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dimanche 8 décembre 2019

La Citation du dimanche : Montaigne, La vieillesse nous attache plus de rides en esprit...




Que pense Montaigne de "la sagesse" des vieillards ?


Mais il me semble qu'en la vieillesse, nos ames sont subjectes à des maladies et imperfections plus importunes, qu'en la jeunesse : Je le disois estant jeune, lors on me donnoit de mon menton par le nez : je le dis encore à cette heure, que mon poil gris m'en donne le credit :
Nous appellons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes : mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices, comme (que) nous les changeons : et, à mon opinion, en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve plus d'envie, d'injustice et de malignité.

La vieillesse nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage : et ne se void point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi. (...) Quelles Metamorphoses luy voy−je faire tous les jours, en plusieurs de mes cognoissans ? C'est une puissante maladie, et qui se coule naturellement et imperceptiblement : il y faut grande provision d'estude, et grande precaution, pour eviter les imperfections qu'elle nous charge : ou au moins affoiblir leur progrez.
Je sens que nonobstant tous mes retranchemens, elle gaigne pied à pied sur moy : Je soustien tant que je puis, mais je ne sçay en fin, où elle me menera moy−mesme : A toutes avantures, je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé.      Essai III chapitre 2

Oui, je sais ! Pour vous souhaiter un bon dimanche, suivant l'âge que vous avez, il y a mieux ! Et vous risquez de me quitter le coeur sombre ! Et bien non ! Un homme averti en vaut deux, une femme aussi ! Maintenant vous allez tout faire pour ne pas avoir de "rides en l'esprit" ! Cela vous consolera de vos pattes d'oie !

Et puis pour vous montrer les beautés de la vieillesse, entrons dans cette galerie de tableaux juste pour le plaisir des yeux : 
 
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Rembrandt : vieille femme lisant (la mère du peintre)
Knut Ekwall
Le Caravage : le repas d'Emmaus (détail)
Tamara de Limpicka
?
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Michel Ange tombeau des Médicis  : La nuit
Léonard de Vinci : autoportrait
Rembrandt : la mère du peintre
Rubens : l'enfant et la bougie
Grant Wood : american Gothic
Domenico Ghirlandaio : Portrait d'un vieillard et d'un jeune garçon

On peut en rire aussi

Philippe Geluk : Le chat

André Franquin : Gaston Lagaffe


Claire Bretecher : Agrippine
André Franquin : Gaston Lagaffe
Jacques Faizant

dimanche 1 décembre 2019

Les citations du dimanche : Jean Giono sur le thème du bonheur


Et juste pour le plaisir, quelques phrases sur le bonheur avec Giono !

"L'essentiel n'est pas de vivre, c'est d'avoir une raison de vivre. "
 



"La vie c'est de l'eau.
 Si vous mollissez le creux de la main,
 vous la gardez.
 Si vous serrez les poings,
 vous la perdez. "  L'eau vive


 "Pourtant, des fois, le soir, seul au bord des routes, assis à côté de mon petit sac, en regardant venir la nuit, regardant s'en aller le petit vent dans la poussière sentant l'herbe, écoutant le bruit des forêts, j'avais parfois presque le temps de voir mon bonheur. C'était comme le saut de la puce : elle est là, elle est partie, mais j'étais heureux et libre."  Que ma joie demeure

Karoly Ferenczy , peintre hongrois

 "Lire au lit dans le silence, la paix, la chaleur et la lumière la mieux adaptée est un des plus grands plaisirs de la terre. "


Le héros n'est pas celui qui se précipite dans une belle mort; c'est celui qui se compose une belle vie.

lundi 23 septembre 2019

Andrea Wulf : L'invention de la nature (1) Citation


Je suis en train de lire L'invention de la nature d'Andrea Wulf et je vous en parlerai dès que je l'aurai terminé..
L'auteure raconte la vie, les voyages et les recherches d'Alexander von Humboldt, scientifique renommé des Lumières qui inventa le concept de Nature tel que nous la percevons maintenant "comme un grand organisme vivant dont tous les éléments sont reliés les uns aux autres"  et qui  fonctionne comme un Tout cohérent.

Aujourd' hui, c'est juste un passage que je veux citer car il est tellement d'actualité.  

Alexander Von Humboldt
 Quand Humboldt explore le Vénézuela, il arrive dans une région agricole fertile, la riante vallée d'Aragua, la plus riche du pays. Pourtant les habitants de la région s'inquiètent car le niveau du lac Valencia  ne cesse de baisser. Nous sommes le 7 Février 1800.

"Lorsqu'on détruit les forêts comme les colons européens le font partout en Amérique avec une imprudente précipitation, les sources tarissent entièrement ou deviennent moins abondantes. Les lits des rivières restant à sec pendant une partie de l'année, se convertissent en torrents chaque fois que de grandes averses tombent sur les hauteurs. Comme avec les broussailles, on voit disparaître le gazon et la mousse sur la croupe des montagnes, les eaux pluviales ne sont plus retenues dans leur cours : au lieu d'augmenter lentement le niveau des rivières par des filtrations progressives, elles sillonnent, à l'époque des grandes ondées, le flanc des collines, entraînent les terres éboulées, et forment ces crues subites qui dévastent les campagnes."

"Humboldt avertissait les hommes qu'il leur fallait comprendre le fonctionnement des forces de la nature et voir que tout était lié. On ne pouvait pas agir impunément sur le milieu naturel pour satisfaire son bon vouloir et ses intérêts. " L'homme n'a d'action sur la nature, il ne peut s'approprier aucune de ses forces, qu'autant qu'il apprend à connaître le monde physique". L'humanité avait le pouvoir de détruire l'environnement et les conséquences pourraient être catastrophiques."

Si Humboldt fut le premier  à expliquer la fonction fondamentale de la forêt dans l'écosystème et son rôle dans la régulation du climat grâce à sa capacité à emmagasiner l'eau et à renvoyer de l'humidité et de l'oxygène dans l'atmosphère tout en protégeant les sols, d'autres grands personnages avant lui s'étaient déjà inquiétés de la déforestation. En 1669, Colbert restreignait les droits d'exploitation des forêts communales et fit planter des arbres pour la construction navale : "La France périra faute de bois". En 1749, le fermier et naturaliste américain John Batram avertissait  : le bois des forêts sera bientôt détruit" et son ami Benjamin Franklin, inquiet, inventa un poêle à combustion lente pour économiser le bois.

Et depuis ? Et de nos jours ?

Août 2019 : feux de forêt en Amazonie image satellite

mercredi 17 janvier 2018

Daniel Mendhelsohn : Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée (citation 1)

Mosaïque : Ulysse et les sirènes (musée de Tunis)
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)
 


Je suis en train de lire  Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée de Daniel Mendhelsohn.  Pendant ma lecture et avant de rédiger un billet sur ce livre passionnant, érudit, et touchant, je vous inviterai à lire quelques extraits du livre, ceci afin de vous mettre un peu l'eau à la bouche.
J'ai choisi aujourd'hui un passage plein d'humour qui éclaire les relations du père et du fils et qui apporte aussi une réflexion intéressante sur l'oeuvre d'Homère.

Le père, Jay Mendhelsohn assiste donc au premier cours de son  fils qui porte sur le chant I et sur le proème de l'Odyssée, le proème c'est à dire "les vers liminaires qui annoncent au lecteur le sujet de l'oeuvre - le cadre de l'action, l'identité des personnages, la nature des thèmes."

Voilà comment réagit le père quand son fils qualifie Ulysse de héros.

Buste grec ancien d'Odysseus, Ulysse

"Ce fut à ce moment-là que mon père leva la tête et dit, "Un Héros? Moi je trouve qu'il n'a rien d'un héros.
 (...)
Très bien répondis-je à mon père.  Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il n'a rien d'un héros?

Eh bien reprit-il. Vingt ans plus tôt il est parti combattre à la guerre de Troie, non ? Et à ce que l'on sache il dirigeait l'armée du royaume...

En effet... Le chant II de l'Iliade énumère toutes les armées grecques qui ont convergé vers Troie. Et il est dit qu'Ulysse a levé l'ancre avec un contingent de douze navires.

Justement, répliqua triomphalement mon père. Cela représente plusieurs centaines de soldats. Et donc ma question est : où sont passés ces douze navires et leurs hommes de bord ? Comment se fait-il qu'il soit le seul à rentrer chez lui vivant ?

En fait c'est une bonne question, dis-je (...) Si vous avez lu le proème, vous vous souviendrez qu'il qualifie les marins d'"insensés" qui ont péri "par leur folle témérité". A mesure que nous avancerons dans le poème, nous en apprendrons davantage sur les évènements qui ont causé la mort de ces hommes, des groupes différents, à différents moments. Et alors vous me direz si vous pensez que c'est vraiment par leur folle témérité qu'ils sont morts.

Mon père grimaça, l'air de dire qu'il se serait mieux débrouillé qu'Ulysse et que lui aurait ramené sans encombre ses douze navires et leur équipage. Donc, tu admets qu'il a perdu tous ses hommes ?

Oui, répondis-je sur la défensive. J'avais l'impression d'avoir onze ans, qu'Ulysse était un camarade de classe qui avait fait une bêtise et que j'avais décidé de le défendre, quitte à être puni avec lui. (...)
Il n'était visiblement pas convaincu.

Les boeufs du Soleil
Le professeur continue son explication :

"Si on y réfléchit bien, il doit absolument être le seul à rentrer.
Je mesurai mon petit effet, laissai planer un instant de suspens, et repris : Si Ulysse est le seul à être toujours debout, alors?...

Trisha (une étudiante) leva le nez de son cahier. Alors il devient le héros de l'histoire.

Exactement. Elle est vive cette petite, me dis-je.
Imaginez... A quoi ressemblerait l'Odyssée s'il était rentré avec une douzaine d'hommes, ou cinq, ou même un seul ? ça ne marcherait pas. Pour être le héros d'une épopée, il faut se débarrasser de la concurrence, pour ainsi dire !

Mon père revint à la charge. Et bien moi, je ne trouve pas qu'il ait grand chose d'un héros. Il prit à témoins les étudiants. Un chef qui perd tous ses hommes ? Vous parlez d'un héros!

Les étudiants éclatèrent de rire (...) Pour leur montrer que j'étais bon joueur, je fis un grand sourire.

Mais intérieurement, je bouillonnais. Ca va être l'horreur ce cours ! "

 


Voir Keisha ICI 

Miriam ICI 
  
 Luocine ICI 

mercredi 29 novembre 2017

Sylvain Tesson : L'homme libre possède le temps

Lac Baïkal (source)
Vendredi 1er décembre la lecture commune du blogoclub porte sur le livre de Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie. L'auteur a passé six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal. Voici un extrait du texte en avant-goût.


L'homme libre possède le temps. L'homme qui maîtrise l'espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elle coule de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et, soudain, on ne sait même plus qu'il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont.


mardi 14 novembre 2017

Christian Bobin : citation Un bruit de balançoire

Christian Constantin Hansen, peintre damois

J'ai "pioché" cette belle citation dans un billet de Violette, extrait du nouveau Christian Bobin  : Un bruit de balançoire. Je pense que cette description de la lecture parlera à toutes ceux et celles, qui ont aimé la lecture dès leur plus jeune âge et y sont tombés dedans comme dans la potion magique d'Obélix et y sont restés pour la vie !

« Lire quand on est enfant, c’est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C’est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac. La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde. »



J'avoue qu'après avoir beaucoup aimé Christain Bobin (son Autoportrait au radiateur !) je m'étais un peu éloignée de lui trouvant son style trop précieux, trop ampoulé, et pour tout dire trop "joli"! Ce billet de Violette me donne envie de le redécouvrir. voir ICI

samedi 7 octobre 2017

Julien Gracq : Carnets du grand chemin



Je suis en train de lire Julien Gracq et je découvre cette description que je trouve si belle et qui me touche par la simplicité et la précision du style et l'acuité de l'observation. Je la partage avec vous : 



Printemps dans la forêt. Dans le berceau des touffes d’aiguilles neuves dont la nuance au soleil matinal est le vert pâle et comme givré des feuilles du mimosa, les jeunes pommes de pin en formation ont pour le moment la consistance granuleuse et presque la couleur d’un paquet d’œufs de saumon.
            Je me promène le long de la plus haute crête de ce massif de dunes forestier. Du côté de l’ouest, la mer à l’horizon apparaît en festons isolés dans les échancrures du tapis grumeleux que mon œil surplombe ; le bleu lavé, évanescent, le vert pelucheux, argenté comme le duvet qui vêt la coque de l’amande, prennent sous le soleil de dix heures une immobilité, une fixité contemplative de lavis chinois qui ne semble pas appartenir à nos climats : je marche dans une forêt du pays du Matin Calme. De temps en temps, une pomme de pin, à quelques mètres devant moi, percute le tapis d’aiguilles avec un choc mat : peu de promeneurs y prêteraient attention, mais dix ans de familiarité avec la pinède me font dresser l’oreille : une pomme de pin en sève ne choit pas d’elle-même, une pomme de pin sèche n’a pas cet impact alourdi. Je ramasse la pomme, et je distingue à la base l’éraflure fraîche des incisives aiguës. Ni le bruit clair des griffes sur l’écorce, ni le geignement hargneux de la grimpée n’ont signalé de fuite : la bête est là encore, tapie de toute sa longueur derrière une branche. Il me faut parfois trois ou quatre minutes pour distinguer le bout de queue révélateur qui dépasse, ou le museau pointu avec l’œil rond qui guette de profil : vérification faite – avec la sagacité comblée et discrète de Derzou Ouzala dans sa taïga – je m’éloigne sans déranger plus longtemps l’animal menu dont le cœur doit battre si vite.

                                           Extrait de Carnets du grand chemin

dimanche 27 juillet 2014

Festival Avignon 2014: Bilan avec le discours devant l'Assemblée nationale en 1848 de Victor Hugo : en prologue à Orlando ou l'impatience de Olivier Py


Dernier jour du festival d'Avignon 2014 et toujours un brin de nostalgie lorsque s'éteignent les dernières lumières de cet immense rassemblement théâtral; demain les affiches vont disparaître, déjà les rues et les terrasses de la ville semblent vides.
Cette édition 2014 aura donc été mouvementée mais finalement le festival a eu lieu malgré 12 annulations de spectacles liées à la grève des intermittents (et 2 pour cause de pluie!) dans le In, ce qui porte la perte subit à 300 000 euros. Assez catastrophique, non? Mais le pire -le spectre de 2003- aura été évité. 
Et oui, le malheur veut que lorsque les intermittents font grève, ils scient la branche sur lequel ils sont assis et détruisent leurs outils de travail. C'est ce que la majorité d'entre eux a pensé et les spectacles ont eu lieu d'une manière générale dans le OFF comme dans le IN.  Mais il y a eu de belles actions de soutien. Je pense à ce beau texte écrit et lu par le metteur en scène de Notre peur de n'être, Fabrice Murgia et aussi à ce discours de Victor Hugo si beau, si vrai, si actuel, qui a précédé le spectacle de Orlando ou l'impatience d'Olivier Py. Une splendide réponse à tous ceux qui pensent que la culture n'est pas une chose essentielle voire vitale et qui font des coupes sombres dans son budget.

Discours devant l'Assemblée nationale en 1848 de Victor Hugo (extraits)



« Personne plus que moi, messieurs, n’est pénétré de la nécessité, de l’urgente nécessité d’alléger le budget.

J’ai déjà voté et continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l’exception de celles qui me paraîtraient tarir les sources mêmes de la vie publique et de celles qui, à côté d’une amélioration financière douteuse, me présenteraient une faute politique certaine. C’est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées par le comité des finances sur ce que j’appellerai le budget des lettres, des sciences et des arts.

Je dis, messieurs, que les réductions proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement. Elles sont insignifiantes au point de vue financier, et nuisibles à tous les autres points de vue.
Insignifiantes au point de vue financier. Cela est d’une telle évidence, que c’est à peine si j’ose mettre sous les yeux de l’assemblée le résultat d’un calcul de proportion que j’ai fait. Je ne voudrais pas éveiller le rire de l’assemblée dans une question sérieuse ; cependant, il m’est impossible de ne pas lui soumettre une comparaison bien triviale, bien vulgaire, mais qui a le mérite d’éclairer la question et de la rendre pour ainsi dire visible et palpable.
 Que penseriez-vous, messieurs, d’un particulier qui aurait 500 francs de revenus, qui en consacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle, pour les sciences, les lettres et les arts, une somme bien modeste : 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous ? Voilà, messieurs, la mesure exacte de l’économie proposée.
Eh bien ! ce que vous ne conseillez pas à un particulier, au dernier des habitants d’un pays civilisé, on ose le conseiller à la France.

Je viens de vous montrer à quel point l’économie serait petite ; je vais vous montrer maintenant combien le ravage serait grand.

Si vous adoptiez les réductions proposées, savez-vous ce qu’on pourrait dire ? On pourrait dire : Un artiste, un poète, un écrivain célèbre travaille toute sa vie, il travaille sans songer à s’enrichir, il meurt, il laisse à son pays beaucoup de gloire à la seule condition de donner à sa veuve et à ses enfants un peu de pain. Le pays garde la gloire et refuse le pain.

Ce système d’économie ébranle d’un seul coup tout net cet ensemble d’institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française.
 Et quel moment choisit-on pour mettre en question toutes les institutions à la fois ? Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir.

Eh ! Quel est, en effet, j’en appelle à vos consciences, j’en appelle à vos sentiments à tous, Quel est le grand péril de la situation actuelle ? L’ignorance.

L’ignorance encore plus que la misère. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes.

Et c’est dans un pareil moment, devant un pareil danger, qu’on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l’ignorance.

On pourvoit à l’éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire dans le monde moral et qu’il faut allumer des flambeaux dans les esprits ?

Oui, messieurs, j’y insiste. Un mal moral, un mal profond nous travaille et nous tourmente. Ce mal moral, cela est étrange à dire, n’est autre chose que l’excès des tendances matérielles. Eh bien, comment combattre le développement des tendances matérielles ? Par le développement des tendances intellectuelles ; il faut ôter au corps et donner à l’âme.

 Quand je dis : il faut ôter au corps et donner à l’âme, ne vous méprenez pas sur mon sentiment. Vous me comprenez tous ; je souhaite passionnément, comme chacun de vous, l’amélioration du sort matériel des classes souffrantes ; c’est là selon moi, le grand, l’excellent progrès auquel nous devons tous tendre de tous nos voeux comme hommes et de tous nos efforts comme législateurs.

Mais si je veux ardemment, passionnément, le pain de l’ouvrier, le pain du travailleur, qui est mon frère, à côté du pain de la vie je veux le pain de la pensée, qui est aussi le pain de la vie. Je veux multiplier le pain de l’esprit comme le pain du corps. 

 Eh bien, la grande erreur de notre temps, ça a été de pencher, je dis plus, de courber l’esprit des hommes vers la recherche du bien matériel.Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser pour ainsi dire l’esprit de l’homme ; il faut, et c’est la grande mission [ … ] relever l’esprit de l’homme, le tourner vers la conscience, vers le beau, le juste et le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là, et seulement là, que vous trouverez la paix de l’homme avec lui-même et par conséquent la paix de l’homme avec la société.

Pour arriver à ce but, messieurs, que faudrait-il faire ?
 Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies.
 Il faudrait multiplier les maisons d’études où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd. Ce résultat, vous l’aurez quand vous voudrez.

Quand vous le voudrez, vous aurez en France un magnifique mouvement intellectuel ; ce mouvement, vous l’avez déjà ; il ne s’agit pas de l’utiliser et de le diriger ; il ne s’agit que de bien cultiver le sol. La question de l’intelligence, j’appelle sur ce point l’attention de l’assemblée, la question de l’intelligence est identiquement la même que la question de l’agriculture.
L'époque où vous êtes est une époque riche et féconde ; ce ne sont pas les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les talents ni les grandes aptitudes ; ce qui manque, c’est l’impulsion sympathique, c’est l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement.

Je voterai contre toutes les réductions que je viens de vous signaler et qui amoindriraient l’éclat utile des lettres, des arts et des sciences.

Je ne dirai plus qu’un mot aux honorables auteurs du rapport. Vous êtes tombés dans une méprise regrettable ; vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites. Je la repousse pour la dignité de la France, je la repousse pour l’honneur de la République. »

 *******
Demain je ferai un bilan de toutes les pièces que j'ai vues car je n'ai pu écrire sur toutes.

mardi 25 mars 2014

Olivier Py, le FN, Vilar, Hugo, Brecht, Shakespeare et nous...



Avignon : pour le deuxième tour, une triangulaire avec le FN en tête!

FN : 29,63 PS :29, 54 UMP : 20,91

Olivier Py

Olivier Py le directeur du Fesitval d'Avignon déclare :

 (…) Je ne vois pas comment le Festival pourrait vivre à Avignon avec une mairie Front national, ça me semble inimaginable. »

Il pense donc qu'il partirait en cas de victoire du Front National et que l'Etat devrait délocaliser le festival. Alain Timar, directeur du théâtre des Halles, à Avignon, le rejoint en affirmant : Mes valises sont prêtes.

Deux prises de position sans ambiguïté, fermes et courageuses et qu'il faut saluer.

MAIS....

Gérard Gélas du Théâtre Le Chêne Noir et Danièle Vantagioli du Théâtre le Chien qui fume, deux salles permanentes d'Avignon disent, au contraire, qu'il faut organiser la résistance face à l'idéologie Front National : Il faut rester à Avignon et se battre pour eux (les jeunes)

Ces prises de position viennent de personnes qui s'opposent avec courage à la montée des idées de l'extrême-droite et sont pourtant entièrement opposées.

 Alors dans le cas où une ville tombe aux mains du FN, les acteurs culturels doivent-ils choisir de partir ou de rester? Le débat est ouvert.

Victor Hugo : Le théâtre est une tribune

Mais pour moi, il est résolu! Le capitaine doit-il quitter le navire quand il coule? Le théâtre n'a-t-il pas une mission éducative à accomplir?  Est-ce normal de faire un désert culturel d'une ville où les enfants des quartiers défavorisés accèdent déjà difficilement à la culture? Est-il licite de ne pas utiliser le théâtre comme un vecteur de réflexion et de débats : “Le théâtre est une tribune”, disait Victor Hugo et aussi : « Une pièce de théâtre, c’est quelqu’un. C’est une voix qui parle, c’est un esprit qui éclaire, c’est une conscience qui avertit ».


Jean Vilar au festival d'Avignon

En souhaitant partir et délocaliser le festival d'Avignon, Olivier Py ne va-t-il pas à l'encontre des idées de Jean Vilar à qui il rend pourtant hommage dans sa programmation? Celui-ci disait :

Je crois que tout grand créateur est un pouvoir de contestation. 

Expliquer, donner à voir et à comprendre, persuader, entraîner, séduire et, en définitive, donner la vie. N'est-ce pas là le destin même de notre métier ? 


Et je pense  aussi à Shakespeare 

Hamlet:  "Le théâtre a pour objet d'être le miroir de la nature, de montrer à la vertu ses propres traits, à l'infamie sa propre image…."








Et pour finir je laisse la parole à Bertold Brecht

Celui qui combat peut perdre mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.

Berthold Brecht par Michael Mathias Prechtl

jeudi 28 novembre 2013

Laura Kasischke : Esprit d'hiver (2 ) Réflexion sur un thème (citation)



Il y a dans Esprit d'hiver des thèmes, entre autres, qui me touchent beaucoup, c'est celui de l'enfance maltraitée, mise au rebut, celui de l'adoption, des difficultés et des souffrances qui lui sont liées : le désir d'enfant et l'impossibilité d'en avoir, les conditions de vie des enfants dans les orphelinats et pire encore de ceux qui vivent dans les rues; le fait aussi que les enfants malades ou déficients sont rejetés et le sentiment de culpabilité de ceux qui ont le pouvoir de décision. Quelle justification morale peut-il y avoir quand on décide que tel enfant a ou non le droit de vivre et celui d'être heureux?

Quand Holly décident d'adopter un bébé dans un orphelinat russe,  ses collègues n'ont de cesse de lui rappeler que l'enfant peut avoir des gènes défectueux, des maladies mentales ou physiques, des dégenérescences liés au passé de leurs parents, drogués, alcooliques, des séquelles d'une enfance traumatique dans une institution sinistrée où le manque de nourriture allié au manque de personnel entraînent des déficiences et une mortalité importante. Holly, elle, porteuse comme sa mère d'un gène entraînant la mort a dû subir des opérations qui ne lui permettent plus d'avoir d'enfants :

Ce type d'interrogations et de raisonnements avait mis Holly hors d'elle et, après la seconde ou la troisième suggestion de ce style, elle avait rétorqué : "Eh bien, je suppose que si mon patrimoine génétique était parfait, comme le vôtre, j'aurais bien des raisons de m'inquiéter. Mais puisque le mien est tissé de mutations génétiques mortelles, j'ai plus de compassion dans ce domaine que d'autres personnes. Je veux dire, vous sous-entendez que ceux qui auraient de mauvais gènes ne devraient pas avoir de parents, ou bien que les gens ayant de mauvais gènes ne devraient pas avoir d'enfants.


En Sibérie personne n'avait été en mesure (ni même désireux?) d'aborder avec Holly et Eric le sujet des parents biologiques de Tatiana... Evidemment peu importait à Eric et Holly. Leur seule inquiétude à ce stade - après ce premier aperçu des yeux noirs gigantesques de Tatty/Sally, après être tombés amoureux d'elle-  était de savoir s'il y avait quelque chose d'elle qu'il devait connaître concernant ses gènes afin de l'aider non de la rejeter.

 (Si vous n'avez pas lu  le livre, attention à partir de là spoiler*)

 Pourtant Holly et Eric malgré ces beaux sentiments qui demandent en fait beaucoup de courage et d'abnégation font comme les autres! Et l'on ne saurait les en condamner : avoir le désir d'un bébé en bonne santé est en somme bien naturel! Mais ce qui est pire, c'est qu'ils le font en se mentant par une sorte de déni de la vérité. Ils savent tous deux que Tatiana n'est pas le bébé qu'ils ont choisi et Holly sait ce que la vraie Tatiana est devenue depuis qu'elle a poussé la porte interdite.

Prendre connaissance des horreurs de ce monde et ne plus y penser ensuite, ce n'est pas du refoulement. C'est une libération.

C'est alors que l'élastique que doit tirer Holly sur les conseils de la psychiatre pour oublier la douleur ressentie chaque fois qu'elle pense à la mort de sa mère et ses soeurs prend toute sa signification. Une métaphore de l'oubli ou plus précisément du déni puisque Holly finit même par tirer l'élastique mentalement, dans sa tête. Et bien non! En cette journée d'hiver très particulière où tout va basculer pour Holly, le sentiment de culpabilité envers l'autre bébé va ressurgir plus fort que jamais. Ce n'était pas une libération mais du refoulement!

 Je crois que ce roman est un concentré de souffrance, que toutes les pages en sont imprégnées ; c'est pour cela qu'il m'a autant touchée et je me demande aussi si les lecteurs qui rejettent ce livre ne le font pas  par un sentiment d'auto-défense? (je ne peux répondre à leur place, évidemment mais vous le pouvez si vous êtes dans ce cas dans les commentaires)

*Comme je cherchais l'équivalent français de Spoiler voilà ce que je lis sur Wikipedia : 

Cependant, il est à préciser que cette recherche d'équivalents français à ce terme prétendument anglais n'aurait pas véritablement lieu d'être étant donné que ce mot "spoiler" est en fait issu en totalité de l'Ancien français "espoillier" (qui donnera "spolier" en français moderne), verbe provenant du latin "spoliare" signifiant "ruiner", "piller". Le terme "spoiler" n'est donc pas à proprement parler un mot anglais mais bien un dérivé direct du français (ancien français en l'occurence).
On nomme « spoil » le fait de donner des éléments de l'intrigue.

jeudi 29 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit (citation), La vie n'est qu'un pied à terre...


Gwinplaine, Dea, Ursu et Homo, le loup (musée de Villequier)

Victor Hugo a toujours eu l'art de la formule. C'est le cas dans L'homme qui rit :

 La vie n'est qu'un pied à terre.

Un vieil homme est une ruine pensante; Ursus était cette ruine-là

Quand on demandait à Démocrite : comment savez-vous? il répondait : je ris. Et moi, si l'on me demande : Pourquoi riez-vous? je répondrai : je sais.
 
Gwynplaine avait rencontré l'embuscade du mieux, ennemi du bien.

 Sur Dieu

Vous pouvez croire en Dieu de deux façons, ou comme la soif croit à l'orange, ou comme l'âne croit au fouet.

J'avoue franchement que je crois en Dieu, même quand il a tort.

Sur l'amour

Ursus :
- Bah! ne te gêne pas. En amour le coq se montre.
-Mais l'aigle se cache, répondit Gwynplaine


A propos de Dea, l'aveugle, et de Gwynplaine, le mutilé
 
 Avec leur enfer, ils avaient fait du ciel :  Telle est votre puissance, amour!

La difformité, c'est l'expulsion. La cécité, c'est le précipice. L'expulsion était adoptée. Le précipice était habitable.

A propos des Grands : 

S'ils te demandaient : De quel droit es-tu heureux? tu ne saurais que répondre. Tu n'as pas de patente, eux ils en ont une.

Quel dommage qu'il ne soit pas lord! Ce serait une fameuse canaille!

C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches…

Le bonheur de l'Olympe est au prix du silence du Cocyte.



mardi 27 août 2013

Victor Hugo : L'homme qui rit (citations) C'est de l'enfer des pauvres...

Dessin de Victor Hugo


Sais-tu qu'il y a un duc en Ecosse qui galope trente lieux sans sortir de chez lui? Sais-tu que le lord archevêque de Canterbury a un million de France de revenus? Sais-tu que sa majesté a par an sept cent mille sterlings de liste civile, sans compter les châteaux, forêts, domaines, fiefs, tenances, alleux, prébendes, dîmes et redevances, confiscations et amendes, qui dépassent un million sterling? Ceux qui ne sont pas contents sont difficiles.
- Oui, murmura Gwynplaine pensif, c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches.



jeudi 22 août 2013

Victor Hugo : citation de L'homme qui rit , Une habitude idiote qu'ont les peuples...


J'ai fini ma lecture commune L'homme qui rit  de Victor Hugo prévue pour le 30 août  avec Aifelle, Miriam, Rosamond. Mais avant de publier mon billet,  j'ai eu envie de mettre en valeur par une citation une des idées que présente ce roman-fleuve, bien certaine que je ne pourrai tout de dire de cet énorme roman en une seule fois. Alors, en attendant, voilà ce que pense Hugo des peuples et de leur admiration "idiote" (ce n'est pas moi qui le dis) des rois.


Une habitude idiote qu'ont les peuples, c'est d'attribuer au roi ce qu'ils font. Il se battent. A qui la gloire? Au roi. Ils paient. Qui est magnifique? Le roi. Et le peuple l'aime d'être si riche.  Le roi reçoit des pauvres un écu et rend aux pauvres un liard.  Qu'il est généreux! Le colosse piedestal contemple le pygmée fardeau. (..) Un nain a un excellent moyen d'être plus haut que le géant, c'est de se jucher sur ses épaules. Mais que le géant laisse faire, c'est là le singulier; et qu'il admire la grandeur du nain, c'est là le bête. Naïveté humaine.