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dimanche 14 septembre 2014

Le roman d'Enéas





Le roman d'Enéas est un des premiers romans médiévaux paru vers1160. Il fait partie des romans d'antiquité qui reprennent les grandes épopées latines : Le roman de Thèbes ( vers 1150) d'après La Thébaïde, Le roman de Troie et plus tard Le roman d'Alexandre (après 1180). Les auteurs sont des clercs qui dans un souci didactique mettent ces oeuvres classiques à la portée d'un public ignorant le latin. L'auteur du roman d'Enéas, anonyme, appartient semble-t-il à l'école littéraire "normande" qui s'est formée  à la cour des Plantagenêts. Il reprend L'Enéide de Virgile tout en l'adaptant son époque. Mais il est en même temps très fidèle à Virgile dont il suit parfois le texte latin à la lettre tout en sachant prendre des libertés dans la succession des évènements ou par des ajouts ou des suppressions.
 Ecrit en octosyllabes, et malgré quelques formes de l'Est, le roman est localisé dans le Nord-Ouest de la France avec un influence picarde indéniable.

La fuite d'Enée portant son père sur le dos (à gauche) Raphaël

Le roman d'Enéas a une structure très précise, il est divisé en trois parties :

Une première partie : la fuite de Troie, le voyage qui devient une longue errance, Junon poursuivant les Troyens de sa haine, l'arrivée à Carthage, l'amour d'Enée et de Didon

Une deuxième partie :  Enéas quitte Didon pour accomplir ce que les Dieux veulent de lui, créer un autre royaume en Lombardie, épouser la fille d'un roi latin, et fonder une dynastie prestigieuse.
Cette partie est consacrée à la guerre que le héros doit mener pour parvenir à son but.

Une troisième partie : le dénouement traite des amours d'Enéas et de Lavine, de la mort de Turnus, son rival qu'Entée défie en combat singulier et enfin du mariage et de l'obtention du royaume.

La fondation de Carthage par Didon Turner


Cette structure est encore renforcée par un rythme binaire qui donne sa force au récit en créant des symétries, des effets de miroir :

A l'amour sensuel et coupable de Didon (veuve, elle a fait le serment de rester fidèle à son mari mort) et à sa mort répond l'amour plein pudeur de Lavine qui n'exclut pas la passion et son mariage. Ces deux  épisodes encadrent le récit, au début et à la fin.

Au héros valeureux mais malheureux Pallas qui meurt, tué par Turnus, répond l'héroïne guerrière Camille, tout aussi vaillante  que Pallas.  Le récit de sa mort et ses funérailles est gymétriques à celui de la mort et des funérailles de Pallas.

Dans sa présentation dans le livre de poche, Aimé Petit note que : l'Enéide se trouve donc souvent simplifiée, clarifiée et rationalisée  par cet auteur du XII° siècle. Mais il est aussi plus adapté aux goûts du public, influencé encore par la chanson de geste  mais déjà plus proche du roman courtois avec la description du personnage féminin de Lavine  et du sentiment amoureux.

 
Le mariage d'Enéas et de Lavina : roman d'Enéas (manuscrit du XIV siècle)

J'ai lu le livre dans la traduction française contemporaine; c'est une lecture assez facile et intéressante par bien des côtés.  Les descriptions des villes somptueuses comme celle de Carthage, la présentation de personnages pittoresques, hors du commun, comme la pucelle Camille, si belle, si vertueuse, et pourtant exceptionnelle en tant que chevalier, sont passionnantes et j'adore la minutie dans la description des traits de la jeune fille, de ses vêtements, de son palefroi qui emprunte au Merveilleux.  Les scènes de combat ne sont pas trop longues, ni trop abondantes mais toujours animées d'un souffle épique comme dans les chansons de geste, en particulier la Chanson de Roland que j'ai toujours beaucoup aimée..  J'ai aussi apprécié l'aspect courtois du roman. La description de l'amour, de ses tourments vécus comme une affreuse maladie mais suivis de joies ineffables est d'une grande nouveauté pour l'époque. La jeune Lavine avec ses interrogations, ses doutes, ses chagrins de jeune fille innocente, est très humaine et proche de nous. Quant à Enéas qui se promène sous ses fenêtres avec une feinte indifférence, en faisant semblant de regarder à côté comme s'il ne la voyait pas, tout en ne la perdant pas de vue, il s'attire les taquineries de ses amis qui ont bien compris son manège et se moquent de lui. Il quitte ainsi son statut de héros et de demi-dieu (il est fils de Vénus et frère de Cupidon) pour devenir un jeune homme amoureux, un tout petit peu ridicule et donc attendrissant! Une lecture agréable à qui aime le Moyen-âge!

LC avec Océane

jeudi 22 mai 2014

Alexandre Pouchkine : La fille du capitaine




Alexandre Sergueïevitch Pouchkine est un poète, dramaturge et romancier russe né à Moscou en 1799 et mort à Saint-Pétersbourg en  1837 Il était l'arrière-petit-fils d'Abraham Hanibal, un prince éthiopien au destin étonnant, capturé par des marchands d'esclaves au service des Ottomans et devenu le filleul de Pierre le Grand. En 1820, pour avoir écrit quelques poèmes séditieux, il est condamné à l'exil au Caucase par le tsar Alexandre Ier. L’influence de Byron se retrouve dans Le Prisonnier du Caucase (1821) qui décrit les coutumes guerrières des Circassiens, La Fontaine de Bakhtchirsaraï (1822) qui traduit l’atmosphère du harem et des évocations de la Crimée, et enfin Les Tziganes (1824).  Un nouvel exil à Mikaïlovskoïe lui permet de finir Eugène Onéguine (1823-1830), d’écrire sa tragédie Boris Goudounov (1824-1825), de composer les « contes en vers » ironiques et réalistes.

À la mort du tsar Alexandre Ier, Nicolas Ier le prend sous sa protection et lui permet de revenir à Moscou. De cette époque date Poltava (1828), poème à la gloire de Pierre le Grand. Il reprend sa vie oisive et épouse Natalia Gontcharova. (18 février 1831). Il entame réellement sa maturité et écrit en prose : Les Récits de Buekjube (1830) qui décrivent la vie russe et son roman historique La Fille du capitaine (1836) où il retrace la révolte de Pougatchev. De cette dernière période datent encore les « petites tragédies » : Le Chevalier avare (1836) sous influence Shakespearienne, Le Convive de pierre (1836) reprend le thème de Don Juan, et enfin le célèbre poème du Cavalier de bronze (1833).
Il mourut à l’âge de trente-huit ans, des suites d'une blessure reçue lors d'un duel avec un officier français, le baron d’Anthès, qui était son beau-frère, et qui aurait courtisé sa femme. Lermontov écrivit alors : "La Mort du poète". source


Le récit

Le jeune Piotr Andréievitch Griniov, fils d'une famille noble, est le héros de ce court roman d'Alexandre Pouchkine. Il est âgé de dix sept ans quand son père décide de l'envoyer au service non pas à Peterbourg comme le jeune homme l'espérait mais à Orenbourg, une forteresse militaire au sud de l'Oural, région de cosaques. Il part avec son fidèle serf Savelitch. Au cours de  long voyage il rencontre un moujik mystérieux qui lui sert de guide pour échapper à une tempête de neige. En guise de remerciement Piotr donne son touloupe de lièvre à cet homm  trop légèrement vêtu, un don qui lui sauvera la vie comme on le verra par la suite. Arrivé à la forteresse de Biélogorsjkaïa, il fait connaissance du capitaine Ivan Kouzmitch Mironova commandant de la forteresse, de son épouse  Vassilisa Iegorova et de leur fille, Maria Ivanovna. Il se lie d'amitié avec l'officier Chvabrine qui devient son ami avant de devenir son rival auprès de Maria. Car on s'en doute, Piotr tombe amoureux de la fille du capitaine et veut l'épouser à la grande colère du père du jeune homme. C'est alors qu'éclate la révolte d'Emilian Pougatchev.


Le contexte historique

Emilian Pougatchov

Le roman publié en 1836  se situe à la fin du XVIII siècle, au moment ou le cosaque Emilian Pougatchev, après s'être auto proclamé Tsar sous le nom de  Pierre III, organise l'insurrection des cosaques du Yaïk (ancien nom de l'Oural)  auxquels se joignent des Tatares, des Bachkirs, des Kazakhs et des serfs désireux de secouer le joug de l'esclavage. D'abord considéré comme un ennemi négligeable, Pougatchev emporte des victoires militaires (il a servi dans l'armée russe), s'empare de forteresses de l'Oural puis assiège Orenbourg. La tsarine Catherine II le prend alors au sérieux et concentre ses forces sur l'usurpateur. Celui-ci abandonné par la noblesse cosaque qui voit d'un mauvais oeil les serfs s'allier à eux, est défait en septembre 1774 et exécuté en Janvier1775.
C'est dans ce contexte que se déroule l'histoire des amours contrariés de Piotr Andriévitch Griniov et de Maria Ivanovna Mironova. Pouchkine qui s'est documenté sur  Pougatchov dont il voulait écrire l'histoire mêle dans ce roman des connaissances historiques précises et des éléments purement romanesques.  Le "bandit" Pougatchov dont Pouchkine décrit par ailleurs la cruauté, devient sous la plume de l'écrivain un personnage complexe, capable d'amitié et de reconnaissance, pratiquant une forme d'honneur, de fidélité à la parole donnée, qui pour ne pas être russe et noble, n'en est pas moins sympathique. L'on peut sentir de la part de Pouchkine, libéral exilé pour ses écrits par le tsar Alexandre Ier, une certaine admiration envers cet homme qui a lutté contre l'autoritarisme tsariste.

Des personnages attachants et vivants


Deux jeunes héros romantiques

Les personnages de deux jeunes amoureux sont attachants et charmants bien qu'un peu conventionnels. Tous deux sont dotés des qualités qui font les héros romantiques de l'époque :  Piotr est  courageux, ardent, sincère, généreux, fidèle à la parole donnée, il a le sens de l'honneur, se bat en duel pour les beaux yeux de sa belle. Quant à ses faiblesses, ce sont celles d'un tout jeune homme et donc pardonnables car il a un bon fond et s'en repent! C'est peut-être grâce à ces défauts liés à son inexpérience et son impétuosité qu'il échappe à la convention pour devenir tout à fait humain.
Maria, la petite Macha, est une poltronne qui a peur de tout comme le dit sa mère mais elle aussi à le sens de l'honneur; ainsi elle refuse d'épouser le jeune homme si le père n'y consent pas mais elle a un rôle assez fade dans la première partie; elle disparaît ensuite dans le récit au profit du jeune homme  qui est en fait le véritable héros du récit même si le titre semble dire le contraire. C'est dans la dernière partie qu'elle devient plus intéressante et que la "poltronne" affirme sa personnalité et son courage. Lorsque, prisonnière, elle préfère mourir plutôt que d'épouser Chvabrine contre son gré, lorsqu'elle se fait aimer des parents du jeune homme par sa simplicité et sa dignité, lorsqu'elle se rend, enfin, près de l'impératrice Catherine II pour sauver la vie de celui qu'elle aime.

Des personnages secondaires bien campés

J'aime beaucoup aussi les parents de Maria. Issus d'une classe moins élevée que celle des Griniov,  plus populaires et sans fortune, ils  sont criants de vérité dans leur manière de s'exprimer, la simplicité de leur vie, leurs querelles de vieux couple indissolublement lié pourtant par un amour qui ne recule devant aucun danger quand la forteresse est attaquée par Pougatchov. La manière dont Vassilisa Iegorova, une maîtresse femme, mène son mari par le bout du nez et de même les soldats qui obéissent à "la commandante", permet quelques délicieuses scènes de comédie; ce qui n'empêche pas la grandeur du personnage quand elle rejoint son mari dans la mort. 

Bien, dit la commandante. D'accord, envoyons Macha. Quant à moi, ne rêve même pas de me le demander. Je ne partirai pas. Pour rien au monde, en mes vieux jours, je ne me séparerai de toi et n'irai chercher une tombe solitaire dans une terre étrangère. Ensemble on a vécu, ensemble on mourra.

Des personnages du peuple savoureux

Mais là où Pouchkine excelle, c'est quand il brosse le portrait  des classes populaires, des paysans, et en particulier, ici, du serf Savelitch qui a éduqué Piotr Andriévitch et l'aime comme un fils. Pouchkine a le don de faire parler les hommes du peuple. Il peint à merveille le mélange de soumission absolu de l'esclave au maître, les gémissements et les plaintes du serviteur qui s'estime mal traité, les grommellements mécontents quand le petit se conduit mal introduisant ainsi des petits moments de comique répétitif comme lorsque Savelitch reproche à Piotr Andréiévitch d'avoir donné sa pelisse de lièvre "presque entièrement neuve" à un brigand; ce qui n'empêche pas les éclats de courage pleins de grandeur quand il s'agit de défendre l'enfant qui est sous sa garde.

L'exotisme du récit

La justice de Pougatchov

Et puis comme d'habitude il y a le charme des récits d'aventure russes, le long voyage en traîneau dans la steppe et l'inévitable tempête de neige comme dans la nouvelle du même titre de Pouchkine ou de Tolstoï;  ce qui correspond à une réalité russe et fait passer sur nous, lecteurs, le frisson glacé de l'aventure

Le vent entre temps devenait d'heure en heure plus violent. Le petit nuage s'était transformé en un gros nuage blanc, qui montait lourdement, grandissait et par degrés envahissait le ciel. Une neige fine commença à tomber, puis soudain elle se déversa en gros flocons. Le vent se mit à hurler, la tourmente se déchaîna. Instantanément le ciel sombre se confondit avec la mer de neige. Tout disparut. (…) Je regardai par la portière de la Kibitka : tout n'était que ténèbres et tourbillons.

Le siège d'Orenbourg, les "forçats défigurés par les tenailles du bourreau" (on leur arrachait les narines jusqu'à l'os en signe d'infamie) travaillant aux renforcements des murailles de la forteresse, la famine, la maladie qui déciment les assiégés, les bandes de Pougatchov avec ses moujiks armés de gourdins, ses criminels évadés des mines sibériennes, ses cosaques chargeant sur leurs chevaux kirghizes, et par dessus tout la figure du faux tsar Pougatchov lui-même rendant la justice, tout concourt à faire de cette histoire un récit d'aventure passionnant et qui excite non seulement l'imagination du lecteur mais aussi celle du jeune héros!

 Pougatchov était assis dans un fauteuil sur le perron de la maison du commandant. Il portait un cafetan rouge à la cosaque bordé de galons. Un haut bonnet de zibeline à glands d'or était enfoncé jusqu'à ses yeux étincelants. Son visage me semble connu. Les chefs cosaques l'entouraient.

Un petit livre passionnant et vraiment très agréable à lire!



Lecture commune avec Miriam ICI


 

vendredi 18 avril 2014

Selma Lagerlöff : Le merveilleux voyage de Nils Holgerson





Je voulais relire Le merveilleux voyage de Nils Holgerson depuis longtemps aussi ai-je sauté sur l'occasion offerte par une lecture commune avec Lounima .

J'avais lu ce livre, en effet, il y a une trentaine d'années et je me souvenais d'un véritable coup de coeur mais aussi d'un "petit" roman de trois cents pages environ. Aussi ai-je été surpris en recevant la nouvelle édition de poche de me retrouver face à un "pavé" de 600 pages; j'ai donc compris que je n'avais lu jusque là qu'une version abrégée de ce livre qui est considéré comme l'un des plus grands classiques de la littérature suédoise.

J'avoue que j'ai d'abord un peu de mal à retrouver l'enchantement que j'avais éprouvé à la première lecture mais je me suis aperçu bien vite, ayant peu de temps en ce moment, que c'est parce que je ne le lisais pas avec assez d'assiduité. C'est un roman où il faut se plonger, qu'il ne faut pas lâcher pendant des heures pour pouvoir se laisser entraîner dans la magie des aventures du petit Nils, méchant garnement, transformé en Poucet, puni de sa cruauté envers un Tomte, minuscule personnage doté de pouvoirs magiques. C'est sur le dos de Martin, un jars domestique, que Nils Holgerson va effectuer un long voyage jusqu'en Laponie avec des oies sauvages, menées par la vieille et sage Akkar.

Si ce roman résulte d'une commande faite par le ministère de l'éducation à Selma Lagerloff pour faire connaître leur pays aux petits suédois, il va vite se révéler bien plus qu'un ouvrage pédagogique. Certes, il est basé sur des connaissances géographiques et historiques solides, Selma Lagerlöff a voyagé dans le pays, recueilli des légendes et des récits, et vous pouvez suivre sur une carte ce périlleux et extraordinaire voyage à travers ce vaste pays mais il est bien plus que cela, animé par un souffle poétique propre à la grande écrivaine suédoise.

Avec Le merveilleux voyage de Nills Holgerson, Selma lagerlöff écrit un hymne poétique à son pays et à la nature, aux grandes étendues couvertes de glace, aux sombre forêts profondes,  aux montagnes aux pics acérés, aux côtés déchiquetées par la mer qui se fragmentent en myriade de petits îlots, aux grandes plaines agricoles mais aussi à l'industrie qui fait la richesse de la Suède, au minerai de Fer sans qui l'homme ne serait rien. L'auteure nous introduit aussi dans le monde animal et  nous le fait découvrir dans la variété de ses espèces et de ses moeurs mais sans jamais prendre un parti scientifique. Au contraire, et bien qu'elle manifeste une grande connaissance, en particulier des oiseaux, nous sommes dans un monde où les animaux parlent, se comprennent, se font les messagers des airs et de la terre. Tous participent au merveilleux de la nature de la même manière que tous ces petits êtres malfaisant ou bénéfiques, Trolls, Tomtes, qui peuplent le folklore suédois. Des légendes viennent se mêler au réel, composant à l'intérieur du roman de nombreux petits récits, comme une mise en abyme, un conte dans le conte, plein de charme et d'intérêt : ainsi l'histoire du vieux cheval et de son maître avare, celui du carnard Jarro servant d'appeau, celui du renard, du petit Matts et de sa grande soeur … Et bien d'autres encore qui constituent un grand plaisir de lectures.
Ajoutons encore à cela qu'il s'agit d'un roman d'initiation car le petit Nils Holgerson, gamin malfaisant, cruel, paresseux, incapable d'amour, va faire l'expérience de la solidarité, de l'amitié, du courage et du dévouement en même temps que de la faim, du froid et de la peur.  Il va aussi comprendre et apprécié son appartenance à la race humaine et reviendra transformé chez lui, auprès de ses parents.
Un très beau livre qui est à juste titre considéré comme le chef d'oeuvre de Selma Lagerlöff.

LC avec Lounima ICI

dimanche 19 janvier 2014

Emile Zola : Thérèse Raquin



Thérèse Raquin est le troisième roman de Emile Zola. Il parut en 1867 avant que l'écrivain n'entreprenne le cycle des Rougon-Macquart et contient déjà toutes ses théories sur le roman naturaliste. Il mène l'étude des personnages par le biais de la science et des lois de l'hérédité. Voilà qui se rapproche tout à fait du déterminisme et Zola en est très conscient quand il déclare :

Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus.

Résumons l'histoire en quelques lignes : Thérèse Raquin, fille d'un capitaine de l'armée française et d'une algérienne est confiée à sa tante lorsque sa mère meurt. Elle épouse son cousin Camille, frêle et maladif, quand elle a 21 ans mais elle ne l'aime pas. Elle devient la maîtresse de Laurent, un peintre qui est reçu par Camille, et bientôt le couple décide de tuer le mari en le noyant au cours d'une promenade en barque. Ils se marient ensuite. Peu à peu, sous les yeux de la mère de Camille, paralysée et muette, mais qui a deviné leur secret, Thérèse et Laurent sont rongés par d'affreux tourments.

Comme d'habitude, le talent d'Emile Zola est plus grand que ses théories sur le roman. Certes le roman est naturaliste,  mais il est aussi bien autre chose et c'est tant mieux car c'est cette complexité qui fait la force de Thérèse Raquin.

Une technique impressionniste

Monet : la Grenouillère

Par moments, les descriptions des bords de la Seine et en particulier de Saint Ouen, le canotage sur le fleuve, évoquent les rendez-vous des peintres impressionnistes et il nous semble échapper à la noirceur et à l'âcreté des noires boutiques parisiennes pour goûter le soleil dans les branches et ses reflets dans l'eau. Nous pénétrons un instant dans un tableau de Monet ou de Renoir, ou une nouvelle de Maupassant!

Ils allaient à Saint-Ouen ou à Asnières, et mangeaient une friture dans un des restaurants du bord de l’eau.(…) Il était midi, la route couverte depoussière, largement éclairée par les rayons du
soleil, avait des blancheurs aveuglantes de neige.L’air brûlait, épaissi et âcre. Thérèse, au bras deCamille, marchait à petits pas, se cachant sous son ombrelle, tandis que son mari s’éventait la face avec un immense mouchoir.

Une technique expressionniste

expresionnisme : décor pour Raskolnikov : André Andrejew

Certaines descriptions de Zola semblent annoncer, avant la lettre, l'expressionnisme allemand! Les effets sont sensiblement les mêmes. Les décors cessent alors d'être réalistes pour devenir angoissants, déformés, comme vus par un esprit torturé. Ils reflètent les troubles mentaux des personnages. Les éclairages et les brusques contrastes entre l'obscurité et la lumière possèdent un sens symbolique. Les choses et les êtres signifient autre chose que ce qu'ils sont et conduisent au malaise.


Le goût du macabre

Laurent, Thérèse et le spectre : illustration du roman : Alméry Lobel-Riche

La violence, la mort dans ses aspects les plus sordides, le trait forcé pour souligner le dégoût, l'horreur, l'abjection sont des traits propres à certaines descriptions de ce livre. La présentation de la morgue dans Zola, plus que réaliste, joue avant tout sur la violence et le goût du macabre. Ainsi lorsque le cadavre de Camille est découvert par Laurent :

 Il avait séjourné quinze jours dans l’eau. Sa face paraissait encore ferme et rigide; les traits s’étaient conservés, la peau avait seulement pris une teinte jaunâtre boueuse. La tête, maigre, osseuse, légèrement tuméfiée, grimaçait; elle se penchait un peu, les cheveux collés aux tempes, les paupières levées, montrant le globe blafard des yeux; les lèvres tordues, tirées vers un des coins de la bouche,avaient un ricanement atroce; un bout de langue noirâtre apparaissait dans la blancheur des dents.

Un roman fantastique

Combat de chats : Goya

 Camille qui de son vivant était un être pâle, sans consistance, prend, en mourant, une importance qu'il n'avait pas. Il commence par hanter l'esprit de ses assassins et se manifeste comme un spectre effrayant attaché à leurs pas. Il  finit par "habiter" le portrait de Camille peint par Laurent. La morsure qu'il a infligée à Laurent au moment où celui-ci le précipitait dans la rivière, semble elle aussi surnaturelle et se rappelle à Laurent en ne lui laissant aucun répit.Thérèse et Laurent sont victimes de terribles hallucinations, cherchant désormais dans "un embrassement horrible" à chasser le cadavre du noyé qui vient se glisser entre eux dans le lit :
En sentant le froid du cadavre, qui, maintenant, devait les séparer à jamais, ils versaient des larmes de sang, ils se demandaient avec angoisse ce qu'ils allaient devenir.

Le chat lui-même apparaît comme une puissance maléfique, doué de pouvoirs surnaturels. Son regard posé sur les amants semble exercer une surveillance sur les amants :

Le chat tigré, François, était assis sur son derrière, au beau milieu de la chambre. Grave,immobile, il regardait de ses yeux ronds les deux amants. Il semblait les examiner avec soin, sans cligner les paupières, perdu dans une sorte d’extase diabolique.

Le fantôme de Camille et le chat n'ont bien sûr que les pouvoirs que leur prêtent Laurent et Thérèse mais ils n'en poussent pas moins le couple au suicide.

Un roman réaliste

Le passage du Pont Neuf au XIX siècle

Le roman nous présente le Paris de l'époque, la ville mais aussi de la boutique, l'appartement, la vie de ses habitants croqués dans leurs occupations familières, leurs activités, leurs distractions. Il détaille par le menu les particularités d'une habitation et tous les faits et gestes des personnages. Il s'attache à en révéler la misère, l'aspect malsain. 

La description du passage du Pont Neuf en est un exemple  : "une sorte de couloir étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine" Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse'.

Un roman naturaliste

L'analyse des  personnages chez Emile Zola dans le roman naturaliste obéit à trois  clefs :  le tempérament qui souligne l'aspect médical, scientifique de cette analyse, l'hérédité qui en explique la cause et le milieu dans lequel ils évoluent.


 Thérèse Raquin

Thérèse Raquin et la mère de Camille


Le tempérament
Thérèse Raquin a un tempérament nerveux; ce sont les nerfs qui expliquent son détraquement, son glissement progressif vers l'hystérie et la folie.
Thérèse a un corps "robuste" des "souplesses félines"; Elle est tout en énergie et "une passion" dort sous "sa chair assoupie". Cependant son éducation et sa vie morne auprès de sa tante et d'un cousin débile a fait d'elle un être au teint jaune, placide, faussement docile donc une hypocrite.
C'est la jouissance physique qu'elle connaît avec Laurent qui va fissurer cette façade immobile et c'est le crime qui va la conduire à la folie; mais il ne s'agit pas de remords, précise Zola car "l'âme  est parfaitement absente" : c'est "un désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre." 

L'hérédité
Le père de Thérèse était officier à Alger. Sa mère est "une femme indigène d'une grande beauté". C'est ce sang africain qui explique l'ardeur de la jeune fille et ses instincts voluptueux. Quand elle découvre l'amour avec son amant, Zola écrit :  "Le sang de sa mère, ce sang africain qui brûlait ses veines, se mit à couler , à battre furieusement dans son corps maigre, presque vierge encore."

Le milieu et l'éducation
L'influence de son milieu et de son éducation a été déterminante.
 Malgré sa "santé de fer", son corps "robuste" Thérèse fut élevée comme "une enfant chétive". Obligée de partager le lit de son cousin malade ainsi que le médicaments et les tisanes, elle fut contrainte à l'immobilité et au silence. C'est son éducation qui l'a habituée à ne jamais montrer ses sentiments, à dissimuler sa vraie nature pour obéir aux injonctions de sa tante: ne fais pas de bruit, reste tranquille. Plus tard elle prendra goût à l'hypocrisie  et sera heureuse à l'idée d'abuser par ses mensonges sa tante et son mari..
Laurent

Laurent et Thérèse : Ralph Vallone et Simone Signoret

Le tempérament
Laurent lui, possède un tempérament sanguin qui fait de lui "une brute humaine", aux pensées lentes et à  l'esprit épais. Il est soumis "à ses instincts, dominés par ses appétits ": il a "des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables".
Cependant sous l'influence de Thérèse "la nature épaisse et sanguine" de Laurent va se transformer. "Elle avait fait pousser dans ce grand corps, gras et mou, un système nerveux d'une sensibilité étonnante."

Son hérédité
 Laurent est un"un vrai fils de paysan d'allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l'air tranquille et entêté".
C'est son hérédité qui explique sa prudence, son caractère intéressé et calculateur.

Son milieu
Il a d'abord voulu échapper à son milieu en devenant peintre et il cru trouver dans l'art "un métier de paresseux". Son père en lui envoyant des écus pour financer ses études a développé sa paresse naturelle et ses instincts de jouissance. Plus tard le métier d'employé lui convint très bien : il vivait très bien en brute, il aimait cette besogne au jour le jour, qui ne le fatiguait pas mais endormait son esprit.

On voit, au passage, aussi tous les préjugés véhiculés par Zola sur les classes populaires et les femmes africaines!!

Un livre à découvrir!


 Réponse à l'énigme Un livre/un jeu
Le livre : Thérèse Raquin : Emile Zola
Le film : Thérèse Raquin : de Marcel Carné

Aifelle, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeeguab, Keisha, Pierrot Bâton, Syl
Félicitations et merci à tous!

La semaine prochaine, samedi 25 Janvier l'énigme a lieu chez Eeguab.

mardi 7 janvier 2014

Paul Vacca : La petite cloche au son grêle



Il y a mille façons d'aller vers un livre. Pour celui-ci, La petite cloche au son grêle de Paul Vacca, c'est l'image de la couverture qui m'a conduite à lui. Car il s'agit d'une photographie d'Aurélia Frey, ma fille. Une raison comme une autre, et pas des moindres, de le choisir, vous en conviendrez! Et puis il y aussi le titre du livre qui sonne comme une petite musique verlainienne et enfin le thème noté en quatrième de couverture : Un jeune garçon de 13 ans découvre Marcel Proust. Finalement, beaucoup de raisons pour ce choix d'un roman que j'ai beaucoup aimé.

Sous le signe de Marcel Proust


La clochette au son grêle, c'est celle de la porte qui tinte chaque fois que le jeune narrateur pénètre dans le café tenu par ses parents au retour de l'école, salué par la voix claire de sa mère. Une mère qui voudrait tant que son fils lise et que ce garçon si sensible soit reconnu à sa juste valeur par son professeur de français. Or un jour, le garçon découvre à La recherche du temps perdu. Je ne vous explique pas comment mais disons que, parfois, l'amour fait bien les choses! Lecture qu'il va partager avec sa mère. Et le "petit Marcel", Swann, Odette, Charlus et tant d'autres personnages de la Recherche vont envahir leur vie comme s'ils étaient vivants et qu'ils s'incarnaient dans les habitants du village.
"Et on finit par  se sentir comme chez nous dans le salon de Verdurin ou les soirées des Guermantes".
 J'aime les livres qui sont à la gloire de la littérature, qui la montrent telle qu'elle est, parfois plus vraie que la vie et nous font toucher du doigt son importance et sa force dans notre quotidien!
 Cela ne va pas sans incompréhension de la part du père excédé par ce Proust dont il n'a jamais entendu parler et qui mène son enquête sur l'écrivain d'une manière réjouissante et pleine d'humour.

Un petit son grêle

Mais le ton plaisant, léger et humoristique du roman est peu à peu couvert par un petit son grêle, nostalgique comme la cloche qui sonne à la porte du bar. Un tintement qui introduit une dissonance dans le cours du récit. Peu à peu, l'on découvre la maladie de la mère, sa lutte contre la maladie. Le roman est donc aussi le récit d'une disparition. Il parle du courage, de la force morale de cette femme, de l'amour du mari et du fils pour rendre plus beaux les derniers moments de sa vie, de la solidarité des voisins qui finissent tous par se mettre sous le signe de Proust pour l'aider à mourir.
Le récit qui s'adresse à elle est donc un émouvant hommage sensible, poétique, à cette femme aimante, imaginative et digne.
Et c'est alors que la photo de la couverture prend son sens. Si je n'avais pas vu au début le rapport existant entre la petite cloche au son grêle et l'image de ce fauteuil à moitié libre, de cette femme dont on ne voit plus que le bras et un pan de la robe, le sens s'impose par la suite. Une silhouette à moitié visible, qui se dérobe, qui s'efface, qui va bientôt laisser le siège vide!




 La petite cloche!
En poussant la porte, je l'ai réveillée.
Alors, les visages anonymes disparaissent, la vacarme du bar s'évanouit, les brumes tabagiques se dissipent; et, au bout, du comptoir, tu m'apparais.
Oui, le tintement de la clochette a redonné vie à ton sourire, celui que tu m'adressais lorsque je revenais du collège. 



dimanche 17 novembre 2013

Walter Scott : Ivanhoe

Ivanhoe de Walter Scott



La réponse à l'énigme n° 75 :

Sortent victorieux de ce tournoi médiéval :  Aifelle, Dasola, Dominique, Keisha, Miriam, Nanou, Nathalie, Pierrot Bâton, Syl, (s) ta d loi du cine...

Le roman : Ivanhoe de Walter Scott

Le film : Ivanhoe de Richard Thorpe avec Robert Taylor, Elizabeth Taylor, Joan Fontaine, Georges Sanders...

Ivanhoe de Richard Thorpe

Walter Scott


Walter Scott est né à Edimbourg en 1771. Son père était avocat et il commença lui-même des études de droit mais la lecture de vieilles légendes et ballades écossaises ainsi que l'exploration du pays écossais jusque dans ses contrées les plus sauvages ont une grande influence sur lui. Il commence par écrire des poèmes puis se tourne vers le roman historique. Si Ivanhoe publié en 1819  assure sa notoriété en Angleterre et à l'étranger, il  avait écrit d'autres romans avant, en particulier un, paru anonymement en 1814 intitulé : Waverley ou soixante ans après. Ce livre eut un tel succès populaire que l'on appela tous les autres romans de Walter Scott qui suivirent les "waverley novels".


Quelques uns des principaux Waverley novels : 1816 L'Antiquaire  1817 : Rob Roy  1821 : Le Pirate; Kenilworth 1824 Quentin Durward 1828 : La jolie fille de Perth 1829 : Anne de Geierstein ou la fille des brumes
 Dans Les contes de mon hôte : 1819 : Lucia de Lammermoor 1831 : Robert, comte de Paris

Ivanhoe

Ivanhoe interprété par Robert Taylor dans le film de Thorpe
Avec Ivanhoé l'écrivain fait revivre l'Angleterre au temps de Richard Ier coeur de Lion.  Il présente la haine qui existe entre les Saxons et les Normands, inextinguible depuis le bataille d'Hastings (1066) qui donna la victoire à Guillaume d'Orange.  Ivanhoe, parti à la croisade, avec le roi normand Richard Coeur de Lion, apprend que celui-ci a été fait prisonnier en Autriche(1192) et que l'empereur Henri VI demande une riche rançon pour libérer son illustre prisonnier. Mais le frère de Richard, Jean sans Terre, ne veut pas payer la rançon et cherche à usurper le pouvoir. Brouillé avec son père Cédric le Saxon, farouche défenseur de la cause saxonne, Ivanhoe rentré en Angleterre, va tout mettre en oeuvre pour faire revenir Richard et lutter contre les normands qui abusent de leurs pouvoirs. Il demande un soutien financier à Isaac, le juif et fait connaissance de la brune Rebecca, sa fille, qui est aussi guérisseuse et qui tombe amoureuse de lui. Mais Ivanhoe est fiancé à la blonde Rowena, pupille de son père, qui l'aime en retour...

Rebecca, fille de Isaac de York
Lady Rowena, saxonne, pupille de Cédric

Walter Scott et son influence sur le romantisme français 

 

Influence de Walter Scott sur le romantisme français

L'influence de Walter Scott a été grande sur les écrivains du XIX siècle et sur le romantisme français. De nombreux écrivains à  son imitation vont écrire des romans historiques y compris les plus grands Victor Hugo, Stendhal, Balzac, Alexandre Dumas, Prosper Mérimée …
Pour la première fois avec Ivanhoe un roman historique mettait l'Histoire au premier plan  par rapport à l'histoire personnelle des personnages. En effet, Walter Scott, le premier, utilise l'Histoire non comme un décor ou un arrière-fond exotique. Les personnages sont inscrits dans leur époque et  représente des types sociaux. Dans Ivanhoe qui montre un pays, l'Angleterre, divisée par la haine entre les saxons envahis, humiliés, dépossédés du pouvoir et de leurs biens et les normands envahisseurs, pleins de morgue, utilisant la violence, chacun va incarner sa place dans la société par rapport au contexte historique : Cédric, baron saxon, père d'Ivanhoe représente l'opposition farouche et irréductible aux normands; Ivanhoe, saxon qui a fait allégeance à Richard, représente le parti de ceux qui veulent faire alliance à condition de voir rétablir leurs droits. Richard Coeur de Lion est le trait d'union possible entre ces deux parties. Le juif  Isaac de York représente le pouvoir économique et sous les traits de Rebecca le martyre vécu par ce peuple. A l'histoire de l'individu, Walter Scott substitue l'histoire des classes sociales. C'est une des raisons qui expliquent son succès parmi les romantiques français. * 

Balzac : Les Chouans

Mais Walter Scott a influencé le romantisme français pas seulement en qui concerne le roman historique mais aussi les romans de Balzac de La comédie humaine qui s'inspirent de lui et de son intérêt pour les classes sociales en évoluant vers le réalisme, les pièces de théâtre historiques qui envahissent la scène, les musiciens et les peintres qui s'emparent des sujets du romancier pour leurs opéras ou leurs tableaux.

 

Opéra de Donizetti : d'après Lucia de Lammermoor de Walter Scott

Le samedi 23 Novembre l'énigme aura lieu chez Eeguab 

*voir : Le roman historique à l'époque romantique : essai sur l'influence de Walter Scott (Nouv. éd.) / par Louis Maigron
 


mardi 1 octobre 2013

Christine Eddie : Les carnets de Douglas





C'est dans le cadre du mois de la littérature québécoise  que j'ai lu Les carnets de Douglas de Chrstine Eddie

Le roman est conçu comme  s'il s'agissait d'un tournage de film: repérages/ gros plan/plan d'ensemble/Plongée, etc… Générique par ordre d'apparition. Je dois dire que ce procédé un peu trop gratuit n'ajoute rien au roman. Je le verrai plutôt comme un conte mais un conte triste, pourvu d' une petite musique tragique.

Romain appartient à la fameuse dynastie des Brady, profiteurs de guerre, enrichis par le malheur des autres. Mal aimé de sa famille à qui il ne fait pas honneur, il fuit dans la forêt pour y vivre en ermite, de la chasse et la pêche. Eléna fait sa conniaissance dans la forêt de la Rivière-aux-Oies. Elle donne à Romain le nom d'un arbre : Douglas. Les deux jeunes gens s'aiment et vivent dans la forêt.   C'est là que la petite Rose vient au monde et …  je ne vous en dis pas plus.

Curieux roman! On s'attend d'abord  à un roman rousseauiste  dans lequel la vie dans la nature magnifiée serait idéalisée. Et certes la nature est belle! Mais elle est aussi dure, inhospitalière  et meurtrière. Eléna et Douglas vont l'apprendre à leur dépens.

Le roman est bien écrit, d'une manière sobre, assez poétique mais curieusement, malgré les qualités d'écriture,  je suis restée extérieure à cette histoire. Je ne me suis pas réellement intéressée aux personnages. Et pourtant ce roman fait l'unanimité dans de nombreux blogs mais je l'ai trouvée un peu léger, sans grande consistance.

Née en France en 1954, Christine Eddie a grandi en Acadie avant de se poser au Québec où elle vit depuis plus de trente ans. Elle a d’abord publié des nouvelles et un conte pour enfants (La croisade de Cristale Carton, Hurtubise HMH, 2002) Son premier roman, Les carnets de Douglas, est paru en 2007. Parapluies, le second roman est paru en 20111. (wikipédia)




lundi 17 juin 2013

Virginia Woolf : Nouvelles La robe neuve et la dame au miroir..




J'ai, sur mes étagères, depuis de nombreuses années, un volume très épais contenant plusieurs romans et nouvelles de Virginia Woolf. Il comporte sur la tranche le portrait de l'écrivaine, un visage aux traits fins, au nez droit comme découpé au cutter, de lourds cheveux noirs ramassés sur la nuque. Je l'ai ouvert plusieurs fois, j'ai essayé de lire un de ses romans, en vain.  On dit qu'un livre acheté, rangé sur les étagères de sa bibliothèque, est déjà un livre lu! Le premiers pas est fait… le reste suivra! 
 Ce jour est arrivé! A l'occasion du mois anglais, lancé par Lou et Titine, en Juin, je me suis inscrite pour la lecture commune d'un des romans de la  grande dame. Mais comme j'ai peur de Virginia Woolf, j'ai décidé de commencer doucement, à petites doses, par quelques unes de ses nouvelles afin de l'apprivoiser ou plutôt de m'apprivoiser… à elle!


Marcel Proust et Virginia Woolf
Je me suis toujours demandé pourquoi je pouvais lire Marcel Proust alors que les livres de Virgina Woolf me tombent des mains. Tous deux sont des écrivains réputés difficiles et tous deux écrivent sur la mémoire et sur le temps; les similitudes entre eux sont évidentes. Quant aux différences,  Pierre Nolon dans la préface qu'il a rédigée pour la collection classiques modernes du livre de poche affirme :
Mais la recherche proustienne s'attache à décrire avec un réalisme minutieux et pour ainsi dire pas à pas le cheminement de la mémoire. De son côté Virginia Woolf marque d'avantage l'impression qui fait naître le surgissement du souvenir et la façon toujours subjective dont ce surgissement affecte les rapports du personnage avec la réalité.

 Voilà qui n'est pas pourtant pas pour me déplaire! Ainsi dans la nouvelle La marque sur un mur  la narratrice (ou je devrais dire plutôt l'observatrice puisqu'il n'y a pas de narration proprement dite) remarque une tache sur le mur. C'est à partir de ces interrogations sur l'origine de cette marque que sa mémoire ressuscite ce moment précis du mois de janvier où elle a fait cette observation, le feu dans le cheminée, les chrysanthèmes dans le vase, la fumée de la cigarette.. et qu'elle remonte aux anciens propriétaires de la maison.

 La robe neuve et  La dame du miroir
Parmi les nouvelles que j'ai lues, je veux parler en détail de ces deux textes que j'ai trouvées éblouissants par le style et la technique :

La robe neuve  a été été écrite au moment où l'écrivain achevait la rédaction Mrs Dalloway. Mabel Waring  se rend à la réception de Clarissa Dalloway vêtue d'une robe neuve  qu'elle a fait faire pour cette occasion et qui est parfaitement hideuse et démodée. Elle prend conscience de l'image qu'elle donne d'elle-même en s'apercevant dans un miroir. Nous partageons ses angoisses et son humiliation face aux réactions des personnes qui la côtoient et la méprisent, nous ressentons sa solitude en pénétrant dans ses pensées intimes. A travers Mabel, Virginia Woolf ironise sur son apparence physique et son propre manque d'élégance. Dans La dame dans le miroir, les lieux et le personnage d'Isabella Tyson sont observés à travers un miroir. Mais lorsque la femme s'approche, elle apparaît telle qu'elle est dans ce miroir, dans sa vérité nue, dépouillée de l'apparence trompeuse.

L'impressionnisme de Virginia Woolf

Pierre Signac :  l'eau
Pierre Nolon poursuit : La relation est toujours vécue sur un mode insistant, parfois envahissant et obsessionnel. Ce choix commande la manière dont Virginia Woolf décrit le processus; elle pousse la technique impressionniste au point de la rendre pointilliste, elliptique et même, dans certains cas, déroutante.

Ces deux nouvelles ont en commun le miroir et illustrent très bien la technique impressionniste de Woolf. Mabel, tout en parlant, s'aperçoit "dans le miroir rond par petits fragments de robe jaune, grands comme des têtards ou des boutons de bottines" et son interlocutrice est saisie dans le même miroir comme "un bouton noir". La  description, effectivement, est poussée jusqu'au pointillisme; on pense au tableau de Seurat ou de Signac, ou au Monet de la dernière époque, à ces taches de lumières et de couleurs qui finissent par se rassembler pour former une image.  Mabel ainsi réduite à la  taille d'une piécette de trois pences… prend conscience de la disproportion entre les sentiments extrêmes qu'elle éprouve humiliation, souffrance, dégoût de soi-même et  elle-même, cette "chose" insignifiante qu'elle représente. Le miroir l'isole, la coupe des autres,  elle est "débranchée" face à  l'autre femme "détachée", toutes deux absentes l'une à l'autre, murées dans leur solitude.
 Mais l'impressionnisme ne réside pas seulement dans la description, elle est aussi dans l'éclatement des pensées intérieures qui partent dans tous les sens, qui reviennent lancinantes, se répètent, se fragmentent, tout en dressant un état intérieur du personnage. On a donc simultanément l'image extérieure vue dans le miroir et l'intériorité du personnage livré par les pensées. Avec La dame dans le miroir, Virginia Woolf pousse encore plus loin son exploitation du miroir qui cette fois-ci morcelle l'espace. Le miroir en effet, reflète le hall dans lequel il est placé mais il nous projette à l'extérieur, en reflétant aussi le jardin, l'allée, les tournesols.. Un manière de rendre sensible ce hors champ et de nous amener à Isabella qui n'est pas à l'intérieur mais à l'extérieur. Virginia Woolf a aussi recours à une technique qui n'est plus picturale mais photographique : les objets posées sur la table du hall sont d'abord vues comme "des plaquettes d'albâtre veinées de rose et de gris", flous, puis comme par un procédé de mise au point de l'objectif,  l'image se précise, les plaquettes deviennent des lettres.

Les insectes et les végétaux

Frantz H; Desh  Le kimono bleu
 Je me suis aperçue aussi que les insectes comme les végétaux tiennent une grande place dans les nouvelles de Virginia Woolf puisqu'elle se sert d'eux pour transmettre un état de conscience. Ainsi pendant la réception de Mrs Dalloway, Mabel est obsédée par l'image d'une mouche qui tombe dans une soucoupe de lait et cherche à s'en extraire jusqu'au moment où elle s'aperçoit qu'elle est cette mouche, symbole de la souffrance et de la mort mais aussi de l'inanité de la vie : C'est elle-même qu'elle voyait ainsi : elle était une mouche, mais les autres étaient des libellules et des papillons. Dans Kew Gardens, c'est la libellule qui signifie le désir amoureux et l'escargot dans son obstination à se frayer un chemin et à contourner les obstacles représente l'homme et sa lutte quotidienne et absurde et aussi son infini petitesse par rapport à l'univers. Le Volubilis qui cache la misère d'un vieux mur incarne Isabella Tyson mais lorsque le miroir la révèle, le volubilis disparaît et il ne reste plus que le mur nu et sale. Pour Mabel, le souvenir d'une "grande touffe d'ajoncs pâles emmêlés se détachant comme un faisceau de hallebardes" entraîne l'image  des "sagaies" qu'elle reçoit en pleine poitrine et qui sont le mépris, la méchanceté, les moqueries des invités à son égard.

Le thème du miroir

Pierre Bonnard : Miroir et table de toilette.
Solitude, détachement du monde, procédé impressionniste pour rendre compte du réel, le thème du miroir a encore bien d'autres significations. Il est aussi un jeu de mots sur le thème de la réflection/réflexion ( en anglais : reflection) puisqu'il amène à des découvertes sur soi-même :  celui de la dualité de l'être, de la vérité et de l'apparence. L'image que le miroir renvoie à Mabel quand elle est seule avec lui, est celle d'un jeune femme "ravissante, gris pâle, au sourire énigmatique", en fait "sa réalité profonde, essentielle." Mais la vérité d'Isabella , elle, se révèle toute différente : Debout, nue sous cette lumière impitoyable. Et il n'y avait rien. Isabella était totalement vide.  Enfin le miroir comme l'eau symbolise la mort, omniprésente dans l'oeuvre : Regardant sans cesse dans le miroir, se plongeant dans cette dévastatrice flaque d'eau, elle se savait faible et vacillante créature, condamnée, méprisée, reléguée en eau morte.
 Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces nouvelles mais  je vais m'arrêter là!
A part Objets massifs, nouvelle que j'ai jugée intéressante mais moins originale, tous ces écrits sont très riches, d'une grande subtilité. La beauté et la poésie de l'écriture, la finesse de la technique de narration révèlent un grand talent. Un brillant exercice de style! Mais à l'échelle d'un roman, il me reste à découvrir si je pourrai m'intéresser à des personnages qui semblent souvent évanescents, en dehors de la vie, uniquement tournés vers leur nombril. C'est ce que je vais découvrir bientôt en me lançant, encore une fois, dans un roman "woolfien".

 Et pour finir une citation : ce beau poème en prose de Bleu et vert

Vert

Monet : Giverny

Les doigts de verre dardent leurs pointes vers le sol. La lumière coule sur le verre, s’étale en flaque verte. Et tout au long du jour les dix doigts du lustre lâchent des gouttes vertes sur le marbre. Plumes de perroquets – leurs cris rauques – feuilles acérées des palmes – vertes aussi ; vertes aiguilles scintillant au soleil. Mais le verre trempé sur le marbre s’égoutte, sur les sables du désert les flaques s’alanguissent, traversées par le pas incertain des chameaux ; sur le marbre, les flaques s’installent, cernées de joncs, semées de blanches floraisons, traversées par le bond des grenouilles; et la nuit, les étoiles s’y logent, intactes. Le crépuscule balaie d’ombres vertes la cheminée; l’océan s’ébouriffe. Pas une embarcation ; sous le ciel vide, le vain clapotis des vagues. La nuit, les aiguilles distillent du bleu ; le vert s’est estompé.