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mercredi 26 avril 2017

Nikolaj Frobenius : Le valet de Sade



 Quatrième de couverture : Nous sommes au XVIIIe siècle, un enfant au regard terrifiant vient de naître à Honfleur. Il se nomme Latour, sa naissance est la conséquence d'un viol. Bou-Bou, sa mère, l'élève avec tendresse d'autant que cet enfant est étrange : il ne ressent pas la douleur. Après une formation professionnelle chez un taxidermiste, Latour quitte la Normandie. Accompagné d'une prostituée, il vit dans les bas-fonds de Paris où commence vraiment son aventure. Obsédé par son infirmité, fasciné par le mystère de la douleur, Latour entre dans la spirale infernale du meurtre, tue et dissèque, étudie chaque organe, et finit par usurper l'identité d'une de ses victimes pour devenir l'élève du grand anatomiste Rouchefoucault. Un jour pourtant, sa vie bascule : une prostituée le conduit auprès du marquis de Sade, Latour entre à son service, il va devenir son valet, son complice, jusqu'à la mort. 

Nikolaj Frobenius

De Nikolaj Frobenius, écrivain norvégien naît à Oslo en 1965, j’ai lu et commenté dans mon blog Branches obscures (Ici), un thriller qui traite du pouvoir de l’écriture et où l’écrivain se révèle un manipulateur inquiétant. Le valet de Sade, on s’en doute avec un titre pareil, nage lui aussi en eaux troubles et pas n’importe lesquelles puisque Frobenius convoque auprès de son valet rien moins que la sulfureuse présence du Marquis de Sade. Pourtant ce dernier n’est pas le personnage principal du roman et c’est bien Latour son valet qui en est le centre. Et en un sens bien plus inquiétant que le maître. Psychopathe, serial killer avant le mot, Latour qui ne sent pas la douleur s’obstine à en percer le mystère en disséquant le cerveau de ceux qui font partie de sa liste parce qu’ils les soupçonnent d’avoir tué sa mère. Aucune empathie n’est possible envers ses victimes qu’il fait mourir dans d’atroces souffrances puisqu’il ne peut comprendre ce qu’ils éprouvent. Latour est le Mal personnifié qui épouvante le Marquis de Sade lui-même et le fascine, devenant pour lui une source d’inspiration littéraire.
Fascinant, en effet, ce Latour, et pas seulement parce qu’il incarne le Mal mais aussi parce qu’il représente l’homme de science acharné dans ses recherches, l’intelligence humaine qui à la volonté de percer le mystère du fonctionnement de l’homme, de son cerveau; une sorte de visionnaire qui comprend bien avant l’heure que la douleur doit être liée à un influx électrique qui circule à travers les nerfs.
 
On compare souvent Le valet de Sade au roman de Suskind Le Parfum. Ma lecture de ce dernier livre est trop lointaine pour que je puisse en tomber d’accord malgré les ressemblances évidentes à propos du meurtrier ou du climat trouble et inquiétant. Mais pour moi, Le Valet de Sade n’est pas vraiment un thriller, ni seulement un roman policier, même s’il y a enquête autour des meurtres commis par Latour  et des exactions de Sade.
Je me suis beaucoup interrogée sur le sens de ce livre qui nous invite à  réfléchir sur la violence, la douleur et sur la solitude de l’homme. Il me semble que que l'auteur nous en propose une explication philosophique :  Latour, cet homme laid, rejeté de tous, devenu un criminel insensible, n’est-il pas le symbole de cette cette brillante société du XVIII siècle (et pourquoi pas actuelle ? ) qui cache, sous l’or des palais, la somptuosité des parures, le brio des esprits, une violence extrême envers les peuples opprimés. Ce que fait Latour est-il plus terrible que ce que fait un gouvernement qui prive le peuple de pain et de sa liberté, l’envoie servir de chair à canon dans des guerres qui ne sont pas les siennes?

C’est ce que Nikolaj Frobenius fait dire au Marquis de Sade : « J’ai beaucoup réfléchi sur ma pratique du libertinage, mais je n’ai pas mis toutes mes idées en application. C’est voyez-vous, c'est une condition de la création qu’on apprenne à distinguer le récit de la réalité. Je ne suis certes pas un ange. Mais mes forfaits sont risibles au regard de ceux qui sont commis chaque jour par ceux qui nous gouvernent et qui organisent ce pays. »

Portait présume du Marquis de Sade : par Van Loo
 
Comme je connais mal la vie de Sade et que je ne suis jamais parvenue à lire son oeuvre jusqu'au bout, le livre de Frobenius m'interroge par cette idée nouvelle pour moi : le Marquis n'aurait pas pratiqué les actes sadiques - du moins les plus violents - qu'il décrit dans son oeuvre. C'est que pense  Latour quand il copie les oeuvres du Maître :

"Mais chaque cri infâme, chaque injure lancée contre un défi à Dieu, chaque violence perpétrée contre de pitoyables victimes me libérèrent peu à peu de mon malaise. La cruauté était devenue invraisemblable et je compris alors que ce n'était pas la jouissance de ces actes que mon maître avait essayé de décrire. Mais bien la solitude. Le désert de la solitude, le vide des geôles."

Je suppose qu'il faut lire, pour avoir une réponse, la biographie que lui consacre Jean-Jacques Pauvert qui a été le premier à le publier.
 Le valet qui a été complice du maître dans l'histoire que relate Nikolaj Fobroenius à propos des  cinq prostituées rendues malades par des pilules à la cantharide a existé. Il a été poursuivi comme son maître et condamné à mort comme lui et brûlé en effigie par contumace. Mais l'écrivain a pris des libertés par rapport à la vérité historique en réunissant dans un même personnage les deux valets de Sade : d'Armand dit Latour et Carteron dit Martin Quiros, valet et copiste du marquis.


Le roman de Nikolaj Fobroenius pose donc des question intéressantes qui prêtent à réflexion mais je vous avoue qu’il faut avoir le coeur bien accroché pour supporter à la fois la description des meurtres de Latour et des pratiques sexuelles déviées de Sade. Le style de l’écrivain est à la fois élégant et précis, jamais vulgaire, mais brillant et assez dérangeant car il exerce une fascination-répulsion sur le lecteur qui a parfois envie d’abandonner le livre.  Enfin, c’est ce que j’ai éprouvé personnellement mais cela aurait été dommage de ne pas aller jusqu'au bout car cet ouvrage a des qualités !

jeudi 20 avril 2017

Vilhem Moberg : La saga des émigrants Tome IV : Les pionniers du Minnesota/ Tome V Le Terme du voyage


Kristina et Karl-Oscar : départ de leur pays natal

Pour en finir avec La saga des émigrants de l'écrivain suédois Vilhem Moberg (voir billet n° 1 Tome I et II ; Billet n° 2 tome III) voici la présentation des deux derniers volumes dans ce billet n°3.

 Tome  IV : Les pionniers du Minnesota


Ce quatrième tome  raconte l’installation de la famille de Karl Oskar autour du lac Ki- Chi-Saga et la venue autour d’eux de  milliers de Suédois dont la colonie ne cesse d’augmenter. Avec la transformation des paysages, le défrichage de la forêt, l’ensemencement des champs et la relative prospérité qui s’en suit, nous assistons à la construction de l’Amérique :  Le Minnesota est reconnu comme état par Lincoln. La communauté suédoise doit s’organiser. Peu habitués à la liberté, eux qui étaient sous tutelle aussi bien temporelle que spirituelle dans leur pays d’origine, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent plus rien attendre que d’eux-mêmes.  Entièrement libres même au point de vue religieux puisqu’ils n’ont pas de clergé, ils doivent décider de tout.  Ils doivent  se doter d’une église, d’une école…  La liberté va de pair avec la responsabilité :
"Ceci les obligea à faire preuve de vertus dont ils n’avaient pas l’usage dans leur pays natal. Ils transformèrent l’Amérique, - mais l’Amérique les transforma également."
Ce tome IV voit aussi le retour de Robert dans la famille de son frère et le récit de son épopée avec Arvid à la recherche de l’or californien. C’est un des épisodes les plus sombres du récit  dans lequel Vilhem Moberg  révèle une réelle puissance  dramatique. Le destin de Robert si épris de liberté et d’absolu et en même temps si naïf, si crédule, est un moment déchirant.

 Tome V Le Terme du voyage 


Les  deux personnages principaux  Kristina et Karl-Oscar ont vieilli. C’est comme l’indique le titre du Tome V, c’est le terme de leur voyage ! Tous deux ont été réunis toute leur vie pas un amour très fort, qui se passe bien souvent de mots, mais s’est consolidé dans une mutuelle compréhension et un soutien sans faille. Pourtant tous deux sont très dissemblables dans leur foi et dans leur adaptation au pays : La foi de Kristina doit passer par l’acceptation totale de la volonté divine même lorsqu’il s’agit de ses maternités à répétition qui épuisent sa santé et la mettent en danger. Pour elle, tout ce qui arrive est voulu par le créateur. Karl-Oscar, au contraire, mise sur la liberté et la volonté humaine. La réussite dépend de lui et de lui seul. Il est de cette race de pionniers qui a pour devise : « Aide-toi, le ciel t’aidera ». De même Kristina aura toujours la nostalgie du pays natal et refuse d’apprendre l’anglais; alors que Karl-Oscar fait tout pour pouvoir s’intégrer et se sentir réellement américain. C’est pourquoi il cherche à s’engager lorsque survient la guerre de Sécession. 

A la fin de ce dernier volume, la boucle est bouclée, les premiers colonisateurs s’éteignent et laissent la place à la nouvelle génération. Les enfants sont déjà de bons petits américains; ils parlent la langue et éprouvent même un peu de honte envers leur père qui parle si mal l’anglais. Ils n’ont pas de nostalgie pour un pays qu’ils ne connaissent pas. Ils sont l’Amérique en marche.

dimanche 16 avril 2017

Vilhem Moberg : La saga des émigrants Tome III La terre bénie


J’ai présenté les deux premiers tomes de La saga des émigrants de Vilhem Moberg Ici. Voici maintenant la suite :

Tome III :  La terre bénie

Une image du Minnesota de nos jours
Lorsqu’ils arrivent à New York, les émigrants ne sont pas encore au bout de leurs peines. La visite de Broadway par les plus intrépides, Robert et Arvid, est un véritable choc culturel. Mais la route est encore loin jusqu’au Minnesota.
Voici leur itinéraire selon les termes de leur contrat en date du 26 Juin 1850  : De New York à Albany par bateau à aubes en remontant l’Hudson; d’Albany à Buffalo par voiture à vapeur et de Buffalo à Chicago par bateau à vapeur.  Et puis par leur propre moyen jusqu’au Minnesota. Encore bien des dangers les guettent, le choléra règne à bord d’un des bateaux, c’est d’ailleurs une maladie endémique qui a décimé de nombreuses colonies partout dans le pays. Privations et souffrances pour la famille de Kristina et Karl Oscar et leurs amis.

Une recherche historique solide

Le train :  une voiture à vapeur qui terrifie les immigrants.
Comme dans les précédents romans, ce qui me frappe c’est la profonde connaissance de Vilhem Moberg envers son sujet. Il a fouillé toutes les archives concernant l’émigration suédoise en Suède et aux Etats-Unis et s’appuie sur des textes solides : la liste de de ceux qui sont partis du village de Ljuberg, les contrats qu’ils ont passés avec les compagnies maritimes, le prix qu’ils ont payé pour les différentes étapes du voyage et pour l’acquisition des terres, pour l’achat du matériel agricole et des animaux de ferme très coûteux, l’accueil réservé aux nouveaux  arrivants…. Mais il va encore plus loin grâce au courrier envoyé par les immigrants à leur famille restée au pays. Il peut ainsi décrire les mentalités des ces personnes déracinées, marquées par la religion et l’obscurantisme et par l’absence de liberté,  il peut connaître par l'intérieur les sentiments que ces gens ont éprouvés. Par exemple, leur terreur en montant dans un voiture à vapeur, un train qui crache le feu et peut à tout instant les brûler vifs. Une invention voulue par le diable? L’ivresse de découvrir des terres vierges, riches, à déchiffrer où la terre fertile rend au centuple les efforts du paysan pour l’ensemencer. Mais aussi la découverte d’un climat rigoureux avec un hiver enneigé et glacial et un été démesurément chaud. Et le mal du pays. Et puis la menace des indiens que l’on repousse de plus en plus loin. Vilhem Moberg a mis douze ans pour écrire ce livre, fruit de recherches approfondies.

Le thème épique

Minnesotta : prairie

On retrouve dans ce troisième tome, le thème épique avec, toujours, ce contraste entre la faiblesse de l’homme et la puissance infini de la nature.
Les immigrants avaient franchi la porte de l’Ouest. Ils se trouvaient à bord d’un nouveau bateau à vapeur et, sur celui-ci ils allaient traverser une nouvelle mer, qui ne ressemblait à aucune de celles qu’ils avaient déjà sillonnées, une mer qui n’était pas faite d’eau mais d’herbe, cette grande mer de l’Ouest américain ayant pour nom la prairie.

Ce qui donne lieu à de belles pages descriptives qui nous permettent d’imaginer le spectacle digne de la Création du monde qui s’ouvrait aux yeux de « ces paysans venus de la forêt ». Il y avait de quoi en avoir le vertige, et ceci d’autant plus pour un peuple nourri de la Bible.

Ces paysans venus de la forêt avaient un mouvement de recul devant l’immensité incompréhensible qui s’ouvrait devant eux. Ils désiraient certes trouver un sol plat et régulier, mais il ne fallait pas qu’il ne soit pas accidenté aussi vaste put-il être. Il manquait quelque chose, sur cette prairie : Dieu n’y avait pas totalement achevé la Création. Il avait fait le Ciel et la terre, il avait planté l’herbe et ce qui poussait sur le sol, mais il avait oublié les arbres, les buissons, les vallons et les hauteurs. Et cette mer constituée d’herbe et non pas d’eau les effrayait par son immensité, elle aussi?

Amitié et solidarité

Dans le film de J Toelle : Kristina et Karl-Oscar

Mais le roman est aussi une ode à l’amitié et la solidarité. Le danger le plus grave qui menace les immigrants en dehors des épidémies et de la faim, ce sont les autres. Toute une faune humaine qui rôde autour des nouveaux venus et cherche à gagner leur confiance pour mieux les détrousser. Gare aux naïfs et à ceux qui croient en la bonté humaine! Robert aussi bien que son frère aînée Karl-Oscar en font les frais. Pourtant, il y a de beaux moments d’humanité et des rencontres qui redonnent confiance en la nature humaine.
C’est là, en effet, que va naître la grande amitié entre Kristina et Ulrika la prostituée. Tout sépare pourtant ces deux femmes. D’un côté, la prude et religieuse Kristina, plutôt collet monté, si docile aux commandements de l’Eglise et à la parole du pasteur; de l’autre La Joyeuse comme on la surnomme, à la vie scandaleuse - Kristina apprendra que Ulrika est avant tout une victime- qui a son franc parler, un peu vulgaire, et nomme un chat un chat, elle qui connaît si bien les hommes et leurs désirs refoulés. Le partage du pain, scène biblique, dans le train, est une très belle scène  traitée avec sobriété et délicatesse. Entre elles, va naître une amitié irréductible.
Et puis la solidarité : Le pasteur Jakob les accueille avec tant de bonté à leur arrivée. Le contraste entre le clergé suédois riche, soutenant les intérêts des puissants, durs envers les pauvres qu’il domine par la peur, et Jakob si bon, si attentif, si délicat envers les humbles va être une révélation. 
Il y a aussi, cette vache que l’on prête à la famille et qui permet d’avoir du lait, sauvant les enfants d’une mort certaine pendant ce premier hiver dans le Minnesota et ces échanges de services et de compétences, ces partages d’outils, ces travaux faits en commun qui permettent d’avancer dans la construction des cabanes et le défrichage des terres. Une course contre la montre est engagée, les premières années, pour assurer la survie de la famille; sans compter les nouveaux enfants qui vont naître, bénédiction de Dieu (ou malédiction de la femme?) et bouches supplémentaires à nourrir. Avec Kristina, se développe le thème du mal du pays, du regret lancinant du pays natal. Contrairement à Karl-Oscar, la jeune femme s'adapte mal à son nouveau pays.  C’est aussi dans ce livre que l’on voit le départ de Robert et Arvid pour la Californie à la recherche de l’or. Ce n’est pas la cupidité qui mène Robert mais son désir d’être libre, d’être riche pour ne plus appartenir à aucun maître. De nombreux thèmes, donc , qui font la richesse de ce livre.

Ce tome III est donc encore un très beau moment de La saga des émigrants.

samedi 15 avril 2017

Vilhem Moberg : La saga des émigrants Tomes I et II Au Pays/ La traversée

 
Je lis moins en ce moment, lassitude ? mais il ne faut pas croire pourtant que je peux me passer de ma drogue quotidienne ! Il me faut simplement trouver des livres faciles à lire (bon, attention, cela ne veut pas dire idiots ! ) et qui me procurent une évasion voire une addiction ! Et cela existe ! C’est ce que je viens de vivre avec les cinq tomes de La saga des émigrants de l’écrivain suédois Vilhem Moberg  dans la collection de poche. Il peut avoir jusqu’à huit divisions dans d’autres éditions.

Mais évasion n’a rien de péjoratif, évasion signifie voyage passionnant, plein de découvertes, d’aventures, mais aussi de réflexions sur l’humain : sur la liberté de conscience, le rôle de la  religion et de de la foi, sur le libre arbitre aussi, sur le courage de ces hommes et ces femmes qui ont fondé l’Amérique et cultivé au péril de leur vie ces terres riches; ce qui n’occulte pas les problèmes des peuples amérindiens spoliés de leur terre, de leur terrain de chasse et voués à la famine. Cette suite de plus de 2000 pages a été élue par les suédois comme le meilleur roman de la littérature suédoise.

Tome I :  Au Pays


Dans le Tome I, sont posées les bases de l’histoire, les raisons de l’émigration et la présentation des personnages auxquels nous allons nous attacher pour cette longue traversée littéraire d’un continent à l’autre.
Car La saga des émigrants est un voyage dans l’espace et dans le temps : nous sommes dans le Smäland, province du sud-est de la Suède dans les années 1830 à 1850. A travers plusieurs familles de Ljuger et sur plusieurs années, le lecteur est introduit dans la vie quotidienne des habitants et comprend comment ceux-ci ont été poussés à l’exil. Le pays est régi par une autocratie rigoureuse dans laquelle le souverain est relayé par le clergé qui a tout pouvoir sur les consciences; la censure est telle qu’elle brime toute liberté individuelle. Les gens sont considérés comme hérétiques s’ils lisent la bible chez eux sans avoir recours au pasteur; la persécution religieuse est implacable pour ceux qui ne respectent pas strictement l’orthodoxie religieuse.

Enfin, c’est aussi un pays où la terre est rare pour les plus humbles, où la famine règne. On comprend, dans ce cas qu’il y ait eu plus d’un million de suédois, pour beaucoup des agriculteurs, qui choisit l’exil en Amérique, plus d’un million à quitter le pays pour s’installer sur les terres américaines attribuées aux colons qui viennent s’y installer pour les cultiver.
La famille Nilsa, le père Karl-Oscar, la mère Kristina et leurs enfants sont parmi ces mal lotis, s’échinant toute la journée sur une terre ingrate et caillouteuse, soumis aux aléas du climat ou de la sècheresse qui les laissent exsangues. De plus, la toute puissance des nantis, des riches propriétaires terriens sur leurs employés est sans limites. Les valets sont liés par un contrat à leur patron qui a tous les droits et peut exercer sa violence sur eux en toute légitimité. Ainsi le jeune frère de Karl Oscar, Robert, rêveur et insoumis, placé comme valet chez un maître brutal est frappé si violmment qu’il s’enfuit; poursuivi par la police, il est obligé de vivre caché. C’est lui qui, le premier, a l’idée de partir en Amérique et cherche à entraîner dans l’exil son ami Arvid. Son frère Karl Oscar le rejoint bientôt dans cette idée et, après la mort de sa petite fille pendant un hiver de famine, il donne corps à ce rêve en vendant la ferme. La fin de ce tome I raconte les préparatifs de départ et le ralliement de ceux qui décident de partir avec eux : le voisin, Jonas Petter, mal marié, qui fuit sa femme, l’oncle de Kristina, Daniel Andreadson, illuminé qui se croit investi d’une mission par Jésus et est obligé de fuir la persécution religieuse avec sa famille et ses convertis. Parmi eux, la prostituée Ulrika de Västergölh une femme de caractère et sa fille Elin

Tome II : La traversée



Ce qui est bien avec cette Saga, c’est que l’intérêt augmente d’un tome à l’autre. L’on a souvent entendu parler des souffrances subies par les pionniers entassés dans des cales exiguës, sans possibilité d’intimité ni d’hygiène, tourmentés par les poux, le mal de mer et bientôt le scorbut, mais c’est autre chose de le vivre par l’intermédiaire des personnages. Dès son premier pas sur La Charlotta, vieux rafiot qui ne semble pas pouvoir tenir la route, Kristina, enceinte, sait qu’elle va mourir. Nous assistons avec empathie aux épreuves quotidiennes qu’endurent les voyageurs. L’absence de vent retarde encore l’arrivée à New York. La maladie sévit, la mort rôde et emporte plusieurs d’entre eux. Les conditions de vie, les rapports conflictuels liés à la promiscuité, l’odeur pesitlentielle, la saleté, les vomissures qui s’incrustent dans les vêtements, les cheveux, sur les couvertures, sont décrits avec un tel réalisme que l’on a parfois l’impression de partager cet enfer.

D’autre part, Vilhem Moberg décrit avec beaucoup d’acuité la psychologie des personnages, leur révolte vis à vis de Dieu qui les abandonne à l’océan ou au contraire la foi qui les raffermit; leur peur de cette immensité liquide prête à les engloutir. Il analyse leurs sentiments lorsqu’ils comprennent que c’est un voyage sans retour, qu’ils ne reverront plus jamais la terre natale et les vieux parents qu’ils ont laissés désemparés sur le pas de la porte, et aussi les lieux où ils ont été jeunes et amoureux.

Le style est parfois empreint de nostalgie, parfois traversé d’humour comme lorsque Robert apprend l’anglais ; il peut atteindre le burlesque avec les contes grivois de Jonas Petter mais il prend aussi le ton l’épopée. En effet, il y a quelque chose d’épique dans cette traversée, dans le contraste entre l’infiniment petit, les hommes, face à l’immensité de l’océan.

Robert écoutait le fracas des paquets de mer, au-dessus de leurs têtes. Ils claquaient, clapotaient, puis coulaient sur le pont. Une puissante masse d’eau s’abattait, cognait contre le navire et rebondissait. Lorsque la vague se brisait sur le pont le bruit faisait vacarme et bouchait les oreilles comme une grande giffle. La vague venait frapper le flanc du navire, se brisait et retombait dans la mer. Puis survenait la suivante (…) Il écoutait ces vagues, les unes après les autres, et entendait le navire se libérer chaque fois de la langue de mer, échapper à la grande gueule béante du monstre. La Charlotta flottait toujours.

 L’énergie dans la marche de ce petit voilier se frayant un chemin sur les abysses, le courage, la détermination de ces pauvres gens, malgré leurs doutes et leurs angoisses, nous entraînent bien loin. Un suspense se crée; une envie d’arriver au port comme eux. Une lecture, donc, que l’on ne peut quitter. Je  dois dire que j’ai préféré le deuxième tome même si j’ai aimé le premier. Je considère Au Pays comme une  scène d’exposition nécessaire et intéressante. Mais La Traversée est animé d’un souffle plus intense.

Scène du film Les émigrants : Kristine, Karl-Oscar et leurs enfants

Je vous parlerai dans un prochain billet des volumes suivants : 
Tome III : La terre bénie
Tome IV : Les pionniers du Minnesota
Tome V : Au terme du voyage

Vilhem Moberg  auteur de La saga des émigrants : photographie de Lars Nordin.
Vilhem Moberg : photographie de Lars Nordin.


jeudi 23 mars 2017

Edith Södergran : Le pays qui n'est pas et Poèmes (2)

Edith Södergran

Lorsque j’ai ouvert le recueil de Edith Södergran, Le pays qui n’est pas et Poèmes, j’ai eu un coup de coeur pour cette poésie à la fois lyrique et sobre, pleine d’émotions contenues, attentive à la beauté des choses, où les images créent des passages entre le paysage extérieur et intérieur. La voix pure de cette jeune femme résonne longtemps après la lecture et laisse un sentiment de nostalgie et de tristesse sereine.


Edith Södergran (1892_1923) est une poétesse finlandaise de langue suédoise. Elle est née à Saint Pétersbourg en 1892 et  a passé la majeure partie de sa vie en Carélie.  Si ses poésies eurent peu de succès durant sa vie, elle est maintenant l’auteure la plus connue, la plus aimée en Finlande et occupe une place primordiale dans la littérature scandinave.. Et pourtant elle n’a écrit que quatre minces recueils de poésies car elle est morte très jeune, à l’âge de 31 ans. En effet, elle est atteinte de la tuberculose dès l’âge de dix-sept ans, en 1909.
Dès lors sa vie n’est qu’un long combat contre la maladie alors même qu’elle a conscience de la vanité de ses efforts, alors qu’elle se sait condamnée après avoir vu mourir son père du même mal.

Je ne suis qu’une immense volonté,
une immense volonté de quoi, de quoi?
Autour de moi tout est ténèbres,
je ne peux soulever un fétu de paille. (Ma vie, ma mort et mon destin)


Dans sa poésie, la mort est une figure familière qu'elle cherche à apprivoiser. Tous ses poèmes sont des exorcismes contre la mort.

La vie ressemble surtout à sa soeur, la mort.
La mort n’est pas différente,
tu peux la caresser, tenir sa main, lissez ses cheveux,
elle te tendra une fleur et sourira.

Tu peux enfouir ton visage dans son sein
tu l’entendras dire : il est temps de partir.
Elle ne dira pas qu’elle est une autre.
La mort ne repose pas, glauque, visage contre terre
ou sur le dos, porté par une civière blanche:
la mort circule le rose aux joues, parlant à tout venant.
La mort a les traits tendres et les joues amènes,
elle pose sa douce main sur ton coeur.
Qui a senti sur son coeur cette main si douce,
le soleil ne le réchauffe plus,
il est froid comme la glace et n’aime personne. (La soeur de la vie)



Edith Södergran

 Mais Edith Södergran est écartelée entre cette omniprésence de la mort et son désir de vivre. Plus que tout, elle souffre à l’idée de ne pas connaître l’amour et exprime ce besoin d’aimer et d’être aimée :

Vers le soir la journée fraîchit…
Bois la chaleur de ma main,
ma main a même sang que le printemps.
Saisis ma main, saisis mon bras blanc,
saisis le désir de mes minces épaules
Comme il serait étrange de sentir
une nuit, une seule, un nuit pareille
ta lourde tête sur mon sein. (La journée fraîchit)


J’ai une porte pour chacun des quatre vents.
Une porte d’or vers l’est - pour l’amour qui jamais n’arrive,
une porte pour le jour, une autre pour la mélancolie,
une porte pour la mort - elle reste toujours ouverte. (Aux quatre vents)


Elle sent parfois l’appel de la vie, de l’inconnu, la soif de connaître d’autres horizons

Toi qui n’a jamais quitté ton petit jardin
n’es-tu jamais restée tendue, derrière la grille
à regarder comment sur des sentiers rêveurs
le soir se dilue dans le bleu? (Toi, qui n’a jamais quitté ton jardin)


Mais parfois la mort lui paraît être une libération, un but à atteindre :

Je languis après le pays qui n’est pas
car tout ce qui est, je suis lasse de le vouloir.
En runes d’argent, la lune
me parle du pays qui n’est pas,
le pays où chacun de nos souhaits
 se trouve miraculeusement exaucé,
le pays où tombent nos chaînes,
le pays où nous venons, dans la rosée de la lune,
rafraîchir notre front meurtri.
Ma vie fut une brûlante illusion.
Mais il est une chose que j’ai découverte,
une chose que j’ai vraiment conquise-
le chemin du pays qui n’est pas. (…) (Le pays qui n’est pas)

 
La Carélie

La maladie l’isole de tous, s’y ajoutent de graves difficultés financières qu’elle affronte avec sa mère. 
Elle se tourne alors vers la nature, et,  elle, « la fille lumière de la forêt » entre en communion avec les arbres et l’eau de sa Carélie natale, le ciel et les étoiles.

Je serai un arbre solitaire dans la plaine,
les arbres de la forêt étouffent d’un désir de tempêtes,
je serai saine de pied en cap, des filets dorés dans mon sang,
je serai innocente et pure pareille à une flamme dévorante; (…)(Désir de couleurs)


En automne les journées sont transparentes
et peintes sur le fond d’or de la forêt.
en automne les journées sourient au monde.
Il fait si bon de s’endormir sans rien souhaiter
rassasiée de fleurs et lissée de verdure (…) (Journées d’automne)


Maintenant, je tourne le dos à ce que j’ai vécu :
mes seuls compagnons seront la forêt, le rivage et le lac.
Maintenant je puise la sagesse dans la sève du pin,
maintenant je puise la vérité dans le tronc desséché du bouleau,
maintenant je puise la force dans le brin d’herbe le plus tendre;
un puissant seigneur daigne me tendre la main. (…) (Retour)


Les rêves de cette jeune femme sont si simples et pourtant irréalisables. Elle qui se sait « la dernière fleur de l’automne », elle désire pourtant peu de choses :

Dans tout ce monde ensoleillé
je n’ai qu’un souhait : un banc dans un jardin
où un chat se chauffe au soleil…
Je resterai assise, là,
une lettre glissée dans mon corsage.
une toute petite lettre.
Voilà mon rêve (Un souhait)


Mais nul mieux qu’Edith Sodergran ne sait la fragilité des rêves  :

"Ne t'approche pas trop de tes rêves
Ils sont fumées qui peuvent se disperser".


 J'aime tellement ces vers que j'aurais voulu pouvoir citer le recueil intégralement ! Mais je vous invite, si vous avez aimé vous aussi, à le lire entièrement car il recèle encore de nombreux trésors.





samedi 11 février 2017

Lars Pettersson : La loi des Sames




Lars Pettersson est suédois. Au cours d’un reportage, en 1990, il découvre le pays des Sames (un peuple de Laponie) à Kautokeino en Norvège, dans le comté du Finnmark.  Il faut savoir que les  Lapons dont les Sames sont installés sur trois pays, la Finlande, la Suède et la Norvège, au-delà du cercle polaire, et que les rennes ne connaissent pas de frontières !

Dans La loi des Sames, Anna est procureur en Suède. D’origine sami, elle s’est éloignée de son peuple parce que sa mère a fui sa famille qui vit à Kautokeino pour s’installer à Stockholm. Elle a épousé un suédois si bien que Anna a été élevée en Suède. Pourtant lorsque sa famille, en raison de ses connaissances juridiques, l’appellent au secours de son cousin Nils, éleveur de rennes, accusé de viol, elle n’hésite pas.  Ce pays, elle ne le connaît que par quelques lointains souvenirs de vacances quand elle était enfant. Aussi l’on peut dire que c’est pour elle une découverte. Elle va être soumise non seulement aux rigueurs de l’hiver mais aussi aux problèmes de mentalité.

La loi des Sames est un roman policier. Anna va mener son enquête avec un policier local et va vite se demander si son cousin est aussi innocent que tous le prétendent. Mais elle comprend aussi que la survie de la famille est en jeu car Nils est le seul  à pouvoir maintenir le troupeau (le grand père est trop âgé). Elle prend conscience que sa mère en quittant Kautokeino a trahi sa famille et que sa culpabilité rejaillit sur elle, sa fille.
Anna va être aussi confrontée à des meurtres dont elle s’apercevra bien vite qu’ils ne sont pas étrangers aux vols de bêtes que les grands propriétaires-éleveurs font subir à ceux qui sont les plus faibles. Entre la loi norvégienne ou suédoise et la loi same, implicite, celle de la tradition, existe un hiatus que rien ne semble vouloir combler. Entre les deux, Anna va connaître bien des tiraillements et des problèmes de conscience. C’est un thème que j’ai trouvé très intéressant de même que la découverte du passé et du caractère de sa mère disparue depuis peu. Quant à l'héroïne, on peut dire qu'elle n'a pas froid aux yeux et qu'elle n'est pas une faible femme !
Mais ce que j’ai préféré, bien sûr, c’est la description de ce pays rude tout autant que son peuple, qui ne fait pas de cadeau et où le moindre accident de voiture ou de scooter des neiges peut se transformer en catastrophe  : routes enneigées,  lacs gelés et  cieux noirs parfois illuminés d’aurores boréales. Et puis, la découverte des coutumes, des traditions, des costumes sames dont les couleurs vives et gaies semblent vouloir lutter contre la maussaderie du climat, de la culture avec le Joik, ce chant sami si caractéristique et bien sûr tout ce qui concerne l’élevage des rennes pour tous les éleveurs qui ne se sont pas sédentarisés.

Pour moi, ce livre est d’autant plus intéressant que je vais partir en Norvège au mois de Mai dans le pays des Sames, à Alta et à Kautokeino, au moment de la transhumance des rennes. D’après les critiques, il paraît que les romans d’Olivier Truc sur le même sujet, sont plus réussis que celui-ci mais je ne peux pas comparer car je ne les ai pas encore lus.  Mais… cela ne va pas tarder !

samedi 28 janvier 2017

Henning Mankell : Le chinois




Le chinois concocté par Henning Mankell ( un livre policier sans son personnage fétiche Kurt Wallander) se perd dans trop de directions à la fois, une intrigue complexe avec des ramifications, toutes plus ou moins imbriquées les unes dans les autres  : D'abord, l’intrigue policière proprement dite qui commence avec la découverte en janvier 2006 du meurtre des habitants d'un village dans le Nord de la Suède, crimes odieux où le meurtrier a cherché à faire souffrir ses victimes. L’acte d’un fou? C’est ce que pense la policière Vivi Sundberg. Ou au contraire, acte prémédité, réfléchi, longuement mûri? comme le croit la juge Birgitta Roslin qui est impliquée indirectement dans l’enquête. Les parents adoptifs de sa mère sont parmi les victimes.

 L’enquête nous entraîne ensuite fort loin de la Suède, d’abord à Canton puis dans le Névada, loin aussi dans le passé, du XXI siècle, à la fin du XIX siècle. Mankell écrit alors un récit féroce de la traite des chinois aux Etats-Unis. A leur arrivée, ils sont enrôlés sur les chantiers de construction des chemins de fer par des sociétés que l'on peut qualifier d'esclavagistes. Privés de liberté, travaillant dans des conditions inhumaines et dangereuses, ils sont souvent placés sous la surveillance d'Européens, suédois, irlandais, pauvres blancs eux-mêmes immigrés, qui les mènent à la baguette et les considèrent comme des inférieurs.  Racisme, terrible exploitation économique, barbarie.

Enfin la troisième partie de l’enquête nous mène vers le dénouement dans la Chine d’aujourd’hui puis en Afrique dans une résolution plutôt  alambiquée de l'affaire.

J’ai trouvé le roman inégal, la première partie  avec la découverte du crime est correcte mais le récit qui concerne les trois frères lui est supérieur, bien écrit, avec des personnages forts. Nous sommes en empathie avec eux, San, Guo et Wu, dont le destin nous touche et nous révolte. C'est un fragment de l'histoire des Etats-Unis pas très glorieux mais intéressant qui est présenté.
Par contre, le récit sur la Chine contemporaine n’a manifestement pas inspiré Mankell. La description du pays est peu révélatrice, on dirait que Mankell ne le connaît pas et Birgitta Roslin semble plutôt s’ennuyer dans son rôle de touriste ! Quant à son enquête, elle repose sur des hasards, des coïncidences parfois tirées par les cheveux. La partie consacrée à l'Afrique ne m'a pas convaincue non plus.  J’ai donc trouvé cette partie nettement plus faible. Ce n'est donc pas, à mon avis, l'un des meilleurs livres de Mankell même s'il se lit bien.  Et c’est dommage !

Voir  :
Aifelle
 
















mercredi 7 septembre 2016

Inger Hagerup : L'amour mourra aussi

L'amour mourra aussi

Hammershoï, peintre danois

J’ai découvert Inger Hagerup, poétesse et dramaturge norvégienne, grâce à la collection Pour une rivière de vitrail aux éditions Rafael de Surtis avec le recueil L’amour mourra aussi. J'ai choisi ici quelques poésies d'elle parmi mes préférées.

Bonheur

Nikolaï Astrup, peintre norvégien
 Dans ce poème, Inger Hagerup décrit le goût simple et intense du bonheur, celui que l’on éprouve quand on est très jeune, quand on est un peu et délicieusement puéril(e) (conseil aux marguerites) quand la vie est pleine d’espérance. Le bonheur n’est possible, semble dire Inger Hagerup, que si l’on est en attente, en devenir, quand on rêve encore la vie plutôt que de la vivre. J’aime ce ressenti qui s’exprime par de toutes petites choses (toile d’araignée vaporeuse,  piqûres de moustique) et qui fait appel à tous les sens. Alors, l’esprit n’intervient pas entre le corps et ce qu’il ressent (indolemment) à l’exception de petites pensées légères qui affleurent ( la pluie et le beau temps, la lettre). La  jeune fille est tout au présent de cette promenade, en suspension dans cette belle journée d’été, à l’écoute d’elle-même.

Qu’est-ce que le bonheur?
- C’est de marcher sur un sentier montagne herbu
en vêtements d’été, légers,
de gratter ses piqûres de moustiques fraîches
en réfléchissant indolemment,
être jeune, très riche
d’amours non vécues.
C’est de recevoir une toile d’araignée aussi légère qu’une étoffe
vaporeuse telle une çaresse sur la bouche et la joue
et penser un peu à la pluie et au beau temps.
Peut-être attendre une lettre.
Demander conseil aux marguerites
et peut-être oui - peut-être non-
qu’il m’aime-qu’il ne m’aime pas.
Ne pas encore te connaître.

Le jour neuf

Peter Balde peintre norvégien
Le jour neuf exprime un peu la même idée mais d’une manière différente. Lorsque le jour arrive encore enveloppé par la nuit, il est promesse de bonheur (les mains emplies de sommeil), de beauté (sourire éblouissant), de pureté (il lave les montagnes). Ce n’est que lorsqu’il s’installe qu’il est porteur de chagrins.

Le jour neuf est encore sans visage.
Enveloppé dans une cape d’étoiles
il file vers la terre. Puis il jette
sa cape et paraît là, superbe, nu,
les mains emplies de soleil.
Entre les extrémités de ses doigts
il laisse les heures de l’éternité s’égoutter.
Il lave les montagnes de son sourire éblouissant
et, sur ses épaules blanches, porte
mille chagrins inconnus.

L’amour mourra aussi

Edward Munch : Séparation, peintre norvégien
Le sentiment exprimé ici semble être la suite logique des précédents. Lorsque la vie n'est plus un rêve mais une réalité, elle est condamnée. Il en est de même pour l'amour! Mieux vaut choisir de mourir plutôt que de subir passivement la fin de la vie et de l'amour.

Tue-moi, dit-elle, car la mort
nous possède quoi qu’il arrive.
Plutôt que d’être abandonnée par la vie,
Je l’abandonnerai moi-même.

L’amour mourra aussi
sans jamais revenir.
Mon amour, laisse-moi le précéder.
Laisse-moi mourir avec lui!

Aust-Vagoy/ Mars 1941

Video Aust-Vagoy par Inger Hagerup


Un autre aspect de la poésie de Inger Hagerup, celui qui la fait se dresser contre l’idéologie nazie et incarner la résistance. Les norvégiens connaissent tous les vers : De brente våre gårder/De drepte våre menn.

De brente våre gårder.
De drepte våre menn.
Lå våre hjerter hamre
det om og om igjen.

La våre hjerter hugge
med harde, vonde slag:

De brente våre gårder.
De gjorde det i dag.
De brente våre gårder.
De drepte våre menn.
Bak hver som gikk i døden.
Står tusener igjen.
Står tusen andre samlet
I steil og naken tross.
 Å, døde kamerater,
De kuer aldri oss.

Ils ont brûlé nos fermes.
Ils ont tué nos hommes.
Laissons nos coeurs le répéter
encore et encore.

Laissons nos coeur cogner
de coups durs, mauvais,
Ils ont brûlé nos fermes,
Ils l’ont fait aujourd’hui.

Ils ont brûlé nos fermes.
Ils ont tué nos hommes.
Derrière chacun de ceux qui sont partis
à la mort, ils sont des milliers.

Des milliers d’autres assemblés
dans le défi nu et intraitable.
Ô camarades morts,
ils ne viendront jamais à bout de nous.

Ce poème très connu par tous les norvégiens ainsi que d'autres de Inger Hagerup ont été mis en musique.

Inger Hagerup, née le 12 avril 1905 à Bergen et morte le 6 février 1985 à Fredrikstad, est une poétesse, dramaturge et traductrice norvégienne. Son recueil Je me suis perdue dans les bois l’a fait connaître en 1939. Elle écrit aussi pour la radio et pour les enfants. Pendant l’occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale, elle incarne la résistance avec ses vers Aust-Vagoy Mars 1941 publiés dans l’illégalité :  Ils ont brûlé nos fermes./ Ils ont tué nos hommes.
autres recueils philosophiques et lyriques de Inger Hagrup : La septième nuit  (1947), Mon navire vogue (1951), Du cratère de la terre  (1964) et deux livres de Souvenirs(1965 et 1966).

mercredi 29 juin 2016

Gunnar Staalesen : Le roman de Bergen / Images de Bergen

  

Gunnar Staalesen est un auteur de romans policiers dans lesquels apparaît son personnage récurrent, le détective Var Veum.
Le roman de Bergen est tout autre chose puisqu’il s’agit d’une saga qui compte six volumes et dont les évènements se déroulent sur un siècle, de décembre 1909 à Décembre 1999. L'écrivain y raconte l’histoire de sa ville natale.
Les tomes 1 et 2 sont réunis sous le titre de : L’aube
Les tomes 3 et 4 sous le titre : Le zénith
les tomes 5 et 6 sous le titre : Le crépuscule
 
Bergen : le port et le vieux quartier

Les deux premiers tomes du Roman de Bergen

Pour ma part, je n’ai lu que les deux premiers tomes pendant mon voyage en Norvège sachant que j’allais m’arrêter à Bergen, la seconde ville du pays.
Le roman commence pourtant comme un roman policier : le consul Frimman a été assassiné. Trine, la servante, le découvre. Si je signale ce personnage c’est qu’il tiendra une place récurrente dans le roman incarnant le peuple et son oppression face aux classes bourgeoises  dirigeantes.
 L’inspecteur Christian Moland est chargé de l’enquête. Celui-ci  apprend que le consul a eu une liaison avec Maren Kristine Pedersen, une femme belle et affranchie qui a pour amants de nombreux notables de la cité. L’enquête s’oriente bien vite vers un amoureux éconduit de Maren, un homme au bas de l’échelle sociale, qui d’ailleurs se suicide. Voilà qui arrange bien tout le monde et l’affaire est classée; mais le lecteur sait bien que le véritable auteur du crime n’a pas été découvert et qu’il se trouve dans les classes élevées de la société, intouchables. Et Moland le sait aussi!
Je vous avertis tout de suite :  vous ne découvrirez la vérité ni dans le premier volume ni dans le second et comme je n’ai pas lu la suite, je ne le sais toujours pas! On nous dit pourtant que le crime sera élucidé à la fin du sixième volume! Mais ce qui intéresse l’écrivain, c’est sa ville en ce début du XXème siècle. Nous suivons son évolution économique grâce à la révolution industrielle, à l’arrivée du chemin de fer, au développement des échanges maritimes, et ceci à travers les grandes familles de la bourgeoisie de Bergen.. Face à elles, arrivent de leurs fjords sauvages et désolés, des fermiers prêts à tout pour échapper à la misère. Ils s’engagent dans la construction du chemin de fer, un travail pénible et dangereux : ainsi Torleif Nesbo qui rentrera par la suite à la compagnie des tramways de Bergen et épousera Trine. Le tome 1 s’achève avec l’incendie de 1916 qui ravage la cité, détruisant des quartiers entiers.

Le vieux port de Bergen: Bryggen
Dans le tome 2, Bergen se relève peu à peu de ses cendres et soigne ses plaies. La grande guerre - en particulier en mer où les norvégiens sont attaqués par les sous-marins allemands- et la grippe espagnole touchent aussi la cité.
Nous retrouvons les mêmes personnages et leurs enfants qui prennent une place plus grande dans le récit, en particulier les fils de Christian Moland, Send et Per, qui deviennent ennemis dans les luttes syndicales qui agitent le pays; de même la fille adoptive de Torleif Nesbo, communiste, Martha. Nous assistons aux affrontements violents entre la police et les ouvriers syndicalistes pro-bolchévistes, à la montée du fascisme en Europe, au Krach boursier de 1920. La construction du grand théâtre de Bergen vient concurrencer celui d’Oslo.
 Gunnar Staalesen développe ici une grande fresque érudite et vivante de sa ville. 

Bryggen
D’où vient que, bien qu’ayant été intéressée par ma lecture, je n’ai pas complètement adhéré à cette saga qui avait pourtant tout pour me plaire?
Je crois que c'est lié d’abord aux conditions de lecture. Je le lisais, en voyage, d’une manière fragmentaire, avec des pauses de plusieurs jours. Il fallait ensuite rentrer dans le récit, se souvenir des noms des personnages, ce qui n’était pas simple, étant donné leur nombre et la complexité des évènements.
Ensuite, le roman a parfois des difficultés, me semble-t-il, à maintenir l’équilibre entre l’Histoire et le romanesque. Même si Staalesen fait preuve de virtuosité pour mener tout de front, j’ai parfois regretté que certains personnages auxquels je m’étais attachée  disparaissent pratiquement d’un tome à l’autre. Ainsi, Olav Kyrres venu de la campagne et son amoureuse la petite servante Tordis, victime désignée de la jeunesse dorée et pourrie de la ville avec en tête l’odieux fils du consul Frimann. Une page seulement nous apprendra ce qu’ils sont devenus. Ce qui est bien dommage!
Mais il est certain qu’en mettant ensuite le pied à Bergen après cette lecture, vous avez l’impression de ne plus être tout à fait un étranger à la ville et d’avoir des attaches avec elle!

Quelques images de Bergen/ Bryggen/ Le musée hanséatique

Bryggen : Maisons des marchands de la Hanse
Bergen a été ravagée au cours des siècles par de nombreux incendies. Aussi il reste peu de témoignages  de la cité ancienne. Bryggen, le quartier de la Hanse, le long du quai (Brygge) qui lui donne son nom, garde son plan du XII siècle; ses maisons les plus anciennes datent du XVIII siècle. Les marchands allemands de la Hanse s'y sont regroupés du XIV au XVIII siècle se soustrayant aux lois de la cité et obéissant à leur propres règles. 
La visite (très intéressante) du musée hanséatique permet de voir  l'intérieur d'une de ces maisons, le logement bourgeois derrière les façades à haut pignon et les entrepôts à l'arrière.

Salon d'un riche marchand allemand donnant sur le port

Dortoir des apprentis, des enfants allemands réduits à l'esclavage

Musée hanséatique : Chambre du gérant

Bryggen : les maisons accolées les unes aux autres

Bryggan : intérieur de ville hanséatique

Poulie pour hisser les marchandises à l'étage

Bryggen des maisons en bois, séparées par des ruelles étroites


Bryggen : l'étroitesse des ruelles

Bryggen des maisons en bois,

Bryggen des maisons en bois  un très beau quartier ancien

Bryggen des maisons en bois  un très beau quartier ancien
Je n'ai pas tout aimé à Bergen.  Il y a des constructions modernes qui sont parfois lourdes et froides, qui s'accordent mal avec la beauté des maisons et gâchent le paysage. Comme ce bâtiment derrière les musées que je me suis ingéniée à ne pas faire figurer dans la photographie ci-dessous mais qui apparaît malgré tout sur la gauche!

Musées de Bergen : Kode

Bergen :  Le quartier des musées

Les musées portent le nom de Kode. Il y en a quatre
Les musées de Bergen sont regroupés dans le même quartier face au mont Floyen dont un funiculaire permet d'atteindre le sommet et un grand bassin intérieur entouré d'un parc (très fleuri à cette époque de l'année. La taille des tulipes y est impressionnante et les rhododendrons sont d'une grande beauté).

Léonie aux tulipes
Rhododendron
Le kode 1 est réservé aux arts décoratifs, le Kode 2 est le musée d'art contemporain; il est assez petit mais c'est là que j'ai rencontré Rolf Aamot dont je vous ai donné un aperçu dans mes billets ICI et ICI.

Photo prise par Léonie : Rolf Aamot
Le Kode 3 m'a enchantée avec son exposition Munch ICI et sa rétrospective de grands maîtres de la peinture norvégienne du XIX siècle. Le guide vous dit de ne pas y manquer le trio : Christian Krohg, Harriet Backer et Erik Werenskiold... entre autres!

Christian Krohg : Haut-fond
                Harriet Backer : A la lumière de la lampe
Werenskiold : Henri Ibsen
 Enfin le kode 4 présente Astrup, je vous en ai longuement parlé ICI.

Bergen Le mont Floyen et le bassin  du quartier des musées

Bergen Le mont Floyen et le bassin  du quartier des musées

quartier des musées Kiosque