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samedi 27 octobre 2018

Honoré de Balzac : Le Lys dans la vallée

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019
Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché sur Le Lys dans la vallée

Félix de Vendenesse écrit une longue lettre à Nathalie de Manerville, sa fiancée, pour lui faire le récit de sa vie; la jeune femme, en effet, veut apprendre le secret de la mélancolie qui le ronge et qu’elle devine enfoui dans son passé. Cette lettre, c’est  Le Lys dans la vallée. Il lui dévoile alors son amour platonique pour la comtesse de Mortsauf, épouse malheureuse du comte de Mortsauf :  Henriette qu’il a idéalisée et qui a été son Lys, symbole de pureté, Henriette qui s’est refusée à lui  malgré leur amour réciproque, pour respecter les lois du mariage et de la vertu. Lorsque Félix lancé dans le grand monde devient l’amant de Lady Dudley, une femme ardente et libérée, Henriette, folle de jalousie, meurt en proie à une révolte et une colère proches du désespoir.

J’ai lu et relu plusieurs fois, à différents moments de ma vie, Le lys dans la vallée de Balzac et une autre fois, encore, cette année, ma fille Aurélia, photographe, ayant une résidence au château de Saché où Balzac a écrit cette oeuvre… A l'heure actuelle, ce travail photographique a donné lieu à une exposition intitulée Dilectae, jusqu'au 6 Janvier 2019, au château de Saché, musée de Balzac.

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019 d'après Le Lys dans la vallée de Balzac
Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché

Lors de ma première lecture, je devais avoir autour de 15 ans et c’est ce livre qui m’a fait connaître et aimer Balzac. Donc, c'est une lecture importante pour moi. J'avais été séduite, surtout, par cette histoire d’amour impossible, Henriette de Mortsauf tiraillée entre la passion et la vertu, et admirative du beau Félix de Vendenesse, émue par le tragique de la mort de Madame de Mortsauf que je trouvais romantique, au sens impropre et réducteur que l’on donne parfois à ce terme, c’est à dire sentimental. Oui, je n’avais pas tout compris de ce roman, je l’avoue ! 

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019
Aurélia Frey : La dilectae Le lys dans la vallée.
Mais je me souviens très bien, que la beauté des descriptions de la vallée et surtout des bouquets que compose Félix pour la jeune femme m’avait transportée. Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas vu la portée symbolique et l’érotisme qui émanaient de la description de ces fleurs. Ce qui me frappe maintenant !  Il y a dans le Le lys dans la vallée, de magnifiques et lyriques descriptions de paysages qui, comme d’habitude chez Balzac, sont à lire au second degré. Une prose incantatoire où la métaphore amoureuse se confond avec celle de la mort qui reste étroitement liée à Madame de Mortsauf.

« Mais déjà plus haut, quelques roses du Bengale clairsemées parmi les folles dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les marabous de la reine des prés, les ombellules du cerfeuil sauvage, les blonds cheveux de la clématite en fruits, les mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbes des millefeuilles, les tiges diffuses de la fumeterre aux fleurs roses et noires, les vrilles de la vigne, les brins tortueux des chèvrefeuilles ; enfin tout ce que ces naïves créatures ont de plus échevelé, de plus déchiré, des flammes et de triples dards, des feuilles lancéolées, déchiquetées, des tiges tourmentées comme les désirs entortillés au fond de l’âme. Du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde, s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir, déployant les flammèches de son incendie au-dessus des jasmins et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l’air, en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrée par la senteur d’Aphrodide cachée dans la flouve, ne comprendra ce luxe d’idées soumises, cette blanche tendresse troublée par des mouvements indomptés, et ce rouge désir de l’amour qui demande un bonheur refusé dans les luttes cent fois recommencées de la passion contenue, infatigable, éternelle ? »

Ces passages provoquent toujours mon admiration. Cette nature exaltée par Balzac est celle de la Touraine que l’écrivain aime tant, un écrin verdoyant et vallonné où se déroule une vie rurale paisible, idéalisée, avec ses travaux quotidiens, les vendanges, le ramassage des châtaignes et le gaulage des noyers, les promenades sous les ormes et les peupliers, un pays de châteaux et d’eau. Une véritable déclaration d’amour à cette région   :
« Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine? Je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis en plein désert; je l’aime comme un artiste aime l’art… »

Madame de Mortsauf

Aurélia Frey : La dilectae  exposition au musée de BalzacSaché
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché
Madame de Mortsauf, dont le vrai prénom est Blanche demande à  Félix de l’appeler Henriette. Deux prénoms, témoins de sa dualité.  Le blanc de la pureté et le rouge du désir, le lys et et le pavot :  elle est déchirée entre la passion qu’elle éprouve pour Félix et son devoir d’épouse. Mais elle est aussi et avant tout une mère et ne pourrait se résoudre à quitter ses enfants malades.

Moi! reprit-elle, de quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi? Ces deux enfants, ajouta-t-elle en montrant Madeleine et Jacques, sont des moi, Félix, dit-elle avec un accent déchirant, me croyez-vous donc égoïste ?

A travers elle, Balzac dénonce l’assujettissement de la femme, son manque d’indépendance soumise par les lois à son mari après l’avoir été à son père.

Les hommes font eux-mêmes les évènements de leur vie, et la mienne est à jamais fixée. Aucune puissance ne peut briser cette lourde chaîne à laquelle la femme tient par un anneau d’or, emblème de la pureté des épouses.

Pourtant, Blanche-Henriette n’est pas une faible femme. C’est elle, on l’apprendra, qui gère le domaine de Clochegourde, qui le fait prospérer, qui veille sur la santé de ses enfants malades et de son mari atteint de démence.
C’est elle aussi qui donne à Félix des leçons de conduite dans le Monde et qui le dirige dans sa conquête du pouvoir et de la fortune. Le récit se déroule pendant les cent jours et au moment de la Restauration. Blanche, élevée religieusement, dans une famille monarchiste, légitimiste, très conventionnelle, très infatuée de sa noblesse, dirige le jeune homme avec des conseil bien de sa caste :

« Vous apprendrez combien les principes de liberté sont impuissants à créer le bonheur du peuple. Mon bon sens de paysanne me dit que les Sociétés n’existent que par la hiérarchie. Vous êtes à un moment de la vie où il faut choisir ! Soyez de votre parti. Surtout quand il gagne ! »

L’agonie de madame de Mortsauf atteinte d’une maladie du pylore, nous dit-on, et sa révolte  quand elle s’aperçoit qu’elle n’a jamais connu l’amour, qu’elle s’est sacrifiée en vain aux conventions sociales est d’une terrible violence. Balzac prend alors position, en tout cas c’est ce que on lui a reproché, contre les valeurs hypocrites de la religion, contre la négation du corps, les conventions qui enferment les femmes. Les souffrances physiques et morales de son personnage exacerbées par la jalousie et par l’approche de la mort, sont atroces.

 « … car elle si sainte, si résignée, si faite à mourir, elle jette sur ceux qui sont pleins de vie des regards où, pour la première fois, se peignent des sentiments sombres et envieux. » dit l’abbé de Dominis à son propos

Les lecteurs et critiques de la Restauration ne s’y sont pas trompés et reprochèrent à l'auteur de ne pas avoir conçu un dénouement édifiant qui aurait exalté la vertu de la jeune femme. Balzac avait pourtant édulcoré cette fin et fait entrer Henriette dans une phase de repentir et d'apaisement à la demande de Laure de Berny, la dilecta, sa bien-aimée, qui voulait lui éviter un scandale !

Mais pour comprendre madame de Mortsauf, il faut savoir qui est son mari.


Monsieur de Mortsauf

Aurélia Frey : La dilectae  exposition au musée de Saché
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché
 Monsieur de Mortsauf  est le type même de l’émigré, semblable en cela à toute une noblesse légitimiste qui a refusé de servir l’Empire. Brisé par ses longues années d’exil et de privations, il souffre aussi d’une maladie qui débilite son corps et donne lieu à des crises de démence. Je dois dire qu’il m’a fallu quelques lectures depuis celles de ma jeunesse avant de comprendre de quoi souffrait Monsieur le comte. C’est pourtant bien dit, même si le mot n’est jamais prononcé et si Balzac brouille les pistes en donnant de vagues indications. La syphilis ! On comprend que dans le prude et hypocrite XIX siècle l’écrivain devait nous le faire comprendre d’une autre manière et cela donne :

« Ses amours ensevelis dans le plus profonds de son âme et que moi seul ai découvert, furent des amours de bas étage, qui n’attaquèrent pas seulement sa vie, ils en ruinèrent l’avenir. »
Et lorsqu’il apprend, à la naissance de ses enfants, que ceux-ci sont condamnés :

« Son nom à jamais éteint, une jeune femme pure, irréprochable, malheureuse à ses côtés, vouée aux angoisses de la maternité, sans en avoir les plaisirs; cet humus de son ancienne vie d’où germaient de nouvelles souffrances lui tomba sur le coeur et paracheva sa destruction. »

Aigri, violent, égoïste,  humiliant sa femme en public, et syphilitique, tel nous apparaît le comte. On comprend que Balzac, même s’il proteste de son estime pour eux, se soit attiré des inimitiés auprès des émigrés qui étaient rentrés en France à la restauration de Louis XVIII en peignant ce portrait !
Quant à Blanche, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle qui ne sait rien de la sexualité si ce n’est qu’il s’agit d’un devoir pénible et dégradant (Monsieur de Mortsauf se plaint auprès de Félix qu’elle le repousse et veut continuer à être « vierge » avec lui), elle a peut-être été, de surcroît, contaminée par son mari et elle sait ses enfants atteints d'une maladie incurable.

« Tout a été mensonge dans ma vie, je les ai comptées depuis quelques jours ces impostures. Est-il possible que je meure, moi qui n’ai jamais vécu? » dit Henriette mourante.

Phrase auquel fait écho une pensée de Félix d’une grande cruauté et qui révèle bien ce que pense Balzac :

"Je me demande si la vertu d’Henriette n’avait pas été de l’ignorance, si j’étais bien coupable de sa mort »

Et il semble qu’il n’ait pas tort puisque la comtesse lui avoue dans son ultime lettre :

« Ah! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serai morte de bonheur; j’ai parfois désiré de vous quelque violence, mais la prière chassait promptement cette mauvaise pensée. »

Félix de Vendenesse

 
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché Herbier photographique

Personne n’aime Félix de Vendenesse, aucun lecteur, sauf peut-être quand on a quinze ans, à la première lecture, parce qu’il est beau, qu’il a eu une enfance malheureuse et qu’il a l’âme d’un poète.
Non, les lectrices, surtout, le trouvent lâche, égoïste, sans personnalité. Et la réponse de la fiancée Natalie qui le traite de « chevalier à la triste figure » et  lui donne une bonne leçon en rompant avec lui, est réjouissante !

« N’imitez pas les veuves qui parlent toujours de leur première mari, qui jettent toujours à la face du second les vertus du défunt »

Il l’a bien mérité ce grand benêt qui va pleurer dans le giron de sa belle pour se faire consoler de ses amours avec une autre :

« Merci, cher comte, je ne veux de rivale ni au-delà, ni en deçà de la tombe. » « Savez-vous pour qui je suis prise de pitié? pour la quatrième femme que vous aimerez. Celle-là sera nécessairement forcée de lutter avec trois personnes. »

Ah! Voilà une femme qui a du caractère, de l’ironie, et qui change agréablement de l’angélisme (forcé) de madame de Mortsauf et des bêlements transis de son amoureux !
Pourtant, je me sens tout de même obligée de prendre la défense du jeune Félix .

Balzac a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage. Comme Félix, il a été mal aimé par sa mère, placé dans une pension qui avait tout du « pénitentiaire », laissé à sa solitude, n’ayant aucune autorisation de sortie et souffrant de privations, deu froid et surtout du manque d’amour. Quand Félix rencontre la comtesse de Mortsauf, il a 21 ans et en paraît 14, elle en a 28 et est mariée et mère. Lui est encore physiquement et psychiquement un enfant; elle, une femme. Il est souffreteux, timide, il n’a jamais vécu, ne connaît rien à la société et encore moins à l’amour. Certes, il se sent frustré par cet amour platonique, essaie parfois d’aller au-delà, est arrêté par la peur de la perdre. Ne lui a -t-elle pas dit qu’elle le chasserait définitivement s’il devenait trop pressant ?
Si vous me demandez, pourquoi, jeune et plein de fougueux vouloirs, je demeurais dans les abusives croyances de l’amour platonique, je vous avouerai que je n’étais pas assez homme encore pour tourmenter cette femme toujours en crainte de quelques catastrophes pour ses enfants.
C’est son inexpérience, son manque de connaissance des femmes, mais aussi son respect et un amour profond et sincère qui provoquent le drame et après tout on ne peut le lui reprocher, pas plus que de prendre une maîtresse, plus tard, pour satisfaire « ses fougueux vouloirs ! »
Cependant je n’aime pas le Félix devenu adulte, homme à succès et courtisan de Louis XVIII, suffisant et  égoïste. Quant à la « lettre » qu’il écrit à Nathalie, elle est d’une goujaterie ou d’une naïveté ! On dirait bien que même à son âge, il n’a rien appris sur les femmes!

  Pascal disait "l'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange, fait la bête".  Et oui, c'est bien ce que veut montrer Balzac avec la mort si douloureuse, si horrible, de madame de Mortsauf qui prend conscience qu'elle est passée passe à côté de la vie parce qu'elle a obéi aux préceptes de la religion et aux préjugés de la société.  Cependant, l'on sent que l'écrivain s'est pris d'affection pour son Lys et que ce n'est pas elle qu'il met en cause mais une société hypocrite toujours prête à condamner la femme, celle-ci n'ayant d'autre choix que d'être soumise ou perdue. Il nous livre ainsi une critique de la noblesse provinciale au temps de la Restauration.

Quelques images de l'exposition du musée Saché : La dilectae


Dilectae propose un parcours à travers les souvenirs de madame de Mortsauf, un aperçu de ce qu'elle laisse derrière elle, de ses désirs et de ses rêves, des dernières images qu'elle eut avant de fermer les yeux.

Car il n'y a que la trace...

                                                              Aurélia Frey

Aurélia qui imagine les dernières visions de Blanche Henriette de Mortsauf, appelle sa série Dilectae, en référence au grand amour de Balzac, Laure de Berny, baptisée par lui-même Dilecta.


Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché d'après le Lys danla  vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le Lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le Lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après Le lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché


lundi 22 octobre 2018

Moka : Jusqu'au bout de la peur


Moka  a déjà été, avec sa soeur Marie-Aude Murail, une des auteures préférées de ma fille et avec ce roman Jusqu’au bout de la peur paru en 2004 mais republié à L’école des loisirs pour la rentée littéraire 2018, la rencontre avec une autre génération va être assurée.
Je l’ai choisi non seulement pour l'auteure mais aussi pour son titre car j’espère inciter à la lecture de livres pour « grands »,  Léonie, ma petite fille de 8 ans, qui adore se faire peur. 
Après lecture, le roman, me semble-t-il, est encore un peu trop difficile, un peu long pour elle (217 pages),  c’est pourquoi je le présente dès maintenant quitte à y revenir si elle parvient à le lire. En fait, il est destiné aux adolescents de 12-14 ans mais je pense que de bons lecteurs plus jeunes peuvent le lire à condition d’avoir le coeur bien accroché ! Courage Moussaillons !

Quentin, le grand frère, réfléchi et raisonnable, et Garance, la petite soeur intrépide, sont en vacances chez leur père divorcé. Ce dernier est parti faire les courses mais il tarde tellement que les enfants partent à leur recherche sous la pluie, dans l’obscurité. En vain. Cependant quand ils reviennent à leur maison, ils aperçoivent un mystérieux individu qui s’est introduit chez eux et fouille le bureau de leur père. Les enfants s’enfuient en bicyclette poursuivis par l’inconnu. Quand ils aperçoivent le vélo de leur père sur le bas côté, celui-ci ayant manifestement disparu, ils ne doutent pas que leur poursuivant l’ait tué.  La course les mènera jusqu’à une barque qu’ils empruntent, voguant dans le marais poitevin inondé par les pluies torrentielles, l’assassin toujours à leur trousse sous les orages et les éclairs.

La première partie est très bien  menée, c’est une course-poursuite haletante où comme les enfants, le lecteur n’a pas trop le temps de réfléchir et pense seulement à sauver sa peau. Tout en s’attachant aux personnages et en admirant leur courage et leur  débrouillardise, l’on partage leur crainte, leur doute et leur peur.

Le marais Poitevin
La seconde partie en barque prend un autre rythme, forcément plus lent, celui de la barque qui avance, dévoilant, dans la nuit, à la lueur des éclairs, un paysage fantasmagorique envahi par l’eau de toutes parts, dont le silence est seulement interrompu par les bruits des oiseaux dans les arbres et le clapotis voire le grondement de l’eau près de l’écluse. J’ai pensé en lisant cette histoire, la fuite des ces enfants dans une barque, poursuivis par un tueur,  leur rencontre avec une vieille dame protectrice, que Moka s’était inspirée du très beau film de Laugthon, La nuit du chasseur.
Dans cette partie, Moka nous introduit dans ce paysage des marais poitevins si particuliers, nous initie au vocabulaire spécialisé des maraîchers qui y vivent.  Toutes ces descriptions qui créent une ambiance étrange ne gênent par le suspense mais au contraire le rendent de plus en plus inquiétant. On imagine cette barque (la plate) perdue dans cette vaste étendue liquide, l'inondation gagnant aussi bien le marais mouillé que le marais sec, et les dangers que courent les enfants aux prises avec la nature hostile et avec un homme qui ne l’est pas moins. Heureusement la présence d’un petit chat sauvé des eaux vient un peu adoucir l’atmosphère ! Et puis, comme il se doit, le dénouement est heureux. Ouf!
Un bon thriller pour enfants donc, avec, de plus, la description d’une région très particulière qu’il est intéressant de découvrir.



Merci à Dialogues croisés et  L'école des Loisirs

vendredi 19 octobre 2018

Marivaux et Marilyn Mattei : Les Préjugés / Le préjugé vaincu et Fake


Cette année, j’ai suivi le festival d’Avignon de Juillet 2018 avec autant de plaisir que les années précédentes mais je n’ai pas eu le temps d’écrire des billets. J’ai tout de même envie de parler ici de quelques spectacles, ce que je ferai sporadiquement, ne serait-ce que pour m’en souvenir et vous parler d’auteurs, d’acteurs, de metteur en scène qui méritent bien que l’on aille les voir. Si je le peux, je vous donnerai les dates des représentations en France en 2019. 
Les préjugés, pièce composée de deux textes courts, un de Marivaux Le préjugé vaincu, un autre contemporain Fake de Marylin Mattei, est un spectacle proposé aux adultes mais aussi aux adolescents à partir de 13 ans.
Qu’ils se nomment Angélique, Lisette, Dorante Lépine ou bien Théo, Hector, Léna et  Mina, ils sont amoureux et même si trois siècles les séparent, ils se ressemblent, ô combien ! Et c’est ce qu’il y a de plus bluffant dans cette confrontation, le sentiment amoureux est toujours le même chez de très jeunes gens et procurent les mêmes délices et surtout les mêmes affres, les mêmes questions, les mêmes troubles et angoisses, entre peur et désir, consentement et refus, d’une époque à l’autre… Quant aux préjugés, s’ils sont différents, ils sont pourtant toujours présents.

Marylin Mattei et Marie Normand : l'auteure et la metteuse en scène
Dans le texte contemporaine qui commence le spectacle, la langue est proche de celle des adolescents du XXI siècle et de leurs préoccupations. Les préjugés sont là aussi, moins avoués, plus complexes, subordonnés aux réseaux sociaux, aux SMS, à Facebook, qui propagent les fausses nouvelles, qui décident de la réputation d’une fille, de l’exclusion de l’un ou de l’autre. Il y a les jeunes branchés, qui dominent, qui sont populaires, et les autres, les marginaux, ceux dont on se moque. La société n’est pas plus tendre que celle du XVIII et si les raisons sont différentes, ceux qui n’entrent pas dans le moule sont exclus. La conclusion de cette comédie à la fois vraie et légère provoque un éclat de rire. L’auteure Marylin Mattei connaît bien les adolescents si l’on en juge par la justesse du ton et des sentiments. Nul doute que les potaches de France et de Navarre ne s’y retrouvent et ne s’identifient à leurs semblables !


Le texte de Marivaux qui suit, nous le connaissons, avec cette belle langue du XVIII, si élégante quand ce sont les maîtres qui la parlent, et la finesse de l’analyse des sentiments. Angélique refuse d’épouser Dorante qu’elle aime mais qui n’est pas noble. Son père, le marquis, bien loin de s’opposer au mariage, serait fort aise d’accueillir Dorante, riche bourgeois et jeune homme brillant et prometteur mais le préjugé nobiliaire est trop fort pour Angélique. Il faudra toute la ruse et la malice des serviteurs Lisette et Lépine qui, amoureux eux aussi, ont tout intérêt à ce que leurs maîtres s’accordent.
Le décor reste le même, représentant d’abord le lycée, le CDI, la cour de l’école où se rencontrent les élèves, puis, avec Marivaux, l’intérieur du château d’Angélique. Les jeunes comédiens s’habillent sur scène dans une joyeuse et tumultueuse chorégraphie, endossant les costumes du XVIII. Ils rendent sympathiques et attachants leurs personnages qu’ils interprètent avec entrain dans l’un et l’autre texte. La mise en scène de Marie Normand est pleine d’énergie, de vivacité et d’empathie envers les amoureux et souligne le propos avec beaucoup d’humour. Elle met en évidence par la similitude de la gestuelle et des rapports amoureux, l’universalité de la nature humaine à travers les âges.

Les Préjugés : Fake de Marilyn Mattei  et le préjugé vaincu de  Marivaux

 Créé à Mirecourt en mai 2016, ce spectacle a été déjà représenté soixante-quinze fois et emporté l’adhésion enthousiaste de plus de 10 000 spectateurs en ville, en banlieue, et dans les territoires ruraux. Avec ce spectacle, la compagnie "Rêve général ! " est pour la première fois présente à Avignon.

    •    Metteuse en scène : Marie Normand
    •   Interprète(s) : Ulysse Barbry, Bruno Dubois, Martin Lenzoni, Clotilde Maurin, Apolline Roy
    •    Régisseur général : Jean-Luc Malavasi
    •    Régisseur : Paul Laborde-Castex
    •    Responsable billetterie et réseaux sociaux : Elisabeth-Anne Defontaine
    •    Chargé de production / diffusion : Jean-Michel Flagothier


Tournée : Du 1 au 15 décembre 2018, tournée dans la Communauté d’Agglomération d’Épinal (88) 26 janvier 2019, La Courée à Collégien (77) du 19 au 21 mars 2019 (4 représentations), Comédie de l’Est, CDN de Colmar (68)


LA CASERNE DES POMPIERS pendant le festival d'Avignon reçoit les spectacles de l'EST de la France. Voilà les spectacles que j'y ai  vus en 2018.


 Loin et si proche

 Vu avec ma petite fille  
Où vont les objets perdus ?
Nous avons tous vécu ce moment où l’on se demande : « Où a bien pu passer ma deuxième chaussette préférée ? »
Chaque jour, nous perdons quelque chose : des clés, l’équilibre, une dent, la mémoire, la tête parfois…
 







 Romance
Vu avec ma petite fille 
Sur le chemin qui nous mène de l’école à la maison, notre regard s’ouvre sur le monde. Jour après jour, au fil de notre imagination, le quotidien bascule dans la grande aventure. On rencontre un Inconnu au grand cœur, un Oiseau, un Farfadet, une Reine, une Sorcière… Un sort est jeté et le monde se renverse ! Déjouant alors mille embûches, il faudra coûte que coûte retrouver le chemin de la maison pour que le jour puisse à nouveau se lever.
En adaptant Romance, l’imagier étonnant et inventif de Blexbolex (Pépite d'or du salon de Montreuil 2017), la SoupeCie déploie avec effervescence un vaste univers de machineries, d’images découpées et projetées, de marionnettes et de trouvailles visuelles. 





Possession

Possession est une forme marionnettico-magique, où l'on plonge au milieu de ce qui se tapit dans les recoins de nos pensées les plus noires... Un temps suspendu où la folie et l’étrange prennent corps, sous les traits d’Antonin Artaud. Une convocation à rencontrer son fantôme, de l’autre côté du miroir... 









Rêve de printemps

Jeune ressortissant de Platoniun, A est fasciné par la Terre. Il rejoint la France et entame des études universitaires. Le rêve de l’étrange étranger à la peau bleue se frotte à la réalité des terriens.
Métaphore contemporaine, cette fable construite en miroir et imaginée au travers du prisme de la jeunesse aborde des questions essentielles : l’acceptation de l’Autre dans sa différence, l’ouverture aux mondes.








Voir aussi les pièces vues au théâtre ARTEPHILE ICI

mercredi 17 octobre 2018

Alexandra Lapierre : Artémisia


Alexandra Lapierre quand elle se lance sur les traces d’Artémisia Gentileschi (1593_1654), peintre italienne du XVIIème siècle, va vivre une aventure qui durera des années. S’installant à Rome, ce qui lui permet de retrouver les lieux où Artemisia a habité, l’écrivaine consulte les archives de Rome, d’abord, où est née l’enfant, puis de Florence et Naples, où l’artiste a vécu et a travaillé et de même en Angleterre. 

Artemisia Gentileschi : auto portrait
C’est dans l’atelier de son père Orazio Gentileschi, peintre célèbre, ami de Le Caravage dont il était aussi le disciple que la petite fille a appris à peindre. Aucune femme à cette époque n’aurait pu s’initier au métier autrement que par l’intermédiaire de sa famille. Employée d’abord comme apprentie, broyant et préparant elle-même les couleurs, elle apprend peu à peu les ficelles de son art, la technique, la couleur, et elle révèle très vite un don et une passion précoces, influencée elle aussi par le Caravagisme. Déjà, sa beauté et son talent lui valent des inimitiés auprès des autres apprentis qui font courir des rumeurs malveillantes sur elle et sur ses moeurs.
Si  l’on connaît bien la vie de la jeune peintre, c’est d’abord à cause du viol qu’elle a subi de la part d’un ami de son père que celui-ci lui avait donné pour professeur de dessin, Agostino Tassi, lui-même bon peintre, maître de Claude Lorrain ..
 
Agostino Tassi : autoportrait
Le procès intenté à Agostino par Orazio, fut d’une violence inouïe pour la jeune fille âgée de dix-huit ans, accusée de mensonge, de prostitution, soumise à la torture qui, à l’époque, si l’on ne se rétractait pas sous l’effet de la douleur, était la preuve qu’on disait vrai. Elle tient bon et elle révèle ainsi un caractère bien trempé en décidant de se battre, de s’imposer comme peintre et de vivre de son travail. La rivalité entre les peintres étant alors féroce, il lui faudra beaucoup de talent, de courage, de pugnacité et de… bons protecteurs pour pouvoir réussir.  Dans sa vie privée, elle s’affranchira du mari choisi par son père, aura des amants tout en s’occupant de ses filles et en répondant aux commandes des mécènes. Elle fut la seule femme à être admise à la fameuse Accademia delle Arti del Disegno de Florence, dont furent membres Michel-Ange, Cellini, Vasari, Le Titien ou Le Tintoret.  Une vie exceptionnelle, on s’en doute, pour une femme même si elle n’est pas la seule peintre de son temps.
C’est ce portrait de femme libre et de peintre de talent qu'Alexandre Lapierre a voulu mettre en avant dans ce roman historique très documenté et où nous croisons bien des personnages célèbres. Mais elle axe aussi son roman sur le thème de la rivalité entre les deux artistes, le père et la fille, Orazio et Artemisia, une sorte d’amour-répulsion qui a duré toute leur vie.
Orazio Gentilschi : La joueuse de Luth
L'un des premiers tableaux d'Artemisia représente Suzanne et les vieillards. Déjà, la jeune fille de dix huit ans affirme sa personnalité en prêtant à Suzanne une expression de répulsion et un geste défensif tout à fait neufs et originaux par rapport au sujet traité jusqu’alors par des peintres masculins.

Artemisia Gentileschi : Suzanne et les vieillards (1610)
L’intérêt du livre d'Alexandra Lapierre est donc aussi, bien sûr, l'analyse des oeuvres de l'artiste.

Artemisia Gentleschi : autoportrait en Allégorie de la peinture (1630)
 Dans cet autoportrait, Artemisia se présente en Allégorie de la peinture ainsi que l'attestent les attributs qu'elle porte, la robe en velours vert et le collier en or avec un crâne pour pendentif, symbole du temps qui passe, fugitif et aussi du temps emprisonné par la peinture. Le portrait est original car elle ne se ne peint pas de face comme la plupart des portraits de l'époque mais en action, en train de peindre. Elle est de trois quart, ne regarde pas le spectateur qui l'indiffère, indépendante, concentrée sur sa toile. Il y a ici une volonté d'affirmer son statut de femme libre qui gagne sa vie et qui est fière de son art.

Artemisia Gentileschi : Muse de la peinture
Artemisia Gentileschi : Judith et Holopherne
Les détracteurs d’Artemisia pensent que son talent est surfait et n’aurait pas la force qu’on lui prête. Pour eux, seuls le viol, le procès, ces éléments romanesques qui attirent l'attention sur elle, lui ont donné sa notoriété. Peut-être ses oeuvres n'ont-elles pas toutes la même valeur, je ne sais, mais ceci doit être vrai pour la plupart des peintres. Par contre, ce qui est sûr, c'est que nombre de ces tableaux ont une grande puissance. Bien sûr, il faut aimer la peinture baroque et apprécier à sa juste valeur tout ce que le Caravage a apporté de neuf à la peinture. Dans les scènes qui empruntent au Caravage, avec ses clairs-obscurs, sa mise en scène théâtrale, son réalisme, Artemisia Gentileschi ne copie pas le maître mais impose son point de vue, sa personnalité et sa passion.

Artemisia Gentileschi : Judith et Holopherne (1611_1612)
Son tableau le plus célèbre bref, celui de Judith et Holopherne sur un thème récurrent pour l’époque innove par rapport aux tableaux contemporains sur ce thème. Bien sûr, le fait qu'Artemisia se soit peinte sous les traits de Judith et ait représenté Holopherne sous les traits de son violeur ajoute à l’intérêt que l’on porte au tableau qui devient ainsi une représentation de la vengeance, une sorte de catharsis.  Mais il est certain que la violence et le réalisme de la mise en scène, les sentiments qui émanent de ses personnages prouvent qu’il ne s’agit pas d’une pâle imitation du grand Maître.

Le Caravage : Judith et Holopherne (1598)
Artemisia Gentileschi  : Holopherne et Judith  1620
Le réalisme de la scène du Caravage avec le cou tordu d'Holopherne et le flot de sang qui jaillit avait saisi et horrifié les admirateurs du maître.
Mais si l'on compare les tableaux du Caravage et ceux de Gentileschi sur ce même thème, l'on s'aperçoit que Le Caravage peint Judith comme une femme relativement frêle, qui agit seule, n'a pas besoin de l'aide de sa servante et présente une expression un peu ennuyée voire dégoûtée mais sans passion.
 Alors que la Judith d'Artemisia sait qu'il lui faut de la force pour tuer Holpherne-Agostino, elle l'empoigne vigoureusement, on sent qu'elle pèse sur lui, que tous les muscles de ses bras sont bandés; c'est une maîtresse-femme mais elle a appelé sa servante à la rescousse et  toutes les deux ne sont pas de trop pour parvenir à leur fin. Ce n'est pas un acte facile. Le visage d'Artemisia-Judith est animé d'une farouche détermination, surtout dans le deuxième tableau, et d'un sentiment de vengeance implacable,comme si elle égorgeait un porc et non un homme. Le sang coule sur le drap qui est maculé de grosses traînées rouges et noirâtres.  Une vraie boucherie !

lundi 15 octobre 2018

Hernan Diaz : Au loin


Le trou, une étoile brisée sur la glace, était la seule interruption sur la plaine blanche qui se fondait sur le ciel blanc. Il n’y avait pas un souffle de vent, pas un souffle de vie, pas le moindre son.

Cet incipit ouvre le roman de Harnan Diaz, Au Loin, et permet à Hakan, le personnage principal, de se libérer du récit de sa vie auprès de ses compagnons de voyage, à bord de L’Impeccable  pris dans les glaces, sur la route vers l’Alaska.  Et l’on ne peut s’empêcher de penser, après avoir lu le roman, que ces quelques lignes sont le reflet de la vie de cet homme, cette immensité vide de sens, ce désert, qu’il soit blanc comme celui du Grand Nord, ou rouge ou brun comme celui de l’ouest américain…
Oui, ce roman est celui de l’absence, du vide, de la solitude ! C’est un sentiment d’abandon voire de déréliction qui étreint le jeune suédois Hakan (que les américains appellent Hawk faute de comprendre son nom), presque un enfant, lorsqu’il débarque à San Francisco, en Californie, après avoir quitté son pays, ses parents et perdu son grand frère Linus, parti dans un autre bateau pour New York. D’où son fol espoir de le retrouver en parcourant à l’envers la piste des migrants en direction de New York.


Ce qui pourrait être une épopée si l’on en juge par l’énormité du chemin à accomplir,  refuse d’en être une. Il s’agit d’un chemin douloureux vécu à hauteur d’homme et non de héros, un chemin de croix, jonché des ossements de ceux qui n’ont pas survécu, des meubles qu’ils abandonnent en route. Le jeune homme connaît d'atroces souffrances morales et physiques. Et ce ne sont pas ses rencontres qui vont lui redonner confiance en l’humanité. Les hommes (et les femmes !) sont des loups pour l’homme plutôt que des amis !
Pourtant, il y a le naturaliste, Lorimer, un homme de science qui s’interroge comme Darwin sur l’évolution de l’humanité et apprend à Hakan à disséquer les animaux pour comprendre le fonctionnement du corps humain  et réaliser des opérations. Il y a son ami Jarvis qui lui permet d’échapper aux religieux fanatiques qui veulent sa peau; Jarvis qui partage sa vie d’errance et de privation, et aussi Lucy son premier amour dont il n’ose effleurer la main… Mais tous vont disparaître ou mourir de manière tragique.

Peu à peu la légende de Hawk, le géant, à la réputation sanguinaire, s’étend. Alors  qu’il a défendu à lui seul des migrants contre la secte religieuse qui les attaquait, cette dernière répand des rumeurs mensongères sur lui. Les humains deviennent un danger pour lui, ce qui ajoute encore à sa solitude.

Durant ses tempêtes dont les hurlements oblitéraient tout autour de lui, Hakan puisait son seul soulagement dans la quasi-certitude de ne croiser âme qui vive sa solitude était totale et pour la première fois depuis des mois, en dépit des grondements et des lacérations, il trouva la paix.
Albert Bierstadt
Hernan Diaz décrit un monde dur, où les hommes sont souvent sans pitié, où le danger est permanent qu’il  vienne de la nature hostile ou des humains, un monde où règne le fanatisme religieux, l’avidité, la loi du plus fort, et où la vie de l’autre n’est aucunement respectée, sacrifiée à la survie et au profit. Hakan vit loin de tous, dans des cavernes, des trous creusés dans la terre, vêtu de peaux mais alors qu’il paraît réduit à l’état de bête, que sa vie ne diffère en rien de celle d’un animal sauvage, le personnage est d’une grande beauté car mieux que ceux qui le poursuivent et l’agressent, il sait rester un homme.
Au loin est un très beau roman, humaniste, plein de nostalgie et tristesse, de non-dits et de silence. Le temps s’écoule sans repère, les années passent, douloureuses, emportant les illusions, les projets… Et  pourtant alors que ce roman pourrait être désespérant, j’ai aimé qu’il ne se termine pas par un point final mais par une interrogation  :  Venu dans le Grand Nord, Hakan finira-t-il par boucler la boucle en retournant à pied, sur la banquise, dans son pays natal ?  Un retour au source pour ce petit émigré qui a toujours vécu en exclu.
 Merci aux éditions Delcourt et à Price Minister  : les matchs de la rentrée littéraire 2018

samedi 13 octobre 2018

Honoré de Balzac : La Bourse


La Bourse, courte nouvelle d’Honoré de Balzac, paraît en 1832 dans les Scènes de la vie privée de La Comédie Humaine.
L’intrigue est mince et conte une histoire d’amour entre un jeune peintre naïf et sensible, Hippolyte Schinner, et une belle jeune fille Adélaïde dont on ignore si elle est aussi pure qu’elle le paraît. Adélaïde et sa mère, la baronne Leseigneur de Rouville, sont dans la gêne depuis la mort du père de la jeune fille. De quoi peuvent-elles bien vivre ? Ces dames reçoivent deux messieurs qui viennent jouer chez elles chaque soir, visites qui troublent le jeune homme. Lorsque sa bourse disparaît dans leur appartement, Hippolyte en vient à les soupçonner. Il est désespéré. Mais je ne vous en dis pas plus !

La Bourse est considérée comme une oeuvre secondaire de La comédie humaine et le récit paraîtrait bien léger si… s’il n’était écrit par Balzac !  Comme d’habitude, il y a, en effet, dans ces quelques pages une densité de thèmes et de descriptions qui leur donnent de l’intérêt et de la force.


Pierre Guérin : La pose de la compagne de Didon est celle d'Adélaïde dans La Bourse

Le thème de l’art revient  souvent dans la comédie humaine à travers de nombreux artistes. Ici, le peintre, Hippolyte dont le talent est reconnu, ses amis le sculpteur François Souchet, Joseph Bridau, prix de Rome, Bixiou, caricaturiste, tous personnages récurrents de l’oeuvre. Le début de la nouvelle  se révèle comme une réflexion sur l’illusion dans l’art, vérité ou mensonge, réalité ou apparence ? Je cite ce passage un peu longuement  pour le partager avec vous tant il est bien écrit et invite à la réflexion :

Il est pour les âmes faciles à s’épanouir une heure délicieuse qui survient au moment où la nuit n’est pas encore et où le jour n’est plus. La lueur crépusculaire jette alors ses teintes molles ou ses reflets bizarres sur tous les objets, et favorise une rêverie qui se marie vaguement aux jeux de la lumière et de l’ombre. Le silence qui règne presque toujours en cet instant le rend plus particulièrement cher aux artistes qui se recueillent, se mettent à quelques pas de leurs œuvres auxquelles ils ne peuvent plus travailler, et ils les jugent en s’enivrant du sujet dont le sens intime éclate alors aux yeux intérieurs du génie. Celui qui n’est pas demeuré pensif près d’un ami, pendant ce moment de songes poétiques, en comprendra difficilement les indicibles bénéfices. À la faveur du clair-obscur, les ruses matérielles employées par l’art pour faire croire à des réalités disparaissent entièrement. S’il s’agit d’un tableau, les personnages qu’il représente semblent et parler et marcher : l’ombre devient ombre, le jour est jour, la chair est vivante, les yeux remuent, le sang coule dans les veines, et les étoffes chatoient. L’imagination aide au naturel de chaque détail et ne voit plus que les beautés de l’œuvre. À cette heure, l’illusion règne despotiquement : peut-être se lève-t-elle avec la nuit ? l’illusion n’est-elle pas pour la pensée une espèce de nuit que nous meublons de songes ?

Un autre thème est celui des femmes pour lesquelles Balzac montrent beaucoup de largesse d’esprit, lui qui est si macho par ailleurs. Ainsi, non seulement il ne considère pas avec mépris Madame Schinner, la mère d’Hippolyte, qui a eu un fils en dehors du mariage mais encore montre-t-il sa désapprobation envers l’homme qui l’a abandonnée. De plus, il la peint comme une femme admirable qui a élevé son fils toute seule, dans la dignité.  De même, il peint la situation de la veuve et de sa fille avec beaucoup de compréhension pour leur misère.
Si la baronne n’a eu droit à aucune pension alors que son mari est mort dans une bataille pour sauver son pays, c’est que ce dernier était sous les ordres de Napoléon et n’est donc pas reconnu par la noblesse de La Restauration. Balzac qui a pourtant des idées monarchiques critique ce gouvernement qui laisse dans la misère ceux qui ont combattu pendant qu’ils étaient eux-mêmes en exil .
Et puis autre thème, bien sûr, celui du premier amour qui naît chez un garçon neuf, un éveil des sentiments puissants et dont l’impression ne s’effacera jamais. Balzac peint avec beaucoup de finesse et de justesse (et parfois d’humour) les étapes de ce sentiment qui s’affirme, d’abord inconscient de lui-même et puis qui se construit sur la confiance, dans le partage et l’émerveillement : 

« Le coeur a la singulière puissance de donner un prix extraordinaire à des riens. »

Balzac décrit ensuite les ravages que crée la trahison chez un être jeune et sincère..

« Les sentiments ne sont-ils pas la partie la plus brillante de notre vie ? De cette mort partielle viennent, chez certaines organisations délicates ou fortes, les grands ravages produits par les désenchantements, par les espérances et les passions trompées. Il en fut ainsi du jeune peintre. »

Balzac excelle aussi dans les portraits, ceux des visiteurs des deux dames, le comte de Kergarouët et le Chevalier du Halga,  par exemple. Vieillards figés à tout jamais dans leurs convictions et leur habillement d’un autre âge, vieux émigrés royalistes, ils sont les fantômes d’un autre temps, incarnation d’un passé révolu, ils refusent d’évoluer. Le portrait tourne vite à la caricature :

« Le personnage qui paraissait être le plus neuf de ces deux débris s’avança galamment vers la baronne de Rouville, lui baisa la main, et s’assit auprès d’elle ».

Mais ce qui me paraît le plus subtil dans La Bourse ce sont les portraits d’Adélaïde et sa mère et la description  de leur logement. Nous les découvrons à travers l’oeil exercé d’Hippolyte, qui, en bon peintre, est observateur, a le don de voir le détail, les contrastes, les formes, les couleurs, c’est pourquoi la vision qu’il a de l’appartement  est  d’une redoutable précision et peint une misère cachée mais flagrante.

« Pour un observateur, il y avait je ne sais quoi de désolant dans le spectacle de cette misère fardée comme une vieille femme qui veut faire mentir son visage. »

Il note cependant de bizarres distorsions entre la pauvreté de l’ensemble et certains objets ou meubles de valeur. Pendant la visite, le ressenti d’Hippolyte plein de compassion et de tact envers ses voisines est sans cesse perturbée par une voix insidieuse, celle du narrateur expérimenté, qui commente. Et comme pour Balzac - c’est une constante de ces romans - l’appartement et la personnalité de son occupant se confondent dans une interférence des deux images, le doute s’installe  :

« Il en était du visage de cette vieille dame comme de l’appartement qu’elle habitait : il semblait aussi difficile de savoir si cette misère couvrait des vices ou une haute probité, que de reconnaître si la mère d’Adélaïde était une ancienne coquette habituée à tout peser, à tout calculer, à tout vendre, ou une femme aimante, pleine de noblesse et d’aimables qualités. Mais à l’âge de Schinner, le premier mouvement du coeur est de croire le bien. »

« Est de croire le bien » oui ! mais le poison est ainsi instillé peu à peu et chez le lecteur et dans l’âme du jeune homme.

On le voit cette « petite » nouvelle contient bien des trésors cachés sous une apparence de bleuette. C’est pourquoi je vous invite à aller lire La Bourse !


PROCHAINES LECTURES COMMUNES AVEC MAGGIE  SUR LES NOUVELLES DE BALZAC : 

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LE 10 NOVEMBRE : L'AUBERGE ROUGE

lundi 8 octobre 2018

Jean-Luc Aubarbier : Montaigne, le chevalier du soleil / une aventure de monsieur de Montaigne



En optant  pour le livre de Jean-Luc Aubarbier : Montaigne, le chevalier du soleil lors de l’opération Masse Critique Babelio, je me réjouissais à l’avance à la pensée de lire un roman historique sur Michel Eyquem de Montaigne. 

Henri de Navarre et Marguerite de Valois

L’époque de Montaigne déchirée par les guerres de religion, par la lutte des trois Henri (Henri de Navarre, futur Henri IV, Henri III, roi de France depuis 1574; Henri de Guise le Balafré) est évidemment très « romanesque », au sens de riches en évènements extraordinaires. Epoque troublée aussi par la dure domination du très catholique roi d’Espagne Philippe II, et par des épidémies dévastatrices comme la peste… Quant à la vie de Montaigne, Maire de Bordeaux, conseiller auprès des rois, philosophe et grand voyageur, elle ne l’est pas moins ! Les châteaux sont encore fortifiés pour éviter les attaques du voisin (même si Montaigne se démarque en laissant sa porte ouverte) ! Bref ! Tout est là pour faire un bon roman ! Le sujet du livre est d’ailleurs autant Henri de Navarre que Montaigne.

Or, voilà que dès la préface, le lecteur apprend « que ce romancier audacieux tord délibérément le cou à l’histoire et lui préfère des aventures imaginaires…. »
Ainsi, dans le roman, le seigneur de Montaigne devient « chevalier du soleil » membre d’une société secrète qui réunit à travers l’Europe des comploteurs désireux d’établir la paix religieuse. Il est chargé par Henri III d’aller voir le pape à Rome pour négocier la paix et il est rejoint dans son voyage par le futur Henri IV et par Guillaume d’Orange dit le Taciturne qui mène une révolte au Pays-Bas contre l’hégémonie de Philippe II d’Espagne.
Si le voyage de Montaigne pour prendre les eaux (Montaigne était atteint de la gravelle, calculs rénaux qui le faisaient énormément souffrir )a bien existé et de même sa visite au pape à Rome où Les Essais ont été passés au crible de l’inquisition, tout le reste n’est qu’affabulation, semble-t-il. Le philosophe n’a jamais été chargé d’une telle mission. Il n’a jamais été l'ami de Henri IV même s’il a eu des relations avec lui et a cherché à exercer une influence pacificatrice sur les souverains, influence d’ailleurs très modeste si l’on en juge par le massacre de la Saint Barthélémy en 1572. Et Marie de Gournay, sa « fille d’alliance » qui n’était qu’une petite fille à l’époque, devenue sa maîtresse dans le roman, ne l’a jamais accompagné déguisée en garçon et pour cause !

Bref! Devant toutes ces trahisons de l’Histoire, je me suis préparée à lire un roman de cape et d’épée palpitant, faisant fi de la réalité historique pour vivre des aventures rocambolesques à la manière de Dumas ! D’autant plus que la présence de Louis d’Artagnan, le père du héros de Les quatre mousquetaires nous y invite. Et c’est bien, d’ailleurs, ce qui arrive, dans l’épisode où ce dernier enlève sa fiancée retenue prisonnière et la ramène à la cour de Nérac. Mais cela ne dure pas, la structure du roman ne le permettant pas.
Divisé en chapitres selon une chronologie précise et avec des retours en arrière, le récit romanesque s’interrompt pour exposer des faits historiques, faire le point sur les personnages. Il commence en 1578 et se termine dix-sept ans après la mort de Montaigne (1592), en 1609, avec le personnage du fanatique François Ravaillac, prêt à tuer le roi Henri IV. Une incursion dans les années 1560 nous permet de faire la connaissance de Pierre de la Boétie et de voir une partie de la jeunesse de Montaigne. La connaissance de l’époque, de la vie et de l’oeuvre de Montaigne est très solide. Michel Eyquem parle comme un livre ou plutôt comme son livre, et ses principales idées sont exposées telles qu’on les lit dans Les Essais.
Mais on dirait que Jean-Louis Aubarbier n’a pas su trouver la juste mesure entre roman historique et roman de fiction. Personnellement, cela m’a beaucoup gênée parce que si je connais assez bien Montaigne pour savoir ce qui lui appartient, je ne le connais pas assez pour savoir ce qui est de l’ordre de l’invention. Par exemple, si je me suis dit que que Montaigne et son ami La Boétie n’avaient jamais été alchimistes, j’ai pensé aussi qu’Etienne de La Boétie n’avait certainement pas écrit le texte de La servitude sur les murs de sa chambre pour le faire recouvrir de plâtre. Il m’a fallu lire cette fois-ci la postface pour savoir ce qu’il en était réellement. Finalement et alors que le livre a des bases sérieuses et fait découvrir des univers réels et fascinants comme cette brillante cour de Nérac qui témoigne de la vitalité à cette époque des pays de langue d’Oc, j’ai fini par douter de tout et tout remettre en question. J’aurais vraiment préféré lire un essai historique, j’aurais été moins déboussolée!
C’est que je ne conçois un bon roman historique que si les faits avérés sont strictement authentiques, l’écrivain ayant bien sûr licence d’imaginer ce que l’Histoire laisse dans l’ombre et de broder quand il s’agit de combler les manques !






Merci à Masse Critique et aux Editions De Borée

samedi 6 octobre 2018

Honoré de Balzac : Gobsek


Gobsek fait partie des Scènes de la vie privée de La comédie humaine. 

La scène débute dans le salon de Madame de Grandlieu, en conversation avec un ami de la famille, l’avoué Maître Derville. L’avoué entend, pendant la conversation de Mme de Grandlieu avec sa fille Camille, que celle-ci est amoureuse du jeune Ernest de Restaud, fils d’Anastasie de Restaud, née Goriot. Mme de Grandlieu désapprouve cet amour : la mère d’Ernest est dépensière, enlisée dans une relation illégitime avec Maxime de Trailles, pour lequel elle gaspille sa fortune. Derville intervient en faveur de Camille : il démontre qu’Ernest s’est vu attribuer depuis peu l’intégralité de l’héritage familial. Ce récit, qui constitue une mise en abîme d’un type humain du monde balzacien, met en lumière les personnages de Jean-Esther van Gobseck, usurier, et de Maître Derville, avocat en début de carrière. Ces deux personnages, qui jouent un rôle essentiel dans ce roman, reparaissent dans l’ensemble de la Comédie humaine, soit sous forme d’évocation : Gobseck, soit en personne : Maître Derville, que l’on retrouve dans Le Colonel Chabert, Splendeurs et misères des courtisanes et dans de nombreux autres volumes de La Comédie humaine. Il fait partie, dans les personnages de la Comédie humaine, des Gens de robe honnêtes. (quatrième de couverture)

La nouvelle de Balzac, Gobsek, publiée en 1830 et d’abord intitulée Les dangers de l’inconduite dans Scènes de la vie privée, parut ensuite sous le nom de Papa Gobsek dans Scènes de la vie parisienne, pour réintégrer Scènes de la vie privée avec le titre définitif Gobsek

Rembrandt

Et ce titre paraît le mieux adapté tant il est vrai que le personnage éponyme occupe toute la scène, image peu commune de l’usurier que « le réalisme visionnaire » de Balzac transforme en personnage fantastique, complexe. Araignée tapie dans sa toile, il est reclus dans sa maison dont il ne sort que rarement attendant le client pour le dévorer… et pourtant il s'agit d'un homme "honnête" à sa manière, car s’il est impitoyable, avide dans ses transactions, avare, bref, usurier sans état d’âme, il sait tenir la promesse faite qui vaut plus que n’importe quel papier signé.

" Il existe deux hommes en lui : il est avare et philosophe, petit et grand. »
 
"Il avait les lèvres minces de ces alchimistes et de ces petits vieillards peints par Rembrandt ou par Metsu. Cet homme parlait bas, d’un ton doux et ne s’emportait jamais."
"Cette maison, qui n’a pas de cour, est humide et sombre. Les appartements n’y tirent leur jour que de la rue.
Sa maison et lui se ressemblaient. Vous eussiez dit de l’huître et son rocher."

En effet, s’il est un personnage qui permet de comprendre l’expression de «  réalisme visionnaire »,  c’est bien Gobsek ! Celui-ci illustre la pensée de Théophile Gautier  « Les personnages de Balzac sont plus grands que nature, ce sont des types, et non des individus tels qu’il s’en rencontre dans le monde réel. »

« Ce petit vieillard sec avait grandi. Il s’était changé à mes yeux en une image fantastique où se personnifiait le pouvoir de l’or. » dit de lui le narrateur.

Gobsek est un observateur de la vie humaine, il sait percer les mobiles profonds de chacun, il connaît l’intimité, jusqu’au fond de l’alcôve, de tous ceux qui se présentent devant lui. On peut dire qu’il est l’égal de Dieu .. ou du romancier, de Balzac lui-même dont la position en hauteur, si je puis dire, permet d’observer l’espèce humaine un peu comme un entomologiste observe la vie des insectes.

« Mon regard est comme celui de Dieu, je vois dans les coeurs. Rien ne m’est caché. L’on ne refuse rien à qui  lie et délie les cordons du sac. Je suis assez riche pour acheter les consciences de ceux qui font mouvoir les ministres… »

Gobsek : la comtesse Anastasie de Restaud

Dans cette nouvelle, il s’agit bien de peindre la vie privée, les amours adultères d’Anastasie de Restaud (une des filles du père Goriot), et de son amant le mondain Maxime de Trailles; on assiste à leur visite chez l’usurier où la dame va achever de ruiner son mari. Mais c'est aussi la vie parisienne que décrit Balzac. Maxime de Trailles est lui aussi un type, celui du dandy sans argent qui vit au-dessus de ses moyens grâce à ses relations haut placées et aux crochets de ses maîtresses séduites par sa belle figure et sa prestance.  L'écrivain dresse un portrait de la noblesse parisienne, corrompue, dissipée, dépensière, inapte au travail,qui pendant cette période de la Restauration ne pense qu’au plaisir et à la débauche, une aristocratie pleine de morgue, se considérant comme d’essence supérieure, classe sociale creusant elle-même le trou dans laquelle elle finira pas disparaître au profit de la bourgeoisie. Cette dernière est représentée par l’avoué maître Derville, un personnage positif, honnête, qui part de rien mais grâce à son travail va parvenir à s’élever. Il épouse une jeune fille du peuple, Fanny, modeste mais sage et sérieuse et forme avec elle un couple heureux et solide. A travers ce personnage à l'opposé de la noblesse, Balzac décrit l'ascension d'une classe sociale qui va peu à peu prendre le pouvoir..

Maître Derville, personnage récurrent de La Comédie humaine, est le narrateur principal. Voisin de Gobsek, peu fortuné à ses débuts, il occupe une place à part dans la vie de l’usurier et le connaît bien.  C’est à lui qu’il fait un emprunt pour acheter son étude et se nouent entre eux des relations qu’il est difficile d’appeler amitié (Gobsek ne fait de cadeau à personne) mais qui s’en approchent le plus. C’est à travers sa vision que nous découvrons Gobsek, sauf à quelques moments où l'usurier prend lui-même la parole pour exposer sa philosophie.

Le Pouvoir et le Plaisir ne résument-ils pas votre ordre social ? Nous (les usuriers) sommes dans Paris une dizaine ainsi, tous rois silencieux et inconnus, les arbitres de votre destinée.

Il est d'ailleurs assez piquant que Balzac place la critique de la société matérialiste dominée par l'argent  :

La vie n'est-elle pas une machine à laquelle l'argent imprime le mouvement.
 
L’or est le spiritualisme de vos sociétés actuelles.


dans la bouche d'un avare qui déclare par ailleurs :

Si vous aviez vécu autant que moi, vous sauriez qu'il n'est qu'une seule chose matérielle, dont la valeur soit assez certaine pour qu'un homme s'en occupe. Cette chose... c'est l'OR.  L'or représente toutes les forces humaines.


Ainsi cette nouvelle courte mais dense nous livre non seulement des portraits haut en couleurs, archétypes de leur classe sociale mais aussi, en condensé, la vision critique et lucide de la société de la Restauration, telle que Balzac la développera tout au long de La Comédie humaine



PROCHAINES LECTURES COMMUNES AVEC MAGGIE  SUR LES NOUVELLES DE BALZAC : Vous pouvez nous rejoindre

LE 10 OCTOBRE  :  LA BOURSE

LE 10 NOVEMBRE : L'AUBERGE ROUGE