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jeudi 21 septembre 2023

Sorj Chalandon : L 'Enragé

 

Dans l’Enragé, Sorj Chalandon  raconte la mutinerie des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-île sur Mer, Haute-Boulogne, en août 1934.
Il s’agissait d’un véritable bagne pour mineurs, petits délinquants rejetés par leur famille, ou tout simplement, orphelins abandonnés sur le seuil d’une église. Les conditions de vie, les sanctions disciplinaires y sont d’une dureté incroyable : violences physiques et morales, humiliations, privation de liberté et de nourriture. De plus, ils sont traités comme des esclaves et fournissent une main d’oeuvre bon marché aux habitants de l’île. Un jour, la brutalité gratuite d’un chef met le feu au poutres. Les détenus se révoltent, frappent, pillent, détruisent puis s’enfuient.

C’est à travers le regard d’un personnage fictif, Jules Bonneau, dit la Teigne, que Sorj Chalandon nous fait vivre ces ignominies. Ce surnom, Jules l’a gagné auprès de ses co-détenus et des surveillants de la colonie tant sa rage est grande contre ce système qui broie l’individu. Pour survivre, il faut savoir se faire respecter et ne jamais faire preuve de faiblesse. Ce n’est pas le cas de Camille Loiseau, un enfant de 13 ans, trop fragile pour se défendre et qui subit, de plus, les sévices sexuels des « caïds », ceux qui, parmi les plus âgés des détenus, ont perdu tout humanité. Car, bien sûr, loin d’être éducatif, cet univers carcéral pervertit les esprits, émousse les consciences et entretient la violence.

Dans la réalité tous les détenus ont été repris. Dans son roman, Sorj Chalandon imagine que Jules s’en sort grâce à l’aide de braves gens, Sophie, l’infirmière du bagne, Ronan, son mari, patron d’un bateau de pêche et son équipage. Ronan, le socialiste, Alain le communiste, Pantxo, le basque, anarchiste, qui ne sont peut-être pas toujours d’accord mais qui s’unissent tous contre la même injustice, celle que l’on inflige aux plus faibles.
Ce drame se déroule dans un contexte historique nocif, avec la montée de l’extrême-droite en France, (les Croix de Feu) comme en Allemagne, le renforcement des idées réactionnaires, contre l’émancipation des femmes, leur droit de vote, (avec une page terrible sur l’avortement), mais aussi l’antisémitisme de plus en plus virulent, tout ceci sur fond de guerre d’Espagne avec le carnage de Guernica !

Ce qui m’a intéressée, c’est que Sorj Chalandon ne tombe pas dans l’angélisme. Les enfants deviennent pour certains des bêtes sauvages et Jules, lui-même, qui a pourtant des éclairs de conscience et d’humanité, se rêve criminel avant de le devenir.

« J’allais te voler Ronan ! J’étais à deux doigts. (…)  Tu sais Ronan, je suis un bandit. C’est une canaille de Haute-Boulogne que tu as accueillie dans ta chaloupe et sous ton toit. Pas un orphelin pitoyable, qui sanglote avec un caïd entre les reins, mais une Teigne. Une vraie. Un chacal pelé, sans père ni mère, sans rien de ce qui fait votre humanité. »

« Tu espérais quoi, le communiste ? Que j’allais défiler avec toi contre la vie chère ? Je m’en fous de tes combats. Quand je lève le poing, c’est pour ma gueule. Et toi le basque, tu attendais quoi ? Que je te rende la chemise et le pantalon que tu m’avais prêtés pour enterrer la vieille ? Jamais, tu m’entends ! Il resteront au fond de mon sac. (…) C’est ça que vous voulez sauver ? Ce chien enragé? »

 L’écriture est belle, énergique, vent debout contre l’injustice et la barbarie. Je l’ai lu sans pouvoir m’arrêter tant j’ai épousé la révolte du jeune homme, tant j’ai vécu les dangers de l’évasion, les mutins n’ayant d’autres ressources que de se jeter à l’eau ou de braver la mer sur un esquif volé au péril de leur vie. Cette chasse à l’enfant comme l’a écrit Jacques Prévert alors présent sur l’île, jette les Bélillois à la poursuite des fugitifs, chaque capture apportant 20 francs au chasseur d’enfants.


Un roman passionnant et addictif.


 

vendredi 15 septembre 2023

Laurent Binet : Perspective(s)


Jacopo da Pontormo, peintre maniériste florentin est mort le 1er janvier 1557 dans la chapelle de l'église San Lorenzo où il peignait des fresques*, travail commandé par Cosimo de Médicis, duc de Florence, et dont l'artiste aurait voulu qu'elles soient à l'égal de celles de la chapelle Sixtine. Laurent Binet imagine qu'il a été assassiné par une main inconnue et son roman Perpectives(S) se veut alors une enquête policière pour déterminer qui est l'assassin. 

 

La déposition de Pontormo église Sante Felicita Florence


Le roman est intéressant parce qu'il fait revivre une période de Florence assez délétère où les factions politiques se déchaînent. La reine de France, Catherine de Médicis et son cousin Pietro Strozzi dont le père Philippe Strozzi, républicain, a été exécuté par Cosimo de Médicis, cherchent à mettre la main sur le duché de Florence avec l'aide de l'armée français pendant que Cosimo, grand-Duc de Florence,  allié à l'Espagne par son mariage avec Eleonore de Tolède, essaie de se concilier les bonnes grâces du pape Paul IV ( Gian Pietro Carafa) pour être reconnu roi de Florence. Pour les arts, c'est une période néfaste. Le pape, ancien contrôleur général de l'Inquisition, intolérant, puritain, dans cette période de la contre-réforme, condamne le nu et fait "habiller" ou plutôt "culotter"  les peintures de Michel-Ange. A Florence, Pontormo considéré comme licencieux s'est attiré la haine de la bigote et fanatique duchesse de Florence, Eleonore de Tolède. Les idées de Savonarole, pourtant mort en 1498, refont surface et ne favorisent pas non plus la liberté de l'artiste. Triste période pour les Arts ! 

 

Agnolo Bronzino : Eleonore de Tolède et son fils

 

C'est un plaisir de retrouver dans ces pages tous les artistes rencontrés au cours de mes voyages à Florence : Giorgio Vasari, l'auteur des Vies des peintres, bras droit de Cosimo dans l'enquête sur l'assassinat, Jacopo da Pontormo, vieillard irascible, hanté par la mort, son élève Giambattiste Naldini, Michel-Ange lui-même toujours en exil à Rome, Le Bronzino et ses portraits de la famille ducale, Sandro Allori, son élève, sans oublier le mauvais garçon, l'orfèvre, Benvenuto Cellini.

 

Salière de Benvenuto Cellini

Par contre, je n'ai pas apprécié le choix du roman épistolaire que j'ai trouvé faux, artificiel : les lettres de nombreux correspondants, toutes écrites dans le même style, ne réflètent ni le caractère, ni la psychologie, ni l'origine sociale, ni la culture des personnages. Ce sont pourtant ces qualités que l'on attend d'un vrai roman épistolaire et qui en font l'intérêt ! Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi choisir cette forme plutôt que le roman. Je me suis passablement ennuyée à certains moments, à l'exception de celles de Maria de Médicis*, fille de Cosimo et Eleonor, dont on sent la vulnérabilité et la naïveté (Laurent Binet imagine que celle-ci est morte en couches à la suite d'une fugue avec son amant qui l'abandonne, enceinte). Enfin, j'ai trouvé deux lettres supérieures à toutes les autres, vraiment passionnantes celle ou Vasari échappe à la mort grâce, dit-il, à la perspective, reconnaissant ainsi le talent des illustres prédécesseurs, Paolo Ucello, Brunelleschi ou Masaccio et la magnifique réponse de Michel-Ange qui montre la puissance de l'Art comme témoin de la grandeur humaine.

« Nous l'avons méprisée . Mais nous ne l'avons jamais oubliée.

Comment aurions-nous pu ? La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l'infini. Spectacle terrible. Je ne me rappelle jamais sans trembler la première fois que je vis les fresques de Masaccio à la chapelle Brancacci. Quelle connaissance merveilleuse des raccourcis ! L'homme d'aplomb, enfin à sa taille, ayant retrouvé sa place dans l'espace, pesant son poids, chassé du paradis mais debout sur ses pieds, dans toute sa vérité mortelle. L'image de l'infini sur la terre (…) L'artiste est un prophète parce que, plus que les autres, il a l'idée de Dieu, qui est précisément l'infini, cette chose impensable, inconcevable. »

 

Masaccio :Adam et Eve chassés du Paradis 



Enfin, le dénouement qui permet de découvrir l'assassin homme ? ou femme ? (Je n'en dirai pas plus !)  du Pontormo, est aussi un moment de surprise pour le lecteur et l'on sent que Laurent Binet s'est bien amusé à nous mystifier !


Bronzino : Maria de Médicis


* Maria de Médicis devait épouser Alphonse II d'Este, duc de Ferrare, à la sinistre réputation. A sa mort (peut-être du paludisme ?? Cf Wikipedia ), c'est sa jeune soeur Lucrèce qui doit la remplacer pour cette funeste union. Hasard de la parution, le destin de Lucrèce si mal mariée est le thème du livre de Maggie O' Farrel : Le portrait de mariage.

 

Alessandro Allori : Lucrezia de Médidis

 * les fresques du Pontormo ont  disparu.


LC   avec Marilyne ICI

Voir aussi Je lis je blogue : Perspectives Ici

Perspectives Eimelle Ici



samedi 29 juillet 2023

Le Moby Dick de Lina Lamara


 

 

Ishmael, est embauché chez les dockers du Havre en janvier 2002 en tant qu'ouvrier docker occasionnel (ODO). C'est sa première fois sur un port. Dans cet univers opaque et masculin, il se lie doucement d'amitié avec "les camarades" avant d'assister à la plus grande grève connue sur le quai et dans le monde. Cette crise des "ports-morts" devient symbole de barricade et le porte-conteneur, une bête immonde à abattre. Ishmael ne connaît rien au monde des dockers, il est pris en main par Koubiac, le plus paternel de la bande. Ishmael rencontre La Poigne, Chico, L'Aiguille, Le Grand, Sidi Saïd et le Capitaine Achab qui vient d'amarrer.
Ishmael rencontre ces personnalités dans un univers fascinant. On découvre leur monde, leur routine, leur culture. Être docker, c'est rentrer dans une famille et aimer son travail, sa besogne !
Des nouvelles mesures pour augmenter leur cadence et l'accident de l'un d'entre eux mettent le feu aux poudres. La solidarité des dockers étant sans égal, leur grève devient mondiale en un rien de temps. Les dockers bloquent les porte-conteneurs que le capitaine Achab compare à un cachalot immonde. Face à cet évènement, les transports de marchandises se multiplient par voie terrestre et aérienne. Les routes saturent pendant que la congestion des porte-conteneurs s'allongent sur les eaux.
Dans les médias, "le port mort" est le sujet principal. Passant pour de "simples râleurs", les dockers sont soudainement pointés du doigt et pris pour les responsables d’un fléau écologique sans nom. Les gouvernements trouvent dans cette crise, la réponse presque parfaite. "Docker, l’enfer !".
Les ouvriers se retrouvent coincés entre des civils en colère, les représentants de force de l'ordre et des médias prêts à faire sensation.
Les quais deviennent le bord de leur précipice, les conteneurs, leur prison.


 Mon avis : 

A partir d'un fait historique la grève des "ports morts" qui témoigne de la fin d'un monde où l'on n'a plus besoin de dockers mais d'ingénieurs pour conduire les machines - le spectacle intitulé Le Moby Dick de Lina Lamara qui est aussi à la mise en scène, nous offre un voyage entre deux :  réalité historique et sociale et littérature car cette grève qui se déroule à l'ombre fabuleuse du Moby Dick, sous la conduite du capitaine Achab, personnage réel ou échappé du roman de Melville, prend une dimension fantastique. 
 
En effet, les décors sont impressionnants!  L'immense container qui occupe le centre de la scène, démantelé par une équipe de comédiens, dockers aux gros bras plus vrais que nature, se transforme  tour à tour en échelles, grues de levage, échaffaudages et enfin navire gigantesque! 
 
 Une seule femme au milieu de ce monde masculin.
 
Angoisse du néant, indignation, désarroi de se sentir inutiles dans une mondialisation de l'économie qui n'a plus rien d'humain, peur du chômage, drames personnels... mais aussi amitié, solidarité, c'est tout cela que transmet ce texte. 
 
Et quand la troupe exécute une danse virile, emplie de colère sur une chorégraphie de Morgan L'Hostis,  orchestrée par des airs d'opéra, on a vraiment l'impression d'entrer dans une autre dimension et d'assister à une tragédie lyrique marquée par le destin.

 Un excellent spectacle !

 LES GEMEAUX

LE MOBY DICK

Horaire : 11h35

Lieu : Salle du Dôme

Relâches : 
Mercredis 12, 19 et 26/07

Durée : 1h20

De : Lina Lamara

Mise en scène : Lina Lamara

Avec : Alain Leclerc, Akim Chir, Adrien Bernard-Brunel, Alexis Desseaux, Alex Metzinger,

Valérie Zaccomer, Nicolas Soulié, Stéphane Titeca, Antonio Macipe, Pierre Benoist

Chorégraphies et assistanat à la mise en scène : Morgan L’hostis

ScénographieVincent Para et Nadia Lamara

Création lumière : Marie Ducatez

Musiques : Kenzy Lamara

Costumes : Virginie H.

Création visuelle : Philippe Sheraf

Régisseuse son : Marion Hennenfent

Production :  Compote de prod, 8256 Street et La Neuvième production

 

Soutiens : spectacle créé au Théâtre des Franciscains, ville de Béziers et à l'Espace 1500, ville d'Ambérieu en Bugey

vendredi 28 juillet 2023

Le huitième ciel de JeanPhilippe Daguerre, auteur et metteur en scène

 

Au théâtre actuel : Florance Pernel et Charlotte Matzneff

Agnès Duval a construit 27 buildings dans 27 pays d’Europe pour un immense groupe de BTP. Forte de sa « réussite » et de sa Légion d’honneur, elle décide de prendre une pré-retraite bien méritée pour profiter de la vie, de sa famille et de sa fortune. Mais une rencontre inattendue va faire voler en éclats son monde et ses convictions… et l’obliger à se réinventer.

Le huitième ciel est un spectacle réjouissant d'où l'on sort heureux et réconciliés avec la nature humaine. Ce qui n'arrive pas souvent ! Et cela fait du bien, pour une fois, une pièce qui ne broie pas du noir et qui adopte un point de vue optimiste. Agnès Duval, joliment interprétée par Florence Pernel, a passé sa vie à construire des buildings, a exercé le pouvoir que donnent l'argent et sa position sociale à la tête d'une entreprise. Peu importe les expropriés, les gens chassés de leur  maison, les passe-droits et autres exactions nécessaires pour réaliser son "oeuvre"... elle a réussi ! Aussi est-il difficile pour elle de se retrouver sur la touche lorsqu'elle prend une retraite anticipée qui la rejette dans le néant ! 
C'est peut-être le moment de se rendre compte qu'elle est passée à côté de sa fille et de son mari, qu'elle ne s'est intéressée à personne d'autres qu'à elle-même !  Si vous avez la chance de voir la pièce, vous saurez ce qui va provoquer sa prise de conscience ! 
La pièce est pleine d'humour et d'émotion. Tous les comédiens de la compagnie Babouchka ( Le voyage de Molière) incarnent avec sensibilité et brio de beaux personnages qui nous touchent et nous font rire.  Et tant pis pour ceux reprochent à la pièce ses "bons sentiments" puisqu'elle nous invite à gratter le ciel et nous donne de l'espoir !

   

LE HUITIEME CIEL  THEATRE ACTUEL 19H30

Distribution
Texte et mise en scène Jean-Philippe Daguerre
Interprétation Florence Pernel, Bernard Malaka, Charlotte Matzneff, Marc Siemiatycki, Antoine Guiraud, Tanguy Vrignault
Décor Juliette Azzopardi et Jean-Benoît ThibaudCostumes Alain BlanchotLumières  Moïse Hill 
Création musique et assistant mise en scène Hervé Haine
Production Le Théâtre Actuel – La Bruyère, Le Grenier de Babouchka, Le Théâtre de la Renaissance, RSC P, Théâtre Rive Gauche et Macal Prod

Photos © Grégoire Matzneff

 

mardi 25 juillet 2023

Julien Delpech et Alexandre Foulon : Les Téméraires

Les Téméraires

 

1894. L’affaire Dreyfus coupe la France en deux.

D’un côté, l’armée et l’État propageant des fausses rumeurs baignées d’antisémitisme ; de l’autre, Émile Zola et Georges Méliès.

L’un avec sa plume, l’autre avec la première caméra au monde, mais tous deux aidés par leurs incroyables femmes, s’engagent dans une lutte pour la vérité. Si la défaite semble toute tracée, leurs courages en auront décidé autrement.

Mon avis :
 
Une très belle pièce au théâtre des Gémeaux : le combat d'Emile Zola et celui de Méliès  contre l'injustice, l'intolérance et l'antisémiste. Téméraires, en effet, ils l'étaient ces deux hommes ! Ils firent tout, mettant leur confort, leur liberté et jusqu'à leur propre vie en jeu, pour faire reconnaître l'erreur judiciaire et le mensonge des tribunaux militaires qui ont innocenté sciemment le vrai coupable. Ils dénoncent, l'un par un film, l'autre par ces écrits, ce scandale d'Etat. Un grand moment d'émotion, ce qui n'empêche pas le rire car l'humour est bien présent ! On vibre en écoutant le fameux J'accuse! et on découvre avec intérêt des extraits du film de Méliès qui fut censuré en France mais qu'il put projeter partout en Europe et en Amérique. On rit en assistant, par exemple, au "tournage" du film de Méliès !
L'Histoire avec un grand H se mêle à celle plus intime de Zola qui mène une double vie, partagé entre son épouse, une femme étonnante, d'une grande force, sa maîtresse et les enfants qu'il eut d'elle.  
Ces beaux personnages, Zola, Méliès et le lieutenant-colonel Picquart ( Ce dernier a dénoncé le scandale pour innocenter Dreyfus), leurs femmes, nous touchent d'autant plus que l'interprétation est excellente, certains comédiens assumant plusieurs rôles avec autant de maîtrise. Une mention spéciale pour le comédien Stefane Dauch, qui incarne Zola. Une ingénieuse scénographie vient ajouter au plaisir du spectacle.

photo Grégoire Matzneff


Un coup de coeur !

 

THÉÂTRE LES GÉMEAUX

Horaire : 17h05

Lieu : Salle des Colonnes

Relâches : 
Mercredis 12, 19 et 26/07

Durée : 1h30

De : Julien Delpech et Alexandre Foulon

Mise en scène : Charlotte Matzneff

Assistée de : Manoulia Jeanne

Avec : Stéphane Dauch, Armance Galpin, Antoine Guiraud, Romain Lagarde, Barbara Lamballais
Sandrine Seubille, Thibault Sommain

Musique : Mehdi Bourayou

Costumes : Corinne Rossi

Lumières : Moïse Hill

Scénographie : Antoine Milian

Production : Marilu Production, Le Grenier de Babouchka, IMAO , Place 26

 

dimanche 9 juillet 2023

Fabrice Melquiot / François Ha Van : Kids à la Scala de Provence

 

Fabrice Melquiot, dramaturge

Présentation de la pièce

Une jeunesse fougueuse et brûlante ! Huit adolescents : le temps du siège de Sarajevo (1992-95), vont apprendre à (sur)vivre ensemble, au-delà de toutes considérations ethniques et religieuses, sorte de  « meute » plurielle, avec ses rivalités, ses complicités et ses rêves.
Mais voilà, le conflit touche à sa fin et il faut apprendre à vivre sans la guerre, sans couvre-feu, sans bombardements, libres, mais aussi sans repères.
Et si créer un spectacle pouvait tout sauver ?…

 

   Un très beau spectacle qui nous plonge au coeur de la guerre, à Sarajevo, mais cela pourrait être n'importe où, ailleurs..  Dans la ville ravagée, vivent ou plutôt survivent des enfants et adolescents orphelins. Ils se réfugient dans les caves, l'orphelinat ayant été détruit, hantés par les images de destruction, le souvenir de leurs parents morts sous les bombes ou sous les balles des snippers. Ils ont peur, ils ont faim, font la manche, volent, ils se battent, ils s'aiment, ils apprennent l'anglais pour donner un sens à leur vie, rêvent d'un futur. Peu à peu nous apprenons à les connaître, l'un après l'autre ou tous ensemble. Nous vivons leur désespoir, leur hantise de la mort, leur colère, leurs moments de tendresse, leur besoin d'être aimés...  Au bruit des explosions  répond la musique de la guitare électrique et les paroles tristes de la chanson : Why my Guitar is wheeping ?... Pourquoi ma guitare pleure-t-elle ? 

Pourtant, des éclaircies dans cette noirceur,  liées, en particulier au personnage de Sid, l'aîné de tous, qui accueillent, enseignent, défend les plus faibles et puis l'amour est toujours possible même s'il faut faire comprendre aux garçons ce qu'est la tendresse. Et l'on sourit parfois de la maladresse des adolescents lors de dialogues qui ne manquent pas d'humour.

Le texte est splendide, poignant, la mise en scène de François Ha Van joue avec l'espace pour  suggérer la violence des bombardements, la panique des adolescents, les mouvements de foule, le désir de fuite, d'évasion. Les comédiens sont tous excellents, vrais, et font naître l'émotion.

Je ne suis pas la seule à l'avoir apprécié. Ma petite-fille (13 ans ) l'a beaucoup aimé aussi.

Un spectacle à ne pas rater !

 

KIDS de Fabrice Melquiot
Du 7 au 29 juillet 2023 19H30



Relâches Les lundis 10 17 24  durée 1H05


De Fabrice Melquiot
Mise en scène François Ha Van
Avec Nathan Dugray, Montaine Frégeai, Axel Godard, Yann Guchereau, Hoël Le Corre, Sylvain le Ferrec, Julie Bulourde en alternance avec Lara Melchiori, Manon Preterre
Création musicale et interprétation live – Nathan Dugray


mardi 9 mai 2023

Nicolas Vanier : La Grande Course, dans l'enfer de la Yukon Quest

 


De temps en temps, j’aime lire les écrits de Nicolas Vanier et me replonger dans la neige, le froid polaire, les lacs gelés, les montagnes aux déclivités effrayantes et les exploits héroïques et surhumains ! C’est ce que j’appelle mon syndrome Jack London et James Curwood. Je suis tombée dans la potion magique de leurs livres presque à ma naissance et  j’y retourne sans cesse par un biais ou par un autre.

Dans ce récit intitulé la Grande course, Nicolas Vanier raconte sa participation à l’une des plus difficiles et des plus exigeantes courses de traîneaux du monde : dans l’enfer de la Yukon Quest !

26 participants qui sont les plus grands mushers (conducteurs de traîneaux) du monde, beaucoup d’accidents, beaucoup d’abandons, de nombreux chiens mis en repos dans les droppers (lieu où sont laissés les bêtes trop fatigués pour continuer sur décision des vétérinaires) .

Inutile de dire que j’ai aimé ! J’ai suivi avec intérêt toutes les étapes et les détails techniques de la course qui réclame des capacités physiques et intellectuelles des animaux comme de leur musher, endurance, rapidité, volonté, capacité d’analyse : Les chiens de tête sont capables de prendre la bonne décision en une fraction de seconde, de négocier un tournant dangereux, de choisir la bonne piste, d’éviter les nombreux pièges tendues par la neige ou le gel… Les obstacles à franchir malgré la fatigue obsédante, le manque de sommeil accumulé, le froid,  (des températures à -50°!) sont les étapes de cette course qui accumule les difficultés.

Ce que j’aime dans ce récit, c’est d’abord le rapport de Nicolas Vanier avec ses chiens, cet amour réciproque, cette compréhension mutuelle qui font qu’il est véritablement en communion avec eux. J’ai aimé que l’animal passe toujours avant le maître qui prend d’abord soin d’eux avant de s’occuper de lui-même  à chaque étape. J’ai aimé connaître le nom de chacun, les distinguer d’après leur caractère, leurs qualités et leurs faiblesses. Quand Nicolas Vanier s’interroge sur ce qui le pousse à s’infliger tant d’épreuves, à aller toujours aux limites de ses forces, et quand il se demande la même chose pour ses chiens, la réponse est la même pour l’homme comme pour les bêtes.

Jamais je n’ai senti une telle communion avec mes chiens, ressenti une telle harmonie. Leurs souffles font écho au mien. Leur fatigue est la mienne. Je suis une sorte d’archer qui fait vibrer les cordes d’un bel instrument, en osmose avec son orchestre, et dont aucune fausse note ne vient troubler la mélodieuse partition qu’ensemble nous écrivons sur le pupitre de cette course.

Et puis, bien sûr, il y a les paysages, la traversée du Kondklide avec les traces des chercheurs d’or et l’hommage de Nicolas Vanier à Jack London ( et oui, je sais, je ne  ne suis pas la seule ! ), les aurores boréales qui illuminent les nuits d’une beauté irréelle, les silhouette des loups qui mêlent leur voix à la lumière des cieux, une beauté à couper le souffle qui est une récompense aux souffrances endurées pendant la course.

Au cours de ses réflexions pendant cette longue course, Nicolas Vanier fait sienne cette phrase : « il vaut mieux accomplir sa vie que la rêver » , j’ai envie de lui répondre que oui, bien sûr, il a théoriquement raison mais… quand je me plonge dans ces récits d’aventures et de glace, moi qui aime tant la neige, les pays nordiques et qui suis si frileuse, si peu sportive, je me dis que c’est bien la vie, aussi, parce qu’on peut la rêver ! 

 

PS : les documents en annexe sont appéciables :  d'abord une carte qui permet se suivre l'itinéraire de Whitehorse à Fairbanks, puis le lexique du vocabulaire de la course, les dessins de l'attelage, les résultats de la course (à ne pas lire avant la fin du livre pour bénéficier du suspense !)  et des photos.

mercredi 1 mars 2023

Jean-Claude Carrière : La controverse de Valladolid

 


Jean-Claude Carrière a écrit La Controverse de Valladolid en 1992. Le téléfilm avec Jean Louis Trintignant, Jean Pierre Marielle et Jean Carmet fut réalisé la même année.

 

 

La pièce de théâtre mise en scène par Jacques Lasalle a été créée au théâtre de l'Atelier en 1999. C'est cette pièce que j'ai lue pour découvrir le texte.

 


Jacques Weber était Bartolomé de Las Casas

Lambert Wilson : Sépulvéda

Le légat : Bernard Verley

Le supérieur : Jena Philippe Puymartin

Le colon Nicolas Bonnefoy / L'indien l'indienne Fredi Rojas/ Patricia Romero. Le bouffon Hassans dit Sasso. Le serviteur : Jean-Claude Gob. L'enfant indien en alternance Amadas Vias, Fiorella Arza. Jose Luis Lasluisa


La controverse de Valladolid



La Controverse de Valladolid a eu lieu en 1550 et en 1551 devant un collège d'ecclésiastiques à la demande de Charles Quint. Elle s'est faite autour des positions opposées de deux hommes d'église Bartolomé las Casas et Juan Gines Sépulvéda. Mais si leurs opinions sont divergentes comme nous allons le voir, il faut d'abord savoir qu'ils s'accordent, en religieux et en hommes de leur temps, sur deux points fondamentaux au départ :

1) Avec Aristote, ils sont d'accord pour dire qu'il y a des hommes nés pour être esclaves, d'autres pour dominer.

Sépulvéda : Aristote l'a dit très clairement : certains espèces humaines sont faites pour régir et dominer les autres.

2) Que tous les peuples sont nés pour être convertis au christianisme qui est une religion universelle ; c'est ce que veut le Christ.

Sepulvada : N'est-il pas établi, n'est-il pas parfaitement certain que tous les peuples de la terre, sans exception, ont été créés pour être chrétiens un jour ?

Le but de la controverse, après avoir admis que les Indiens ont une âme, est de déterminer si ce sont des esclaves « naturels », c'est à dire selon la théorie d'Aristote, s'ils appartiennent à une race humaine naturellement inférieure, des hommes nés pour obéir, ce qui justifie la guerre de conquête, l'esclavage et la conversion par la force. C'est la théorie de Sépuvélda. Ou si, au contraire, ce sont des hommes qui ne sont pas naturellement esclaves et donc qui doivent être libres et convertis par la douceur. C'est ce que pense Las Casas et c'est pourquoi il refuse le mot « conquête »« Il évoque pour moi des entrailles éparpillées, des terres volées, des militaires triomphants. Je préfère «évangélisation», « civilisation.» Il préconise la conversion par la persuasion et l'exemple du Bien.

Que peuvent-ils penser d'un Dieu que les chrétiens, les chrétiens qui les exterminent, tiennent pour juste et bon ? affirme Las Casas

Sépulvéda répond:

Ces indiens sont des sauvages féroces ! Non seulement il est juste mais il est nécessaire de soumettre leur corps à l'esclavage et leur esprit à la vraie religion !

On ne sait pas si ces deux hommes se sont réellement rencontrés pendant la controverse et ont débattu en public. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont échangé des lettres et se sont opposés dans leurs écrits et que c'est sur les textes de chacun d'entre eux que le débat s'est engagé. Jean-Claude Carrière tranche en les mettant face à face dans son livre car s'il se tient au plus près de la vérité historique, ce qui est important pour lui, c'est la vérité dramatique. La pièce de théâtre retient donc ce face à face.

Bartolome de las Casa

 

Frère Bartolomé las Casas

Bartolome de las Casas (1484_1566) est un dominicain. Il a d'abord exploité une encomienda  avec des esclaves sur l'île d'Hispaniola puis de Cuba où il était aumônier des troupes espagnoles, ce qui l'a enrichi. En 1514, un verset de l'Ecclésiaste lui fait prendre conscience de l'indignité de la colonisation et de l'horreur de l'esclavage des indiens maltraités et convertis de force au christianisme.

Certes Bartolomé las Casas a d'abord profité de la colonisation des terres nouvelles par les Espagnols mais sa conversion est celle d'une homme de cœur, sincère, horrifié, luttant de toutes ses forces pour sauver les peuples autochtones. C'est pourquoi il parle avec émotion, indignation de la cruauté des Espagnols, des atrocités commises « de ce spectacle d'horreur et d'épouvante ». Il dénonce le génocide de cette population soumise aux pires exactions.

J'ai vu des espagnols prendre la graisse d'Indiens vivants pour panser leurs blessures ! Vivants ! Je l'ai vu ! J'ai vu nos soldats leur couper le nez, les oreilles, la langue, les mains, les seins des femmes, oui, les tailler comme on taille un arbre ! Pour s'amuser ! Pour se distraire !

Dès lors, depuis cette conversion, il ne cessera de lutter pour les indigènes et rédige à l'intention de Charles Quint un réquisitoire contre la colonisation des peuples d'Amérique latine  : Très brève relation de la destruction des Indes. Il soulève la grave question de la responsabilité des Espagnols et dénonce leur cupidité et leur cruauté.

Depuis, c'est tout ce qu'ils réclament ! De l'or ! De l'or ! Apportez-nous de l'or ! Au point qu'en certains endroits les habitants des terres nouvelles disaient : Mais qu'est-ce qu'ils font avec tout cet or ? Ils doivent le manger ! Tout est soumis à l'or, tout ! Ainsi les malheureux Indiens sont-ils traités depuis le début comme des animaux privés de raison.

Dès la conquête, sur ordre de Cortez, on les marquait au visage de la lettre G, au fer rouge, pour indiquer qu'ils étaient esclaves de guerre. On les marque aujourd'hui du nom de leur propriétaire.

    Juan Gines de Sepulvada (1490_1573)

Juan Gines Sépulvéda

Juan Gines de Sepulvada (1490_1573) est lui aussi un  homme d'église espagnol. Il devient prêtre en 1537. Il a fait ses études dans les universités de Cordoue et Bologne et s'est spécialisée dans la philologie. Ses oeuvres Histoire de la conquête du Nouveau Monde et Des Justes causes de la guerre font de lui le défenseur de la colonisation et de l'esclavage.

On tressera des couronnes à l'Espagne pour avoir délivré la terre d'une espèce sanguinaire et maudite. Pour en avoir amené certains au vrai Dieu. De leur avoir appris tout ce que nous savons. Et surtout, on reconnaîtra nos efforts pour faire apparaître la vérité !

On notera que Las Casas est un homme d'action, un voyageur, il est le seul qui dans la l'assemblée connaît les Indiens alors que Sépulvéda est un homme d'étude, qui n'est jamais allée aux Amériques. Il est chroniqueur de l'empereur et précepteur de l'Infant, le futur Philippe II d'Espagne. Seul Las Casas connaît le Nouveau Monde, lui seul connaît bien les Indiens. Sépulvéda parle donc des Indiens par ouïe dire et prête foi parfois aux rumeurs les plus fantaisistes, légendes et croyances sans fondement. Il fait preuve de préjugés.  Ainsi, il dénie aux indiens l'intelligence, les connaissances techniques, l'accès à l'art. Or Cortez lui-même en arrivant à Mexico a écrit au Roi qu'il n'a jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi grandiose même en Espagne !

Le sauvage n'a pas le sens du beau, nous le savons. Esclave de naissance, l'accès à la beauté lui est par nature interdit.

Las Casas rétorque en montrant que, bien que païens, les indiens ne sont pas des hommes inférieurs mais des êtres intelligents, organisés en état. Ils montrent leur supériorité dans de nombreux domaines et ceci même sur la civilisation espagnole.

Et leur système d'irrigation ? Et leur écriture ? Et leur arithmétique ? Et leur habileté dans le dessin ? Et leur avancée dans la médecine, où ils savaient mieux lutter que nous contre la douleur ! Et leur connaissance du ciel, leur calendrier qu'on dit plus précis que le nôtre !

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Las Casas a proposé une réforme au roi en commençant par demander la suppression des encomiendas, terres livrées aux colons avec ses habitants qui deviennent esclaves, il pose la question de la reconnaissance de ceux-ci comme hommes libres travaillant pour un salaire. Mais comme ces propositions vont à l'encontre des intérêts des colons et de la couronne d'Espagne, outre que ces nouvelles lois n'ont pas été appliquées la plupart du temps, cette défense des Indiens aboutira à une autre iniquité : l'esclavage des noirs pour travailler dans les colonies espagnoles d'Amérique !