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vendredi 5 février 2021

Carlos Fuentes : En inquiétante compagnie

 

Carlos Fuentes est un écrivain mexicain. Le livre que je présente ici est, d’après la quatrième de couverture, « dans un genre inhabituel ».  C’est ce que je ne saurais dire puisque c’est le premier livre que je lis de lui. Il s’agit d’un recueil de nouvelles qui exploite le thème du fantastique, de la folie, de la mort, des vampires d’où le titre « En inquiétante compagnie ».

 Je n’ai pas apprécié toutes les nouvelles. Voici mes trois préférées.


Dans L’amoureux du Théâtre, le personnage, un jeune mexicain solitaire installé à Londres, shakespearien passionné, tombe amoureux d’une jeune fille qu’il voit évoluer de sa fenêtre, dans l’appartement voisin. Non seulement, ils n’échangeront aucune parole mais elle refuse de rencontrer son regard. Plus tard, en allant au théâtre, il découvre qu’elle joue le rôle d’Ophélie dans Hamlet. Mais elle est réduite au silence par un metteur en scène mégalomane qui est aussi acteur  narcissique et ne lui permet pas de parler ! Jusqu’ici ça va, je suis en terrain connu avec le In du festival d’Avignon ! J’ai moi-même assisté à une mise en scène du roi Lear où une Cordélia baîllonnée, en tutu et sur pointes, ne pouvait prononcer une seule parole, misogynie assumée (?) par le metteur en scène Olivier Py !
Mais dans la nouvelle de Carlos Fuentes, il y a autre chose : Ophélie est-elle vraiment la jeune femme observée à la fenêtre ? Est-elle réellement muette ? Meurt-elle sur scène comme le croit le personnage ? Quelle est cette fleur qu’elle lance à notre jeune spectateur, symbole de la vie, et qui ne se fâne jamais ? Pourquoi les journaux racontent-ils des mensonges sur ce qui s’est passé au théâtre?  A moins que le jeune mexicain n’ait sombré dans la folie ? C’est au lecteur de conclure.
Une autre de ces nouvelles qui s’intitule En bonne compagnie  fait écho ironiquement au titre général du recueil. A la mort de sa mère qui vit en France, à Paris, son fils Alexandro de la Guardia va rejoindre ses deux tantes à Mexico. Deux bien étranges vieilles demoiselles qui ne veulent pas se croiser tout en vivant dans la même maison et qui demandent à leur neveu de ne jamais entrer par la porte principale mais par une entrée plus discrète à l’arrière. Que veulent-elles cacher ? Pourquoi toutes ces cachotteries et bizarreries ? Sont-elles folles, dangereuses ? Pourquoi semblent- elles parler à un petit garçon et non à un adulte quand elles s’adressent à lui ? 

Dans Calixta Brand, la jeune fille, personnage éponyme de la nouvelle, est une jeune américaine venue au Mexique pour poursuivre ses études de langue. Estéban, jeune hidalgo de bonne famille l’épouse. Mais il est très vite jaloux de l’intelligence, de la culture et de la supériorité intellectuelle et morale de sa femme. La haine va peu à peu remplacer l’amour. C’est une des nouvelles qui pourrait ne pas être fantastique si ce n’était la fin. L’analyse des sentiments du jeune homme, la peinture d’un monde machiste où la femme doit rester à sa place et où l'homme doit dominer, le mépris manifesté aux inférieurs, sont ancrés dans une classe sociale imbue d’elle-même. La cruauté des rapports humains et le personnage fier et digne de la femme en font un texte très intéressant.
Mais c’est vraiment avec La chatte de ma mère, la Belle au bois dormant, et la dernière nouvelle, Vlad (dracula) que nous plongeons dans le fantastique (trop) attendu avec l’apparition de morts-vivants, les cercueils des vampires cachés dans l’obscurité d’un tunnel et les morsures dans le cou. J’ai moins aimé ces trois nouvelles parce que le fantastique y est plus affirmé et ne laisse pas au lecteur la liberté d’imaginer et d’apporter sa réponse personnelle.
Donc ce recueil n’est pas un coup au coeur pour moi et il me faudra lire d’autres nouvelles de Carlos Fuentes pour mieux le connaître.

Mexique : Carlos Fuentes Macías

Carlos Fuentes Macías naît au Panama en 1928  mais est de nationalité mexicaine. Ses parents sont diplomates d'origine mexicaine. Il partage son enfance entre Quito, Montevideo, Rio de Janeiro, Washington, Santiago du Chili et Buenos Aires. Adolescent, il retourne vivre au Mexique où il fait des études de droit à l'Université de Mexico. Il les poursuit à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève. 
Il commence par écrire des nouvelles et publie ainsi Jours de carnaval en 1954. Il publie son premier roman en 1958, La Plus Limpide Région, qui critique la société mexicaine. Il poursuit son œuvre avec d'autres romans comme Le Chant des aveugles, Peau neuve, Terra Nostra, La Tête de l'hydre et Le Vieux Gringo qui lui offrent une renommée internationale.
Il a écrit des essais critiques comme La Maison à deux portes et Cervantès ou la Critique de la lecture ainsi que des essais politiques comme Temps mexicain. Ses essais sur la politique et la culture paraissent également dans le journal espagnol El País. Il est un critique virulent de l'impérialisme culturel et économique des États-Unis, en particulier vis-à-vis de l'Amérique latine.
Son roman Terra Nostra a obtenu en 1977 le prix Rómulo Gallegos, la plus haute distinction littéraire d’Amérique latine. Carlos Fuentes a reçu en 1987 le prix Cervantes, la plus haute distinction littéraire de langue espagnole, pour l’ensemble de son œuvre. (Wikipédia)


 

Rufino Tamayo, peintre mexicain

(1899-1991)


Bien sûr, quand on parle de peintres mexicains, on pense tout de suite, à Frida Kahlo et Diego Rivera.

Diego Rivera
 
Frida Khalo

Mais  c'est un peintre que je ne connais pas que je veux présenter ici  et que je découvre sur le net : 

 Rufino Tamayo
(1899-1991)

Rufino Tamayo est né à Tlaxiaco (Oaxaca) le 25 août 1899 et est mort à Mexico le 24 juin 1991. 

 Bien qu'il ait peint des peintures murales avec des sujets révolutionnaires, art mural dont Diego Rivera avec  Siqueiros y Orozco étaient les plus grands représentants au Mexique, Rufino Tamayo s'est démarqué des artistes de sa génération en créant un style personnel.

Bien qu'on le considère souvent comme un artiste ultra-mexicain en raison de son approche des cultures préhispaniques, il a vécu à Paris dans les années 50 et s'est parfaitement intégré dans le mouvement culturel de l'époque.

Dualidad peinture murale

 "Dualidad » est un des muraux les mieux conservés de Tamayo; il se trouve au Musée National d’Anthropologie et d’Histoire. C’est une impressionnante fresque peinte en 1964, de 12 mètres de large, que les visiteurs peuvent admirer à l’auditorium Jaime Torres Bodet.
Tamayo s’inspira de la cosmogonie náhuatl des opposés et complémentaires pour interpréter la mythologie précolombienne; l’œuvre fut aussi le résultat du contexte politique et social de l’époque."

 

 

Moon dog  Rufino Tamayo

 
 

 

 




mercredi 3 février 2021

José Maria Arguedas : Diamants et silex

 

José Maria Arguedas est un auteur péruvien que je découvre au cours de ce mois de littérature latino-américaine, un livre entièrement différent de celui que je viens de commenter La faute au bouc de Marie Vargas Llosa... C’est d’ailleurs ce dernier qui préface ce petit bijou littéraire, intitulé Diamants et silex .

"L’Apurimac  est sillonné par les fleuves les plus profonds et les plus mélodieux du Pérou; des fleuves anciens, puissants, aux flots d’acier, qui ont découpé les Andes dans leur partie la plus haute- silex et diamants- et ont forgé des abîmes aux rives desquelles l’homme tremble, ivre de vertige, en contemplant les eaux argentées qui s’écoulent sous les arbres suspendus."

 Mario Vargas Llosa nous explique que José Maria Arguedas, est au centre des deux cultures qui divisent le Pérou, celui de la plaine et des villes, de langue espagnole, et celui de la sierra où vivent les indiens quechuas attachés à leur langue, leur traditions, proches de la nature, mais obligés par la misère à servir chez les maîtres qui les considèrent comme à peine humains. Cette double culture est pour Arguedas un déchirement puisque « l’enracinement entre ces deux mondes antagonistes a fait de lui un déraciné » écrit Mario Vargas Llosa.

Mais c’est aussi pourquoi José Maria Arguedas sait nous parler avec tant de poésie et d’amour de ce peuple vivant au coeur de la Cordillère des Andes, au milieu des pics enneigés, et de cette langue chargée d’images : "Le quechua qu’il entendait était semblable à celui qu’on parlait dans les petites vallées à fruits "de l’intérieur", dans son village. C’est là que naissent les fleuves amazoniens, que se forment les longues veines qui font une entrée tonitruante dans les gorges creusées entre les chaînes de montagnes. Le quechua qu’Irma utilisait pour s’adresser  à lui avait le parfum de ces fleuves, des oiseaux qui les survolent en jouant, piaillant et appelant les êtres humains."

Mariano est un indien quechua que son frère envoie à la ville car c’est un Simple, c’est à dire un arriéré mental, une charge, donc, pour la famille. Il est aussi un musicien harpiste hors du commun, ce qui lui permet de toucher au coeur, dès son arrivée, le propriétaire le plus riche en terres et en indiens de la ville, Don Aparicio. Celui-ci le prend chez lui à une condition, c’est qu’il ne jouera jamais que pour lui et chez lui. Pour Don Aparicio, un être tourmenté, débauché, jamais en paix, cruel et fantasque, la musique de Mariano s’adresse à son âme. On peut comprendre, dès lors, que la transgression de cet ordre pourrait avoir des conséquences néfastes. Quand arrive dans la ville une nouvelle venue, une jeune fille blonde, très belle, le drame est prêt à éclater.

Nous sommes donc dans la structure du conte traditionnel mais qui se déroulerait dans un monde réaliste où les fées n’ont pas cours et où leur baguette n’a pas de pouvoir. Don Aparicio est tout puissant, sa fortune le place au-dessus des lois, nul ne peut s’opposer à lui. Il séduit, voire enlève, les filles des montagnes, en fait ses maîtresses aussitôt remplacées par d’autres. Mais si réalisme il y a, le jeune homme apparaît aussi magnifié par le style de l’écrivain ou par le regard de ses amoureuses, comme un prince de légende, noble d’allure si ce n’est de coeur, monté sur son étalon noir Faucon, aussi fougueux que lui. D'une manière générale, la peinture de cette société basée sur l’inégalité sociale et raciale, d’une férocité implacable envers les indiens, est transcendée par la plume de l’écrivain, parfois d'un lyrisme puissant, taillée à la fois dans le diamant et le silex, noir et étincelant, brillant et dur.
Et puisque la musique y est omniprésente, il y a deux tonalités dans le roman, celle en mode majeur, éclatante, qui s'attache à Don Aparicio et  révèle la montagne, et celle en mode mineur qui  résonne pour Mariano si sensible à la détresse et à la souffrance des autres, humains, animaux ou plantes... Etcette petite musique lancinante crée une tristesse, une nostalgie qui gagne le lecteur. 

Un très beau roman poétique, inattendu, magique et profondément humain.

Et voici encore un passage qui est l’un des plus étonnants moments du roman : il concerne les vingt harpistes la ville : "La nuit du 23 juin, ces musiciens descendaient le long des ruisseaux torrentiels qui se jettent dans le fleuve principal, ce grand fleuve profond dont les eaux rejoignent la côte. Là, sous les grandes cataractes que les torrents façonnent dans la roche noire, les harpistes « écoutaient ». C’est la seule nuit de l’année où l’eau, en tombant sur la pierre et en roulant ses éclats brillants crée des mélodies nouvelles ! Chaque maître harpiste a sa Pak’cha * secrète. Il s’avance de face, caché sous les grands panaches des roseaux; certains se suspendent aux troncs des poivriers, au-dessus de l’abîme où le torrent s’engouffre et pleure. Le lendemain, et pendant toutes les fêtes de l’année chaque harpiste joue des mélodies inédites."

* cascade

Pérou : José Maria Arguedas

José Maria Arguedas
 

José Maria Arguedas Altamirano est un écrivain, un anthropologue, un ethnologue, un poète, un traducteur et un universitaire péruvien né le 18 janvier 1911 à Andahuaylas (Apurimac) dans la montagne au Sud du Pérou. Il est fils naturel d’un avocat itinérant Victor Manuel Arguedas Arellano, Cuzqueño et de Doña Victoria Altamirano Navarro, femme métis et aristocrate de San Pedro en Andahuaylas. À la mort de sa mère, il a deux ans et il reste avec sa grand-mère paternelle ; son père se remarie avec une riche veuve qui a aussi des enfants. Il sera victime des mauvais traitements de sa marâtre. Celle-ci l'oblige à dormir avec les indiens. C'est auprès d'eux qu'il découvre la culture et la langue quechua. 

Ses nouvelles et ses contes le rangent parmi les grands représentants de la littérature péruvienne. Il est le promoteur d'un métissage des cultures andine d'origine quechua et urbaine d'origine européenne.
Toute l’œuvre de José María Arguedas est marquée par la dualité linguistique et culturelle entre l’espagnol et le quechua. Toujours fidèle à la tradition quechua de son enfance, il a vécu l’expérience du Pérou divisé entre monde andin indien et dominé et monde côtier hispanophone et dominant. N’étant jamais tout à fait parvenu à surmonter ce déchirement culturel, malgré sa réussite professionnelle et souffrant de dépression nerveuse, il se suicide à Lima le 2 décembre 1969. Sa fin tragique en a fait le symbole à la fois de tous les clivages de la société péruvienne et de la nécessaire réconciliation qu’il a prônée dans son œuvre, mais si difficilement vécue dans sa chair.   (Wikipédia)

 


José Sagobal peintre péruvien, indigéniste (1888/1956)

Et puisque j'en suis à la découverte de la littérature péruvienne, je suis allée faire un petit tour du côté de l'art et je vous présente Jose Sagobal, peintre  péruvien du XX siècle, indigéniste. Comme José Maria Arguedas, il défend la culture et les traditions des indiens et souhaitent voir leurs droits reconnus  par le gouvernement péruvien. Il a contribué avec les écrivains, les peintres qui ont rejoint le mouvement indigéniste, à faire évoluer les mentalités.








lundi 1 février 2021

Mario Vargas Llosa : La fête au bouc


  La fête au Bouc de Mario Vargas Llosa est depuis longtemps sur mes étagères et je ne me décidais pas à lire ce roman politique sur la dictature de Rafael Leonidas Trujillo à Saint Domingue. Je craignais que cela ne soit trop rébarbatif ou trop démonstratif. C’est donc dans le cadre du défi lancé par Ingammic ICI et Goran ICi nous invitant à explorer la littérature latino-américaine, que j’ai découvert ce livre et là il n’était plus possible de résister à la force et à l’habileté narrative d’un grand écrivain qui vous tient en haleine et vous retourne comme une crêpe !

Le récit se déroule dans la partie orientale de l’île Hispanolia, dans la République de Saint Domingue dont la frontière divise en deux l'île avec, à l’ouest,  Haïti. Nous sommes en 1961, date de l'attentat contre Trujillo, mais l'écrivain va nous promener du présent au passé et inversement, sans ordre chronologique,  depuis la prise de pouvoir du dictateur et jusqu'après sa mort.

"L'ouvrage est caractéristique du roman du dictateur, représenté entre autres par Miguel Ángel Asturias (El señor Presidente), Augusto Roa Bastos (Moi, le Suprême) et Gabriel García Márquez (L'Automne du patriarche)" (Wikipédia). 

Le roman présente des personnes fictifs mais fortement ancrés dans l’histoire du pays comme Urania Cabral et son père Agusto Cabral, ministre de Trujillo. Urania revient voir son père mourant à Saint Domingue après trente cinq années d’exil aux Etat-Unis, absence pendant laquelle elle a toujours refusé de répondre à ses lettres et à celles de sa famille. Pourquoi revient-elle ? Elle se le demande elle-même mais ce n’est certainement pas par amour si l’on en juge par la violence qui émane de ses propos quand elle parle à celui qui fut son père, certes, mais surtout l’ancien ministre de Trujillo…  

Rafael Leonidas Trujillo

Face à ces personnages fictifs, des personnages historiques comme le dictateur Rafael Leonidas Trujillo qui a fait régner la terreur à Saint Domingue, rebaptisée alors, Ciudad Trujillo, de 1930 à 1961, et ses ministres dévoués jusqu’à la servilité : emprisonnement, tortures, assassinats, massacre des immigrants haïtiens, viols, accaparation des biens et des terres des opposants et des industries, main mise sur la presse et tous les moyens de communication, culte de la personnalité… D’autres personnages historiques aussi, sont ceux qui en 1961, ont fomenté l'attentat contre le dictateur.
Mais peu à peu, le réel et la fiction se mélangent et tous deviennent les héros d’un roman puissant qui nous fait revivre toutes ces années de dictature, mêlant les différentes strates du présent et du passé. La technique narrative de l’auteur est surprenante. Dans un même paragraphe, nous passons de la vision subjective du « je », - le personnage se raconte-, au « Il » du narrateur extérieur - le personnage est vu - ; de plus, les points de vue se multiplient, les uns et les autres sont observés et racontés par plusieurs personnages, amis, ennemis, victimes, bourreaux,  dressant une multiplicité de portraits et de récits qui submergent le lecteur  de sensations et d’émotions.
De même, à certains moments de la narration, le présent et le passé sont mis sur un seul plan et ont lieu en même temps. Ce procédé donne des scènes saisissantes, comme celles où Urania racontent à sa tante et à ses cousines pourquoi elle a fui Saint Domingue et où nous assistons à la fois à son récit au passé et à son déroulement dans le présent, ce  qui a pour effet de dédoubler la scène en lui donnant une force inouïe.
Le récit est donc puissant, en particulier lorsqu’il interroge sur le pouvoir. Comment expliquer la fascination exercée par le dictateur sur la collectivité et sur l’individu ? La peur ne suffit pas à expliquer cet amour, cette admiration, cette soumission au chef !  Urania dit qu’elle peut comprendre pourquoi le peuple se laisse berner, pris dans le culte de la personnalité, privé par son manque d’instruction d’un jugement clair, obnubilé par la propagande mensongère du gouvernement, coupé de la réalité par l’absence de médias. La Boétie au XVI siècle en arrivait  déjà à cette conclusion, entre autres  car lui aussi pensait que l'explication en était plus complexe :

Le Grand Turc s’est bien avisé de cela que les livres et la doctrine donnent plus que tout autre chose aus hommes, le sens de se reconnoistre, et d’hair la tirannie; j’entens qu’il n’a en ses terres gueres de gens scavants, ni n’en demande. (  De la servitude volontaire)

Mais comment ceux qui ont l’instruction, les classes sociales supérieures, instruites, éclairées, peuvent-ils perdre toute volonté, toute dignité, toute morale, pour complaire au despote ? se demande Urania. Il y a l’argent, l’intérêt, l’attrait du pouvoir, certes, mais encore quelque chose au-delà, qui touche au plus profond de la personnalité, quelque chose qui fait que l’on n'est rien sans le regard bienveillant du despote, que c'est lui qui vous fait exister !
Un grand roman, donc ! 

Et surtout, ne faites pas comme moi,  n’ayez pas peur de Mario Vargas Llosa !

Pérou : Mario Varga Llosa

Mario Vargas Llosa

Mario Varga Llosa est un écrivain péruvien naturalisé espagnol. Il est l’auteur de romans, de pièces de théâtre, de biographies et d’essais politiques. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010.
Il a été un écrivain engagé toute sa vie, d’abord proche du communisme, il soutient Fidel Castro. Ensuite déçu par la révolution cubaine, il se tourne vers le libéralisme. En avril 2011, lors des élections présidentielles péruviennes, il appuie le vote du candidat nationaliste Ollanta Humala. En 1990, il se présente à la présidence de la république péruvienne à la tête d’une formation Le Front démocratique mais il perd, face à Alberto Fujimori qui dirigera le Pérou de 1990 à 2000. Plus tard il s’affirmera comme conservateur, ultra-libéraliste, selon ses détracteurs, soutenant les régimes de José María Aznar en Espagne et même de Silvio Berlusconi en Italie. (Wikipédia)

Quelques titres :
La ville et les chiens(1963) , La maison verte (1966), Conversation à la cathédrale(1969) , La tante Julia et le scribouillard( 1977), La guerre de la fin du monde (1982), Qui a tué Palomino Molero ?(1986), la fête au bouc (2000),




lundi 13 janvier 2014

Silvia Baron-Supervielle : Lectures du vent

Jean Lurçat: la conquête de l'espace

Un jeu de poésie court sur facebook. Il fait suite à celui sur la peinture et c'est le genre de défi que j'aime. Pas dessus tout il me permet soit de relire un poète que j'aime Fernando Pessoa que m'a attribué Aifelle, soit d'en découvrir d'autres comme Silvia Baron-Supervielle proposée par Martine ou  Marina Tsvetaieva par Marylin.

Le jeu

" L'idée est d'occuper Facebook en poésie. Quelqu'un vous attribue un(e) poète et vous partagez son texte comme suit. Chaque personne qui cliquera qu'elle aime ce statut se verra attribuer en retour un(e) poète par vos soins, poète dont vous partagerez un poème sur votre propre mur Facebook. "

Silvia Baron-Supervielle
C'est par cette femme, poète, écrivain, que je commence en cherchant sur le net car je n'ai aucun recueil de poésies d'elle. J'approfondirai sa connaissance par la suite.
Silvia Baron Supervielle est née à Buenos-Aires en 1934. Sa mère qui mourut lorsqu’elle avait un an était uruguayenne de descendance espagnole et son père était argentin de descendance française. Elle commença à Buenos-Aires son travail littéraire, en espagnol, sa langue natale, écrivant des poèmes et des nouvelles. En 1961 elle arriva en France et se fixa à Paris où, après une longue période de silence, elle poursuivit ses écrits directement en français et fit de nombreuses traductions de l’espagnol en français et vice-versa. En 1973 Maurice Nadeau accueille ses poèmes dans la revue Les Lettres Nouvelles. C'est une lointaine cousine de Jules Supervielle, un de mes poètes préférés.                     
                                                                 
 Lectures du vent 

L'arbre : Mondrian

ne fut-ce que taire l'arbre
qui s'échappe de la forêt
dire à la pluie les flaques
éclatantes sous la foulée
les lentes lagunes captives
des roseaux au planeur seul
qui lance son virage déployé
tendre au typhon le fleuve
et l'avalanche au tonnerre
et le crépuscule à la foudre
de fer qui freine la tombée
rendre la mer à ses marées
les kilomètres aux hectares
les hectares au firmament
céder le soleil au souvenir
la plaine au galop du ciel
le mot au motif de l'onde
la nuit aux astres voilés
laisser enfin l'espace
de partir en liberté


Joachim Claussel (1910) peintre mexicain (source)
Rendre la mer à ses marées...

vendredi 3 août 2012

Betty Mindlin : Carnets sauvages chez les Surui du Rondônia






Betty Mindlin est une anthropologue brésilienne. Dans Carnets sauvages elle raconte au fil des notes prises pendant ses différents séjours dans la forêt amazonienne le quotidien des Surui, un peuple qui vit en plein coeur de l'état de Rondônia. Elle nous décrit les traditions des Surui, leurs mythes, leur mode de vie, leur évolution, mais elle nous fait part aussi de ses propres sentiments par rapport à ce peuple, de ces moments de bonheur entourée de leur chaude affection, mais aussi des difficultés rencontrées, d'une vie parfois rude et âpre, des moments de déprime quand elle pense à ses propres enfants et à leur éloignement. Carnets sauvages n'est donc pas une oeuvre scientifique - Betty Mindlin a publié des études et une thèse sur ce sujet - mais plutôt une sorte de journal intime où, sous l'anthropologue, la femme apparaît.

L'intérêt des Carnets sauvages tient bien sûr à la découverte de ce peuple dont les moeurs sont pour nous surprenantes et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous pénétrons dans leur vie, que nous découvrons des coutumes et des croyances influencées, bien sûr, par le milieu, cette grande forêt sauvage où les esprits des arbres et de la terre peuvent parfois devenir dangereux. Mais ce qui est aussi passionnant c'est que cette étude n'est pas abstraite, elle est présentée à travers des personnages bien vivants, qui finissent par nous devenir familiers, que nous connaissons comme des amis, tous avec leurs qualités et leurs faiblesses, des hommes et des femmes, enfin, pas si éloignés de nous tous malgré les différences, faisant partie de la grande famille humaine!

Ce que je ressens de façon plus aiguë, c'est la simplicité et le mystère du village, que nous avons perdu dans notre routine urbaine. La nuit je regarde les corps nus qui ont besoin du feu pour se réchauffer : c'est très étrange, c'est le destin du genre humain qui se donne à voir.

Mais, disons-le tout de suite, j'ai éprouvé un grand regret avec ce récit qui aiguise notre curiosité, parce que l'édition Métailié ne propose aucune image (alors que Betty Mindlin prend beaucoup de photographies, nous dit-elle) ni des villages, ni de l'oca, la Grande Maison où vivent les familles, ni des plantations, des fêtes rituelles et même pas des hommes et des femmes que nous apprenons à connaître : Naraxar, le solitaire qui demande Betty Mindlin en mariage, Caimabina la superbe épouse de Iamabop, l'Impératrice, la Désirée des hommes, Uratugare, le beau chasseur, le séducteur,  Garapoy le pajé, puissant et dangereux sorcier, guides des âmes et  d'un autre regard sur l'espace temps, Garapoy qui dévoile le Marameipeter, le chemin de l'âme, qu'il dessine par terre. Et cette absence de documentation est frustrante!

Dans ces carnets Betty Mindlin ne cède pas à la tentation du mythe du "bon sauvage" à la Rousseau. Sa formation d'ethnologue l'en préserve, l'observation de la réalité aussi. Ainsi à propos des femmes, elle est d'abord frappée par leur beauté :

Elles sont superbes. Celles qui ont des enfants en bas âge, les allaitent ou les  portent enveloppés dans de grandes bandes de coton qui semblent bien pratiques et laissent les bras libres. elle les tissent elles-mêmes, et certaines sont décorées de dessin au rocou, de bracelet de graines de Tucuma ou de dents cousues à intervalles réguliers.

 Mais plus tard  à l'occasion d'un coup de couteau porté à l'une d'entre elles :

La violence contre les femmes était impressionnante. Jusqu'à présent, tout m'avait semblé si romantique, les hommes séducteurs et gentils. Le coup de couteau, même si c'était du côté plat, contenait une menace de mort.

Peu à peu, elle s'aperçoit de la condition de la femme dans la tribu Surui qui sert de monnaie d'échange pour satisfaire les appétits des hommes, pacifier l'humeur belliqueuse des autres. Elles sont mariées fort jeunes, voient leurs enfants mourir en bas âge (la mortalité enfantine est très élevée), sont mises en quarantaine pendant leurs règles ou après l'accouchement, ce qui permet d'échapper aux corvées mais est aussi ennuyeux qu'être en prison! et subissent coups et mauvais traitements de leur mari.

Les femmes restaient soumises au bon vouloir de la volonté masculine, et l'égalité entre les sexes disparaissait. Je n'avais vu qu'une femme avec un oeil au beurre noir. J'ai senti à partir de là que le quotidien n'était pas si paisible.

Si d'un séjour à l'autre, il y a parfois (et cela se comprend) des répétitions, des retours en arrière qui émoussent un peu notre curiosité et lassent notre intérêt, cela tient à la démarche scientifique de l'ethnologue qui progresse par recoupement, surmonte les difficultés de la langue, fait céder les résistances de ceux qui ont des réticences à se livrer. Les liens qui se nouent entre elle et ses amis lui permettent au fur et à mesure de mieux comprendre cette civilisation et de préciser ce qu'elle n'avait pas saisi en remontant à la source. Le récit, malgré ses redites, reste cependant intéressant et facile d'accès. Il s'agit d'une oeuvre de vulgarisation qui nous permet de nous investir dans cette recherche d'ethnologue comme si nous la vivions ! J'ai préféré pourtant le premier récit où Betty Mindlin semble "ensorcelée" (c'est le mot qu'elle emploie) par les Surui et nous transmet une vision presque magique de ce peuple.

Une remarque, encore, pour exprimer mon étonnement : Si tous les sujets sont abordés y compris les rapports entre hommes et femmes de la tribu tant au niveau de la sexualité que de l'organisation sociale, j'ai été tout de même un peu surprise que l'auteur nous livre ses propres fantasmes vis à vis des beaux mâles Surui dans des récits "imaginaires" qu'elle nous relate! Curieux pour une scientifique, non? Mais bon, comme je vous le disais sous l'anthropologue, la femme!

Les carnets se décomposent en six parties qui correspondant aux séjours de Betty Mindlin, le premier remontant en 1979, le sixième en 1983. Après les carnets, l'auteur est encore retournée plusieurs fois chez les Surui en 1994, dans les années 2000. Elle a vu le défrichement de la forêt et les conséquences sur le mode de vie des Surui, elle constaté le changement de mentalité de ces peuples au contact des populations blanches, elle les a vus dépossédés de leur terre au profit d'entreprises qui se sont enrichis sur leur dos, elle les a vus devenir des salariés exploités là où ils régnaient en maîtres. Elle a combattu avec eux pour qu'ils fassent valoir leurs droits. Ils se sont organisés dans la lutte mais il s'agit un peu du combat du pot de terre contre le pot de fer. Avec la destruction de la forêt, l'exploitation de gisements de diamants n'a rien arrangé, des milliards d'intérêt sont en jeu. La civilisation des Surui telle qu'elle était alors a disparu.

Les Surui ont été les grandes eaux inondant mes journées. Je veux retourner vers eux avec une âme nouvelle, pour demander aux petits-enfants de mes amis ce qu'ils pensent du monde, du Brésil, de leur nouvelle vie, quels dieux ils suivent, s'ils vont encore au pays de l'au-delà, le Marameipeter ou Gorakoied, si d'autres pajés différents vont venir.





Merci à la librairie Dialogues : 

jeudi 28 juin 2012

Leonardo Padura : Les brumes du Passé (Citation)



Miro Argenter Jose : Cronicas de la guerra de Cuba (1911)

Un des livres qui compose la bibliothèque idéale des Montes de Oca dans le roman



Dans Les brumes du passé, Cristobal, le vieux bibliothécaire qui a fait découvrir à Mario Condé l'amour de la lecture  part à la retraite dans un pays, Cuba, qui est en crise. Inquiet pour le sort de la bibliothèque après son départ, il se confie à Mario : 

Chacun des livres qui sont là derrière (il indique le magasin du fond) a son âme, sa vie, il a une part de l'âme et de la vie des gamins, qui, comme toi, sont passés par cette bibliothèque et les ont lus au cours de ces trente années. J'ai classé chacun de ces livres, je les ai rangés à leur place, je les ai  nettoyés, recousus, collés, quand c'était nécessaire. Mon petit Conde, j'ai vu beaucoup de folies durant ma vie. Que va-t-il leur arriver?
 Chaque livre, n'importe lequel est irremplaçable, chacun a un mot, une phrase, une idée qui attend son lecteur.

jeudi 21 juin 2012

Leonardo Padura : Les brumes du passé






Les brumes du passé de Léonardo Padura, écrivain cubain, est un très beau livre dont on subit le charme, peu à peu, en entrant dans l'histoire du personnage récurent Mario Conde et d'un pays Cuba.

Mario Conde est entré dans la police par idéal, parce qu'il n'admet pas que les coupables ne soient pas punis pour leurs actes. Mais ce qu'il a vu dans la police, corruption, malhonnêteté, l'a dissuadé d'y rester. Il s'est donc reconverti dans le commerce des livres anciens que les collectionneurs  revendent pour ne pas mourir de faim dans l'île qui subit la crise de plein fouet. Un jour d'été 2003, il découvre une bibliothèque inestimable dans la maison d'un riche propriétaire qui a dû fuir l'île après la révolution cubaine de 1959. Et dans un de ces livres prestigieux, il  trouve la photo d'une ancienne chanteuse de bolero, Violeta del Rio. Sans trop savoir pourquoi l'image et bientôt la voix de cette femme envoûtante vont le hanter. Il part donc à la recherche des brumes du passé, essayant de retrouver les traces de cette artiste qui a brutalement disparu de la scène. Parallèlement,  Dioniso Ferrero, le propriétaire de la bibliothèque découverte par Mario, est assassiné et six livres disparaissent. Ceci suffit à expliquer que Mario Condé et son associé soient considérés comme les premiers suspects. L'ancien policier, pour se disculper, va donc se lancer dans une enquête pour retrouver le meurtrier. Quelque chose lui dit que cette recherche est indissociable de celle qu'il a entreprise à propos de Violeta del Rio.
Le récit est raconté à la troisième personne et suit le personnage de Mario Conde évoluant dans le Cuba contemporain des années 2000. Il est entrecoupé des lettres d'une femme inconnue mais dont on devine vite la personnalité qui sont écrites dans les années post-révolution.

Non, Les brumes du passé, n'est pas un livre policier, même s'il l'est, oui..  C'est aussi un roman noir avec avec Violeta del Rio, La Dame de la nuit, ce personnage de femme fatale qui évolue, dans les années 1950,  dans un univers sinistre où les plus grands bandits sont les hommes qui ont le pouvoir. Mais il est tellement autre chose aussi, tellement riche avec ces thématiques passionnantes et ses personnages qui finissent par être attachants même s'ils ne sont pas exempts de défauts. Représentants de l'humanité moyenne, ils doivent composer avec leur conscience pour s'en sortir dans un pays où les restrictions alimentaires sont terribles depuis la crise, où les tickets d'alimentation ne permettent que de survivre, où l'on n'est pas sûr de pouvoir manger le lendemain.
Ce livre c'est d'abord l'Histoire de Cuba dont le passé s'accumule par strates, expliquant le présent des personnages et du pays. L'écrivain nous présente plusieurs époques , instaurant un va-et-vient  désordonné de l'une à  l'autre au gré du récit, de la présidence de l'immonde dictateur Batista, à la révolution de Fidel Castro, jusqu'à notre époque qui se marque par un constat d'échec.. Ces allers-retours permettent de comprendre ce qu'était Cuba sous Batista avec un gouvernement et des riches qui ne se préoccupaient que de s'enrichir encore plus, organisant eux-mêmes la prostitution de luxe avec des mineures, la vente de la drogue, faisant en sorte que le pays serve de bordel aux Etats-Unis... Face à eux, un peuple affamé et inculte livré à la prostitution, à la drogue, au banditisme.. On comprend pourquoi la révolution a été si bien accueillie par les gens modestes. On comprend pourquoi Mario Condé et ses copains y ont cru et ont sacrifié les meilleures années de leur vie pour parvenir à créer un monde meilleur. On comprend aussi ce qu'ils éprouvent à présent en voyant leur pays à l'agonie, en comprenant qu'ils ont été floués, que leurs idéaux ont été bafoués, qu'une autre caste sociale détenant le pouvoir a remplacé l'autre. La révolution a échoué,  ils doivent renoncer à un rêve qui aurait pu être beau mais qui a été corrompu. Cuba est redevenue aujourd'hui un  lieu de tourisme sexuel pour les étrangers, un immense terrain où la drogue, la corruption, la violence et le vol règnent en maître...  à faire regretter sinon la vie avant la révolution, du moins les lieux d'amusement - comme l'explique un vieux musicien-  les cabarets qui permettaient sous Batista d'oublier la misère, la musique populaire et surtout le bolero, chanson sentimentale cubaine, souveraines dans l'île à cette époque et qui a disparu de nos jours!  Le lecteur ressent avec beaucoup d'acuité le désenchantement, la nostalgie de ces vieux bonhommes, ces personnages qui sont à l'heure du bilan, Mario et ses amis, Flaco et sa mère, Candito, le Paloma..

Car Les Brumes du passé est une belle histoire d'amitié. Quand on est à l'heure des illusions perdues, il n'y a vraiment que les amis qui comptent. C'est ce que pense Mario Conde qui veille sur ses copains comme une mère sur ses enfants, se faisant du souci pour leur santé, partageant avec eux, en beuverie et en ripaille, l'argent qu'il gagne avec la vente de livres.

Et c'est aussi un hymne aux livres. Mario Conde a appris à aimer les livres grâce au vieux bibliothécaire de son lycée qui lui a fait découvrir tous les classiques. Cet amour, il le porte en lui comme la part la plus propre qui compose sa personnalité. Il vend de vieux livres, poussé par la nécessité, certes, avec un brin de culpabilité, mais il les aime, il les protège, il refuse que les grands livres patrimoniaux quittent le territoire de son pays. Et c'est ce que j'ai aimé dans le personnage, cette pureté qu'il parvient à conserver quand il s'agit de tout ce qui lui tient à coeur, les amis, les livres, l'honnêteté.  J'ai aimé qu'il soit "un Martien" comme lui dit son ami Yoyi Palomo,  incorruptible, refusant la cupidité, la prostitution, la drogue, n'ayant même jamais fumé un joint de sa vie.
Un très beau livre. J'ai vraiment découvert un écrivain de talent et j'ai hâte de lire d'autres livres de lui!

Dans le cadre des écrivains latino- américains

dimanche 21 août 2011

Pablo Neruda : Oh! long Train de Nuit


Paul Delvaux : Le viaduc


Oh! long Train de Nuit
souvent
au Sud en direction du Nord,
au milieu des ponchos mouillés,
des céréales,
des bottes que la boue raidit,
en Troisième,
tu as déroulé la géographie.
C'est peut-être alors que j'ai commencé
la page terrestre,
que j'ai appris les kilomètres
de la fumée,
l'étendue du silence.
Pablo Neruda : Mémorial de l'île Noire (1964. extraits)




Les compagnons Troubadours  de  Celsmoon:
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.

Poème publié dans mon ancien blog

jeudi 18 août 2011

Alberto Manguel : Dans la forêt du miroir

Alice et le lapin blanc John Tiennel


Imaginer, ce n'est pas mentir. Imaginer, c'est quand on raconte une histoire vraie mais on sait qu'elle est fausse me dit mon petit-neveu qui a cinq ans. Un mot d'enfant?


Oui! Mais voilà ce que je lis Dans la forêt du miroir*: Essais sur les mots et sur le monde d'Alberto Manguel et ce sera la citation de ce jeudi :

Les enfants savent ce que la plupart des adultes ont oublié, que la réalité, c'est tout ce qui nous paraît réel. Que bien qu'on ne puisse nier le monde extérieur (ainsi que l'a démontré le Dr Johnson en frappant du pied une pierre), on peut par un éclairage et un arrangement nouveaux lui donner la signification que nous voulons.
*lecture en cours
la citation du jeudi initiée par Chiffonnette.

mardi 19 avril 2011

Angela Largo : Le petit marchand des rues


Le petit marchand des rues de Angela Largo est un album qui s'adresse aux enfants à partir de 4 ans.
Il n'y a pas de texte mais seulement des illustrations, d'ailleurs fort expressives, nul besoin de paroles. Elles  racontent l'histoire d'un petit garçon qui vend des fruits dans les rues bondées de voitures d'une grande ville au Brésil. Et cet enfant se heurte à l'indifférence, la mauvaise humeur, la méchanceté des  automobilistes. Il ne parvient pas à vendre un seul fruit.  Alors, il vole... des fruits qu'il se met à vendre dans les rues d'une grande ville au Brésil au milieu de l'indifférence, de la mauvaise humeur, la méchanceté des automobilistes. Un éternel recommencement, un cycle qui reprend sans cesse et  qui laisse bien peu d'espoir au gamin de pouvoir échapper à la pauvreté.
Vous allez me dire, c'est un histoire horrible, trop triste? Et oui ... mais il est bon de faire comprendre à nos bambins que tous les enfants n'ont pas la même chance, et que tous pourtant devraient pourtant avoir les mêmes droits. Il découvrira peut-être que l'injustice et l'inégalité existent mais aussi qu'un peu de solidarité et d'amitié pourraient améliorer bien des choses sur notre planète. Et il  appréciera peut-être encore plus le bonheur d'avoir une famille qui l'aime. Le livre est, en effet, assez riche pour permettre une discussion avec l'enfant et amorcer une réflexion à son niveau. J'espère pouvoir donner une éducation  comme celle-là à ma petite fille quand elle sera un peu plus grande!
Les illustrations sont de véritables tableaux qui jouent sur les couleurs pour exprimer les sentiments sans aucun réalisme : L'enfant a le visage vert et affrontent des gens et des chiens aux visages rouges, aux dents pointues, aux traits effilés comme des bêtes sauvages ou des sorciers cruels. Les automobiles  sont  parées de couleurs vives, voire violentes, jaunes, rouges ou vert criard alors que l'univers de l'enfant environné de bleu et noir est sombre et glauque. Parfois, lorsque petit garçon vole un paquet à l'intérieur d'un véhicule, l'image vire au cauchemar mais il y aussi des moments de tendresse quand il partage son maigre repas avec un chien des rues, comme lui, ou quand il aperçoit dans une voiture une maman câlinant son bébé  dans des teintes doucement bleutées.
Un très bel album!

samedi 16 octobre 2010

William Ospina : Le pays de la cannelle



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Le pays de la cannelle de William Ospina, écrivain colombien, est un beau roman riche, touffu et luxuriant comme la forêt amazonienne qu'il nous fait découvrir, éblouissant à l'égal de l'Empire du Soleil dont sont issus les rois incas, traversé par des éclairs de violence à l'image des conquistadors espagnols, les frères Pizarro, dont la cupidité, la cruauté et la démesure ont eu raison de cette brillante civilisation. Ouvrir ce livre, c'est entrer dans une aventure passionnante, à la découverte d'un monde étrange, qui nous amène aussi à une belle réflexion philosophique.
En 1540, le jeune héros du roman, âgé de 17 ans, (qui est aussi le narrateur) décide de quitter Hispanolia, abandonnant sa mère indienne pour partir au Pérou récupérer l'héritage de son père dont il vient d'apprendre la mort. Ce dernier, un conquistador espagnol, Marcos de Medina, a participé à la conquête à côté de Francisco Pizarro. Le jeune homme nourri par les récits des lettres de son père arrive donc peu de temps après la victoire des conquistadors. Il découvre, nostalgique, les ruines de cette grande civilisation en train de disparaître. Il comprend bientôt qu'il ne parviendra jamais à remettre la main sur la fortune de son père. Il s'engage alors à côté de Gonzalo Pizarro dans une expédition vers Quito, où d'après les dires des indiens, existe un pays entièrement planté de caneliers, à la recherche donc de la cannelle, épice plus précieuse encore que l'or. Une aventure qui le mènera bien au-delà du but poursuivi, sur le plus grand fleuve du monde, l'Amazone, à la découverte d'un monde étrange, mystérieux, fascinant et dangereux dont il sort transformé à jamais.
Le pays de la cannelle est donc d'abord un roman d'aventure qui raconte les épreuves endurées par ces hommes,  froid et souffrance sur les parois glacées de la cordillère des Andes, voyage sur les eaux déchaînées et tumultueuses de l'Amazone et de ses affluents, attaques des indiens hostiles, faim, maladies du corps et de l'âme,  désespérance, peur mais aussi découverte d'un monde sans limite, l'immense forêt amazonienne avec ses légendes, ses peuples, sa flore et sa faune. Beauté et douleurs étroitement liées. Il fallait le talent de William Ospina pour décrire cette équipée sauvage, composée de 240 soldats et officiers espagnols accompagnés par 4000 indiens, 2000 lamas, 2000 chiens de défense et 2000 porcs pour les nourrir - des chiffres qui passent l'imagination - menée par un chef d'une férocité et d'une brutalité proches de la démence.
Ce roman historique s'appuie sur une grande érudition qui nous fait découvrir la civilisation inca, les différentes phases de la conquête, la découverte de l'Amazonie. William Ospina fait revivre pour nous ces conquistadors espagnols, venus d'Estramadur, que la dureté de la vie en Espagne à cette époque a façonnés, âpres et ambitieux, sans scrupules, mi-homme, mi-bêtes, se riant de la mort, prêts à tout pour échapper à leur condition. Face à eux, une civilisation d'une richesse et d'une beauté inouïes, ancienne et raffinée, dont l'écrivain nous fait partager les croyances, les légendes, la quête spirituelle. Le roman se fait alors dénonciation de cette conquête féroce, de cette boucherie de l'Histoire accomplie pour l'amour de l'or. Il dénonce ainsi l'extinction d'une civilisation, l'extermination d'une race par une autre et au-delà toute colonisation basée une incompréhension de l'autre et un sentiment de supériorité qui dénie le statut d'hommes à ceux qu'elle soumet. Le jeune de Médina dont la mère est indienne comprend la spiritualité inca et se sent proche d'eux.
Ainsi Le pays de la canelle est un roman baroque, foisonnant, par la forme et  le style, qui nous entraîne bien loin dans le temps  et  dans l'espace mais c'est aussi une quête spirituelle à la recherche de soi-même.
Le Narrateur est âgé lorsqu'il raconte son histoire à Ursua, un ami plus jeune, pour le dissuader de partir sur sur l'Amazone et de l'entraîner avec lui. C'est ce qui explique que le récit s'accompagne toujours d'une réflexion sur l'expérience vécue dans sa jeunesse. Le vieillard sait ce que le jeune ne peut saisir. Avec les années, il donné un sens à ce qu'il a vécu. Il a compris que ce qui vaut la peine d'être recherché plus encore que la richesse, c'est la beauté: ... si l'on me demandait quel est le plus beau pays que j'ai connu, je dirai que c'est celui dont nous rêvons.. car seul le rêve permet à l'homme de se surpasser, d'aller au-delà de ses limites. Pourtant dans cette recherche de la beauté, les espagnols ont détruit une beauté plus grande encore. Il a compris aussi que ce que l'on recherche est en soi car "où que tu ailles, tu porteras ces vieilles questions, tu ne trouveras rien dans tes voyages qui n'ait été avec toi de toute éternité et quand tu affronteras les choses les plus inconnues, tu découvriras que ce furent elles qui bercèrent ton enfance."
Quelques passages :
On dit que seuls les hommes et les animaux laissent des fantômes sur la terre, et pourtant j'ai vu des pierres fantômes, des édifices fantômes, car de chaque ruine, de chaque pierre brisée mon regard tirait ce qu'elle avait été.
Alors, toi aussi tu connais cette légende de la cité brillant au loin grâce à ses pierres laminées d'or. Mais je peux te dire une chose encore plus étonnante : quand Pizarro apparut sur les sommets, il fut à la fois ébahi et effrayé car cette énorme cité avait la forme d'un puma d'or. Dans le monde antique, on n'avait jamais envisagé qu'une ville puisse être un dessin dans l'espace, or il avait sous les yeux le profil exact d'un puma, depuis la queue allongée et arquée jusqu'à la tête légèrement dressée au-dessus des sommets, avec son oeil aux grandes pierres dorées, au fond duquel veillaient les gardiens somptueux.
 Le soir quand je demandai à un de ces hommes de cuivre, qui portait un turban multicolore, si Quito était loin du pays des caneliers, il répondit à mon grand étonnement qu'il n'existait rien de ce genre, que sur ces terres les arbres sont tous différents et qu'il n'avait jamais entendu parler d'une forêt où tous les arbres seraient semblables. (..) Il ajouta que la terre ne s'arrête jamais à une seule pensée...
 Même si les arbres ne rient pas, cela ne veut pas dire qu'ils sont tristes, dirent-ils. Les arbres se contentent peut-être de méditer, de se rappeler les lunes qu'ils ont vues, les fables que murmure le vent dans leurs branches, les souvenirs des morts.

Et je m'arrête car tout est beau dans ce roman.

Voir aussi les avis de  : Folfaerie ; fleur de soleil

dailogues-croises-capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1301589566.pngMerci à Babelio et aux éditions JC Lattès

dimanche 10 octobre 2010

Guillermo Arriaga : Mexico quartier sud

 

Mexico quartier sud, le titre est explicite car c'est bien ce quartier qui est le sujet  de ce recueil de nouvelles de Guillermo Arriaga. Dans  la grande avenue Retorno au sud de Mexico vit une population mêlée. C'est là que Arriaga place ses personnages, le Viking, un enfant à qui la rue a appris la violence, Lilly une jeune fille handicapée, Séraphina, une femme de ménage enceinte, un vieux marin en proie à une insupportable douleur... Mais aussi des notables qui acceptent mal tout ce qui perturbe leur tranquillité ainsi le docteur Diaz qui est un personnage récurrent et sinistre sous ses dehors de respectabilité. Car si c'est la rue qui inspire Arriaga, il nous fait pourtant pénétrer dans les intérieurs des maisons et découvrir derrière les façades fermées la réalité des faits et des actes, une réalité très souvent violente.

La première de ces nouvelles, en effet, intitulée Lilly est d'une telle violence qu'on la reçoit comme un coup de poing. On se demande si l'on sera capable d'en supporter beaucoup plus. Heureusement et d'une manière surprenante, la suivante, La veuve Diaz, est une belle  et triste histoire d'amour contée avec beaucoup d'émotion, tout comme celle de La Nouvelle Orléans, poignante, décrivant la douleur intolérable de ce père dont la fille s'est noyée, ou encore ce petit garçon marqué à jamais par la mort de sa petite soeur, Laura, dont les parents inconsolables ont fait disparaître jusqu'au souvenir dans Le Visage effacé. A côté de ces thèmes de la Mort et l'Amour étroitement liés qui courent dans les nouvelles que j'ai le plus aimées, il y aussi l'image d'une société injuste, terrible et implacable qui apparaît dans d'autres récits : Dans La Nuit bleue le docteur Diaz qui a tué une jeune femme en pratiquant un avortement qu'il savait dangereux marchande avec la police pour acheter son silence. Dans Légitime Défense, le docteur Diaz aide son voisin à se  débarrasser du corps du jeune voleur que ce dernier a tué! Ainsi le meurtre semble bien aisé quand on est riche et considéré face à une police corrompue, et le cynisme des classes dominantes envers les victimes si elles sont humbles et sans appuis paraît sans bornes.
J'ai été frappée par la diversité des sujets et du style de Guillermo Arriaga qui change selon les récits dont j'ai apprécié la force même s'ils ne sont pas tous au même niveau..

 Merci à BOB et aux éditions Phébus

dimanche 26 avril 2009

Les anges, de Rafael Alberti à Homero Aridjis

 
L'ange de l'Annonciation de Fra Angelico

Quand le grand poète espagnol, Rafael Alberti, publie, en 1929, à l'âge de vingt-sept ans, son recueil Sur les Anges (Sobre los angeles) il traverse une période qui n'est que colère, fureur, rage, détresse, selon ses propres mots. A peine remis de la tuberculose,  en proie à une crise spirituelle avivée par un chagrin d'amour, il entretient pourtant l'espoir en lui. Par la poésie, il va entreprendre de renaître à lui-même. Sur les Anges correspond donc à la quête du poète à la recherche de son âme. C'est la rencontre de l'amour,  de celle qui deviendra sa femme et le ramènera à la vie.

Ainsi il écrit à propos de son recueil : "C'est alors que j'eus la révélation des anges, non pas des anges chrétiens, corporels, des beaux tableaux ou des gravures, mais de ces anges qui ressemblaient à d'irrésistibles forces de l'esprit, aptes à être façonnées selon les états les plus troubles et les plus secrets de ma nature. Et je les lâchai par bandes à travers le monde, aveugles réincarnations de tout ce qu'il y avait en moi de sanglant, de désolé, d'agonisant, de terrible et parfois de bon- de tout cela qui me traquait" .

 Peu de temps après avoir refermé Sur les anges d'Alberti, j'entrai dans l'univers du recueil Le Temps des Anges (Tiempo de angeles) de Homero Aridjis, poète mexicain que je m'étais promis de découvrir après avoir lu l'hommage que lui consacrait Le Clezio dans son discours pour le prix Nobel.

Le recueil de Homero Aridjis fait bien sûr référence à celui de Rafael Alberti en particulier dans le long poème de dix strophes intitulé Sur des anges qui est une variation sur le titre du recueil du poète espagnol.

Pour Homero Aridjis, l'ange est celui qui unit l'être aux dieux, c'est celui que l'homme deviendra quand il se trouvera lui-même, lorsqu'il saura voir l'ange qu'il y a en lui. L'ange et l'homme se rejoignent dans la langue originelle que parlent tous les anges de tous les temps, celle qui est faite des mots du poème, de paroles intérieures.

L'ange n'est-il pas tout simplement le poète chargé d'assister à la souffrance et la solitude des hommes, à la destruction de notre planète et de s'en faire le témoin? Son témoignage parviendra-t-il à ramener les hommes à la raison, et à l'amour, à introduire une lumière dans le dernier soir du monde?

L'ange, en ces temps de noirceur

qui se préparent,                           
  sera messager de lumière.

Que l'ange soit l'égal de l'homme

Voici que vient le temps des anges .


Fra Angelico

L'Ange du soleil couchant (extraits)

Il marchait dans la forêt perturbée,

entendait le parfum des plantes effacées,

touchait le chant des oiseaux disparus,

voyait les branches de végétations mortes,

car dans sa mémoire chaque temps était présent,

des visions se détachaient par ses yeux.

(...)

 Les ancêtres venaient à sa rencontre :

"Qu'as-tu fait des animaux? Pourquoi salir les flots?

L'air a changé. Où sont partis les oiseaux?"

"L'année fut sans printemps, et sera sans hiver.

Le soleil, comme un oeil sans paupières,

fixe furieusement la terre."

Lui, figé sur la colline du Couchant,

vêtu de jaune, les ailes resplendissantes,

ne trouvait pas de mots pour répondre;

il leur montrait simplement de la main

les bribes bleues, les lambeaux verts

du paysage de son enfance lacérée