Flore Brazier est la Rabouilleuse. Elle donne son son nom au titre. C’est une pauvre fille de la campagne qui est la proie d’un riche et vicieux vieillard, le docteur Rouget. Elle passe ensuite entre les mains du fils de ce dernier, Jean-Jacques Rouget, après sa mort et devient sa maîtresse. Par l’ascendant qu’elle exerce sur le vieux garçon, elle devient un danger pour l’héritage de ses neveux.
Je rabouille pour mon oncle Brazier que voilà.
Rabouiller est un mot berrichon qui peint admirablement ce qu’il veut exprimer : l’action de troubler l’eau d’un ruisseau en la faisant bouillonner à l’aide d’une grosse branche d’arbre dont les rameaux sont disposés en forme de raquette. Les écrevisses effrayées par cette opération, dont le sens leur échappe, remontent précipitamment le cours d’eau, et dans leur trouble se jettent au milieu des engins que le pêcheur a placés à une distance convenable. Flore Brazier tenait à la main son rabouilleur avec la grâce naturelle de l’innocence.
Les personnages principaux
Mais Flore Brazier n’apparaît que tard dans le roman et n’en est pas le personnage principal. Nous ne la découvrons que tardivement par le biais d'Agathe Rouget, déshéritée par son père, qui cherche a récupérer son héritage.
Mariée à Bridau, Agathe reste veuve avec deux fils Philippe et Joseph. C'est une femme bonne, généreuse, mais naïve, peu cultivée et peu intelligente. Son plus jeune fils, Joseph Bridau, est le fameux peintre, (Delacroix a, semble-t-il, servi de modèle à Balzac), que l’on retrouve comme personnage récurrent de la Comédie Humaine. Artiste désintéressé, dévoué, généreux, aimant, mais laid et malingre, Joseph a du talent mais ne flatte pas la vanité de sa mère, insensible à l’art, et qui lui préfère son frère Philippe. Celui-ci, beau, ardent militaire, s’illustre à la guerre mais n’est bon à rien d’autre. Il refuse de servir les Bourbons dans l’armée pour ne pas être traître à Napoléon. Rendu à la vie civile par la force des choses, il révèle un égoïsme total et n’aime que lui-même. Il est violent, boit, joue, et, dépensier, il se lance dans une vie de débauche, se couvrant de dettes que sa mère doit rembourser en entamant son capital déjà modeste et en s’appauvrissant.
L’Histoire
Le récit est d’abord une réflexion sur l’Histoire du pays. Il s’étale sur une large période puis qu’il commence en 1792 dans la ville d’Issoudun, couvre le Directoire, l’Empire et la Restauration jusqu’en 1830.
Il est intéressant d’un point de vue historique de voir comment Balzac considère les bonapartistes. Lui qui est légitimiste et anti-libéral éprouve cependant un certain respect pour leur capacité de combattant, leur courage sur le champ de bataille, leur sens de l’honneur : ils ne reculent pas devant un duel s’ils se sentent offensés et ils refusent de servir les Bourbons considérant cela comme une traîtrise. Mais son admiration ne va pas plus loin ! Les anciens bonapartistes sont tous des désœuvrés, incapables de s’adapter à la vie sociale, et qui n’apportent rien à leur pays. Il en est ainsi de Philippe Bridau mais aussi de Max Gilet, Grand-Maître des Chevaliers de la Désoeuvrance, association qui réunit tous les jeunes bonapartistes d’Issoudun pour faire les quatre cents coups !
Rien ne peut sauver Issoudun du marasme économique et moral, du point de vue de Balzac, puisque la ville se partage entre les bonapartistes, (trop) nombreux, et la bourgeoise libérale qui entretient l’immobilisme par manque d'initiative et de grandeur de vue. Et oui, n’y a presque plus de nobles à Issoudun, déplore Balzac..
L’état dans lequel le triomphe de la bourgeoise a mis ce chef-lieu d’arrondissement est celui qui attend toute la France et même Paris, si la bourgeoisie continue à rester maîtresse de la politique extérieure et intérieure de notre pays.
Une réflexion sur l’éducation
Agathe Bridau aime ses enfants mais elle est incapable de les éduquer. Elle adule son fils Philippe, ne sévit jamais mais, au contraire, est d’une indulgence coupable envers lui, cherchant toujours à l’excuser, s’aveuglant pour ne pas voir ses défauts et n’ayant même pas conscience de son injustice envers Joseph. Si les défauts de Philippe se sont accentués, c'est donc la faute de sa mère.
Balzac affirme qu’il ne ressort rien de bon de l’éducation donnée par une mère à ses fils. Seul, le père est capable à la fois d’autorité et de justice. Pourtant le père Goriot a prouvé que non !
Le pessimisme de Balzac
Ce roman est l'un des plus sombres de la Comédie Humaine. Tous les personnages de ce livre sont régis par l’intérêt, l’amour de l’argent, au mépris de toute morale et tout sentiment à l'exception d'Agathe Bridau et de son fils Joseph.
La Rabouilleuse, petite paysanne, et les filles de l’opéra que fréquente Philippe sont bien sûr les premières à agir par intérêt. Mais Balzac semble avoir plus d’indulgence envers elles parce qu’elles connaissent la misère et la faim. La conscience s'efface quand on vit dans le dénuement et l'ignorance.
La vertu, socialement parlant, est la compagne du bien-être, et commence à l'instruction.
Mais toute la société bien pensante, bien éduquée, est fondée sur l'amour de l'argent et ne tourne qu'autour de lui : la querelle entre Max et Philippe est sordide, orchestrée par la ville. La figure de l'avare s'invite à plusieurs reprises dans le roman à travers le vieux docteur Rouget, à travers aussi Monsieur Hochon, - madame Hochon est la marraine d'Agathe -. Même la Descoings, tante d'Agathe, pas vraiment avare, est obsédée sa vie durant par le désir de gagner à la loterie, ce fameux terne qui sera cause de sa fin ! La scène de la loterie présente d'ailleurs un aspect fantastique, le résultat du jeu, le terne apparaissant lorsqu'il a été impossible de le jouer, introduit la Fatalité, invitant la Mort dans la maison.
Le pessimisme de Balzac s'y affiche quant à l’être humain et la justice dans la société. En effet, La Rabouilleuse présente un dénouement noir, amer.
Ainsi, quand Philippe Rouget reste fidèle à ses idées et à son amour pour Napoléon, il n’a aucune visibilité. Compromis dans une conspiration, il est même jeté en prison. Mais quand, rejetant tout honneur, tout sens moral et toute humanité, il se rallie aux Bourbons, il gagne à la fois l’héritage des Rouget, les honneurs avec un titre de comte, et le pouvoir.
Philippe triomphe, non parce qu’il est le plus méritant, mais parce qu’il est le plus cupide, le plus brutal et le plus cynique. Il spolie son frère et laisse sa mère mourir dans la pauvreté sans lui venir en aide et sans chercher à la revoir, rejoignant ainsi les enfants indignes de la Comédie Humaine.
Un grand Balzac !
Voir Maggie initiatrice de cette LC
et Miriam