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lundi 5 février 2024

Mayra Santo-Febres : La maîtresse de Garlos Gardel

 

Dans La maîtresse de Garlos Gardel de Mayra Santo-Febres, écrivaine portoricaine, Micaela Thorné, une femme âgée, devenue gynécologue et phytologue, raconte la rapide liaison qu’elle a eue avec Carlos Gardel, surnommé le roi du Tango, quand elle était une jeune fille étudiante à l’école d’infirmière dans l’île de Porto Rico.
Nous sommes en 1935 qui est l’année de la mort de Carlos Gardel dans un accident d’avion, l’année aussi où Micaela va vivre avec lui une passion brûlante qui durera vingt-sept jours, période à la fin de laquelle elle est congédiée par l’impresario du chanteur comme une vulgaire chaussette ayant fini de servir ! Heureusement, comme il la vire rapidement, elle pourra valider son diplôme d’infirmière et plus tard continuer des études de médecine. Comme si, pour "suivre son propre chemin", il fallait absolument "le parcourir sans l'aide d'un compagnon". C'est la question qu'elle se pose face aux livres qui se rappellent à elle pendant sa liaison amoureuse et qui lui annoncent "des aventures différentes" :

La seule façon d'aller au bout de ces aventures-là est-elle toujours solitaire ? Libre d'attaches sentimentales ?

Carlos Gardel


Bien sûr, ce roman nous fait connaître la vie du célèbre chanteur né en France à Toulouse ou en Argentine, ou encore en Uruguay.  Le  récit nous explique le mystère autour du lieu de la naissance de celui qui vécut une enfance pauvre et violente en Argentine avant de triompher sur la scène. Il y a aussi une réflexion intéressante sur la danse elle-même qui naît dans les bas quartiers des grandes villes hispaniques et conquiert les classes sociales supérieures désireuses de s'encanailler surtout après l'anathème jeté par le Pape qualifiant le tango comme la danse du Diable !  Il y a aussi un passage sur la beauté de la tristesse et de la nostalgie, que l'on peut peut-être comparer à la "saudade" du  Fado portugais ?

 La tristesse est cette note qui s'étire comme un bandonéon. Elle fait grandir l'appel quand la distance se relâche, grandir la voix quand l'objet du désir est loin. C'est de là que viennent ce soupir et cette cassure dans la voix. C'est vers ce lieu-là qu'il faut tendre, faire battre le cœur, pour que la nostalgie atteigne ce qu'on a perdu et le fasse revivre dans la poitrine.

 
Bien sûr, Carlos Gardel est une personnalité célèbre et il est intéressant d'en savoir plus sur lui mais je l'ai trouvé antipathique et il m’a irritée comme m’a ennuyée la soumission de Micaela, personnage fictionnel autrement intéressant pourtant, dans sa conquête du savoir et sa recherche de l'indépendance. Bref ! je n’ai pas particulièrement apprécié cette histoire d’amour torride, assez classique finalement, l’un dans le rôle de « l’étalon » latin, l’autre dans le rôle de la fille noire éprise jusqu’à risquer de mettre sous éteignoir son intelligence et à perdre sa dignité.
Car Micaela est noire et, à ce titre, elle subit le racisme déclaré ou larvé de la société et de ses pairs, les autres étudiantes. Si elle peut envisager de poursuivre des études, ce qui est impensable dans le milieu où elle vit, c’est grâce à sa grand-mère, la « sorcière », guérisseuse, dont la connaissance des plantes médicales est si poussée que pour connaître ses secrets, un médecin, le docteur Roberts, parraine la jeune fille et lui fait obtenir une bourse. C'est donc une double lutte que mène Micaela, échapper au déterminisme social et se libérer en tant que femme amoureuse.
C’est ce que j'ai aimé dans ce roman ainsi que le personnage très fort de la grand-mère avec toutes les connaissances médicales qui ont trait aux plantes comme celle, mystérieuse, appelée le Coeur-de-vent, plante sorcière dont Micaela devenue médecin percera le secret scientifique.

"De la famille de l’Uncaria Tormentosa, connue dans ce pays sous le nom de Coeur-de-vent, la plante et son champignon contiennent des doses adaptogèniques d’hormones végétales, ainsi que d’autres composés qui peuvent être isolés pour traiter d’autres maladies."
"J’ai travaillé sur la plante pendant des décennies, classant ses constituants, mesurant sa composition."
 

De plus le roman est bien écrit avec de belles descriptions animées et vivantes de la vie dans les quartiers populaires et des paysages de l’île.

Les Mogotes (Cuba)


"J’ai regardé par la vitre. Les mogotes de calcaire défilaient les uns après les autres. Tout était vert. Nature dense et sauvage. J’ai commencé à déchiffrer la campagne. Malgré l’enchevêtrement d’arbres et de feuillages, je parvenais à identifier des hibiscus, un chêne cabelassier, des cèdres, un palmier royal, des acajous sur lesquels grimpaient du lierre, des Bromélies. Elles étaient bien là, les plantes, elles régnaient. Certains vivaient des autres, griffant le ciel en quête de plus de lumière. D’autres donnaient de l’ombre et des fruits tandis que des millions de feuilles se transformaient en excroissances, pour donner leur jus. "

LC avec Ingannmic  ICI



jeudi 8 juin 2023

Danemark Copenhague : Jules Verne, la flèche de Borsen, la flèche de Saint Sauveur et l'absolutisme au château de Frédériksborg

18 Octobre 1660 sur la place de Kjöbenhaven : La prestation de serment de Frédéric III  par Heinrich Hansen
 

Un intérêt historique :  L'absolutisme

 C'est au deuxième étage du château de Frederiksborg que l'on trouve ce tableau passionnant :  La prestation de serment de Frédéric III exécuté en 1880 par Heinrich Hansen, peintre danois du XIX siècle.  Ce tableau peint la journée du 18 Octobre 1660, une journée historique importante dans l'histoire du Danemark, au cours de laquelle le roi reçoit le serment d'allégeance des Etats qui reconnaissent la monarchie absolue et héréditaire.

En effet, après la fin du conflit entre la Suède et le Danemark et le traité de Roskild confirmé par la paix de Copenhague, Frédéric III s'appuie sur la riche bourgeoisie et le clergé en conflit avec les nobles et en profite pour introduire la monarchie absolue en Septembre 1660. Puis en Octobre 1660, il la déclare héréditaire. Avant lui, le monarque était élu par un conseil. La loi renforce le caractère féodal de la société. La noblesse et la riche bourgeoisie reçoivent des terres avec les paysans qui y sont attachés et n'ont aucun droit. A la fin du XVIII siècle, 80% des terres du pays appartiennent à une centaine de familles qui sont aussi propriétaires de 770 châteaux ou manoirs.  L'absolutisme est aboli par Frédéric VII et son successeur Christian IX, en 1849, date où la monarchie devient constitutionnelle.  

Un des aspects intéressants du roman de Per Olov Enquist, Le médecin du roi, montre l'état féodal de la société sous Christian VII malgré les idées des Lumières, surtout avec la loi de 1733 qui aggrave le statut des paysans. Il  explique comment Struensee, le médecin du roi devenu ministre,  entreprend à lui seul de réformer la société, d'abolir le servage, les privilèges, la censure, de rétablir la liberté de la presse ... On comprend qu'il se soit fait quelques ennemis et qu'en dehors de son adultère avec la reine,  il avait quelques raisons de craindre pour sa vie !

"Quand, en 1733, le servage avait été établi, il avait constitué pour la noblesse un moyen de contrôler, ou plus exactement d'empêcher la mobilité de la main d'oeuvre. Quand on était paysan et né sur un domaine, on n'avait pas le droit de quitter ce domaine avant l'âge de quarante ans. Les modalités, le salaire, les conditions de travail et de logement étaient fixés par le propriétaire du domaine. A quarante ans, on avait le droit de s'en aller. La réalité étant qu'à cet âge, la majeure partie des paysans étaient à tel point devenus passifs, profondément alcooliques, criblés de dettes et physiquement épuisés, qu'on ne comptait guère de départs.

C'était l'esclavage danois."

Mais cette peinture est aussi intéressant pour de multiples raisons : 


 Copenhague

Et d'abord, ce tableau peint un coin de Copenhague  :  Le cortège sort de Borsen ou Bourse de Copenhague construite pour Christian IV par des architectes flamands entre 1619 et 1640 dans le style de la Renaissance flamande. On remarque la flèche du grand bâtiment autour de laquelle s'enroulent les queues de quatre dragons jusqu'à 56 mètre de Hauteur. Elle se voit de loin quand vous vous promenez à Copenhague. Il faut noter le joli pont qui enjambe le canal, et dans les voiliers, un homme monté sur un mât pour mieux voir le cortège royal.

 

La prestation de serment de Frédéric III 18 Octobre 1660 sur la place de Kjöbenhaven : (détail) Heinrich Hansen (1880)


En cherchant des renseignements j'ai trouvé dans wikisource un extrait de Voyage autour de la Terre dans lequel Jules Verne décrit cette flèche en 1880.

Puis je pris un plaisir d´enfant à parcourir la ville ; mon oncle se laissait promener; d´ailleurs il ne vit rien, ni l´insignifiant palais du roi, ni le joli pont du XVIIe siècle, qui enjambe le canal devant le Muséum, ni cet immense cénotaphe de Torwaldsen, orné de peintures murales horribles et qui contient à l´intérieur les œuvres de ce statuaire, ni, dans un assez beau parc, le château bonbonnière de Rosenborg, ni l´admirable édifice renaissance de la Bourse, ni son clocher fait avec les queues entrelacées de quatre dragons de bronze, ni les grands moulins des remparts, dont les vastes ailes s´enflaient comme les voiles d´un vaisseau au vent de la mer.

 

Flèche aux quatre dragons Bourse de Copenhague (photo de Jugalon)

Mais  l'écrivain décrit aussi une autre flèche remarquable, celle en spirale, avec un escalier en colimaçon extérieur, de l'église de Saint Sauveur. L'oncle de notre héros l'oblige à monter au sommet et bien que cela nous amène loin de notre journée du 10 Octobre,  je vous en donne un extrait  :

Mon oncle me précédait d’un pas alerte. Je le suivais non sans terreur, car la tête me tournait avec une déplorable facilité. Je n’avais ni l’aplomb des aigles ni l’insensibilité de leurs nerfs.
Tant que nous fûmes emprisonnés dans la vis intérieure, tout alla bien ; mais après cent cinquante marches l’air vint me frapper au visage, nous étions parvenus à la plate-forme du clocher. Là commençait l’escalier aérien, gardé par une frêle rampe, et dont les marches, de plus en plus étroites, semblaient monter vers l’infini.
« Je ne pourrai jamais ! m’écriai-je.
— Serais-tu poltron, par hasard ? Monte ! » répondit impitoyablement le professeur.
Force fut de le suivre en me cramponnant. Le grand air m’étourdissait ; je sentais le clocher osciller sous les rafales ; mes jambes se dérobaient ; je grimpai bientôt sur les genoux, puis sur le ventre ; je fermais les yeux ; j’éprouvais le mal de l’espace.
Enfin, mon oncle me tirant par le collet, j’arrivai près de la boule.
« Regarde, me dit-il, et regarde bien ! il faut prendre des leçons d’abîme !  » 

 

La tour de Saint Sauveur

 

Revenons au 18 Octobre ! Sous un dais, marchent Frédéric III, fils cadet de Christian IV, la famille royale et les hauts dignitaires. La reine, au manteau doublé d'hermine, s'avance majestueusement.  Il s'agit de Sophie-Amélie de Brunswick-Lunebourg dont on nous dit très sybillinement qu'elle est énergique et ambitieuse et que son caractère affectera la vie du roi et le destin du Danemark ?  Je n'ai pas trouvé d'autres précisions. A-t-elle encouragé le virage à l'absolutisme ? Près d'elle, quelques uns des enfants royaux sur les huit qu'elle a eus avec Frederik III. Le futur Christian V se tient près de son père et lui ressemble beaucoup ! Il est né en 1646 et a donc 14 ans lors de cette journée. La fille aînée qui tient son petit frère par la main et lui parle est vraisemblablement Anne-Sophie. Née en 1647, elle a treize ans. Le petit garçon est Georges, 7 ans. L'autre jeune fille est Frédérique-Amélie née en 1649, a 11 ans. La petite fille tenue par la main par un noble est peut-être Ulriche Eleonore née en 1656 donc 4 ans. Devant elle mais cachés par les adultes, deux autres enfants dont on peut imaginer qu'il s'agit de  Wilhelmine Ernestine (10 ans). Je me suis amusée à chercher leur prénom mais je n'ai aucune certitude !


La prestation de serment de Frédéric III  La journée du 10 Octobre 1660 (détail)  Heinrich Hansen (1880)


Dans la foule des hommes et des femmes de tous les milieux sociaux et tous les métiers. Hommes d'armes, musicines, noblesse, bourgeois, et le petit peuple, paysans, marins...


La prestation de serment de Frédéric III  La journée du 10 Octobre 1660 (détail)  Heinrich Hansen (1880)


Les détails des costumes et des coiffures...  Quelques scènes de vie intime : le regard affectueux du grand père tenant sa petite fille par la main, un chien qui quémande une caresse.


La journée du 10 Octobre 1660 (détail) Heinrich Hansen (1880)


La foule qui compose ce tableau est vivante, animée, comme prise sur le vif. C'est à la fois une vision historique intéressante par un artiste qui n'est pas contemporain de la scène et un témoignage humain touchant.

Hansen s'est inspiré d'un autre tableau de la prestation de serment, peint en 1666 par Wolfgang Heimbach mais qui en  élargissant la scène  permet de voir toute la place. (château de Rosenborg)


La prestation de serment de Frédéric III : Wolfgang Heimbach château de Rosenborg

 
Wolfgang Heimbach est un artiste allemand devenu peintre officiel à la cour de Frédéric III (1615-1678)

vendredi 26 mai 2023

Arnaldur Indridason : le roi et l'horloger

 

Au XVIII siècle, à l’époque ou l’Islande est sous la domination danoise, dans le château de Rosenborg, un horloger islandais, Jon Stiversen, est chargé de restaurer une vieille horloge hors d’état de marche, reléguée dans une remise du château au milieu d’autres objets abimés, abandonnés parfois depuis des siècles. Or, cette Horloge qui a été réalisée en 1594 pour ( selon la légende) le roi Christian IV du Danemark (1577-1648) est précieuse. Isaac Habretch (1544-1620), artisan de génie dont le chef d’oeuvre est l’horloge monumentale de Strasbourg, en est l’auteur.

C’est avec bonheur et passion que Jon Stiversen se met au travail et passe ses nuits à chercher à comprendre les mécanismes complexes dont est composée cette oeuvre d’art.  Une soir, il reçoit la visite d’un personnage étrange, un peu ridicule, en robe de chambre, qui n’est autre que Christian VII, le roi du Danemark (1749-1808) qu’il n’a vu jusque là qu’en grand apparat dans les rues de Copenhague.


Christian VII ( château de Fredriksborg)

Les deux hommes s’apprivoisent. Christian VII demande à Stiversen de lui raconter l’histoire de sa famille islandaise. Sigidur, le père de l’horloger a été condamné à mort pour usurpation de paternité et pendu selon les austères lois danoises, puritaines, la religion s'immisçant dans la vie privée des gens, appliquées de manière injuste par les représentants du roi en Islande. Il explique aussi au roi comment son frère, au regard de la loi, peut-être considéré comme un bâtard. Tous ces récits perturbent grandement le souverain qui ressent un sentiment de culpabilité vis à vis de l’Islande en même temps qu’il s’identifie à l’horloger privé de père, lui qui a été un fils mal-aimé (son père est Frédéric V 1723-1766), victime d’une éducation austère et dure.   

 

Frédéric V, le père de Christian VII ( château de Fredriksborg)


Peu à peu on s’aperçoit que le roi, malade mental, est écarté du pouvoir par son fils le futur Frédéric VI  (1768-1839) et les conseillers de la cour. Les secrets ( bien mal gardés)  finissent par voir le jour et la souffrance du roi se déverse en confidences auprès de l’horloger, son amour malheureux pour une prostituée, la trahison et l’exécution de son ami et médecin Stuensee convaincu d’adultère avec la reine Caroline Mathilde, la possible illégitimité de sa fille Louise-Augusta, vraisemblablement fille de Struensee.

 

La reine Caroline-Mathilde ( château de Fredriksborg)

L’idée géniale du roman réside d’abord dans cette « amitié », bien sûr, improbable, imaginée par Arnaldur Indidason, entre le roi du Danemark et un simple homme du peuple et qui permet de mêler étroitement le passé de son pays, l’Islande, et du Danemark, l’un soumis à l’autre qui lui impose ses lois et une implacable colonisation.
Les romans historiques m'intéressent toujours parce qu'ils font vivre les personnages dans leur intimité, leurs pensées, comme si nous les avions réellement rencontrés (et le roman d'Indridason n'échappe pas à la règle), ils nous projettent dans une époque comme si nous en étions familiers. Aussi, lors de mon récent voyage à Copenhague, j'ai cherché partout, dans les musées et les châteaux, les personnages rencontrés dans ce roman. Cela n'a pas été difficile à trouver : toutes les demeures royales sont à la gloire de la monarchie danoise, actuelle ou ancienne, et Christian VII, son père Frédéric V, son fils Frédéric VI mais aussi Struensee, son médecin et Caroline Mathilde, son épouse la reine, sont partout présents.


Struensee, médecin, premier ministre, amant de la reine( château de Fredriksborg)

 

La vie et le caractère des personnages, le roi et l’horloger, (le titre rappelle celui d’un conte) se révèlent peu à peu aux lecteurs mais ils apprennent aussi l'un de l'autre même si ce n'est pas toujours facile d'être "l'ami" d'un roi qui peut vous envoyer à la potence à tout instant !  Tous deux  découvrent leur parcours douloureux qui se rejoint au-delà de tout ce qui les oppose, au-delà la différence sociale et de la nationalité. C’est aussi une occasion pour Indridason de décrire la vie rude des hommes et des femmes islandaises. D’autres personnages comme le père, Sigidur et Gudrun, la belle-mère de Jon Sitversen,  sont des personnages qui ont du relief.

Très intéressante aussi la description des étapes de restauration de l’horloge qui nous fait découvrir toutes les merveilles du mécanisme et la complexité de l’horloge. J'étais impatiente de la découvrir lors de mon voyage.  Elle est au rez-de-chaussée du palais de Rosenborg dans un salon couvert de peintures, en particulier, flamandes.


Château de Rosenborg : Horlode d'Habrecht

Si j’ai quelques réserves envers le récit d'Indridason, elles s’adressent surtout à sa construction : au départ Jon Stiversen raconte l’histoire de son père au roi, mais lorsque le roi est absent, il s’adresse directement à nous, lecteurs. Si bien que lorsque Christian VII revient, il est obligé de recommencer le récit et d’en faire, en fait, un résumé. Ce qui crée des longueurs et ralentit l’action.

L’horloge d’Isaac Habretch

 

Château de Rosenborg : Horlode d'Habrecht

 
"Au même instant, un cliquetis discret se fit entendre à l'intérieur de l'horloge d'Habretch qui se mit en mouvement comme actionnée par une main invisible. Toute la merveille prit vie sous les yeux : les Âges de l'homme s'animèrent, l'Enfance céda la place à la jeunesse, la Lune avança sur son axe dans le ciel, les Rois mages défilèrent avec dignité en se prosternant devant la Vierge Marie, la Mort s'approcha et sonna l'heure, le coq se dressa, déploya ses ailes et se mit à chanter, comme s'il en allait de sa vie, les clochettes du carillon se mirent à tinter grâce au nouveau mécanisme que Jon avait fabriqué..."
 
L'horloge est une réplique en miniature de celle de Strasbourg. Elle donne non seulement l’heure mais les semaines, les mois, les années et les phases de la lune. Elle a une aiguille pour montrer les heures mais pas pour les minutes, la technologie n’étant pas assez avancée pour cela à l’époque.
 Les quatre âges de l'homme (enfance, jeunesse, âge adulte et vieillesse) sont représentés pour évoquer le cycle de la vie  et c'est la mort qui sonne les cloches de la carillon. Il y a aussi un calendrier hebdomadaire, symbolisé par les sept dieux qui ont prêté leurs noms aux jours de la semaine.

Elle s'étage, de bas en haut, exposant d'abord l'aiguille des heures, puis l'aiguille des quart d'heure avec  deux cadrans montrant les jours ( à gauche) et les saisons (à droite), puis la Vierge et les rois mages, au-dessus les âges de l'homme, ensuite la mort qui sonne l'heure,  la lune ( je suppose ?) et le coq.
 
Dans le château de Rosenborg, elle n'était pas en fonctionnement mais elle est toujours en état de  marche ! Vous pouvez écouter le carillon sur you tube.

 

 L'horloge astronomique d'Habretch au château de Rosenborg


L'horloge astronomique d'Habretch La Vierge et les rois mages

"Par exemple il avait maintenant  saisi comment le déplacement des Rois mages (autour de la Vierge) et celui, très lent, des figurines qui représentaient  les âges de l'homme et le cadran qui affichait les jours de l'année fonctionnaient de concert pour constituer l'harmonieuse symphonie de l'exacte mesure du temps." "

 

L'horloge d'Habretch Rosenberg, Copenhague : les quatre âges de l'homme

 

 J'ai eu des difficultés a reconnaître les âges des hommes ! Mais oui, pourquoi pas ? A droite, l'enfance ou le page, au centre et de dos, la jeunesse ou l'écuyer, à gauche, la maturité ou le chevalier et j'aurais bien aimé savoir comment était représentée la vieillesse.


Horloge d'Habretch château de Rosenborg Copenhague


 L'aiguille des quart d'heure surmontés de deux cadrans gravés :  A gauche, les jours de la semaine symbolisés par les dieux qui leur ont donné leur nom en commençant en haut par dimanche, le soleil ; lundi, la lune ; mardi, Mars ; mercredi, Mercure ; jeudi, Jupiter ; Vendredi, Vénus ; Samedi, Saturne. A droite figurent les quatre saisons, l'hiver, le printemps, l'été, l'automne


Horloge d'Habretch château de Rosenborg Copenhague

 Au niveau historique, contrairement à ce qui est communément admis, cette horloge qui date de la fin du XVI siècle n'a pas appartenu à Christian IV. Elle était dans le cabinet de curiosités de Gottorf en Allemagne et a fini par être transférée à Copenhague sur l’ordre du roi Frédéric IV (en 1764). Ce dernier avait conquis la ville et fait transférer les oeuvres d'art vers son pays. Elle a été placée d’abord à Christianborg et puis, après des péripéties, elle a été installée définitivement à Rosenborg en 1846.


Christian VII, la reine Caroline-Mathilde et Struensee


Johann Friedrich Struensee


Si je m'intéresse à ces personnages cités ci-dessus,  c'est bien sûr, parce que je les ai rencontrés aussi dans un autre roman de l'écrivain suédois Per Olov Enquist : le médecin personnel du roi que j'aime beaucoup. Je reprends ici ce que j'en disais :

"Mais lors d’un séjour de Christian VII en Europe, on  le confie  au docteur Struensee qui gagne la confiance et l'amitié du malheureux souverain. Johann Friedrich Struensee va exercer une telle emprise sur lui qu’il devient son premier ministre, le seul autorisé à signer des documents sans avoir besoin de la signature royale. Autant dire que le médecin est l’égal du roi et même plus puisqu’il règne seul, le jeune malade ne pouvant comprendre ce qui se passe. Malgré la vindicte des conseillers, Struensee gagné aux idées philosophiques, de Voltaire à Rousseau en passant par Diderot, en profite pour entreprendre des réformes fondamentales, révolutionnaires, très audacieuses, qui suscitent le mécontentement non seulement des nobles mais du peuple. De plus, l’amour réciproque de Johann Friedrich Struensee et de la reine, Caroline Mathilde de Hanovre, soeur du roi d’Angleterre George III, épouse de Christian VII qui a peur d’elle et la délaisse, va être un des facteurs de sa chute…
Un complot fomenté par tous ceux qui souhaitent sa perte, en 1772, enlève son pouvoir au médecin qui sera exécuté. Je vous laisse découvrir les détails de cette extraordinaire histoire dont Per Olov Enquist tire un récit passionnant, réflexion sur le pouvoir, sur le rôle des Lumières, sur la vie…"


Un peintre satirique au musée Hishsprungske

 


Au musée de Hishspungsket le peintre satirique Christina Zarthmann a représenté ainsi la scène de séduction du médecin et de l'épouse. Pendant que le roi, l'air niais, affalé sur le canapé, inconscient de ce qui se passe, tourne le dos au couple et taquine un perroquet de la pointe de son épée, les deux amants jouent aux échecs, échangeant des regards amoureux sous l'oeil complice de la suivante.



Kristian Zarthmann  musée Hirshsprunsket

 

Le style réaliste et caricatural de Zarthmann est assez surprenant surtout quand il s'agit de peindre la royauté.


Kristina Zarthmann : il était une fois un roi et une reine


dimanche 14 mai 2023

Voyage à Copenhague

La petite sirène

Et oui, je suis là à Copenhague pour une semaine !  
 
Et comme je viens de lire Le roi et l'horloger d'Arnaldur Indridason j'espère bien voir la fameuse horloge d' Isaac Habrecht  -qui se trouve au château de Rosenborg- avant  de commenter le livre ici

 


La littérature danoise

Quelques écrivains danois ICI commentés dans mon blog

Hans Christian Andersen : Peer-La-Chance
 
Hans Christian Andersen : Les contes
 
Thorkild Hansen : La mort en Arabie
 
Anne-Cathrine Riebnitzsky : Les guerres de Lisa

Maren Uthaug : La petite fille et le monde secret
 
et un auteur suédois :
 
Per Olov Enquist  : le médecin personnel du roi qui raconte l'histoire de Christian VII, roi du Danemark et de son médecin Struensee,  que l'on retrouve dans le roman de Indridason cité ci-dessus. Voir aussi le film Le médecin du roi  de Nikolaj Arcel
 

La peinture danoise

 

Vilhem Hammershoi
 

Les musées sont nombreux à Copenhague et j'ai voulu savoir quels peintres danois j'allais rencontrer. 

Je n'en connais qu'un pour l'instant que j'aime beaucoup :  Vilhem Hammershoi (1964-1905). 

J'adore ces intérieurs en demi-teintes, aux lignes épurées, sans ornements, ces camaieux de noirs, de gris et de bruns, qui présentent une  femme ( il s'agit de la femme du peintre), le plus souvent de dos, debout devant une fenêtre lisant une lettre ou assise, absorbé dans ses pensées, se dérobant aux yeux qui les contemplent. Parfois une fenêtre laisse passer un rayon de soleil et une porte ouverte nous laisse entrevoir l'extérieur. Je  trouve ces peintures mystérieuses, énigmatiques : Que fait cette femme ? a quoi pense- t-elle?  La saisissons- nous dans un moment de repos ou de tristesse ?


Vilhem Hammershoi


Ses amis, Peter Islted et Carl Vilhem Holsøe ont des univers proches de Hammershoi.

 Les peintres de Skagen


Peder Severin Kroyer

Il y aussi les tableaux magnifiques des peintres de Skagen dans le Jutland du Nord, une ville et une plage qui ont attiré par leurs lumières et par la fameuse "heure bleue" des peintres comme Peder Severin Krøyer et Michael Ancher , des écrivains,  et des visiteurs du monde entier

Peder Severin Krøyer

 

Michael Ancher

 

Michael Ancher
 

Enfin j'ai lu un article sur  l'âge d'or de la peinture danoise  ICI que je vous résume ci-dessous

L’Âge d’or de la peinture danoise (1801-1864)

 

Christoffer Eckersberg

Christoffer Eckersberg 

Considéré comme  précurseur et de père de l’âge d’or danois Christoffer Eckersberg (1783-1853) se forme à l’Académie royale des beaux-Arts de Copenhague avant de faire un long voyage qui le mène à Paris, où il  a pour maître Jacques-Louis David durant un an, puis à Rome, comme c’est la coutume chez les artistes du XIXème siècle. Il y côtoie des artistes danois, et surtout s’emploie à perfectionner son approche du paysage. Puis Eckersberg s’éloignera  de la peinture idéalisée danoise  peindra les paysages en pleine nature. Ses compositions sont habitées d’une grande rigueur, qui leur donne tout leur équilibre.  

Christoffer Eckersberg

Christen Købke

Christen Købke : Le château de Frederikborg


Christen Købke (1810-1848) a été l’un des élèves de Christoffer Eckersberg, et a suivi son exemple en multipliant les travaux sur le motif. Il a eu une vie très courte qui a interrompu  une eouvre qui témoigne d'une grand talent. Il voyage, en Allemagne et en Italie, avant de revenir au Danemark. Là, il pratique un art d’une très grande délicatesse, en s’attachant notamment à peindre les paysages qui l’entourent, des portraits de personnes familières, des sujets ordinaires, intimes.

Martinus Rørbye

Martinus Rørbye Vue depuis la chambre de l’artiste


Martinus Rørbye 1803-1848  suit les cours de Christoffer Eckersberg à l’Académie royale des beaux-Arts de Copenhague, où il entre à dix-sept ans et se trouve également récompensé. Sa célèbre Vue depuis la chambre de l’artiste (1825) dit beaucoup de son talent et de son goût : comme bien des peintres danois de cette époque, il est attentif aux environnements intimes, mais son regard porte vers l’extérieur, vers les bateaux prêts à partir. Martinus Rørbye voyagera en effet beaucoup. En Italie, en Grèce, en Turquie, en Norvège… Partout, il travaille à saisir la lumière et peint des scènes de genre charmantes.

Constantin Hansen

Constantin Hansen

 Constantin Hansen (1804-1880) :  Né à Rome d’un père portraitiste, il vit ensuite à Vienne puis à Copenhague. Étudiant de l’Académie royale, il profite d’une bourse pour voyager en Europe et s’attarder en Italie durant huit ans. Il excelle dans l’art de la fresque et du portrait, singulier ou de groupe.

Et voilà tout ce que j'ai à voir à Copenhague ... et plus encore, si j'en juge par la richesse de la ville. Et je vais aller aussi au château d'Hamlet à Elseneur. A bientôt !

mardi 10 janvier 2023

Lisbonne : Le monastère Sao Vicente de Fora et Jean de la Fontaine

Eglise et monastère de Sao Vicente de Fora vus du belvédère
 

Eglise et monastère de Sao Vicente de Fora

Le monastère de Sao Vicente de Fora domine la colline de l'Alfama et les deux tours de son église se voient de loin. Il a été fondé par Alfonso-Henriques, le roi Alfonso 1er, en 1147, pour honorer le voeu qu'il avait fait de reprendre Lisbonne aux Maures (le siège de Lisbonne). Plus tard, son église a été  remaniée et l'intérieur est d'un style baroque chargé.

 

Eglise du monastère Sao Vicente de Fora
 

Je voulais absolument voir le monastère et son cloître car je me souvenais y avoir vu des azulejos représentant les fables de La Fontaine lors d'un précédent voyage datant  d'il y a quarante ans.


monastère Sao Vicente de Fora extérieur


Des azulejos, il y a en partout et dès la montée d'escalier !


Escalier du monastère Sao Vicente da Fora


Le jeu de paume, l'ancêtre du tennis


le port de Lisbonne


La chasse


Et même là, elles me traquent ! (les araignées)

AU premier étage, le hall d'entrée présente des panneaux en azulejos narrant la bataille qui a permis à Alfonso 1er de reprendre Lisbonne aux Arabes. Le plafond en trompe l'oeil a été réalisé par un peintre italien sous le règne de Joao V.


Hall d'entrée de la sacristie



Hall d'entrée de la sacristie (détail) : azulejos racontant le siège de Lisbonne

C'est au deuxième étage que l'on découvre les azulejos illustrant 38 fables de La Fontaine. Dans mon souvenir, jadis, ils étaient à l'extérieur. Des panneaux explicatifs en français résument les fables et permettent de se souvenir (ou de découvrir ) certaines d'entre elles. Des trois éditions qui parurent au XVIII siècle, la plus fameuse, celle de 1775, a été illustrée par Jean-Baptiste Oudry, retouchée par Charles-Nicolas Cochin. C'est d'après ces illustrations que les azulejos commandés pour le monastère de Sao Vicente de Fora furent réalisés.


Les azulejos des fables de la Fontaine


Le gland et la citrouille ou Dieu fait bien ce qu'il fait

Monastère de Sao Vicente de Fora La Fontaine Le gland et la citrouille


Sans en chercher la preuve
En tout cet Univers, et l’aller parcourant,
          Dans les Citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant
Combien ce fruit est gros, et sa tige menue
A quoi songeait, dit-il, l’Auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette Citrouille-là :
          Hé parbleu, je l’aurais pendue
          A l’un des chênes que voilà.

(...)

Tout en eût été mieux ; car pourquoi par exemple
 Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt, 
          Ne pend-il pas en cet endroit ?

(...)

Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe ; le nez du dormeur en pâtit.
II s’éveille ; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage ;
Oh, oh, dit-il, je saigne ! et que serait-ce donc
S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde, 
          Et que ce gland eût été gourde ?
Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il a raison ;
          J’en vois bien à présent la cause.
          En louant Dieu de toute chose,
          Garo retourne à la maison.

( Livre IX fable 4)


L'ours et l'amateur des jardins

Azulejos de La Fontaine L'ours et l'amateur des jardins


Certain Ours montagnard, Ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon(1) vivait seul et caché :
Il fût devenu fou ; la raison d'ordinaire
N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés (2):
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.

(...)

Pendant qu'il se livrait à la mélancolie,
               Non loin de là certain vieillard
               S'ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était Prêtre de Flore,
               Il l'était de Pomone encore :
Ces deux emplois sont beaux. Mais je voudrais parmi
               Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre ;
               De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
               L'Ours porté d'un même dessein
               Venait de quitter sa montagne :
               Tous deux, par un cas surprenant
               Se rencontrent en un tournant. 

(...)

Les voilà bons amis avant que d'arriver.
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ; 

(...)

Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une * allant se placer
Mit l'Ours au désespoir ; il eut beau la chasser.
Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur :
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
               Mieux vaudrait un sage ennemi.

 (Livre VIII fable 10)

*mouche

             L'astrologue qui se laissa tomber dans un puits

L'astrologue qui se laissa tomber dans un puits

Dans le Théétète de Platon, à l'occasion d'une digression sur le difficile statut du philosophe dans la cité, Socrate relate une anecdote devenue célèbre, celle de Thalès contemplant les astres et tombant dans un puits, suscitant le rire d'une servante thrace.

 

Un Astrologue* un jour se laissa choir
        Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête,
        Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
        Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
            Il en est peu qui fort souvent
            Ne se plaisent d'entendre dire
Qu'au Livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce Livre qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le hasard parmi l'Antiquité,
            Et parmi nous la Providence ?
        Or du hasard il n'est point de science :
            S'il en était, on aurait tort
De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort,
            Toutes choses très incertaines.
            Quant aux volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l'esprit
De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables ?
Nous rendre dans les biens de plaisir incapables ?
Et causant du dégoût pour ces biens prévenus ,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus ?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut ; les astres font leur cours,
            Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers ?
            Charlatans, faiseurs d'horoscope,
        Quittez les Cours des Princes de l'Europe ;
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps.
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop ; revenons à l'histoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères
            Cependant qu'ils sont en danger,
            Soit pour eux, soit pour leurs affaires. 
 
Livre II fable13

*La Fontaine critique l'astrologie et non l'astronomie; L'astrologue est celui  qui utilise les sciences pour faire des prédictions sur l'avenir. Pour La Fontaine l'astrologue un "spéculateur", une "pauvre bête".


Démocrite et les Abderitains

Démocrite et les Abdéritains

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !
Le maître d'Épicure  en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quoi ?
               Aucun n'est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère* députa
               Vers Hippocrate , et l'invita
               Par lettres et par ambassade,
A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit : la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
               Peut-être même ils sont remplis
               De Démocrites infinis. 
Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats :
               Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel ; sa folie est extrême. 
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens ;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
               Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens
               Cherchait dans l'homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête. 

 


Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
                Les labyrinthes d'un cerveau
L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
                Attaché selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
                Ils tombèrent sur la morale.
                Il n'est pas besoin que j'étale
                Tout ce que l'un et l'autre dit.
                Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
                En quel sens est donc véritable
                Ce que j'ai lu dans certain lieu,
                Que sa voix est la voix de Dieu ?*

Livre VIII fable 26

* Abdère : colonie grecque de Thrace, patrie de Démocrite, maître d'Epicure,  fondateur avec Leucippe de la théorie des atomes.

*La Fontaine récuse Vox populi, vox Dei
 


Le pot de terre et le pot de fer


Le Pot de fer proposa
Au Pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,
Disant qu'il ferait que sage
De garder le coin du feu ;
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris serait cause.
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le Pot de fer.
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.
Mes gens s'en vont à trois pieds,
Clopin-clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés,
Au moindre hoquet qu'ils treuvent.
Le pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas
Que par son Compagnon il fut mis en éclats,
            Sans qu'il eût lieu de se plaindre .
Ne nous associons qu'avecque nos égaux ;
            Ou bien il nous faudra craindre
            Le destin d'un de ces Pots .


La mort et le malheureux


   Un Malheureux appelait tous les jours
              La mort à son secours;
    Ô Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle.
La mort crut en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
    Que vois-je ! cria-t-il, ôtez-moi cet objet;
         Qu'il est hideux ! que sa rencontre
         Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire- toi.
         Mécénas * fut un galant homme :
Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort ; on t'en dit tout autant.

*Mécénas = Mécène chevalier romain, proche d'Auguste, protecteur des arts et des lettres ; Il s'entoura de Virgile et d'Horace. Son nom est resté synonyme de protecteur des arts.

Livre I fable 15 et fable 16  

Mais ma fable préférée est la deuxième version plus proche de celle d'Esope 

La mort et le bûcheron

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
          Le créancier et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort ; elle vient sans tarder,
          Lui demande ce qu'il faut faire.
          C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère .
          Le trépas vient tout guérir ;
          Mais ne bougeons d'où nous sommes :
          Plutôt souffrir que mourir,
          C'est la devise des hommes.


Les médecins


Le médecin Tant-Pis allait voir un Malade
Que visitait aussi son Confrère Tant-Mieux.
Ce dernier espérait, quoique son Camarade
Soutînt que le Gisant irait voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure,
Leur Malade paya le tribut à Nature,
Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L'un disait : Il est mort, je l'avais bien prévu.
S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie. 

(Livre V fable 12)



Un de deux cloîtres


Cloître et toit en terrasse avec une vue à couper le souffle (selon le guide)


La citerne souterraine que l'on trouve en entrant  date de l'époque des Maures avant le XII siècle.

Citerne :  monastère de Sao Vicente de Fora