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samedi 29 novembre 2014

Enigme du samedi N°103: Un livre/un film

 
logo de l'énigme du samedi : Un Livre/un film

Un  livre/un film

Pour ceux qui ne connaissent pas Un Livre/un film, l'énigme du samedi, je rappelle la règle du jeu.

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le 1er et le 3ème samedi du mois, et le 5ème pour les mois avec cinq samedis, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film. Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur. Eeguab ne nous relaiera pas cette année mais nous le remercions de tout le travail accompli l'année dernière.

Consignes  

Vous pouvez donner vos réponses par mail, adresse que vous trouverez dans mon profil : Qui suis-je? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.

Prochain rendez-vous

Donc rendez-vous  le premier samedi du mois :  Le 6 Décembre

 Enigme n° 103

Le film français est adapté d'un recueil de nouvelles d'un écrivain canadien paru en 2005.  En fait, le scénario a été rédigé à partir de deux nouvelles dont l'une donne son titre au recueil comme au film. De nombreuses libertés ont été prises par rapport à ces deux textes originaux. L'extrait que je vous donne vous éclairera probablement si vous avez lu ou vu une des deux oeuvres car il s'agit d'une scène-clef.


Je ne peux plus me souvenir consciemment du son qu'a produit la glace en se brisant. Parfois, j'entends un autre bruit- le bruit  sourd d'une boîte de bière quand on l'écrase; le crissement d'un vieux clou qu'on arrache à une planche détrempée; un bruit similaire d'une certaine façon, qu'il s'agisse du timbre, du ton ou de la résonance, et je me rends compte que ce bruit vit quelque part en moi. Je me rappelle la ligne de faille alors que je m'élance vers lui, une fente argentée qui coupe la glace comme un coup de fouet. Elle semblait avancer lentement, comme un mince serpent léthargique qui dessine des zigzags; comme s'il me suffisait de hurler, "recule!" pour qu'elle continue sa route devant lui sans lui faire du mal.

samedi 6 septembre 2014

Annabel Lyon : Aristote, mon père




Je viens de lire le roman de l'écrivaine canadienne, Annabel Lyon, intitulé : Aristote, mon père. C'est la suite, - même si l'on peut le lire indépendamment- , de Le juste milieu  où l'on rencontre déjà Aristote, sa fille Pythias et sa concubine Herpyllis. Mais je n'ai pas lu ce dernier et voilà qui répond un peu à une première frustration : j'aurais aimé que le roman approfondisse le portrait d' Aristote et  et développe sa  philosophie mais.. cela a dû être fait dans le roman précédent.
  
En fait, Aristote, mon père, raconte la fin de vie du philosophe et comme le titre l'indique donne la place primordiale à sa fille Pythias dite Pytho.
L'auteure a pris pour point de départ un passage du testament d'Aristote qui concerne sa fille : Lorsque ma fille aura l'âge requis, on la donnera en mariage à Nicanor. Mais à la mort d'Aristote, qu'adviendra-t-il de Pythias si Nicanor, son cousin parti à la guerre, ne revient pas?

Aristote, macédonien, qui a été le professeur d'Alexandre, vit à Athènes où il a créé son école Le Lycée. Il jouit d'une grande renommée, réunit tous les grands esprits de la ville chez lui et se préoccupe de l'instruction de sa fille Pythias. Celle-ci est intelligente, curieuse, a soif d'apprendre et se révèle une élève brillante qui connaît toute l'oeuvre de son père et est capable de tenir tête dans les discussions aux plus grands savants. Mais elle est de sexe féminin et la société grecque voit d'un mauvais oeil une fille accéder au savoir.  Quand celle-ci devient femme, le père adopte un lointain cousin, Jason, surnommé Myrmex, "petite fourmi", qui lui a été envoyé par la famille. Sans jamais cessé d'aimer Pytho, il va l'écarter des études et reporter son attention sur le garçon..
Cependant les Athéniens, vaincus par Alexandre et plein de rancoeur contre les Macédoniens, le considéreront toujours comme un étranger, lui et sa famille. Aussi à la mort de l'empereur, Aristote est obligé de quitter la ville sous les huées et les jets de pierres des Athéniens. C'est l'exil qui se terminera par la mort d'Aristote et c'est aussi  la fin de la première partie.  Les deux autres parties sont consacrées aux épreuves subies par Pythias, laissée seule, sans argent, dans un univers hostile aux femmes où, en l'absence de mariage, elle ne peut emprunter que trois voies : Prêtresse, sage femme et prostituée. Je vous laisse découvrir ce qu'il advient d'elle.

Disons tout de suite que mon avis est mitigé sur ce roman.
 La première partie,  à Athènes, celle de l'accession de Pytho au savoir m'a intéressée. j'aurais aimé, cependant, plus de détails sur les méthodes pédagogiques d'Aristote et sur ce qu'il enseignait, j'aurais voulu que l'érudition de Pythias soit plus apparente moins anecdotique même si les embryons d'idées qu'elle présente sont intéressants :
- J'ai appris des choses sur le changement dans l'espace, le temps, la substance. J'ai appris des choses sur le mouvement. J'ai appris des choses sur l'être éternel et parfait, celui que papa appelle le moteur immobile

- Sur Dieu, intervient Krios.

-Sur Dieu comme nécessité métaphysique, dis-je. Lointain, détaché, perdu dans la contemplation

-Vous l'avez vraiment encouragée à s'épanouir dit Krios à mon père

- Ca commence à devenir un problème, rétorque papa.


Mais l'auteure décrit bien la civilisation grecque. Elle nous fait part de nombreux détails qui nous éclairent sur les rites religieux et funèbres, sur la vie quotidienne, le marché, la nourriture, sur la condition féminine, les règles, le mariage et surtout elle essaie avec succès de faire revivre les mentalités. Elle décrit la place qu'occupe la femme dans la société et son infériorité déclarée par rapport aux hommes.n Ainsi, on voit comment Herpyllis, la concubine d'Aristote, qui lui a donné un fils Nicomaque, n'est pas reconnue et conserve son statut de servante, d'inférieure, non aux yeux d'Aristote, mais de la bonne société. On comprend alors combien, malgré ses limites, Aristote était un homme éclairé et ouvert pour l'époque.
j'ai pourtant moins apprécié les deux autres parties du roman sur les tribulations de Pythias après la mort de son père. D'abord qu'est devenue son érudition? En quoi la fille d'Aristote est-elle différente de n'importe quelle jeune fille tombée dans l'indigence? L'histoire m'a paru alors décousue tant au point de vue du style que du récit, rapide et parfois peu convaincante. De plus je ne comprends pas Pytho, Mirmex est très antipahique et sa psychologie est à peine esquissée. Les autres personnages, Herpillys,  Nicomar, les esclaves disparaissent. Et je n'ai eu aucune empathie envers ceux qui restaient. J'ai donc été déçue par cet aspect du roman.

En résumé, le livre présente des moments intéressants qui sont liés à la vision historique que nous donne l'auteure mais j'ai moins adhéré à l'aspect fictionnel et l'analyse des personnages m'a paru insuffisante.. 





Merci à la librairie dialogues et aux Editions Quai Voltaire

mardi 17 décembre 2013

Jocelyne Saucier Il pleuvait des oiseaux



Il pleuvait des oiseaux, voilà un beau roman écrit par une romancière québécoise, Jocelyne Saucier, où l'on découvre les paysages de l'Ontario, d'immenses forêts où l'on peut encore se cacher voire se perdre et  vivre proche de la nature.
C'est ce qu'ont fait pour des raisons diverses Tom, Charlie et Boychuck, le peintre. Leur cabane respective est rustique, sale et sent le graillon, les corps sont mal lavés, les paroles rares, mais leur vie s'accommode bien du silence, de la solitude et de… la liberté! C'est alors qu'ils reçoivent la visite d'une photographe à la recherche de Boychuck l'un des survivants des Grands Feux de l'Ontario qui ont ravagé le pays au début du XXème siècle. Mais celui-ci vient de mourir. Puis l'arrivée de Marie des Neiges, une vieille femme, frêle et fragile, chamboule leur vie et y introduit poésie et délicatesse..
L'histoire est  racontée par plusieurs  personnages, la photographe d'abord, puis  Bruno et Steve, les rares amis des vieux exilés, qui les entraînent dans un trafic louche;  puis la narratrice extérieure reprend la parole et c'est à travers tous ces points de vue que l'on découvre ce qu'ont été les grands Feux de l'Ontario en 1916, l'ampleur du désastre qui a marqué les esprits, les nombreuses victimes et les traumatismes des rescapés. A l'intérêt historique s'ajoute un style superbe. La catastrophe est décrite d'une manière évocatrice et prend le ton de l'épopée. La fuite de Boychuck à la recherche des siens au milieu de ces paysages ravagés est hallucinante.
A côté de la grande Histoire, celle des personnages, est captivante. Je me suis intéressée à ces hommes ainsi qu'à leur rapport avec la nature et leur désir farouche de liberté. Et pour eux, la liberté est d'abord de choisir leur mort car "personne n'a envie d'un vie qui n'est plus la sienne." C'est ce qui donne le goût de vivre parce qu'on sait que l'on a le choix.". Un thème qui me touche beaucoup, une revendication de la liberté que je trouve très belle.
Un récit où il est aussi question d'amitié et d'amour parce que les sentiments ont cours à tout âge.

Un roman original, attachant, même si, petit bémol qui n'enlève rien au plaisir de la lecture, j'ai été un peu déçue par le dénouement.

La petite vieille était une survivante du Grand Feu de Matheson. Elle lui avait parlé d'un ciel noir comme la nuit et des oiseaux qui tombaient comme des mouches.
Il pleuvait des oiseaux, lui avait-elle dit. Quand le vent s'est levé et qu'il a couvert le ciel d'un dôme de fumée noire, l'air s'est raréfié, c'était irrespirable de chaleur et de fumée, autant pour nous que pour les oiseaux et ils tombaient en pluie à nos pieds.




Les grands feux de 1916 (Photo archive l'express)


Merci à Aifellel ICI de m'avoir fait découvrir ce livre voyageur

Voir aussi Clara

mardi 1 octobre 2013

Christine Eddie : Les carnets de Douglas





C'est dans le cadre du mois de la littérature québécoise  que j'ai lu Les carnets de Douglas de Chrstine Eddie

Le roman est conçu comme  s'il s'agissait d'un tournage de film: repérages/ gros plan/plan d'ensemble/Plongée, etc… Générique par ordre d'apparition. Je dois dire que ce procédé un peu trop gratuit n'ajoute rien au roman. Je le verrai plutôt comme un conte mais un conte triste, pourvu d' une petite musique tragique.

Romain appartient à la fameuse dynastie des Brady, profiteurs de guerre, enrichis par le malheur des autres. Mal aimé de sa famille à qui il ne fait pas honneur, il fuit dans la forêt pour y vivre en ermite, de la chasse et la pêche. Eléna fait sa conniaissance dans la forêt de la Rivière-aux-Oies. Elle donne à Romain le nom d'un arbre : Douglas. Les deux jeunes gens s'aiment et vivent dans la forêt.   C'est là que la petite Rose vient au monde et …  je ne vous en dis pas plus.

Curieux roman! On s'attend d'abord  à un roman rousseauiste  dans lequel la vie dans la nature magnifiée serait idéalisée. Et certes la nature est belle! Mais elle est aussi dure, inhospitalière  et meurtrière. Eléna et Douglas vont l'apprendre à leur dépens.

Le roman est bien écrit, d'une manière sobre, assez poétique mais curieusement, malgré les qualités d'écriture,  je suis restée extérieure à cette histoire. Je ne me suis pas réellement intéressée aux personnages. Et pourtant ce roman fait l'unanimité dans de nombreux blogs mais je l'ai trouvée un peu léger, sans grande consistance.

Née en France en 1954, Christine Eddie a grandi en Acadie avant de se poser au Québec où elle vit depuis plus de trente ans. Elle a d’abord publié des nouvelles et un conte pour enfants (La croisade de Cristale Carton, Hurtubise HMH, 2002) Son premier roman, Les carnets de Douglas, est paru en 2007. Parapluies, le second roman est paru en 20111. (wikipédia)




vendredi 20 septembre 2013

Jacques Poulin : Le coeur de la baleine bleue



 Tout de suite après L'homme qui entendait siffler une bouilloire de Michel Tremblay me voici, avec Le coeur de la baleine bleue de Jacques Poulin, confrontée à deux des plus célèbres écrivains québécois.* Et sur des sujet sinon similaires mais du moins présentant quelques points communs!

Le personnage de Michel Tremblay, cinéaste, victime d'acouphène est opéré d'une tumeur dans l'oreille interne et celui de Jacques Poulin, Noël, écrivain, reçoit en greffe le coeur d'une jeune fille de quinze ans. L'occasion pour les deux hommes d'être confrontés aux spectres de la maladie et la mort, de faire un retour sur soi-même, de s'interroger sur leurs rapports avec les autres et aussi sur leurs rapports à la création. Mais les ressemblances s'arrêtent là. Car les deux écrivains me paraissent être aux antipodes tant par leur style que par leur manière de traiter le sujet.
Alors que Tremblay reste accroché au réel, Jacques Poulin nous amène dans un récit poétique où la frontière entre réel et fantastique n'est pas nettement tranchée. Car ce coeur de jeune fille qu'il vient de recevoir va perturber le malade, le transformer. D'où lui vient cette douceur qui ne faisait pas partie de son caractère auparavant?  Et d'où sont issues ces étranges visions qui interfèrent avec son présent? Jacques Poulin fait vivre des personnages dont on ne sait jamais vraiment s'ils sont réels ou s'ils sont sortis tout droit de l'imagination de Noël. Bref! il fait en sorte que nous nous demandions toujours s'il s'agit d'un roman dans le roman ou encore d'un roman qui rejoint la réalité ou d'une réalité qui se fait roman, avec, par exemple, l'apparition de Charlie la baleine bleue… Jacques Poulin y insère paraît-il des passages d'un de ses romans Jimmy que je ne connais pas. 

Le livre est donc une réflexion sur  la création littéraire :

- pourquoi un homme commence-t-il à écrire?
-Peut-être parce qu'il a du mal à vivre

Et puis j'aimais trop les histoires, ça devait venir de l'enfance encore; une histoire c'est comme une maison. C'est étrange vous vous laissez aller; tout de suite vous dérivez vers l'enfance ou vers une maison.

Je commençais à croire qu'on n'inventait rien d'autre, en écrivant, que les images endormies de nous-mêmes.

Cela ressemblait plutôt à une idée fixe . On aurait dit que les mots constituaient en même temps la seule issue possible, une sorte d'initiation, un rite de passage comme certaines tribus primitives en faisaient subir aux adolescents qui prétendaient devenir des hommes.

Le roman de Jacques Poulin est aussi la chronique d'une mort annoncée. Dès le début, il est y question de rejet pour parler en termes médicaux ou de reflux pour emprunter au vocabulaire poétique du narrateur. Peu à peu, Noël comprend que cette douceur qui est en lui "était le sentier qui menait à la mort et aussi que la mort était comme un fleuve", une rivière sans retour (River of no return, allusion au film d'Otto Preminger ) qui vous ramène  à  l'enfance, vers "le pôle intérieur de soi-même" selon les mots d'André Breton, sans possibilité de revenir jamais en arrière

Encore une chose que j'ai comprise; la douceur la plus grande, c'est la mort.

Et cette douceur, elle résonne comme une petite musique triste tout au long de ce lent cheminement vers la solitude car la mort ne peut être partagée. Retour vers l'intérieur de soi-même mais aussi dans la ville de Québec que l'écrivain aime et semble connaître si bien. Cette marche dans la vieille cité est un plaisir supplémentaire pour le lecteur, qui, comme moi, reste nostalgique de ses voyages québécois;   supplémentaire mais pas anecdotique car le lieu physique comme celui intérieur joue un rôle important dans les errances de Noël.

Si par goût, je préfère la narration de Michel Tremblay parce qu'elle raconte une histoire solide, construite, avec des personnages bien réels dont on se sent proche et un langage pittoresque et savoureux (ce qui n'exclut pas la profondeur), je dois dire que je lis Le coeur de la baleine bleue  d'une autre manière. J'en détache certains passages parce que je les trouve beaux, je m'arrête à des pensées, des mots pour mieux les goûter. Ce roman doit se lire comme un poème.

De toutes façons, j'aimais les mots. Ce qui m'échappait, c'était les rapports entre les choses. Léo Ferré disait que les poètes écrivaient leur révolte avec des pattes d'oiseau; dans ma poitrine vivait cette chose nouvelle que Saint-Denys Garneau décrivent comme un oiseau; Goethe disait que les idées avaient des pattes de colombe. Sans pouvoir comprendre, je devinais que les poètes nous laissaient parfois derrière eux sur une route faiblement éclairée, comme celle que j'avais empruntée pour écrire mon histoire et qui menait infailliblement au rejet et à...





*Rien d'étonnant nous sommes en plein mois de septembre québécois chez Karine et il s'agit ici d'une lecture commune autour des oeuvres de Jacques Poulin.

lundi 16 septembre 2013

Michel Tremblay : L'homme qui entendait siffler une bouilloire





Drôle de sujet que celui choisi par l'écrivain canadien Michel Tremblay : L'homme qui entendait siffler un bouilloire et peut-être en grande partie inspiré par une expérience personnelle si l'on en juge par la dédicace :  Pour les docteurs Jean-Jacques Dufour et Gérard Mohr qui m'ont sauvé la vie.
 Le personnage de Michel Tremblay, Simon Jodoin, cinéaste reconnu, est en plein tournage lorsqu'il est brutalement assailli par un sifflement aigu et entêtant au fond de l'oreille. La persistance de ce bruit  obsédant, impossible à oublier, va presque le conduire au bord de la folie. L'opération d'une tumeur décelée dans l'oreille interne lui permettra-t-il d'être délivré de ces acouphènes?

 A priori, le sujet peut paraître anecdotique. Non que la souffrance infligée par les acouphènes soit négligeable mais parce qu'il s'agit d'un vécu qui paraît très personnel et d'un cas clinique particulier.  Pourtant, Michel Tremblay  va faire en sorte que nous sentions tous  concernés. En analysant les sentiments de son personnage, ses peurs face à l'opération, ses angoisses devant la maladie, le handicap et la mort, il écrit un roman où chacun peut se retrouver.  Le personnage cesse alors d'être un cas médical pour devenir un homme comme nous tous, avec ses faiblesses, ses regrets, son désespoir car la maladie est une rupture dans la vie qui permet un arrêt sur image : l'occasion de constater ses erreurs, de prendre conscience de son insignifiance car tout ce qui était primordial jusqu'alors cesse d'être important. Une véritable remise en cause au niveau professionnel. Qu'en est-il par exemple de sa réputation artistique?  L'occasion aussi de faire le point sur ses rapports avec son ex-femme, ses deux fils et son ami d'enfance Jean-Marc ainsi qu'avec ses collègues de travail, un travail sur soi-même qui est un véritable bouleversement. La maladie permet à Simon Jodoin de faire aussi l'expérience douloureuse du renoncement et c'est en pleurant qu'il comprend que jamais plus, il ne pourra écouter, comme avant, la musique qui est une part essentielle de sa vie. Mais elle l'oblige aussi, non sans révolte, à la patience, la maîtrise de soi. L'écrivain emprunte d'ailleurs à notre La Fontaine ces vers mis en exergue : "Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage".

Grâce au talent de Michel Tremblay qui sait rendre compte de tous les registres des sentiments vécus par son personnage et peut passer de l'émotion à l'humour, nous nous suivons avec passion les implications douloureuses et traumatisantes de cette maladie complexe qui laisse perplexes les médecins eux-mêmes et, au-delà, nous nous sentons en empathie, avec ce personnage qui est bien notre semblable, notre frère!

Du même auteur, j'ai vu au Festival d'Avignon : la pièce de théâtre A toi pour toujours Marie Lou ICI



Roman lu dans le cadre de Québec, le mois de Septembre 2013 chez Karine

mardi 17 juillet 2012

Festival OFF avignon 2012 : A toi pour toujours Marie Lou de Michel Tremblay

A toi pour toujours Marie Lou de Michel Tremblay


Né à Montréal en 1942, Michel Tremblay vit sa jeunesse dans un appartement de sept pièces du quartier Plateau Mont-Royal avec trois familles totalisant 12 personnes. Considérant avoir eu une enfance heureuse, il grandit entouré de femmes, qu'il observe, discrètement. Le milieu culturel dans lequel il se développe, ses proches et le quartier du Plateau-Mont-Royal seront à la source de son œuvre. (source wikipédia)
Son oeuvre a été couronnée de nombreux prix. Il est actuellement traduit en 35 langues.

La pièce de Michel Tremblay A toi pour toujours ta Marie-Lou mise en scène par Christina Bordeleau à Essaïön est une pièce très forte et l'on n'en sort pas indemne tant elle propose une vision noire et pessimiste de la société québécoise des années 70 mais aussi une réflexion plus générale sur l'amour, la sexualité, les rapports entre les couples et leurs conséquences tragiques sur les enfants. Michel Tremblay critique ici l'aliénation sociale de l'ouvrier exploité, rivé à sa machine toute sa vie, esclave d'un patron à qui il n'ose pas demander une augmentation et qui trouve une consolation dans l'alcool. Mais la femme de l'ouvrier n'est pas mieux lotie, opprimée par la morale catholique, l'obéissance au prêtre, la honte de sa sexualité et la maternité non désirée. Entre eux la haine a remplacé l'amour.

Carmen et Marie-Lou revoient la dernière journée de leurs parents Marie-Louise et Léopold il y a de cela dix ans. Les quatre personnages sont sur scène en même temps mais les deux jeunes filles n'appartiennent pas à la même époque ce que traduit la mise en scène qui les place en retrait, en arrière de la scène où elles sont tout à tour adultes, dans le présent, ou enfants, dans le passé, épiant leurs parents, toutes les deux atteintes, chacune à sa manière par les disputes, les scènes qui opposent leurs parents, la violence.
Le père et la mère sont tous deux assis à chaque extrémité de la scène, l'un à une table de bistro, l'autre tricotant dans son salon, ils ne se regardent pas, ils se parlent pourtant mais comme s'ils étaient à une grande distance l'un de l'autre. Une mise en scène sobre mais efficace qui nous permet d'emblée de situer les personnages dans leur univers et de comprendre la nature de leurs relations, le fossé infranchissable qui les sépare.
 Les acteurs tous excellents interprètent ces personnages avec une grande intériorité et une vérité criante. Il n'ont pas besoin de bouger pour nous faire sentir leur aliénation. Un geste, une attitude suffisent. La misère morale, sociale et sexuelle de ces personnages et les répercussions sur Carmen qui est parvenue à s'émanciper et Marie-Louise confite en dévotion qui ne peut, ni ne veut oublier, est touchante. On sort de ce spectacle le coeur serré.  Une réussite !
Texte commun rédigé par Wens et Claudialucia


A toi pour toujours Marie Lou
Michel Tremblay
Essaïon
du 7 au 28 Juillet à 12H30
Durée 1H20

lundi 14 mai 2012

Peter Silverman : La Princesse perdue de Léonard de Vinci, Editions Télémaque



     La bella Principessa de Léonard de Vinci

Peter Silverman, collectionneur d'art, découvre dans une galerie New-Yorkaise un dessin sur vélin attribué à un peintre anonyme allemand du XIX siècle. Mais son instinct de collectionneur, le coup de foudre qu'il éprouve pour ce portrait de jeune fille en habit de la Renaissance, lui soufflent qu'il s'agit d'une oeuvre authentique de cette époque et, peut-être, d'un Vinci! Le regard expérimenté de spécialistes le confirment dans son intuition. Commencent alors les recherches pour trouver les preuves qu'il s'agit bien d'un Vinci! 

 
Amoureux de l'Art, de la Renaissance et de Léonard de Vinci, ce livre est pour vous! Il se lit comme un roman d'aventure, promenade dans l'Art, qui nous entraîne dans une enquête longue et difficile. La Bella Principessa est-elle une oeuvre de Léonard de Vinci? Quelle est l'identité de cette jeune fille au regard d'ambre clair, à la lourde tresse, au port altier, fantôme effacé par les siècles qui nous séparent? D'où vient-elle? C'est à ces questions que les spécialistes vont répondre. L'émotion ressentie au cours de ces recherches nous permet de comprendre le rôle de l'oeuvre d'art, douée de vie, qui jette un pont entre présent et passé.
Historique, l'enquête nous plonge dans des investigations savantes avec les plus grands spécialistes de Vinci et de la Renaissance italienne. Peu à peu, nous acquérons, sinon des certitudes, du moins de sérieuses présomptions sur l'attribution du tableau peint lorsque Vinci était le peintre officiel de la cour de Milan, à l'époque de Ludovic le More. La jeune princesse de la fin du XVème siècle échappe ainsi au néant, laissant deviner une tragique destinée...

La recherche se poursuit, faisant appel à des preuves scientifiques rigoureuses : datation au carbone 14 et technologie numérale multispectrale. Elle a recours aussi à des techniques d'investigation empruntées à la police scientifique. Mais ce qui prouvera l'authenticité véritable de l'oeuvre c'est la découverte de sa provenance.

Au-delà de ce récit, nous explorons les dessous du marché de l'art où l'intérêt financier prime souvent sur l'amour de l'oeuvre... surtout s'il s'agit d'un Vinci! De plus, cette attribution remet en cause la réputation, la crédibilité des experts. Voilà qui explique le scandale provoqué par la redécouverte de ce joyau qui aurait dû faire bondir de joie tous les amoureux de Vinci! Un livre vivant, érudit, passionnant!

Extrait : Je n'ai jamais acquis d'oeuvre d'art pour leur valeur financière. D'après moi, les gens qui achètent de l'art pour spéculer se trompent, l'intérêt du collectionneur c'est l'amour.. On n'a pas besoin de l'art, mais il faut l'aimer afin qu'il remplisse son rôle fondamental : être esthétique, donner un sentiment d'élévation spirituelle, inspirer et même être décoratif.
Moi-même, j'ai toujours l'impression d'être en lutte contre l'idéologie du marché, pour qui prix élevé signifie grande importance ou beauté. Dans le cas de la Bella Principessa, j'ai suivi ce processus cynique en direct. Quand le dessin était encore attribué à un artiste du XIX° siècle, on l'estimait "charmant". Quand il fut plus tard découvert que le dessin était d'un italien du XV° siècle on le trouva "assez beau". Maintenant qu'on lui a apposé l'attribution Léonard de Vinci le dessin est qualifié "d'exquis... d'extraordinaire... remarquable...", et bien d'autres superlatifs encore.

Les portraits féminins de Leonardo da Vinci

La Bella Principessa vient compléter les quatre portraits féminins connus de Léonard de Vinci :


La belle Ferronnière                                          La Joconde



         
 
Ginevra de Benci                                                               La dame à l'hermine

Un portrait réalisé par un gaucher

La Bella Principessa (détail)
Ce détail permet de noter que les hachures autour du visage sont réalisées par un gaucher. Or, nous ne connaissons que deux gauchers parmi les peintres de la Renaisssance, Vinci et Michel-Ange. Autour des cheveux, à droite, on note des lignes blanches appelées pentimenti, signes que des éléments ont été effacés et redessinés, procédé typique de Léonard de Vinci.


Domenico Ghirlandaio

Peter Silverman, une fois prouvé que le portrait était bien de la Renaissance, a d'abord pensé qu'il s'agissait d'une oeuvre de Domenico Ghirlandaio. Celui-ci est l'auteur des magnifiques fresques de l'église de Santa Maria Novella à Florence. Je les aime tellement que je ne résiste pas à vous faire admirer ce détail :

La Naissance de la Vierge (détail) Santa Maria Novella Florence

Ghirlandaio et Vinci, ayant été tous deux les élèves d' Andrea del Verrocchio, ont, en effet, un air de famille. Mais Ghirlandaio, contrairement à Vinci, est droitier. Le portrait ne peut donc être de lui.

 Ghirlandaio : Giovanna Tornabuoni

Merci aux Editions Télémaque

Pourquoi avoir créé ce blog ?
Parce que nous croyons en l’importance de maintenir, en France, une vraie diversité de l’offre éditoriale. En effet, nous avons la chance de bénéficier d’un tissu dense d’éditeurs indépendants (plusieurs centaines), attachés à jouer le rôle de découvreurs de talents, à tenter des aventures intellectuelles, à contribuer aux débats d’idées. C’est grâce à eux que voient le jour des livres de qualité/ originaux/ hors normes et, souvent, que sont édités pour la première fois les auteurs de demain. (...)
D’où l’objectif de ce blog : repérer, chaque mois, les meilleurs livres en panne de médiatisation et se faire leurs « agents littéraires », c’est-à-dire assurer leur promotion grâce à internet... Lire la suite ici

La princesse perdue de Léonard de Vinci Peter Silverman Catherine Whitney 288 p. Editions Télémaqueprix du livre : 22€





dimanche 19 février 2012

Rita Mestokosho : Gardienne de la terre


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Emily Carr, peintre canadien (détail)

Dans son discours pour le prix Nobel, JMG Le Clézio cite les noms des écrivains, des poètes, qui "font" la littérature et dont il se sent proche. Parmi eux, Rita Mestokosho que j'ai eu envie de découvir à mon tour.
Rita Mestokosho est née en 1966  sur la côte Nord-est du Saint-Laurent dans la communauté des innus d’Ekuanitshit (Mingan) au Québec.
Elle doit son inspiration à la fois à la nature avec laquelle elle établit un contact fusionnel et à sa grand mère, mémoire de son peuple. Elle écrit en langue innue des poèmes qu'elle traduit elle-même en français.

L’homme est comme un saumon, le saumon remonte toujours la rivière où il est né, c’est cela le vrai mystère. Peu importe où l’homme va, il n’oublie jamais d’où il vient. Peu importe le nombre de kilomètres parcourus, le nombre de villes traversées, peu importe le temps qu’il met pour trouver une destination, il n’oublie jamais ses origines.


Sous un feu de rocher

J’ai appris à lire entre les arbres
À compter les cailloux dans le ruisseau
À donner un nom à tous les métaux
Tel que le quartz ou le marbre.
J’ai appris à nager avec le saumon
À le suivre dans les grandes rivières
À monter le courant de peine et de misère
Sans me plaindre et sans sermon.
J’ai appris à prendre le visage de chaque saison
À goûter la douceur d’un printemps sur mes joues
À savourer la chaleur d’un été sur mon cou
À grandir dans l’attente d’un automne coloré et long.
Mais, c’est uniquement sous un feu de rocher
À l’abri d’un hiver froid et solitaire
Que j’ai entendu les battements de la terre



Poème transféré de mon ancien blog

dimanche 8 janvier 2012

Emile Nelligan, le Rimbaud québécois

 


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Aujourd'hui j'ai envie de présenter un des poètes les plus célèbres du Québec, Emile Nelligan. Je l'ai découvert dans une librairie près de mon hôtel, dans le quartier de  Côte-des-Neiges, lors d'un séjour à Montréal, ville où il est né en 1879. Regardez son portrait. De Rimbaud, il a cet air d'extrême jeunesse et de fragilité que l'on observe chez le poète français au même âge. Il est aussi précoce que lui. Ses premiers vers sont publiés alors qu'il a seize ans. Sa voix s'éteindra aussi très vite mais pas pour les mêmes raisons. Emile Nelligan est atteint de troubles mentaux très graves. Il est interné  en 1899 et c'est à l'asile qu'il mourra en 1941. On sent dans ses poèmes l'influence non seulement de Rimbaud mais aussi de Baudelaire, Nerval, Verlaine...
J'ai choisi son poème le plus connu Soir d'hiver  qui est mon préféré.

Alexander V. Jackson : Les Laurentides (peintre québécois , groupe des sept)

Soir d'hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A la douleur que j’ai, que j’ai !
*
Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés ;
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
*
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
*
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A tout l’ennui que j’ai, que j’ai !...
**

Et puis un autre petit poème en prime!

Quelqu'un pleure dans le silence

Quelqu'un pleure dans le silence
Morne des nuits d'avril ;
Quelqu'un pleure la somnolence
Longue de son exil ;
Quelqu'un pleure sa douleur
Et c'est mon coeur !


Poème publié dans mon ancien blog en 2010.

mardi 27 septembre 2011

François Barcelo : Les Plaines à l'envers



Voici le compte rendu d'un livre que j'ai acheté et lu pendant mon voyage au Québec à Montréal.

Près de mon hôtel Terrasse Royale, dans la rue Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, la librairie-restaurant Olivieri est un lieu de perdition, s'il en est ! Le pire c'est que même quand vous allez manger au fond de la librairie, vous êtes encore et toujours soumis à la tentation. 
C'est comme cela que j'ai acheté, entre autres, Les plaines à L'envers de François Barcelo.

 Le titre fait allusion à la fameuse bataille des plaines d'Abraham qui en 1759 a établi la victoire de l'Angleterre sur la France au Québec. 


L'intrigue est double : un écrivain est engagé par erreur pour écrire le scénario qui devra servir de base à un film sur la bataille des Plaines d'Abraham. Nous assistons à ses difficultés et à toutes les étapes de son travail, prétexte à une satire du monde du cinéma que notre personnage découvre avec consternation. Parallèlement nous suivons l'histoire d'un jeune homme qui veut être engagé comme figurant sur le film.
 
Hélas! Le tournage du film sera un échec puisqu'il aboutira, par un concours de circonstances que je ne vais pas vous dévoiler (ménageons le suspense, mais imaginez la pagaille), à  des Plaines à L'envers, c'est à dire à un résultat contraire à la réalité Historique. Et oui, vous m'avez bien compris, dans le film, à la suite d'une erreur, les français l'emportent sur les anglais !

 Fiasco donc pour le scénariste, héros de ce livre, mais petite satisfaction pleine d'humour pour l'auteur, François Barcelo, qui offre à ses lecteurs québécois et français une revanche sur l'Histoire! Pas un grand livre peut-être, mais un moment d'humour savoureux!

Quand on voit combien cette bataille a marqué les Québécois dans leur mémoire collective (il suffit de visiter le pays pour en prendre conscience), on comprend que Les plaines à l'envers, qualifié par ailleurs de thriller humoristique, a dû être bien accueilli.. au Québec!


Auteur : François Barcelo
Ouvrage : Les Plaines à L'Envers
 éditions "Bibliothèque Québécoise"

voir site de la bataille des plaines d'Abraham

vendredi 18 février 2011

Marie-Bernadette Dupuy : L’orpheline des neiges à Val-Jalbert


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L'ancienne pulperie et la chute d'eau de Ouatchouan
à Val-Jalbert


Si j'ai choisi de lire L'orpheline des neiges de Marie Bernadette Dupuy dont le titre me faisait un peu peur c'est que l'intrigue se déroulait à Val-Jalbert auprès du lac Saint Jean, souvenir d'une belle virée faite il y a quelques années dans la région du Saguenay au Québec.
Val-Jalbert, je l'ai visité au mois de Juin sous le soleil et dans un écrin de verdure. Si c'est un village-fantôme, il ne le paraissait pas avec toutes les animations touristiques qui tentaient de le faire revivre lors de scènes interprétées par des acteurs costumés. Je me souviens qu'en me promenant dans les allées de ce village disparu après 1927 avec la faillite de l'usine, en visitant les maisons des ouvriers encore meublées, je me suis posée des questions sur les habitants et je me suis dit que cela ferait un beau sujet de roman!
Si vous ne savez pas ce qu'est Val-Jalbert vous l'apprendrez en lisant ce roman très bien documenté et solide sur le plan historique. Le village a été  créé en 1901 autour de la chute d'eau qui permettait d'exploiter une usine à papier prospère. Dans le roman, nous sommes en 1916. Le patron Monsieur Jalbert voulait un village modèle où ses employés bénéficieraient du confort moderne. C'est pourquoi dans les belles maison de bois val-jabert-interieur.1298045799.jpgdes ouvriers, il y a non seulement l'électricité mais aussi le chauffage. Notons qu'en France, à la même époque, de nombreuses grands villes s'éclairaient encore au gaz. Je ne parle pas des campagnes puisque dans des régions comme la Lozère l'électricité n'est arrivée que dans les années 1960!
Marie-Bernadette Dupuy peuple le village de personnes ayant existé comme certains commerçants dont le nom est resté célèbre, comme le curé qui jouait un rôle déterminant dans cette communauté, choisissant lui-même les ouvriers "vertueux" méritant d'être embauchés. Mais elle imagine aussi des personnages fictifs.

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Le couvent-école de Val Jabert
Ainsi la petite Marie-Hermine est abandonnée par ses parents devant la porte du couvent-école et recueillie par les religieuses du Bon-Conseil. Nous assistons aux premières années de sa vie au milieu des religieuses, maîtresses d'école, nous la voyons grandir, confiée à des ouvriers, les Marois, dont la mère de famille, Elizabeth Marois, la considère comme sa fille. Viendra un moment où, jeune fille dotée d'une voix exceptionnelle deviendra chanteuse, où elle retrouvera le mystère des ses origines et découvrira l'amour dans la personne d'un jeune métis. Nous voyons la fermeture de l'usine et les répercussions sur les ouvriers obligés de quitter le village jusqu'à ce celui-ci devienne désert.
On a comparé L'orpheline des neiges  à Maria Chapdelaine. Mais en dehors du fait que le roman de Louis Hémon se situe dans la région du lac Saint-Jean-Saguenay, au bord de la rivière Peribonka ou Marie-Hermine sera amenée à vivre elle aussi, la ressemblance s'arrête là. Le roman de Marie-Bernardette Dupuy n'a pas le souffle poétique, la grandeur, ni l'âpreté et le pessimisme de Maria Chapdelaine. C'est un roman plus léger, qui se lit avec plaisir comme un livre d'aventures et qui a pour mérite une bonne reconstitution historique.


mercredi 29 avril 2009

Festival d’Avignon 2009 : Wajdi Mouawad : Forêts

Wajdi Mouawad est l'auteur invité du Festival d'Avignon 2009. Libanais, Wajdi Mouawad a dû quitter son pays; il vit maintenant au Canada. Il fait des études à l'Ecole nationale de théâtre du Canada où il étudie les arts du spectacle.
Sa première pièce s'intitule Alphonse en 1996 suivi par Les mains d'Edwige au moment de sa naissance en 1999. Inspiré par les thèmes de la guerre, de la mémoire et de la filiation, Wajdi Mouawad publie et met en scène ses propres textes Littoral (1999)Incendies (2003) et  Forêts (2OO6). Il est aussi l'auteur de Rêves (2002) Assoiffés (2007) Le soleil et la mort ne peuvent se regarder en face (2008). En 2005, il refuse le Molière du meilleur auteur francophone qui devait lui être décerné pour dénoncer le travail de certains directeurs de théâtre qui négligent la lecture des manuscrits et qui, en ce sens, ne s'impliquent pas dans la promotion des jeunes dramaturges.
L'auteur fonde deux compagnies avec Emmanuel Schwartz : au Québec, la compagnie Abé Carré Cé Carré ; en France, la compagnie Au Carré de l'hypoténuse. Il écrit aussi son premier roman intitulé Visage retrouvé et tourne l'adaptation cinématographique de Littoral. En 2008, il interprète Seuls au Festival d'Avignon.
Pour le festival d'Avignon,  en 2009,   il présentera  son quatuor  Le Sang des promesses au parc des expositions de Châteaublanc  : Littoral, Incendies, Forêts  et créera Ciels dans la cour d'Honneur du Palais des papes.
Forêts
Forêts est un texte riche, foisonnant et complexe. Il est donc difficile de  résumer la pièce  sans laisser de côté certains aspects ou ramifications. Je m'y essaie pourtant.
Loup, une jeune fille de seize ans vient de perdre sa mère, Aimée, morte d'un cancer. Celle-ci a refusé de se  soigner car il lui aurait fallu avorter et sacrifier son bébé; c'est une lourde responsabilité pour Loup. Commence alors pour elle une quête qui lui permet de remonter dans le passé et de retrouver la filiation qui - de mère en fille - relie les membres de sa famille aux plus sombres périodes de notre siècle, de la guerre de 1914 aux horreurs des camps nazis, à la tragédie du 6 Décembre 1989 qui s'est déroulée à l'université polytechnique de Montréal où un tireur fou a tué quatorze jeunes étudiantes.
Avec un paléontoloque, Douglas Dupontel, lui-même victime du devoir de mémoire, elle découvre la fatalité qui pèse sur les femmes de sa famille coupables d'une génération à l'autre d'abandon de leur enfant, les atrocités qui ont eu lieu dans le monde mais aussi chez les siens. Le but de cette quête est essentielle pour Loup :  il ne s'agit de rien de moins que  de briser la fatalité, de trouver "un talisman contre le malheur" et d'accepter la vie :
 Maman,
 Tu m'offres le monde
et le monde est grand
Mais puisque tu as choisi de me le donner
Je choisis de le prendre!
La narration est complexe car toutes les époques se chevauchent, les personnages du passé  faisant  irruption dans le présent ou dans le présent du passé ou...
Les thèmes sont nombreux, on le voit :   l'horreur de la guerre, la dénonciation du nazisme et de l'holocauste, le devoir de mémoire, la responsabilité de l'homme qui transforme l'univers en enfer, la culpabilité, l'enfance abandonnée, l'autorité abusive du père qui impose son rêve à ses enfants... Les grands mythes fondateurs sont aussi explorés : le regret du paradis perdu et impossible à faire renaître, les Atrides, l'inceste et l'Oedipe.
Et les dominant tous le  thème de la  filiation qui souligne ce paradoxe : pour vivre il faut à la fois lever le secret de son origine (la quête de Loup) car l'on ne  peut  sans cela être un être complet et se libérer de la prison familiale pour découvir le monde de ses propres yeux au risque de tomber en Enfer .. (Edmond le Girafon)
La langue est belle, inspirée, ouvrant une vision sur l'extérieur, sur les grands espaces canadiens, laissant le froid et la neige venir jusqu'à nous :
Douglas Dupont : Tout ça qui est là-bas et qui va jusqu'au trait du ciel, c'est le fleuve Saint-Laurent ?
Achille : Ici, en Gaspésie on appelle fleuve ce qu'ailleurs on appelle océan. Les gens ont le coeur gros par ici. L'espace ça aide à contenir les peines et les colères.
Le comique  côtoie souvent le tragique  :
Douglas Dupontel :  Ecoutez le mieux, c'est de m'envoyer ça à mon adresse internet. Oui? Je vous la donne: animaquaenobiscumdegunt arobase museepaleontologiecomparée trait d'union paris trait d'union direction point general point fr.
(...)
Dougla Dupontel : Non, non, animaquaenobiscumdegunt ça signifie animaux domestiques en latin .. quand on comprend ce n'est pas compliqué.. je vous épelle : a..n..i..
Loup : Donnez-lui mon adresse à moi ça va être plus simple, avec une affaire de même on sera encore ici l'année prochaine jusqu'à Pâques, jusqu'à Noël puis le Nouvel An.
(...)
Douglas Dupontel : on va vous donner un autre mail.
Loup : Toutemecoeuretoutemefaitchier arobase hotmail point com pas d'accent pas d'apostrophe.
J'aime beaucoup le personnage de Loup qui apporte sa fraîcheur et sa sensibilité  à toute cette noirceur. Entre révolte et angoisse, avec son vocabulaire d'adolescente, on va la voir peu à peu se transformer pour atteindre la compréhension et la maturité :
Douglas D :  De quoi avez-vous si peur, Loup?
Loup : J'ai peur de ne pas trouver ma place dans le monde. C'est important, ça, de trouver sa place dans le monde quand on a seize ans, non?
Douglas D : Vous avez le temps, vous êtes jeune!
 Loup : Non, je n'ai pas le temps et je ne suis pas jeune! Ya rien de plus niaiseux de plus épais de plus cave qu'un jeune qui dit de lui qu'il est jeune! Ca veut dire qu'il est déjà mort. Moi, je veux tout, tout de suite et que ce soit beau, grand, magnifique et bouleversant et clair...
Un vrai texte littéraire, donc, qui procure le plaisir de la lecture. Après, bien sûr, il faut le voir au théâtre car il n'existera complètement que par cette interprétation, cette transformation ou maturation que va lui donner la mise en scène.