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lundi 12 mars 2018

Ivan Tourgueniev : Pères et fils


C'est avec Père et fils de l'écrivain russe Ivan Serguïevitch Tourgueniev,  paru en 1862, que j'ouvre Le mois de mars de la littérature de l'Est de l'Europe de :  Eva, Patrice et Goran


Une crise générationnelle : Pères et fils

Le tsar Alexandre II qui a succédé à Nicolas 1er, souverain réactionnaire et dictatorial, proclame l’abolition du servage en mars 1861. Mais avant cela, des propriétaires libéraux avaient eu à coeur de libérer leurs serfs, comme le fit l’écrivain lui-même.
 Dans ce contexte, Ivan Tourguénéiev décrit la crise générationnelle qui oppose les pères et les fils.
Les pères : Nous sommes en 1859. Nicolas Kirsanov, noble, propriétaire terrien, a toutes les peines du monde à maintenir sa propriété en ordre et à éviter la ruine après avoir aboli le servage. D’une grande bonté, il fait confiance à ses anciens serfs, devenus fermiers, qui le grugent et ne paient pas leur redevance. Poète et érudit, esthète, comme le fut Tourgueniev, il aime la beauté de la nature et les vers de Pouchkine. Il a toute la sympathie de l’auteur (et d’ailleurs du lecteur), il est ouvert aux idées nouvelles mais est complètement dépassé par la situation, contemplatif plutôt qu'actif. A côté de lui, Paul, son frère, ancien officier, conservateur, à cheval sur les principes, représente les idées anciennes mais il est tout aussi incapable d’agir que Nicolas. Ils sont l'incarnation d'un monde finissant !
L’autre père est Vassili Bazarov, ancien chirurgien militaire, roturier, petit propriétaire d’origine modeste. Il aime tant son fils Eugène qu’il ne veut pas le contrarier bien qu’il reste attaché aux idées anciennes et traditionnelles.

Arcade Nicolaievitch Kirsanov, le fils de Nicolas, fraîchement émoulu de l’université revient voir son père, accompagné d’un de ses amis un peu plus âgé, Eugène Vassiliev Bazarov, dont il épouse les idées par admiration, plus que par conviction. Voilà pour les fils.

Bazarov et les idées nouvelles

Nicolas et Paul Kirsanov, Bazarov (debout) et Arcade (de dos)

La situation va vite se dégrader entre les jeunes gens et les vieux propriétaires au cours de discussions politiques où le nihilisme de Bazarov, intelligent et brillant orateur, triomphe mais scandalise. Il prône non pas tant la révolution que la destruction de la société traditionnelle, le refus de la culture bourgeoise, poésie, art, l'indifférence envers la nature et sa beauté :
- La nature aussi c’est du vent, au sens où tu entends ce mot. La nature n’est pas un temple, mais un atelier fait pour que l’homme y travaille. »
 et glorifie le matérialisme scientifique. Il veut devenir médecin.
« Un honnête chimiste est vingt fois plus utile que n’importe quel poète, l’interrompit Bazarov .

Le personnage de Bazarov

 

Eugène Bazarov et Anna Odintsov
 
Bazarov n’est pas un personnage sympathique, contrairement à Arcade qui est gentil, naïf, enfantin et pour tout dire un peu falot. Arcade se laisse dominer par son ami, comme il le sera après par la femme qu’il aimera !
 Eugène Bazarov a des qualités certaines. C’est un homme qui refuse l’oisiveté. Studieux, il se consacre à ses études de médecine, il ne refuse jamais son aide à un malade et sait parler aux enfants. Mais si Bazarov est le brillant représentant de la jeune génération subversive, il sera pourtant vaincu par l’ordre social. En effet, il tombe amoureux d’une grande dame, Anna Odintsov, riche et noble, qui refuse son amour par orgueil, à cause de la modestie de son milieu social et du métier qu’il veut exercer. La révolution et l’égalité des classes sociales, n’est pas encore de mise !
En fait, Bazarov est un déclassé :  Il est fier de son grand-père qui était serf, il croit être resté proche des moujiks qui semblent le respecter mais ceux-ci se moquent de lui derrière son dos. De plus il est plein de contradictions. Il aime d’un amour passionné une femme qui appartient à une classe qu’il veut détruire ! Anti-romantique, il éprouve des sentiments amoureux tels qu’il se comporte en héros romantique.

  Les détracteurs du roman 

On comprend pourquoi Ivan Tourguéniev s’est fait des ennemis avec ce roman. Les libéraux lui reprochent, entre autres, d’avoir caricaturé les idées démocrates à travers les « fils », et en particulier à travers le personnage du nihiliste Bazarov, amer et désabusé. La haine de la société que professe celui-ci, son mépris des autres, son sentiment de supériorité intellectuelle, son inculture proclamée voire revendiquée, le rendent antipathique et empêchent que l’on adhère à ses théories.  Enfin, le dénouement du roman lui donne tort puisqu'il renie ses idées et n'a plus d'espoir de changer la société. C’est un personnage négatif et pourtant douloureux, tragique. Le lecteur oscille envers lui, surtout à la fin, entre le rejet et la compassion.
Mais Tourgueniev n'a pas plus de chance envers les conservateurs. S'ils  ont apprécié le portrait négatif du nihiliste Bazarov, ils sont mécontents, eux aussi, que l’écrivain ait peint les « pères » comme des vieillards dépassés, impuissants et inutiles.
Pourtant, Ivan Tourgueniev est un libéral, il a lui aussi libéré ses serfs mais être modéré n'est pas de tout repos !

Un personnage à part entière : La nature

Isaac Levitan paysage avec isba  
 
J’ai aimé aussi la présence de cette nature russe qui joue un grand rôle dans Pères et fils. Le réalisme et le lyrisme qui alternent dans le récit semblent épouser les pensées des humains et l’état d’âme de celui qui la regarde.
Ainsi le jeune Arcade, retournant au pays, est ému par la pauvreté des paysans en « guenilles et montés sur des rosses lamentables », les isbas « chétives et basses sous leurs toits de chaume sombre ». La nature qui sort de l’hiver semble répondre à la tristesse et la misère ambiante avec « les saules qui poussaient le long de la route(et qui) avaient l’air de mendiants en haillons, dépouillés qu’ils étaient de lambeaux d’écorce, leurs branches réduites à l’état de moignons »
Mais l’instant d’après, le lyrisme de la description donne l’impression que la joie de vivre et l’optimisme du jeune homme reprennent le dessus. La nature s’anime, tous les sens sont joyeusement sollicités, la vue, l’ouïe… tout est en harmonie avec l’âme du jeune homme.
« Tout, alentour, verdoyait d’un vert doré, tout palpitait et brillait, généreusement, suavement, au souffle ténu d’une brise tiède, tout : les arbres, les buissons, et les herbes; partout l’air ruisselait du chant sonore, interminable, des alouettes; les vanneaux tantôt criant et tournoyant au ras de l’herbe courte des prairies, tantôt, silencieux, couraient sur les mottes de terre… »

Une peinture de la Russie

 
Nikolaï Kouznetsov, Jour de fête, 1879  Moscou


Oui, décidément j’ai tout aimé dans ce roman. Non seulement les personnages principaux du roman sont des représentants des différentes classe sociales, politiques  et des courants d’idées qui agitent l’époque mais… ils sont véridiques, croqués sur le vif dans leurs gestes, leur mentalité, leurs croyances et leurs superstitions, leurs sentiments, leur manière de s’exprimer. Les pères sont  bienveillants et pleins d’amour mais ils éprouvent, sentiment qui semble éternel, une certaine douleur à ne plus se sentir en phase avec les nouvelles générations, à ne plus comprendre leur fils. 
Les personnages secondaires aussi sont attachants et bien observés comme la jeune paysanne, Fenetchka, maîtresse de Nicolas Kirsanov, qu’il finira par épouser, ou la mère de Bazarov dont Tourgueniev donne un portrait attendri mais plein d’humour.
Tous sont l’incarnation de la vieille Russie et de l’âme slave. Tous révèlent de la part de Tourgueniev une connaissance approfondie de la société russe.

 Intelligent, passionnant et riche, Pères et fils est un roman qui a beaucoup de charme. C’est avec plaisir que je renoue avec Tourgueniev dont j’ai envie maintenant de lire l’oeuvre complète !



Ivan Tourgueniev

Écrivain russe, Ivan Sergueïevitch Tourgueniev est né le 28 octobre 1818 à Orel (Russie). De trois ans l'aîné de Fedor Dostoïevski, de dix ans celui de Léon Tolstoï, Tourgueniev est le plus occidental des trois grands romanciers qui firent la gloire de la littérature russe dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Né en 1818, à Orel, une petite ville au sud de Moscou, Tourgueniev est issu d'une famille russe aisée. Elevé dans la demeure maternelle de Spasskoje, son éducation est stricte. Dès son jeune âge, il voit sa mère maltraiter les serfs, ce qui fera de lui, plus tard, un partisan de l’abolition du servage. À l'âge de quinze ans, il est envoyé en pension à Moscou, puis il poursuit ses études à Saint-Pétersbourg, où il rencontre Pouchkine qu’il admire. Il se met alors à écrire de la poésie.

De 1838 à 1841, il séjourne à Berlin. Il y fréquente les cercles culturels occidentaux. Son retour en Russie est marqué par sa rencontre avec la cantatrice Pauline Viardot, dont il tombe éperdument amoureux. La jeune femme est mariée, mais leur liaison est tolérée par son époux et leur entourage.
 En 1843, il écrit pour le théâtre. Il lui faut attendre une dizaine d'années pour que ses écrits soient publiés.
En 1847, Tourgueniev quitte la Russie pour Berlin, afin de se rapprocher de sa bien-aimée. Mais, dans les années 1850, elle s'éloigne de lui. Désabusé, il voyage, puis s'installe de nouveau en Russie. Il se consacre  à l'écriture de récits et de romans dont le thème récurrent est la vie russe. Des nouvelles écrites entre 1847 et 1852, réunies sous le titre  Mémoires d’un chasseur, paraissent en 1852 et assurent le succès de Tourguéniev.

Père et fils, considéré comme le plus accompli de ses romans, est publié, lui, en 1862. La violence des critiques qui accueillent son oeuvre éprouve Tourguenéiev qui en souffre beaucoup. Il s'expatrie définitivement, à Baden (Allemagne), puis à Bourgival (France). Il se lie d'amitié avec Gustave Flaubert, Emile Zola, les frères Goncourt. Elu vice-président au Congrès international de littérature en 1875, aux côtés de Victor Hugo, il conforte sa notoriété. Il reçoit d'ailleurs un accueil chaleureux lors d'un retour dans son pays d'origine.
 Il décède en 1883 à Bougival.  Voir source - biographie Ici et Ici


Ma première contribution, un peu en retard, à cause des vacances mais je vais vite me rattraper !



lundi 12 février 2018

Nathan Hill : Les fantômes du vieux pays



Scandale aux États-Unis : le gouverneur Packer, candidat à la présidentielle, a été agressé en public. Son assaillante est une femme d'âge mûr : Faye Andresen-Anderson. Les médias s’emparent de son histoire et la surnomment Calamity Packer. Seul Samuel Anderson, professeur d’anglais à l’Université de Chicago, passe à côté du fait divers, tout occupé qu’il est à jouer en ligne au Monde d'Elfscape. Pourtant, Calamity Packer n’est autre que sa mère, qui l’a abandonné à l’âge de onze ans. Et voilà que l’éditeur de Samuel, qui lui avait versé une avance rondelette pour un roman qu’il n’a jamais écrit, menace de le poursuivre en justice. (quatrième de couverture)


Voici le premier roman de Nathan Hill, Les fantômes du vieux pays ! Un pavé de 700 pages, une fresque de vie aux Etats-Unis qui couvre plusieurs décennies jusqu’à notre époque, les différentes strates du passé se chevauchant. Ajoutez à cela un voyage en Norvège dans le présent et le passé, un nombre de personnages assez impressionnants dont le narrateur nous fait découvrir tour à tour le point de vue… Vous comprenez pourquoi les critiques parlent de roman ambitieux et de jeune prodige à propos de son auteur.

Cet enchevêtrement de faits, d’Histoire avec un grand H, la guerre du Vietnam, les révoltes féministes, Mai 68 et les émeutes de Chicago, le 11 septembre, tous ces faits historiques entremêlés à la petite histoire des vies médiocres marquées par la peur de l'échec, par le sentiment d’abandon, est assez ahurissant et vous laisse pantelant.  Un chaos que  l’écrivain parvient pourtant à mettre en ordre car il y a du génie dans ce roman même si parfois il y a aussi quelques faiblesses.

En tout cas, je l’ai lu avec beaucoup de plaisir, rapidement, et de temps en temps en me tordant de rire ! Mais le rire, il faut bien le dire a toujours un arrière-goût amer et ironique car il dénonce les travers de notre société ou les blessures secrètes des personnages. Ainsi l’on rit des déboires de Samuel, le personnage principal du roman, écrivain raté, professeur d’un petite université, de ses démêlés avec Laura, son étudiante, on rit de ses pleurs incessants et incontrôlables, mais l’on est en empathie avec lui, avec son enfance traumatisée par le départ de sa mère, et par son amour perdu, Bethany.  Et que dire de  son ami Pawnage si addict aux jeux vidéos qu’il ne vit plus dans la vie réelle et manque en mourir. Il y a là, à la fois, la critique d’une société qui finit par vivre par procuration sur écran interposé, mais aussi toute la tragédie de la solitude et de l’échec.
La satire de la société américaine actuelle est donc bien menée avec ses jeux de pouvoir entre républicains et démocrates, avec ces politiciens véreux, ces hommes de « culture » comme Periwinkle, l’éditeur de Samuel, qui ne pensent plus littérature mais argent et  rentabilité. Nathan Hill n’est pas plus tendre avec la société des années soixante. La condition féminine y est décrite dans toute son horreur et c’est la mère de Samuel, alors lycéenne et étudiante qui en est marquée à jamais. Les hommes politiques n’hésitent pas à mener un jeu trouble en attisant la contestation et en ordonnant de tirer sur les étudiants. La lutte contre le racisme et la ségrégation se solde par l’assassinat de Martin Luther King.

Un roman qui a donc de grandes qualités même si parfois le récit présente des longueurs ou un trop plein ! C’est le défaut propre à un premier roman : on sent que l’écrivain veut tout dire là où il pourrait parfois suggérer ou élaguer ! D’autre part, j’ai trouvé la fin un peu trop consensuelle : les réconciliations de Faye avec son père, de Samuel avec sa mère, avec Bethany. Bien sûr, Samuel a grandi car il s’agit aussi d’un roman d’initiation mais cette « morale » qui dit que l’on doit s’efforcer de comprendre les autres, m’a paru  plutôt démonstrative.
Mais pour ne pas rester sur cette note négative, je veux terminer en soulignant la maîtrise de Nathan Hill dans l’écriture de sa comédie humaine. Le roman est agréable à lire, on s’attache aux personnages, on apprécie l’humour corrosif,  et l’on découvre ou l’on revit, pour les plus âgés, les évènements des cinquante dernières années des Etats-Unis qui sont aussi un peu notre histoire..

vendredi 17 novembre 2017

Roy Jacobsen : Les invisibles



Les Invisibles de Roy Jacobsen, voilà un magnifique roman comme je les aime, une rencontre entre des personnages issus du peuple humains et courageux et un style poétique mais sobre et retenu, qui magnifie la Nature mais sait en peindre les excès et les rages. Une nature qui abonde en beautés mais se montre avaricieuse de ses dons qu’il faut arracher à une terre aride, battue par les vents, ou à un océan dangereux voire meurtrier. C’est là que vit, au début du XXème siècle, Ingrid, petite fille dont on célèbre le baptême au début du roman, dans une île au nord de la Norvège. Une île si petite qu’elle n’est habitée que par une famille, la sienne. Le roman se termine lorsque Ingrid, devenue l’héritière de son père, reprend la ferme familiale. De l’enfance à la maturité, un roman d’initiation mais quelle initiation ! La fillette dès son plus jeune âge doit apprendre les gestes qui sauvent et qui nourrissent. Car elle sait déjà, malgré ses doutes, que nul ne peut quitter son île :  «Une île, c’est un cosmos en réduction où les étoiles dorment dans l’herbe sous la neige.»!

Les maisons sur Barroy sont placées en diagonale les unes par rapport aux autres. Vues du ciel, elles ressemblent à quatre dés que l’on aurait lancés au hasard, plus une resserre à pommes de terre qui devient un igloo en hiver. On peut marcher sur les dalles qui relient les maisons, il y a des cordes à linge et des chemins qui partent dans toutes les directions, mais en vérité les maisons forment comme une charrue dressée dans l’air afin de ne pas être emportée, même si la mer entière devait s’abattre sur l’île.

La description de la vie quotidienne, des activités, des coutumes, des mentalités, est passionnante. La pauvreté règne, l’argent est gagné à grand peine par le père Hans Barroy qui part à la pêche dans les Lofoten pendant de longs mois. Pendant son absence, le grand père Martin, la mère Maria et la tante d’Ingrid, Babro qui est simple d’esprit, cherchent à tirer leur subsistance des quelques vaches, brebis et légumes et des poissons de la pêche côtière. L'île offre un cadre à la fois âpre, désolé et d'une grande beauté.
Les personnages malgré la dureté de leur vie restent humains et dignes. L’amour qui les lie entre eux est très fort mais pudique et se passe souvent de paroles. Ces personnages si petits sur une île qui l’est tout autant, ce sont les Invisibles mais ils ont une grandeur qui les rends attachants. Un passage m’a paru proche du Victor Hugo des Pauvres gens quand la famille accueille sous son toit deux orphelins, simplement et sans discussion.
Il y a quelques scènes très fortes dans le roman comme celle ou les parents d’Ingrid cherchent à placer Babro comme bonne dans une famille bourgeoise mais la ramène chez eux parce qu’on lui a manqué de respect ; celle aussi où  le père fait sortir sa fille en pleine tempête en l’attachant de peur qu’elle ne soit pas emportée par le vent, parce que « Un ilien n’a pas peur, sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil. »

"Il lui crie qu’elle doit sentir avec son corps que l’île est immuable, même si elle tremble, même si le ciel et la mer sont chambardés, une île ne disparaît jamais, même si elle vacille, elle reste ferme et éternelle, enchaînée dans le globe lui-même."

Un très beau livre, aux éditions Gallimard,  un coup de coeur qu'il faut lire en s'imprégnant du rythme lent et du passage des saisons.



Roy Jacobsen (né le 26 Décembre 1954) est un norvégien romancier et nouvelliste écrivain.
Né à Oslo, il a fait ses débuts en 1982 avec la publication d'un recueil de nouvelles.
Il est lauréat de prestigieux prix et de deux de ses romans ont été mis en nomination par le Conseil nordique pour le prix de littérature






dimanche 3 septembre 2017

Ian Mc Ewan : Dans une coque de noix



Bien au chaud et bien à l’abri (du moins c’est ce que l’on pourrait espérer ! ) dans l’utérus de la mère, le foetus assiste, impuissant, à un complot dont les protagonistes sont sa mère, la belle, la sublime Trudy et son amant Claude qui n’est autre que le frère de son père. Et qui est son père ? Le poète John Cairncross, brillant et lettré, très amoureux de sa femme, que le bébé ne peut s’empêcher de comparer à l’infâme, grossier et ignare Claude. Les mystères du sexe et de l’amour le laissent perplexe ! C'est ce qu'imagine Ian Mc Ewan, avec son dernier roman  : Dans une coque de noix

Et quel complot, allez-vous me dire? C’est ce que l’enfant en devenir va s’efforcer de comprendre en espionnant les uns et les autres. Le meurtre du père ! Dès lors, la grande question du futur bébé sera : « naître ou ne pas naître? »

Le titre du roman Dans une coque de noix, outre qu’il fait allusion à la situation du bébé dans le ventre de sa mère, s'explique par les vers de Shakespeare issus de Hamlet  donnés en exergue  : «  O Dieu, je pourrais être enfermé dans un coque de noix et m’y sentir roi d’un espace infini, n’était que j’ai de mauvais rêves. »
En réalisant cette enquête policière in utero, Ian Mc Ewan signe un roman dont l’humour noir, au second degré, procure un vif plaisir ! Nous assistons donc aux interrogations du foetus angoissé, qui tel Hamlet, hait l’amant de la mère, cherche à sauver son père mais comprend bien que sa vie ne tient qu’à un fil si la mère échoue et meurt ! Et le voilà écartelé entre ses deux parents ! Cruel dilemme... si jeune !
Mais ne vous y trompez pas  ! Malgré le point de vue farfelu, l’enquête est conduite jusqu’au bout comme un véritable thriller où l’on craint tour à tour pour la vie du père, celle du foetus et de la mère. La passion, l’adultère, la jalousie, l’amour si proche de la haine, meurtre et fratricide, il s’agit bien de la tragédie shakespearienne traitée avec une savoureuse ironie !
Un brillant exercice de style !

jeudi 13 juillet 2017

Franz Olivier Giesbert : Belle d'amour



 Belle d’amour, un beau titre à la Albert Cohen ! Un roman historique sur le Moyen-âge ? Je suis toujours preneuse ! Las ! Quelle déception à la lecture de ce livre !

Un parallèle entre le Moyen-âge et le XXI siècle 

Rogier Van der Weyden : dame
Rogier Van der Weyden

 Franz Giesbert a étudié son sujet et connaît bien l’époque des croisades. Il nous introduit chez le Roi Louis IX (Saint Louis) dont il souligne la complexité et les contradictions mais on s’apercevra bien vite que son roman historique a pour but d’établir une comparaison entre le temps des croisades et le XXIème siècle. Une comparaison qui semble à priori être en faveur du christianisme et très anti-islam.

«L’Islam fait peur, pas le christianisme. C’est pourquoi ils ne sont pas à égalité » .

Cette comparaison nous amène à la conclusion que le Coran est un livre qui prêche la guerre et l’extermination des chrétiens et qu’il y a toujours eu incompatibilité au cours des millénaires entre les musulmans et nous ! (P 247). Mais qui parle ? Le narrateur, le sultan sanguinaire Baybars, le patriarche maronite d’Antioche, Tiphanie ou son mari Armen… ou l’auteur lui-même?

De là à justifier l’occupation de la Palestine par Israël de nos jours, il n’y a qu’un pas… vite franchi !

"Mais il (le peuple juif) était trop gentil, pas assez agressif. C’est pourquoi les Arabes, les Turcs, les Perses, les Grecs, les Romains, ont occupé, massacré la Palestine qui, n’en déplaise aux perroquets incultes, restera toujours juive jusqu’à la dernière motte. Les arabes ont beau se présenter comme des victimes, ils furent des envahisseurs comme les autres ".

Mais au moment où la religion musulmane paraît être condamnée sans appel, Franz Giesbert, en convoquant la Sainte Inquisition catholique, renvoie les deux religions dos à dos. Enfin, le narrateur qui fait régulièrement des réapparitions au milieu du récit de Tiphanie, a un ami arabe qui lutte contre les terroristes et une fiancée, Leila, tolérante au niveau de la religion. Preuve que l’entente est possible ? L’ensemble est assez ambigu et les pistes sont brouillées. Seuls les juifs (et les cathares) semblent bien s’en tirer?

La structure romanesque

D'après Van der Weyden : Sabine Pigalle (source)
Au niveau de la structure romanesque, le roman commence par un prologue qui introduit le narrateur. Il s’agit d’un professeur de l’université d’Aix-en Provence, spécialiste du Moyen-âge et de l’Islam, qui a eu des ennuis à cause d’un récent ouvrage sur l’esclavage en terre d’Islam. On comprend tout de suite que cet essai était polémique puisqu’il établissait que les chiffres des esclaves dépassent ceux de la traite des noirs en Occident. Conclusion : les Arabes ont donc toujours été un peuple violent et dominateur.
Par la suite, hanté par son personnage féminin qui lui « dicte » son histoire, le narrateur fera de nombreuses réapparitions destinées à maintenir la comparaison entre le passé et le présent.
Or, les intrusions du narrateur ne sont pas toujours les bienvenues car elles interrompent le récit et l’alourdissent même si elles permettent le passage d’un siècle à un autre. Cette interaction trop fréquente entre le personnage fictif et son narrateur m’a gênée.

Le style

 Quant au style ! Disons qu’il ne ne suffit pas de truffer le texte de mots du moyen- français, pour faire parler une femme de cette époque. Il s’agit tout juste d’une coloration temporelle. Manifestement, l’auteur n’est pas un spécialiste de la langue médiévale, alors pourquoi ne pas assumer le français contemporain ! Le style de Robert Merle qui était, lui aussi, professeur d’université, - Bizarre les coups de griffe de l’auteur à l’encontre des universitaires dans le prologue - était beaucoup plus réussi.

Le personnage principal

Enluminure du Moyen-âge
Enfin, j’ai trouvé le personnage de Tiphanie peu convaincant, trop superficiel. Impossible de croire qu’une femme qui se fait violer par quatre hommes chaque jour pendant des mois et à qui ses tourmenteurs tatouent des diables sur le corps pour mieux la dominer et la faire accuser de sorcellerie, puisse avoir une résilience (pour employer un mot à la mode actuellement) aussi rapide et facile ! Je sais que le moyen-âge est une époque dure et qu’il fallait s’endurcir pour survivre mais l’exagération est telle qu’elle enlève toute crédibilité au personnage. En gros, être violée, ce n’est pas bien grave quand on aime la vie ! Cela n’empêche pas Tiphanie d’aimer la « chosette » et de tomber amoureuse à chaque coin de rue ! N’y d’être re-re-violée encore et encore !  Le tout est raconté avec une telle distanciation que je n’ai pu y adhérer. Non. Belle d’amour n’est pas Belle du seigneur malgré la ressemblance du titre !

Saint Louis
En conclusion, ce roman nous apprend beaucoup de choses sur Saint Louis, sa foi, ses erreurs politiques et militaires, sur les croisades et les sanglantes batailles qui ont décimé les armées des croisés.  Giesbert a lu Joinville et il aime Rabelais dont il emprunte bien souvent le vocabulaire mais il n’en a pas la truculence, ni l’humour. 

dimanche 2 juillet 2017

Mikhail Boulgakov : Le roman de monsieur Molière



Je vais assister bientôt, pendant le festival In d’Avignon  2017,  à une pièce montée par le metteur en scène allemand Frank Castorf, adaptée du livre de Mikhail Boulgakov : Le roman de monsieur Molière. L’occasion pour moi de relire ce livre que je n’avais plus ouvert depuis ma première lecture dans les années 70.

Mikhail Boulgakov
Mikhail Boulgakov a écrit Le roman de Monsieur Molière, sous la dictature de Staline en 1933 mais le livre n’est paru qu’en 1962.
Pourquoi Mikhail Boulgakov s’est-il particulièrement intéressé au dramaturge français ? Nous savons que l’écrivain russe qui adorait le théâtre est lui-même l’auteur de pièces qui se verront interdites au fur et à mesure de leur parution.
Comme Molière, il s’est donc heurté au pouvoir en place, il a vu ses pièces  censurées, suscitant de violentes polémiques, puis retirées de l’affiche. Sans possibilité de trouver du travail, Boulgakov doit son salut à Staline à qui il écrit une lettre désespérée. Celui-ci lui procure un emploi au théâtre d’Art.

La vie de Boulgakov ressemble donc à celle de Molière dont la vie et l’oeuvre sont sans cesse menacées par les pouvoirs en place en France au XVII siècle. J’écris les pouvoirs au pluriel car il n’y a pas seulement celui de la monarchie absolue mais aussi celui de l’église et des dévots tout puissants qui se déchaînent après le Tartuffe ou Dom Juan. Quant à la noblesse, elle n’apprécie pas sa critique des petits marquis et des courtisans, et les salons littéraires qui se reconnaissent dans Les Précieuses ridicules ou Les femmes savantes ne le portent pas plus dans leur coeur ! Et que dire aussi des médecins ou encore des bourgeois ridicules et imbus d’eux-mêmes qui sont les cibles de ses railleries!

Les oeuvres de Molière ont souvent été interdites et le dramaturge a compris qu’il fallait se faire un allié du roi s’il ne voulait pas succomber sous les coups de ses ennemis. D’où ses lettres, ses prologues de courtisan flatteur quand il s’adresse à ses maîtres. Par contre, il ne cède rien dans son oeuvre et ne fait aucune concession quand il s’agit de décrire la société telle qu’elle est et de lutter contre les vices de son temps, le fanatisme, l’intolérance, l’obscurantisme, l’hypocrisie religieuse, le manque de liberté...

Jean-Baptiste Poquelin dit Molière
C’est donc ce point de vue qui intéresse Boulgakov  :  l’écrivain face au pouvoir,  qui pose les problèmes de la liberté du créateur,  et qu’il va aborder en racontant la vie de Molière.
Cette vie qui est à proprement parler un « roman » avec ses nombreuses péripéties, ses rebondissements, ses joies et plus encore ses drames.  Molière lui-même, est le véritable héros de ce récit, un homme avec ses faiblesses et ses travers mais aussi son courage, son intelligence redoutable quand il s’agit d’observer ses semblables; un écrivain dont l’immense talent comique n’a d’égal que la sensibilité tragique car Molière a le don de faire rire de ce qui est triste.


Or, dans le Télérama Spécial festival d’Avignon (du 1er au 7 juillet), je lis dans l’article de Joëlle Gayot que Frank Castorf, le metteur en scène qui va monter l’oeuvre de Boulgakov sur Molière a lui-même été évincé de la direction du Volksbühne, théâtre de Berlin, par le sénat de la ville.

« Dans un spectacle chahuteur, qui règle leur compte aux souverains sacrant ou répudiant les artistes, il invite deux figures connues pour leurs rapports houleux avec la tutelle. Le premier Mikhail Boulgakov buta en permanence contre les oukases d’un Staline qui ne lui laissait d’autres choix que de soumettre ses oeuvres à une hypothétique approbation. Le second, Molière, vécut avec Louis XIV des périodes d’amour sans nuage que le couperet royal savait sèchement interrompre. Adoubés la veille pour mieux être rejetés le lendemain, ces deux auteurs sont le symptôme du lien permanent noué entre l’Etat-providence et ses créateurs. » 

Frank Castorf, metteur en scène allemand

Castorf, Bougakov, Molière… une triple mise en abyme !  que je vais voir dès le 8 juillet.  A suivre donc !

mardi 1 décembre 2015

Yasmine Surovec : Olive le chat ou Comment j'ai adopté mon humain



Ma petite fille voulait un chat! Son papa a dit non, pensant à un caprice, et il a résisté héroïquement pendant trois mois! Et puis la semaine dernière, feu vert! Nous courons chercher le chat  au refuge de l’Ecole du chat à Arles. Léonie repère un tout petit chaton gris aux beaux yeux qu'elle veut absolument adopter.. Mais impossible de l’attraper, il est trop craintif. Alors que nous nous demandons ce que nous allons faire (Léonie est très déçue)  arrive une petite chatte noire aux yeux d’or qui  fait le siège de Nini et de sa maman, déployant tout son charme, avec ses tendres rrrrrh, ses caresses, son regard attendrissant de chat Potté, étendant même son entreprise de séduction à la grand mère, moi en l’occurence!

Le chat Potté

Manifestement elle avait choisi son humaine, elle a pénétré dans le panier de transport sans une hésitation, est arrivée dans sa nouvelle maison et en a pris immédiatement possession puis s’est installée chez elle! Depuis, elle mène tout son monde par le bout du nez (même le papa) et comme tout le monde adore les câlins, félin et humains, c’est le grand amour entre Pelote et la petite maîtresse qu’elle a adoptée et tout le reste de la famille.


Pelote au refuge du chat à Arles




Or voilà qu’en cherchant un livre sur les chats pour l’offrir à Léonie à la Noël (mais chut, c'est un secret!), je trouve ce titre :  Olive le Chat ou comment j’ai adopté mon humain de Yasmine Surovec aux éditions Gallimard jeunesse.
Et bien je vous assure que ce petit livre décrit une situation criante de vérité, celle que nous avons vécue!  Je crois reconnaître Pelote! On devine que l'auteure est une amoureuse des chats et les connaît bien!

Mais parfois c'est triste d'être seul!

Ce récit  raconte comment Olive, chat indépendant, refuse de « prendre un humain » comme l’ont fait ses amis la chatte, le chien et la souris, car « l’humain parfait n’existe pas »! Oui, mais voilà qu’une petite fille et sa maman aménagent dans le quartier. Olive,« admirez le travail! », va exercer son charme pour obtenir de la nourriture puis peu à peu il va s’attacher à la fillette et bientôt, malgré ses réticences, il va l’adopter. Il est vrai, qu’avant d’en arriver à cette extrémité, il donne, au passage, une leçon magistrale : « Comment dresser son humain? ».




Olive le chat est un petit délice d’humour. Le changement du point de vue, l’adoption vue par l’animal et non par l’humain, est très réussie! Le texte simple est aéré par des dessins en noir et blanc très sympas, de style BD avec des phylactères, où l’on voit un petit Olive craquant faire ses « gros yeux de minou » et montrer son « petit bidon » irrésistible. L’histoire pleine de tendresse aborde d’une manière détournée et originale, puisque c’est le chat qui parle, le thème de la responsabilité qu’entraîne une adoption, ce qu’il faut faire pour rendre son chat heureux (ou son humain) et pour que le bonheur soit partagé. Un très joli livre à conseiller à tous les petits amoureux des chats mais pas seulement!

Personne ne peut résister au "petit bidon" d' Olive...

... ni à ses yeux de "gros minou"


Les humains sont bizarres; parfois on leur offre des cadeaux et ils ne sont pas contents!

Le livre s’adresse à des enfants de 6-9 ans mais à mon avis, il est peut-être un peu trop facile à la lecture pour les 9 ans, par contre il me semble qu'il est idéal pour un enfant en apprentissage de lecture à 6 ans et je pense qu'il peut être lu aussi aux plus petits à partir de 4 ans. Je vous en dirai plus quand je l'aurai lu à Léonie (5ans).

lundi 17 mars 2014

François Garde : Ce qu'il advint du sauvage blanc




 Ce qu'il advint du sauvage blanc de François Garde est le genre de livre que l'on ne laisse plus une fois commencé tant on est accroché au récit..

Nous sommes en 1843 lorsqu'un jeune marin français, Narcisse Pelletier, parti un peu trop loin à la recherche d'eau sur une plage d'Australie où son navire a accosté, est laissé seul sur le rivage. D'abord persuadé que le capitaine va faire demi tour pour venir le rechercher, Narcisse commence à désespérer et a bientôt des difficultés pour survivre. C'est une vieille femme qui le découvre, l'adopte et l'introduit dans la tribu où il va avoir bien du mal à s'intégrer. Dix-sept plus tard, un navire anglais le retrouve mais Narcisse a oublié sa langue, ne peut se réhabituer à la vie qui était la sienne jadis. Un scientifique Octave de Vallombrun le recueille pour étudier les effets d'une autre civilisation sur celui que l'on appelle "le sauvage blanc".

Un récit d'aventure

Le livre se lit au premier degré comme un récit d'aventure : vous partagez les sentiments du jeune matelot, ses espoirs et ses craintes. Vous vivez avec lui sa recherche de l'eau, de la nourriture, ses essais infructueux pour s'en procurer car Narcisse Pelletier n'est pas un Robinson Crusoé et mourrait certainement de faim et de solitude s'il n'était recueilli dans la tribu.

Un récit philosophique

Mais par l'intermédiaire de ce personnage qui a été inspiré à l'auteur par une histoire vraie, le roman vous invite à vous interroger sur sur le sens du mot "sauvage". Lorsque Narcisse commence à vivre dans cette tribu, tout choque sa morale et ses habitudes, la nourriture, la nudité des corps, la liberté des moeurs, les coutumes mais aussi la dureté de cette vie qui est un combat pour survivre, la chasse, la pêche assurant au jour le jour la subsistance. Certes, nous sommes loin du mythe du "bon sauvage" à la Rousseau! Le matelot est mal accueilli, la vie dans la nature est loin d'être exaltante; mais quand Narcisse réintègre sa civilisation, tout le heurte, il ne peut se réhabituer à une morale pudibonde, aux vêtements qui emprisonnent, à une nourriture sans goût, à des mentalités si étranges. Les préjugés sociaux qui font que Narcisse est considéré comme un cobaye, livré à la curiosité de la bonne société, les hiérarchies sociales, l'âpreté au gain des héritiers de Vallombrun, tout témoigne d'un Monde qui n'a aucune leçon à donner aux autres. Nous nous trouvons dans une interrogation qui rejoint celle de Montaigne, Pascal ou Rousseau sur la prétendue supériorité d'une civilisation sur une autre et sur la relativité de toutes choses. L'habileté de l'écrivain réside donc dans cette confrontation, à travers le même personnage, de deux modes de vie très différents, qui amène à une réflexion sur la notion même du mot civilisation .

Or je trouve, pour en revenir à mon propos qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas conforme à son usage; à vrai dire, il semble que nous n'ayons d'autre critère de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et des usages du pays où nous sommes. 
                                                                                                             Montaigne Essai des Cannibales Livre 1 chapitre 31

Merci à Magie (voir ICI) de m'avoir fait gagner un exemplaire de ce roman de François Garde que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.

samedi 8 février 2014

George Sand : Le château de Pictordu







Aurore Sand, petite fille de George
Avec Le château de Pictordu George Sand écrit un conte fantastique. Celui-ci paru en feuilleton dans un journal pour enfants en 1873 et prend ensuite place dans ses Contes d'une grand mère. C'est en effet pour ses petites filles, Aurore à qui le livre est dédicacé et Gabrielle que l'écrivaine a imaginé cette histoire.

Le château abandonné de de Pictordu est situé dans le pays du Gévaudan, "dans un désert de forêts et de montagnes"
Monsieur Flochardet , peintre portraitiste, traverse le pays en partant de Mende où il est allé chercher sa fille Diane, malade, pensionnaire au couvent des Visitandines, pour la ramener chez lui à Arles. Ils doivent faire étape à Saint Jean du Gard mais le muletier qui les guide sur une étroite route tortueuse fait verser la voiture accidentellement. Dans le château en ruines, Diane aperçoit une dame qui lui fait signe et l'invite à entrer. Il s'agit en fait d'une statue et le père attribue cette vision à la maladie de sa fille. Mais la nuit alors que tout le monde dort, Diane aperçoit à la lueur de la lune une belle dame voilée qui lui fait voir le château tel qu'il était du temps de sa magnificence; des visions de dieux de la mythologie apparaissent devant ses yeux éblouis. Le lendemain tout a repris une apparence normale. Les voyageurs reprennent la route et arrivent sans plus ennuis à Arles où la belle mère de Diane, madame Laure, l'accueille. Il faut dire que la mère de Diane est morte il y a quelques années et que le père s'est remarié. Diane a-t-elle été victime d'hallucinations liées à sa fièvre ou a-t-elle réellement vu cette belle dame sous les traits d'une Fée?

Un conte merveilleux


On le voit le conte de George Sand s'adresse bien aux enfants avec cette irruption du merveilleux, cette Dame qui apparait plusieurs fois aux yeux de la petite fille. Le personnage de la méchante belle mère (plus sotte et frivole que méchante d'ailleurs) et le personnage de la fée qui veille sur l'enfant font bien parti du conte traditionnel.. George Sand est passionnée par la frontière existant entre le réel et le surnaturel. Elle s'est intéressée de tout temps aux récits fantastiques que racontent les paysans berrichons, récits qu'elle collecte et regroupe dans Les légendes rustiques 
Pourtant, elle est contre les superstitions qu'elle juge obscurantistes et elle pense qu'il y a toujours une explication rationnelle à tout. C'est d'ailleurs le sens de ce conte qui, au-delà du Merveilleux, est une recherche de la mère, le désir éprouvé par l'enfant de combler un manque. 
Pourtant, les enfants ont droit à leur part de rêve et d'imagination qui les nourrit et les enrichit en développant leur sensibilité artistique. C'est ce que George, grand mère, développe avec Aurore et Gabrielle, sans oublier pourtant l'étude des sciences. Car le Merveilleux n'est-il pas l'essence même de la Nature ? Elle allie même les deux dans un conte comme La Fée Poussière!

Le fée Poussière, l'alliance du merveilleux et de la science


Mais le château de Pictordu est aussi autre chose qu'un conte.

Des éléments autobiographiques

Sophie Victoire Delaborde mère de George Sand

George Sand a été séparée de sa mère Sophie et élevée par sa grand mère. La séparation a  marqué la petite fille de la même manière que Diane qui souffre de l'absence de sa mère. Le thème de la mère est ici omniprésent puisqu'il est à la source du conte. On peut dire que Sand a mis beaucoup d'elle-même dans cette fillette qui adore la nature, passionnée par l'art et en particulier par l'Antique; une fillette qui veut apprendre, étudier, qui dessine en cachette et aime aussi s'évader, rêver, imaginer..


Des idées pédagogiques

Un curieux(!) portrait de George Sand par Charles Louis Gratia : source

George Sand donne ici ses idées sur l'éducation des enfants et elle insiste sur le fait qu'il n'y a pas de différences entre les filles et les garçons. Ainsi les filles ne doivent pas être traitées comme des poupées superficielles uniquement préoccupées de leur apparence comme le fait la belle mère de Diane. Le père de Diane, lui aussi, ne prend pas la peine de lui apprendre à dessiner. Il est riche donc il pense à faire de sa fille "une vraie demoiselle sachant s'habiller et babiller, sans se casser la tête pour être autre chose; et ce n'est pas au couvent qu'elle pourra acquérir des connaissances!
Diane n'a pas droit à l'instruction parce qu'elle est une fille jusqu'au moment ou le docteur Fréron devient son mentor et lui rend accessible le monde de l'art.

Une vision de l'art

fragment de statuette de Hercule Le louvre

George Sand  livre aussi dans ce récit ses idées sur l'Art et professe d'abord son amour pour l'antiquité grecque et romaine qu'elle oppose au moderne, le Beau opposé au Laid. Alors que monsieur Flochardet, dans un but mercantile, peint des portraits pour que les modèles se voient tels qu'ils voudraient être et non tels qu'ils sont, l'art doit tendre au vrai, à l'observation : ainsi les artistes grecs avaient le sentiment du grand " et "le mettaient dans les plus petites choses". L'art doit peindre le vivant : Cette statue qui n'est "qu'une tête sans corps et très usée par le frottement" " elle vit pourtant, parce que celui qui l'a taillée dans ce petit morceau de marbre a eu la volonté et la science de la faire vivre…"
Diane deviendra une vraie artiste et devenue riche fondera un atelier pour jeunes filles pauvres où elle éduquera ses élèves gratuitement! Conte de fées? Utopie? Oui, mais c'est ce que George Sand réalisa à Nohant!









Chez Antigone

mercredi 5 février 2014

Marina Tsvetaïeva : Mars et Poèmes sur Moscou



J'avais participé au jeu de la poésie sur facebook avec Mars, la poésie de Marina Tsvetaïeva que m'a fait découvrir Marylin. Marina Tsevtaïeva, figure importante de la poésie russe, méconnue de son vivant, s'exila en 1922 à l'étranger, où elle poursuivit son œuvre poétique. Elle regagna la Russie en 1939. L'hostilité à laquelle elle fut confrontée la poussa au suicide en 1941.

Picasso  : Guernica

 MARS

O pleurs d'amour, fureur !
D'eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohème en pleurs !
En Espagne : le sang !
Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet
Refus d'être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d'y vivre
Avec les loups régents
Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.
Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.

15 mars-11 mai 1939.
(traduction Eve Malleret)

 Insomnie et autres poèmes

 Pour le jeudi d'Asphodèle j'ai choisi un des poèmes sur Moscou dans la recueil Insomnie et autres poèmes aux Editions Poésie/Gallimard


Edouard Gaertner : vue panoramique du Kremlin à Moscou(1839)
 

Poèmes sur Moscou


Nuages autour,
Coupoles autour.
Par-dessus Moscou
- De toutes mes mains ! -
Je te hisse au ciel, mon radieux fardeau,
Mon beau petit arbre
Qui ne pèse rien !

Dans la prodigieuse,
Paisible cité
- Où même défunte
J’aurai de la joie -
À toi de régner, et d’être affligé,
De porter couronne
Ô mon premier-né !

Jeûnant aux carêmes,
Sans khôl aux sourcils,
Honore toujours
La nuée d’églises.
Et parcours à pied – de ton jeune pas –
Les libres espaces
Sur les sept collines !

Il viendra ton tour
- Tendrement amer -
De donner Moscou
À ta fille un jour.
Moi j’aurai les songes, et le son des cloches,
Sur Vagankovo
Les aubes précoces.
31 mars 1916


 


Et voici la liste des participants au jeudi poétique d'Asphodèle :  Marie et Anne, Soène, Lili, Pyrausta, Jean-Charles, Claudialucia, Natiora, Modrone-Eeguab. Fransoaz , Luocine, et  Dame Mauve. Et Laurent Fuchs, un nouveau participant !