Pages

mardi 4 février 2020

Yasunari Kawabata : Kyoto (2)

Kitagawa Utamaro
Dans Kyoto, roman publié en 1962, Yasunari Kawabata, écrivain japonais, prix Nobel de littérature, raconte l’histoire de Chieko, fille adoptive d’un grossiste en tissus, Sata Takichiro, et de son épouse Shige. Nous apprenons bien vite qu’elle est une enfant trouvée et, plus tard, qu’elle a une soeur jumelle. La rencontre fortuite des deux soeurs a lieu au cours de la fête de Gion et leur étroite ressemblance ne peut laisser place à aucun doute quant à leur gémellité. Mais alors que Naeko a été élevée dans un  milieu modeste, sur les hauteurs, et travaille à l’entretien des cryptomères, ces beaux arbres qui servent à la construction des  temples et des maisons, Chieko a fait des études et est devenue une jeune fille raffinée, capable d’apprécier la beauté sous toutes ses formes. Le tisserand Hideo qui est amoureux de Chieko se sent attiré par Naeko, sans trop savoir de laquelle il est réellement amoureux.  Mais ce n’est pas tant le thème du double, de la gémellité ni celui de l’éducation sociale que cherche à explorer Kawabata. Ce qui l’intéresse, c’est de montrer à travers les yeux attentifs et cultivés de Chieko la beauté de ce qui l’entoure. 

Hasegawa Kyuzo / Sakura Zu 1592
« A l'endroit où l'arbre penche fortement, un peu en dessous, on devine deux petites cavités dans le tronc ; dans chacune des cavités, ont poussé des violettes. Et, à chaque printemps, apparaissent des fleurs. D'aussi loin que Chieko se souvienne, il y a toujours eu ces deux souches de violettes sur l'arbre.
Trente centimètres environ séparent les violettes du haut de celles du bas. La jeune fille qu'était Chieko en venait à se demander :
« Arrive-t-il que les violettes du haut et celles du bas se rencontrent ? Se connaissent-elles ? Que signifie pour les fleurs "se rencontrer", "se connaître" "  ?
Des fleurs, il y en avait à chaque printemps, trois, cinq, au plus, c'était à peu près le compte. Pas davantage, et pourtant, dans les petites cavités au haut de l'arbre, à chaque printemps, surgissaient des boutons et s'épanouissaient les fleurs. Cjieko les contemplait de la galerie, ou, au pied de l'arbre, levant la tête ; s'il lui arrivait d’être frappée par la « vie » de ces violettes sur le tronc,  parfois leur « solitude » l’envahissait."

Cependant au-delà de cette beauté, Kawabata montre la progression constante de la modernité qui vient peu à peu saper les bases de la civilisation japonaise ancestrale. Ainsi Sata Takichiro, le père de la jeune fille, refuse d'utiliser des métiers mécaniques pour tisser des tissus à la mode, bon marché et aux couleurs vives.  Pour lui, le kimono représente un art de vivre épuré, lié à la spiritualité. La vulgarité des objets et des goûts nouveaux, l’industrialisation, les rapports uniquement mercantiles entre le vendeur et l'acheteur, le choquent comme le rendent triste la disparition des coutumes, l’atténuation du sentiment religieux et social, la réorganisation économique induites par l’occupation américaine du Japon après la guerre de 1945.

Temple de Kyoto
La description de Kyoto est si précise avec les noms des différents quartiers de la ville, des itinéraires pour s’y rendre, les diverses fêtes religieuses, les précisions sur la fabrication des tissus, que d’aucuns ont pu dire qu’il s’agissait d’un guide touristique !
Il n’en est rien, évidemment. L’intention de l’auteur est tout autre. Même s’il s’attache à la description précise des lieux, Yasunari Kawabata écrit Kyoto pour célébrer la beauté de la ville et de la nature et pour en  en montrer la fragilité. Il pratique ce que les japonais ont appelé le mono no aware qui est une sensibilité à la mort des choses et une empathie pour leur vie détruite. Les fleurs vivent mais leurs pétales tombent. Le temps de la floraison est si court. Et au-delà, les êtres humains ne sont-ils pas comme les fleurs, si belles, si vivantes, mais avec un vie si brève. 

Shimura Tatsumi
Yasunari Kawabata montre, à travers les changements qui ont lieu à l’époque de l’écriture  du livre, que la ville ancienne est en train de disparaître par pans entiers. Il porte sur cet effacement, ce que l’on appelle le regard ultime, le matsugo no me, ce regard que l’on attache à une chose ou un être que l'on voit pour la dernière fois, et qui, est une annulation de cette chose ou cet être. Et il y a, bien sûr, un sentiment poignant de nostalgie qui résulte de ce constat. Au moment même où l’on est pénétré par le sentiment de la beauté que font naître les évocations poétiques de Kawabata, on éprouve le regret de savoir que ce n’est plus. C’est donc bien intentionnellement que l’écrivain a nommé son oeuvre Koto en japonais, l’ancienne capitale, et non Kyoto, le titre moderne choisi pour la traduction française.
Le style de Kawabata repose donc sur le recueillement, le silence, la contemplation qui élève l’âme. On peut dire que ni l’intrigue, ni les personnages ne sont primordiaux dans ce roman. J’ai dû étudier ce livre à l’université quand j’étais étudiante et je me souviens qu’il m’avait peu enthousiasmée. Il en est tout autrement aujourd’hui. J’ai été subjuguée par la magnificence des descriptions de Kawabata, touchée par la disparition de cette beauté précieuse, sensible à la fragilité des choses. Et puis finalement, j’ai aussi trouvé les personnages attachants, j’ai aimé faire la rencontre de Chieko si fine et délicate et de Naeko, humble mais pleine de dignité, et j’ai partagé leurs pensées intimes avec beaucoup de bonheur. Un très beau livre !



"De l'autre côté du pont il y a un cerisier que j'aime."
Ses doubles fleurs pourpres étaient d'une extrême beauté. C'était un arbre célèbre. Les branches retombaient à la manière du saule pleureur, puis se déployaient largement. Lorsqu'ils furent sous l'arbre, une brise imperceptible dispersa des pétales aux pieds de Chieko, sur ses épaules.
Déjà, à l'ombre de l'arbre, les fleurs étaient tombées, éparses sur le sol. D'autres dérivaient à la surface de l'étang. Mais quelques-unes seulement, sept ou huit, peut-être...


dimanche 2 février 2020

La citation du dimanche : Yasunari Kawabata : Kyoto (1)

Peinture de Rin Nadeshico ICI

Je présenterai bientôt mon commentaire sur la lecture du roman de Yasunari Kawabata : Kyoto. En attendant, voici un passage intéressant qui nous amène à réfléchir sur la condition humaine.

Il y a de nombreux amateurs de grillons au japon.  Chieko, une jeune fille japonaise, élève des grillons dans un vase.
 
Vase de  Tamba

« Dans un vase, c’est cruel, non ? » avait-elle dit, mais son amie lui répondit que c’était encore préférable, plutôt que de les élever en cage et qu’ils meurent. (…)
A présent les grillons de Chieko se sont multipliés, si bien qu’il fallu deux vases de Tamba. Chaque année ramène, aux environs du premier juillet, l’éclosion des oeufs, puis, vers la mi-août, ils commencent à chanter.
Et c’est ainsi que dans l’étroitesse d’un vase, dans son obscurité, ils vivent,  chantent, pondent et fixent leurs oeufs, meurent. Puisqu’ils perpétuent l’espèce, oui, c’est préférable à les élever en cage et qu’ils ne vivent que l’espace d’un été, mais il reste que c’est une vie au fond d’un vase : pour eux, le vase est l’univers.
« L’univers dans un vase » c’est une ancienne légende chinoise, que Chieko connaissait. Le vase renferme un palais d’or et des tours de perles, des nectars exquis et les mets rares des monts et des mers; le vase clos était un « autre monde » coupé de la réalité qui est nôtre, un lieu enchanté. C’est une des nombreuses légendes des ermites magiciens.
Si les grillons sont dans un vase, ce n’est évidemment pas qu’ils veulent fuir le monde. Savent-ils même qu’ils sont dans un vase… ? Et ainsi passe leur vie.

Et qu'en est- il de l'homme ? semble nous dire Kawabata.

**

Rin Nadeshico : Cheiko ?
Voilà comment je m'imagine la jeune et jolie Cheiko, le personnage principal de Kyoto de Kawabata, à partir de ce dessin de Rin Nedishco, peintre contemporaine.

Le père adoptif de Cheiko, vendeur en gros d'étoffes et de kimonos fabriqués à la main, dessine lui-même le motif des tissus destinés à sa fille, refusant de sacrifier à la modernité, aux couleurs trop criardes, à son goût,  et sans raffinement.

Aussi la jeune fille devait-elle être plutôt semblable aux "peintures de belles personnes ", les "bijin-ga de l'époque Edo " (1603_1870), style de peinture qui a perduré jusqu'au début du XX siècle et dont Rin Nedshico s'inspire.

Bijin-ga de Kitagawa Utamaro (1800)
Bijin-ga de Utagawa Yoshitsuru
Grande Bijin en promenade de Sugimura Jihei
Bijin à l'horloge de Sukenobu (XVIII siècle)
Bijin avec ombrelle de Toyohara Chikanobu (1890)
Miyagawa Choshun

mardi 28 janvier 2020

Jack London : Martin Eden (2)


Martin Eden est un roman en partie autobiographique de Jack London dans lequel il conte l’histoire de Martin, un jeune marin issue d’un classe sociale misérable, qui a très tôt dû abandonner ses études pour travailler et rapporter de l’argent à sa mère. Un jour, il vient en aide à un jeune bourgeois attaqué par des voyous et celui-ci l’invite dans sa famille pour le remercier. C’est là que Martin Eden tombe amoureux fou de la soeur du jeune homme, Ruth,  jeune fille cultivée qui poursuit ses études à l’université. Il décide de s’instruire pour se hisser à son niveau et être digne d’elle. Entre deux voyages en mer, Martin lit, se cultive, se lance dans les études, dormant à peine, progressant dans sa manière de s’exprimer et s’ouvrant ainsi à la connaissance donc à la beauté. Il sent en lui une profonde envie d’écrire mais ses manuscrits lui sont toujours refusés. Pourtant, il s’obstine au grand déplaisir de Ruth, devenue sa fiancée, qui le voudrait établi dans une situation bourgeoise, confortable et sans risque. Les premières désillusions s’installent mais je ne vous en dis pas plus pour vous laisser découvrir ce que devient Martin Eden par la suite.

Dans cet ouvrage où Jack London met beaucoup de lui-même, même si le personnage reste fictionnel, nous suivons avec intérêt le personnage de Martin. Ce jeune homme, grossier et frustre d’allure et de langage mais capable d’idéalisme et de délicatesse dans les sentiments nous devient extrêmement attachant. C’est avec talent que Jack London analyse ce que peut ressentir le jeune homme complexé dans cette société qui l’accueille avec bienveillance mais aussi condescendance. Comment faut-il se tenir à table, comment faut-il saluer, quelles sont les règles des bonnes manières ? Honte de sa maladresse, des ses gestes sans grâce, de sa voix rude, de sa grammaire défectueuse, de ses vêtements déformés, de sa naissance populaire. C’est avec empathie que nous le suivons dans les progrès de son éducation, que nous voyons cette intelligence en friche, s’ouvrir à toutes les formes de la connaissance, littérature, poésie, art, mathématiques, sciences. Son courage, son acharnement à l’étude, son intelligence qui lui permettent d’accéder au savoir en autodidacte, forcent l’admiration. Jack London nous fait partager l’ivresse intellectuelle qui s’empare de Martin quand il découvre le savoir  et qu’il voit son horizon jusque là borné s’étendre.
Pourtant, peu à peu, Marin Eden prend conscience du conformisme de sa fiancée et aussi plus généralement de la classe sociale à laquelle elle appartient. Ces intellectuels ne jugent l’art, la littérature, qu’avec des idées toutes faites et  les étroits préjugés de leur classe. Leur superficialité le déçoit. Chez eux tout n’est que façade, trompe l’oeil. Il éprouve une grande déception devant leur snobisme, leur suffisance, leur indifférence à la misère qui les entoure. Martin Eden s’aperçoit que, même en adoptant les codes de la bonne société, en voulant à tout prix s'y intégrer, il appartient toujours au monde ouvrier, il est du côté des misérables :  de sa soeur  Gertrude peinant toute la journée pour élever ses enfants tout en travaillant dans un taudis, sous la domination d’un mari tyrannique, de Lizzie la jeune ouvrière amoureuse de lui qui a les yeux durs d’un quelqu’un qui n’a jamais connu la tendresse et l’amour, de Maria, sa logeuse, qui élève seule ses sept enfants. Il rejette le socialisme au nom de l’individualisme qui lui permettra d'arriver au but qu'il s'est fixé mais ne trouve que le vide face à lui.

Le livre présente aussi une réflexion sur l’écriture, la formation de l’écrivain. Martin Eden est poussé par une force intérieure à écrire. C’est une nécessité impérieuse. C’est en écrivant beaucoup qu’il progresse et, bien sûr, en lisant beaucoup. Les nombreux échecs qu’il subit, tous les manuscrits lui sont refusés, lui montrent que là aussi le conformisme règne et l’on s’en tient aux idées conventionnelles et aux valeurs établies. S’ensuit une critique en règle des éditeurs de magazines plus ou moins filous, où, non sans humour, Jack London règle ses comptes avec un milieu qu’il connaît bien !
On pourrait penser à voir les certitudes de Martin Eden sur la valeur de ce qu’il écrit et la bonne opinion qu’il a de son intelligence, que c’est un homme imbu de lui-même ! Mais Jack London nous dit le contraire : « Il était loin de se douter que les êtres remarquables sont semblables aux grands aigles solitaires, qui planent très haut dans l’azur, au-dessus de la terre et de sa banalité moutonnière. »

Un très beau livre donc que j'ai découvert avec beaucoup de plaisir.

dimanche 26 janvier 2020

La citation du Dimanche : La beauté avec Martin Eden de jack London (1)

Saint Rémy Van Gogh
J'ai lu mais pas encore commenté Martin Eden, le roman autobiographique de Jack London et j'ai raté le film, hélas, que j'étais pourtant très curieuse de découvrir.!
Dans Martin Eden, Jack London, qui eut une enfance malheureuse dans un milieu défavorisé, fit très jeune l’apprentissage de la pauvreté et du travail en usine. Devenu marin, il tombe amoureux d’une jeune fille cultivée de la grande bourgeoisie. Pour elle, il décide de s’instruire et son intelligence supérieure alliée à une force de travail peu commune, l’ouvre à un univers qu’il ne connaissait pas : la littérature, la poésie, l’art, la science. Découverte qui va transformer sa vie entière  :

Avant, je ne savais pas que la beauté avait un sens. Je l’acceptais comme telle, comme une réalité sans rime ni raison. J’étais dans l’ignorance. A présent, je sais, ou plus exactement, je commence à savoir. Cette herbe me paraît beaucoup plus belle maintenant que je sais pourquoi elle est herbe, par quelle alchimie du soleil, de la pluie et de la terre elle est devenue ce qu’elle est. Mais c’est tout un roman que l’histoire du moindre brin d’herbe et un roman d’aventures ! Cette seule idée m’émeut. Quand je réfléchis à tout ce drame de la force et de la matière et à leur formidable lutte, j’ai envie d’écrire l’épopée du Brin d’herbe ! (…)
Tenez, je plonge ma figure dans l’herbe et l’odeur qu’aspirent mes narines évoque en moi mille pensées, mille rêves. C’est l’haleine de l’univers que j’ai respirée; c’est sa chanson et son rire, sa douleur, ses larmes, ses luttes et sa mort. J’aimerais vous dire, à vous, à l’humanité entière, les visions évoquées en moi par cette odeur d’herbe.
Jack London
Herbe Vincent Van Gogh
Christian Bobin trouve dans un brin d'herbe la force de résister à la disparition de sa femme et à la douleur du deuil. Un passage que j'ai déjà cité dans mon blog en 2008 !

"Je fais du tout petit, je témoigne pour un brin d'herbe. Le monde tel qu'il va, mal, je le connais et je le subis comme vous, un peu moins que vous peut-être : dessous un brin d'herbe, on est protégé de beaucoup de choses. (...) Le désastre, je le vois. Comment ne pas le voir? Le désastre a déjà eu lieu lorsque je commence à écrire. Je prends des notes sur ce qui a résisté et c'est forcément du tout petit, et c'est incomparablement grand, puisque cela a résisté, puisque l'éclat du jour, un mot d'enfant ou un brin d'herbe a triomphé du pire. Je parle au nom de ces choses toutes petites. j'essaie de les entendre. Je ne rêve pas d'un monde pacifié. Un tel monde serait mort. J'aime la lutte et l'affrontement comme j'aime la vie du même amour." (...)
La beauté est une manière de résister au monde, de tenir devant lui et d'opposer à sa fureur une patience active.

Christian Bobin
Volubilis peinture japonaise

Et Walt Whitman :

"Un volubilis à ma fenêtre me plaît plus que toute la métaphysique des livres."

"Je pense qu’un brin d’herbe ne compte pas moins que le labeur des étoiles
Et que la fourmi est également parfaite et un grain de sable et l’oeuf du roitelet
Et que la reinette est un chef d’oeuvre du plus haut des cieux
Et que la ronce grimpante pourrait orner les salons du ciel
Et que la plus infime jointure de ma main l’emporte sur toute mécanique
Et que la vache qui broute tête baissée surpasse n’importe quelle statue
Et qu’une souris est un miracle capable de confondre des milliards d’incroyants."

La majesté et la beauté du monde sont latents dans n'importe quel iota du monde »

Walt Whitman
 

jeudi 23 janvier 2020

Elias Lönnrot : Le kalevala : Les dieux (3)

Ekseli Gallen Kallela : La rivière de Tuoneli, le royaume de la Mort : l'embarquement  des âmes
 
 
Voilà le dernier billet consacré à l’épopée finlandaise de Elias Lonnrott, Le kalevala, écrit à partir d’une collecte de chants et de contes traditionnels remontant jusqu’au XIII siècle.
Il faut savoir qu’au XIII siècle, la Finlande est déjà christianisée, aussi les anciens dieux sont parfois très influencés par le christianisme et les distinctions entre paganisme et christianisme s’effacent ou se diluent quelquefois.

UKKO, le dieu des dieux


Ukko, qui signifie « vieillard » est le dieu suprême, le dieu du ciel, assimilable aux deux dieux scandinaves Odin et Thor et aussi dans la mythologie grecque à Zeus. Comme Odin, Ukko possède le pouvoir suprême, la sagesse et le savoir et il est aussi le dieu de la guerre et celui de l'orage. Comme Thor, Ukko tient un marteau nommé Unkonvasara qui le rend maître du tonnerre, de la foudre. Le symbole d’Ukko est un serpent-éclair qui figure l’éclair et la foudre. En finnois, le mot Ukkonen signifie « tonnerre » et ukolnima , « le temps d’Ukko », « l’orage ».
Quand les personnages du Kalevala s’adresse à Ukko, les prières et les mots employés rappellent la prière au Père de le religion chrétienne.
Unkonvasara
Le symbole d’Ukko est un serpent-éclair qui figure l’éclair et la foudre. En finnois, le mot Ukkonen signifie « tonnerre » et ukolnima , « le temps d’Ukko », veut dire « l’orage ». 
Symbole d'Ukko

Rauni ou Akka, l'épouse d'Ukko

Ukko est l’époux de Rauni ou Akka qui signifie vieille femme, « la petite mère de la terre ». Elle a donné aux humains la possibilité de lutter contre la malfaisance des gnomes de montagne. Si Akka et Ukko s'unissent l'orage se déclenche ! Le passage du char de Ukko dans le ciel provoque le tonnerre.
Quand les personnages du Kalevala s’adresse à Ukko, les prières et les mots employés rappellent la prière au Père de le religion chrétienne.

Lemminkaïnen s'adresse à Ukko
Prière de Lemminkainen à Ukko p158

Je m’adresserai bien plus haut,
Au puissant Ukko dans le ciel,
Qui gouverne sur les nuages,
Maître souverain des nuées.

O puissant Ukko, dieu suprême,
Père céleste et secourable,
Qui parles à travers les nues,
Qui lances les mots dans l’espace,
Donne-moi ton glaive de feu
Placé dans un fourreau de feu,
Pour disperser tous les obstacles,
 Pour écarter les maléfices.

ILMATAR

Ilmatar Robert Wilheem Erkman
 Nous avons déjà parlé d'Ilmatar ou Luonnotar, déesse de l'air et des ondes, qui a créé la terre à partir d'oeufs de canard, Voir ICI
 

TAPIO


 Voilà comme l'artiste finlandaise Eva Ryynänen l'a représenté au musée de la nature près de Savonlinna : 
Tapio représenté par l'artiste finlandaise Eva Ryynänen
Tapio, le dieu finnois de la nature, le dieu des forêts et des arbres.  C'est est l'un des dieux les plus importants pour un pays aussi boisé que la Finlande. Les divinités et les esprits des forêts sont d'ailleurs les plus nombreuses du folklore finlandais. Tapio est souvent représenté à moitié humain, à moitié arbre,  avec des sourcils de mousse et une barbe de lichens. Les chasseurs s’adressent à lui pour qu’il favorise leur chasse.

Tapio  prière de Lemminkainen p173

Je quitte les gens pour les bois
Vais seul aux travaux en plein air
Par les domaines de Tapio (…)

Forêt montre-toi bienveillante,
Eternel Tapio, sois propice,
Conduis-moi dans l’ilôt boisé,
Mène- moi sur une colline
Où je trouverai du gibier
Où je lancerai quelque proie !

Mikkieli, épouse de Tapio

Voir Ici
Son épouse (ou parfois sa bru)  est la belle Mikkieli, déesse de la forêt, dont le vieux nom finnois Mielu signifie chance. Elle a présidé à la naissance de l’ours, animal sacré en Finlande, roi de la forêt. Otso est l’esprit de l’ours. Elle protège le bétail, aide les bêtes sauvages traquées par les hommes. C'est elle qui permet la cueillette et le pâturage du bétail. Guérisseuse, elle soigne les animaux et, avec les plantes médicinales, elle guérit aussi les humains qui la respectent et veillent à se concilier ses bonnes grâces.
Dans Le Kalevala, le héros Lemminkaïnen lui adresse des prières ainsi qu’à Tapio et lui offre de de l'or et de l'argent pour capturer l'élan d’Hiisi, animal maléfique du folklore finnois. Dans un autre passage, Mielikki est priée de protéger le bétail qui paît dans la forêt. Elle reçoit également les prières de ceux qui chassent le petit gibier et de ceux qui cueillent des champignons et des baies.

Prière de Lemminkaïnen

Mielikki, patronne des bois,
Pure femme, charmant visage,
Laisse ton argent se répandre
Au-devant de l’homme qui cherche,
 sous les pas de ton suppliant !

Nyyriki , le fils de Tapio

Diaporama Philippe Arthos
Tapio et Mikkieli ont pour enfants leur fils Nyyriki , dieu de la forêt, de la  chasse et du bétail.

P 462
Nyyriki, bon fils de Tapio,
Enfant des bois, beau manteau bleu,
Prends la base des beaux sapins,
La couronne des pins touffus,
Pour faire un pont sur les bourbiers
Pour amender les mauvais lieux…

Nyyrikki, fils de Tapio
Noble héros au bonnet rouge,
Trace des marques sur le sol,
Taille des signes sur les rocs
Pour conduite l’homme stupide,
Montrer la voie à l’ignorant,
Tandis qu’il cherche le gibier,
Qu’il pourchasse le cher butin !

Tuuliki, Pihlajatar, Tellervo, les filles de Tapio

voir ici
Leurs filles, déesse des forêts, de la végétation  sont Tuuliki, Pihlajatar, Tellervo

Prière de la femme de Ilmataren
P 456

Tellervo, fille de Tapio,
Vierge aux joues rondes des forêts,
Beau tablier, fine chemise,
Superbe chevelure d’or,
Toi qui protèges les troupeaux,
Qui garde le bétail des fermes
Dans le propice Matsola,
Dans le vigilant Tapiola

O Suvetar, femme excellente,
Etelätär, belle nature,
Hongatar, bénévole hôtesse,
Katjar, superbe vierge,
Pihlajatar, fille de Tapio,
Mielikki, bru de la forêt,
Tellervo vierge de Tapio,
protégez toutes mon troupeau.

Suvetar  la déesse du printemps (Gjallarhorn-Suvetar with english lyrics)

Etelätär, personnification du vent invoquée par  les vétérinaires pour soigner les chevaux.

Hongatar est la nymphe du pin, Katjar (Katajatar) celle du genévrier, Pihlajatar la nymphe du sorbier, Lemmes celle de l'aune, et Remunen du houblon.

Pellervo  ou Pekko (ou Sampsa Pellervoinen) est le dieu des champs, des graines et des moissons

 Melhiainen est l'abeille. La mère de Lemminkainen envoie Melhiainen chercher du miel pour faire revenir son fils à la vie. Elle a reconstitué le corps de son fils en le cherchant dans le fleuve noir de Tuonela où ses morceaux avaient été dispersés après avoir été assassiné.

p196 prière de la mère
Melhiainen, mon cher oiseau,
 Reine des fleurs et de la forêt,
Pars maintenant chercher du miel,
Va recueillir de l’hydromel 
Dans le propice Metsola,
Au fond de l’exact Tapiola,
 dans le calice des fleurettes. 

 A ces divinités étaient opposés des esprits malicieux, fourbes et méchants : Lempo  le dieu du mal  associé à Hiisi  ou Paha . Il commande les démons de la forêt. Il est aussi singulièrement l'ancien dieu de l'amour comme si l'amour et la haine étaient les deux facettes d'un même sentiment. En lapon Sieita, est aussi appelé Paha (le Malin) et Juutas (Judas), Piru , Perkele ...



Chant ôde à la terre mère suèdois - Gjallarhorn-Suvetar

TUONI

Tuonela : Tuoni et Tuonatar, deux de leurs filles

Tuoni est le dieu de la mort et des enfers. Son domaine est Tuonela, le sombre pays d'où l'on ne peut revenir vivant à part le héros Vaïnomömoinen. Les âmes partent sur la noire rivière de Tuonela pour gagner le séjour des morts, dans l'abîme de Manola.

Louhi,  patronne de Pohja ( P 183),  dit à Lamminkaïnen qui veut obtenir la main de sa fille :

Je ne te donnerai ma fille,
La belle jeune fiancée,
Que si tu peux tuer le cygne,
du noir rapide de Tuoni,
Des flots du tourbillon sacré,
En l’abattant du premier coup,
En ne décochant qu’une flèche.

Tuonetar, l'épouse de Tuoni


Tuonetar, la bonne patronne, femme de Tuoni, accueille les morts à Tuonela. Dans Le kalevala, elle offre à Vaïnämöinen qui s'est introduit vivant à Tuonela,  un gobelet d’or rempli de poison, de serpents et de grenouilles pour le tuer. Mais celui-ci déjoue la ruse et s'échappe en usant ses pouvoirs de métamorphe et en se tranformant en loutre. C'est ainsi qu'il parvient à échapper au filet qui obstruait l'issue de la rivière hors des enfers.

Tuoni et Tuonetar ont pour filles les divinités de la souffrance et de la Maladie comme Kalma, Vammatar, Kivutar, Kippu-Tyttö, ou Loviatar, "la plus méprisable des filles de Tuoni" qui était aveugle.

Kipu-tyttö, l'une des filles de Tuoni

Kipu-tyttö , déesse de la souffrance,, Kipu-tyttö, Laura Rantanen
Kipu-tyttö dont le nom se  traduit par « petite fille de la douleur » est la divinité de la maladie dans son degré terminal. Elle est d'une apparence terrifiante, son visage est sombre, rongé par la variole et son corps est légèrement déformé. Comme sa sœur Lovatiar elle est mère de neuf enfants, qui ont des noms aussi évocateurs que le cancer, la goutte, les ulcères, le chancre et la gale.

Kalma , une des filles de Tuoni  et Surma

Surma
 Kalma est la déesse de la mort, des chairs corrompues, de la pourriture. Son nom veut dire : "la puanteur des cadavres"! Elle a donné son nom au mot finnois kalmisto qui signifie cimetière.
Kalma vit à Tuonela et son antre est gardé par  Surma.  Celui-ci est décrit comme un chien énorme avec une queue de serpent et son regard est pétrifiant. Surma signifie "mort" et il est usité quand il s'agit d'un personne morte assassinée et non de mort naturelle.

 Loviatar, la plus méprisable des filles de Toni

Akseli Gallen Kallela : Loviatar filant sur la montagne
Chez Tuoni vivait une aveugle,
Loviatar, la vieille mégère,
La pire fille de Tuoni,
La plus méchante Manatar,
L’origine de tous les maux,
La cause de mille fléaux;
Elle avait la figure noire
Son teint était très repoussant.

P593 Loviatar
Elle mit au monde neuf fils,
Elle baptisa ses enfants,
Prépara sa progéniture
L’un fut appelé Pleurésie
L’autre se vit nommer Colique,
L’un reçut le prénom de Goutte,
l’autre fut nommé rachitisme,
 L’un fut désigné comme ulcère,
L’autre s’appela Cicatrice;
L’un fut affublé du nom gale,
l’autre répondit au mot peste

ou encore selon les versions : Loviatar donna naissance à neuf enfants : Pistos (phtisie), Ahky (coliques), Luuvalo (goutte), Riisi (rachitisme), Paise (ulcère), Rupi (gale), Syöjä (cancer), Rutto (peste) et un neuvième, une fille, qui n'est pas nommée mais qui était la pire.

Louhi la patronne de Pojhala, qui veut se venger des héros qui lui ont volé le Sampo, envoie les enfants de Loviatar  sur le Kalevala. Mais Vaïnämöinen parvient à les vaincre tous.

AHTI ou ATHO

Athi ou Atho, le dieu de l'eau
Athi est le Dieu de l'eau, de la mer, des rivières et des lacs.  Il vit dans une sombre  et humide caverne ouverte dans une falaise, frappée par les vagues, entourée de nuages. Il est jaloux du dieu du ciel car il pense que son pouvoir n'est pas assez apprécié des humains et qu'il n'obtient pas assez de prières. Mais il n'essaie pas de se rendre plus populaire et emploie toutes sortes de mauvais esprits malfaisants, envoie des tempêtes, crée des tourbillons.

Vellamo ou Wellamo, épouse de Ahti 

Vellamo est la déesse de l'eau, de la mer et des lacs. Son nom vient du mot finnois « velloa », qui signifie « mouvement de l'eau et des vagues ». Elle est belle et grande, porte une robe bleu vert faite de mousse de la mer.  Elle sait contrôler les vents, apaiser les tempêtes. C'est pourquoi, elle est très respectée par les pêcheurs qui la prient pour qu'elle protège leur navire et leur donne une bonne pêche. Elle est aussi la maîtresse de vaches magiques qui vivent sous l'eau et paissent dans des prairies sous-marines.


Il y a encore beaucoup de dieux et de déesses dans la mythologie finnoise et dans Le Kalevala mais je m'en tiendrai là, à ceux que j'ai remarqués pendant ma lecture de l'illustre épopée finlandaise.

VOIR :

lundi 20 janvier 2020

Lars Kepler : Le Pacte et Ragnar Jonasson : Sott



Deux petits polars en un billet... ou plutôt un « gros » polar  (600 pages) Le Pacte de Lars Kepler et un petit, Sott de Ragnar Jonasson, (342 p),  un suédois et un islandais.

Lars Kepler est le pseudonyme d’un couple d’écrivains suédois Alexandra et Alexandre Anhdoril. Nous sommes à Stockholm. Le thème principal du roman Le Pacte porte sur les ventes d'armes illicites consenties de manière frauduleuse à des états coupables de génocide ou proches des djihadistes. Cette dénonciation est vécue à travers les aventures d’une jeune femme, Pénélope, pacifiste convaincue, présidente de l’association pour la paix et l’arbitrage.  Pourchassée par un tueur, elle ne comprend pas pourquoi elle est ainsi devenue une cible.


En arrière-plan, kastskar, l'île où Pénéloppe s'est arrêtée.
Pénélope est sur le bateau de son amoureux Bjorn et s’apprête à passer de bons moments avec lui mais sa mère lui impose la présence de sa soeur Viola. Pour s’isoler, elle met pied à terre avec Bjorn à Kasrska, sur l’une des trente mille  petites îles de l’archipel de Stockholm, en laissant Viola dans le bateau ancré près de là. Quand elle revient sa soeur est morte, assassinée. Bjorn et elle échappent de peu à leur poursuivant et commence alors une course-poursuite haletante et désespérée.
Parallèlement la police, en la personne de Joanna Linna, enquête sur la mort de Carl Palmcrona, directeur général de l'Inspection pour les produits stratégiques, l'homme chargé de valider les contrats d’armement de la Suède. Il est retrouvé pendu chez lui : suicide ou meurtre ? Le corps de Viola retrouvé à bord du yacht passe d’abord pour un accident.  Bientôt, le policier va être amené à lier les deux affaires.

La lecture procure des moments de tension réussis surtout lors de la fuite de Pénélope qui relève du cauchemar. Mais j’ai eu l’impression de passages moins soutenus, moins bien écrits, et je me suis demandée si c’était l’écriture à quatre mains qui en était responsable ou seulement un manque d’inspiration. Le roman est intéressant par ce qu’il nous apprend des ventes d’armes et des trafics qui y sont liés même si l’on n’a pas besoin d’aller en Suède pour découvrir cela ! Hélas ! Le récit est pessimiste, car tout amène à croire que rien n’arrêtera jamais cette corruption !
 Le Pacte a des visées politiques mais il ne va pas très loin dans la critique car la complexité de l’intrigue nous amène ailleurs, à l’aspect thriller du livre que les auteurs semblent avoir privilégié : complots, personnage mystérieux et pactes sanglants que rien peut rompre. C'est l'aspect que j'ai le moins apprécié.  En résumé, Le Pacte est un thriller qui fonctionne assez bien mais pas un coup de coeur.
C’est le premier livre que je lisais avec ce personnage récurrent de l’inspecteur Joanna Lina.  Certaines critiques disent que ce roman n'est pas le meilleur et que le policier se révèle plus intéressant dans d'autres enquêtes.

Ragnar Jonasson : Sott


J'avais lu avec plaisir le livre de Ragnar Jonasson Snjor qui décrivait avec brio le sentiment de claustrophobie qui s'emparait de l'inspecteur Ari Thor, envoyé dans une ville du Nord profond de l'Islande, Siglufjordur. Coupé du reste du monde par une tempête, l'inspecteur menait ses enquêtes dans une atmosphère angoissante.
 Avec Sott, nous retrouvons donc l'inspecteur. Cette fois-ci, il n'est plus fâché avec Kristin, il s'est réconcilié avec elle et il la voit régulièrement malgré l'éloignement puisqu'elle travaille dans la capitale et lui est toujours en train de végéter à Siglufjordur. Il faut savoir qu'il fait si noir et si froid dans cette ville et pendant si longtemps que Reykjavik passe pour une ville du sud chaude, lumineuse et privilégiée! Ceci pour faire comprendre la situation.
L'écrivain renouvelle le scénario précédent. Ari Thor, est à nouveau isolé de tout, la ville étant mise en quarantaine à la suite d'une épidémie.

Siglufjordur, plutôt joli..  hors hiver!
Bon, comme point de départ, je constate que Jonasson ne fait pas dans l'original. Mais voyons l'intrigue. Un homme  vient le trouver pour élucider la mort de sa tante qui a été classée comme accidentelle il y a vingt ans de cela. Il a, en effet, trouvé une photo qui introduit un doute et est incontestablement une raison pour relancer l'enquête. Ari Thor s'y emploie, ce qui nous permet de découvrir un fjord et une ferme encore plus reculés et coupés de tout en hiver que ne l'est Siflufjordur ! Et ce n'est pas peu dire! 
 L'intérêt du roman, à mes yeux, réside là, dans la description de cette ferme et des activités des habitants,  dans  la description d'une vie dure, d'un isolement presque total qui privait les gens de tout secours avec des chemins enneigés, dangereux à travers la montagne.  Les recherches de l'inspecteur nous font découvrir qui étaient ces personnes, leurs rapports entre eux, les non-dits, les haines, les rancunes et la personnalité de chacun se révèle à nous. Nous nous rendons avec Ari Thor dans ces lieux maintenant reliés par une route. Un long tunnel  traverse la montagne. L'écrivain rend très bien la pesanteur qui règne dans cet endroit, l'absence de vie qui peut expliquer la folie des hommes. 
Par contre, je n'ai pas du tout aimé le dénouement dans lequel le héros fait preuve d'un manque de sensibilité voire d'humanité envers l'homme qui lui a commandé cette enquête et, ceci, d'autant plus que les conclusions d'Ari Thor ne sont que des supputations. A mon avis, il n'a pas de preuves à l'appui. Cela rend le personnage peu sympathique et ne convainc pas le lecteur.



dimanche 19 janvier 2020

La citation du dimanche : Avec Esope

Les chênes de Courbet

Un jour, les chênes se plaignirent à Zeus :

Zeus

"A quoi bon lui dirent-ils, être venus sur cette terre pour finir à coup sûr sous la hache du bûcheron ?

- N'est-ce pas vous, répondit Zeus, les responsables de vos maux puisque vous fournissez vous-mêmes les manches pour les haches ?

Il en est de même pour les hommes : certains reprochent absurdement aux dieux des maux qu'ils ne doivent qu'à eux-mêmes.
Esope

vendredi 17 janvier 2020

Véronique Olmi : Bakhita


Voilà un livre, Bakhita de Véronique Olmi, que j’ai dans ma PAL depuis sa parution en 2017 et je me demande ce que j’attendais pour le lire car je l’ai beaucoup aimé.

Il raconte l’histoire d’une petite fille originaire du Darfour, née en 1869 à Olgossa, appartenant à l’ethnie Dadjo (Dajou). Elle est enlevée à l’âge de sept ans et vendue comme esclave dans un marché soudanais après une longue marche harassante. Arrachée à sa famille qu’elle ne reverra jamais, elle subit la peur, l’humiliation, la violence des marchands mais aussi des patrons qui considèrent l’enfant comme un objet. Ses souffrances, peur, faim, froid, tortures physiques et mentales, sont encore accrues par les séparations répétées qui sont le lot d’un esclave dès qu’il s’attache et se lie d’amitié à une autre personne. Et c’est peut-être le pire de tout ce qu’a subi Bakhita, l’enfant puis l’adulte, cette perte de la mère, de l’amie, de l’enfant, cette arrachement à tous les gens qu’elle a aimés même lorsqu’elle deviendra religieuse à Venise en entrant dans l’ordre des soeurs canossiennes. Une vie d’obéissance et pourtant de dignité qui ne sera rompue qu’une fois, quand elle décide de suivre Dieu et refuse son statut d’esclave, ce qui entraîne un procès retentissant à Venise qui lui permettra d’être libérée. A sa mort, elle sera canonisée.

Bakhita  : Sainte Joséphine
Le roman peut se lire comme un roman historique et d’aventures tant la vie de Bakhita est pleine de rebondissements et de tristes péripéties. Elle-même les racontera plus tard à une journaliste qui écrira le livre de sa vie. Véronique Olmi retrace l’histoire de l’esclavage en cette fin du XIX siècle, des rapts d’enfants et d’adultes, l’un des fléaux de l’Afrique. Elle peint l’horreur des razzias, les esclavagistes brûlant les villages pour faire diversion et rafler les enfants. Cela nous permet de voir combien la responsabilité des africains en ce qui concerne l’esclavage et la traite des noirs est engagée au même titre que ceux qui les leur achetaient.  ( Y compris dans les siècles précédents ! Colbert a bon dos, il n’est pas le seul responsable ! Petit aparté qui parlera à certain(e)s.)
De plus, Véronique Olmi  entre dans les sentiments de son personnage et nous fait vivre ces aventures de l’intérieur. C’est avec sensibilité et intelligence qu’elle analyse les pensées de Bakhita, ses chagrins, ses terreurs, tout en décrivant son courage et sa force dont rien ne semble pouvoir venir à bout. Elle nous montre le gouffre culturel qui s’ouvre devant la jeune fille quand elle est rachetée par un consul italien qui l’amène à Venise. Il y a l’obstacle de la langue, je devrais dire des langues, elle ne sait que des bribes du langage de ses différents maîtres et même la notion du Dieu des catholiques lui est infiniment étrangère. J’ai lu qu’un critique reprochait à Véronique Olmi d’avoir fait paraître « bête » la jeune Bakhita. Je voudrais bien l’y voir, lui, s’il avait à franchir un tel écart et si, analphabète comme la jeune esclave, jetée dans une civilisation qui n’était pas la sienne, il aurait eu beaucoup plus de facilités que la jeune fille !
Un beau livre et , de plus, très bien écrit !

mardi 14 janvier 2020

Charles Dickens : Les temps difficiles



Je ne connaissais pas du tout ce titre de Charles Dickens, Les Temps difficiles et il m’a surprise. Il faut dire que je ne connais pas assez Dickens  (je n’ai pas lu ses romans secondaires), donc je ne m’attendais pas à une telle virulence même si je sais que la critique du capitalisme est constante chez lui. Dans ce roman, il va très loin dans la critique des patrons qui exploitent les ouvriers et les maintiennent dans la misère tout en les méprisant. Certes Dickens sait de quoi il parle, ayant lui-même fait l’expérience du travail dans une manufacture pendant son jeune âge après la ruine de sa famille mais il me semble qu’il est encore plus violent dans ce texte.

L’action se déroule dans une ville fictive nommée Cokeville qui pourrait être Manchester, une ville industrielle emplie de fumées, de suie et du bruit des métiers qui rythment les journées d’esclaves des ouvriers. Les patrons prospèrent sur leur misère sans aucun état d’âme.

 Le personnage  qui représente le patron, Mr Bounderby et sa gouvernante, issue de la noblesse déchue, sont tellement imbus d’eux-mêmes, âpres au gain et indifférents aux autres qu’ils en deviennent ridicules et inhumains. La critique tourne à la caricature et nuit me semble-t- il par cette outrance à la force du roman. Pas besoin d’exagération pour peindre ce qu’était la vie des ouvriers et de leurs enfants, asservis des journées entières à leur métier à tisser, et qui ne gagnaient pas suffisamment pour manger à leur faim et être logés décemment.

Enfants au travail au XIX siècle

Un deuxième thème lié étroitement au premier apparaît ici, celui de l’éducation des enfants à qui il faut enseigner « les faits », seulement les « faits », tout en laissant de côté tout ce qui pourrait être de l’ordre de l’imagination. C’est la théorie de Thomas Grandgrind, bourgeois qui s’engage dans la carrière politique (Dickens n’est pas tendre, non plus, avec les politiques !). Tom et Louisa, ses enfants sont élevés ainsi et cette éducation pragmatique, rationnelle, nécessaire pour faire de « bons » patrons dépourvus de sentiments et n’ayant en tête que le profit, aboutit au malheur de chacun.
Seule Sissy Jupe, petite fille élevée dans un cirque, abandonnée par son père et recueillie par les Grandgrind, échappera à cette sècheresse de coeur et saura restée humaine.  Dickens prend une thèse et nous amène à constater combien elle est fausse et quelles en sont les conséquences. Là encore, le roman me paraît trop démonstratif.
 D’autre part, Les temps difficiles comme son titre l’indique est très noir, on peut le comprendre aisément. Les grèves des ouvriers sont sévèrement réprimées et nulle amélioration de leur sort n'est à attendre.
Là encore, Dickens, moralisateur, va nous donner en exemple un personnage de la classe populaire qui, m’a paru trop attendu ! C’est un homme vertueux, bon, qui croit en Dieu (forcément) et qui ne veut pas faire grève ( forcément, il obéit au maître) même s’il ne veut pas être contre ses collègues (forcément, ce n’est pas un traître). Il lui arrive quelques ennuis, on s’en doute, à ne pas savoir choisir entre la chèvre et le choux et c’est tant pis pour lui. On tombe un peu dans la bondieuserie et ce personnage loin de me convaincre m’a insupportée !
Heureusement il y a quelques passage stylistiques très forts où l’on retrouve le grand Dickens quand il dépeint la ville industrielle antichambre de l’Enfer et ses machines. Mais ce n’est pas le meilleur livre de Dickens !