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lundi 16 octobre 2023

Emile Zola : La joie de vivre

N’ayant pas pu écrire depuis un certain temps je suis en retard sur toutes mes lectures et je ne sais dans quel ordre les prendre! Mais, je me décide et je commence par La joie de vivre que je devais faire en LC avec Miriam puisqu’il y a au moins trois semaines que j’aurais dû rédiger ce billet. 

 La joie de vivre est le douzième volume de la série Les Rougon Macquart d’Emile Zola. 

 
 La joie de vivre: une jeune fille douée pour le bonheur
 
 
La joie de vivre : Film de JP Améris
 

La joie de vivre, c’est évidemment la jolie et gentille Pauline, fille de Lisa Macquart et de Quenu, florissants charcutiers dans Le Ventre de Paris. Orpheline à dix ans, elle entre dans la famille des cousins de son père, les Chanteau, et semble apporter le bonheur avec elle. Toujours gaie, heureuse de vivre, elle seule sait s’occuper avec douceur et délicatesse de monsieur Chanteau qui souffre de la goutte. Elle devient la compagne aimante et admirative de son grand cousin Lazare et madame Chanteau ne tarit pas d’éloges sur elle. Seule, la bonne, Adèle,  ne l’apprécie pas. Peut-être a-t-elle deviné le défaut de la cuirasse de la fillette, une féroce jalousie, qui la pousse à la méchanceté dès qu’elle se sent moins aimée…  Jeune fille, Pauline conserve son affection pour son cousin et tombe amoureuse de lui. La mère leur promet de les marier. 

Pourtant, la jalousie de Pauline est vite rallumée par l'arrivée d'une amie de la famille, Louise,  qui devient sa rivale. Si Louise est la jeune fille "comme il faut", pur produit de cette société bourgeoise du XIX siècle, ignorante, rougissante, coquette et maniérée, Pauline est positive, sportive, forte, intelligente, et cherche à s’instruire. Elle lit les manuels de médecine de son cousin qui lui révèlent les « secrets » du corps humain, du moins ce qui devait rester secret pour une jeune fille de bonne famille. Zola prend résolument position ici dans l’éducation des jeunes filles qui, pense-t-il, ont droit à l’instruction, et doivent accéder à l’étude des sciences. 

De plus, Pauline est riche et la fortune qu’elle a reçue en héritage va peu à peu être dilapidée par sa mère adoptive pour servir les ambitions de Lazare dont les projets fantasques et dispendieux tournent toujours à l’échec, ce qui le plonge dans un abattement sans fin. Au fur et à mesure que la fortune de la jeune fille diminue, son crédit auprès de madame Chanteau fait de même. Et l’on sent bien qu’elle n’est plus un parti intéressant aux yeux de cette femme qui avait pourtant promis de respecter son héritage ! Là, à ce moment, la lecture est si prenante, le suspense instauré par Zola si fort que j’ai été prise d’angoisse et d’indignation ! Impossible de continuer à lire ! Je voyais déjà la jeune fille jetée à la rue comme une mendiante, par ceux-là même qui l’avaient ruinée, et Lazare marié à la belle Louise… Mais Zola est beaucoup plus subtil que moi ! (Forcément, c’est Zola !) Et j’ai eu tort de vouloir conclure le roman à sa place. Son récit montrera l'évolution du caractère et de la personnalité de Pauline, ses doutes, son abnégation.  J’ai donc repris ma lecture et c’est à vous de lire ce qui va se passer. 

 La joie de vivre : une antiphrase

 

Lazare et Louise suivis de Pauline film de JP Ameris

 Le titre  du roman est aussi évidemment à prendre comme une antiphrase :  Car la joie de vivre, c'est le moins que l'on puisse dire n’habite pas Lazare qui a une peur horrible, obsessionnelle, de la mort. En proie à des crises nerveuses, dépressif, il voit la mort partout, l'attendant dans l'ombre, le guettant la nuit. Il  alterne des périodes d’activité et d’enthousiasme, généralement suivies par le découragement et la passivité. 

Et que dire de la mer, omniprésente dans le roman, parfois positivement, encadrant les promenades des deux jeunes gens, donnant la joie à la jeune fille d’apprendre à nager mais la plupart du temps vue comme élément dangereux et puissant que rien ne peut arrêter ! Elle grignote peu à peu les rivages, fracasse les cabanes des pêcheurs, engloutit une part du village, apportant son lot de calamités. La description du peuple et des enfants qui viennent chercher de l’aide auprès de Pauline est accablante.  Emile Zola peint comment la misère, la faim, les logements sordides, le manque d'amour, l'absence d'instruction et l’ignorance  sont à l’origine de toutes sortes de maux, la maladie, l’alcoolisme, l’inhumanité,  l'immoralité, la violence et la cruauté. 

Mais le milieu bourgeois n'est pas meilleur ! La satire, à travers le personnage de madame Chanteau, en particulier, est virulente. Comme d’habitude, Zola décrit à travers elle l’importance accordé à l’argent, la malhonnêteté sous des dehors de charité chrétienne, le mariage conçu comme un marché, la réalité sordide sous l’apparence - même la bonne s’indigne et prend le parti de Pauline - . Monsieur Chanteau, lui, est un être veule, sous la coupe de sa femme, trop égoïste pour avoir une morale, trop préoccupé de lui-même et de sa maladie qu’il entretient par sa gourmandise pour aimer ou protéger autrui et le curé ne vaut guère mieux ! Seul, le médecin échappe à la critique. 

Voici donc un roman d’Emile Zola riche de nombreux thèmes, intéressants dans la psychologie des personnages et dans la peinture des milieux sociaux.


Voir Miriam

samedi 30 septembre 2023

Honoré de Balzac : Une ténébreuse affaire

 

Une Ténébreuse affaire d'Honoré de Balzac, paru dans les scènes de la vie politique, porte bien son nom et raconte l’histoire d'un double complot.
D’une part celui fomenté par les émigrés royalistes rentrés en France et financés par l’étranger, la Russie, la Prusse, l’Angleterre, contre Napoléon Bonaparte. Dans le roman, ce sont les personnages des jumeaux Simeuse et des frères Hauteserre qui veulent rétablir la royauté. Ils sont accueillis à Arcis-sur-Aube par leur cousine Laurence de Cinq-Cygne qui les cache sur la partie du domaine dont elle est encore la propriétaire, le reste ayant été vendu comme biens nationaux pendant la Révolution. 

 

Laurence de Cinq-Cygne
 

Laurence de Saint-Cygne a tout de l’héroïne des romans gothiques, belle, courageuse, arrogante, pleine de morgue et de supériorité envers les roturiers. Plus elle est méprisante, plus elle plaît à Balzac !  Elle ne devient humaine qu'à la fin du roman. Fougueuse, héroïque, elle sait manier des armes et participe au complot. Mais Fouché leur a envoyé des espions, Peyrade et Corentin, qui sont chargés de les surveiller voire de les arrêter.

Grâce à son fidèle régisseur Michu, Laurence de Cinq-Cygne cache les jeunes gens dans la ruine d’un ancien monastère puis les fait évader mais ils seront rattrapés et faits prisonniers.

D’autre part et parallèlement, Fouché qui convoite le pouvoir, a comploté contre Bonaparte. Il se ravise après la victoire de l’empereur à Marengo, veut détourner les soupçons de sa personne. Des hommes masqués se faisant passer pour les Simeuse, Hauteserre et Michu, semblables par la taille et les vêtements, enlèvent Malin, conseiller d’état, ancien révolutionnaire, qui a racheté le domaine de Gondreville  appartenant aux Cinq-Cygne et caché des documents compromettants pour Fouché. Les nobles et leur régisseur Michu sont arrêtés. Un procès a lieu mais seul Michu est condamné à mort. Les gentilhommes iront grossir les rangs de la Grande Armée  et mourir pour l’Empereur sur les champs de bataille. Le roman s’inspire d’un fait vrai, l’enlèvement du sénateur Clément de Ris capturé sur l’ordre de Fouché par des bandits pour faire accuser des nobles normands, ses ennemis,  parfaitement innocents.

La marquise de Cinq-Cygne se rend à Iéna, la veille de la bataille pour supplier l’Empereur de sauver son régisseur. Celui-ci a cette réponse dans laquelle transparaît l’admiration de Balzac pour Napoléon malgré ses opinions légitimistes :

« Voici, dit-il avec son éloquence à lui qui changeait les lâches en braves, voici trois cent mille hommes, ils sont innocents, eux aussi ! Eh bien, demain, trente mille hommes seront morts, morts pour leur pays ! »

Michu aura, lui aussi, une belle mort, édifiante  : 

« Les innocents doivent aller à pied ! » dit-il en refusant de monter sur la charette.

 

Une ténébreuse affaire : Corentin

Enfin voilà, j’ai essayé de débroussailler  cette histoire car l’affaire est vraiment si… ténébreuse que je m’y suis perdue !
Comme d’habitude Balzac y réussit des portraits haut en couleur, en particulier des espions de Fouché, le physique et les vêtements annonçant la couleur, c’est à dire le caractère du personnage et sa condition sociale.

Peyrade : « Sa figure bourgeonnée, son gros nez long couleur de brique, ses pommettes animées, sa bouche démeublée, mais menaçante et gourmande, ses oreilles ornées de grosses boucles en or, son front bas, tous ces détails qui semblent grotesques étaient rendus terribles par deux petits yeux placés et percés comme ceux des cochons et d’une implacable avidité, d’une cruauté goguenarde et quasi joyeuse. »

Corentin : « Ce parfait muscadin paraissait âgé de trente ans. Ses manières sentaient la bonne compagnie, il portait des bijoux de prix. Le col de sa chemise venait à la hauteur de ses oreilles. Son air fat et presque impertinent accusait une sorte de supériorité cachée. Sa figure blafarde semblait ne pas avoir une goutte de sang, son nez camus et fin avait la tournure sardonique du nez d'une tête de mort, et ses yeux verts étaient impénétrables ; leur regard était aussi discret que devait l'être sa bouche mince et serrée. »


 Il peint avec finesse les duplicités et le cynisme des hommes politiques qui, ne sachant si Bonaparte va être vainqueur ou non, essaie de ménager l’un et l’autre, louvoyant toujours pour tirer leur épingle du jeu. Pas d’idéal mais de la basse politique ! 


La Bataille d'Iéna

Enfin il y a de grandes scènes d’une beauté picturale et marquante : Ainsi la scène où Laurence de Cinq-Cygne part avec le Marquis de Chargeboeuf dans son vieux carrosse brinquebalant et se retrouve prise entre deux feux en avant de l’avant-garde de l’armée française !
La nuit venait, Laurence voyait s’allumer des feux et briller des armes. Le vieux marquis, dont l’intrépidité fut chevaleresque, conduisait lui-même, à côté de son nouveau domestique, deux bons chevaux achetés la vieille. … Tout à coup l’audacieuse calèche, objet d’étonnement de tous les soldats, fut arrêtée par un gendarme de la gendarmerie de l’armée qui vint à bride abattue sur le marquis en lui criant :
- Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Qui demandez-vous?
- L’empereur, dit le marquis  de Chargeboeuf ...


Pourtant même si ce récit est riche et bien écrit, je n’ai pas eu plaisir à le lire car je ne connais que dans les grandes lignes l’Histoire de ces temps troublés. Il faut être un spécialiste déjà averti et avoir des connaissances pointues pour tout comprendre. J'y suis parvenue mais avec difficulté.
De plus, comme pour Les Chouans, je n’aime pas ce Balzac royaliste et ces nobles pleins de mépris et d’arrogance qu’il ne peut s’empêcher de révérer et de peindre en images d'Epinal ! Cette noblesse dont il légitime la morgue et qui cherche à rétablir ses privilèges en trahissant la France, en vendant son pays aux nations étrangères, ne m’emplit pas d’admiration contrairement à lui !
 

mardi 19 septembre 2023

Emile Zola : Pot Bouille

 

Parmi les vingt ouvrages des Rougon Macquart, Pot Bouille (1882) est le dixième. Il est  situé entre Nana (1880) et Au bonheur des dames (1883) qui est la suite de Pot Bouille, roman décrivant la réussite d’Octave Mouret.  

Pot Bouille à l’époque de Zola, désigne péjorativement une cuisine de mauvaise qualité, dans l'acceptation que l’on donne de nos jours au mot tambouille. Et justement c’est cette cuisine-là, au sens figuré, que Zola va nous servir  dans ce livre. 

 


 Octave Mouret

Octave et Marie

Octave Mouret est un des personnages principaux de Pot Bouille. Il arrive à Paris, petit dom Juan de province, bien décidé comme le Rastignac de Balzac à faire fortune par les femmes ! C’est un beau garçon qui a jusqu’alors des conquêtes faciles à son tableau de chasse, grâce à son charme, à ses manières « presque distinguées » de commis de commerce et à sa galanterie envers les dames. Il use et abuse du succès de ses beaux yeux d’or veloutés. Homme à femmes, il professe pourtant, sous ses dehors policés, un mépris profond pour les femmes.

« Il ne savait laquelle choisir, il s’efforçait de garder sa voix tendre, ses gestes câlins. Et, brusquement, accablé, exaspéré, il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu’il avait de la femme, sous son air d’adoration amoureuse. »

Oui, mais le voilà un peu ridicule dans ce roman, rebuté avec un certain mépris par Valérie, l’épouse de Théophile Vabre, fils cadet du propriétaire, ou repoussé paisiblement par Madame Hédouin, la patronne de Au Bonheur des dames chez qui il travaille.

Quant à ses conquêtes, c’est avec une certaine ironie que Zola malmène son personnage ! Certes, celui-ci arrive à ses fins, et vient à bout, sans gloire mais non sans brutalité, de la passivité et de la résignation de Marie Pichon, femme soumise et sans fortune, qu’il engrosse deux fois au grand dam de son mari, petit employé sans le sou, qui pratique l’abstinence  pour éviter d’avoir trop d'enfants ! Et que dire de la tragi-comédie de sa liaison avec Berthe Josserand, épouse d’Auguste Vabre, le fils aîné du propriétaire ? Adultère qui lui coûte cher, il faut faire des cadeaux à la dame, et qui aboutit à un scandale retentissant après maintes péripéties ridicules et cavalcades dénudées dans les escaliers, commentées par tous les habitants de la maison, bourgeois et domestiques compris, et même par tout le quartier ! Mais, on le verra à la fin du roman, la chance va tourner pour lui !

La maison comme personnage


Si Octave Mouret est l’un des personnages principaux de Pot Bouille, on peut dire qu’il passe presque au second plan derrière la maison bourgeoise dans laquelle il va habiter ! C’est ce grand immeuble qui est réellement le centre du roman et en est même LE personnage à part entière.

 Que se cache-t-il derrière cette belle façade qui respire l’opulence, le calme et semble refléter la probité morale de ceux qui l’habitent ?  Elle se révèle vite comme le luxe de l’escalier en faux marbre, un faux-semblant, une apparence !

"Les panneaux de faux marbre, blancs à bordures roses, montaient régulièrement dans la cage ronde; tandis que la rampe de fonte à bois d’acajou, imitait le vieil argent, avec des épanouissements de feuilles dures. Un tapis rouge, retenu par des tringles de cuivre, couvrait les marches »

« Derrière les belles portes d’acajou luisant, il y avait comme des abîmes d’honnêteté. »

A chaque étage de la maison, sont présentées des familles dont le statut social diminue au fur et à mesure que l’on grimpe les étages, les chambres de bonnes occupant le point le plus élevé ainsi que  le galetas d’un ouvrier puis d’une ouvrière, ces derniers faisant tache dans la maison aux yeux des autres occupants. Et à chaque étage, on découvre des moeurs dissolues, des mesquineries, des scandales avilissants couverts par un abbé en soutane, mondain qui chercher à cacher les frasques de cette « bonne société » pour maintenir l’apparence, lui aussi, - et seulement l’apparence - de la supériorité de l’Eglise et de son emprise sur les âmes.

« Un moment l’abbé Mauduit se retrouva seul, au milieu du salon désert. Il regardait, par la porte grande ouverte, l’écrasement des invités; et, vaincu, il souriait, il jetait une fois encore le manteau de la religion sur cette bourgeoise gâtée, en maître de cérémonie qui drapait le chancre, pour retarder la décomposition finale. Il fallait bien sauver l’ Eglise, puisque Dieu n’avait pas répondu à son cri de désespoir et de misère. »

Par la puissance de son style, Zola fait de  cette maison une entité dotée d’une vie propre, soit qu’elle incarne la dignité apparente de la bourgeoise

« Ce matin-là, le réveil de la maison fut d’une grande dignité bourgeoise. Rien, dans l’escalier, ne gardait la trace des scandales de la nuit, ni les faux marbres qui avaient reflété ce galop d’une femme en chemise, ni la moquette d’où s’était évaporée l’odeur de sa nudité. »

« Alors tout s’abîma, la maison tomba à la solennité des ténèbres, comme anéantie dans la distinction et la décence de son sommeil. »


Soit, au contraire qu’elle dévoile sa face cachée, celle de l’arrière-cour, où  les bonnes vomissent des insultes et révèlent les turpitudes cachées des foyers bourgeois :  

« Et du boyau  noir, monta de nouveau la rancune de la domesticité, au milieu de l’empoisonnement fade du dégel. Il y eut un déballage de linge sale de deux années. Ça consolait de n’être pas bourgeois, quand on voyait les maîtres vivre le nez là-dedans, et s’y plaire, puisqu’ils recommençaient. »

Quant à Julie, la bonne qui doit quitter cette maison, elle répond quand on lui demande si elle en est heureuse : 

"Mon Dieu, mademoiselle, celle-ci ou celle-là, toutes les baraques se ressemblent. Au jour d’aujourd’hui, qui a fait l’une a fait l’autre. C’est cochon et compagnie."

Une violente satire de la bourgeoisie sous l' Empire

BD d'Eric et Simon  Stalner : les personnages

Jamais Zola n’a été aussi virulent, aussi critique. C’est toute la société de l’Empire qu’il fustige, l’hypocrisie, le mensonge qui s’érige en bonne conscience, les tromperies, les adultères, les moeurs corrompues, la bigoterie, le feint amour de Dieu pour se concilier les bonnes grâces de l’église, le conservatisme étroit aussi bien dans le domaine de la morale que de la politique, l’amour de l’argent qui achète tout même les consciences, l’égoïsme,  le  mépris des classes sociales humbles, l’exploitation des ouvriers et des bonnes corvéables à merci, mal nourries, mal  payées.
Personne n’échappe à la satire, voire à la caricature, dans cette si belle maison, les bonnes raillent leurs maîtresses en des termes orduriers et couchent avec les maîtres dans leur chambre sordide, gagné par le gel, l’hiver. Le pire est peut-être ce monsieur Gourd, le concierge, ancien domestique monté en grade, qui est le plus acharné dans son mépris de ceux qui sont maintenant en dessous de lui et qui jette à la rue une ouvrière enceinte et prête à accoucher ! Plus tard, quand celle-ci sera accusé du meurtre de son bébé, on sent toute l’indignation de l’écrivain, qui n’a jamais pu supporter l’injustice, envers une société dure aux humbles.
Quant aux parents, ils vendent leurs filles aux plus offrants, une conception du mariage dépravée qui repose sur l’argent, la fortune du jeune homme, la dot de la fiancée. Et encore ne sont-elles pas toutes comme Berthe et Hortense Josserand, filles à marier, éduquées par une mère âpre au gain, orgueilleuse, tyrannique, qui vit au-dessus de ses moyens, préférant  priver de nourriture sa famille pour paraître en société et qui enseigne à ses filles à piéger le mari potentiel en attisant son désir.

« Depuis longtemps leur mère les avait convaincues de la parfaite infériorité des hommes, dont l’unique rôle devait être d’épouser et de payer » «

« Les trois hivers de chasse à l’homme, les garçons de tous poils, au bras desquels on la jetait, les insuccès de cette offre de son corps, sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs de l’innocence spéculant sur les appétits des niais… »

 Une compassion certaine pour les victimes

Cela n’excuse pas mais fait comprendre le malheur de ces petites bourgeoises mal mariées, et qui cherchent en vain le bonheur hors de leur foyer soit dans les biens matériels, soit dans les bras d’un amant. D’ailleurs, Zola a pour ces femmes adultères qui sont aussi des victimes, une compassion qui s’exprime dans la scène où Marie, ayant pitié de Berthe chassée de sa maison par un mari fou furieux, l’accueille chez elle et où elles pleurent dans les bras l’une de l’autre :

«  C’était une lassitude dernière, une tristesse immense, la fin de tout. Elles ne disaient plus mot, leurs larmes ruisselaient, ruisselaient sans fin dans les ténèbres, au milieu du profond sommeil de la maison, pleine  de décence. »

Cette scène  répond à ceux qui reprochent à Zola son pessimisme et sa noirceur, car son amour pour ceux, malheureux, qui subissent la domination des autres est toujours présente dans ce roman. C’est la cas de Monsieur Josserand qui se tue au travail pour sa femme et ses filles mais n’en reçoit que du mépris ! Ou pour monsieur Duveyrier  aimé ni de sa femme ni de sa maîtresse qui le repoussent. C'est aussi le cas, on l'a vu de l'ouvrière enceinte ou encore  de la femme de ménage, misérable et épuisée, que Monsieur Gourd renvoie puis reprend en en profitant pour lui baisser son salaire.

De plus, à travers la réflexion d’Hortense, Zola dénonce aussi la brutalité courante, admise dans les couples :

Elle préfèrerait recevoir des gifles de son mari que de sa mère, car c’était plus naturel.

Il montre, en décrivant l’horrible accouchement d’Adèle, toute seule, dans sa chambre de bonne, combien les femmes sont toujours les victimes et de quelles souffrances elles paient les amusements des hommes. Une scène d'une puissance terrifiante.

 Des scènes de comédie

Mais il y a aussi de véritables scènes de comédie où  Zola décrit le salon de musique de Clotilde Vabre, épouse Duveyrier, faisant exécuter La bénédiction des poignards par ses amis et voisins devant ses invités résignés  :  

Tout de suite, Clotilde monta une gamme, redescendit; puis les yeux au plafond, avec un expression d'effroi , elle jeta le cri :

"Je tremble"

Et la scène s'engagea, employés et propriétaires, le nez sur leurs parties, dans des poses d'écoliers qui ânonnent une page de grec, juraient qu'ils étaient prêts à délivrer la France. Ce début fut une surprise, car les voix s'étouffaient sous le plafond bas, on ne saisissait qu'un bourdonnement, comme un bruit de charrettes chargées de pavés, dont les vitre tremblaient.

Enfin, une dernière remarque  :  un détail qui fait sourire : l’appartement du second étage est occupé par un écrivain (et sa famille) qui ne se mêle jamais aux autres habitants mais dont on sait qu’il a écrit un livre scandaleux sur les désordres cachés des familles bourgeoises dans un grande maison ! Là,  Zola se fait plaisir.

 Un roman très riche !


LC Avec Myriam

vendredi 8 septembre 2023

Henri Troyat : Zola


 

Après avoir vu au festival d'Avignon, cet été, Les Téméraires, une pièce de Charlotte Matzneff, qui réunit Emile Zola et Méliès dans la lutte contre l’antisémitisme et l’injustice à propos de l’affaire Dreyfus, j’ai voulu en savoir plus sur Emile Zola afin de démêler ce qui est historique dans la pièce et ce qui appartient à l’imagination de l’auteur. 

 

Zola, Jeanne et leurs enfants


La biographie d’Emile Zola de Henri Troyat est une oeuvre agréable à lire, qui se lit comme un roman. Les faits marquant de la vie de Zola y sont relatés, sa naissance à Aix-en-Provence, son admiration pour son père, ingénieur, qui meurt lorsque l’écrivain est encore un enfant, laissant la famille dans la gêne, les humiliations subies à l’école en tant que fils d’Italien et son attachement à la France - il doit demander sa naturalisation - son amitié avec Cézanne et plus tard sa brouille, son double foyer, entre sa femme Alexandrine et sa maîtresse Jeanne qui lui donne des enfants qu’il adore, et sa prédilection pour la photographie qui a marqué son oeuvre.
 Et puis son combat pour la justice et contre l’antisémitisme, le célèbre J’accuse, l’exil en Angleterre, les ennemis qui s’acharnent sur lui et sa famille, et sa mort en 1902, empoisonné par le monoxyde de carbone, la nuit, dans son lit, plus tard le transfert de sa dépouille au Panthéon, en 1908, à laquelle assistait Dreyfus. Ce que je ne savais pas, c’est que ce dernier fut blessé au bras à la sortie de la cérémonie par un tir de pistolet, échappant ainsi à une tentative d’assassinat.  

 

Nana


Mais ce qui m’a le plus intéressée dans cette biographie c’est la manière dont il a été traité en France, la haine qui a déferlé sur lui alors qu’il était reconnu partout comme un grand écrivain et reçut à l’étranger avec tous les honneurs, en particulier en Italie, bien sûr. Ce qui ne l’a pas empêché, d'ailleurs, d’obtenir en France un vif succès de lecture auprès du public, ses chiffres de vente le prouvent, et une notoriété grandissante malgré les inimitiés.
En effet, ces ouvrages suscitent la plupart du temps l'indignation et sont enveloppés d'une aura de scandale. Avec Nana, par exemple, on lui reproche d’attenter aux bonnes moeurs et les critiques sont d’une bassesse affligeante, n’épargnant pas sa vie intime, certains de ses faux « amis »,  dont Edmont Goncourt, se servant de ses confidences pour le traîner dans la boue et l’accuser d’obsessions sexuelles, d’obscénité, de pornographie. Ainsi, on reproche à cet homme chaste d’assouvir ses fantasmes sexuels par procuration dans ses écrits mais plus tard, alors que sa relation avec Jeanne est connue, on le traitera de vieillard lubrique.

« Le marquis de Sade dans ses œuvres immondes… croyait, à ce qu’on assure, entreprendre un oeuvre morale. Cette manie le fit enfermer à Charenton. La manie de Zola n’est pas aussi aiguë, et, de nos jours, on laisse souvent la pudeur se venger seule. Mais Nana, comme Justine, relève de la pathologie. C’est l’éréthisme commençant d’un cerveau ambitieux et impuissant qui s’affole de visions sensuelles. » ( Louis Ulbach , écrivain )

Heureusement, Flaubert s’écrie :  «  Un livre énorme, mon bon ! » et « Nana tourne au mythe sans cesser d’être réelle! »

 

La débâcle

La débâcle où il raconte et analyse la défaite de Sedan suscite un tollé sans pareil. Que n'avait-il pas fait ? Critiquer l'armée française, parler d'une défaite française ! Les milieux monarchiques, catholiques, nationalistes, militaristes, lui reprochent d’avoir avili l’armée et outragé l’honneur français, d’avoir chercher à saper le moral des français. 

« La débâcle est un cauchemar, un honteux cauchemar, aussi malsain  qu’antipatriotique. » (L’abbé Théodore Delamont )

"Zola devine, écrit Henri Troyat, qu’une coalition de militaires effrénés, défenseurs du drapeau, d’ecclésiastiques étroits, partisans de l’ordre public à tout prix, et d’ennemis de la liberté de parole se forme insidieusement pour lui barrer la route. On ne lui reproche plus la violence de ses livres mais leur signification politique. Tous ces gens se proclament plus français que lui. Jusqu’où iront-ils dans leur haine de la vérité ? » 

 

Le capitaine Deyfus

 


C’est avec sa prise de position dans l’affaire Dreyfus que la haine est à son comble.  Dans un article du Figaro, Zola écrit en décembre 1897 quand il acquiert la certitude de l’innocence de Dreyfus :

« Ce poison c’est la haine enragée des juifs, qu’on verse au peuple chaque matin, depuis des années. Il sont un bande à faire ce métier d’empoisonneurs, et le plus beau, c’est qu’ils le font au nom de la morale, au nom du Christ, en vengeurs et en justiciers. »

Au Sénat, des cris de haine retentissent : « Pot-Bouille ! Zola la Honte ! Zola l’Italien ! » 7 décembre 1897

« A l’heure actuelle Zola est le plus roublard de la littérature, il dégote les juifs… »  (Goncourt journal)

Et c’qui eut été plus épatant/ C’est que le père Zola la Mouquette/ N’eût pas foutu son nez dedans/ Pour en tirer un brin d’galette ! (Les chansonniers)

Dans les rues on crie : "A Mort Zola !".  On insulte le  "Signor Emilio Zola",  "Zola la Débâcle"  "Zola souteneur de Nana" …

Jeanne et ses enfants reçoivent des menaces de mort. Zola les fait déménager.

Dans la nuit du 11 au 12 janvier 1898 dans l’Aurore, gazette de Clémenceau, paraît J’accuse ! adressée au président de la République Félix Faure. En voici la conclusion que je cite ici juste pour le plaisir de la relire :


Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.


J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.

J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.

J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.

En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.

Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.

Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !

J’attends.

 Ce n’est pas sans raison que la mort de Zola est restée suspecte. On a retrouvé des gravats dans sa cheminée, qui ont bouché le conduit empêchant une évacuation normale, ce qui a entraîné la mort de l’écrivain. Alexandrine, sa femme n’en a réchappé que de justesse.

Pendant de longues années, Emile Zola a donc déchaîné les passions tant pour son oeuvre que pour ces idées et ces combats.  Ce qui ne l’a pas empêché de présenter sa candidature à l’Académie française et il le fera 25 fois !  Il était bien évident qu’étant donné ses idées il ne pourrait jamais l’être ! Mais peut-être s’obstine-t-il pour démontrer par l’exemple le crédit que l’on peut accorder à cette institution quand on voit tous les inconnus qui lui ont été préférés … et tous ceux aussi qui ont été refusés : Baudelaire, Stendhal, Maupassant, Dumas, Verlaine, Proust, Hugo à quatre reprises, Balzac à deux reprises ! …  Mais cela c'est moi qui l'ajoute,  et là, n’est pas le sujet !

 

Alexandrine Zola

Je ne saurai pas si les Zola ont été vraiment victimes d'un attentat à la bombe qui a arraché la porte de leur maison au moment de l'Affaire comme il est dit dans la pièce de théâtre. Ce qui m’a aussi manqué dans cet ouvrage - car j’aurais voulu en savoir plus sur elle -, c’est le rôle qu’Alexandrine a joué pour soutenir l'oeuvre et défendre le combat d'Emile. La pièce de théâtre en fait une femme admirable qui aide et soutient son mari. Cette biographie ne lui accorde qu’une place secondaire, tout en lui reconnaissant une certaine grandeur d’âme pourtant, quand, après la mort de son époux, elle fait reconnaître les enfants de Zola qui pourront désormais porter son nom. Sinon, en dehors de nous répéter qu’elle était laide et avait de la moustache, (celle dont Edmont Goncourt vantait les beaux yeux noirs), Troyat n’a pas grand chose à dire sur elle comme si une femme ne pouvait être jugée que par son  physique. Encore patriarcal, le papa Troyat en 1992 ! Il existe une livre sur madame Zola et un autre écrit par sa fille Denise. Ce qui doit être une manière  de compléter cette biographie.

lundi 4 septembre 2023

André Maurois : Olympio ou la vie de Victor Hugo



Depuis la dernière biographie que j’ai lue de Victor Hugo où l’auteur Henri Gourdin avait une si violente horreur du poète ( non du poète mais de l’Homme) qu’il voulait le voir « dépanthéoniser », j’ai eu envie de lire une autre biographie moins partisane car cette lecture m'était restée un peu en travers de la gorge!

« Victor au Panthéon, est-ce irréversible?
Sachant ce qu’il saura à la fin de ce livre, le lecteur pourra se demander si le vécu de Victor Hugo justifie de le montrer en exemple aux générations montantes… » Les Hugo Henri Gourdin Ici

Et c’est chose faite avec Olympio ou la vie de Victor Hugo d’André Maurois qui d'ailleurs n'est pas réellement une réponse à Henri Gourdin (2016) puisqu'elle est antérieure (1954). 

Pourquoi Olympio ? Le biographe fait allusion au poème de Victor Hugo La tristesse d’Olympio dans le recueil Les Rayons et les Ombres

Les critiques  n'ont pas été tendres envers le poète : «  Il est fâcheux que le nom d’Olympio soit un nom absolument impossible; mais l’intention de M. Hugo, en créant ce barbarisme est assez manifeste. Il est évident que, dans sa pensée, l’idée de lui-même s’associe à l’idée du Jupiter Olympien… Comme il eut été de mauvais goût de dire : je suis le premier homme de mon temps, Monsieur Hugo se met sur un trône et s’appelle Olympio  Tel est  l'article du fielleux Gustave Planche dans La Revue des deux mondes, qui dénie même à Hugo tout talent de poète, ne lui concédant que le titre d'habile faiseur de vers. Et André Maurois de commenter : « La haine aveugle le goût ». 

 Je précise que l’intérêt de la biographie d’André Maurois est bien évidemment , dans la présentation des oeuvres, leur genèse, leur parution et l’analyse qu’il en fait. J’ai aimé aussi la façon dont il fait revivre la vie littéraire et sociale dans le Paris de cette époque avec tous les personnages célèbres qui l’ont peuplé et que nous retrouvons avec plaisir.

Mais je vais dans ce billet m’intéresser en particulier à ce qui constitue une sorte de réponse avant la lettre à H. Gourdin, c’est à dire à la vie et aux idées de Victor Hugo, bref! à Hugo, l'homme.

Celui-ci en tant qu’homme, a bien des choses à se reprocher et Maurois n’occulte pas les côtés sombres du personnage. Et d’abord la tyrannie qu’il a exercée sur sa famille et ses enfants, les contraignant à l’exil avec lui sans leur laisser le choix, les tenant sous sa dépendance à la fois financière et patriarcale. Et pas seulement sur sa famille mais sur Juliette Drouet qui a vécu une vie de recluse pour obéir au Grand Homme. Et que dire de toutes ses autres maîtresses, les servantes qui couchaient près de sa chambre pour satisfaire le maître jusque dans la maison de son épouse, ou les jeunes danseuses qui satisfaisaient sa libido de vieillard le posant même en rival triomphant de son fils ! Dire que la plupart des hommes agissaient ainsi à l’époque ne le justifient en rien. Dire que sa femme Adèle Fouchet avait un amant, Sainte Beuve, non plus !  Hugo, nous dit Maurois, était un homme dominé par une forte sensualité que d'ailleurs il condamnait très imprégné de morale chrétienne mais trop faible pour résister mais ce n'était pas un homme méchant. Il n'aimait pas faire souffrir, il s'enfonçait alors dans le mensonge et faisait des promesses qu'il ne pouvait pas tenir. Il a cependant toujours assumé sa responsabilité, en particulier envers Juliette,  et a élevé la fille de celle-ci comme sa propre enfant.

Enfin, mais Maurois n'en parle pas, il est aussi le seul à avoir réclamé l'égalité en droit des femmes et des hommes.

Car le vieux monde du passé trouve la femme bonne pour les responsabilités civiles, commerciales, pénales, il trouve la femme bonne pour la prison, pour Clichy, pour le bagne, pour le cachot, pour l’échafaud ; nous, nous trouvons la femme bonne pour la dignité et pour la liberté ; il trouve la femme bonne pour l’esclavage et pour la mort, nous la trouvons bonne pour la vie ; il admet la femme comme personne publique pour la souffrance et pour la peine, nous l’admettons comme personne publique pour le droit.

 



 On lui fait grief aussi de son ambition, de son orgueil, de sa soif des grandeurs, vouloir être pair de France alors qu’il se dit près du peuple, vouloir être académicien à tout prix !   Il s'y présente quatre fois ! Et c'est vrai, Victor Hugo avait une haute opinion de lui-même ou  comme on le dit en pays lozérien : "Il ne se prenait pas pour la queue d'une cerise !". ( Aparté : J'adore cette expression.)

 Mais en même temps, on peut dire qu'il n'avait pas tort ! D'une intelligence supérieure, doté d'une mémoire phénoménale, son érudition n'avait pas de limites et ses talents, non plus. S'il n'avait pas été  un grand poète, romancier ou dramaturge, il aurait pu être peintre comme en témoigne ses oeuvres ou mathématicien ( il aimait les mathématiques et les jugeait indispensable pour la formation de l'esprit) ou encore helléniste, langue où il excellait. Mais, il n'était pas méprisant et, si l'on en juge par ses lettres, il était cordial envers ses collègues et portait souvent des jugements positifs sur ce qu'ils écrivaient.

 


Autre reproche, celui d’avoir changé de bord, d’abord royaliste, admirateur de Napoléon 1er, puis républicain. Or, André Maurois explique que Hugo ne s’est pas renié, n’a pas trahi ses idées mais a évolué en fonction de son âge, de la maturité acquise. Royaliste, il l’avait été dès son jeune âge sous l’influence de sa mère, bretonne et du parti chouan. Les récits de son père, officier de Napoléon, élevé à la noblesse en Espagne, ont nourri la légende de l’empereur. Mais sa conscience et sa soif de justice le portaient vers la défense des humbles et la lutte contre la misère. André Maurois montre que le budget de Hugo à Guernesey, alors qu’on lui a fait une réputation d’avarice, comportait un tiers de dépenses pour l’aide aux nécessiteux et, en particulier aux enfants. D’ailleurs, s’il a d’abord bien accueilli Bonaparte, futur Napoléon III, avant le coup d’état, c’est que celui-ci avait écrit un livre : « L’extinction du paupérisme » que Hugo crut sincère. Son refus du coup d’état et son exil font de lui un républicain et là on peut admirer son courage, sa constance dans la résistance à Napoléon le Petit et sa fidélité à ses idées. 

Plus tard, il a même accueilli dans sa maison, en Belgique, les proscrits communards pour les soustraire aux exécutions sommaires et à la répression sanglante exercée par les Versaillais, alors qu’il n’approuvait pas la violence des deux côtés. Mais il défend le droit à la justice pour tous car tout accusé a droit à un procès. 

« Toute cause perdue est un procès à instruire. Je pensais cela. Examinons avant de juger, et surtout avant de condamner, et surtout avant d’exécuter. Je ne croyais pas ce principe douteux. Il paraît que tuer tout de suite vaut mieux… » (Lettre à cinq représentants du peuple belge) 

Il ne faut pas oublier aussi ses autres titres de gloire, sa lutte contre la peine de mort, 

" Qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. Ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le 18° siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le 19° abolira certainement la peine de mort." Discours à l’assemblée 

 ... son désir d’une création des Etats-Unis d’Europe pour résoudre les conflits pacifiquement.

" Et on entendra la France crier : «  c’est mon tour ! Allemagne me voilà ! Suis-je ton ennemie ? Non, je suis ta soeur. J’ai tout repris et je te rends tout, à une condition : c’est que nous ne ferons plus qu’un seul peuple, qu’une seule famille, qu’une seule République » (Discours sur la guerre Assemblée nationale 1871)

Quoi ? Rester fraternel, c’est être chimérique ! 

Rêver l’Europe libre autant que l’ Amérique 

Réclamer l’équité, l’examen, la raison, 

  C’est faire du nuage et du vent sa maison !(L’Année terrible) 

 

Le peuple ne s’y est pas trompé et le respect, les honneurs qu’il lui a prodigués le prouvent bien. 

Enfin,  et c'est peut-être par là que j'aurais dû commencer, il me semble que l'on doit juger un écrivain sur ce qu'il écrit, sur ses idées, sur la valeur et l'intérêt de son oeuvre et non sur sa vie privée !  Alors, au diable la  "dépanthéonisation"  !

 

 

Ceci est le deuxième livre lu pour le challenge Les épais de l'été initié par Taloiduciné chez Dasola. Il remplace le challenge de Brize que celle-ci a souhaité arrêter après 11 années. Du 21 Juin au 29 Septembre. édition Hachette 600 pages



mercredi 31 mai 2023

Honoré de Balzac : La Rabouilleuse

 

Flore Brazier est la Rabouilleuse. Elle donne son son nom au titre. C’est une pauvre fille de la campagne qui est la proie d’un riche et vicieux vieillard, le docteur Rouget.  Elle passe ensuite entre les mains du fils de ce dernier, Jean-Jacques Rouget, après sa mort et devient sa maîtresse. Par l’ascendant qu’elle exerce sur le vieux garçon, elle devient un danger pour l’héritage de ses neveux. 

Je rabouille pour mon oncle Brazier que voilà.
Rabouiller est un mot berrichon qui peint admirablement ce qu’il veut exprimer : l’action de troubler l’eau d’un ruisseau en la faisant bouillonner à l’aide d’une grosse branche d’arbre dont les rameaux sont disposés en forme de raquette. Les écrevisses effrayées par cette opération, dont le sens leur échappe, remontent précipitamment le cours d’eau, et dans leur trouble se jettent au milieu des engins que le pêcheur a placés à une distance convenable. Flore Brazier tenait à la main son rabouilleur avec la grâce naturelle de l’innocence.

Les personnages principaux


Mais Flore Brazier n’apparaît que tard dans le roman et n’en est pas le personnage principal. Nous ne la découvrons que tardivement par le biais d'Agathe Rouget, déshéritée par son père, qui cherche a récupérer son héritage.

 Mariée à Bridau, Agathe reste veuve avec deux fils Philippe et Joseph. C'est une femme bonne, généreuse, mais naïve, peu cultivée et peu intelligente. Son plus jeune fils, Joseph Bridau, est le fameux peintre, (Delacroix a, semble-t-il, servi de modèle à Balzac), que l’on retrouve comme personnage récurrent de la Comédie Humaine. Artiste désintéressé, dévoué, généreux, aimant, mais laid et malingre, Joseph a du talent mais ne flatte pas la vanité de sa mère, insensible à l’art, et qui lui préfère son frère Philippe. Celui-ci, beau, ardent militaire, s’illustre à la guerre mais n’est bon à rien d’autre. Il refuse de servir les Bourbons dans l’armée pour ne pas être traître à Napoléon. Rendu à la vie civile par la force des choses, il révèle un égoïsme total et n’aime que lui-même. Il est violent, boit, joue, et, dépensier, il se lance dans une vie de débauche, se couvrant de dettes que sa mère doit rembourser en entamant son capital déjà modeste et en s’appauvrissant.

L’Histoire

Le récit est d’abord une réflexion sur l’Histoire du pays. Il s’étale sur une large période puis qu’il commence en 1792 dans la ville d’Issoudun, couvre le Directoire, l’Empire et la Restauration jusqu’en 1830.
Il est intéressant d’un point de vue historique de voir comment Balzac considère les bonapartistes. Lui qui est légitimiste et anti-libéral éprouve cependant un certain respect pour leur capacité de combattant, leur courage sur le champ de bataille, leur sens de l’honneur : ils ne reculent pas devant un duel s’ils se sentent offensés et ils refusent de servir les Bourbons considérant cela comme une traîtrise. Mais son admiration ne va pas plus loin ! Les anciens bonapartistes sont tous des désœuvrés, incapables de s’adapter à la vie sociale, et qui n’apportent rien à leur pays. Il en est ainsi de Philippe Bridau mais aussi de Max Gilet, Grand-Maître des Chevaliers de la Désoeuvrance, association qui réunit tous les jeunes bonapartistes d’Issoudun pour faire les quatre cents coups !

Rien ne peut sauver Issoudun du marasme économique et moral, du point de vue de Balzac, puisque la ville se partage entre les bonapartistes, (trop) nombreux, et la bourgeoise libérale qui entretient l’immobilisme par manque d'initiative et de grandeur de vue. Et oui, n’y a presque plus de nobles à Issoudun, déplore Balzac..

L’état dans lequel le triomphe de la bourgeoise a mis ce chef-lieu d’arrondissement est celui qui attend toute la France et même Paris, si la bourgeoisie continue à rester maîtresse de la politique extérieure et intérieure de notre pays.

Une réflexion sur l’éducation

Agathe Bridau aime ses enfants mais elle est incapable de les éduquer. Elle adule son fils Philippe, ne sévit jamais mais, au contraire, est d’une indulgence coupable envers lui, cherchant toujours à l’excuser, s’aveuglant pour ne pas voir ses défauts et n’ayant même pas conscience de son injustice envers Joseph. Si les défauts de Philippe se sont accentués, c'est donc la faute de sa mère.
Balzac affirme qu’il ne ressort rien de bon de l’éducation donnée par une mère à ses fils. Seul, le père est capable à la fois d’autorité et de justice. Pourtant le père Goriot a prouvé que non !

Le pessimisme de Balzac

Ce roman est l'un des plus sombres de la Comédie Humaine. Tous les personnages de ce livre sont régis par l’intérêt, l’amour de l’argent, au mépris de toute morale et tout sentiment à l'exception d'Agathe Bridau et de son fils Joseph.

La Rabouilleuse, petite paysanne, et les filles de l’opéra que fréquente Philippe sont bien sûr les premières à agir par intérêt. Mais Balzac semble avoir plus d’indulgence envers elles parce qu’elles connaissent la misère et la faim. La conscience s'efface quand on vit dans le dénuement et l'ignorance.

La vertu, socialement parlant, est la compagne du bien-être, et commence à l'instruction.

Mais toute la société bien pensante, bien éduquée, est fondée sur l'amour de l'argent et ne tourne qu'autour de lui :  la querelle entre Max et Philippe est sordide, orchestrée par la ville. La figure de l'avare s'invite à plusieurs reprises dans le roman à travers le vieux docteur Rouget, à travers aussi Monsieur Hochon, - madame Hochon est la marraine d'Agathe -. Même la Descoings, tante d'Agathe, pas vraiment avare, est obsédée sa vie durant par le désir de gagner à la loterie, ce fameux terne qui sera cause de sa fin ! La scène de la loterie présente d'ailleurs un aspect fantastique, le résultat du jeu, le terne apparaissant lorsqu'il a été impossible de le jouer,  introduit la Fatalité, invitant la Mort dans la maison.

 Le pessimisme de Balzac s'y affiche quant à l’être humain et la justice dans la société.  En effet, La Rabouilleuse présente un dénouement noir, amer.

Ainsi, quand Philippe Rouget reste fidèle à ses idées et à son amour pour Napoléon, il n’a aucune visibilité. Compromis dans une conspiration, il est même jeté en prison. Mais quand, rejetant tout honneur, tout sens moral et toute humanité, il se rallie aux Bourbons, il gagne à la fois l’héritage des Rouget, les honneurs avec un titre de comte, et le pouvoir.
Philippe triomphe, non parce qu’il est le plus méritant, mais parce qu’il est le plus cupide, le plus brutal et le plus cynique. Il spolie son frère et laisse sa mère mourir dans la pauvreté sans lui venir en aide et sans chercher à la revoir, rejoignant ainsi les enfants indignes de la Comédie Humaine.

Un grand Balzac !
 

Voir Maggie initiatrice de cette LC 

et Miriam  

Nathalie ICI

Keisha ICI

dimanche 26 mars 2023

Honoré de Balzac : Autre étude de femme

 

Dans Autre étude de femme, l'écrivain réunit autour d'une table ses personnages préférés chez la marquise d'Espard : le ministre Henri de Marsay, Emile Blondet, le docteur Bianchon, la princesse de Carignan, Delphine de Nucingen, son mari le banquier Nucingen, le marquis de Vandenesse, le général de Montriveau...

La haute noblesse, donc  : le gouvernement, la banque, l'armée ...  Tiens, il ne manque que le curé ! L'église, la quatrième assise du pouvoir !

La conversation entre personnes du beau monde, tourne autour du thème de la femme et de l'amour et sert de prétexte à Balzac pour insérer des textes écrits en 1831 et entre 1838 et 1842 dans le tome II des Scènes de la vie privée de La Comédie humaine.


Comte Henri de Marsay

Le texte écrit en 1831 est le récit du comte Henri de Marsay, devenu ministre, qui raconte son premier amour. Il a dix sept ans, il est amoureux d'une jeune veuve de six ans son aînée, et l'aime avec l'idéalisme et la fougue de la jeunesse. Mais la trahison de son amante qui projette de se marier avec un duc et voit ce dernier en secret, lui suggère une vengeance subtile qui le laisse apparemment triomphant. Cependant, cette expérience cruelle lui fait perdre sa foi en l'amour d'une femme et fait de lui un être froid, à jamais incapable de passion.

Quant à mon esprit et mon coeur, ils se sont formés là pour toujours, et l'empire qu'alors j'ai su conquérir sur les mouvements irréfléchis qui nous font faire tant de sottises, m'a donné ce beau sang-froid que vous connaissez.

Le dénouement de cette nouvelle rejeté à la fin du recueil et raconté par le docteur Bianchon clôt le recueil. Celui-ci assiste en tant que médecin à la mort de cette femme devenue duchesse, victime d'une grave maladie, et rapporte le mot sublime de la mourante à son mari, preuve qu'elle était capable d'aimer vraiment.

"Mon pauvre ami, qui donc maintenant te comprendra ? Puis elle mourut en le regardant."

 

La duchesse de Langeais, un femme comme il faut ?

 

Que la femme française s'appelle Femme comme il faut ou grande dame, elle sera toujours la femme par excellence.

Les textes suivant sont des considérations sur la femme de la noblesse. Ceci pour regretter que la grande dame de l'Ancien Régime dont le mari bénéficiait d'une richesse sans limite ait disparu. Regret que le code Napoléon en ne privilégiant pas le droit d'aînesse ait dissous ces formidables richesses en obligeant le partage entre les héritiers. De ce fait, la grande dame n'est plus ! Elle a donné naissance à la femme comme il faut, femme du monde au goût exquis, mais qui n'a plus le luxe dispendieux, la grandeur, la folie, la démesure et aussi l'érudition des femmes d'autrefois. Regret de la voir concurrencer par la bourgeoise, issue cette classe montante de nouveaux riches qui ne lui arrive pas à la cheville et encore plus par la femme comme il n'en faut pas ! Heureusement, les femmes de cette assemblée  finissent par se révolter  :

"Sommes-nous donc aussi diminuées que ces messieurs le pensent ? dit la princesse de Cadignan en adressant aux femmes un sourire à la fois douteur et moqueur.

Il était temps !

Au cours de cette soirée, chacun y va de son lamento et déplore la perte du cher passé induite par la révolution. On a envie de leur dire, à tous ces nobles méprisants, arrogants, frivoles et futiles, encore immensément privilégiés malgré leurs doléances et leurs soupirs, que, et oui ! La révolution est bien heureusement passée par là et a donné de grands coups de pieds dans le jeu de quilles ! Bon d'accord, comme d'habitude, ce sont d'autres qui ont pris leur place, qui ne sont pas meilleurs, et cela n'a pas rétabli l'égalité ni permis de  lutter contre le paupérisme. Personnellement  j'ai trouvé assez ennuyeux toutes ces considérations mais je reconnais qu'elles ont un intérêt historique pour connaître la mentalité de la noblesse. Et dire que Balzac, le conservateur, est en admiration devant ces gens-là ! 

 

Le général Armand de Montriveau
 

Enfin vient un bref récit fascinant, très ramassé, au dénouement glaçant, qui, a mon avis, est le plus fort du recueil. Le général de Montriveau raconte comment, après le passage de la Bérézina, pendant la campagne de 1812, cherchant un abri pour la nuit, il est chassé de maison en maison par les soldats de l'armée en déroute qui n'obéissent plus à aucune discipline, ni même à des règles de solidarité. Le général finit par être accueilli dans une ferme délabrée où le feu qui brûle dans la cheminée et la nourriture redonnent un semblant d'humanité aux hommes qui sont là. Parmi eux, un femme, Rosina et son mari, un capitaine, italiens tous deux. Rosina est manifestement la maîtresse d'un colonel qui lui ordonne de venir la rejoindre dans son lit, devant le mari. Ce qui fait rire Montriveau et le reste de la compagnie et blesse l'amour propre de l'Italien. Le lendemain, la vengeance de l'homme humilié sera horrible. Je vous la laisse découvrir !

Il n'y a rien de plus terrible que la révolte d'un mouton, dit de Masay.

Ne serait-ce que pour ce dernier récit (mais lire aussi L'Adieu sur la même période historique ) il ne faut pas rater Autre étude de femme !

LC initiée par Maggie : ICI  avec   Miriam Ici

PS : D'après Maggie, il manque une nouvelle dans le recueil de Kindle. Et d'après Wikipédia ce serait la nouvelle intitulée La grande Bretèche déjà parue dans les Contes bruns. 



dimanche 19 février 2023

Honoré de Balzac : La recherche de l'Absolu

 

La Recherche de l’absolu d’Honoré de Balzac, est paru d’abord en 1834 dans les Études de mœurs, Scènes de la vie privée. Après avoir été remanié et republié, il est classé dans sa troisième version, en 1845,  dans Les Etudes philosophiques de La Comédie humaine.

Balthazar Van-Claes-Molina, comte de Nourho, appartient à une vieille famille noble de Flandres, installée dans la ville de Douai. Les Claes sont immensément riches jusqu’au jour ou Balthazar Claes se lance dans la recherche de l’Absolu c'est à dire de l'unité de la matière et pour cela provoque la ruine de sa famille. C’est en vain que sa femme Joséphine essaie de le ramener à la raison. Ni elle, ni ses enfants ne comptent plus aux yeux du savant qui se perd dans sa quête. Joséphine en mourra. C’est sa fille Marguerite qui prendra les rênes de la maison et cherchera à protéger ses petits frères et soeur de la folie de leur père.


Gerard Ter Bor : un intérieur flamand

Dire que La recherche de l’absolu de Balzac m’a ennuyée n’est pas peu dire  ! Qu’Honoré me  le pardonne, mais il m’en a fallu  du temps pour que je commence à m’intéresser à ce roman !

J’ai trouvé qu’il y avait d’abord beaucoup de remplissage : En particulier, lorsque l’écrivain commence par rappeler l’importance de la description des lieux dans un roman. D’habitude, Balzac ne se sent pas obligé de nous l’expliquer !  Il le fait et même fort bien  !  Effectivement, dans le roman Balzacien le milieu où vit le personnage, l’architecture, le climat, conditionnent le caractère et le mode de vie qui en découlent. Ils sont si étroitement liés qu’il y a interaction entre les deux.

De part et d’autre tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet comme chaque effet permet de remonter à une cause.

Avec ce début, La recherche de l’Absolu n’est plus un roman mais un manifeste littéraire ! Balzac aurait pu faire confiance en son lecteur et le considérer comme assez intelligent pour comprendre ce principe. Effectivement, il décrit longuement le pays, la Flandres, et précise comment les gens qui y vivent sont en adéquation avec les lieux qui déterminent leurs actes, leurs habitudes, leurs goûts.

Le caractère flamand est dans ces deux mots, patience et conscience, qui semblent exclure les riches nuances de la poésie et rendre les moeurs de ce pays aussi plates que le sont les larges plaines, aussi froides que l’est son ciel brumeux; mais il n’en est rien.

Après avoir montré que l’occupation  de son sol par des puissances étrangères  et le  commerce avec de lointains  pays, la Chine, le Japon,  avaient modifié le caractère initial, Balzac conclut  :

Après s’être assimilé par la constante économie de sa conduite, les richesses et les idées de ses maîtres, ce pays, si nativement terne et dépourvu de poésie, se composa une vie originale et des moeurs caractéristiques, sans paraître entaché de servilité. L’art y dépouilla toute idéalité pour reproduire uniquement la Forme. Aussi ne demandez à cette patrie de la poésie plastique, ni la verve de la comédie, ni l’action dramatique, ni les jets hardis de l’épopée ou de l’ode, ni le génie musical; mais elle est fertile en découvertes, en discussions doctorales qui veulent et le temps et la lampe. Tout y est frappé au coin de jouissance temporelle.

Viennent ensuite les personnages.  Joséphine Claes née Temninck, noble espagnole, que Balzac trouve admirable parce qu’elle est inconditionnellement dévouée à Balthazar. C’est une femme douce, soumise, qui éprouve un amour absolu (lui aussi) pour son mari. Cet angélisme de la femme et plus encore les déclarations de l’écrivain m’ont insupportée :


Le charme le plus grand d’une femme consiste dans un appel constant à la générosité de l’homme, dans une gracieuse déclaration de faiblesse par lequel elle l’énorgueillit, et réveille en lui les plus magnifiques sentiments.

Le conservatisme de Balzac, ses idées réactionnaires m’irritent souvent ! La femme idéale est pour lui celle qui admire son mari, se dévoue à lui au détriment de sa propre vie et  surtout, ne le remet pas en cause. Et de plus, il ne faut pas risquer d'ébranler la toute puissance paternelle, même indigne, qui est le fondement de cette société patriarcale et hiérarchisée. Voilà qui est confortable pour les hommes !  Pourtant, nous sommes à l’époque de George Sand qui, lorsqu’elle parvient à se séparer de son parasite ( son mari qui vit à ses crochets et a autorité sur elle et sur sa fortune) s’écrie : "Enfin, libre !"  ! Et à quelques années d'Olympe de Gouges, morte sur l'échafaud en 1793,  qui l'a précédée dans sa défense des femmes !

Quant à Balthazar Claës, qui ruine sa famille, devient indifférent à sa femme et ses enfants au nom de la Science, par culte de la Chimie, je sais bien que Balzac nous le peint comme un homme d'une vaste intelligence ! Or, doit-on tout pardonner aux hommes supérieurs ? C’est la question que pose le roman et à laquelle l’écrivain répond affirmativement. Mais je n’adhère pas à cette pensée qui affirme que le génie excuse tout. D’autant plus que, ici, cet homme génial ne prouve rien ni le Eurêka de la fin qui n’est peut-être qu’une autre de ses chimères. Au nom du Génie ( de l'homme), que d'horreurs la société a-t-elle couvertes ?  Voilà encore une autre idée balzacienne qui me dérange !

Heureusement, la fille aînée Marguerite Claes a du caractère et après la mort de sa mère elle va, tout en ménageant son père, s’occuper de ses frères et soeur, Gabriel, Jean et Félicie, et les protéger d’un père pareil ! C’est à partir du moment où elle entre en scène, si je puis dire, que le livre m’a paru plus intéressant et que je l'ai lu plus volontiers.

Mais qu’est ce que cette recherche ? C’est un officier polonais Adam de Wierzchownia qui transmet à Claes cette soif de l’Absolu.  Il lui confie le secret de ses expériences dans le but de transformer les corps composés en corps simples et par là de découvrir le principe de la vie. Bien sûr, cette recherche revient à s’identifier à Dieu et c’est ce que reproche Joséphine Claes à son mari, elle qui est très croyante. C’est une question philosophique intéressante mais que Balzac ne développe pas.


L’existence de L’Absolu" c’est la substance (matière première) commune à la matière organique et inorganique, dont les modifications, sous l'effet d'une force unique (le moyen), produisent les formes diversifiées de la matière qui seules nous sont connues (le résultat).  
Là vous rencontrerez le mystérieux Ternaire devant lequel s’est, de tout temps, agenouillée l’humanité : la matière première , le moyen, le résultat."

Dans ce roman, l’écrivain est en perpétuelle contradiction :  d’une part, il prend le parti de s’appuyer sur la science et il précise que son personnage est un savant. D’autre part, il subordonne la recherche de Balthazar  à un désir de créer de l’or et des diamants non pour lui-même, il est vrai, mais pour ses enfants et il en fait un Alchimiste. Il y a quelque chose de surnaturel dans ce savant fou, hanté par une idée fixe mais au moment où Balzac flirte avec le fantastique, il prend soin de s’en démarquer. Ainsi, l'écrivain dresse l’inventaire des richesses entassées dans la maison de Douai, il nous explique des textes de loi qui permettront aux enfants de se libérer de la tutelle de leur père. Il donne les chiffres précis (en millions) des fortunes dilapidées par le savant. Nous sommes en plein réalisme. Puis il décrit comment Joséphine Claes et sa fille reconstituent ces fortunes à plusieurs reprises en quelques années, ce qui est impossible. L’invraisemblance ne serait pas grave si le roman avait joué sur le fantastique mais ce n’est pas le cas. Cette hésitation entre l'un et l'autre ne me paraît pas réussie. Et finalement l’écrivain joue sur les deux tableaux sans être vraiment convaincant ni dans l’un ni dans l’autre. Au moins dans La peau de chagrin, il avait su choisir !

Il en résulte un roman que j’ai trouvé ennuyeux et qui en plus m’a irritée. J’ai vu qu’il avait été mal accueilli par le public et la critique en son temps. Mais j’ai noté que ceux qui l’apprécient le considèrent comme l’un des plus grands romans de Balzac. Tout ou rien ?