Le roman d'Enéas est un des premiers romans médiévaux paru vers1160. Il fait partie des romans d'antiquité qui reprennent les grandes épopées latines : Le roman de Thèbes ( vers 1150) d'après La Thébaïde, Le roman de Troie et plus tard Le roman d'Alexandre (après 1180). Les auteurs sont des clercs qui dans un souci didactique mettent ces oeuvres classiques à la portée d'un public ignorant le latin. L'auteur du roman d'Enéas, anonyme, appartient semble-t-il à l'école littéraire "normande" qui s'est formée à la cour des Plantagenêts. Il reprend L'Enéide de Virgile tout en l'adaptant son époque. Mais il est en même temps très fidèle à Virgile dont il suit parfois le texte latin à la lettre tout en sachant prendre des libertés dans la succession des évènements ou par des ajouts ou des suppressions.
Ecrit en octosyllabes, et malgré quelques formes de l'Est, le roman est localisé dans le Nord-Ouest de la France avec un influence picarde indéniable.
La fuite d'Enée portant son père sur le dos (à gauche) Raphaël |
Le roman d'Enéas a une structure très précise, il est divisé en trois parties :
Une première partie : la fuite de Troie, le voyage qui devient une longue errance, Junon poursuivant les Troyens de sa haine, l'arrivée à Carthage, l'amour d'Enée et de Didon
Une deuxième partie : Enéas quitte Didon pour accomplir ce que les Dieux veulent de lui, créer un autre royaume en Lombardie, épouser la fille d'un roi latin, et fonder une dynastie prestigieuse.
Cette partie est consacrée à la guerre que le héros doit mener pour parvenir à son but.
Une troisième partie : le dénouement traite des amours d'Enéas et de Lavine, de la mort de Turnus, son rival qu'Entée défie en combat singulier et enfin du mariage et de l'obtention du royaume.
Cette structure est encore renforcée par un rythme binaire qui donne sa force au récit en créant des symétries, des effets de miroir :
A l'amour sensuel et coupable de Didon (veuve, elle a fait le serment de rester fidèle à son mari mort) et à sa mort répond l'amour plein pudeur de Lavine qui n'exclut pas la passion et son mariage. Ces deux épisodes encadrent le récit, au début et à la fin.
Au héros valeureux mais malheureux Pallas qui meurt, tué par Turnus, répond l'héroïne guerrière Camille, tout aussi vaillante que Pallas. Le récit de sa mort et ses funérailles est gymétriques à celui de la mort et des funérailles de Pallas.
Dans sa présentation dans le livre de poche, Aimé Petit note que : l'Enéide se trouve donc souvent simplifiée, clarifiée et rationalisée par cet auteur du XII° siècle. Mais il est aussi plus adapté aux goûts du public, influencé encore par la chanson de geste mais déjà plus proche du roman courtois avec la description du personnage féminin de Lavine et du sentiment amoureux.
J'ai lu le livre dans la traduction française contemporaine; c'est une lecture assez facile et intéressante par bien des côtés. Les descriptions des villes somptueuses comme celle de Carthage, la présentation de personnages pittoresques, hors du commun, comme la pucelle Camille, si belle, si vertueuse, et pourtant exceptionnelle en tant que chevalier, sont passionnantes et j'adore la minutie dans la description des traits de la jeune fille, de ses vêtements, de son palefroi qui emprunte au Merveilleux. Les scènes de combat ne sont pas trop longues, ni trop abondantes mais toujours animées d'un souffle épique comme dans les chansons de geste, en particulier la Chanson de Roland que j'ai toujours beaucoup aimée.. J'ai aussi apprécié l'aspect courtois du roman. La description de l'amour, de ses tourments vécus comme une affreuse maladie mais suivis de joies ineffables est d'une grande nouveauté pour l'époque. La jeune Lavine avec ses interrogations, ses doutes, ses chagrins de jeune fille innocente, est très humaine et proche de nous. Quant à Enéas qui se promène sous ses fenêtres avec une feinte indifférence, en faisant semblant de regarder à côté comme s'il ne la voyait pas, tout en ne la perdant pas de vue, il s'attire les taquineries de ses amis qui ont bien compris son manège et se moquent de lui. Il quitte ainsi son statut de héros et de demi-dieu (il est fils de Vénus et frère de Cupidon) pour devenir un jeune homme amoureux, un tout petit peu ridicule et donc attendrissant! Une lecture agréable à qui aime le Moyen-âge!
LC avec Océane
LC avec Océane
merci de nous faire découvrir des œuvres lointaines dans le temps...le moyen âge!
RépondreSupprimerLe moyen-âge a une littérature passionnante que l'on connaît mal.
Supprimeren me reportant à plusieurs de tes billets je m'aperçois que je ne connais presque rien de cette littérature médiévale, comme le dit Miriam merci à toi
RépondreSupprimerPeut-être cela te plairait-il?
SupprimerIl est vrai que ce n'est pas trop mon genre littéraire mais la description que tu as fait du livre et du genre littéraire en général donne envie d'en lire plus..
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il faut aimer et le style et le genre.
SupprimerC'est une belle expérience de lecture ! C'est vrai que toute la partie avec Lavinia est digne d'un roman courtois, la patte médiévale de cette version :)
RépondreSupprimerOui, l'analyse de l'amour vécu comme une maladie est très intéressante; Je vais venir lire ton billet. Je n'ai pu le faire avant, je n'avais plus internet à cause des orages sur Avignon.
SupprimerDésolée de ne pas m'être jointe à vous ! J'imagine sans peine que l'Eneas est simplifiée tant le virgile me donne du fil à retordre... J'aime beaucoup aussi La chanson de Roland...
RépondreSupprimerLes scènes de bataille sont moins longues que dans Virgile. Oui, cela paraît plus simple et adapté au public... médiéval!
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