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dimanche 7 août 2016

Festival In d'Avignon 2016 : Tristesses - Anne-Cécile Vandalem /Les âmes mortes - Gogol et Kirill Serebrennikov/Babel 7.16 – Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet



Un dernier billet sur les spectacles du festival d’Avignon que j’ai vus cette année dans le IN car il est temps d’en finir et je pars en vacances en Lozère!

La 70e édition en chiffres :
La 70e édition du Festival IN d'Avignon a réuni 63 spectacles en 289 représentations dans 39 lieux. Sur 126 000 billets proposés à la vente, 120 000 billets ont été délivrés (+ 6,55% par rapport au total de l’édition 2015), soit un taux de fréquentation de 95%.
 Les manifestations gratuites ont comptabilisé 47 000 entrées libres.
 Fréquentation totale au 23 juillet 2016 :
167 000 entrées
La 70e édition : lucidité et espérance 
Ce Festival a incarné particulièrement cette année l’esprit de mobilisation, les spectateurs toujours plus nombreux préférant le partage de l’intelligence au silence de la peur ou à la violence du rejet.

Tristesses/ Anne-Cécile Vandalem auteure et metteuse en scène belge



"En passe de devenir Premier ministre, Martha Heiger, dirigeante du Parti du Réveil Populaire, retourne sur son île natale, Tristesses, pour enterrer sa mère retrouvée morte dans des circonstances qui restent encore à éclaircir. Après la faillite des abattoirs de Muspelheim, la candidate retrouve son village, exsangue, et profite de la situation pour jeter les bases d'un projet de propagande. Dans l'ombre, deux adolescentes décident de prendre les armes... Inspirée par la violence de la montée des nationalismes en Europe, la dernière création d'Anne-Cécile Vandalem dissèque avec humour ce qu'elle envisage comme l'une des plus redoutables « armes » de la politique contemporaine : « l'attristement des peuples ». Comment ? En liant de manière inextricable la tristesse à la comédie sociale, la politique à l'enquête de moeurs, l'émotion à sa propre résistance. En imaginant cette fable comme un polar nordique, animiste et surnaturel, la metteuse en scène croise la fiction et la réalité, le théâtre et le cinéma, les vivants et les morts. Un thriller où le passé télescope le présent, où les personnages sont pris dans des postures drôles et cruelles, et où le pouvoir insidieux des médias domine. « Un des états de la tristesse ».

LA DEPÊCHE AVIGNON (AFP) -  la dépêche voir ICI
C'est la pièce la plus terrifiante et la plus aboutie à ce stade du festival d'Avignon: "Tristesses", de la Belge Anne-Cécile Vandalem, raconte la prise de pouvoir d'une dirigeante d'extrême droite sur les habitants d'une petite île au Danemark.

Mon avis :  Effectivement Tristesses est un beau, triste mais nécessaire spectacle, polar nordique comme le disent les critiques, mais surtout théâtre politique, ancré dans notre temps. Le spectacle montre le triomphe de l’extrême-droite et comment, au nom de cette idéologie pernicieuse, Martha, chef du parti du Réveil populaire et son père, triste individu sans scrupules, n’hésite pas à faire sombrer  économiquement les habitants de cette petite île pour récupérer le pouvoir.  Rien ne pourrait être plus d'actualité et la mise en scène entre vidéo et théâtre est très réussie.

Les âmes mortes d’après Gogol : Kirill Serebrennikov metteur en scène russe

 

"Dans la Russie des années 1820, Tchitchikov homme ordinaire mais astucieux, cherche fortune et applique une idée peu commune : acheter à très bas prix les titres de propriété de serfs décédés mais non encore enregistrés comme tels par l'administration, pour les hypothéquer et en retirer bien plus d'argent qu'ils n'en valent en réalité. Au fil des tractations et des transactions de ce personnage, Nikolaï Gogol construit une oeuvre monumentale en forme de galerie de portraits dont la trivialité d'abord drôle devient vite inquiétante. L'écrivain semble nous dire que le pire n'est pas que les âmes vivantes marchandent celles des morts... mais qu'elles se révèlent toutes corrompues par le jeu, l'alcool et la cupidité. S'inspirant de cette oeuvre historique qui attira tant de haine à l'auteur qu'il la renia, le metteur en scène Kirill Serebrennikov fait défiler les habitants de la ville de « N. » dans un décor de contreplaqué qui laisse résonner les travers de l'humanité de toutes les époques, de la Russie à toutes les régions du monde. Castelet pour dix acteurs qui, comme des pantins, endossent les innombrables rôles du roman ou misérable cercueil pour des âmes aux intérêts si morbides qu'elles sont dénuées de vitalité, cette boîte est le théâtre d'un humour grinçant et d'une choralité absurde. Un espace-temps où les relations humaines sont sans perspective sur le moindre changement."

Mon avis : Même avec beaucoup d’idées et une grande inventivité, la mise en scène m’a laissée en dehors. Je ne suis pas arrivée à entrer dans cette pièce. J’ai trouvé que c’était long et surtout répétitif en particulier lors de chaque achat d’âmes mortes. Je n’ai apprécié vraiment que la fin beaucoup plus poétique lorsque les ombres des âmes mortes reviennent sur scène. A noter que le manque de climatisation et la chaleur suffocante de la Fabrica n’ont rien arrangé!

 Babel 7.16 –  Sidi Larbi Cherkaoui chorégraphe flamand -marocain et Damien Jalet chorégraphe franco-belge


"Babel 7.16 : réactualisation ou recréation ? Aujourd'hui, pour les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, il ne s'agit plus de voir la pièce dans les mêmes dispositions que celle de 2010 du triptyque composé avec Foi et Myth. L'extension du titre en est l'incarnation : 7.16 fait autant référence aux codes des logiciels qu'aux versets d'un texte sacré, à une date contemporaine qu'au pouvoir d'une numérologie archaïque. La pièce convoque le choc des langues et des corps porteurs de différentes nationalités, la diversité et la difficulté à être dans la coexistence et confronte l'unicité à la communauté. Elle questionne notre rapport au changement où la technologie modifie constamment nos empathies et nos connexions. Babel 7.16, tout comme la pièce originale, met en scène des danseurs qui partagent avec humour leurs héritages immuables mais en métamorphose constante. Danser cette contradiction, c'est comme explorer les mots par le corps, éviter l'écueil de l'indicible grâce au geste et à l'action. Dans le mythe initial, il est dit que Dieu ne voulait pas partager son territoire, les hommes, eux, voulaient se rapprocher de Lui. « Le partage est une décision, une attitude, face aux événements traumatiques notamment. Ces instants où l'extrême solidarité se confrontent à la peur de partager ». En invitant au plateau l'intégralité des danseurs qui ont fait de Babel une référence chorégraphique, les deux chorégraphes issus d'une Belgique flamande et francophone, divisée et unitaire, ont placé la masse, l'histoire et le territoire dans la Cour d'honneur du Palais des papes. Dans le centre des centres, là où les murs continuent à nous raconter des histoires de prérogatives et d'immuabilité du pouvoir et de la religion mais subliment et accueillent le vivant dans sa complexité."
LA CROIX critique : 
"Les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet réactualisent à Avignon, à travers Babel 7.16, l’un de leurs succès, dans un tourbillon de langues, de nationalités et de trouvailles souvent réjouissantes, parfois étourdissantes.
La cour d’honneur du palais des Papes a frémi mercredi soir, quand, alors que l’obscurité achevait d’envelopper ses hauts murs, les danseurs de Babel 7.16 se sont alignés.
Vingt hommes et femmes, qui, les uns après les autres, ont planté leurs poings dans le sol en criant le mot « terre » dans différentes langues, avant de danser aux rythmes d’énormes tambours japonais.
Cette saisissante entrée en matière marque le moment du récit de la tour de Babel où Dieu, punissant les hommes d’avoir voulu élever leur édifice jusqu’aux cieux, confond leur langage afin qu’ils ne s’entendent plus. 
Si la pièce se trouve réadaptée six ans plus tard à Avignon, c’est parce que les tensions qu’elle explore, avec un humour salvateur, agitent plus que jamais notre actualité. Tous les danseurs ayant donné vie à Babel (words) se rassemblent pour une version XXL, où voisinent dix-sept langues et vingt nationalités.
 Voir la suite de l'article ICI

Mon avis :  encore un très beau spectacle, une chorégraphie éblouissante dans le cadre magnifique de la cour d'Honneur. Et toujours comme beaucoup de spectacles du In comme du Off, un théâtre engagé dans l'actualité. Décidément le Festival a amené cette année à une réflexion sur toutes les questions que nous nous posons sur notre société.

mercredi 6 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Fabrice Luchini et moi de Olivier Sauton au théâtre du Rempart



Je sors du théâtre du Rempart et je suis encore tout imprégnée par la pièce d’Olivier Sauton, Fabrice Luchini et Moi

Olivier Sauton est un grand admirateur de ce comédien. Il y a dix-huit ans, alors qu’il n’est qu’un jeune homme inculte, il rencontre Fabrice Luchini dans Paris, à trois heures du matin, et lui demande de lui réciter une fable de La Fontaine. A partir de cette anecdote vraie et inoubliable, il écrit une histoire  « réelle mais qui n’a jamais existé » dans lequel Fabrice Luchini devient son professeur et lui insuffle son amour du mot juste et du Bien Dire mais aussi son culte des grands auteurs classiques.
Une déclaration d’amour à la littérature et au théâtre pendant lequel le spectateur est partagé entre le rire et l’émotion.
Car l’on rit beaucoup dans cette pièce tant le mimétisme d’Olivier Sauton qui devient Luchini est étonnant voire hallucinant : transformation du visage, les yeux s’arrondissent, la bouche s’affaisse, découvre les dents et laisse tomber les mots en les détachant avec délectation, les tics apparaissent, sidérants de vérité, la voix aussi est celle de l’acteur.
 Mais la ressemblance n’est pas seulement visuelle et extérieure, ce qui intéresse Olivier Sauton c’est de nous faire partager les idées de Luchini ( et les siennes!) sur la littérature, la grande, celle qui peut transformer une vie, lui donner un sens. Le rire alterne avec l’émotion. Le sens du texte s’approfondit avec cette interprétation à la fois iconoclaste et magistrale de La cigale et la fourmi dans lequel Luchini-Sauton prennent le parti du travail sérieux et intense comme seul moyen d’accéder au génie; car celui-ci nous disent-ils est le fait d’un peu de talent et de beaucoup de travail. Vive la fourmi, donc!  Quant au Enivrez-vous de Baudelaire, il est un appel vibrant, une invitation à la vie et ce poème prend toute sa saveur avec cette « leçon » dispensée devant nous tandis que les extraits du Misanthrope sont d’une belle sobriété, vraie et touchante. Ainsi naissent de grands moments d’émotion comme seule la littérature peut nous procurer. De même lorsque Luchini engage son élève à écouter le silence d’un théâtre, le recueillement qui y règne, le théâtre comme une cathédrale sans prêtres et touristes, le théâtre comme lieu de communion et de partage.
Vous aimez la littérature et le théâtre, vous aimez Fabrice Luchini, vous aimez rire? Ne ratez pas cette pièce. C’est un régal!


 Fabrice Luchini et moi 
 Olivier Sauton auteur et interprète
 théâtre du Rempart 10H10
durée 1H15


Et pour le plaisir...
Enivrez-vous Baudelaire
 
Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.
Spleen de Paris (In Les petits poèmes en prose)

mardi 5 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Ma folle otarie de Pierre Notte au théâtre des Halles

Brice  Hillairet

Nous avons pu assister aujourd’hui à l’avant-première de Ma folle otarie de Pierre Notte. Si je tenais absolument à voir ce spectacle, c’est que j’avais été séduite par La Pédagogie de l’échec du même auteur, pièce mise en scène par Alain Timar, donnée au festival d’Avignon l’année dernière, satire cruelle en même temps qu’hilarante du monde de l’entreprise, de ses hiérarchies, de ses férocités.

Ma folle Otarie est une pièce d’un tout autre genre, plus noire car l’humour n’y joue pas le rôle de soupape de sécurité ! Nous sommes plongés dans un univers où il nous faut découvrir la réalité sous l’image, la cruauté de la vie sous la fantaisie et l’imaginaire le plus débridé! Une invitation à l’imagination.
Le personnage -brillamment  interprété- par Brice Hillairet est un homme timoré, qui n’a jamais pu vivre sa vie, qui n’a jamais osé élever le ton, jamais osé s’affirmer, voire se révolter. Son seul amour épistolaire, Esmaralda, est morte dans un accident d’avion, avant de l’avoir connu, en venant le rejoindre de son pays lointain.
Or voilà que le postérieur du jeune homme se met à enfler jusqu’à atteindre un diamètre impressionnant.  Cette affreuse disgrâce qui le rend frère de l’otarie est comme la métaphore d’une vie ratée, la matérialisation de tout ce qui va mal dans l’individu, de tout ce qui conduit à la la marginalisation, à la différence. Voilà notre héros viré de son travail, au chômage, provoquant l’hilarité des employés de Pôle Emploi et les moqueries des enfants et des adultes. Cruauté devant la différence, exclusion de tous ceux qui sortent des normes. Il devient un "freak" présenté comme un monstre de foire pour satisfaire la curiosité malsaine du public.
Le texte est parfois d’une grande fulgurance poétique et fait naître de belles images. Après son suicide quand l’homme au « gros cul » flotte dans l’eau, nous voyons les vagues qui le secouent, les herbes marines qui se révèlent être les longs cheveux de sa bien-aimée Esméralda, un univers marin ou brille le diamant noir qu’il lui a offert. Et puis il y a la demoiselle-otarie aux yeux ronds qu’il va secourir, éprouvant pour la première fois le bonheur d’être utile à quelqu’un, le premier pas vers la délivrance.
Quant à la mise en scène, très serrée, précise, elle exige du comédien quelques prouesses. Celle de jouer dans un petit carré de lumière, tour à tour ascenseur, rame de métro où il est bloqué mais aussi représentation de son univers mental, enfermement dans ses angoisses et dans son monumental physique.
Un très bon spectacle donc à voir et à savourer!

dimanche 1 mai 2016

Henrik Ibsen : Une maison de poupée


Dans Une maison de poupée, Nora est considérée par son époux Torvald Helmer comme une femme-enfant, jolie, délicieuse, gaie mais puérile et sans cervelle et surtout… très dépensière. Mais enfin, l’on ne demande pas à une femme d’être intelligente et le couple s’entend bien, le mari bêtifiant à qui mieux mieux avec son « petit écureuil »  et sa charmante «  alouette », bref sa poupée. Pourtant Nora quand elle se confie à son amie madame Linke est beaucoup plus sérieuse qu’il ne paraît. Pour sauver son mari, malade et à qui il fallait un séjour dans un pays chaud, elle a emprunté en secret de l’argent à un avocat véreux, Krogstad. Et pour cela elle a fait une fausse signature, celle de son père, puisqu’elle n’a pas le droit en tant que femme de signer. Elle rembourse chaque mois sa dette en rognant sur les dépenses du ménage et en se privant de tout. Mais l’avocat qui veut obtenir un poste dans la banque dont Helmer est devenu le directeur la menace de la poursuivre en justice si Helmer ne lui donne pas satisfaction. Nora désespérée pense que Helmer va vouloir prendre sa faute et se faire condamner à sa place. Elle est prête à mourir plutôt que d’envoyer son mari en prison. Mais lorsque celui-ci apprend la vérité, il accepte le chantage de Krogstad et condamne sévèrement la jeune femme. Furieux, il décide de la séparer de ses enfants car elle ne lui paraît pas digne de les élever. Aussi lorsque l’avocat renonce à la poursuivre, Nora refuse de jouer à nouveau à la maison de poupée, avec un mari redevenu indulgent; elle prend conscience qu’elle n’a jamais pu être elle-même et décide de partir pour être libre et devenir enfin adulte.

Jane Fonda dans le rôle de Nora

Une maison de poupée est ma pièce préférée de Henrik Ibsen. Le thème féministe qui m’intéresse particulièrement y est pour beaucoup évidemment. Il pose le problème de la liberté de la femme toujours considéré comme une mineure dans une société où elle doit tout attendre de son mari.
Le mot « féministe » nous explique Régis Boyer dans les notes écrites à propos de La maison de poupée n’est pas le terme qui convient précisément à Ibsen. Il était surtout moraliste et la double morale pratiquée en son temps entre l’homme et la femme, - douce et indulgente pour l’un et implacable pour l’autre-  le révoltait. Il écrivait : « Une femme ne saurait être elle-même dans la société de notre temps, c’est une société exclusivement masculine avec des lois écrites par des hommes et avec des accusateurs et des juges qui condamnent la conduite d’une femme d’un point de vue masculin. »
Or ce thème est traité ici d’une manière relativement optimiste, qui donne du baume au coeur, grâce au personnage de Nora. On sent toute la tendresse de Henrik Ibsen envers ce personnage qu’il a doté de grâce, de vivacité (écureuil, alouette), de sensibilité mais aussi d’intelligence et de courage. Elle dit adieu à son confort douillet, à ses enfants, car elle ne peut vivre dans le mensonge, continuer à faire semblant. Nora est une enfant qui devient une adulte devant nos yeux, qui prend conscience de la réalité et qui n’accepte pas les compromis. La conduite de son mari envers elle lui dessille les yeux, elle acquiert la lucidité et elle dénonce une société qui maintient les femmes dans l’ignorance et dans l’enfance mais qui les stigmatise quand elles ne connaissent pas les lois et commettent des erreurs. Ibsen signifie par là que tous les individus, femmes ou hommes, ont le droit d’être eux-mêmes, de chercher leur « vérité » et de refuser le « mensonge vital », celui de Peer Gynt ou des personnages de La cane sauvage.

Inutile de dire encore une fois que le dénouement de la pièce fit un scandale : une femme qui quitte son mari et qui abandonne ses enfants avait peu de chance de rencontrer la compréhension. D’ailleurs en est-il autrement aujourd’hui?






Bravo à : Aifelle, Eeguab, Keisha... et merci!

Une maison de poupée pièce de Henrik Ibsen
Le film : Une maison de poupée de Joseph Losey





vendredi 8 avril 2016

Henrik Ibsen : Hedda Gabler


Hedda Gabler, la fille du général Gabler, femme impérieuse, passionnée de tir aux pistolets qu’elle tient de son père, s’est mariée avec Jorgan Tesman. Celui-ci vient de finir sa thèse d’histoire de la culture et attend un poste à l’université. Au retour de leur voyage de noces, ils rentrent à Oslo. L’indifférence de Hedda pour son mari apparaît très vite. Elle ne supporte pas la vieille tante de Jorgan, Julia, qui a élevé le jeune garçon à la mort de sa mère, elle juge son mari peu brillant, terre à terre, ennuyeux, le méprise et refuse de participer à ses soucis lorsque sa nomination à l’université semble compromise.De plus, elle est peut-être enceinte et horrifiée de l’être. La visite de Thea Elvsted, une ancienne compagne de classe, qui va lui donner des nouvelles de Eijlert Lovborg, provoque le drame.
Eijlert Lovborg est un brillant écrivain que sa conduite a mis au ban de la société. Alcoolique, il est tombé dans la déchéance et c’est Thea Elvsted qui le sort de l’ornière en lui redonnant le goût du travail.  Thea est très attachée à cette résurrection morale qui est son oeuvre.  Hedda Gabler qui a été  la maîtresse de l’écrivain ne supporte pas que Thea joue un tel rôle auprès de Lovborg. Or, il est de retour à Oslo. Hedda décide de réapparaître dans la vie de l’écrivain et d’exercer son influence sur lui afin de diriger sa vie. Mais Lobvorg ne se montre pas à la hauteur de ce qu’elle attendait. Hedda Gabler se suicide en se tirant un coup de pistolet.

Ingrid Bergman dans le rôle de Hedda Gabler

Toutes les grandes actrices ont rêvé d’interpréter le rôle de Hedda Gabler car ce personnage aux motivations difficiles à comprendre, qui paraît irrationnelle et peu adaptée à l’étroitesse et au puritanisme de la société dans laquelle elle vit, exige des prouesses d’interprétation. Il faut dire que sa complexité déroute et passionne à la fois.
 Ce qui a retenu mon attention c’est la volonté de Henrik Ibsen de donner, dans le titre de la pièce, le nom de jeune fille et non le nom d’épouse : Hedda Gabler et non Hedda Tesman. Il insiste ainsi sur le fait que la jeune femme reste la fille de son père plus que l’épouse de son mari. Définir ainsi le personnage permet de mettre en relief l’origine sociale de Hedda, la grande bourgeoisie, et une éducation qui a dû être moins conformiste que celle des autres jeunes filles de sa classe, témoin les pistolets dont Hedda adore se servir et le caractère capricieux et libre de la jeune femme. Son dédain des autres, la haute opinion qu’elle a d’elle-même, son désir de s’affranchir des contraintes sociales, se heurtent à un obstacle majeur dans la société de son temps. Elle est femme et ne peut donc se réaliser par elle-même. Elle qui est éprise de liberté et d’absolu, n’a d’autre échappatoire que le mariage. C’est pourquoi elle décide de faire un fin : épouser Jorgan Tesman. Lui ou un autre, cela n’a pas d’importance. Hedda Gabler symbolise l’emprisonnement moral et social de la femme dans une société qui la cantonne au rôle d’épouse et de mère. C’est insupportable pour une femme qui n’en a pas la vocation! Elle est elle aussi la soeur de  la Nora de La maison de poupées, mais une soeur négative et malfaisante. Hedda ne peut prouver sa valeur et trouver un sens à sa vie qu’en manipulant les hommes, en les tenant sous sa coupe, non sans machiavélisme!  C’est pourquoi elle est condamnée à mourir.
Ceci est une interprétation sociale et psychologique du personnage mais il y a en a beaucoup d’autres. Elle a souvent été étudiée par le biais de la psychanalyse à la lumière de Freud ou bien sous l’influence de la philosophie de Nietzsche qu’évoque la volonté de puissance de Hedda. Elle fait le régal des metteurs en scène et suscite les analyses les plus diverses depuis sa création en 1890. Hedda Gabler est  l'une des oeuvres la plus célèbre de Henrik Ibsen.



Henrik Ibsen

Henrik Johan Ibsen est un dramaturge norvégien. Il se présente comme un « anarchiste aristocrate». Fils de Marichen Ibsen et de Knud Ibsen, Henrik Johan Ibsen naît dans un foyer que la faillite des affaires paternelles, en 1835, désunit rapidement.…
Ses œuvres les plus connues sont Une maison de Poupée, La cane sauvage,  Rosmershom, Hedda Gabler, Peer Gynt... Certaines pièces plus politiques, comme Les prétendants à la couronne , les Revenants, Un ennemi du peuple ont souvent heurté l'opinion progressiste ou de la gauche norvégienne. Cependant, selon Jeanne Pailler, Henrik Ibsen est un «auteur de drames historiques et de pièces intimistes, considéré comme un réformiste acharné par les uns, comme un conservateur par les autres » Hostile aux partis cléricaux et au traditionalisme de la monarchie norvégienne de son temps, il est souvent vu comme un libéral en Norvège. ( source wikipedia)



dimanche 27 mars 2016

Henrik Ibsen : La dame de la mer

Chagall : La Baie des Anges  NIce sirène
Chagall : La Baie des Anges

La dame de la mer est une des pièces d’Ibsen paru en 1888 qui est de loin l'une des plus optimistes  des pièces de Henrik Ibsen.

L'intrigue 

Jean-Francis Auburtin : Sirènes peintre breton 1920
Jean-Francis Auburtin : Sirènes
Le docteur Wangel, un homme bon et sincère, a deux filles, Bolette et Hilde, de sa première épouse. Veuf, il se remarie avec Ellida, une jeune femme étrange qui vit mal son implantation au bord d'un Fjord, trop loin de la mer dont elle n’a jamais été éloignée jusqu’alors. Elle a besoin de cet  élément  pour vivre d’où son surnom La dame de la mer. La pièce commence avec l’arrivée d’Arnholm, ancien professeur de Bolette qui revient la voir, elle et sa famille, après des années d’absence. Il y a aussi la présence d’un jeune artiste malade, Lyngstrand, dont les bavardages parfois importuns vont apporter des éléments nouveaux à l’action.
  Ellida se confie d’abord à Arnholm qui est son ami, puis à son mari. Peu à peu l’on apprend que la dame de la mer est marquée par le souvenir du passé et d’un homme à qui elle a été promise. Il l’a quittée, après avoir commis un crime, en s’embarquant sur un navire non sans lui avoir fait  jurer de l’attendre. Il a scellé ce serment en jetant leurs bagues à la mer. Cet homme a appris son mariage et Ellida sait qu’il reviendra la chercher pour l’amener. L’aime-t-elle? Non, semble-t-il, car elle  se sent très attachée à son mari Wangel malgré la différence d’âge. Pourquoi cet aventurier de la mer exerce-t-il alors sur elle une telle fascination? S’agit-il d’une fatalité à laquelle elle ne pourrait échapper? Est-elle vraiment libre?

Une femme venue de la mer : le Folklore scandinave

Mairmaid : Waterhouse
 Cette femme venue de la mer et ce mariage symbolique qui placent la nature au centre la pièce nous plongent au coeur des vieilles légendes nordiques. Telle une banshee des légendes celtiques ou une sirène  à queue de poisson du folklore scandinave, Ellida semble sortie de la mer pour épouser un homme de la Terre. La mer possède une telle une attraction qu’il semble inutile de vouloir lui résister. Ellida se sent marquée par la fatalité et quand elle se confie à son mari c’est pour recevoir son aide. Mais elle reste persuadée qu’elle ne saura pas résister à l’homme qui va venir l’enlever à son mari.  C’est ce qui a permis d’interpréter la pièce d’Ibsen comme une exploration de la folie; de quelle maladie mentale souffre cette femme affligée, quelle névrose la ronge? Les critiques de l’époque, rejetant l'interprétation issue de la légende, ont pensé qu’elle était sous influence hypnotique (l’hypnose est très à la mode à cette époque), comme envoûtée par cet homme qui possède une pouvoir anormal sur elle.

Une femme privée de liberté

La dame de la mer entre son mari Wangel et le marin mise en scène Claude Baqué (Paris Les bouffes du Nord 2012)

Mais une autre explication psychologique me paraît très intéressante. Ellida n’a jamais été libre de penser et d’agir par elle-même, il y a d’abord eu son père, gardien de phare, puis ce marin auréolé de mystère qu’elle a cru aimer, puis son mari. Quand elle a épousé le docteur Wangel à la mort de son père, elle était seule, sans ressources, elle n’avait pas d’autre choix. L’attachement est venu après, grâce à la bonté et l’amour de son mari. Pour moi, Ellida est une soeur de la Nora de La maison de poupées. C’est le sort des femmes, en général, au XIX siècle. La loi les maintient sous tutelle, elles restent d’éternelles mineures, doivent obéissance à leur mari. La fatalité qui pèse sur Ellida n’en est pas une, c’est surtout l’incapacité de choisir, l’impossibilité de dire non, l’ignorance de son moi profond. Il n’est pas étonnant donc que les mots d’amour de Wangel la libèrent quand il lui donne le choix, lui dit qu’elle est libre, qu’elle seule peut décider. Une interprétation réaliste, donc, d'un thème cher à Ibsen, une revendication en faveur des femmes que l’on retrouve aussi avec le personnage de Bolette.

Un relatif optimisme 

Bolette et le professeur Arnholm :  Source
C’est la première fois que je rencontre chez Ibsen autant de personnages positifs, sincères et désintéressés. Ellida est une victime et une femme attachante, intéressante. Le docteur Wangel sait s’oublier soi-même pour aider son épouse. Il n’est pas sans faiblesse. Il néglige ses filles en faveur de sa toute jeune femme même s’il les aime profondément. Mais il est prêt à sacrifier son bonheur pour sauver Ellida.
Bolette et Hilde Wangel sont des jeunes filles charmantes, intelligentes et elles ont du caractère. Quant à Arnholm, l’amour qu’il éprouve pour Bolette, est si sincère qu’il se montre grand et généreux envers elle. Lui aussi donne la liberté du choix à la jeune fille.
Une belle pièce et qui pour une fois se termine bien! On comprend que la diversité des interprétations entre romantisme, symbolisme, réalisme, soit un vrai bonheur pour les metteurs en scène!


Ellida. — Écoute, Wangel, il est inutile, à l’heure qu’il est, de nous mentir.

Wangel. — Nous nous sommes donc menti, jusqu’à présent ?

E. — Oui. Ou, du moins, nous nous sommes dissimulé la vérité. La vérité, la vérité pure et sans fard, c’est que tu es venu là-bas m’acheter…

W. — T’acheter ! Tu dis que je t’ai… achetée !

E. — Oh ! je ne me fais pas meilleure que toi. J’ai consenti. Je me suis vendue.

W, la regardant douloureusement. — Ellida, as-tu vraiment le coeur de parler ainsi ?

E. — De quel nom veux-tu donc que j’appelle ce qui s’est passé ? La solitude te pesait, tu as cherché une autre femme.

W. — J’ai cherché une seconde mère pour les enfants, Ellida.

E. — Oui, par surcroît. Peut-être. Et, encore, tu ne pouvais pas savoir si je convenais à ce rôle. Tu m’avais vue. Tu m’avais parlé deux ou trois fois. C’est tout. Je te plaisais, et alors…

W. — Bien, appelle cela comme tu voudras.

E. — De mon côté j’étais seule, sans ressources, sans soutien. Rien d’étonnant à ce que j’aie accepté l’offre que tu m’as faite d’assurer mon avenir.

W. — Ce n’est vraiment pas ainsi que j’ai envisagé la question, chère Ellida. Il ne s’agissait pas d’assurer ton avenir, il s’agissait, je te l’ai loyalement déclaré, de partager avec les enfants et moi le peu que je possède.

E. — Oui, tu me l’as déclaré. Et moi, j’aurais dû dire non ! Jamais, à aucun prix, je n’aurais dû me vendre! Plutôt le travail le plus humble, les conditions les plus misérables, librement acceptées, librement choisies !




vendredi 25 mars 2016

Shakespeare : Cymbeline

Cymbeline et Posthumus de Thomas Faed

La pièce de Shakespeare, Cymbeline, parue en 1611 a d’abord été considérée comme une tragédie, puis une comédie avant d’être classée parmi les romances tardives du dramaturge avec notamment Le conte d’Hiver, la Tempête, Les deux nobles cousins.
Il faut dire que l’intrigue est si complexe, les lieux si divers, l’ancienne Bretagne mais aussi la Bretagne élizabethaine, la Rome antique et l’Italie de la Renaissance, les personnages si nombreux … que la pièce semble correspondre à un genre nouveau, la romance, apprécié par le public en ce début du XVII siècle. En France, aussi, c’est l’époque du roman baroque comme l’Astrée d’Honoré d’Urfé .

Dame Ellen Terry dans le rôle d'Imogen

L’intrigue est enchevêtrée  et je ne vous en révèle que les grandes lignes :

Cymbeline, roi de (Grande)- Bretagne, a perdu ses deux fils qui lui ont été enlevés à l’enfance. Il veut faire de sa fille Imogène, son héritière et la marier à Cloten, fils de sa seconde épouse, la Reine. Mais Imogène se marie contre la volonté de son père à Posthumus, un gentilhomme pauvre. Ce dernier est exilé en Italie et Imogène reste sous la surveillance de sa marâtre la Reine, sommée d’épouser Cloten. Le royaume qui refuse de payer un tribut à Rome va de nouveau être envahi. La guerre éclate.

A Rome, Posthumus qui vante les qualités et la vertu de son épouse est attaqué par Jachimo qui prétend pouvoir obtenir les faveurs de la Belle. L’anneau d’or donné à Posthumus par Imogène sert de gage. Jachimo, ne parvient pas à séduire Imogène mais lui dérobe son bracelet comme preuve de sa victoire. Posthumus, fou de jalousie, commande à son valet, le fidèle Pisanio, de tuer son épouse. Imogene qui s’est enfuie de la cour, déguisée en garçon, pour chercher à rejoindre son mari, se réfugie dans une forêt et est recueillie par un vieux noble banni de la cour, Belarius, qui vit là avec ses deux fils. On apprendra vite qu’ils sont, en réalité, les enfants de Cymbeline. 
Ces deux fils conducteurs vont se rejoindre pour former un dénouement dont on ne sait jusqu’à la fin s’il va être tragique ou non.

Imogène dans la grotte de Belarius :  George Dawe

Ce qui est étonnant dans la pièce c’est sa ressemblance avec un conte traditionnel et en particulier avec Blanche Neige. La marâtre qui feint d’aimer sa belle fille en public, est odieuse. Elle demande à son vieux médecin une potion pour tuer la jeune fille. Le vieillard qui a percé les intentions de la reine fabrique une médecine qui donne l’apparence de la mort. Le serviteur Pisanio qui accompagne la fuite d’Imogène en forêt refuse de la tuer. Il lui donne la potion qui la plonge dans un profond sommeil. La jeune femme est retrouvée par Belarius et ses fils qui la croient morte et qui l’allongent sur un lit de fleurs. Vous avouerez que les similitudes sont évidentes.

Il y a aussi dans la pièce de nombreuses rappels des oeuvres précédentes : La potion qui provoque une mort apparente, c’est, bien sûr, Roméo et Juliette, le mari jaloux, aux pulsions meurtrières, c’est Othello, ou  Leonte d’un Conte d’Hiver ou encore Claudio accusant Hero dans Beaucoup de bruit pour rien. La bague comme gage d’amour que l’amoureux doit conserver envers et contre tout et qu’il finit par céder est une allusion à Portia et Bassano du Marchand de Venise. Quant au déguisement en garçon, on pense bien évidemment à Viola dans La nuit des rois mais aussi à Rosalinde dans Comme il vous plaira qui part se réfugier dans un forêt  où elle retrouve, comme Imogène, ceux qui ont été spoliés par le tyran. On voit donc la richesse de Cymbeline qui reprend les thèmes récurrents  chers au dramaturge.
Cymbeline présente toutes sortes d’invraisemblances, d’évènements irréels, d’effets artificiels si bien que la crédulité du spectateur est mise à rude épreuve. Il faut donc accepter de se plier aux conventions théâtrales et laisser de côté son sens critique pour pouvoir entrer dans la pièce. Il est certain que l’on a l’impression de partir un peu dans tous les sens et puis comme d’habitude l’ordre va surgir de tout ce désordre, l’univers retrouver un sens.
 Il va me falloir d’autres lectures de la pièce pour l’apprivoiser. Je m’y intéresse particulièrement car le 16 Octobre de cette année, je suis invitée à Londres par des amis et nous irons voir une adaptation de cette pièce au théâtre du Globe! Génial, Non? Oui, mais il va falloir que je comprenne la représentation en anglais!


Lecture commune avec Jeneen et Miriam ICI

QUI veut faire une autre lecture commune de Shakespeare avec moi? Je propose pour le 25 Avril : 
 PEINES D AMOUR PERDUES ou si vous l'avez déjà lue une autre comédie de Shakespeare au choix




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Festival d'Avignon : l'avant-programme


On peut déjà lire l'avant-programme du festival d'Avignon dans Le Monde.
Le festival s'ouvrira dans la cour d'honneur par les Damnés interprété par la Comédie française, d'après le film de Visconti, avec le metteur en scène flamand Ivo Van Hove. 2666, le roman monstre de Roberto Bolaño, adapté en un marathon de douze heures par Julien Gosselin .

"C’est sous un sceau bien particulier qu’Olivier Py, le directeur du Festival d'Avignon a choisi de placer la 70e édition, qui aura lieu du 6 au 24 juillet, et dont il a annoncé le programme jeudi 24 mars dans la Cité des papes, avant de le faire à Paris à l’Institut du monde arabe, vendredi 25. "
En savoir plus sur  Le Monde

Déjà des titres qui me tentent :
 Qué haré yo con esta espada?, la nouvelle création d’Angélica Liddell ; Karamazov, d’après Dostoïevski, monté par Jean Bellorini dans la carrière de Boulbon, rouverte pour l’occasion ; Place des héros, de Thomas Bernhard, mis en scène en lituanien par le Polonais Krystian Lupa ; enfin, Sidi Larbi Cherkaoui dans la Cour d’honneur, avec Babel 7.16.
 
Un festival très féminin et très jeune nous dit-on.



mardi 15 mars 2016

Henrik Ibsen : la cane sauvage


Dans la collection de la Pléïade, Régis Boyer explique que les pièces de Henrik Ibsen sont parfois difficiles à comprendre pour un esprit latin mais beaucoup moins, en général, pour un scandinave. Pourtant il constate que même les norvégiens ont paru désorienté par la pièce d’Ibsen La Cane sauvage et il écrit :
« Cette histoire de cane sauvage désarçonnait au risque de masquer le véritable tragique du sujet. Qu’est-ce que ce bric-à-brac où évoluent une petite fille presque aveugle, une femme qui ne cesse de dire un mot pour un autre, un pleutre grotesque qui est fatigué avant d’avoir entrepris quoi que ce soit, le tout sur un arrière plan de grenier-forêt sauvage où roucoulent des pigeons « culbutants » ou caquètent des poules et dont sort un prétendu lieutenant, en képi, tenant dans la dextre un lapin écorché? C’est pourquoi les représentations ne furent pas aussi nombreuses ni applaudies que pour d’autres pièces. »

Hjalmar et sa fille Hedvig dans le fim La cane sauvage

Et oui, surprenant ce résumé, non? Et pourtant, c’est bien ça!
La petite fille qui devient aveugle c’est Hedvig, quatorze ans, fille de Gina et Hjalmar Ekdal, une délicieuse fillette qui adore et admire son père. Sa mère, la femme qui dit un mot pour l’autre, Gina, de condition modeste, joue à la bourgeoise en employant des mots qu’elle ne connaît pas et qu’elle déforme. Mais si elle a bien des travers, le mensonge et une conscience peu chatouilleuse, Gina est sincère dans son dévouement et son amour envers son mari.
Le pleutre grotesque, paresseux et de faible intelligence, qui se prend pour un génie et fait travailler sa femme et sa fille, c’est Hjalmar. Le lieutenant en képi est le vieil Ekdal, le grand père de Hedvig. Personnage pathétique, sénile, alcoolique, il considère le grenier comme une forêt et un terrain de chasse. Il a été officier, grand chasseur, mais il est déshonoré et ruiné après avoir été grugé par Werle, grand bourgeois, richissime propriétaire d’usines. Enfin, n’oublions pas le fils Werle, Gregers, un imbécile puritain, exalté, qui va mettre le feu au ménage des Ekdal sous prétexte de purification, à la recherche de la vérité absolue qu'il appelle "la créance idéale".

Hedvig Ibsen* de Grandjean (1840)

Voilà les personnages d’Ibsen et, jamais, le dramaturge n’a été aussi noir et aussi pessimiste. On sent en lui un mépris de la nature humaine, une féroce ironie envers ces  personnages qui sont des imbéciles, dangereux pour Gregers, et tout aussi condamnable pour Hjalmar suffisant, égoïste et veule, deux personnages pour qui le spectateur ne peut éprouver que de la répulsion. Enfin, c'est ce que j'ai éprouvé à la première lecture car je comprends que les personnages sont plus complexes et qu'ils portent en eux, l'un la faute de son père, l'autre le déshonneur du sien. Ils ont besoin de se mentir à eux-mêmes pour vivre, Gregers en se croyant investi d'une mission, Hjalmar en pensant être un génial inventeur.
 Le docteur Reilling, leur voisin, affirme d'ailleurs: "Si vous retirez le mensonge de la vie de personnes ordinaires, vous leur retirez en même temps le bonheur ».

Le reste de la compagnie est en grande partie composée d’égoïstes, de débauchés, de jouisseurs sans âme. Mais la tendresse d’Ibsen se réveille quand il parle de la petite  Hedvig, la seule capable d’aimer autrui plus qu’elle-même, la seule qui ne mente pas,  qui ne triche pas avec elle-même. La cane sauvage blessée par les chasseurs qu’elle a recueillie dans le grenier est la représentation symbolique de Hedvig. Un oiseau sauvage qui ne sait pas feindre et qui ne peut être que la victime du monde qui l’entoure.
 
La cane sauvage mise en scène au Théâtre de la Colline en 2014
Le grenier où l'on élève des poules et des lapins, devenu forêt profonde dans le fantasme du grand père mais aussi de toute la famille, est un lieu de rêve, un échappatoire à la vie réelle, mensonge nécessaire au bonheur de la famille, "le mensonge vital". Il peut être aussi interprété par la psychanalyse comme les replis profonds de la conscience, la part obscure de l'être humain, le ça.
On a beaucoup glosé aussi sur la signification érotique du canard et oui! Manque de chance c'est d'une cane qu'il s'agit (voir ci-dessous)
  Une pièce étrange, déroutante, et qui pourtant émeut!

Le titre français retenu traditionnellement est : Le canard sauvage. Dans son analyse de la pièce, Régis Boyer explique que cette traduction est erronée. Ibsen joue en effet, en norvégien, sur l'article indéfini en employant parfois le neutre lorsqu'il s'agit de l'animal, parfois le féminin pour signifier la similitude avec la fillette. Il ne peut donc s'agir que d'une cane.

* Hedvig Ibsen, la soeur de Henrik, donne son nom à la petite Hedvig de La cane sauvage. Elle a huit ans dans le tableau peint par Grandjean.



dimanche 28 février 2016

Peer Gynt de Henrik Ibsen et Edvard Grieg

                 
Edvard Munch : affiche pour Peer Gynt (1896)
        

Henrik Ibsen

Henrik Johan Ibsen est un dramaturge norvégien. Il se présente comme un « anarchiste aristocrate». Fils de Marichen Ibsen et de Knud Ibsen, Henrik Johan Ibsen naît dans un foyer que la faillite des affaires paternelles, en 1835, désunit rapidement.…



De sa pièce de théâtre Peer Gynt (1867), Henrik Ibsen disait : « De l’ensemble de mes livres je (le) tiens pour celui qui est le moins susceptible d’être compris en dehors des pays scandinaves ». Et si cela ne tenait qu’à moi, je dirais que c’est bien vrai. Et pourtant elle a joui d’un engouement exceptionnel aussi bien en Norvège que dans le monde entier, et a été traduite dans de nombreuses langues. Lire Peer Gynt m’a bousculée dans mes attentes, en me faisant dévier du chemin théâtral que je connais et je ne parle pas seulement des pièces classiques. Même le théâtre élisabéthain et encore moins le drame romantique et les revendications d’Hugo, ni les pièces contemporaines, ne m’ont permis de m’adapter facilement à un tel chamboulement! je suis allée de surprises en surprises tant en ce qui concerne la langue que le déroulement de la pièce et surtout le sens. Que veut dire le dramaturge? Même à la fin de la pièce, l’on s’interroge.

 La traduction de la Pléïade dans laquelle j’ai lu la pièce n’est pas en vers mais les niveaux de langue toujours changeants sont bien rendues : Poésie et lyrisme, alternent avec un langage protéiforme satirique, familier voire au trivial. Bien sûr, chez Shakespeare ou Hugo aussi, on retrouve aussi ce changement de registre mais la familiarité et la vulgarité sont le propre des personnages grotesques et ne concernent pas, ou alors rarement, les personnages nobles. Dans Peer Gynt, le mélange du fantastique et de l’humour, les personnages sont parfois comiques et même caricaturaux là où l’on s’attendrait à avoir peur,  est aussi étonnant.

Peer Gynt  est un lesedrama c’est à dire une pièce en vers destinée seulement à la lecture, ce qui laissait à son auteur la possibilité de laisser libre cours à son imagination : les personnages fantastiques du folklore norvégien envahissent la scène, les décors sont nombreux et divers, on est transporté des forêts profondes et des fjords norvégiens à l’Afrique, dans le désert, au milieu des palmiers comme au pied du Sphynx égyptien. Une pièce qui ne devait pas être jouée et pourtant elle a été portée à la scène un grand nombre de fois! Ce que l’on peut expliquer par le fait qu’elle stimule par sa complexité même la créativité des plus grands metteurs en scène.

En fait la pièce qui compte cinq actes paraît diviser en trois parties déterminées par les lieux et les périodes de la vie de Peer Gynt.

La jeunesse de Peer Gynt


 La première partie se déroule en Norvège et correspond à la jeunesse de Peer Gynt. Le jeune homme, inspiré d'un personnage folklorique norvégien, ment toujours et prétend vivre des aventures qui sont arrivées à d’autres. Il est incapable d’assumer ses responsabilités, de s’occuper de sa ferme et de venir en aide à sa mère, Ase. C’est dans cette partie que Peer Gynt se met à dos les villageois, veut épouser la fille du roi des trolls, le seigneur des montagnes de Dove. Poursuivi par ses ennemis, il s’enfuit après la mort d'Ase et après avoir salué Solveig, une jeune fille qui l’aime et qui promet de l’attendre.
 C’est la partie que j’ai préférée avec la poésie de la nature norvégienne qui occupe la première place et l’étrangeté du Petit Monde, les trolls, les nixes, les sorcières, qui sont la base des croyances populaires, un héritage de la culture païenne. Notons aussi la très belle scène de la mort d'Ase, si émouvante et poétique dans laquelle le fils accompagne sa mère au seuil de la mort.

Peer Gynt est un ambitieux, à la recherche du pouvoir et de la richesse. Il est prêt à tout pour  épouser la princesse sauf.. à se laisser crever les yeux! C’est alors que le roi des Trolls prononce une phrase qui semble porter le sens (un des sens?) de la pièce. A la question : quelle est la différence entre un humain et un troll? Il répond :  On dit à l’humain «  Homme, sois toi-même! » et au troll  « Troll, sois pour toi-même! »

La maturité de Peer Gynt

dessin de décor : la cabane de Solveig de Nicholas Roerich
La deuxième partie raconte la maturité de Peer Gynt qui a vécu des aventures multiples. On le retrouve courant les mers ou les déserts, l’Afrique ou l’Amérique, tour à tour négrier, contrebandier, prophète, toujours empêtré dans le mensonge qui devient une arme pour manipuler autrui.
C’est la partie que je n’ai pas aimée et qui m’a ennuyée, trop rocambolesque, ni fantastique, ni proche de la réalité. De plus, l’Afrique de Ibsen est très convenue, rien à voir avec l’authenticité qui est la sienne quand il parle de son pays!
Peer Gynt, le mauvais garçon, s’est encore endurci dans le mal, allant jusqu’au meurtre pour sauver sa vie. Le personnage devient de plus en plus corrompu et repoussant. Alors que Solveig, toujours fidèle dans son amour et sa foi, l'attend au pays.
La parole du roi des montagnes de Dove se réalise. Peer Gynt est bien un troll et non un humain car il n’est pas lui-même, il est pour lui-même !

La vieillesse de Peer Gynt
Peer Gynt et les trois pelotes(incarnation des Trolls)

La troisième partie se déroule en Norvège, c’est la vieillesse de Peer Gynt guetté par la Mort et que le diable poursuit de ses assiduités. Peer Gynt, le menteur, s’en sort toujours par une pirouette, en utilisant le mensonge pour berner les autres.  Mais au moment où rien ne paraît pouvoir le sauver, l’amour de Solveig le tire des griffes de ses ennemis. L’amour plus fort que la mort? Oui, mais pour combien de temps? La fin reste ouverte :  
on entend la voix du fondeur de boutons  derrière la maison : Nous nous rencontrerons au tout dernier carrefour, Peer, et alors, nous verrons...si... Je n'en dis pas davantage.
J’ai aimé  ce passage car l’on retourne en Norvège dont l’auteur nous restitue l’essence. L’on retrouve alors les personnages populaires, la mort symbolisée par le Fondeur de boutons, chacun doit passer dans sa cuiller. Le diable apparaît sous les traits d’un personnage maigre, avec un filet d’oiseleur sur l’épaule pour attraper les âmes perdues et avec un sabot à la place d’un pied, figure coutumière des légendes norvégiennes.

Solveig est l’antithèse de Gynt. Si celui-ci incarne le mal, l’égoïsme, la manipulation d’autrui,  Solveig est altruisme, bonté, dévouement. Mais dans ce combat entre le mal et le bien qui est au centre la pièce, jamais l’on ne voit Peer Gynt évoluer vers le Bien. Sauf, un moment éphémère où le chant de Solveig et sa fidélité lui font comprendre ce qu’il a perdu. Quant à Solveig, elle paraît être une idée désincarnée plus qu’un être réel. Le pessimisme et l'amertume d' Ibsen semblent triompher.

Suite musicale de Peer Gynt, musique de Grieg

Henrik Ibsen avait demandé à Edvard Grieg de mettre sa pièce en musique alors que les deux hommes ne s'entendaient pas! Grieg trouvait la pièce "débordante d'esprit et de fiel". Quant à Ibsen, il n'apprécia pas la musique composée par Grieg peut-être trop romantique pour convenir à la noirceur satirique de Peer Gynt? Pourtant l'oeuvre musicale connut un immense succès. Si vous avez le temps, écoutez ces extraits. Vous verrez que même si vous pensez ne pas la connaître, cette musique vous parlera!



Edvard Grieg: Au matin suite 1/1 op. 46



Edvard Grieg Chanson de Solveig  suite 2 /4 op.55 : chanté par la soprano norvégienne Marita  Solberg



Edvard Grieg : Dessin animé sur la suite 1/ 4 Op. 46  de Peer Gynt  Dans l'antre du roi de la montagne. C'est cette musique que Fritz Lang a utilisé dans M. Le Maudit.


Edvard Grieg
 Edvard Grieg naît à Bergen en 1843 et meurt dans sa ville natale en 1907.
Pianiste de formation, Edvard Grieg est un compositeur norvégien de la période romantique. Il est particulièrement attaché à la mise en valeur du folklore norvégien au moyen de la musique.
Edvard Grieg naît dans une famille de musiciens : son père joue en tant qu’amateur dans un orchestre de la ville, sa mère lui donne ses premières leçons de piano et lui fait découvrir l’histoire de la musique à travers Mozart, Weber et Chopin. Grâce aux encouragements du violoniste norvégien Ole Bull dont il fait la connaissance à l’âge de quinze ans, Edvard Grieg part en 1858 au conservatoire de Leipzig pour y faire ses études musicales. Il découvre les œuvres de Schumann ou de Wagner au Gewandhaus, et propose sa première composition à son examen final en 1862 (Quatre pièces pour piano).
Edvard Grieg entame alors une carrière de pianiste. Il déménage à Copenhague où il rencontre les compositeurs Niels Gade et Rikard Nordaak, et commence à éprouver un intérêt prononcé pour la culture nordique. En 1867, il s’installe à Christiana et y fonde l’Académie norvégienne de musique. Il dirige régulièrement l’orchestre de la société de musique et compose de nombreuses pièces (Humoresques, Concerto en la mineur pour piano), ce qui est d’autant plus facile lorsqu’il se voit accorder par l’Etat une rente viagère, à partir de 1872.
En 1876, Edvard Grieg rencontre le succès avec Peer Gynt, un opéra né de l’œuvre d’Ibsen. Après une période de crise durant laquelle il se concentre sur le folklore de sa région, il part en tournée en Europe et se fait acclamer de toutes parts. La qualité de l’écriture pianistique inspirée par Liszt, ainsi que l’audace de l’harmonie, font de Grieg un compositeur majeur de la Norvège et inspireront Debussy ou Ravel. (Source bibliographique:  France Musique)