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dimanche 15 janvier 2012

Un Livre/Un film : énigme n°17, Nikos Kanzantzaki : Zorba le grec



Le prix Sirtaki est accordé à : Aifelle, Asphodèle, Dominique, Dasola, Eeguab, Gwenaelle, Jeneen, Lystig, Marie-Josée, Miriam, Nanou, Sabbio. Merci à tous ! 

Le livre : Zorba le Grec de  Nikos Kanzantzaki
Le film : Zorba le grec, le réalisateur : Cacoyannis,  l'acteur principal : Anthony Quinn, la danse : Le Sirtaki 




Nikos Kanzantzaki est né en Crète, à Heraclion en 1883. Il disait  : D'abord Crétois, ensuite Grec. Il est mort  en Allemagne, à Fribourg en 1957.
Son enfance a été marquée par les révoltes crétoises contre l'occupant turc en 1881- 1897-1899 qui ont obligé ses parents à fuir la Crète.. Kazantzaki a fait ses études de droit à Athènes puis il a étudié en France en de 1907 à 1909, où il a suivi les cours de Bergson dont la philosophie l'a marqué toute sa vie. Il a publié sa thèse sur Nietzsche en 1909.  Il s'est aussi intéressé au marxisme et au boudhisme tout en restant chrétien et même mystique. Ce qui est moins incohérent que ce que l'on peut le penser au premier abord car pour lui (cf : Le Christ recrucifié) le Christ est du côté des pauvres, il prône le partage des richesses alors que le Christ de l'Eglise est celui des riches et des puissants .
Nikos Kazantzaki a occupé des fonctions politiques mais il a surtout été un écrivain, poète, philosophe, essayiste, traducteur prolixe, doué d'une force travail et d'une facilité à l'écriture extraordinaires. Il traduit l'Odyssée en moins de 45 jours et écrit les cinq romans de sa vieillesse en quelques années  :  Zorba le grec (1946), Le Christ recrucifié(1948), La liberté ou la Mort (1950),  La dernière tentation (1950).  Il est mis au ban de l'église chrétienne othodoxe pour ce dernier livre. On sait le scandale causé par l'adaptation du roman au cinéma par Scorcese auprès de groupes chrétiens fanatiques.

 Sur sa tombe, cette épitaphe : «  Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre. »
Zorba le grec
Un écrivain se rend en Crète pour exploiter la mine de lignite que son père lui a léguée.  Il rencontre  sur le port, en attendant le bateau, un personnage étrange, haut en couleur, la soixantaine bien sonnée, qui n'a de cesse de se faire engager par lui comme domestique ou homme à tout faire ou peu importe! Le personnage a du bagout, de la gaieté, une  forte personnalité et fascine l'intellectuel qui se laisse convaincre et le prend à son service.  En Crète, le narrateur et son serviteur descendent dans un hôtel tenu par Hortense, une prostituée française qui leur raconte sa vie. Zorba devient l'amant de la vieille courtisane qu'il surnomme Bouboulina et invite son maître à jouir de la vie en tombant dans les bras de la Veuve, une superbe jeune femme que tous les mâles du village convoitent mais qui l'air de le trouver à son goût. Le narrateur, un intellectuel qui ne vit que pour et par ses livres, refuse :
  Ma vie avait fait fausse route et mon contact avec les hommes n'était plus qu'un monologue intérieur. J'étais descendu si bas que si j'avais eu à choisir entre tomber amoureux d'une femme et lire un bon livre sur l'amour j'aurais choisi le livre.
Mais lorsqu'il cèdera à ses désirs il provoquera un drame.
La mort de la Veuve puis celle de Bouboulina qui lui donnent une vision terrible de la société crétoise et l'échec de l'exploitation de la mine décident de son départ. Cependant, le narrateur perdu  dans ses méditations, coupé de la réalité et de l'action, en lutte contre sa sensualité, refusant sa condition d'homme, a changé...  Zorba  lui a réappris à vivre.

Tous les hommes ont leur folie, mais la plus grande folie, m'est avis que c'est de ne pas en avoir.

Un roman en partie autobiographique :
Dans le prologue de Zorba le Grec qu'il écrit en 1946, Nikos Kazantzaki annonce quels ont été ses maîtres à pensée durant toute sa vie :  Homère, Bergson, Nietzsche et Georges Zorba.

Dans Zorba le Grec,  Kazantzaki  utilise des souvenirs personnels si bien que l'on peut dire que son roman qui reste une fiction est en partie autobiographique et que son personnage n'est pas inventé. Mais qui est ce Georges Zorba qui a joué un si grand rôle dans la vie de l'écrivain?
Il est né en Macédoine en 1867 dans ce qui était alors l'Empire Ottoman. Fils d'un riche propriétaitre terrien il a travaillé dans les champs et s'est occupé des troupeaux de  moutons, est devenu bûcheron, a travaillé à la mine en France. Il se marie, a huit enfants mais la mort de sa femme le secoue profondément. En 1915, il devient moine au mont Athos. C'est là qu'il rencontre Nikos Kazantzaki et devient son ami. Tous deux ont exploité une mine de lignite, non en Crète mais dans le Péloponèse, à Prastova, en 1917. Après l'effrondement de la mine les deux amis se séparent. L'écrivain part à Antibes puis en Suisse, Zorba  en Serbie où il se remariera et où il mourra en 1942..
C'est cette expérience que Nikos Kazantzaki raconte dans le roman.
D'après leur correspondance, l'on peut s'apercevoir que l'écrivain prête à son personnage Alexis Zorba, les caractéristiques morales et la philosophie de Georges Zorba. Cet être entier, énergique, enthousiaste, qui aime rire, qui aime la danse et la musique, pense que l'action prime sur la pensée. Il reproche à son patron d'être un intellectuel coupé de la vie et de ne pas savoir en profiter. Il ne faut pas se perdre en vaine méditations mais agir! C'est lui qui devient le maître à penser de son maître!

Influence de Nietzsche et de Bergson dans le roman :
A propos de l'influence de ces philosophes sur Kazantzaki, le critique Morton P. Lewitt pense qu' Alexis Zorba devient un héros calqué sur le Zarathoustra de Nietzche  par la préférence donnée à l'action sur la méditation, par la volonté de prendre en main son destin, par l'amour du rire et de la danse. Si le surhomme nietzchien est  "un dieu épicurien ramené sur terre" Alexis Zorba incarne ce surhomme. Quant à l'influence bergsonienne, elle serait dans cette intuitivité du personnage qui acquiert la sagesse par la connaissance de la nature humaine, par "la force de la vie elle-même" et  par sa grande capacité à rire car le rire signale une révolte contre la vie sociale. Comme Bergson, Alexis Zorba refuse d'agréer les conventions sans les remettre en question.  Et il cite ce passage de Bergson dans son essai Du Rire :
"C’est  ainsi  que  des  vagues  luttent  sans  trêve  à  la  surface  de  la  mer,  tandis  que  les  couches inférieures observent une paix profonde.  Les vagues s’entrechoquent, se contrarient, cherchent leur équilibre.  Une écume blanche, légère et gaie, en suit les contours changeants. Parfois le flot qui fait abandonne  un  peu  de  cette  écume  sur le  sable  de la  grève.  L’enfant  qui joue  près  de là  vient  en ramasser  une  poignée, et  s’étonne, l’instant  d’après,  de  n’avoir  plus  dans le creux  de la main  que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée, bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta.  Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles.  Il dessine instantanément la  forme mobile de ces ébranlements.  Il est, lui aussi, une mousse à base de sel.  Comme la mousse, il pétille.  C’est de la gaieté.  Le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d’ailleurs quelquefois, pour une petite quantité de matière, une certaine dose d’amertume."

Je reprends ici les citations  que j'avais relevées lors de ma première lecture du roman dans un précédent billet et qui donnent une vision de la philosophie de Zorba . Voici quelques "leçons" de Zorba à son maître :

- Quel est ton métier? lui demandais-je.
-Tous les métiers : du pied , de la main, de la tête, tous. Manquerait plus que ça, qu'on choisisse.

 Quand je joue du santouri, on peut me parler, je n'entends rien et même si j'entends, je ne peux pas parler. J'ai beau vouloir, rien à faire, je ne peux pas.
Mais pourquoi, Zorba?
-Eh! la passion!
 

Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!
 

Ne ris pas patron! Si une femme couche toute seule, c'est de notre faute à nous, les hommes. On aura tous à rendre des comptes le jour du jugement dernier. Dieu pardonne tous les péchés, comme on a dit, il a l'éponge en main, mais ce péché-là, il ne le pardonne pas! Malheur à l'homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l'a pas fait! patron.

Tu ne veux pas d'embêtements? fit Zorba stupéfait et qu'est-ce que tu veux alors?
Je ne répondis pas.
- La vie, c'est un embêtement, poursuivit Zorba, la mort, non. Vivre sais-tu ce que ça veut dire? Défaire sa ceinture et chercher la bagarre.
 

Pourquoi? Pourquoi? On ne peut donc rien faire sans pourquoi? Comme ça  pour son plaisir.

Tu n'as pas faim! dit Zorba en se frappant les cuisses. Mais tu ne t'es rien mis sous la dent depuis ce matin. Il faut s'occuper de son corps aussi, aie pitié de lui. Donne-lui à manger, patron, donne lui à manger, c'est notre bourricot, tu vois. Si tu ne le nourris pas, il te laissera en plan au beau milieu de la route.

Un livre /Un film
Il y a dans le roman deux scènes d'une grande force et qui ont une puissance visuelle étonnante. Le film de Cacoyannis  a su en rendre la grandeur sauvage et primitive.  Il s'agit de la scène où la Veuve est mise à mort par l'ensemble du village et égorgée devant nous. Irène Papas y est sublime. Elle n'a pas besoin de parole pour nous faire ressentir ses émotions, son visage, le moindre de ses mouvements est expressif.
La deuxième scène est la mort de Bouboulina dont le village va piller la maison avant qu'elle ait rendu le dernier soupir. Les  vieilles femmes toutes de vêtues de noir s'introduisent dans la chambre pour épier le dernier souffle de l'ancienne courtisane. Elles ressemblent à des corbeaux attendant la mort, prêts à frapper.  Et comme elles donnent le signal de la curée avant même que Bouboulina  ne soit morte, cela donne un jeu de scène hallucinant au cours de laquelle l'actrice qui interprète le rôle, Lila Kedrova, se redresse brutalement sur son lit comme si elle avait senti le bec des charognards la déchirer.

Pour le film  Voir Wens

samedi 14 janvier 2012

Un livre, un Jeu : Enigme n°17



Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.



Enigme n° 17
Transportons-nous aujourd'hui dans la patrie de Minos et de Pasipahae. C'est là que se déroule l'action du roman située dans les années 1920. Celui-ci est écrit en 1945 par un des plus grands écrivains grecs contemporains. Il met en scène un maître et un serviteur dont le nom prête son titre au roman.

Les bons comptes font les bons amis. Si tu me forces, ce sera fini. Pour ces choses-là, il faut que tu le saches, je suis un homme.
-Un homme, Qu'est-ce que tu veux dire?
-Eh bien, quoi, libre!

jeudi 12 janvier 2012

juan Manuel de Prada : La tempête


La Tempête de Giorgione

 La Tempête. Si j'ai choisi ce roman de Juan Manuel de Prada, c'est pour la référence à l'oeuvre du Gorgione qui allait m'amener inévitablement à Venise! Bingo!  Je suis arrivée dans la Serinissime en plein mois de Janvier avec  Alejandro Ballesteros, universitaire espagnol, qui a dilapidé sa vie, dit-il, à l'exégèse de ce tableau. Une fois sa thèse finie, Ballesteros se rend à Venise pour voir l'oeuvre. Enfin! A peine parvenu dans sa chambre d'hôtel, il téléphone, impatient, au directeur du musée de l'Accademia, Gilberto  Gabetti qui doit lui servir de cicerone et lui donner son avis de spécialiste sur sa thèse. Mais voilà que, de sa fenêtre, il assiste en direct à un meurtre. Un homme est poignardé sous ses yeux. Mais dès lors qu'il se porte au secours de la victime et qu'elle meurt dans les bras, Ballesteros va être impliqué dans ce meurtre même si le soutien de Gabetti lui évite d'être soupçonné. Il découvre bien vite que le mort est un célèbre faussaire, ami de Gabetti et professeur de Chiara,  fille adoptive de ce dernier.

J'avoue avoir été déçue par ce roman même s'il a été couronné d'un prix littéraire en 1997. Il repose d'abord sur une invraisemblance difficile à avaler  :  un universitaire travaille pendant des années sur la Tempête à partir de reproductions, publie une thèse qui se révèle "un pavé" sans avoir jamais vu l'original! Très crédible, en effet!  Et comme une partie de l'intrigue  repose sur le fait qu'il n'a jamais vu le tableau, on tombe dans le ridicule. L'histoire "policière" ne m'a donc pas convaincue. 
Je n'ai pas accroché, non plus, aux personnages de Gilberto Gabetti et de sa fille adoptive Chiara qui m'ont paru invraisemblables et inconsistants, et n'ai pas été touchée non plus par l'amour fou de notre universitaire pour Chiara tant le récit manque de conviction..
L'analyse du tableau de Giorgione ne m'a rien appris  nouveau. J'ai déjà lu des interprétations de cette image mystérieuse et, en fait, à l'encontre de ce j'espérais, ce  n'est pas vraiment le sujet du roman. Reste la description de Venise que Ballesteros découvre sous la neige, ce qui donne lieu à quelques passages bien écrits mais parfois redondants car Venise, associée à la mort,  ne trouve jamais grâce aux yeux de l'écrivain et n'est décrite que par sa décrépitude et ses immondices.  mais ma foi, pourquoi pas? Après tout Thanatos aussi est séduisant!

Nota :  Certaines critiques disent que ce n'est pas le livre le plus réussi de Prada. j'ai donc l'intention d'en lire d'autres.

Juan Manuel de Prada est né en 1970 à Baracaldo en Byscaye.

Les 12 d'Ys : Javier Marias: Un coeur si blanc



Un coeur si blanc de Javier Marias  est un coup de... coeur! Dès le premier chapitre, en effet, qui s'ouvre sur le suicide de Teresa, une jeune femme, tout juste revenue de voyage de noces avec Ranz, son mari, j'ai été happée par la force de cette scène analysée par le menu, appréhendée par le détail. En attirant l'attention sur tout ce qui entoure la mort, les attitudes que chacun adopte machinalement, les gestes mécaniques, parfois absurdes ou bizarres en ces circonstances tragiques, du père, de la soeur de la mariée, des invités, l'écrivain nous décrit la mort comme un spectacle, une mise en scène terrible qui se met en place devant nous où chaque acteur est aussi spectateur. Car  ce qui est saisi par les sens, par la vue : le sang, le soutien gorge enlevé, le sein déchiqueté, par l'ouïe : le robinet qui coule, le commis de l'épicerie qui siffle, ne peut l'être par l'esprit plongé dans le chaos, la stupeur, incapable de raisonner. L'écrivain pose le décor, montre les déplacements extérieurs, construit la  scène, la précise, l'affine et ce qui est extérieur va finir par être ressenti par nous-mêmes de l'intérieur comme si nous étions, par exemple, le père de Teresa, hébété, incapable de réfléchir avec cohérence et d'agir.

Cette première scène a une telle puissance d'émotion qu'elle pourrait avoir une vie en elle-même, être une nouvelle. Elle présente même, comme toute bonne nouvelle, une chute :  Tout le monde dit que Ranz,(...),  le mari, mon père, n'avait pas eu de chance, puisqu'il devenait veuf pour la deuxième fois"

Mais cette phrase nous invite à poursuivre le récit avec le mot "mon père"  qui nous permet de découvrir le narrateur. Juan est le fils de Ranz. Son père s'est remarié avec Juana, la soeur cadette de Teresa, et Juan est né de leur union bien après le drame. Il a longtemps cru que sa tante Teresa était morte de maladie et personne n'a jamais découvert non plus pourquoi elle s'était suicidée. Il parle quatre langues, est interprète dans les grands sommets internationaux auprès de chefs d'état et c'est à une de ces occasions qu'il découvre Luisa, interprète elle aussi, au cours d'une rencontre entre les chefs du gouvernement anglais et espagnol. Son récit débute avec son mariage et le malaise qu'il va ressentir devant une confidence de son père après la cérémonie. Une  scène qu'il surprend entre un homme et une femme inconnus dans la chambre voisine de la sienne pendant son voyage de noce à Cuba accentue encore cette inquiétude.
Le roman nous livrera ce secret de famille que Juan ne veut pas connaître mais dont il besoin pourtant pour assumer sa vie.

Les thèmes de ce roman sont incroyablement riches et me touchent particulièrement.
Celui de la mémoire par exemple, de l'impossibilité de retenir l'image de ce qui s'est passé d'où la multiplication à notre époque des moyens de reproduction pour retenir de passé : or pendant que nous essaierons de  le revivre, de le reproduire ou de le rappeler et d'empêcher qu'il soit passé, un  temps différent aura lieu au cours duquel, sans doute, nous ne serons pas ensemble, ne décrocherons pas le téléphone, ne nous déciderons à rien et ne pourrons éviter aucun crime, aucune mort (sans pour autant les commettre et les causer), parce que nous le laisserons passer hors de nous comme s'il n'était pas nôtre, dans cette tentative morbide de le faire durer et de revenir quand il est déjà passé."

La difficulté de donner un sens à notre vie  qui n'est parfois qu'illusion et non-sens  et pourtant...
Ce qui se fait est identique à ce que nous ne faisons pas, ce que nous écartons ou laissons passer, identique à ce que nous prenons ou nous saisissons, ce que nous ressentons, identique à ce que nous n'avons pas éprouvé, pourtant notre vie dépend de nos choix et nous la passons à choisir, rejeter, sélectionner, à tracer une ligne qui sépare ces choses équivalentes, faisant de notre histoire quelque chose d'unique qui puisse être raconté et remémoré.

Sur l'essence des relation humaines et l'amour :
Toute relation personnelle est toujours une accumulation de problèmes, d'insistances, mais aussi d'offenses et d'humiliations." "Tout le monde oblige tout le monde, non pas tant à faire ce qu'il ne veut pas, que ce qu'il ignore vouloir, car pratiquement  personne ne sait pas ce qu'il ne veut pas, et moins encore ce qu'il veut, et cela, il n'y a aucun moyen de la savoir.

Le thème de la  culpabilité et de l'innocence si important dans le roman est abordé par le biais de Shakespeare et Macbeth : "I have done the deed" "j'ai fait l'acte" dit Macbeth quand il a tué Duncan sur les instigations de sa femme. Pour apaiser son effroi Lady Macbeth qui vient de plonger ses mains dans le sang de Ducan pour barbouiller le visage des serviteurs et les faire accuser, murmure  à son mari : "Mes mains ont la couleur des tiennes mais j'ai honte de porter un coeur si blanc". Un coeur si blanc, c'est le titre du roman qui s'éclairera pour le lecteur au dernier chapitre.
 Une instigation n'est rien d'autre que des mots, des mots sans maître que l'on peut traduite, qui se répètent de bouche en bouche, de langue en langue et de siècle en siècle... les actes eux-mêmes dont personne ne sait jamais s'il veut les voir accomplis, tous actes involontaires, les actes qui ne dépendant plus de ces mots dès qu'ils se réalisent, mais les effacent, restent coupés de l'après et de l'avant, eux seuls subsistent, irréversibles, alors qu'il y a réitération et rétractation, répétition et rectification des mots, ils peuvent être démentis ... il peut y avoir déformation et oubli.

Et certes les propos du livre et la manière d'envisager la vie sont bien noirs. Pourtant lorsque Juan saura la vérité, son pessimisme se tempère. Il peut désormais envisager un avenir avec Luisa et même si nul ne peut jurer que l'amour est éternel, il est important d'avoir quelqu'un que l'on aime et qui nous aime.Car c'est finalement l'amour qui peut nous sauver du non-sens.

Une des caractéristiques de l'écriture de Javier Marias tout au cours du roman,(nous l'avons vu dès la première scène) est l'analyse très précise, très fine, qui donne son importance aux détails; or ceux-ci finissent par être essentiels et nous amènent à participer! Un autre de ces particularités est un procédé de réitération des scènes, des paroles telles qu'elles ont été dites, des voix qui font écho avec leur intonation précise, et qui reviennent à plusieurs reprises comme un leit-motiv, comme si la scène recommençait inlassablement dans un processus qui rappelle celui de la mémoire, une scène vécue et revécue parce qu'on ne peut pas ou que l'on ne veut pas l'oublier.   Mais dans ces répétitions s'introduisent des variantes où l'on voit peu à peu le personnage se transformer et s'ouvrir. Et c'est ainsi que ce "romancier de la construction et de l'intelligence" comme il est dit de Javier Marias dans la quatrième de couverture, le devient aussi de l'émotion. C'est ainsi que nous sommes gagnés par la nostalgie de ces mots, de ces efforts démesurés et vains de la mémoire, qui, à travers ce récit tragique, nous parle de nous, de la difficulté de donner un sens à notre vie, d'aimer mais qui est aussi un encouragement à continuer tant que l'on a quelqu'un  dans notre sommeil pour nous protéger et nous aimer.

...nous nous sentons vraiment protégés que lorsqu'il y a quelqu'un derrière nous, quelqu'un que nous ne voyons pas forcément, qui couvre notre dos de sa poitrine tout près de nous frôler, qui finit toujours par nous frôler, et au milieu de la nuit, quand nous nous réveillons en sursaut à cause d'un cauchemar ou parce que nous ne pouvons trouver le sommeil, parce que nous sommes fiévreux ou que nous nous croyons seuls, abandonnés dans le noir, nous n'avons qu'à nous retourner et voir, juste en face de nous, le visage de celui qui nous protège et qui se laissera embrasser partout où l'on peut embrasser (sur le nez, les yeux et la bouche, le menton, le front et les joues; et les oreilles, c'est tout le visage) ou qui, peut-être, nous mettra la main sur l'épaule pour nous apaiser, ou pour nous tenir, ou pour s'agripper peut-être.

PS : J'ai adoré aussi la présentation du métier d'interprète lors dans grandes conférences ou sommets internationaux traitée avec un humour noir décapant... Et les relations de Juan avec son amie Berta  une femme blessée par la vie et aux réactions assez surprenantes.




Rosa Montero : La fille du cannibale



Dans La fille du cannibale Lucia Romero, écrivain pour enfants, la quarantaine bien sonnée,  part en voyage avec son mari Ramon Iruna qui est fonctionnaire au ministère des Finances. Juste avant l'embarquement, celui-ci part aux toilettes mais il n'en ressort jamais. Lucia, angoissée a l'idée de rater l'avion, n'a pourtant pas quitté la porte des yeux. Qu'est devenu Ramon? Les recherches de la police sont infructueuses. Quand Lucia reçoit une demande de rançon par une organisation terroriste, elle va livrer elle aussi sa propre enquête, épauler en cela par ses voisins, un vieil anarchiste de quatre-vingt ans surnommé Fortuna qui n'a pas froid aux yeux et un jeune homme de vingt ans, Adrian, trop jeune pour elle ... mais terriblement séduisant!
L'enquête policière assez complexe et rocambolesque permet à  Lucia de découvrir ses sentiments, de secouer les habitudes ancrées que l'on ne remet pas en question parce que l'on se laisse enliser dans la routine quotidienne. En faisant le point sur sa vie, elle s'aperçoit que tout n'y est pas si rose.  D'abord, elle n'aime plus Ramon. Il y a bien longtemps qu'il n'y a plus rien entre eux! Elle prend conscience qu'elle ne sait rien de cet homme qui lui paraissait si banal et si lisse! Ensuite, elle déteste Belinda la cocotte, l'héroïne idiote de contes stupides qu'elle écrit pour les enfants..  Enfin, elle a quarante ans, un dentier et de nombreuses cicatrices dus à un accident de la route et c'est très lourd à assumer. Si l'on ajoute que ses parents, d'anciens acteurs narcissiques, sont incapables de lui apporter le moindre soutien moral, qu'elle est la fille d'un présumé cannibale (son père ayant mangé de "l'homme" pour survivre au cours d'un dramatique accident, du moins c'est ce qu'il raconte), si je vous dis encore qu'elle tombe amoureuse du nouveau voisin qui pourrait être son fils... etc... vous comprendrez que le roman de Rosa Montero n'est pas sans sel et  la vie de son héroïne de tout repos. Ceci raconté avec humour (noir souvent) qui n'exclut pas la gravité et une réflexion désabusée et lucide sur la vie en général, et en particulier sur les rapports entre hommes et femmes dans le couple, sur le statut de la femme aussi.  Et elle a  parfois la dent dure et le verbe mordant!.
C'était une de ces femmes dont la raison de vivre est la maternité, comme si accoucher était l'oeuvre suprême de l'Humanité, celle qui nous intronise dans l'Olympe aux côté des lapins.

 Mais au-delà de l'humour, il y a la souffrance de vieillir, la peur de la  solitude et de la mort, la déception face à une réalité que l'on trouve trop dure et que l'on refuse d'accepter.

Le récit de Lucia qui parle à la première personne est entrecoupé par celui de notre anarchiste  qui a été torero, une façon d'ailleurs de nous faire découvrir ce métier dans les années 30 et ses facettes surprenantes.  Le vieil homme raconte le voyage qu'il fit, enfant, à la suite de son frère, en Amérique du Sud et comment, au Chili, il fit parti de la bande d'anarchistes de Duretti. Il nous fait pénétrer ensuite dans le milieu anarchiste espagnol et revivre ainsi l'Histoire de l'Espagne, ce qui est l'un des aspects les plus passionnantes du roman. Le récit est vibrant et souvent douloureux comme lorsque Fortuna évoque la guerre civile :  Moi je suis entré dans le malheur ce 18 Juillet 1936 et à partir de cette date les choses n'ont fait qu'empirer :  la défaite des républicains, l'exil, les camps de concentration français, la deuxième guerre mondial, le franquisme : Mais nous pouvons supporter dans nos vies une haute dose de souffrance. Au départ nous pensons que nous allons pouvoir la surmonter, en réchapper. Que nous avons déjà laissé le pire derrière nous parce qu'il ne peut rien arriver de pire que ce qui a été vécu. Mais oui, évidemment, bien sûr  qu'il peut y avoir pire. Ne tentez pas le malheur. C'est un bourreau sadique.

A travers ce personnage Rosa Montero parle aussi  et d'une très belle manière du problème du Bien et du Mal, de la vieillesse, de l'acceptation et de la compréhension de la mort et il transmet son savoir à Lucia. 
Il n'y a pas à avoir peur de la réalité parce qu'elle n'est pas que terrible, elle est belle aussi.
La vie est beaucoup plus grande que nos peurs. Et nous sommes même capables de supporter plus que nous ne le souhaiterions.

Lorsque le roman se termine La jeune femme a retrouvé un équilibre. Elle a passé cette crise de la quarantaine au cours de laquelle on dit adieu à sa jeunesse et qui ressemble tant à celle de l'adolescence où l'on enterre son enfance. Un beau roman.


Rosa Montero est née à Madrid où elle vit. Après des études de journalisme et de psychologie, elle est journaliste à El Pais et est l'auteur de plusieurs romans, parmi lesquels Le Territoire des Barbares et La Folle du logis.

Je mets aussi un lien vers mes billets des livres de de Javier Cercas qui est un de mes auteurs  espagnols préférés :


J'ai participé avec ce billet au défi lancé par Ys et intitulé Les 12 de Ys. il s'agit de lire chaque mois un livre parmi ceux qu'elle présente sur un pays ou un continent précis. Pour ce mois de janvier Ys nous  a proposé la découverte d'auteurs espagnols contemporains et là, j'ai foncé car c'est une littérature que j'aime particulièrement. Voir ICI

mardi 10 janvier 2012

Un petit arrêt!


Depuis quelques jours je ressemble à ça! Moustaches et  Lapins en moins!

J'essaie de venir dans Ma Librairie pour vous répondre mais... j'ai peur de vous transmettre mes microbes! Alors je fais une pause. Mon  rendez-vous avec YS  du  12 est programmé (écrivains espagnols) celui du samedi 14  Un livre/ un Film aussi. Et d'ici là vous me verrez venir toute requinquée pour  la réponse à l'énigme et le challenge de Calypso  le Dimanche 15. 
Merci à tous ceux, celles qui viennent me voir et à qui je n'ai toujours pas répondu et à bientôt dans mon blog et le vôtre!.

lundi 9 janvier 2012

Virgil C. Gheorghiu : La maison de Petrodava ou Les noirs chevaux des Carpates





La maison de Pétrodava*  de Virgil Gheorghiu paru en 1961 est un roman envoûtant et il est très difficile de s'en détacher dès lors que vous avez ouvert la première page.
Pétrodova  est situé dans la vallée de Bistritza, sur le versant oriental  des Carpates, en Moldavie, la patrie de Virgil Gheorghiu. C'est là que réside la famille Rocca, une dynastie d'éleveurs de chevaux. Le récit de La maison de Petrodava se déroule autour de deux figures de femmes  exceptionnelles : Roxana  Rocca et sa fille Stella toutes deux éprises de justice avec une intransigeance qui n'admet aucune pitié. Nous sommes au début du XXème siècle et la guerre de 14 va bientôt éclater.
Roxana, l'unique héritière de Petraky Roca, accepte d'épouser l'instituteur du village, Lucian Apostol, et ceci bien qu'il soit un homme de la plaine et par là suspect de bien des faiblesses, à une condition : qu'il lui soit toujours fidèle. On verra ce qu'il en coûte au jeune homme de trahir sa promesse! Stella est le portrait de sa mère. Comme elle, éleveuse d'étalons farouches, comme elle en lutte contre une Nature sauvage avec laquelle elle se mesure victorieusement. Elle défendra son premier mari, le prince russe Illiyuskin, cousin du tsar, en l'arrachant aux mains des Bolchéviks. Veuve, elle épousera en seconde noce, le lieutenant Michel Barasab qui quitte l'armée parce qu'il a peur de la mort et de la guerre. C'est un être trop sensible pour vivre avec une femme Rocca. Il ne pourra pas en sortir indemne.
Les personnages de ce roman sont des personnages de tragédie antique. Le sens de l'honneur -ici de la justice- exclut toute  tendresse, voire toute humanité.  L'écriture est à la fois lyrique et épique.  Nous sommes pris dans ce récit haletant, sans concession, avec des personnages  féminins hors du commun, exacerbées,  grandioses, qui vont jusqu'au bout pour être fidèles à elles-mêmes, jusqu'à la folie, jusqu'à la mort.  Certaines scènes de ce roman sont d'une force incroyable :  la scène de la mort de Lucian Apostol, la  lutte de  Stella contre le torrent déchaîné...
La nature tient un rôle à part entière dans le roman; de même  les chevaux fougueux des Carpates en symbiose avec leurs maîtres, complicité qui exclut tous ceux incapables d'y participer.
Ce  roman qui nous dépeint les coutumes et les mentalités d'un peuple orgueilleux et  dur  façonné par l'âpreté de la vie dans les hautes montagnes des Carpates - que Gheorghiu connaît bien  puisqu'il est le sien - est une oeuvre qui ne peut laisser personne indifférent.

* le roman a été réédité sous le tire : Les noirs chevaux des Carpates

dimanche 8 janvier 2012

Emile Nelligan, le Rimbaud québécois

 


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Aujourd'hui j'ai envie de présenter un des poètes les plus célèbres du Québec, Emile Nelligan. Je l'ai découvert dans une librairie près de mon hôtel, dans le quartier de  Côte-des-Neiges, lors d'un séjour à Montréal, ville où il est né en 1879. Regardez son portrait. De Rimbaud, il a cet air d'extrême jeunesse et de fragilité que l'on observe chez le poète français au même âge. Il est aussi précoce que lui. Ses premiers vers sont publiés alors qu'il a seize ans. Sa voix s'éteindra aussi très vite mais pas pour les mêmes raisons. Emile Nelligan est atteint de troubles mentaux très graves. Il est interné  en 1899 et c'est à l'asile qu'il mourra en 1941. On sent dans ses poèmes l'influence non seulement de Rimbaud mais aussi de Baudelaire, Nerval, Verlaine...
J'ai choisi son poème le plus connu Soir d'hiver  qui est mon préféré.

Alexander V. Jackson : Les Laurentides (peintre québécois , groupe des sept)

Soir d'hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A la douleur que j’ai, que j’ai !
*
Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés ;
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
*
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
*
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A tout l’ennui que j’ai, que j’ai !...
**

Et puis un autre petit poème en prime!

Quelqu'un pleure dans le silence

Quelqu'un pleure dans le silence
Morne des nuits d'avril ;
Quelqu'un pleure la somnolence
Longue de son exil ;
Quelqu'un pleure sa douleur
Et c'est mon coeur !


Poème publié dans mon ancien blog en 2010.

Un livre, un Jeu : énigme n° 16 Le roi Lear de William Shakespeare

Vous avez trouvé : Aifelle, Eeguab, Célestine,  Jeneen, Miriam et Pierrot Bâton. Vous n'avez pas deviné? Ce n'est pas grave! L'important c'est de participer! Merci à toutes et à tous!
Le Roi Lear de Shkespeare
Ran de Kurosawa

 Le roi Lear décide de partager son royaume entre ses  trois filles :  Goneril, l'aînée, mariée au duc D'Albany, Régane qui a pour époux le duc de Cornouailles et Cordélia dont deux prétendants se disputent la main. Il exige en contrepartie de garder ses titres et veut savoir laquelle de ses trois filles l'aiment le plus pour partager son héritage en fonction de leur amour. Goneril et Régane  s'exécutent et se lancent avec aisance dans de beaux discours qui ne leur coûtent rien. Cordélia refuse car,  pour elle, la sincérité se passe de paroles? Son père la bannit avec dureté. Cordélia que le roi de France a pris pour épouse quitte le Royaume. Le roi Lear demeure tour à tour chez ses deux  filles qui vont l'humilier, puis le chasser et enfin décider de l'assassiner. Le comte de Kent qui s'interpose en faveur de Cordélia est banni aussi. Il se déguise en serviteur pour continuer à servir Lear et à veiller sur lui.  C'est lui et le Fou qui guident le roi Lear vers Douvres où le roi de France débarque par amour de Cordélia pour remettre sur le trône le père de sa bien-aimée.
Parallèlement court une autre intrigue qui  double l'histoire du roi Lear. En effet, le comte de Gloucester, vassal du roi, a deux fils, l'un légitime, Edgar,  l'autre bâtard, Edmond. Edmond qui nourrit une haine féroce envers  son frère, héritier légitime, persuade son père que Edgar veut l'assassiner. Le Comte le croit et Edgard, poursuivi est obligé de se cacher sous la défroque d'un mendiant-fou. Gloucester ayant pris le parti du roi Lear est énucléé par le duc De Cornouailles et dépossédé de de ses biens. C'est son fils Edgar qui va veiller sur lui et conduire l'aveugle à Douvres pour échapper à ses ennemis.

Le Roi Lear a pour thème le pouvoir, ici le pouvoir que Lear abandonne en échange  de l'amour et de la déférence de ses enfants.  Ce qu'il veut c'est être aimé parce qu'on le lui doit en tant que père et en tant que roi mais mérite-t-il cet amour? Son attitude envers Cordélia prouve bien que non. De même Il n'aime pas plus ses aînées qu'il maudit quand elles lui font défaut. En tant que roi, il s'aperçoit au cours de ses errances de proscrit qu'il ne mérite pas plus l'amour de ses sujets, la justice n'existe pas dans son royaume.
Le Roi Lear est une donc une pièce sur l'apparence et la réalité. Le roi Lear ne sait pas distinguer l'un et l'autre et il en sera puni. ll manque de discernement, trop imbu de lui-même, trop habitué à voir tout le monde se courber devant lui. Il ne voit pas la sincérité de Cordélia, ni du comte de Kent et il prend pour véritable amour les serments de ses deux filles. A cet aveuglement spirituel va corresponde l'aveuglement réel du Comte de Gloucester. Lear qui se trompe paie son erreur en sombrant dans la folie, Gloucester en devenant infirme et en aspirant au suicide.
La pièce est extrêmement pessimiste puisqu'elle se termine dans un bain de sang. Pourtant avant leur mort le roi Lear et le comte de Gloucester vont comprendre la vérité. Ils meurent mais ils ont le bonheur de constater l'amour de leur enfant, de leur demander pardon. On peut dire qu'il y a une rédemption des personnages qui a travers les zones sombres de la folie ou de la cécité accèdent à la lucidité. C'est la limite du pessimisme de la pièce.
 D'autre part contrairement à Ran de Kurosawa, film où la guerre mène à la folie et au chaos, le royaume d'Angleterre est sauvé, dans Le Roi Lear, grâce au Duc d'Albany qui n'a pas voulu céder à la haine de Goneril. Voir Wens pour le film


Challenge de Maggie et de Claudialucia

samedi 7 janvier 2012

Un livre, un film : Enigme N°16




Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens ICI vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.

Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.



Enigme n° 16
Cette pièce de théâtre est une des plus grandes tragédies classiques de la littérature et explore les thèmes de l'apparence et de la réalité, de la folie aussi et de l'amour filial..

As-tu vu un chien de ferme aboyer aux trousses d'un mendiant?
(......)
Et la pauvre créature fuir devant le mâtin?Là, tu pourrais contempler la noble image de l'autorité; chien en fonction est obéi.
Canaille d'huissier, retiens ta main sanglante.
Pourquoi fouettes-tu cette prostituée? Dénude ton propre dos,
Car tu as chaude envie de faire avec elle
Ce pourquoi tu la fouettes. L'usurier fait pendre le fripon.
Sous les habits troués se voient les moindres fautes;
Robes et manteaux fourrés cachent tout. Fais au crime un blindage d'or
Et le puissant glaive de la justice, inoffensif se brisera;
Revêts-le de haillons, un fétu de pygmée le percera.

Toujours vrai , toujours d'actualité, n'est-ce pas?

Les plumes de l'année : Mélancholia

 Melancholia de Dürer

Asphodèle nous présente aujourd'hui son jeu littéraire Les plumes de l'année et nous propose d'écrire un texte avec ces mots en M : matin – mélancolie – mariage – moulin – mausolée – minuscule – marmelade – mauve – mouchoir – mimétisme – miniature – merveilleux – méandre – murmures  – martingale – mélange – misérable.


 Mélancholia

Au matin la mélancolie
Après une mauve insomnie
Mélange au moulin de ma vie
le grain et l'ivraie misérables
En un mariage instable
En une marmelade infâme
En une double martingale
qui ne sait si je ris ou crie.
Dans le mausolée de mon âme
où d'imperceptibles murmures
se fraient un méandre et susurrent
je vois alors en miniature
en tout petit, en minuscule
sur la toile de mon mouchoir*
le visage de mon amour
et par un mimétisme tendre
je sens, merveilleuse douceur
Que j'ouvre à la vie mon coeur.


*la poésie se noie entre mouchoir et marmelade! mais le jeu est le jeu!


vendredi 6 janvier 2012

Atelier du Skriban de Gwenaelle : Son passage de Mage..

Je vous propose d’utiliser le temps des vacances pour écrire un texte en vous inspirant de la photo suivante. C’est Aifelle qui a bien voulu me la prêter pour l’occasion… Et elle est curieuse de savoir ce que votre imagination va bien pouvoir en faire…
                                            Nous devons cette belle image à Aifelle ICI


Voilà l'exercice d'écriture que Gwenaelle nous avait demandé dans l'atelier du Skriban pendant les vacances de fin d'année et ceci  d'après la très belle photo d'Aifelle.

Le thème est libre et la forme également. Vous avez jusqu’au 30 décembre pour poster votre texte en commentaire. 
Si vous publiez votre texte sur votre blog et souhaitez inclure la photos, merci de bien préciser son origine.


 Dans le brouillard s’en va la péniche féline
Qui s'étire en langueur sur les eaux opalines.
Entre les îles-femmes au long foulard de brume
Elle glisse sur l’eau qui miroite et reflète
Comme de lents noyés les arbres sentinelles.
Elle feule et dans l’air doucement cotonneux
s’élève jusqu’à eux son cri silencieux
Peintres de l'éphémère, ils nous prêtent leurs yeux
Quand blanches araignées accrochées à leur toile
sur la pente rapide, ils croquent son image.
Elle passe, languide, la péniche normande,
prête à prendre l’envol, bel oiseau sans ramage
Et d’un trait vigoureux sur l’eau de blanche flamme
ils ponctuent de couleurs son passage de Mage.

jeudi 5 janvier 2012

Robert Sylverberg : Le long chemin du retour


Le long chemin du retour de Robert Silverberg nous entraîne dans une lointaine planète, Patrie, dont le peuplement a été le fait de terriens. Sur Patrie cohabitent désormais trois peuples :  les autochtones dont la civilisation est restée intacte et qui n'ont manifesté ni désir d'intégration, ni opposition aux nouveaux colons;  le Peuple qui correspond à une première vague d'immigration venue de Terre dans des temps immémoriaux, et les Maîtres, humains arrivés plus tard, il y a quelques milliers d'années, qui ont conquis la planète avec des moyens technologiques avancés.  Les Maîtres possèdent désormais toutes les terres et exercent le pouvoir en seigneurs tout puissants sur leurs immenses domaines nommés Maisons. Le Peuple travaille les terres en échange de leur protection et des soins qui leur sont prodigués. L'ordre règne. Joseph Keilloran, un adolescent de 15 ans qui appartient à la caste des Maîtres, en est persuadé. Il est pour l'instant en vacances dans la noble Maison des Geften  située à des milliers de kilomètres de celle de son père. La vie est belle, oisive,  promenades, chasses, jeux, danses avec les jeunes amis de son âge qui ont, de plus, une soeur fort jolie! Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Et pourtant, Joseph est réveillé une nuit par des explosions. Bientôt il comprend que le Peuple s'est rebellé contre les Maîtres, la famille Geften est anéantie. Grâce au soutien d'une servante loyaliste, Joseph parvient à s'enfuir, persuadé qu'il obtiendra de l'aide dans un domaine voisin et un avion pour pouvoir rentrer chez lui. Mais il découvre bientôt que toutes les autres Maisons  nobles ont été détruites et qu'il ne peut compter que sur lui-même. Il entreprend alors à pied le long chemin du retour, des milliers de kilomètre à franchir en affrontant de nombreux dangers...

Le livre est un roman d'initiation transposé dans un monde du Futur. Ce long voyage va transformer l'adolescent et bouleverser sa manière de concevoir l'univers qui l'entoure. Il le constate plusieurs fois au cours de ses épreuves, il vieillit prématurément, quitte le monde de l'enfance pour devenir un homme. Il était jusque-là un jeune maître choyé, déchargé de tous soucis matériels, uniquement préoccupé par ses loisirs et ses heures d'étude où il devait apprendre les devoirs de sa charge en tant qu'aîné, héritier de la Maison Keilloran. Il va devoir alors  à échapper à ses ennemis,  souffrir de la faim et du froid, terribles épreuves qui l'amèneront aux portes de la mort. Sa vie n'est plus qu'une question de survie. Sa conception sociale est aussi complètement bouleversée. Il découvre en ethnologue les moeurs et croyances des autochtones et s'étonne qu'ils aient des croyances religieuses et que, contrairement à ce qu'il pensait, les Maîtres ne soient pas placés au centre de leur univers mais considérés comme inexistants. Il est traité d'ailleurs en esclave, devient la propriété de ces indigènes qui exploitent ses connaissances médicales. Leçon philosophique de la relativité de toutes choses et aussi de modestie qui remet chacun à sa juste place sur la planète Patrie. Recueilli par une famille libre du Peuple, Joseph va prendre conscience de l'exploitation que sa caste fait subir aux autres. Cette découverte remet tout en question pour lui.
Je n'ai pas ressenti en lisant le roman la magie, la poésie,  la complexité des univers mythiques de Tolkien, d'Ursula Le Guin ou de Robin Hobb.  Il manque un souffle, une force,  un élan, à la fois dans le style et dans le récit. Mais les thèmes de Le long voyage de retour  qui proposent une réflexion sur notre propre Monde sont intéressants. L'auteur laisse, par ailleurs, libre cours à son imagination en créant des créatures fantastiques dont on ne sait pas trop distinguer ceux qui ont une conscience même primitive de ceux qui ne sont que des animaux.  Autre sujet de réflexion! Tout ceci devrait plaire à des adolescents qui suivront avec  plaisir les aventures de ce  jeune garçon courageux, sa découverte de l'injustice mais aussi de l'amour.



Première participation au Challenge de Aymeline sur Les Mondes imaginaires. Présentation :


Oyez, oyez, blogueurs, blogueuses, Aymeline a décidé d'organiser son premier challenge ! Qu'on se le dise !
 
En espérant ne pas faire doublon avec un autre challenge et sous la pression (amicale) de certaines blogueuses qui du coup devraient s'inscrire, j'ai décidé de faire un challenge centré sur les lieux et mondes imaginaires.
Autre avantage, vous allez me donner de belles idées de lectures.
Enfin, j'ai envie par le biais de ce challenge de vous faire découvrir d'autres mondes et d'autres univers de lecture...
 
Entendons-nous bien d'abord sur ce qu'est un monde imaginaire.
Dans la définition que j'ai choisie pour ce challenge, un monde imaginaire a ceci de particulier qu'il ne fait pas partie de notre monde connu et cartographié. Ainsi, tous les romans dont l'intrigue se déroule sur une autre planète font de fait partie du challenge.
 Voir La suite  ICI

mercredi 4 janvier 2012

Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevsky : Le double



Dans Le double, Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevsky conte l'histoire de Jacob Pietrovitch Goliadkine, conseiller titulaire, petit fonctionnaire aux manières assez étranges et incohérentes. Celui-ci rencontre dans la rue, un soir de mauvais temps, un passant qui lui est familier. Lorsqu'il entre chez lui, l'homme qu'il a croisé en chemin est là et l'attend. M Goliadkine découvre avec stupéfaction que ce personnage est un autre lui-même, parfaitement identique, son double! Quand il se rend à son travail, au Ministère, le lendemain matin, son double est encore là qui s'attire les compliments de ses supérieurs en exploitant le travail du "vrai" M Goliadkine. Désormais, ce dernier ne pourra plus se débarrasser de son double qui le suit partout, se concilie les bonnes grâces de tous à son détriment et n'aura de cesse de l'évincer!
Contrairement à ce que l'on peut croire Le double n'est pas une nouvelle qui fait intervenir le surnaturel. Cette rencontre  hallucinante et angoissante du double dans la nuit glaciale, est, en fait, la description des troubles psychiatriques dont souffre le personnage. Dostoïevsky s'est largement documenté auprès d'un médecin spécialiste, il a consulté de nombreux traités de médecine pour analyser cette maladie : dédoublement de la personnalité, paranoïa ( Goliadkine croit à l'existence d'un complot contre lui). Son intuition, d'autre part, fait pressentir à l'écrivain, des années à l'avance, les découvertes du docteur Freud. Mais le manière de traiter le récit brouille les pistes si bien que le lecteur ne sait pas toujours s'il est dans la réalité ou dans le surnaturel. Dès le début, pourtant, l'écrivain nous décrit les bizarreries du personnage qui le conduisent à visiter un médecin psychiatre. Nous sommes dans une réalité clinique qui mènera le malade à l'asile. Mais le lecteur est désorienté car l'entourage de Goliadkine, son serviteur, ses collègues, voient le double qui semble prendre alors une réalité concrète comme dans un conte fantastique.

En écrivant ce livre, Dostoïevsky voulait faire un roman social. Et même si son sujet a largement débordé de ce projet, il n'en reste pas moins que la description de cette société strictement hiérarchisée, guindée, enfermée dans des codes rigides, où les gens sont jugés selon la place qu'ils occupent, renforce ce sentiment d'aliénation qui est celui du personnage. Cette déshumanisation contribue à créer l'angoisse qui jette le malade dans la plus profonde  détresse.
Le sous-titre de ce roman est Poème pétersbourgeois en hommage à Gogol auquel Dostoïesvky vouait une profonde admiration et qu'il s'efforçait d'égaler.  Ecrit en 1845, Le double est le second roman de l'écrivain. L'imitation est telle que l'on a un peu l'impression de lire le Gogol des Nouvelles pétersbourgeoises et pour ma part, je préfère le Dostoievsky des grands romans comme L'idiot. Pourtant, le sous-titre n'est pas gratuit et Saint Pétersbourg est un personnage à part entière. Les lieux et les itinéraires empruntés par Goliadkine sont très précis. La description de la ville, grise, froide, menacée par l'inondation, avec ses neiges et le vent glacial est un cadre parfait pour l'analyse du personnage dont la ville reflète l'état d'esprit. Dostoievsky décrit l'angoisse de Goliadkine avec un art qui plonge le lecteur dans un profond malaise. Quand il est chassé de la maison par son supérieur hiérarchique, Olsoufii Ivanovitch Berendiiev, qu'il considère comme un père, et qu'il erre dans la nuit, écoutant les rumeurs de la rivière en crue, au milieu des éléments qui se déchaînent, la détresse du personnage, son désir d'anéantissement sont si violents qu'ils le mènent au bord du suicide : 

Non seulement notre héros cherchait de toutes ses forces à se fuir lui-même mais encore il aurait donné cher pour pouvoir s’anéantir d’une façon définitive, pour être, sur-le-champ, réduit en cendres. Pour l’instant,il ne prêtait attention à rien, ne se rendait compte de rien : il semblait absolument indifférent à tous les obstacles que dressait devant lui cette nuit funeste ; indifférent à la longueur  du chemin, à la rigueur du temps, à la pluie, à la neige, au vent. Sur le trottoir du quai de la Fontanka, la galoche qui recouvrait son soulier droit se détacha et resta là, plantée dans la boue et la neige. Il ne s’en aperçut même pas, ne songea pas un instant à revenir sur ses pas pour la retrouver. Il était si préoccupé, qu’à plusieurs reprises, en dépit de la tourmente, il s’arrêta et resta sur le bord du trottoir, planté comme un poteau, pétrifié, se remémorant tous les détails de sa récente et atroce déchéance. Il se sentait mourir.

Ce roman malgré ses qualités certaines a été une lecture difficile pour moi parce qu'il m'a procuré un sentiment extrêmement pénible de rejet, preuve qu'il atteint son but!. Jacob Goliadkine, en effet, éveille en moi des sentiments contradictoires, empathie devant l'intensité de ses souffrances mais aussi répulsion car le personnage est trop souvent dérisoire, ridicule, ennuyeux et pas obligatoirement sympathique...
Le double de Dostoievsky est le premier roman que je lis dans le cadre du Challenge des Fous initié par L 'Ogresse de Paris