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mardi 14 mai 2019

Norman Doidge : Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau


J’ai d’abord été un peu inquiète en recevant le livre de Norman Doidge, psychanalyste, chercheur et professeur à l’université de Toronto et de Columbia à New York,  « Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau :   guérir grâce à la neuroplasticité »  car je me suis demandée si je n’allais pas caler ,- moi qui ne suis pas scientifique -, devant ce pavé de 400 pages! Mais non, le livre est à la portée de tous avec des explications scientifiques claires et précises, toujours illustrées par des expériences passionnantes. La rencontre de personnes malades qui ont été transformées par les pouvoirs de la neuroplasticité du cerveau  donne une dimension humaine à cet essai.

La découverte de la neuroplasticité du cerveau est encore bien récente et s’est heurté pendant des années au cours de la deuxième moitié du XX siècle au scepticisme des chercheurs tenants de la localisation.
Pour les localisationnistes, certaines zones du cerveau sont spécialisées  et correspondent selon leur localisation à des fonctions précises et non modifiables. Pour eux,  si  l’une des zones est lésée, une autre ne peut pas prendre sa place. Les scientifiques, qui ont découvert la plasticité du cerveau comme le professeur Paul Bach-y-Rita ou le professeur Michael Merzenich affirment, au contraire, que si certaines parties du cerveau sont abimées, d’autres peuvent prendre le relais. Ils ont nommé cette propriété du cerveau, la neuroplasticité, de « neuro » pour « neurones » et de « plasticité » pour exprimer ce qui est malléable, transformable. Cette découverte est révolutionnaire car elle implique qu’un cerveau lésé peut se remodeler de façon à ce que la partie endommagée soit remplacée par une autre. Ainsi par des exercices physiques et mentaux, soutenus, répétés pendant des heures et programmés sur des mois, certains patients, victimes d’un accident cérébral, peuvent se remettre à marcher ou à parler. Le champ d’application de cette découverte est large et infinie, elle concerne la formation professionnelle, l’éducation comme celle des enfants qui ont des troubles du langage ou d’apprentissage, des personnes âgées dont la mémoire est défaillante, des victimes des TOCS… Mais elle peut avoir aussi des résultats nocifs, de mauvaises habitudes,  des pensées constamment négatives, des comportements sociaux, en transformant notre cerveau, nous ancrent dans une rigidité qui peut nous porter préjudice.

Si j’ai choisi de lire Les étonnants pouvoirs de la transformation du cerveau à l’opération Masse critique Babelio, c’est, bien sûr, que le sujet m’interpellait de prime abord car le cerveau est à lui seul un monde surprenant, extraordinaire, que les chercheurs, de l’antiquité à nos jours, sont loin d’avoir exploré complètement et qui a encore beaucoup de secrets à nous révéler. Lire ce livre m’a permis une plus grande compréhension du fonctionnement de notre cerveau et de nos comportements. Je l’ai trouvé passionnant. Il m’a apporté une grande bouffée d’optimisme et d’espoir.  Et je dois l’avouer je me suis même inscrite à l’entraînement Dynamic Brain sur des entraînements conçus par le docteur Michael Merzenich et d’autres scientifiques pour améliorer la mémoire ! https://dynamicbrain-fr.brainhq.com/default/start#




 Le professeur Paul Bach-y-Rita, chercheur à l'université du Wisconsin  dont les recherches ont révolutionné les domaines de la neurobiologie et de la rééducation, est l’ inventeur de la vision tactile. C'est en 1969 qu'il a mis au point un système de suppléance visuelle à destination des non-voyants. Il est décédé en 2006. 









Michael Merzenich, née en 1942, est un neuroscientifique et professeur émérite américain. Il enseigne à l'Université de Californie à San Francisco depuis 1980. Il est connu pour ses recherches sur la plasticité cérébrale.







Merci à Babelio Masse critique et aux Editions Belfond

jeudi 4 avril 2019

Peter May : Les disparus du phare




Rejeté par les vagues, un homme reprend connaissance sur une plage. Tétanisé par le froid, le cœur au bord des lèvres, frôlant dangereusement le collapsus. Il ignore où il se trouve et surtout qui il est ; seul affleure à sa conscience un sentiment d’horreur, insaisissable, obscur, terrifiant. Mais si les raisons de sa présence sur cette île sauvage des Hébrides balayée par les vents lui échappent, d’autres les connaissent fort bien. Alors qu’il s’accroche à toutes les informations qui lui permettraient de percer le mystère de sa propre identité, qu’il s’interroge sur l’absence d’objets personnels dans une maison qu’il semble avoir habitée depuis plus d’un an, la certitude d’une menace diffuse ne cesse de l’oppresser. (résumé quatrième de couverture)

Peter May, je l’ai découvert avec sa trilogie écossaise qui se situe dans l'archipel des Hébrides, dans l’île Lewis, et c’est de loin L’île des chasseurs d’oiseaux, le premier, qui demeure mon préféré. Il offre des pages d’une force étonnante qui raconte le quotidien des hommes de cette île et décrit leur mentalité ancrée dans le passé, si loin de la civilisation urbaine actuelle.
 Avec Les disparus du Phare, Peter May retourne dans les Hébrides, plus précisément dans les îles Flannan à une vingtaine de kilomètres de l’île Lewis. L’auteur s’empare d’un fait divers réel, survenu en 1900 : la disparition jamais élucidée des trois gardiens du phare d’Eilean Mor.

Le phare d'Eilean Mor
 
 Pendant le dernier mille, des dauphins d'humeur joyeuse m'ont suivi, crevant la surface de l'eau en décrivant des arcs, tournant autour du bateau, encore et encore. Mais ils sont partis maintenant et, droit devant, s'étend Eilean Mor, trompeusement basse par rapport au niveau de l'eau. Partant d'un point élevé à son extrémité ouest, son relief descend vers une zone centrale assez plate avant de remonter vers un modeste sommet situé à l'est. Au centre le phare est juché sur un petit pic qui est en fait le point culminant de l'île et semble apparaître au milieu de nulle part. Des falaises à pic émergent de la houle, faites de couches rocheuses empilées et veinées de gneiss rose.

Pourtant, le mystère ne porte pas tant sur la  disparition de ces trois hommes que sur l’identité du personnage amnésique, échoué sur une plage, et les raisons de sa présence dans l’île qui expliquent les attaques dont il est l’objet.  J'ai regretté que la vie dans ce phare, le drame qui s'y est joué et qui constituaient en soi un sujet passionnant, n'aient pas été au centre du récit et n'aient servi que de prétexte !
Je n’ai donc pas aimé l’intrigue ! Elle traite d’un thème écologique mais qui me semble un peu plaqué sur le récit. Les îles servent de cadre, certes, mais ne sont plus au coeur du  roman comme dans la trilogie. L’histoire du phare fait couleur locale mais n’est pas authentique. Et c'est bien dommage car Peter May sait raconter une histoire et  la narration est toujours efficace.

Heureusement,  comme d’habitude, il y a le style élégant de Peter May et de belles descriptions des îles, de la tempête et du brouillard. Et là, évidemment, il fait fort!

Eilean Mor ici
J'observe au loin les collines environnantes, au-delà de la plage et des dunes, et la roche violet, brun et gris qui perce la fine peau de terre tourbeuse qui s'accroche à leurs flancs.
Derrière moi, peu profonde, turquoise et sombre, la mer se retire des hectares de sable qui rejoignent les silhouettes noires de montagnes se découpant à distance contre un ciel menaçant, marbré de bleu et de mauve. Des échardes de soleil éclatent à la surface de l'océan et mouchettent les collines. Par endroits, un ciel d'un bleu parfait troue les nuages, surprenant, irréel.

dimanche 31 mars 2019

György Dragoman : Le bûcher


Le bûcher est le premier livre que je lis de cet auteur hongrois né en Roumanie en 1973, Gyorgy Dragoman. Ce dernier est plus connu, je crois, en France, pour son livre Le Roi blanc dont le personnage principal est un garçon. Ici, c’est une fille, Emma, qui est au centre de ce roman d’initiation pas comme les autres. Elle vient de perdre ses parents tués dans un accident de voiture et est adopté par sa grand-mère qui l’amène dans son village. Pourquoi ses parents ne lui ont-ils jamais parlé de l’existence de la vieille dame ? Pourquoi sont-ils partis de chez elle sans jamais vouloir la revoir et pourquoi les habitants du village la tiennent-ils à l’écart ? C’est ce que va découvrir la jeune fille.
Nous sommes en 1989, au moment de la chute de Ceauscescu. Toute la population panse ses plaies, pleure ses morts, disparus dans les geôles du dictateur, fusillés pendant les soulèvements qui ont jeté le peuple dans la rue pour conquérir la liberté. Tous recherchent les corps de leurs proches dans les charniers qui sont mis à jour peu à peu. L’heure est au règlement de comptes et bien des victimes du passé deviennent les bourreaux du présent, adoptant les mêmes méthodes barbares que leurs prédécesseurs. Les uns persécutent, torturent, tuent, les autres en profitent pour s’enrichir aux dépens d’autrui tandis que les anciens membres de la police politique se replacent et sévissent toujours. 
 Il pensait s'être battu pour que tout le monde ait accès à tout, pour que personne n'ait plus jamais peur. Pas pour que des types comme le père d'Ivan, qui n'étaient même pas là, rachètent petit à petit la moitié de la ville. Il a entendu dire que non content de posséder la tannerie, il venait d'acheter la patinoire. Il secoue la tête, à quoi ça peut servir de posséder une entreprise, toute une usine, il ne pourra jamais comprendre ça. Et puis, comment une usine peut-elle appartenir à une seule personne ? Lui, il n'a certainement pas affronté la mort pour que tout redevienne la propriété d'une seule personne.

Certes, il s’agit d’un roman d’initiation : Emma va à l’école, fait de la course d’orientation, aime le dessin, tombe amoureuse, se dispute avec sa camarade de classe Krisztina… Tout paraît presque normal mais tout est perverti par l’horreur du passé.
Cependant, ce qui est le plus original est la manière de traiter le sujet. Le récit est fait à la première personne par la jeune fille et l’emploi du présent de narration- tout au moins dans la traduction française - établit un décalage entre ce qui arrive à la fillette et ce qu’elle perçoit. On a l’impression que la fillette décrit ce qui lui arrive comme si les faits étaient en train de s’accomplir devant elle. C’est à dire qu’elle est à la fois actrice et spectatrice comme si elle décrivait une scène dont elle était absente ou qui ne la concernait pas. Une sorte de dédoublement se crée, pendant lequel tous les gestes sont décomposés, comme projetés sur un écran, au ralenti .
« J’attends. je regarde le parc de la fenêtre. De chaque côté de l’allée, il y a des oiseaux perchés en haut des peupliers dénudés. Ce sont des corneilles.
J’observe les corneilles. J’attends.
Je me demande ce que la directrice me veut.
Cela fait presque six mois que je suis à l’internat.Tout le monde est gentil avec moi, les élèves, les profs, les surveillantes. Elles sont désolées de ce qui est arrivé à mes parents.
Je regarde l’arbre. Je ne veux pas penser à eux. J’attends.
la porte s’ouvre enfin.La directrice me dit : «  tu peux entrer ».
J’entre.


Cet emploi du présent, ces phrases courtes, réduites au minimum, m’ont d’abord un peu arrêtée mais il faut persévérer car l’univers qui entoure Emma va s’animer d’une vie étrange, envoûtante où tous les sens participent, les bruits, le goût, les matériaux, leurs couleurs, leur contact, tout est noté avec minutie. C’est de la pure poésie. Les objets prennent une importance primordiale. Parfois, ils sont vus en si gros plan que l’on hésite à les reconnaitre, parfois ils semblent doués de vie à la fois par la force de l’imagination de la fillette et aussi peut-être parce qu’ils le sont réellement !  Entre réalisme et fantastique !
Ensuite les racines se racornissent, noircissent, prennent feu, gesticulent comme des petites pattes insectes, les touffes d’herbe rougeoient et brasillent, l’ensemble fait penser à une grande araignée de braise, velue, elle court le long de la branche, contourne les lettres en feu, s’arrête tout haut, se hisse comme pour regarder autour d’elle, son regard se pose d’abord sur moi, ensuite sur grand mère, revient sur moi, elle se recroqueville en crépitant, je sais qu’elle veut sauter du feu pour venir nicher dans mes cheveux.

Car il se passe de drôles de choses dans cette maison. La grand-mère est une sorcière, elle pratique des rites de sorcellerie avec de la farine, le fantôme du grand-père est souvent là, bienveillant, il guide la jeune fille, les poupées en chiffon pleurent et témoignent peut-être du douloureux passé de grand-mère. On ne sait jamais trop bien ce que voit l’enfant et ce qu’elle imagine.
Deux taches de buée de forme ovale, entremêlées, apparaissent sur la vitre, elles me font penser à l’hiver, au souffle blanc qui s’échappe des narines. Je recule notre un peu, les taches commencent à s’étendre, une forme humaine se dessine, c’est comme si quelqu’un se penchait vers la vitre, qu’il s’y appuyait des deux mains, et plaquait son visage entre ses mains, pour voir de l’autre côté.
Le dos des livres se profile dans la brume, mais je vois toujours ce visage blanc de l’autre côté de  la vitre, il est vieux, mal rasé. C’est grand-père.


Le récit de la grand-mère s’insère dans celui de sa petite-fille, tandis qu’elle lui raconte l’histoire de sa petite amie Bertuka, juive, et de toute sa famille pendant la deuxième guerre mondiale, celle du grand-père et du grand secret qui pèse sur elle. Deux lourdes périodes historiques de la Roumanie (mais aussi de la Hongrie) qui font de l’Europe centrale, piétinée, occupée, démantelée, déchirée, une terre de souffrance et de deuil.
A travers ce double récit se construisent deux portraits de femmes, solides, courageuses, volontaires, qui font leur choix, souvent difficile,  avec lucidité. Marquées par le passé qui expliquent peut-être leur étrangeté, à moins que ce ne soit leur qualité de sorcière - et pourquoi pas ? puisque nous aimons croire au surnaturel - , elles font passer la sincérité de leurs sentiments et l’amour avant tout. 

Le tout forme un roman étrange et déconcertant, souvent poétique et cruel.  Cruel, oui ! Il ne vous laisse pas en repos mais si parfois vous regimbez à y entrer, Gyorgy Dragoman vous rattrape toujours par cette manière de transcender la réalité, non pour la rendre plus belle, mais plus acceptable et peut-être même pour y puiser de la force.

Gyorgy Dragoman

 Nationalité : Hongrie
Né(e) à : Targu Mures (Roumanie) , le 10/09/1973
Biographie :

György Dragomán est un écrivain et traducteur roumano-hongrois d'expression hongroise.

En 1988, György Dragomán et sa famille quittent la Roumanie et émigrent en Hongrie. Il effectue ses études secondaires à Szombathely, puis de 1992 à 1998, il entre à l'Université Loránd Eötvös (Budapest) afin d'étudier l'anglais et la philosophie, puis s'inscrit au Eötvös József Collegium et au Láthatatlan Collegium.

De 1998 à 2001, il reprend le chemin de l'université de la capitale hongroise pour un doctorat de littérature anglaise moderne.

Son deuxième roman, A fehér király paraît en 2005 et reçoit, en Hongrie, les prix Déry Tibor et Sándor Márai. Le livre est traduit dans plus de vingt pays et c'est Gallimard qui le publie, dans sa collection Du monde entier, la traduction française, due à Joëlle Dufeuilly, sous le titre Le Roi blanc.

Parallèlement à son activité de romancier, György Dragomán traduit en hongrois des auteurs britanniques, entre autres, Samuel Beckett, James Joyce, Ian McEwan, Irvine Welsh. (Source : wikipédia )



jeudi 28 mars 2019

Festival In d'Avignon : Premières impressions sur le thème de l'Odyssée


C'est Miryam Haddad, une peintre syrienne, qui a réalisé l'affiche de la 73ème édition du festival d'Avignon. Elle s'est inspirée de l'Odyssée d'Homère, le thème de cette année. L'artiste sera également exposée tout au long du festival, du 4 au 23 juillet 2019, à la collection Lambert d'Avignon. voir Ici : Le sommeil n'est pas un lieu sûr. Quelle belle affiche !



Le festival In d'Avignon 2019 aura lieu du 4 juillet au 23 juillet sur le thème annoncé par le directeur artistique Olivier Py le 27 mars : Odyssées contemporaines. Ce thème qui visitera tous les pays mais aussi toutes les époques, relie l'antiquité et le voyage d'Ulysse à notre époque contemporaine qui est celle de l'exil, des migrations, du déracinement.
 « L’odyssée, c’est le voyage en général, explique Olivier Py, le voyage d’un migrant, des exilés, dans la Méditerranée, qui ressemble de nos jours à une tragédie ; c’est aussi une aventure d’après-guerre […] C’est la rencontre de l’autre, de l’étranger. » voir article ici)
Des sous-thèmes apparaîtront comme ceux du colonialisme, de l'écologie, de l'Histoire, explique Olivier Py.
Un théâtre donc, qui joue son rôle, celui d'interroger sur notre monde actuel, celui de réveiller les consciences, voire de les déranger.  
Quarante trois spectacles au programme et je ne vais pas tous les présenter. Seulement ceux qui m'intéressent et que j'ai, à priori, envie de voir. Evidemment, d'ici le mois de Juillet, d'autres possibilités apparaîtront et il me faudra alors choisir !
Architecture

 
Je retiens comme d'habitude le premier spectacle de la Cour d'Honneur car j'aime trop ce lieu pour y manquer !
Architecture, spectacle présenté par le metteur en scène et chorégraphe Pascal Rambert. Il s'agit d'une famille au début du XX siècle jusqu'à l'Anschluss. Le thème me plaît qui inscrit la Petite histoire dans la Grande, d'autant plus que l'on compare la pièce aux Damnés d'après Visconti, pièce que j'avais eue le plaisir de voir sur cette même scène, il y a trois ans. La distribution qui réunit quelques grands noms du théâtre et du cinéma est attirante : Emmanuelle Béart, Jacques Weber, Stanislas Nodley, Denis Polyadès, Marina Hands... 
 
La nuit des Odyssées
Ensuite j'aimerais bien assister aux trois spectacles qui portent le titre de L'Odyssée, point de départ du thème du festival : Blandine Savetier présentera un "feuilleton théâtral" sur L’Odyssée d’Homère, au jardin Ceccano : « Chaque île où Ulysse s’échoue va lui permettre d’acquérir un savoir nouveau et le transformer, explique-t-elle. Le récit d’une continuité dans la métamorphose. Homère ne déroule pas une vision du monde, il met en regard diverses visions du monde. »
et La Nuit des odyssées de Sonia Wieder-Atherton à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon
et aussi L'odyssée de Alexandra Badea au théâtre Benoît XII. Je n'ai pas plus de renseignements sur ces trois pièces mais j'aurai le temps de me faire une idée plus tard.

Et encore, parmi les spectacles qui m'intéressent : L'Orestie avec les élèves du conservatoire national de Strasbourg mis en scène par Jean-Pierre Vincent, un Hommage à Patrice Chéreau avec des textes lus par Dominique Blanc.
 Et pourquoi pas Phèdre  par François Grémaud ?
 Et puisque la Chine est à l'honneur au festival, voici deux spectacles qui pourraient m'intéresser : ordinary people au théâtre benoît XII ou la maison du thé à Opéra Confluence.




Enfin un spectacle pour jeune public avec ma petite-fille. Il s’agit d’une pièce de Maeterlinck : La république des abeilles mis en scène par Julie Schaeffer à la chapelle des Pénitents blancs.




Allez lire aussi les billets d'Eimelle qui prépare son festival d'Avignon 2019 sur son blog Ici 

dimanche 24 mars 2019

La Provence de Van Gogh : les carrières de Lumière et Saint Paul de Mausole

Comme chaque année, je vais voir la carrière de Lumières des Baux mais cette fois-ci je pars pendant un week end. Ainsi je redécouvre, en touriste, ce que je fais pas souvent, l'habitude aidant, combien ma région est riche, belle, lumineuse et embaumée en ce début de printemps. Les arbres fruitiers sont fleuris, les romarins aussi. Et pendant deux jours, nous allons voir les paysages de Van Gogh, à la fois reproduits sur les immenses murs de la Carrière et dans la réalité, en visitant le village des Baux et son château et le monastère de Saint Paul de Mausole, hôpital psychiatrique où le peintre passa sa dernière année entre 1889 et 1890.


 La carrière de Lumière


La Carrière de Lumière, située au coeur des Alpilles, offre un spectacle sons et lumières 2019 sur Van Gogh intitulé Une nuit étoilée. Dans ce lieu gigantesque, sur ces parois de 14 mètres de haut, je me sens complètement immergée dans ces masses lumineuses; je marche non seulement au  milieu des iris, des tournesols, des blés mais aussi dessus. Des fleurs et des étoiles jonchent le sol et les images en mouvement donnent l'impression de se précipiter vers le spectateur.











Au milieu des paysages provençaux, on voit aussi l'inspiration nordique du pays natal du peintre.






J'ai beaucoup aimé ce spectacle mais un peu moins le choix musical parce qu'il ne correspondait pas, à mon goût, à l'atmosphère créée par les oeuvres. Alors que je ressentais la chaleur de la lumière et du soleil provençal, l'apaisement et la sérénité procurés par les fleurs et l'or des blés, l'accompagnement musical proclamait le contraire. Je suppose qu'il voulait souligner l'intense mouvement tourbillonnant et violentdu pinceau de Van Gogh et l'éclat très vif des couleurs mais il m'est apparu dissonant par rapport à ce que je ressentais.
 

Un second film consacré au Japon rêvé et les images du monde flottant réalisé à partir des estampes des plus grands peintres du pays, montre l'influence exercée par l'art japonais sur les artistes français du XIX siècle.







 Saint Paul de Mausole

 
 Le monastère Saint Paul de Mausole, situé près du site antique de la cité gallo-romaine de Glanum, apparaît dans un paysage d’oliveraie au pied des Alpilles. Son clocher roman à deux étages de plan carré est coiffé d’un toit pyramidal. 
A l’intérieur se trouve un magnifique cloître roman du XI ème et XIIème siècle.
 








 
Monastère de Saint Paul Mausole Saint rémy de Provence

Chef d’œuvre de l’art roman provençal, le monastère et son cloître doivent leur  nom à la proximité du site du mausolée des « Julii» (de la famille de l’épouse de César). Ce mausolée est en fait un cénotaphe érigé en -30 ou -20,  élevé à la mémoire de Caius et Lucius César, petit-fils de l'empereur Auguste.

L'asile psychiatrique et Vincent van Gogh 


Le Docteur Mercurin rachètera le site en 1807 et le dynamisera pendant près de quarante ans. En 1852, le préfet des Bouches-du Rhône instaure un arrêté par lequel « l’établissement de Saint Paul demeure autorisé comme asile privé, uniquement consacré aux aliénés, pour 50 hommes et 50 femmes ». Conformément à la loi de 1838 et l’ordonnance de 1839, différents médecins et laïques associés aux Sœurs de Saint Vincent de Paul puis de Saint Joseph de Vesseaux à partir de 1866 prennent charge de l’établissement.

La chambre de Van Gogh Vincent van Gogh occupa pendant  53 semaines une chambre dans le « pavillon des hommes » dont vous pouvez découvrir la reconstitution en haut de l’escalier roman classé.
C’est à son arrivée le 16 mai 1889 que cette chambre  spartiate lui fut attribuée. Van Gogh put bénéficier d’une seconde chambre qui lui servit d’atelier, et d’une troisième pour stocker ses tableaux. Il les occupera  jusqu’à son départ le 16 mai 1890.  (Texte et site ici )

vendredi 22 mars 2019

Kalman Mikszath : Le parapluie de Saint Pierre


Le parapluie de Saint Pierre de Kalman Mikszath est un roman plein d’humour, au rythme enlevé, qui m’a amusée du début jusqu’à la fin. Il raconte l’histoire d’un parapluie rouge qui passe de main en main et est à l’origine de grands chamboulements dans la vie des personnages principaux, le curé Janos Bélyi, sa petite soeur Veronka qu’il élève, et la famille Gregorics dont l’avocat Gyuri, un bien sympathique jeune homme. Cet objet miraculeux aurait même sauvé la vie du bébé Veronka, ressuscité un mort et il confère un décorum sans précédent à tous les enterrements des villageois. Bref, depuis que Saint Pierre l’a déposé, on ne peut plus s’en passer à Glogova !
Divisé en cinq parties, le roman se déroule entre 1870 et 1885 en Hongrie, en particulier dans le petit village de Glogova, situé en Slovaquie qui appartient alors à la Hongrie de l’Empire austro-hongrois des Hasbourg. On y parle plusieurs langues et plusieurs nationalités se côtoient.
La première partie intitulée La légende qui fait intervenir Saint Pierre lui-même, pas moins, est un petit chef d’oeuvre d’humour qui n’est pas sans rappeler le ton d’un roman de Pagnol ou d’un conte de Daudet. C’est bon, les miracles qui transforment les pingres Glogovains (oh! ce nom!) en généreux donateurs ! La deuxième est un retour en arrière qui va expliquer la véritable histoire du parapluie mais quand la réalité s’en mêle, c’est pour introduire un autre mystère ! Enfin les trois autres divisions lancent l’avocat Gyuri à la recherche de ce parapluie, dans une quête qui ne se départit jamais de cet humour vif, de ce ton léger et plaisant même s’il se révèle parfois satirique envers les ruraux aussi bien que les bourgeois. Ce voyage dans la Hongrie de l’époque offre une peinture enlevée du pays, de ses paysages, de ses coutumes et  surtout de ses habitants hauts en couleurs. Kalman Mikszath n'est pas en reste quand il s'agit de brosser les portraits des jeunes héros, Veronka et Gyuri, tous les deux naïfs, un peu sots tant ils sont ignorants de leurs propres sentiments, mais gentils et sympathiques. Et bien sûr, un Happy end !

Un récit vraiment très agréable et original.


Kalman Mikszath

  Kálmán Mikszáth (16 janvier 1847 - 28 mai 1910) fut un romancier, journaliste et homme politique hongrois.

Mikszáth est né à Szklabonya (aujourd'hui Sklabiná, située en Slovaquie) dans une famille de la petite noblesse hongroise, sous l'empire des Habsbourg. Il fit des études de droit à l'université de Budapest de 1866 à 1869 sans obtenir de diplôme et écrivit pour de nombreux journaux hongrois, dont le journal de Pest.

Ses premières nouvelles décrivaient la vie de paysans et d'artisans; malgré leur faible popularité, s'y manifestait son talent pour forger des anecdotes humoristiques qu'on allait retrouver dans ses oeuvres ultérieures. Nombre de ses romans commentaient la société, parfois d'un ton satirique, et devinrent de plus en plus critiques envers l'aristocratie, et le fardeau que celle-ci, selon Mikszáth, avait donné à la société hongroise.

Mikszáth fut membre du parti libéral hongrois et fut élu en 1887 à l'Assemblée Nationale de Hongrie.  (Source : Wikipedia)




mardi 19 mars 2019

Gyula Krudy : Sept hiboux



Le roman de Gyula Krudy, grand romancier hongrois, intitulé Sept Hiboux, est paru en 1922. Krudy a 44 ans. Le roman se déroule dans les années 1890, à Budapest, à une époque où il a lui-même 22 ans.
Budapest  : Antal Berkes peintre hongrois

Ce qui m’a frappée d’abord, dès les premières pages, c’est l’accumulation de détails précis, topographiques, sociologiques, ethnographiques que donne l’auteur : les lieux de la ville, rues, places, bâtiments, que l’on peut retrouver avec exactitude (je les chercherai quand j’irai à Budapest au mois de mai) sauf ceux qui ont aujourd’hui disparu; les coutumes selon les saisons et les fêtes, la manière de s’habiller, en particulier des dames, les classes sociales, les petits métiers, les noms de cafés, des tavernes, les noms de tous les écrivains, journalistes, hommes politiques, tout y est consigné comme si l’écrivain avait pris des notes pendant des années ou jouissait d’une mémoire phénoménale pour faire revivre tous les aspects de sa ville de Budapest.
Nous faisons connaissance du milieu des éditeurs, dans des imprimeries où s’activent des ouvriers intoxiqués par les vapeurs du plomb, et avons vu comment les auteurs, sans le sou, sont obligés de faire leur cour, subissant le mépris non déguisé de leur éditeur. Gyula Krudy dénonce un milieu qu’il connaît bien et se livre à une critique féroce de ces grands patrons qui, tout en exploitant leurs ouvriers et leurs auteurs, préfèrent choisir non la qualité des ouvrages qu’ils impriment mais ce qui leur fera gagner le plus d’argent. La satire n’épargne pas les écrivains désargentés, qui cultivent leur malheur, traînent dans les tavernes des mines désespérées et se font nourrir par leur vieille maîtresse qu’ils dédaignent par ailleurs.


Une foule de détails absolument incroyable ! Je suis restée bouche-bée devant la description - quatre pages- sur les sourcils, les cils, les cheveux des femmes, en particulier sur les bouclettes des brunes qui, selon leur forme respective, témoignent de la sensualité de chacune et livrent tout de leur intimité Une page aussi est consacrée aux différentes sortes de baisers ! L’étonnement que j'ai ressenti à la lecture vient bien de la précision des descriptions presque entomologistes qui a la femme, en particulier, mais pas seulement, comme sujet d’étude, alliée pourtant à une certaine poésie.

Par simple observation des cheveux, leur épaisseur, leur longueur, les ondulations, il perçait à jour l’intimité des femmes qui lui étaient complètement inconnues, ce qui lui causait des émotions dont il se serait bien passé. 
Au départ, j’ai été accablée par cette somme d’érudition, cette profusion de détails précis, j’ai vraiment eu peur de m’ennuyer et ceci d’autant plus que toutes ces allusions à des personnages célèbres ne me parlent pas! Je ne les connais absolument pas ! Et puis je me suis laissée prendre par le style, sa vigueur qui transmet les sensations les plus diverses, les odeurs, les bruits, le froid de l’hiver bleuté, les flocons de neige brûlants comme des baisers sur les voilettes des dames, le passage du vent : j’aime c’est cette façon de passer du détail le plus infime pour tendre vers ce qui est plus large, plus général, comme si la vision s’élevait et permettait de voir plus loin, toujours plus loin, bien au-delà de la ville.


… à la période de Noël où les fêtes des saints patrons se disposent en cercle autour de la naissance du petit Jésus, l’odeur du vent était particulière, comme s’il concassait, lui-même les noix et le pavot des gâteaux, comme s’il portait sur ses ailes, même là où l’on ne célèbre pas les fêtes, l’odeur des bougies que l’on moule. Mais le vent pouvait avoir un parfum sauvage, à la fin de l’automne par exemple, lorsqu’il répandait dans le monde les clameurs des rabatteurs de gibier, les histoires contées par les usagers des moulins, les cris des garde champêtres, les chansons égayées par le vin nouveau, les gémissements des épouvantails dans les champs. »

Cette période « fin de siècle » si finement décrite introduit le personnage de l’avocat Szomjas Guszt, un homme distingué, d’un âge avancé qui arrive à Budapest pour se loger au Sept Hiboux, un immeuble de location où il a vécu pendant sa jeunesse estudiantine. Il veut revivre sa jeunesse en ressuscitant les souvenirs enfuis. C’est un vieillard (près de 70 ans), passé de mode, mais qui prône une certaine sagesse, une philosophie bonhomme qu’il a acquise avec l’expérience. Un personnage curieux, un peu ridicule parfois, mais finalement attachant.
L’autre personne principal masculin est Joszias, écrivain encore peu connu mais qui a pourtant publié plusieurs ouvrages. Cette courte renommée fait de lui un Dom Juan irrésistible auprès des dames mariées et romantiques, qui cherchent un peu de changement, de piment et de poésie dans leur vie réglée d’épouses de vieux bourgeois prosaïques. Il est amoureux de Szofia, jeune femme mariée, avant de le devenir d’Aldaska, jeune fille innocente. De plus, il cherche à se débarrasser de son ancienne conquête, trop vieille (44 ans) Leonora : une belle page sur les sentiments de la femme de quarante ans qui a peur de vieillir, de ne plus être aimée !

Peu à peu le ton devient grave, la mort s’introduit dans le récit et donne lieu à des pages d’une noirceur extrême sur les ramasseurs de cadavres des suicidés, ressemblant eux-mêmes à des morts vivants, et la visite à la morgue nous fait pénétrer dans un monde au-delà du réel. Passages glaçants, d’un réalisme qui touche au fantastique et qui culmine lors de la promenade sur l’île Marguerite, où Joszias et Szofias découvrent le Danube gelé, hérissé de blocs de glace, les arbres couverts de givre, au milieu d’une blancheur qui convoque les âmes des suicidés. Magnifiques pages! La promenade sur le Danube en débâcle au milieu des spectres est impressionnante mais fait ressortir d'autant plus le ton de farce qui suit cette épisode. Curieux contraste qui met le lecteur sens dessus dessous ! On est sans cesse pris entre le comique, la satire ironique, voire cruelle et désabusée de la société, et la tragédie.


Multiplication des registres, richesse des descriptions, richesse des thèmes, ce livre est donc extrêmement dense et touffu. J’ai parfois éprouvé de l’impatience à la lecture, et j'ai eu du mal à y entrer au début, mais j’ai toujours été retenue par ce talent littéraire très particulier qui parvient à créer une atmosphère, qui nous transporte dans une société dont on sent qu’elle est très loin de nous, désuète, entièrement disparue et pour cela précieuse. Une vision qui est à la fois très critique et poétique et qui passe de la nostalgie à l’amertume et à la tragédie. On y sent la griffe d’un grand écrivain !





Gyula Krudy

Nationalité : Hongrie
Né(e) à : Nyiregyhaza , le 21/10/1878
Mort(e) à : Budapest , le 12/05/1933
Biographie :
Né d'un père avocat issu de la petite noblesse, dont il tient le nom et le prénom, et d'une mère issue du monde rural, Julianna Csákányi, Gyula Krúdy est le premier-né parmi les 7 enfants que compte sa famille. Il étudie au lycée de Szatmárnémeti (auj. Satu Mare) (1887-1888), puis à Podolin (auj. Podolínec) (1888-1891), puis de nouveau à Nyíregyháza (1891-1895), où il passe son baccalauréat en juin 1895. Il devient ensuite journaliste, travaillant d'abord à Debrecen, puis à Nagyvárad (auj. Oradea). Krúdy publie sa première nouvelle à l’âge de quinze ans. En 1896, quand il s'installe à Budapest, il a déjà une centaine de publications à son actif. Il connaît rapidement le succès et devient très populaire grâce à "Sindbad". Il gagne l’estime des milieux littéraires qui le saluent pour ses innovations littéraires. Il écrit dans la plupart des grands journaux et des revues de son époque comme le célèbre Nyugat (Occident) dont il est l’un des principaux rédacteurs dans les années 1920. En 1899, il se marie avec une institutrice nommée Bella Spiegler (de son nom d'écrivain Satanella). Plus tard, il la quitte pour Zsuzsa Rózsa. Son apparence seule a suscité une foison de légendes : « Prince de la Nuit », joueur, coureur de jupons invétéré… Amateur de vin et fin gourmet, il aimait passer son temps dans les restaurants et les cafés, mais aussi dans les tavernes des quartiers populaires. Il a néanmoins écrit près de 90 romans, plus de 2500 nouvelles et plusieurs milliers d’articles de journaux. La situation politique trouble après la Première guerre mondiale et les conséquences du Traité de Trianon (1920) ont causé de graves problèmes existentiels à beaucoup de Hongrois. Krúdy a passé les dernières années de sa vie dans une pauvreté extrême, aggravée par des problèmes de santé, parce qu’il ne pouvait plus travailler suffisamment. Le prix Baumgarten (1930) et le prix Rothermere (1932), reçu grâce à Kosztolányi, alors Président du Pen club hongrois, l’ont un peu aidé, mais il était déjà trop endetté. Il s'est éteint seul dans sa maison du Vieux-Buda où l’électricité avait été coupée. Il avait 55 ans. Les journaux ont publié la nouvelle de sa mort sur leurs unes. À son enterrement où l'orchestre tzigane de sa ville natale a joué sa chanson préférée, une foule s’est rendue composée d’écrivains, d’éditeurs, de jockeys, d’anciennes maîtresses, de garçons de café, de filles de rue… La Hongrie officielle n’a pas souhaité de s'y faire représenter. (voir bio babelio)