Actes
Sud publie dans sa collection Thesaurus (tome 2) la saga
norvégienne de la grande écrivaine Herbjorg Wassmo : Le livre de
Dina, Le fils de la Providence, l'héritage de Karna, trois
suites romanesques racontant l'histoire de Dina, un personnage hors
du commun qui va nous laisser pantelant tout au long de notre
immersion dans son univers, de Benjamin, son fils, et de Karna sa
petite fille. Un surprenant et envoûtant pavé de 1400 pages, un
vrai trésor littéraire (Thesaurus, Actes Sud a raison!) que
l'on dévore de jour comme de nuit (avis aux insomniaques!) mais que
l'on savoure aussi tant il révèle de surprises, d'émotions en tout
genre, de découvertes et de talent de la part de cette romancière!
Et oui, il s'agit d'un de mes coups de foudre de la fin de l'année
2014 et comme je n'ai pas eu le temps de vous en parler, il est juste
qu'il figure en premier plan en ce début de l'année 2015.
Dina : un personnage fascinant
film adaptation du roman de H.Wassmo |
Le Livre de Dina,
c'est avant tout un personnage entier, imprévisible, violent et
farouche, condamnée par son passé : sa mère meurt dans
d'atroces souffrances à la suite d'un accident dont Dina, petite
fille, est la maladroite responsable. L'enfant, abandonnée à
elle-même, rejetée par un père qui ne veut pas s'occuper d'elle, va être marquée
par un sentiment de culpabilité, thème omniprésent du roman, sorte
de malédiction qui poursuivra Dina toute sa vie mais aussi à
travers elle, son fils. Cette faute originelle explique peut-être le
destin de cette femme qui, quoi qu'elle fasse, ne peut être sauvée
: une prédestination qui nous rappelle que nous sommes en pays
protestant! Mais s'y ajoutent encore la puissante personnalité de
Dina, sa force de caractère, son intelligence et son don des
affaires et, aussi, le charme qu'elle exerce sur les hommes et
l'ascendant qu'elle a sur tous. Dina est faite de tout cela et cela
donne un mélange explosif, qui l'amène, et nous avec, jusqu'aux
portes de la folie. En effet, les fantômes des morts qu'elle sème
sur son passage ne la laissent pas
toujours en repos. Mieux vaut ne pas contrarier la jeune femme, ni
surtout l'abandonner ! Mieux vaut aussi ne pas l'aimer si l'on
ne veut pas souffrir. La violence de cette héroïne,
redoutable, pourrait repousser le lecteur alors qu'elle va va, au
contraire, exercer sur lui une étrange fascination.
Son absence de
convention, son indépendance à cette époque- la Norvège du XIX
siècle- en fait un être hors du commun, un personnage marquant.
Elle n'accepte pas les conventions sociales, pas plus qu'elle ne se
plie aux règles de la bienséance et de la morale bourgeoise et
religieuse. Devenue veuve à 18 ans, elle va reprendre en main les
affaires de son mari, Jacob, propriétaire terrien et maître d'un grand
comptoir de commerce et traiter d'égale à égal avec le monde des affaires exclusivement masculin. C'est une femme passionnée, et
surtout libre, qui agit et ne laisse personne lui dicter son destin.
Film : adaptation du roman |
C'est que Dina n'est pas
un monstre malgré les apparences, elle souffre et elle est toujours
sincère, une sincérité qui n'hésite pas à trancher et à faire
mal. Les terribles évènements
de son enfance ont provoqué un tel traumatisme qu'elle est
d'une sensibilité exacerbée, une écorchée vive, dans une
incapacité de parler qui dure
des années, un mutisme qui est un enfermement mais peut-être
aussi une auto-punition. Elle ne peut s'exprimer qu'à travers la
musique et son instrument, le violoncelle. Et c'est pourquoi elle
vient toujours au secours de celui qui souffre, qui est méprisé,
considéré comme inférieur, en particulier lorsqu'il s'agit des
femmes. Là encore elle fait fi des conventions. Ainsi, elle
prend à son service dans la grande maison, Stine, la lapone, mère
célibataire, mise au ban de la société, qui est elle aussi un beau
personnage féminin de même que mère Karen, la belle mère de Dina,
une vieille dame, intelligente et cultivée, qui inspire le respect.
Le livre révèle ainsi de belles figures de femmes dont Oline, la
cuisinière, mais les portrait d'hommes sont aussi très
intéressants, en particulier Anders, le second mari de
Dina, et le père que se choisit Benjamin.
D'un livre à l'autre,
«La» Dina devient un être mythique qui manque à tout le monde
lorsqu'elle disparaît et qui finit par représenter, lorsqu'elle
revient au pays à la fin du second et du troisième livre,
l'incarnation de la justice (même si elle en a une conception très
personnelle!) et de la probité (Dina ne ment jamais sur ses
sentiments)... et aussi les fondations solides qui servent de base à
tous les membres de la famille. Et finalement, contre toute attente,
le lecteur est amené à aimer Dina, à se passionner pour elle, à
composer avec le Mal et le Bien qui font partie intégrante de sa
personnalité.
Un roman entre réel et fantastique
source |
L'un
des grands charmes du roman est la découverte de cette région de
Norvège qui est le berceau de Herbjorg Wassmo, et qui s'étend
au-delà du cercle polaire, dans le comté du Nordland. Il abrite un
peuple de marins et de pêcheurs, de fermiers et de commerçants qui
vivent des ressources de ce milieu sauvage et souvent déshérité.
La pêche est une grande richesse de la région et Anders, excellent
marin, part dans des campagnes en mer qui durent des mois. La vie y
est dure. La nature est toujours présente et nous vivons
l'alternance de saisons rigoureuses, de la neige et de la glace qui
isolent pendant de longs mois, des nuits polaires interminables et des jours qui durent et s'éternisent. C'est cette sauvagerie des
éléments qui rejaillit sur les personnages. Dina marquée par son
enfance est aussi façonnée par ce milieu, c'est pourquoi elle devra
tout quitter pour échapper à ses fantômes. Car le fantastique est
là, les morts côtoient les vivants qui ne les voient pas toujours
mais Dina et son fils, oui! A moins qu'ils ne soient que
l'émanation de cerveaux malades portant le poids de leur
culpabilité. le roman oscille ainsi entre réalisme et fantastique.
Un style à la fois poétique et populaire
Comté de Northland source
Quand
on commence à lire le prologue de Les Limons vides, premier du livre de Dina, qui raconte en fait
la fin – avant de laisser place à un immense
flash-back- il y a une telle force dans le récit dès les premières
lignes, que l'on ne peut plus revenir en arrière. On se sent emporté
dans un grand courant impétueux où l'on ne peut que s'immerger avec
un étonnement qui n'a d'égal que notre impatience de poursuivre.
Le
style de Herbjorg Wassmo est un mélange très envoûtant entre la
poésie des grands espaces, des contrées sauvages et le style parler
de ces gens d'une classe populaire (pêcheurs, marins..) ou d'une
petite bourgeoisie (propriétaires, commerçants) dont la richesse se
construit grâce à un travail acharné ; maîtres et
serviteurs, ne sont donc pas si éloignés les uns des autres au niveau du langage bien
que les classes sociales et les hiérarchies soient fortement
marquées. Thomas, le valet de ferme, amoureux de Dina, l'apprend à
ses dépens.
Même si l'on sent la tendresse que Wassmo porte à ses personnages, même si elle nous transmet leur souffrance et nous la fait éprouver, elle n'utilise jamais le pathos et le trémolo. Le ton est sobre, jamais sentimental. Le non-dit est encore ce qui a le plus de force pour exprimer les sentiments de ces gens, pudiques et rudes, peut-être parce que le pays et les conditions de vie font d'eux des "taiseux" et Dina encore plus à cause de son traumatisme.
Même si l'on sent la tendresse que Wassmo porte à ses personnages, même si elle nous transmet leur souffrance et nous la fait éprouver, elle n'utilise jamais le pathos et le trémolo. Le ton est sobre, jamais sentimental. Le non-dit est encore ce qui a le plus de force pour exprimer les sentiments de ces gens, pudiques et rudes, peut-être parce que le pays et les conditions de vie font d'eux des "taiseux" et Dina encore plus à cause de son traumatisme.
Lu
dans Télérama : « Wassmo est une fougueuse, une mangeuse de
lecteurs » ! Je vous promets que c'est bien vrai!
Fils de la providence
Fils de la providence est l'histoire de Benjamin lui aussi abandonné par sa mère et portant sur ses épaules depuis l'enfance le poids de la culpabilité de Dina. Le personnage est complexe, déchiré et tourmenté. Lui aussi fait du mal autour de lui, digne fils de Dina mais c'est l'amour qu'il éprouve envers sa fille Karna qui le régénère.. La quête de sa mère absente est une constante du roman que j'ai aimé mais moins que Le Livre de Dina car celle-ci me manquait et de plus, une grande partie de l'intrigue ne se passe pas en Norvège. La personnalité de Benjamin est intéressante mais Dina, même absente, reste le personnage le plus passionnant. On la retrouve en fin de livre..
L'Héritage de Karna
Dina revenue au pays joue à nouveau un rôle important dans l'intrigue et marque de sa présence, de ses idées et de sa force tous les autres personnages sur lesquelles elle exerce toujours un grand pouvoir. Elle paraît plus calme, assagie, maîtresse d'elle-même et femme d'affaires avisée.Elle peut enfin aider les autres et leur faire sentir son amour. Karna, sa petite-fille, enfant imaginative et sensible, sujette a des crises d'épilepsie, est attachante. La fille de Stine a un rôle important dans ce troisième roman et Benjamin devenu médecin est partagé entre deux femmes qu'il aime à sa manière. La société est en train d'évoluer et de nombreux changements interviennent dans l'économie du comté. Le roman n'a pas perdu de sa force et reste passionnant.
Le livre de Dina
Les limons vides
Les vivants aussi
Mon bien-aimé et moi
Fils de la providence
L'héritage de Karna
L'héritage de Karna
Le pire des silences
Les femmes si belles
Le livre de Dina
Les limons vides
Les vivants aussi
Mon bien-aimé et moi
Fils de la providence
L'héritage de Karna
L'héritage de Karna
Le pire des silences
Les femmes si belles
J'ai découvertt Herbjorg Wassmo il y a peu avec Ces instants-là. J'ai aimé ce portrait de femme, son osmose avec la rudesse des paysages norvégiens, la pudeur de l'écriture, les élipses, le rythme saccadé qui sonne si juste, sa poésie parfois à la limite du fantastique et aussi la réalité crue qu'elle aborde parfois, le quotidien, l'universel et l'intime mêlé... Une grande écrivaine.Merci beaucoup pour ce joli billet sur sa trilogie, que je lirai, c'est sûr.
RépondreSupprimerOui, une grande écrivaine. Tu en parles d'ailleurs très bien! C'est tout à fait ça! Moi aussi je lirai ces autres romans.
RépondreSupprimerje les ai lu il y a longtemps mais c'est une lecture inoubliable, je crois que je vais acheter ce thesaurus pour l'offrir à une de mes filles cela me donnera l'occasion de le relire :-)
RépondreSupprimerTrès bonne idée.. Et au moins on lit les trois à la suite ! C'est passionnant!
SupprimerOn ne peut rester indifferent en lisant ton billet. Encore un livre a adopter.
RépondreSupprimerAdopte,adopte! c'est un conseil amical!
SupprimerJe me suis laissee envouter dans tous les sens du terme.
SupprimerIl me reste encore "Fils de la providence" et l'heritage de Karna. Parfais pour les voyages.
Une Dina ambigue, fascinante dont on se fait meme la complice par moments. Une Dina qui ne s'exprime que par les actes dans un monde d'hommes qui partent pour de longues periodes et de femmes qui restent pour organiser la vie de tous les jours, livrees a elles-memes.
L'esprit taiseux, les grands espaces bien que j'aurais aime lire de plus longues descriptions des paysages. Peut-etre que celles-ci seront plus presentes dans les deux autres tomes.
On a surtout pas l'habitude de lire ce genre de livre dont l'originalite le demarque des romans en general.
Voilà un auteur que je en connais pas, mais je ne demande qu'à me faire dévorer !
RépondreSupprimerTu te fais dévorer tout en dévorant!
SupprimerJe suis ravie à la lecture de ton billet ! Le Livre de Dina est l'un de mes cadeaux de Noël !! Je vais vite, vite le lire :-)
RépondreSupprimerFormidable! Tu as encore à le découvrir!
SupprimerLe livre de Dina a été un énorme coup de coeur pour moi aussi...Alors je suis d'accord avec chacun de tes mots :0) J'ai le fils de le providence aussi sur ma PAL mais l'absence de Dina me freine un peu, j'ai peur que, du coup, cela soit une déception...
RépondreSupprimerLe livre est très bon aussi mais je préfère le personnage de Dina; Ce n'est pas une déception mais c'est un peu moins "coup de coeur" mais ensuite il y a L'héritage de karna qui est passionnant aussi et où on retrouve Dina. Finalement tous valent la peine d'être lus.
SupprimerJe ne savais pas qu'il existe une suite au "Livre de Dina" ! Du coup, j'ai lu ton billet en le survolant car je n'avais pas envie de me spoiler ... Mais lecture du "Livre de Dina" date d'au moins 10 ans et pourtant, j'en garde un merveilleux souvenir ... J'avais adoré ce personnage fort et étrange, la Norvège également ... Bref, je vais me procurer la suite !
RépondreSupprimerC'est un personnage tellement fort et le pays aussi est fascinant!
SupprimerJ'avais beaucoup aimé "Le livre de Dina" ! J'ai maintenant la trilogie de Karna qui m'attend. Wassmö est une autre au style très étrange parfois mais qui emporte indéniablement.
RépondreSupprimerAvant Karna lis le fils de la Providence sinon tu ne sauras pas l'histoire de la mère de Karna.
Supprimer