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mercredi 23 octobre 2019

Finlande : Un voyage en Carélie du Sud sur les traces d'Edith Sodergran (1)

Finlande : lac Iso-Melkutin
Me voilà en Finlande, avec ma fille Aurélia, mon mari et ma petite fille Léonie.

 Aurélia Frey est photographe. Depuis quelques années, elle poursuit un travail photographique dans les pays nordiques lié à ses passions littéraires et picturesques. En Finlande, nous suivons, avec elle, les traces d'Edith Sodergran. Je vous ai déjà parlé de l' oeuvre poétique de cette poétesse finlandaise de langue suédoise. (Voir les textes et  2 )
Edith Sodergran est née à Saint Pétersbourg en 1892 et  a passé la majeure partie de sa vie en Carélie du sud.  Si ses poésies eurent peu de succès durant sa vie, elle est maintenant l’auteure la plus connue, la plus aimée en Finlande et occupe une place primordiale dans la littérature scandinave.. Et pourtant elle n’a écrit que quatre minces recueils de poésies car elle est morte très jeune, à l’âge de 31 ans, atteinte de la tuberculose.

Arrivés hier, mardi 22 à Helsinki, nous avons loué une voiture et nous avons roulé jusqu'à Riihimaki, une petite ville de la Carélie du sud, tout près de Raivola où Edith a vécu, dans cette région de lacs et de forêts, de pins et de bouleaux qu'elle chante si bien.
Après une visite du musée des Beaux-arts de Riihimaki ce mercredi matin pour faire la connaissance de peintres finnois, nous sommes allés nous promener autour des lacs Iso-Melkulin et Yli-Milly, au sud de Loppi, sur les conseils de notre aimable logeur qui voulait nous tenir loin des lieux touristiques. Il n’y a pourtant pas foule au mois d’octobre en Carélie ! Les lacs cachés dans un dédale de petits chemins de terre boueux et d’immenses forêts nous ont offert la beauté de leurs rives, de leurs couleurs et de leurs reflets d’or et d’argent toujours changeants avec les jeux du soleil sous le voile des nuages. Contrairement à ce que je redoutais, il fait frais (pour une méditerranéenne !) mais pas froid. Une retraite silencieuse et paisible, troublée seulement par les cris du grand-père et de sa petite-fille qui cherchaient des lynx; il paraît qu’il y en a dans ces lieux. Et oui, nul n’est parfait !

Voici quelques images pour vous donner un idée du paysage.

Lac Yli-Myly







Lac Melkutin








Reflets lac Melkutin

racines lac Melkutin

Ma petite-fille Léonie (9 ans et demi) a fait, elle aussi, des photographies. Sa grande source d'inspiration ?  Maman !






Le musée de Riimaki

J'ai eu peu de coups de coeur pour les oeuvres du  petit musée de Riimiki. Il faut dire que tout n'était pas exposé et que les tableaux sont accrochés selon les expositions en cours. Je n'ai pas trop apprécié celle sur la peintre Helene Schhjerfbeck.

Exposition Helene Schjerfbeck
Exposition Helene Schjerfbeck
Mais heureusement un paysage (hélas unique) de mon peintre finlandais préféré  : Pekka Halonen (1865_1933). j'ai découvert aussi Jalmari Ruokoski. j'espère faire plus ample connaissance avec ces deux peintres pendant mon séjour à Helsinki. Le musée de Riimaki présente aussi quelques peintres finlandais cubistes.

Pekka Halonen (1919) Rantamaisema (paysage de plage)
Pekka Halonen (1919) Rantamaisema (détail)
Jalmari Ruokoski (1886_1936) : Copenhague (1913)

Jalmari Ruokoski : Copenhague (détail)
Quelques peintres d'influence cubiste dont Jonas Petterson 



Mardi 22 octobre et mercredi 23 :  Riimaki  à une heure de voiture, au nord d'Helsinki

samedi 12 octobre 2019

Arto Paasilinna : Les mille et une gaffes de l'ange gardien Auriel Auvinen


A la fin du mois d’octobre, je pars en Finlande et comme l’une des étapes de mon voyage sera Kerimäki - là où a lieu le séminaire de formation des anges gardiens dans le roman de Arto Paasilinna,  Les mille et un gaffes de l’ange gardien Auriel Auvinen , vous pensez bien que je vais aller visiter la grande église en bois dont la taille démesurée, paraît-il, est tout à fait capable de recevoir cinq cents anges sans que rien n’y paraisse. Si j’y rencontre (pour mon malheur) l’ange apprenti Ariel Auvinen, je vous le ferai savoir.

Je n’avais pas encore lu Arto Paasilinna et pourtant nul ne peut ignorer ce nom, l’un des auteurs finlandais le plus célèbre actuellement. 
 Aaro Korhonen est un pauvre mortel à qui les hautes instances du ciel ont attribué Ariel Auvinen comme ange gardien ! Grâce à cette calamité volante, Aaro voit se déclencher sur lui toutes les catastrophes les plus inimaginables, accidents de voiture, incendie de sa maison, échouage de  navire et j’en passe… S’il échappe à la mort de justesse, il se retrouve plusieurs fois à l’hôpital et, toujours grâce au zèle de son gardien, il s’en faut de peu qu’il ne finisse en prison ! Ariel Auvinen est si doué pour faire le mal (en voulant faire le bien ) qu’il est même pressenti par  le diable. S’enrôlera-t-il à sa suite ?
Arto Paasilinna manie l’humour noir avec brio, un humour pince-sans-rire, et l’on assiste, un peu stupéfait, à cette avalanche de désastres que cet ange plein de bonne volonté mais très, très, maladroit, déchaîne sur son humain. Je dois avouer que sur le moment j’ai souri mais sans plus. Ce n’est que plus tard, en racontant l’histoire à ma fille, que je me suis tordue de rire et elle avec moi ! Pourquoi ce décalage ? Peut-être le ton, tout en retenu ? Peut-être le rythme, trop répétitif, les gags se succèdent mais ils sont un peu trop attendus.
Le livre ne serait pas complet si, au-delà de l’humour, n’apparaissait aussi une vision de la société finlandaise, de son puritanisme, de ses hypocrisies, de l’appât du gain de certaines classes sociales. Une satire qui va bien avec l’humour noir et montre, à la fois, que si les hommes ne sont pas des anges, les anges ne le sont pas, non plus ...  ou bien, comme le disait Pascal que, "qui veut faire l'ange, fait la bête "!

C’est décidé ! Je lirai d’autres livres d'Arto Paasilinna !

mardi 8 octobre 2019

Andrea Wulf : L'invention de la nature (3) Ernst Haeckel et Humbodt


Voici le troisième billet que j’écris sur L’invention de la nature, les aventures d’Alexander Humboldt d'Andrea Wulf. (Billet 1 et billet 2). L'auteure parlait précédemment du rayonnement fantastique qu'Alexander Humboldt avait eu chez ses contemporains et aussi sur les générations à venir dans tous les domaines scientifiques, littéraires, poétiques, philosophiques. Mais ce que j’ai choisi de vous rapporter aujourd’hui, c’est l’influence qu’il a exercée sur l’art par l’intermédiaire d’Ernst Haeckel.

Ernst Haeckel.
 Ernst Haeckel a vingt cinq ans quand meurt Alexander von Humboldt, une grande perte pour le jeune homme qui a lu toutes les oeuvres du maître et s'en est profondément imprégné. A l’époque, Haeckel cherche sa voie, déchiré entre sa double vocation pour l’art et pour la science. Si Humboldt prêchait la réconciliation des deux et même leur complémentarité, Haeckel ne sait comment concilier son amour de la peinture et de la nature, en particulier dans la spécialité qu’il s’est choisie, la zoologie. A cette époque, il prend pour sujet d’étude, les méduses et les minuscules organisme unicellulaires du plancton comme les radiolaires. C’est en les observant au microscope qu’il découvre ces « petites merveilles » dont les structures très diverses présentent des motifs symétriques, réguliers, d’une extrême finesse et d’une grande beauté. Un univers « poétique et enchanteur ». Il ne lui reste plus qu’à utiliser son talent de dessinateur et de peintre pour le révéler au public dans un livre qui eut un immense succès : Die RadoliarienLes radiolaires.

Les radiolaires de Ernst Haeckel dans l'invention de la nature d'Andrea Wulf
Les radiolaires de Ernst Haeckel Spumellaria
Les radiolaires de Ernst Haeckel les stephoidea
C’est aussi à cette époque qu’il découvre L’origine des espèces de Darwin et qu’il en devient le grand défenseur.  Et pour rendre compte des rapports d'Alexander  von Humboldt avec la nature, il invente un mot nouveau destiné à une longue vie : L’Oecologie ou écologie, du grec « oikos, « maison » au sens large de milieu naturel.

Formes artistiques de la nature Ernst Haeckel les Ascidiae
Entre 1899 et 1904, il publie Formes artistiques de la nature, des planches représentant des radiolaires et des méduses qu’il peint en laissant libre court à son talent artistique. Ces oeuvres vont fonder le langage stylistique de l’Art Nouveau et devenir une source d’inspiration toujours renouvelée pour les artistes et créateurs.

L'art nouveau 



Certains artistes se mettent à imiter les éléments organiques marins mis en valeur dans Formes artistiques. Haeckel, lui-même décore sa maison nommée Médusa, à Iéna, de formes empruntées à ses méduses bien-aimées. 

Plafonnier villa Médusa
L’architecte René Binet édifie la porte monumentale d’entrée à l’exposition universelle de Paris en 1900 en s’inspirant des radiolaires.

Projet de la porte d'entrée de Binet  : exposition universelle de 1900 à Paris
Les oeuvres d'Antoni Gaudi à Barcelone :  escaliers, arches, fenêtres, flèches évoquent le varech, les invertébrés marins, ses lustres sont des nautiles, ses vitraux arborent des oursins géants.
Antoni Gaudi : La Sagrada

Gaudi : maison  Batllo
Et la coupole de  Louis Comfort Tiffany à Chicago rappelle la forme et les couleurs d'un radiolaire Ascidiae.

Louis Comfort Tiffany couple du centre culturel de Chicago
 En France, les bouches de métro de Hector Guimard sont considérées comme les chefs d'oeuvre de l'art nouveau. Il en reste quatre-vingt huit, à l'heure actuelle, sur les cent-soixante sept oeuvres créées par l'architecte. Pour la première fois (et initié par Eiffel avec sa tour pour l'exposition de 1900) le fer devient une matière noble, associé aux transparences et aux vives colorations du verre.


L'architecte, Louis Sullivan aux Etats-Unis décore ses gratte-ciel de motifs tirés de la faune et la flore qui ressemblent aux dessins des organismes marins de Haeckel, comme cette porte d'entrée du Carson Scott Pirie Building à Chicago.

Le  Sullivan  center Carson Scott Pirie: Chicago

Les lampes, les vases,  les bijoux, tous les objets se font fleurs ou méduses. Ainsi en est-il des créations du maître verrier français Emile Gallé, de René Lalique ou du créateur américain Louis Comfort Tiffany.

   
Emile Gallé (France)
collier René Lalique (France)
Emile Gallé (france)

Musée art nouveau à Budapest (Hongrie)
Musée art nouveau à Budapest (Hongrie)

Louis Comfort Tiffany (USA)
 
L'Art nouveau -c'est le terme adopté en France- à l'origine dans une galerie de peinture parisienne dont le propriétaire, l’Allemand Siegfried Bing, exposait et vendait des œuvres en avance sur leur temps. L'Art nouveau  naît en réaction à une industrialisation trop poussée, et en "sécession " avec la tradition et le conservatisme artistique. Il  se répand dans tous les pays occidentaux où il devient universel. Les artistes de cette fin du XIX siècle et du début du XX siècle sont gagnés à cet amour de la nature et se mettent à l’unisson. 

« Le nouveau langage stylistique de l’art nouveau insufflait dans toutes les créations des éléments empruntés à la nature, que ce soit dans les gratte-ciel, les bijoux, les affiches, les bougeoirs, le mobilier ou les textiles. De sinueuses ornementations enroulaient leurs lianes et leurs fleurs sur les vitres gravées des portes, et les ébénistes donnaient aux pieds de table et aux accoudoirs des formes incurvées de branchage » Andrea Wulf

Budapest Porte de la caisse d'épargne : Odon Lechner
Cette passion des formes sinueuses, des courbes qui reproduisent la poussée des végétaux avec une luxuriance parfois considérée comme exagérée font dire à ses détracteurs en France, que l'Art Nouveau, est un "style nouille" ou "style métro" par allusion à Hector Guimard..

Il est aussi appelé style Tiffany aux Etats-Unis d'après Louis Comfort Tiffany, Jugennstil en Allemagne, Sezessionstil en Autriche, Stil Liberty en Italie, Style sapin en Suisse,  Modern en russe, Modernismo en Espagne.
A Prague, son nom tchèque, « Secese » (Sécession) qui apparaît d'abord à Vienne, désigne un mouvement de jeunes artistes novateurs qui s'opposent à l'académisme mais le style en lui-même est né en Belgique avec l’architecte Victor Horta qui est considéré comme le père de ce nouveau style.

Maison Horta Belgique

Maison Victor Horta Belgique (détail)

Avec l'artiste tchèque Alfons Mucha  devenu si célèbre à Paris avec ses affiches, le « style Mucha » voit le jour.

Prague Affiche Sara Bernhardt
Prague  musée Musha
Prague Vitrail de Musha la cathédrale Saint Guy

Et voilà ce qu'inspirent encore de nos jours les recherches d'Ernst Haeckel : les lustres méduses de l'artiste Thimoty Horn en résidence à la villa Medusa à Iéna en 2006

Thimoty Horn (2006)

Thimoty Horn (2006)
Thimoty Horn (2006)


Je vous parlerai un autre jour d'Odon Lechner  et d'Emile Vidor, deux des plus grands artistes de l'art nouveau Hongrois que j'ai découverts lors de mon récent voyage à Budapest..



dimanche 6 octobre 2019

John Mead Falker : Le blason de lord Blandemer


Le blason de Lord Blandamer de John Meade Falker est un livre que j’ai trouvé  dans une brocante. Je ne l’aurai peut-être jamais acheté si je n’avais  reconnu le nom de l’auteur de Moonfleet, un livre d’aventures passionnant dont le héros est un enfant. Ce roman a été adapté par Fritz Lang sous le titre Les contrebandiers de Moonfleet, film qui fit le bonheur, dans leur enfance, de mes filles et de leurs parents.

John Meade Falker réunit dans Le blason de lord Blandemer trois de ses passions, l’architecture médiévale, la musique religieuse et l’héraldique.
J’ai d’abord été étonnée. Voilà un livre destiné à nous faire frémir, mystère, malédiction, assassinat, à la manière des romans anglais du XIX siècle mais dont le sujet semble être aussi et tout autant la description détaillée et amoureuse de la cathédrale de Cullerne, une petite ville du sud de l’Angleterre ;  un exposé enthousiaste sur la musique d’orgue avec partitions à l’appui, choeurs et description de l’instrument en mauvais état, accompagné des plaintes et jérémiades du vieil l’organiste, Mr Sharnall, qui rêve d’un nouveau pédalier et d’un soufflet dernier cri ; et en sus, un savant cours de héraldique … Le tout très complet, parfois long, armez-vous de patience, mais bouillonnant d’enthousiasme ! Et de plus, très cohérent car tous ces éléments se tiennent et permettent de revenir à nos moutons, c’est à dire à l’intrigue policière.

L’histoire ? Westray, un jeune architecte londonien est envoyé par son patron restaurer la cathédrale de Cullerne en si mauvais état que l’on n’ose plus sonner les cloches de peur que le clocher ne s’effondre. Là, dans une chapelle brille le blason nébulé de sinople (lire le livre pour l’explication) de la noble famille des Blandamer. Une malédiction semble poursuivre ceux qui tentent d’élucider le mystère qui leur est attaché. Westray loge dans la pension de Miss Joliffe, vieille dame au grand coeur et très digne malgré ses moyens limités. Elle a une nièce, Anastasia, jolie et romanesque jeune fille qui rêve d’écrire et d’égaler, rien de moins, les soeurs Bronte. Bien sûr, Westray en tombe amoureux mais quand lord Blandemer revient au pays après la mort de son père, celui-ci devient un rival. Ajoutez-y un pauvre fou, Martin Joliffe, qui prétend être le vrai lord Blandemer, un tableau de mauvaise facture dont la valeur est surestimée, des ombres qui semblent poursuivre le vieil organiste et rôdent dans les ruelles sombres de la ville…
Le roman peint avec talent des personnages souvent complexes comme l’organiste vieil alcoolique, aigri, envieux mais ami fidèle et désintéressé. Certains sont attachants comme la vieille Miss Joliffe et son ingénue de nièce, ou déplaisant comme le recteur de la cathédrale, bouffi de vanité, « vieil imbécile », égoïste et cupide; ou encore ambigu comme Lord Blandemer. John Meade Falker dresse un tableau satirique de la société d’une petite ville avec ses mesquineries, ses jalousies, son respect de la hiérarchie non exempt de snobisme.  Finalement, un roman qui sort de l’ordinaire, avec des centres d’intérêt plus que variés, marqué par les passions de son auteur ! A vous d'y adhérer  (ou non)! Tous les ingrédients sont là pour faire un bon roman noir, un peu désuet à la façon de Wilkie Colins, et plein de charme.

lundi 30 septembre 2019

Andrea Wulf : L’invention de la nature (2) Les aventures d’Alexander Humboldt


Naturaliste, géographe, explorateur, Alexander von Humboldt (1769-1859) est le grand scientifique des Lumières. Il a donné son nom à des villes, des rivières, des chaînes de montagnes, à un courant océanique d’Amérique du Sud, à un manchot, à un calmar géant – il existe même une Mare Humboldtianum sur la Lune. (quatrième de couverture)

Alexander Von Humblodt

Il semble que, lorsqu’on lit la présentation de la quatrième de couverture du livre de Andrea Wulf sur Alexander Von Humboldt, l’on n’ait plus qu'à s’étonner qu’un savant aussi célèbre et qui a eu une influence aussi décisive sur nos connaissances, ne soit pas plus connu du grand public de nos jours. Mais c’est que, explique Andrea Wulf : « Humboldt … nous a apporté le concept même de la nature. Ironie du sort, ses réflexions sont devenues si évidentes que nous avons pratiquement oublié l’homme qui en est à l’origine. ».

Le livre passionnant d’Andréa Wulf a le mérite de nous le rappeler et de nous faire découvrir l’homme avec ses forces et ses contradictions. Au cours de ses voyages, il n’a cessé de s’élever contre le colonialisme, l’esclavage, ou de critiquer les mauvais traitements infligés par les missionnaires catholiques aux indigènes. Il soutient la révolution de Simon Bolivar et veut la liberté des peuples;  et pourtant, il reste au service du roi de Prusse pendant des années pour des raisons financières et peut-être aussi parce qu’il a l’espoir de voir naître une monarchie constitutionnelle. C’est un savant qui aime partager ses découvertes et non les garder jalousement, toujours prêt à aider et à financer un jeune collègue. Ceci dit, il était tellement adulé et couvert de gloire qu’il semble être assez infatué de lui-même. Il parle tout le temps, à tout allure, et n’écoute jamais les autres.


C’est aussi un grand scientifique, dont la mémoire et l’intelligence sont phénoménales et dont l’esprit est ouvert à toute nouveauté, un touche à tout de génie qui s’intéresse à toutes les formes de la science, géographie, botanique, vulcanologie, ethnographie, zoologie… Toutes les branches de la science le passionne. Il vibre devant la course des étoiles, expérimente à son détriment l’électricité des anguilles, corrige les erreurs de cartographie, fait appel à son imagination pour mettre en relation tous les éléments de la nature et concevoir qu’elle forme un « tissu, le grand tissu du vivant », un tout dont les éléments sont reliés les uns aux autres.. C’est au sommet du volcan Chimborazo qu’il a cette révélation, la hauteur de vue, explique-t-il, lui permettant d’embrasser l’ensemble. A la différence des scientifiques systématiciens qui étudiaient la nature, les plantes et les animaux, comme des unités séparées pour les classifier et les hiérarchiser, Humboldt est frappé par les liens qui unissent tous les faits isolés. 
Natugemälde
En redescendant des sommets, il dessine son « naturgemälde », son « tableau » ou « peinture » de la Nature : il y représente la montagne et montre que les espèces végétales se répartissent selon des zones étagées liées à l’altitude, à la température, à l’humidité  et que c’est ainsi partout dans le monde… « Les plantes alpines de Suisse poussaient aussi bien en Laponie que dans les Andes. » 

« La variété des informations scientifiques était ainsi représenté avec une richesse et une simplicité sans précédent. Avant Humboldt, personne n’avait traité de genre de données de façon aussi visuelle. Son tableau physique montrait comme personne ne l’avait fait avant lui que la flore se répartissait selon les zones climatiques à travers tous les continents. Humboldt voyait de l’unité dans l’immense variété de phénomènes. Au lieu d’enfermer les plantes dans d’innombrables catégories taxinomiques, il les répartissait selon le climat et leur environnement : une idée révolutionnaire que l’on retrouve encore aujourd’hui dans notre conception des écosystèmes. »

Henry David Thoreau
 Humboldt au cours de ses investigations s’oppose aussi aux philosophes (comme Descartes, Buffon) qui pensaient que la nature avait été créée pour les hommes et était là pour le servir.  Il remet l’humain à sa place parmi les autres animaux dans le grand réseau du vivant. Après Carl Linné qui avait défini le principe de la chaîne alimentaire, il réfléchit à cette loi de la nature qui assure la survie du plus fort, amorçant la théorie de l’évolution des espèces qui influencera Darwin. C’est lui aussi qui, le premier, attira l’attention sur l’action de l’homme sur la nature et les risques qui en découlaient, devenant ainsi le premier écologiste du monde. A  la fois scientifique et poète, ami de Goethe, il met à l’honneur l’importance de  la poésie, de l’art et de l’imagination dans la démarche scientifique. C’est pourquoi il eut aussi une influence fondamentale sur Henry David Thoreau, George Perkins Marsh, Ernst Haeckel et John Muir....

Le livre se lit comme un roman d’aventures, agréable et facile à lire, qui nous entraîne dans des territoires peu connus avec ces grands voyages au Vénézuela puis en Russie, à une époque où l’exploration du continent est loin d’être terminée, où les découvertes scientifiques fleurissent dans tous les domaines, dans ce siècle des Lumières qui voit la remise en question de l’obscurantisme religieux et des préjugés scientifiques.
Ce que j’ai vraiment apprécié aussi ce sont les chapitres consacrés à tous ceux -cités plus haut- qui l’ont fréquenté, qui ont lu ses ouvrages, à qui il a servi de mentor, de professeur, de phare. J’ai été heureuse d’être en si bonne compagnie. C’est un des grands plaisirs du livre qui m’a apporté beaucoup de connaissances, notamment sur l’influence d’Humboldt sur l’art. Je vous en parlerai dans un troisième billet consacré à ce livre. Oui, il en mérite bien trois !

vendredi 27 septembre 2019

Bérengère Cournut : De pierre et d’os


De pierre et d’os de Bérengère Cournut paru aux Editions Le Tripode est un joli livre-objet qui présente une jaquette aux grands rabats, avec une illustration (de Juliette Maroni)  pleine de douceur, le soleil illuminant les glaces de la banquise et les sommets des montagnes gelées. Au premier plan, des restes d’un squelette d’animal et un inuit tenant sa lance, au second, un ours blanc, bleuté, presque effacé par la neige qui tombe à gros flocons. Des photographies anciennes sont insérées la fin du volume.
Cette douceur cache une réalité beaucoup plus dure. C’est ce que nous décrit l’auteure qui connaît bien les inuits pour les avoir étudiés dans les fonds d'archives de Paul-Emile Victor et de Jean Malaurie à la bibliothèque centrale du Museum d'Histoire naturelle à Paris. En effet, derrière la beauté du paysage, on découvre des conditions de vie très éprouvantes, où la mort côtoie la vie à chaque instant, une lutte pour la survie afin de trouver la nourriture, de ne pas succomber à la famine mais aussi au froid et à l’hiver qui plonge ce peuple dans les ténèbres. Pas étonnant alors, que ces étendues désertiques et inhospitalières soient hantées par des esprits qui se mêlent à la vie des humains, les dirigent, les protègent ou au contraire leur veulent du mal.
 Aussi lorsque la jeune Uqsuralik est séparée de sa famille par la rupture de la banquise, elle semble condamnée à une mort certaine. Mais heureusement, son père a fait d’elle une excellente chasseuse, dotée de courage et de bon sens. Elle possède des dons qui feront d'elle, dans l'avenir, une femme puissante. Quand elle rencontre une famille qui l’adopte, elle pourra se croire sauvée. C’est sans compter sur les hommes qui, eux aussi, parfois, constituent un danger pour leurs semblables.
Bérengère Cornut présente un beau roman initiatique et nous permet d’accompagner Uqsyralik dans les différentes phases de sa vie. Nous vivons la vie quotidienne des inuits, nous partageons leurs croyances, leurs peurs, leurs joies et leurs peines, les moments de tendresse et de haine.
 A la prose simple et pure de Bérengère Cournut qui rend compte de la beauté de la nature,  fleurs de la toundra,  bruits, souffle du vent, craquement de la glace, succèdent des chansons-poèmes qui révèlent l’âme des Inuits, un monde peuplé de mystères et d’êtres surnaturels. La nature forme avec l'être humain comme avec les autres animaux un tout que l'on ne peut dissocier. La vie est vécue comme un combat mais est aussi avec le respect des lois de la nature et l'acceptation de la mort. Le réel et le fantastique s’allient pour former un livre à la fois solidement documenté et plein de poésie.

De pierre et d’os a obtenu le prix FNAC 2019

PS : et oui encore un livre de la rentrée littéraire, j'ai craqué !

Photographie d'une famille inuite par George R. King1917
Uqsuralik accouche seule  sur la banquise pendant que se lève la tempête. La femme et la tempête semblent être unies dans le même "travail".

Depuis le rocher sur lequel je me tiens, je regarde comment le vent travaille la surface de l'eau. A chaque rafale, le lac est strié d'un millier de griffes. A chaque nouvelle contraction, mes ongles creusent méthodiquement des sillons dans ma chair. Des gémissements semblables à ceux du vent commencent à sortir de ma gorge. Un éclair déchire enfin l'horizon, je pousse mon premier cri. Il est suivi d'un roulement de tonnerre - mes os frémissent.
Je voudrais inspirer pour reprendre mon souffle, mais le vent s'engouffre dans ma cage thoracique. Les rafales forcent mes côtes les unes après les autres. Je tombe de mon rocher - dans l'eau.

Cap Hoffmann Halvø  voir blog
Sur la toundra, les fleurs forment de grands tapis jeunes, rouges et violets, qui commencent juste à roussir. Les baies foisonnent, j'en fais grande provision. C'était un délice, l'autre jour, que de pouvoir les tremper dans le sang de phoque encore chaud. Ca change des oiseaux à la chair fine et aux os craquants.

« Les Inuit sont un peuple de chasseurs nomades se déployant dans l’Arctique depuis un millier d’années. Jusqu’à très récemment, ils n’avaient d’autres ressources à leur survie que les animaux qu’ils chassaient, les pierres laissées libres par la terre gelée, les plantes et les baies poussant au soleil de minuit. Ils partagent leur territoire immense avec nombre d’animaux plus ou moins migrateurs, mais aussi avec les esprits et les éléments. L’eau sous toutes ses formes est leur univers constant, le vent entre dans leurs oreilles et ressort de leurs gorges en souffles rauques. Pour toutes les occasions, ils ont des chants, qu’accompagne parfois le battement des tambours chamaniques. » (note liminaire du roman)

lundi 23 septembre 2019

Andrea Wulf : L'invention de la nature (1) Citation


Je suis en train de lire L'invention de la nature d'Andrea Wulf et je vous en parlerai dès que je l'aurai terminé..
L'auteure raconte la vie, les voyages et les recherches d'Alexander von Humboldt, scientifique renommé des Lumières qui inventa le concept de Nature tel que nous la percevons maintenant "comme un grand organisme vivant dont tous les éléments sont reliés les uns aux autres"  et qui  fonctionne comme un Tout cohérent.

Aujourd' hui, c'est juste un passage que je veux citer car il est tellement d'actualité.  

Alexander Von Humboldt
 Quand Humboldt explore le Vénézuela, il arrive dans une région agricole fertile, la riante vallée d'Aragua, la plus riche du pays. Pourtant les habitants de la région s'inquiètent car le niveau du lac Valencia  ne cesse de baisser. Nous sommes le 7 Février 1800.

"Lorsqu'on détruit les forêts comme les colons européens le font partout en Amérique avec une imprudente précipitation, les sources tarissent entièrement ou deviennent moins abondantes. Les lits des rivières restant à sec pendant une partie de l'année, se convertissent en torrents chaque fois que de grandes averses tombent sur les hauteurs. Comme avec les broussailles, on voit disparaître le gazon et la mousse sur la croupe des montagnes, les eaux pluviales ne sont plus retenues dans leur cours : au lieu d'augmenter lentement le niveau des rivières par des filtrations progressives, elles sillonnent, à l'époque des grandes ondées, le flanc des collines, entraînent les terres éboulées, et forment ces crues subites qui dévastent les campagnes."

"Humboldt avertissait les hommes qu'il leur fallait comprendre le fonctionnement des forces de la nature et voir que tout était lié. On ne pouvait pas agir impunément sur le milieu naturel pour satisfaire son bon vouloir et ses intérêts. " L'homme n'a d'action sur la nature, il ne peut s'approprier aucune de ses forces, qu'autant qu'il apprend à connaître le monde physique". L'humanité avait le pouvoir de détruire l'environnement et les conséquences pourraient être catastrophiques."

Si Humboldt fut le premier  à expliquer la fonction fondamentale de la forêt dans l'écosystème et son rôle dans la régulation du climat grâce à sa capacité à emmagasiner l'eau et à renvoyer de l'humidité et de l'oxygène dans l'atmosphère tout en protégeant les sols, d'autres grands personnages avant lui s'étaient déjà inquiétés de la déforestation. En 1669, Colbert restreignait les droits d'exploitation des forêts communales et fit planter des arbres pour la construction navale : "La France périra faute de bois". En 1749, le fermier et naturaliste américain John Batram avertissait  : le bois des forêts sera bientôt détruit" et son ami Benjamin Franklin, inquiet, inventa un poêle à combustion lente pour économiser le bois.

Et depuis ? Et de nos jours ?

Août 2019 : feux de forêt en Amazonie image satellite