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vendredi 22 octobre 2010

Anne-Laure Witschger, Zozo et les chiffres



Un petit livre bleu et carré, joli, avec en première de couverture un petit chat, Zozo sous un croissant de lune et en quatrième, un escargot qui sème des chiffres dans son sillage. A priori, la lecture de ce livre pour enfants destinés à leur faire connaître les chiffres s'annonce bien mais la suite m'a parfois un peu déçue. Dès l'abord, je n'ai pas trop aimé les illustrations intérieures dont le fond uni a des couleurs qui m'ont paru agressives.

Le sujet est le suivant : Il s'agit d'apprendre la table de multiplication par dix de manière amusante. Zozo le chat aimerait être le "plus super" des animaux, or il se juge le "moins beau". Il voudrait être dix fois plus... Ainsi, il souhaiterait un nez dix fois plus long, de cette façon il aurait un nez semblable à celui de l'éléphant. Suivent d'autres exemples qui font défiler la table.

L'idée est sympathique mais ces exemples ne me semblent pas bien choisis. Je sais bien que le but de l'ouvrage est une initiation à la multiplication mais je trouve dommage que les renseignements donnés sur les animaux soient aussi fantaisistes : mon petit neveu, 5 ans et demi, qui va rentrer au CP en septembre, m'a fait remarquer qu'une araignée n'a pas 40 pattes et un lion 20 oreilles... De plus, les chiffres annoncés dans le texte ne correspondent pas au dessin qui les représente, ce qui entraîne une certaine confusion : le zèbre qui devrait avoir 70 rayures en a moins, la vache n'a pas 30 taches, le requin a 10 dents au lieu de 80. Je comprends bien que les chiffres jusqu'à cent sont trop importants pour être représentés dans l'illustration mais c'est assez gênant quand on a un petit lecteur déjà pointilleux qui s'étonne de cet état de fait.

Par contre la discussion engagée à propos du livre est intéressante même si elle ne concerne pas les mathématiques : l'enfant a trouvé le livre "rigolo" parce que "Zozo est bête; il veut être dix fois plus alors que c'est impossible". Je lui ai fait remarquer que tout le monde a envie d'être autre qu'il ne l'est et il a admis que c'était vrai. : "moi, je voudrais être mille fois plus grand". Nous avons fini tous les deux par convenir que Zozo "rêvait" d'être plus beau et que finalement "on a tous le droit de rêver". Du point de vue de l'idée, le récit est donc enrichissant.




Merci à Dialogues croisés et à Belem editions pour l'envoi de ce livre

jeudi 21 octobre 2010

Victor Hugo : Nul n'ira jusqu'au fond..

Mary Cassat

Nul n'ira jusqu'au fond du rire d'un enfant
Victor Hugo
 
 
56270471_p.1287677965.gif Initié par Chiffonnette

Didier Daeninckx : Galadio





Pour son roman Galadio, Didier Daeninckx  se tourne vers l'histoire allemande à l'époque du nazisme et s'intéresse au sort fait aux enfants noirs dans les années Trente.  Ulrich est  né d'un père noir, sénégalais, militaire français envoyé à Duisbourg après le traité de 1918 et d'une mère allemande mise au ban de la société à cause de cette union. Il a vécu jusqu'à son adolescence en s'efforçant de s'intégrer et sans souffrir de discrimination. Son nom secret, c'est Galadio, le prénom de son oncle, frère bien-aimé de son père. Ce dernier a été rappelé en France avant la naissance de Galadio qu'il ne connaît pas.
Mais voilà qu'avec les nouvelles lois de 1930, Galadio se voit interdit l'accès de la piscine, puis de son club de football. Peu à peu les menaces qui pèsent sur lui mais aussi sur les juifs se précisent. Le jeune garçon assiste aux exactions commises contre les juifs et en souffre d'autant plus qu'elles atteignent sa petite amie Déborah. Un jour, on vient le chercher pour l'amener dans un hôpital où sont accueillis, entre autres, des malades handicapés que l'on ne revoit jamais.  Que va devenir Galadio? C'est ce que nous conte Daeninckx au cours d'un récit qui va durer des années et entraînera l'enfant, puis le jeune homme, dans les coulisses du cinéma nazi, en Afrique et dans l'armée française où il s'engagera pour lutter contre le nazisme.
Galadio est un roman qui se lit d'une traite. Intéressant, on n'a pas envie de le quitter avant de l'avoir terminé. Les faits qu'il relate sont si terribles, la destinée de l'enfant si extraordinaire que l'on est subjugué par ce récit historique très documenté qui raconte des faits, hélas, véridiques.  Certains passages ont beaucoup de force, par exemple la mise à mort des animaux appartenant aux juifs, la stérilisation des jeunes noirs à l'hôpital, le tournage de films de propagande nazie ou Galadio et ses amis jouent les "sauvages" primitifs et dénudés. L'auteur utilise le présent de narration qui convient très bien à un récit court, vif, qui ne s'attarde pas en chemin, qui montre les actes sans chercher à les analyser. Pas de pathos. Les faits dans leur sècheresse. On peut dire que son pari est réussi.
Mais d'où vient alors que je suis restée sur ma faim? C'est que le parti pris de l'auteur conviendrait mieux, il me semble, à une plongée dans un  moment précis et court de l'Histoire et non à une narration qui s'étend sur des années et sur plusieurs pays. Du coup j'aimerais en savoir plus sur les personnages qui sont parfois à peine esquissés, sur les pays traversés en temps de guerre que l'on ne fait qu'apercevoir. J'aimerais que certains épisodes soient plus développés. Le roman a la taille d'une nouvelle mais l'étoffe d'un long roman et c'est ce qui me gêne.


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Mes remerciements à Dialogues croisés et aux éditions Gallimard


dimanche 17 octobre 2010

Robert Bober : On ne peut plus dormir tranquille …(2)

Dans les carnets de voyage de miriam vous trouverez un billet sur le livre de Robert Bober : On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois  ouverts les yeux. Ce roman a beaucoup plu a Miriam. Voici le début de son billet...

Mémoire de Paris ou plutôt d’un certain quartier juif autour de la République, délimité par la Rue Oberkampf, le Boulevard Saint Martin, Belleville, et Le père Lachaise. Quartier que je connaissais bien, où habitaient Noémie, Aviva, Tal, mes copines et copains du Mouvement, où leurs mère parlaient avec l’accent Yiddish qui berce la lecture de ces pages… Habituellement, je m’évade par la lecture, curieuse d’apprendre sur le monde et je laisse peu de place au retour sur les lieux de mon adolescence.
 Il faut bien dire que la promenade nostalgique est douce lorsqu’en plus elle se double des réminiscences cinéphiles : Jules et Jim, les  400 coups, Casque d’Or les  Frères Marx. Quelle scène géniale que ce retour du cinéma où la mère, après tant d’années raconte son histoire à son fils, écho de celle de Jules et Jim ! Le narrateur découvre à la suite les photos de famille…
... dont vous pourrez lire la suite ici.




samedi 16 octobre 2010

William Ospina : Le pays de la cannelle



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Le pays de la cannelle de William Ospina, écrivain colombien, est un beau roman riche, touffu et luxuriant comme la forêt amazonienne qu'il nous fait découvrir, éblouissant à l'égal de l'Empire du Soleil dont sont issus les rois incas, traversé par des éclairs de violence à l'image des conquistadors espagnols, les frères Pizarro, dont la cupidité, la cruauté et la démesure ont eu raison de cette brillante civilisation. Ouvrir ce livre, c'est entrer dans une aventure passionnante, à la découverte d'un monde étrange, qui nous amène aussi à une belle réflexion philosophique.
En 1540, le jeune héros du roman, âgé de 17 ans, (qui est aussi le narrateur) décide de quitter Hispanolia, abandonnant sa mère indienne pour partir au Pérou récupérer l'héritage de son père dont il vient d'apprendre la mort. Ce dernier, un conquistador espagnol, Marcos de Medina, a participé à la conquête à côté de Francisco Pizarro. Le jeune homme nourri par les récits des lettres de son père arrive donc peu de temps après la victoire des conquistadors. Il découvre, nostalgique, les ruines de cette grande civilisation en train de disparaître. Il comprend bientôt qu'il ne parviendra jamais à remettre la main sur la fortune de son père. Il s'engage alors à côté de Gonzalo Pizarro dans une expédition vers Quito, où d'après les dires des indiens, existe un pays entièrement planté de caneliers, à la recherche donc de la cannelle, épice plus précieuse encore que l'or. Une aventure qui le mènera bien au-delà du but poursuivi, sur le plus grand fleuve du monde, l'Amazone, à la découverte d'un monde étrange, mystérieux, fascinant et dangereux dont il sort transformé à jamais.
Le pays de la cannelle est donc d'abord un roman d'aventure qui raconte les épreuves endurées par ces hommes,  froid et souffrance sur les parois glacées de la cordillère des Andes, voyage sur les eaux déchaînées et tumultueuses de l'Amazone et de ses affluents, attaques des indiens hostiles, faim, maladies du corps et de l'âme,  désespérance, peur mais aussi découverte d'un monde sans limite, l'immense forêt amazonienne avec ses légendes, ses peuples, sa flore et sa faune. Beauté et douleurs étroitement liées. Il fallait le talent de William Ospina pour décrire cette équipée sauvage, composée de 240 soldats et officiers espagnols accompagnés par 4000 indiens, 2000 lamas, 2000 chiens de défense et 2000 porcs pour les nourrir - des chiffres qui passent l'imagination - menée par un chef d'une férocité et d'une brutalité proches de la démence.
Ce roman historique s'appuie sur une grande érudition qui nous fait découvrir la civilisation inca, les différentes phases de la conquête, la découverte de l'Amazonie. William Ospina fait revivre pour nous ces conquistadors espagnols, venus d'Estramadur, que la dureté de la vie en Espagne à cette époque a façonnés, âpres et ambitieux, sans scrupules, mi-homme, mi-bêtes, se riant de la mort, prêts à tout pour échapper à leur condition. Face à eux, une civilisation d'une richesse et d'une beauté inouïes, ancienne et raffinée, dont l'écrivain nous fait partager les croyances, les légendes, la quête spirituelle. Le roman se fait alors dénonciation de cette conquête féroce, de cette boucherie de l'Histoire accomplie pour l'amour de l'or. Il dénonce ainsi l'extinction d'une civilisation, l'extermination d'une race par une autre et au-delà toute colonisation basée une incompréhension de l'autre et un sentiment de supériorité qui dénie le statut d'hommes à ceux qu'elle soumet. Le jeune de Médina dont la mère est indienne comprend la spiritualité inca et se sent proche d'eux.
Ainsi Le pays de la canelle est un roman baroque, foisonnant, par la forme et  le style, qui nous entraîne bien loin dans le temps  et  dans l'espace mais c'est aussi une quête spirituelle à la recherche de soi-même.
Le Narrateur est âgé lorsqu'il raconte son histoire à Ursua, un ami plus jeune, pour le dissuader de partir sur sur l'Amazone et de l'entraîner avec lui. C'est ce qui explique que le récit s'accompagne toujours d'une réflexion sur l'expérience vécue dans sa jeunesse. Le vieillard sait ce que le jeune ne peut saisir. Avec les années, il donné un sens à ce qu'il a vécu. Il a compris que ce qui vaut la peine d'être recherché plus encore que la richesse, c'est la beauté: ... si l'on me demandait quel est le plus beau pays que j'ai connu, je dirai que c'est celui dont nous rêvons.. car seul le rêve permet à l'homme de se surpasser, d'aller au-delà de ses limites. Pourtant dans cette recherche de la beauté, les espagnols ont détruit une beauté plus grande encore. Il a compris aussi que ce que l'on recherche est en soi car "où que tu ailles, tu porteras ces vieilles questions, tu ne trouveras rien dans tes voyages qui n'ait été avec toi de toute éternité et quand tu affronteras les choses les plus inconnues, tu découvriras que ce furent elles qui bercèrent ton enfance."
Quelques passages :
On dit que seuls les hommes et les animaux laissent des fantômes sur la terre, et pourtant j'ai vu des pierres fantômes, des édifices fantômes, car de chaque ruine, de chaque pierre brisée mon regard tirait ce qu'elle avait été.
Alors, toi aussi tu connais cette légende de la cité brillant au loin grâce à ses pierres laminées d'or. Mais je peux te dire une chose encore plus étonnante : quand Pizarro apparut sur les sommets, il fut à la fois ébahi et effrayé car cette énorme cité avait la forme d'un puma d'or. Dans le monde antique, on n'avait jamais envisagé qu'une ville puisse être un dessin dans l'espace, or il avait sous les yeux le profil exact d'un puma, depuis la queue allongée et arquée jusqu'à la tête légèrement dressée au-dessus des sommets, avec son oeil aux grandes pierres dorées, au fond duquel veillaient les gardiens somptueux.
 Le soir quand je demandai à un de ces hommes de cuivre, qui portait un turban multicolore, si Quito était loin du pays des caneliers, il répondit à mon grand étonnement qu'il n'existait rien de ce genre, que sur ces terres les arbres sont tous différents et qu'il n'avait jamais entendu parler d'une forêt où tous les arbres seraient semblables. (..) Il ajouta que la terre ne s'arrête jamais à une seule pensée...
 Même si les arbres ne rient pas, cela ne veut pas dire qu'ils sont tristes, dirent-ils. Les arbres se contentent peut-être de méditer, de se rappeler les lunes qu'ils ont vues, les fables que murmure le vent dans leurs branches, les souvenirs des morts.

Et je m'arrête car tout est beau dans ce roman.

Voir aussi les avis de  : Folfaerie ; fleur de soleil

dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1301589566.pngMerci à Babelio et aux éditions JC Lattès

Lamartine et Brassens, Pensées des morts



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Franklin Carmichael : groupe des sept, peintre canadien

Aujourd'hui, j'ai eu froid. Pour la première fois j'ai pensé à l'automne; j'ai pensé à George Brassens chantant Lamartine, ce poème mis en musique que j'aime tant où l'automne est assimilé aux feuilles sans sève, à l'eau dormante, à la mort.

Alors tristesse en ce dimanche de la mi-Octobre? Non! Car l'automne pour moi, c'est aussi la beauté de la nature, la fulgurance des couleurs, le repliement douillet dans la chaleur de la maison.

 Pensées des Morts


Voila les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombe des forêts 

C'est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants
Ils tombent alors par mille
Comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
A l'approche des hivers 

C'est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir
Tendres fruits qu'à la lumière
Dieu n'a pas laissé mûrir
Quoique jeune sur la terre
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison
Et quand je dis en moi-même
"Ou sont ceux que ton cœur aime?"
Je regarde le gazon 

C'est un ami de l'enfance
Qu'aux jours sombres du malheur
Nous prêta la providence
Pour appuyer notre cœur
Il n'est plus : notre âme est veuve
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié
"Ami si ton âme et pleine
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié?" 

C'est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau
N'emporta qu'une pensée
De sa jeunesse au tombeau
Triste, hélas ! dans le ciel même
Pour revoir celui qu'elle aime
Elle revient sur ses pas
Et lui dit : "ma tombe est verte!
Sur cette terre déserte
Qu'attends-tu? je n'y suis pas!"

C'est l'ombre pâle d'un père
Qui mourut en nous nommant
C'est une sœur, c'est un frère
Qui nous devance un moment
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l'autre ravie,
Emporte une part de nous
Murmurent sous la pierre
"Vous qui voyez la lumière
De nous vous souvenez-vous?" 

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon
Voila le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon
Voila l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombe des forêts




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Camille Pissaro
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Vincent Van Gogh

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Arcimboldo
Alors, Bon Dimanche à tous!


Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

dimanche 10 octobre 2010

Pierre Reverdy, Plupart du temps 1915-1922

 Plupart du temps de Pierre Reverdy paru chez Poésie/ Gallimard est un recueil de poésies qui s'étend sur une longue période de 1915 à 1922.

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Pierre Reverdy peint par Modigliani

Poèmes en prose 1915

Fétiche
Petite poupée, marionnette porte-bonheur, elle se débat à la fenêtre, au gré du vent.  La pluie a mouillé sa robe, sa figure et ses mains qui déteignent. Elle a même perdu une jambe. Mais sa bague reste, et, avec elle, son pouvoir. L'hiver  elle frappe la vitre de son petit pied chaussé de bleu et danse, danse de joie, de froid pour  réchauffer son coeur, son coeur de bois porte-bonheur. La nuit, elle lève ses bras suppliants vers les étoiles.



La Lucarne ovale 1916
En ce temps là le charbon
était devenu aussi précieux
et rare que des pépites d'or
et j'écrivais dans un grenier
où la neige, en tombant  par
les fentes du toit, devenait
bleue.


Les ardoises du toit 1918

Sur chaque ardoise
qui glissait du toit
on
avait écrit
un poème

La gouttière est bordée de diamants
les oiseaux les boivent



Cravates de chanvre 1922

Naissance à l'orage
Toute la face ronde
Au coin sombre du ciel
L'épée
la mappemonde
sous les rideaux de l'air
    Des paupières plus longues
Dans la chambre à l'envers
Un nuage s'effrondre
La nuit sort de l'éclair


Les compagnons Troubadours de Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

Poetry, un film coréen de Lee Chang Don

Mija dans Poetry de Lee Chang Dong (source)
Poetry, film coréen de Lee Chang Dong a obtenu le prix du scénario à Cannes 2010.
Mija est une vieille dame qui élève seule le fils de sa fille et elle a bien du mal! Le garçon s'est rendu coupable d'un viol collectif qui a poussé la victime au suicide. La seule préoccupation des pères des jeunes gens est que leur fils échappe à la justice en achetant le silence de la mère de la jeune fille.  Mija, atteinte de la maladie d'Alzheimer, toujours bien mise, éprise de  beauté (elle s'est inscrite à un cours de poésie) va devoir faire face à cette situation.
Au cours d'un échange épistolaire avec Miriam (voir son blog carnet de voyages  et sa critique ici )nous n'avons pas été d'accord sur notre façon de recevoir le film.
Miriam : J'aimerais bien que tu me dises ce que tu as trouvé décevant dans Poetry, moi j'ai bien aimé, j'ai trouvé l'actrice extraordinaire et puis cette recherche de beauté dans une existence aussi banale, dans un décor banlieusard m'a intéressée.

Claudia : Tu me demandes pourquoi je n'ai pas aimé Poetry ?
Certes, l'actrice est excellente mais j'ai trouvé que le film avait des longueurs dues à un scénario qui n'était pas dominé, qui n'était pas très clair (oui, je sais il a eu le prix du scénario à Cannes mais ce n'est pas un critère absolu)
Que veut démontrer le réalisateur?  Il dénonce une société horrible, ou la femme et les humbles - ceux qui n'ont ni l'argent, ni le pouvoir- ne peuvent bénéficier d'aucune justice, une société corrompue ou tout s'achète même la mort d'une enfant. La dénonciation, c'est le sens que paraît avoir le film, car, au final, je n'ai pas trop compris quel était son but; le scénario est tellement plein de contradictions et de faiblesses au niveau de la psychologie des personnages que je suis restée perplexe!
Face à l'horreur, il met une vieille femme, la grand mère d'un des violeurs. Celle-ci est d'un milieu pauvre, ce qui la place à l'opposé des familles riches et sans morale. Elle aime la poésie et par conséquent paraît représenter le point de vue moral ou tout au moins critique de cette société, sinon, à quoi servirait d'avoir fait de Poetry - la recherche du beau, de l'idéal-  le thème central du film?
Or, il n'en est rien. Ce personnage, de qui l'on attend beaucoup, a une manière de se comporter peu cohérente et au final elle agit comme les autres sans faire preuve de plus de sens moral. C'est une femme qui est dépassée par son petit-fils, qui ne sait ni l'éduquer, ni réagir. Ce que l'on peut comprendre ! Elle est âgée et le garçon est immonde!  Par contre, on pouvait espérer que sa réaction serait assez forte en apprenant ce qu'il a fait pour l'amener à se dresser contre tous ceux qui veulent étouffer l'affaire; or elle réagit à peine, continue à écrire ses poèmes. Si elle cherche a réveiller la conscience du garçon en lui présentant le portrait de la jeune fille, elle accepte par contre que, face au portrait, il se mette à regarder la télé comme si cela ne le concernait pas! Une grand mère peut être dépassée mais jusqu'à un certain point! Elle peut adorer le fils de sa fille, de là à ne pas réagir quand celui est un criminel!!
Au contraire  le scénario nous la montre agissant comme les riches, décidée à payer comme les autres. Elle va même jusqu'à satisfaire les besoins sexuels d'un handicapé afin de pouvoir le faire chanter pour obtenir de l'argent, ce qui est, on en conviendra, j'espère, est assez méprisable. On voit mal où est "la dignité" de cette vieille femme dont parle la critique du Monde !! Donc, ce personnage prétendument épris de beauté, que l'on veut nous montrer différente, sensible, n'est pas convaincante psychologiquement puisqu'elle fait le contraire de ce que ferait toute personne ayant le moindre sens moral. De plus ces agissements impliquent un machiavélisme et un esprit calculateur qui ne sont pas crédibles pour quelqu'un qui perd la mémoire, atteint de la maladie d'Alzheimer! Or je ne sais pas trop ce que cette maladie ajoute au propos sinon d'introduire un thème à la mode et de justifier qu'elle paraisse oublier la mort de la jeune victime pour se concentrer sur la poésie! Mais comme elle souffre d'Alzheimer seulement quand ça arrange le réalisateur et pas à d'autres moments, l'intrigue ne tient pas debout. La poésie du coup devient quelque chose de plaqué, de convenu (en plus les cours du poète, quelle horreur!), du pour faire "chic" qui ne me touche absolument pas.
De même le personnage de la mère de la jeune fille n'est pas traitée d'une manière cohérente. La mère apparaît comme une très belle personne quand la vieille dame la rencontre dans son champ, un paysanne qui a du mal à joindre les deux bouts, c'est vrai, mais courageuse et digne, très affectée par le viol et le suicide de sa fille. Puis d'un seul coup, on la voit accepter l'argent qu'on lui propose, marchander la mort de sa fille. Là aussi on ne sait où va le scénario, ce qu'il veut dire : c'est quelqu'un de bien d'abord puis d'infect après! Il faudrait choisir! Rien n'est valable au niveau de l'histoire (le commissaire qui joue au volant avec la grand-mère quand il vient arrêter son petit-fils, ridicule!!) et de la psychologie.
Décidément, ce  film m'a irritée, alors que j'adore d'autres films coréens, en particulier ceux de Kim Ki Duk!


Miriam
Je n'ai pas vu la grand mère comme une belle personne éprise de beauté face à des personnages repoussants. Je l'ai plutôt considérée borderline, sans autorité sur son petit fils caricatural adoré et pourtant horrible, essayant de maintenir une apparence digne alors qu'elle faisait un travail humiliant, personnage complexe dans un monde difficile, cherchant la beauté dans une banlieue banale au mieux.
la poésie n'est pas non plus idéalisée, les réunions "poétiques" sont parasitées par des grivoiseries navrantes, réunions de paumés!
Deuxième réflexion: la féministe en moi n'a pas tilté.
L'horreur du viol, les marchandages des parents, le silence des enseignants, la complicité de la grand mère... tout cela aurait dû me révolter. Un mauvais point pour moi!
Cette société infecte et repoussante (je te cite), Brillante Mendoza l'avait mieux exprimée dans un scénario plus univoque. Mais je ne sais  pourquoi, un scénario touffu qui part dans tous les sens n'est pas toujours pour me déplaire. La réalité elle-même est tellement complexe....

Guillermo Arriaga : Mexico quartier sud

 

Mexico quartier sud, le titre est explicite car c'est bien ce quartier qui est le sujet  de ce recueil de nouvelles de Guillermo Arriaga. Dans  la grande avenue Retorno au sud de Mexico vit une population mêlée. C'est là que Arriaga place ses personnages, le Viking, un enfant à qui la rue a appris la violence, Lilly une jeune fille handicapée, Séraphina, une femme de ménage enceinte, un vieux marin en proie à une insupportable douleur... Mais aussi des notables qui acceptent mal tout ce qui perturbe leur tranquillité ainsi le docteur Diaz qui est un personnage récurrent et sinistre sous ses dehors de respectabilité. Car si c'est la rue qui inspire Arriaga, il nous fait pourtant pénétrer dans les intérieurs des maisons et découvrir derrière les façades fermées la réalité des faits et des actes, une réalité très souvent violente.

La première de ces nouvelles, en effet, intitulée Lilly est d'une telle violence qu'on la reçoit comme un coup de poing. On se demande si l'on sera capable d'en supporter beaucoup plus. Heureusement et d'une manière surprenante, la suivante, La veuve Diaz, est une belle  et triste histoire d'amour contée avec beaucoup d'émotion, tout comme celle de La Nouvelle Orléans, poignante, décrivant la douleur intolérable de ce père dont la fille s'est noyée, ou encore ce petit garçon marqué à jamais par la mort de sa petite soeur, Laura, dont les parents inconsolables ont fait disparaître jusqu'au souvenir dans Le Visage effacé. A côté de ces thèmes de la Mort et l'Amour étroitement liés qui courent dans les nouvelles que j'ai le plus aimées, il y aussi l'image d'une société injuste, terrible et implacable qui apparaît dans d'autres récits : Dans La Nuit bleue le docteur Diaz qui a tué une jeune femme en pratiquant un avortement qu'il savait dangereux marchande avec la police pour acheter son silence. Dans Légitime Défense, le docteur Diaz aide son voisin à se  débarrasser du corps du jeune voleur que ce dernier a tué! Ainsi le meurtre semble bien aisé quand on est riche et considéré face à une police corrompue, et le cynisme des classes dominantes envers les victimes si elles sont humbles et sans appuis paraît sans bornes.
J'ai été frappée par la diversité des sujets et du style de Guillermo Arriaga qui change selon les récits dont j'ai apprécié la force même s'ils ne sont pas tous au même niveau..

 Merci à BOB et aux éditions Phébus

vendredi 8 octobre 2010

Richard Price : Frères de sang




Frères de sang est un roman de Richard Price qu'il a écrit dans les années 1970 et qui est resté inédit en France jusqu'à maintenant. Grand romancier américain, auteur notamment de Ville noire, ville blanche, Les Seigneurs, Richard Price est aussi dialoguiste et scénariste au cinéma; il a signé, en particulier, le scénario de La couleur de l'argent réalisé par Martin Scorcese.

Dans Frères de sang Richard Price décrit la vie d'une famille d'origine italienne dans le Bronx, un quartier populaire qu'il connaît bien puisqu'il y est lui-même né en 1949. Tommy et Marie de Coco ont deux fils. L'un Stony, dix-sept ans, qui fait la fierté de ses parents, l'autre Albert, huit ans, anorexique qui laisse son père indifférent et que sa mère poursuit de sa haine. Autour d'eux gravitent une foule de personnages, Chubby, le frère de Tommy et sa femme Phyllis, Butler, le meilleur ami de Stony, Cheri, sa petite amie, le docteur Harris qui soigne Albert, Banion, le patron du bar et bien d'autres, ouvriers électriciens, enfants de l'hôpital...

Stony est le personnage principal de ce roman qui raconte le passage de l'adolescence à l'âge adulte avec ses sentiments exacerbés, ses interrogations, ses choix difficiles, mais chaque personnage a son importance et recevra un double éclairage  -vu de l'extérieur puis de l'intérieur-  par le biais d'un narrateur omniscient qui connaît tout des pensées et du passé de chacun. De là une vision complexe de ces hommes et de ces femmes qui, par bien des côtés, sont des brutes promptes à la bagarre, menées par le sexe et la boisson, et qui, par d'autres, sont des êtres blessés par la vie, déterminés par leur origine sociale et leur naissance. Le Bronx avec sa population mêlée est ici au coeur du récit. Dans ce quartier se côtoient en cherchant à s'éviter des blancs d'origine modeste qui se considèrent comme supérieurs, des noirs, des latinos. Le racisme, l'alcoolisme, la drogue, la prostitution sont quelques-uns des maux du quartier.



J'avoue avoir eu du mal à entrer dans le roman tant le vocabulaire, surtout lorsqu'il est question de sexe, est cru, d'un réalisme violent et l'image de la femme telle que la conçoivent les hommes de la famille de Coco, dégradante. Mais le lecteur se rend bien compte que ce parti pris n'est jamais gratuit. Au contraire, il permet de peindre la mentalité de ces hommes qui croient compenser la médiocrité de leur vie par l'illusion de la puissance que leur confère leur virilité souvent confondue avec vulgarité et brutalité. Si le Dimanche est réservé à la famille, les autres soirs pour Tommy et ses semblables sont consacrés à ces divertissements habituels : se saouler, se bagarrer et tromper leur femme, dérivatifs à l'ennui, au vide de leur existence. Stony, d'ailleurs, dit qu'il ne veut pas devenir comme eux, travailler toute la semaine pour ne vivre que dans l'attente du week end. Leur mode de vie détermine aussi celle de leur épouse qui reste à la maison, délaissée, peu considérée, soumise et éteinte comme Phyllis, ou aigrie et vindicative comme Marie mais toujours victimes comme le montre la fuite avortée de Marie emprisonnée dans ses devoirs de mère qu'elle ne veut ou ne peut plus assumer. Pourtant ces personnages sont plus subtils qu'il n'y paraît aux premiers abords et s'ils paraissent primaires, violents, immatures, ils sont aussi capables d'amour et de dévouement, amour fraternel de Tommy et Chubby,  amour paternel des deux frères pour leur fils et neveu, Stony.
Le thème de la famille est ainsi très présent dans le récit et donne son titre au roman "frères de sang", car outre Tommy et Chubby unis par les liens étroits du sang et de leur éducation, Stony aime son frère Albert et s'occupe de lui. A l'hôpital, quand il travaille auprès des enfants malades ou maltraités par leur famille, il remplace avec humour cette notion par celle de "frères de salive" à défaut de sang, expliquant aux enfants l'importance de la solidarité dans la vie de souffrance qui est la leur..
Ce thème à la fois rassurant quand Stony protège son frère et le maintient en vie par son amour, est inquiétant quand il frappe sa mère pour l'empêcher de harceler l'enfant. Il devient carrément étouffant quand il entrave Stony, l'empêche de choisir l'avenir qu'il désire. Car l'amour familial peut aussi briser les élans, étouffer les aspiration légitimes. Ainsi Stony ne veut pas faire de la peine à son père et son oncle qui font pression sur lui pour le choix de son métier; il ne veut pas laisser Albert seul en quittant sa famille. Ce personnage est par ailleurs très attachant. Il a toutes les outrances de de l'adolescence; il est amoureux de Cheri et devient fou de jalousie mais il est aussi généreux, amusant, plein d'imagination quand il s'agit de distraire son petit frère ou les enfants de l'hôpital.



Le roman présente une succession de scènes si complètes, si précises, si visuelles, que l'on pourrait les isoler les unes des autres, chacune comme un tableau ou une nouvelle dans laquelle l'art de l'écrivain s'exprime avec une puissance et un humour noir qui exercent une fascination sur le lecteur. Leur enchaînement forme un tout cohérent et offre une vision pessimiste de cette société où l'espoir ne semble pas de mise.



Je remercie  Dialogues croisés et les éditions Presses de la Cité qui m'ont fait parvenir ce livre dont la parution est prévue pour le 12 Août .
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jeudi 7 octobre 2010

Départ pour la Lozère





Je devais rester une dizaine de jours à Avignon pour assister au festival mais ma petite-fille souffre  de la chaleur (aujourd'hui la température a battu tous les records, je crois) et la climatisation est en panne! Donc, j'avance mon départ et amène mon petit bout de fille en Lozère où il fait relativement frais.

J'ai assisté à la représentation de quelques pièces à Villeneuve-en-scène, festival qui a commencé dès le 3 Juillet. j'ai aussi profité aujourd'hui de quelques avant-premières dont je vous parlerai plus longuement... un autre jour!

Bonnes vacances à toutes et à tous!

dimanche 3 octobre 2010

Alphonse Allais, Complainte amoureuse

Doisneau


C'est Dimanche! Soyons un peu sérieux! Je souhaitais depuis longtemps que vous révisassiez vos temps et vos modes avant que vous ne les oubliassiez. Voilà qui est fait!

Complainte amoureuse
Oui dès l'instant que je vous vis
Beauté féroce, vous me plûtes
De l'amour qu'en vos yeux je pris
Sur le champ vous vous aperçûtes

Ah! Fallait-il que je vous visse
Fallait-il que vous me plussiez
Qu'ingénument je vous le disse
Qu'avec orgueil vous vous tussiez

Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez

Alphonse Allais


Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Alex : Mot-à-mots Alinea66 : Des Livres… Des Histoires…Anne : Des mots et des notes, Azilis : Azi lis, Cagire : Orion fleur de carotte, Chrys : Le journal de Chrys, Ckankonvaou : Ckankonvaou, Claudialucia : Ma librairie, Daniel : Fattorius, Edelwe : Lectures et farfafouilles, Emmyne : A lire au pays des merveilles, Ferocias : Les peuples du soleil, George : Les livres de George, Hambre : Hambreellie, Herisson08 : Délivrer des livres?, Hilde : Le Livroblog d’Hilde , Katell : Chatperlipopette, L’Ogresse de Paris : L’Ogresse de Paris, L’or des chambres : L’Or des Chambres, La plume et la page : La plume et la page, Lystig : L’Oiseau-Lyre (ou l’Oiseau-Lire), Mango : Liratouva, MyrtilleD : Les trucs de Myrtille, Naolou : Les lectures de Naolou,Oh ! Océane !, Pascale : Mot à mot, Sophie : Les livres de Sophie, Wens : En effeuillant le chrysanthème, Yueyin : Chroniques de lectures Océane :
 

Arbres : carnet de dessins



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O'Keefe (1887-1986) The Lawrence tree (  Harthford. Wadsworth Atheneum)

Arbres : carnet de dessins est un beau livre broché paru à la Bibliothèque de l'Image. Il présente des dessins et des tableaux d'arbres et est préfacé par Michel Racine, professeur à l'Ecole nationale du paysage de Versailles, qui souligne l'importance de  l'arbre dans notre pensée  occidentale :
La place centrale qu'occupe l'image de l'arbre comme arbre sacré, arbre cosmique, arbre de connaissance, arbre généalogique, arbre de liberté, mais aussi arbre des morts, forme à la fois phallique et maternelle, renvoie dans notre civilisation à des constellations de significations.

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Gustav Klimt (1862-1918) Les bouleaux (Vienne)

C'est à travers les oeuvres de grands artistes du XVIème au XXème siècle que nous allons découvrir ces significations qui varient avec les époques, les croyances et les préoccupations des hommes mais aussi selon l'imaginaire personnel du peintre. Un voyage  passionnant.

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Gustave Courbet (1819-1877) Le chêne de Flagey (Philadelphia. Academy of fine arts)

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Giuseppe Penone ( né en 1947) Il verde del bosco (Paris. Fondation Cartier)

vendredi 1 octobre 2010

Robert Bober (1): On ne peut plus dormir tranquille quand on a ...


Le livre de Robert Bober Ferrand,  On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, devait s'appeler Je vadrouille autour de mon passé et c'est exactement ce à quoi l'auteur nous convie dans son roman, promenade sur le chemin de sa vie tel un personnage de conte qui ramasserait les pierres semées tout au long de son passé.
Mais lorsque Robert Bober préfère pour titre les vers de Pierre Reverdy On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, la poésie nous prend alors par la main. Elle nous entraîne dans une sorte de jeu de l'oie au cours duquel, d'une case à l'autre, avec parfois retour en arrière, de hasard en hasard, le personnage suit un fil conducteur qui ne lui laisse plus de cesse, les yeux soudain dessillés à la découverte de ce qu'il n'avait jamais su voir et qui, pourtant, était en évidence devant lui.
Je marchais de plus en plus dans les rues, souvent les mêmes. Je montais à Belleville pensant à ce qui se réveillait en moi. Apprenant à avancer avec attention. Ne pas se contenter de recevoir ce qui se présente. Aller y voir.
Ainsi le film de Jules et Jim de François Truffaut où Bernard, le narrateur, fait de la figuration constitue la première case. Bernard amène sa mère à la projection de ce film. Emue par ce qu'elle vient de voit, elle lui fait des confidences qui lui permettent de connaître l'histoire d'amour qu'elle a vécue dans sa jeunesse. Ceci nous nous entraînera à la recherche du passé du père de Bernard, juif, arrêté et déporté en 1942, jamais revenu! Mais aussi de son beau père mort dans un accident d'avion puis de la soeur de celui-ci réfugiée en Amérique. Dans cette recherche toutes les périodes se côtoient. Nous sommes en 1962, date du tournage de Jules et Jim, les attentats de l'OAS se multiplient dans Paris, les morts du métro Charonne provoquent l'indignation générale et une gigantesque manifestation suit. Ces évènements décrits en 2010 par un homme qui les a vécus, se mêlent à ceux de la guerre et des rafles des juifs en 1942 puis nous amènent plus loin encore, dans les années 30, époque où les parents de Bernard sont obligés de fuir la Pologne et se réfugier en France. Tout ceci grâce à ce fil d'Ariane qui se dévide devant nous et qui accroche au passage différents personnages tous liés entre eux par des lieux, par un passé commun, par une série de hasards. Influence évidente du cinéma donc. Je pense par exemple à la construction d'un film comme celui de Rivette Céline et Julie vont en bateau ou à la chanson que chante Jeanne Moreau dans Jules et Jim : On s'est connus, on s'est reconnus/ On s'est perdus de vue, on s'est r'perdus d'vue/ (...)Chacun pour soi est reparti./Dans l'tourbillon de la vie...
Le hasard rythme donc les rencontres et les départs. Mais ce n'est pas seulement dans le passé mais aussi dans une véritable aventure cinématographique que nous nous embarquons. Robert Bober nous entraîne à travers Paris, sur les traces de Jeanne Moreau, de Reggiani et Simone Signoret, le couple mythique de Casque D'or,  au cirque d'Hiver dans un envol de Trapèze avec Burt Lancaster et Toni Curtis, au pied de l'immeuble où naquit Georges Méliès... Sous cette géographie du cinéma se dessine une autre plus ancienne, celle des rues de Paris dans les années 50, de Belleville plus précisément, et ce n'est pas un des moindres intérêts du roman.
Cet amour du cinéma et de François Truffaut dont Robert Bober fut l'assistant comme il nous le raconte au cours du récit, marque le roman et l'on retrouve l'empreinte du Maître jusque dans la technique de narration .
Dans La Nuit américaine, François Truffaut, metteur en scène interprète le rôle de Ferrand, metteur en scène d'un autre film.  Dans On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux, Bernard, étudiant, rencontre par hasard son ancien moniteur de colonie devenu assistant de François Truffaut. Ce dernier qui n'est autre que Robert Bober l'invite à faire de la figuration sur Jules et Jim. Bober devient donc un personnage fictionnel au même titre que Bernard. Mais ce dernier qui en tant que narrateur est maître de l'histoire, paraît plus "réel " que l'auteur. Influence de Truffaut et peut-être plus encore de Max Ophuls qui dans La Ronde, comme le rappelle Robert Bober, fait dire au meneur de jeu s'adressant aux spectateurs : Et moi, qu'est-ce que je suis dans cette histoire? L'auteur?
Cette mise en abyme permet à l'écrivain de créer un double de lui-même, dans un récit certainement en partie autobiographique, mais libéré des contraintes de l'autobiographie! De plus, le style de Bober même quand il explore le passé douloureux de la guerre et des rafles des juifs reste toujours le plus neutre possible, refuse le pathos. Pas de sentiment hors de propos dit le musicien Delerue dans le générique de La Nuit américaine résumant ainsi le crédo du cinéaste Truffaut mais aussi de l'écrivain Bober. Ce qui n'empêche le lecteur de ressentir de l'émotion très souvent, par exemple, lorsque Bernard parle de son petit frère Alex, et de la difficulté d'être un enfant sans père, ou encore dans cette  belle scène où Bernard refait le chemin parcouru par son père clandestin, pour rentrer chez lui sans se faire arrêter, sur les toits du cirque d'Hiver.
Longeant les souches de cheminée, mes pas se sont confondus avec les siens, et cet acte, qui, je venais de le comprendre, n'avait rien à voir avec la curiosité allait une fois pour toutes m'engager.
Un livre intéressant et riche donc qui perd peut-être un peu son fil d'Ariane dans la dernière partie lorsque l'écrivain raconte des histoires, celle de monsieur Raymond, le voyage à Berlin.. chacune comme une nouvelle avec une chute, mais qui ne font plus parti de notre parcours du jeu de l'oie. D'où une impression de décousu. Heureusement le fil interrompu reprend pour nous amener en Pologne où, à Auschwitz, Bernard retrouve définitivement son père.
Sur cette photo considérablement agrandie, mon père avait retrouvé sa dimension d'homme. Nous étions là, ensemble, debout, tout près, l'un en face de l'autre, dans la même immobilité. Nous avions le même âge. Il me souriait.


02_chronique_de_la_rentree_litteraire.1285274979.jpgMerci  à Ulike et aux éditions POL pour la découverte de  On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux de Rober Bober