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dimanche 15 décembre 2019

La citation du dimanche : Camus et le mythe de Sisyphe

Vedran Stimak, artiste croate  : Portrait de Camus, le mythe de Sisyphe (voir ici )
En analysant le mythe de Sisyphe, Albert Camus, l'un des maîtres de l'absurde,  écrit :

Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine.
C'est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m'intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même. Je vois cet homme redescendre d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s'enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.
Si ce mythe est tragique, c'est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l'espoir de réussir le soutenait ? L'ouvrier d'aujourd'hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n'est pas moins absurde. Mais il n'est tragique qu'aux rares moments où il devient conscient. Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition : c'est à elle qu'il pense pendant sa descente.
La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris. (...)
" Je juge que tout est bien ", dit Œdipe, et cette parole est sacrée. Elle retentit dans l'univers farouche et limité de l'homme. Elle enseigne que tout n'est pas, n'a pas été épuisé. Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l'insatisfaction et le goût des douleurs inutiles.
Elle fait du destin une affaire d'homme, qui doit être réglée entre les hommes.(...)
Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde.
La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.


Voilà ce qui me donnait du courage quand j'étais jeune et que je lisais Albert Camus avec passion. J'avais appris ce passage par coeur et quand tout allait mal, je le "lisais" dans ma tête. Savoir que l'être humain est maître de sa vie, rejeter l'idée qu'il est le jouet des dieux et faire de la constatation de sa propre faiblesse, une raison d'être fort et d'espérer, oui, c'était exaltant. C'est exaltant ! Bon dimanche !

 

 Le mythe de Sisyphe dans l'art

Le Titien :  Sisyphe
Vase attique : le mythe de Sisyphe
Vase attique  : Sisyphhe
William Balke Sisyphe
Frantz Von Stuz : Sisyphe
Gilles Candelier : sculpture Sisyphe
Maguy Banq
Hervé Delmare

Charles Nadraos

On peut en rire aussi


J'aime aussi le détournement du mythe, tel que le réalise le photographe Gilbert Garcin qui met en scène des petites scènes pleines d'humour.

Gilbert Garcin  : il faut imaginer Sisyphe heureux
Gilbert Garcin : L'atelier de Sisyphe

Gilbert Garcin : La déception de Sisyphe
Et puis aussi :


Le proscratinateur Sisyphe voir ici




Pas de publicité déguisée ici !


 Tu veux échanger ?


mercredi 11 décembre 2019

Elias Lönnrot : Le Kalevala (1)

Vaïno Blomstedt :  Le Kalevala

 Le Kalevala est une épopée qui relate les faits et geste des Dieux et des Héros de la mythologie finlandaise. Ce long poème épique a été publié par Elias Lönnrot en 1835 puis dans une autre édition réaugmentée en 1849. Elias Lönnrot, médecin, écrivain, linguiste, folkloriste, a voulu donner au peuple finlandais, libéré de la domination suédoise, une oeuvre unificatrice, susceptible de réunir toutes les classes sociales autour de la notion de patrie, à la recherche d’une identité commune qui redonne à la langue et à la littérature finnoises ses lettres de noblesse..
Elias Lônnrot
Pour composer cette oeuvre, Elias Lönnrot (1802-1884 ), appelé aussi Le Homère finnois, a récolté pendant des années, les récits, contes populaires, et les chants traditionnels auprès des paysans et des bardes qui restaient très attachés aux croyances anciennes, caractère magique de la nature, chamanisme… bien que les suédois aient converti le peuple finlandais au catholicisme. C’est en Carélie qu’il collecte le plus de chants nouveaux.
Les chants recueillis ne remontant pas au-delà du XIII siècle, époque à laquelle la Finlande était déjà christianisée, certains dieux de la mythologie finlandaise ont parfois des ressemblances avec le dieu et les saints chrétiens.


Heikki W. Virolainen

Ainsi, lors de ma visite au musée Ateneum à Helsinki, la statue d'un artiste contemporain Heikki W. Virolainen représentait Marjata, une jeune fille fécondée par une baie miraculeuse qu'elle avait avalée. Toujours vierge, elle porte un enfant mais ses parents ne la croient pas et la chassent. Elle  ne trouve personne pour lui laisser l'usage d'une étuve pendant son accouchement. C'est dans le froid, sur le sol gelé, qu'elle met au monde un garçon miraculeux qui survit, réchauffé par le souffle d'un cheval, enfant qui révèlera une précocité et des dons étonnants.



  C'est la fin de l'épopée. Dans le dernier chant, le vieux barde Vaïnamoinen, le héros principal du Kalevala, est chassé par le Christ que Marjata (Marie) a mis au monde.

Akeselis Gallen Kallela : Väimöinen chassé par le christianisme
 
Il y a deux régions antagonistes dans le récit : le sud, le Kalevala, qui est le domaine du géant Kaleva où vivent les héros Vaïnämöinen, Ilmarinen, Lemminkäinen. Cela pourrait être La Carélie, et le Nord, sombre et froid, le Pojhola, (appelé aussi Osmola, Sariola, Pimentola..) pourrait être la Laponie. Mais il s'agit d'une interprétation de Lönnrot. Certains pensent  que le Pohjola est peut-être le monde d'en dessous, celui des défunts. Mais le monde des morts existent dans la mythologie finlandaise. C'est Tuonela. Le suffixe la indiquant l'appartenance, la maison, il s'agit donc du domaine de Tuoni, le dieu de ma mort.
Le cygne de Tuonela est une musique composée par Sibélius en hommage à ce passage du Kalevala qui voit le héros Lemminkaïnen chasser le cygne noir jusqu'à Tuonala et périr.

Carte réalisée pour un jeu Fantasy sur la mythologie nordique (ici)
 
 C’est à Pohjola que vit la sorcière Louhi, reine des neiges et de la glace, et ses splendides filles à marier qui attirent nos héros sur ces terres dangereuses, obscures et glaciales.

Serguei Minin ( 1901_1937) artiste russe Louhi : Reine de Pojhola (ici)
Le Kalevala n'est pas une oeuvre facile à lire, c'est du moins ce que j'ai éprouvé. Il faut dire qu’avec ses 22800 vers, souvent répétitifs, et ses 50 chants (runo), il requiert un peu de patience ! On peut être aussi surpris par sa composition erratique, on passe du récit d’un héros à un autre pour revenir au précédent ou à un nouveau. Il ne semble pas y avoir de plan très défini dans la construction mais plutôt des ajouts, pas de cohésion interne, parfois des incohérences dans le récit. Ceci, certainement pour mieux respecter la tradition orale de ces chants qui venaient de différentes régions de la Finlande et présentaient de nombreuses variantes.

Dans la traduction due à Jean-Louis Perret, j'aime beaucoup le mètre employé, l'octosyllabe, intime, qui sait faire voir le chagrin d'une jeune fille qui ne veut pas se marier, léger, aérien pour décrire la beauté et la poésie attachées à toutes choses et l’animisme de la nature.

Hélas ! mère qui m'a portée,
Je pleure sur beaucoup de choses,
Sur la beauté de mes cheveux,
Sur l'abondance de mes tresses,
Sur la finesse de mes boucles,
Car jeune je dois les cacher,
Les voiler quand je pousse encore.
 Je pleurerai toute ma vie
La tendresse du chaud soleil,
La douceur de la belle lune,
La magnificence de l'air,
Car jeune, je dois les quitter,
Les oublier, petite enfant,
devant le chantier de mon frère, 

à la fenêtre de mon père.


Pourtant, j’ai été surprise dans le Kalevala, par le procédé répétitif qui fait que les vers sont repris en boucle, autant de fois qu’il paraît nécessaire, les vers suivants répétant les précédents parfois avec des termes différents mais souvent de manière exactement semblable, créant une sorte d’incantation. A ce propos, Jean Louis Perret écrit dans la préface :

L’emploi de ce procédé poétique propre à tous les peuples primitifs est constant, mais pas toujours très strict dans Le Kalevala. Il a contribué à donner à la poésie populaire finnoise son caractère imprécis, vague, qui frappe si vivement le lecteur étranger. »

J’ai aimé la musique qui s’élève de cette oeuvre mais ce procédé a fini par me lasser car le récit avance avec beaucoup de lenteur. Ce qui fait que j’ai été partagée entre admiration, plaisir de lecture - le style est vraiment très beau, parfois naïf et touchant, poétique, lyrique - , et le besoin de m'arrêter de lire ! Parfois, oui, je l'avoue, j'ai sauté des passages mais, en fin de compte, j'ai terminé le lecture de l'ouvrage.
Je me demande comment les Finlandais lisent ce livre qui est une oeuvre majeure de leur littérature. Peut-être sont-ils moins surpris que moi par la composition du poème, par les noms ( que je peine à retenir!) de ces dieux ou héros qui changent souvent de forme, peut-être aussi que la mythologie de leur pays leur étant familière, ils ont eu moins de difficulté que moi pour entrer dans ce livre?
Pourtant je ne regrette pas de l’avoir lu pour plusieurs raisons. Si vous allez en Finlande comme je l’ai fait, que vous avez admiré ces splendides forêts de pins et de bouleaux à perte de vue et ces lacs, innombrables, qui reflètent la lumière du ciel, Le Kalevala vous éclaire sur les finlandais, leur rapport profond avec la nature et la forêt et les animaux sauvages. Il dit beaucoup aussi sur les vieilles coutumes, parfois encore bien vivante comme celle du sauna, de son importance vitale, par exemple : les femmes accouchaient dans l'étuve, l'action émolliente de la chaleur permettant une délivrance plus aisée. Nous apprenons aussi beaucoup sur le sort des femmes, la jeune fille a le droit de porter ses cheveux nattés, celle qui est mariée doit mettre un voile sur la tête et se consacrer entièrement à son mari. Elle peut être répudiée ou tuée si elle se comporte légèrement. On assiste aux travaux de la ferme, au travail du forgeron, avec parfois un peu de magie en prime. Les héros eux-mêmes labourent leur terre même s'ils se font un peu aider par Ukko, le dieu suprême ou si, comme Ilmarinen, il laboure un champ de vipères pour obtenir la main de la fille de Louhi.
Le kalevala vous dit aussi comment ce peuple qui a été pendant des siècles sous la domination de la Suède puis de la Russie, refusant même de parler sa propre langue, a pu se construire une identité autour de cette oeuvre fondatrice. Enfin, vous ne pouvez comprendre vraiment la culture finlandaise, musique, théâtre, sculpture, et la peinture en particulier, si vous ne connaissez pas Vaïnamöinen, Ilmarinen, Lemminkäinen et Kullervo ! L'un des principaux peintres qui a illustré le Kalevala est Akselis Gallen Kallela extrêmement impliqué dans le mouvement de renouveau nationaliste du XIX siècle mais il y en a bien d'autres et pas seulement finlandais.

Nicolaï Kochergin : Louhi et une de ses superbes filles

Akselis Gallen Kallela : Le départ vers Tuonela, le royaume des morts


Le cygne de Tuonela : Jean Sibélius (Karajan)

Etant donné la longueur du poème épique, je ne vais pas vous le résumer !  Je vais seulement vous parler des quatre héros principaux, et des dieux les plus importants dans un prochain billet.


dimanche 8 décembre 2019

La Citation du dimanche : Montaigne, La vieillesse nous attache plus de rides en esprit...




Que pense Montaigne de "la sagesse" des vieillards ?


Mais il me semble qu'en la vieillesse, nos ames sont subjectes à des maladies et imperfections plus importunes, qu'en la jeunesse : Je le disois estant jeune, lors on me donnoit de mon menton par le nez : je le dis encore à cette heure, que mon poil gris m'en donne le credit :
Nous appellons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes : mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices, comme (que) nous les changeons : et, à mon opinion, en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve plus d'envie, d'injustice et de malignité.

La vieillesse nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage : et ne se void point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi. (...) Quelles Metamorphoses luy voy−je faire tous les jours, en plusieurs de mes cognoissans ? C'est une puissante maladie, et qui se coule naturellement et imperceptiblement : il y faut grande provision d'estude, et grande precaution, pour eviter les imperfections qu'elle nous charge : ou au moins affoiblir leur progrez.
Je sens que nonobstant tous mes retranchemens, elle gaigne pied à pied sur moy : Je soustien tant que je puis, mais je ne sçay en fin, où elle me menera moy−mesme : A toutes avantures, je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé.      Essai III chapitre 2

Oui, je sais ! Pour vous souhaiter un bon dimanche, suivant l'âge que vous avez, il y a mieux ! Et vous risquez de me quitter le coeur sombre ! Et bien non ! Un homme averti en vaut deux, une femme aussi ! Maintenant vous allez tout faire pour ne pas avoir de "rides en l'esprit" ! Cela vous consolera de vos pattes d'oie !

Et puis pour vous montrer les beautés de la vieillesse, entrons dans cette galerie de tableaux juste pour le plaisir des yeux : 
 
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Rembrandt : vieille femme lisant (la mère du peintre)
Knut Ekwall
Le Caravage : le repas d'Emmaus (détail)
Tamara de Limpicka
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Michel Ange tombeau des Médicis  : La nuit
Léonard de Vinci : autoportrait
Rembrandt : la mère du peintre
Rubens : l'enfant et la bougie
Grant Wood : american Gothic
Domenico Ghirlandaio : Portrait d'un vieillard et d'un jeune garçon

On peut en rire aussi

Philippe Geluk : Le chat

André Franquin : Gaston Lagaffe


Claire Bretecher : Agrippine
André Franquin : Gaston Lagaffe
Jacques Faizant

samedi 7 décembre 2019

Arto Paasilinna : La douce empoisonneuse et Le cantique de l'apocalypse joyeuse

La douce empoisonneuse

Et c’est vrai qu’elle est douce cette empoisonneuse et, d’ailleurs, elle ne le fait même pas exprès d’empoisonner et à la limite… peut-être n’a-t-elle pas le choix, à la différence d’Hamlet, entre empoisonner ou ne pas empoisonner !
Je voudrais vous y voir ! Si comme Linnea, veuve du colonel Rabvaska, amoureuse de son jardin et de son chat, vous aviez chaque mois la visite de votre voyou de neveu flanqué de ses sinistres amis et que ceux-ci en profitaient pour racketter votre modeste retraite, vider votre garde à manger, vous insulter, sinistrer votre maison, abimer votre jardin, s’attaquer violemment à votre chat … Que feriez-vous ? Porter plainte ? Oui, c’est ce qu’elle finit pas faire après des années de patience. Mais la police a bien autre chose à faire (ou à ne pas faire) et désormais vous êtes poursuivie par la bande qui veut vous tuer !
Tel est le thème du livre au cours duquel Arto Paasilinna se plaît, comme d’habitude, à distribuer des coups de griffe à la police, l’armée, la société, qui assiste, indifférente, au martyre de la vieille dame et, bien sûr, à tous ceux qui, en âge de travailler, préfèrent vivre au dépens d’autrui. Avec son humour noir habituel, il met en scène sa douce héroïne (qui sème les cadavres sur son passage) avec une candeur et une probité qui attirent la sympathie ! Et oui, le livre est amusant, on rit avec l’empoisonneuse et l’on se révolte contre les voyous qui attaquent ainsi une pauvre vieille dame sans défense ! (sans défense… ?)  Un livre réussi !


Le cantique de l’apocalypse joyeuse

Le roman Le cantique de l'apocalypse joyeuse commence bien et Arto Paasilinna, en bon anar, se fait un plaisir de nous raconter la fin du « grand brûleur d’églises » Asser Toropâinen, vieux coco entrant dans sa quatre-vingt dixième année.  Sur son lit de mort, ce dernier demande à son petit-fils de devenir président d’une fondation qui aura pour but de construire une grande église en bois sur les terrains qu’il lui a légués. Conversion tardive ?  Peur de l'enfer ?  Désir d'expiation ? Non ! Le grand père a juste un sens particulier de l'humour !
Le roman qui commence à notre époque deviendra ensuite une oeuvre de science-fiction décrivant la troisième guerre mondiale et la fin de notre civilisation. Plus de gouvernement, le chaos s’installe, des hordes de miséreux errent de pays en pays. Seule la communauté fondée autour de l’église en bois va réussir à survivre grâce à une gestion économique saine basée sur le travail dans la nature et sur le partage et la solidarité.
 J’ai moins aimé ce livre. S’il y a de bons moments assez savoureux, j’ai trouvé qu’il tournait un peu trop à l’utopie, à la démonstration écologique, c’est à dire au sérieux. On comprend assez vite ou l’auteur veut en venir et les longueurs finissent par lasser..

jeudi 5 décembre 2019

Pete Fromm : La vie en chantier




Pete Fromm est un auteur que j’aime et cela date de ma première lecture d’Indiana Creek suivi de Avant la Nuit.

Dans ce roman, La vie en chantier, Pete Fromm explore le thème du deuil et des sentiments paternels. En effet, quand Marnie meurt en accouchant, son mari Taz se retrouve seul avec un bébé, sa maison en chantier et son désespoir. Et ce n’est pas seulement la maison qu’ils avaient achetée ensemble, projet commun qui leur donnait bien des soucis, qui est en chantier mais toute sa vie ! Tout est chamboulé, sens dessus dessous.

Pete Fromm analyse avec beaucoup de vérité et de justesse les sentiments du jeune homme anéanti par le chagrin et ses rapports avec cette petite inconnue, sa fille Midge, ce bébé qui a besoin de lui. Si assumer sa paternité est parfois difficile, elle l’est encore plus quand on éprouve, comme Taz, le manque d’une présence aimée et que toute sa vie semble détruite.

Le roman est donc bien écrit, l’analyse du personnage principal sonne juste, ses relations avec Midge aussi, et pourtant, j’ai éprouvé une certaine déception…Peut-être parce qu’il n’est plus question de nature si ce n’est les quelques passages au cours desquelles les jeunes gens se baignent dans la rivière? Même s’il est légitime pour un auteur de vouloir se renouveler, j’avais envie de retrouver le nature writing propre à la collection Gallmeister. Mais, c’est aussi le côté "attendu" du roman que je n’ai pas aimé, introduit par le personnage de la jeune baby sitter, étudiante, qui va, avec un indéfectible dévouement, s’occuper du bébé et du père et tomber amoureuse des deux. Quelle patience ! Presque trop… non, trop ! Dès le début on sait ce qui va se passer. Ce n’est qu’une question de temps ! Et cela m’a gênée. J’ai trouvé le personnage trop prévisible et, du coup, peu crédible car finalement on sait peu de choses sur elle, sur ce qu’elle éprouve. On sent qu'elle n'intéresse pas l'auteur. De ce fait, elle m’apparaît juste comme un personnage utile pour amener le dénouement ! Et c’est un peu vrai aussi de Rudy, l’ami presque trop parfait !

Dommage ! Le roman a des qualités et Pete Fromm est un bon écrivain mais je n’ai pas adhéré à ce récit.

mardi 3 décembre 2019

Kjell Westö : Un mirage finlandais


Ce roman de Kjell West, Un mirage finlandais a obtenu le prix de littérature du conseil nordique. Et il faut dire qu’il le mérite.Voilà le résumé de la quatrième de couverture mais élagué parce que je trouve qu’il en dit trop.Matilda Wiik est une sténodactylo hors pair. Elle travaille à Helsinki pour l'avocat Claes Thune. Ce soir de mars 1938, le Club du mercredi - un groupe de gentlemen qui se retrouvent chaque mois pour refaire le monde - est réuni dans le cabinet de son patron. Soudain, Matilda reconnaît la voix d'un homme qu'elle aurait préféré oublier...
Le roman est qualifié de « roman à suspense » car nous n’apprenons à qui appartient la voix reconnue par Matilda qu’au dénouement. Et c’est vrai que rester dans l’ignorance tout au long du roman génère un malaise et découvrir qui est, en définitive, ce personnage crée un effet de surprise assez fort. Ce « suspense», donc nécessite de la part de l’auteur une habileté dans la construction du récit et dans la façon de le mener à terme sans rien révéler. Mais ce n’est pas ce qui m’a le plus frappée dans ce roman. Non, c’est d’abord l’aspect historique qui dévoile une période noire de la Finlande en 1918 dont je n’avais jamais entendu parler. C’est ensuite la peinture psychologue des personnages qui sont tous assez complexes, marqués par leur position sociale et leur passé plus ou moins tragique. L’on s’intéresse à leur histoire, la petite, à côté de la grande Histoire, et l’on entre dans leur univers et leurs pensées.
 
Finlande : gardes rouges (photo wikipedia)
La Finlande a été traversée par une guerre civile meurtrière en 1918. En effet, au moment de l’indépendance en 1917, la Finlande qui était alors un Grand duché sous domination russe, voit sa population se diviser entre les Rouges, sociaux démocrates, ouvriers, travailleurs agricoles et les Blancs, paysans, classe moyenne, bourgeoisie. Les Rouges étaient soutenus par les Soviétiques et les Blancs recevaient l’aide de l’armée allemande. 
La guerre dure quelques mois du 25 Janvier au 15 mai 1918 et se termine par la victoire des Blancs; elle fait 39 000 morts dans un pays qui comptait 3 millions d’habitants.
Prisonniers rouges
La répression des Blancs est terrible. Les Rouges enfermés dans des camps de prisonniers meurent de faim, de maladie et de maltraitance.  Kjell Westö place l’action de son récit en 1938, autre période troublée, avec la montée du nazisme et l’approche d’une autre guerre. Les conversations du patron de Matilda et de ses amis ou clients rendent compte du climat délétère qui règne alors, les pro-germanistes sont gagnés par l’idéologie nazie sur fond d’antisémitisme. Kjell Westo a le courage de dénoncer dans ce livre, un scandale lié à la sélection des Jeux olympiques de 1940 qui devaient avoir lieu en Finlande. Deux époques de l’histoire de la Finlande se chevauchent ainsi mettant en scène des personnages qui ont vécu les deux.

 Le personnage de Matilda Wiik est impressionnant. Que se cache-t-il derrière la façade calme et sévère de « la proprette Mme Wiik, de ses gestes parfaitement maîtrisés, de cette apparence nette et classique, cette rigueur dans son travail de parfaite secrétaire qui ne trahit jamais aucun sentiment ? Et qui est cette demoiselle Milja qui lui succède parfois et qui n’en fait qu’à sa tête, folle et fantasque ? et Matilda, prise entre la demoiselle Milja et madame Wiik, n’est-elle pas la femme sensible, certes tourmentée et malheureuse, mais que l’on peut encore atteindre ? C’est ce que se demande son patron, l’avoué Clas Thune. Celui-ci est un patron fort sympathique, un peu paumé, pas très heureux lui non plus, qui essaie de comprendre ses employés et s’intéresse à l’être humain en dehors de toute considération sociale, même si son éducation bourgeoise ne lui permet pas de se sentir à l’aise avec des ouvriers. Les rapports sociaux sont  très finement observés et décrits.
Tous les personnages secondaires sont intéressants, denses, complexes et font revivre cette société d’entre deux guerres en nous menant vers un dénouement auquel on ne s’attend pas forcément… ou peut-être que si !

Un très beau livre!