prend une autre dimension qu'au moment de sa mort, quand on en apprend un peu plus sur elle mais c'est un peu tard! Bref! Je n'ai pu complètement adhérer à cette histoire parce que les personnages manquent d'épaisseur et de vérité psychologiques.  A la limite, c'est Eva qui me paraît plus inquiétante que sa mère et pathologiquement atteinte. Son imagination n'a d'égale que sa perversité quand elle cherche à faire le mal! C'est un personnage glauque et qui aurait pu être très fort mais... Il y a trop d'invraisemblances! Très avertie sur la sexualité, machiavélique et sadique envers Bjorn, on la voit jouer ensuite les pucelles effarouchées et sortir les violons pour romancer sa rencontre avec l'homme qu'elle aime. Comment a-t-elle pu avoir une vie normale après son crime? Comment l'auteur peut-elle la peindre en mère et en grand-mère aimante? Je me demande aussi comment l'on peut éprouver de l'empathie pour un pareil personnage lu! Le problème c'est que Eva - pas plus que sa mère-  ne se hisse jamais au niveau d'un héros tragique, elle n'éveille pas en nous ce sentiment mêlé d'effroi et d'admiration. Eva n'est ni une Electre ni un Oreste! On a plutôt l'impression que c'est une boutiquière qui tient mesquinement le compte des méchancetés de sa mère pour mieux pouvoir se venger et justifier son meurtre! 

Des rebondissements gratuits


Je n'ai pas aimé, non plus, certains artifices utilisés par Maria Ernestam pour créer des coups de théâtre qui me paraissent sans grand intérêt : ainsi lorsque l'auteur joue sur l'identité d'Eric et sa fiancée Lisa (ridicule) ou plus gênant sur l'identité de Sven (irritant). Non seulement ces "rebondissements" n'apportent rien au roman mais ils sont gratuits et peu crédibles. Ils n'ont surtout aucune raison d'être quand ils ne sont pas trop amenés, trop prévisibles, comme l'insistance tout au long des pages sur l'amour d'Eva pour ses rosiers. Si on ne comprend pas pourquoi, c'est que l'on y met de la mauvaise volonté!


Reste que récit est bien menée, que certains passages accrochent, que Maria Ernestam écrit bien...  Je comprends que l'on puisse se laisser prendre par la lecture. Moi, chaque fois que je me laissais emporter, un détail venait tout casser, m'agacer et je ne pouvais plus adhérer à l'intrigue!


Blogoclub de Sylire et Lisa
 Le roman proposé par le blogoclub sur le thème de l'amour maternel était La promesse de l'aube de Romain Gary, une oeuvre que j'aime beaucoup mais que j'ai déjà lue deux fois. J'ai préféré choisir le livre qui avait obtenu un peu moins de voix mais que je ne connaissais pas.