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vendredi 15 janvier 2021

Joseph O'Connor : le bal des ombres

 

Voilà encore un livre que j’ai adoré ! Merci à Kathel de me l’avoir fait connaître :  son billet est  ici

Joseph O’Connor place l’action de son livre Le bal des ombres dans la ville de Londres en 1878 et dans le cadre du théâtre Lyceum, alors en très mauvais état, acheté et rénové par Sir Henry Irving, célèbre acteur de l’époque. Celui-ci va prendre pour directeur financier un écrivain sans succès, lui-même persuadé d’être un raté, Bram Stoker qui est pourtant le père d’un des personnages les plus célèbres du monde, être fantastique devenu un mythe : Dracula. Une femme vient rejoindre ces deux hommes, actrice aussi célèbre en Angleterre que Sarah Bernhardt en France, Ellen Terry. Cette dernière forme avec eux un trio à l’intérieur duquel l’amitié et l’amour le disputent parfois à la colère et la trahison mais parviennent toujours à triompher.

Les personnages

Ellen Terry dans Catherine d'Aragon

Le bal des ombres rappelle à la vie des personnages historiques  fascinants.
 
Henry Irving n’est pas seulement un acteur hors norme, démesuré et génial, un metteur en scène illuminé mais aussi un homme colérique, explosif, mégalomane et torturé. Et son ami, le très sérieux et très gentil - malgré sa force herculéenne- Bram Stoker, fait figure, en tant que financier, de rebrousse-poil, d’empêcheur de danser en rond; il est celui qui compte les recettes et les dépenses, celui qui brime et interdit le luxe inconsidéré, d’où une situation explosive entre les deux hommes. Ellen Tracy est une actrice pleine de finesse et d’émotion. Elle est la figure de la femme libre, totalement indépendante, imperméable aux jugements sociaux, qui choisit ses amants comme elle l’entend. Il faut lire sa diatribe contre le mariage ou plutôt contre les maris qui est un modèle du genre.
C’est autour de ce trio mythique que le roman va s’articuler, Bram Stoker en étant le principal narrateur parlant de lui-même, à la fois comme « je » et comme « il », dans une sorte de dédoublement qui sied bien au personnage. En effet, il porte en lui des zones d’ombre. Son image n’est pas aussi lisse et lumineuse qu’elle le paraît. C’est à l’intérieur de son cerveau que vivent et s’ébattent les monstres qui se nourrissent de leur créateur et peuplent ses écrits.
Parmi les personnages secondaires, Florence, l’épouse délaissée de Bram Stoker, est aussi un femme forte, indépendante, qui saura garder une amitié indéfectible à son mari. C’est elle qui obtiendra, après la mort de Stoker, quand paraît Nosfératus, le plagiat de Dracula, que les droits d’auteur de son mari soient reconnus, créant ainsi un précédent qui servira tous les écrivains.

Histoire et Fantastique

Henry Irving

Le roman joue, entre lumière et ombre, sur le réel et le fantastique, un récit hanté, effrayant et surtout enveloppant. Nous déambulons dans l’atmosphère trouble des nuits londoniennes, des rues noyées dans le brouillard où sévit Jack l’éventreur et où erre un Bram Stocker agité, angoissé, en proie à des tourments intérieurs, peut-être habité par ces vampires ? On est transporté dans le grenier du théâtre, devenu le bureau secret de Bram Stocker, décor hors du temps où le fantôme de Mina « vit » sa mort violente et devient l’amie de l’écrivain. On se laisse emporter par ce passage de la vie à la mort, par cet entre-deux qui déstabilise le lecteur et crée un aura de mystère et d’angoisse.

Un hommage au théâtre

Théâtre Lyceum
  

La vie du Lyceum, sa résurrection, ses réussites et ses échecs, ses joies et ses peines, ses tournées dans les pays étrangers font parti des thèmes passionnants et variés du roman.
Le bal des ombres est le lieu où s’élabore le théâtre, où se construisent les mises en scène, où les Hamlet, lady Macbeth, Richard III ou Henry VIII prennent vie et s’incarnent. Les apparitions de ces grands personnages célèbres viennent se mêler à ceux de notre trio mais aussi à d’autres, Oscar Wilde, Bernard Shaw, Walt Whitmann, leurs amis ou détracteurs…  Nous sommes bien sur une scène mais comment distinguer une ombre d'une autre ? Chacun y joue son rôle et s’efface, laisse place à une autre ombre et tout n’est enfin que ombre de l’ombre.

Un bal à la musique triste

Bram Stoker

On est saisi d’une émotion qui naît de la tristesse de cet homme blessé qui n’a jamais su qu’il avait créé un mythe universel et qui s’est éteint dans l’obscurité. On est animé aussi d’une mélancolie nourrie de toutes ces figures fugitives qui reviennent du passé pour danser autour de nous. Nous sommes entraînés dans un bal dont la musique nostalgique retentit encore doucement bien après que l’on ait fermé le livre.

Remarque : Pourtant je lis, dans une critique sur Babelio, la réflexion suivante, que je cite :

C'est intéressant, mais j'ai eu comme la sensation que Joseph O'Connor avait appuyé par mégarde sur une pédale qui étouffe le son, met tout en sourdine, empêche la musique d'éclater.
Bref, un gros potentiel, mais ça reste un peu timoré, ça ne m'a pas complètement emballée.


Inutile de dire que je ne suis pas du tout d’accord avec cet avis même s’il est intéressant ! Non, Joseph O’Connor n’a pas appuyé par mégarde sur la pédale, il l’a fait exprès ! Nous sommes dans la demi-teinte. Il a sciemment voulu que la musique n’éclate pas, il a mis une sourdine aux sentiments qui naissent en nous à la lecture de ce livre. Il a refusé l’éclat pour mieux nous envelopper dans une brume nostalgique, une douce tristesse, afin de ne pas nous laisser oublier que ce sont des ombres qu’il convoque devant nous et que ces fantômes, comme à la fin de toute pièce de théâtre, vont retourner dans les limbes dont il les a tirés pour nous, l’espace d’un livre.

Et c’est pourquoi j’ai adoré ce très beau roman ! Et c'est pour cela qu'il m'a complètement emballée !

 

mardi 12 janvier 2021

Tiffany Mc Daniel : Betty


Betty Carpenter est née d’un père Cherokee et d’une mère, blanche. Elle est la sixième d’une fratrie de huit enfants. C’est elle qui ressemble le plus à son père Landon qui l’appelle ma petite indienne. Si elle connaît, dès l’école, les moqueries, le rejet et le mépris des enfants blancs, elle peut les surmonter grâce à la beauté des histoires que lui conte son père, qui est aussi celui qui lui transmet la fierté de son peuple, de ses coutumes et de ses croyances. C’est lui aussi qui l’initie aux mystères des plantes, à leur culture, à leurs vertus, et l’introduit dans le monde magique de la nature verte et luxuriante de l’Ohio.
 Mais pourquoi Alka, sa mère, est-elle en proie à une souffrance et une colère telles qu’elle en devient cruelle et brutale envers ses enfants ? Pourquoi sa soeur Fraya si douce, si maternelle, est-elle si repliée sur elle-même?
C’est ce que nous raconte Betty, la narratrice, qui, depuis l’enfance, trouve un échappatoire dans l’écriture.

Si vous commencez à lire Betty de Tiffany Mc Daniel, sachez que vous ne pourrez plus vous arrêter ! Vous le lirez dans la fièvre, l’angoisse face à la souffrance de ces êtres que vous voyez vivre et parfois mourir devant vos yeux, face la violence qu’ils subissent, racisme, viol, inceste. Vous le lirez dans l’émotion que vous procurent de beaux personnages radieux, aimants, comme le père de Betty, Landon Carpenter, ou sa grande soeur Fraya. Vous serez submergés de tendresse pour les petites frères de Betty, Trustin et Lint. Vous serez pénétrés par la beauté du style, emportés par la force de la nature, par la poésie des histoires issues de la sagesse indienne que Landon Carpenter conte à ses enfants et à Betty, en particulier, lui apprenant à être fière de ses origines.
Et si vous pensez que les thèmes du racisme, des violences faites aux filles sont rebattus et trop durs à affronter pour vous, sachez que vous vous trompez. Betty est un livre qui donne de l’espoir malgré les blessures, c’est un livre d’amour tout autant que de haine, c’est une histoire de sagesse et de pardon malgré la tristesse et la cruauté. C’est aussi un récit transcendé par la parole du père, cet homme au coeur de verre qui fait de la réalité un univers fantastique, la pare de couleurs extraordinaires, et donne  le courage de vivre. Oui,  vous l'avez deviné,  Betty est un coup de coeur !
Alors, lisez l’incipit… magnifique :

Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et des blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillière dans la cuisine tous les samedis. Ou bien, on se perd, ou bien on se trouve. Ces vérités peuvent s’affronter à l’infini. Et qu’est-ce que l’infini, sinon un serment confus ? Un cercle brisé. Une portion de ciel fuchsia. Si l’on redescend sur terre, l’infini prend la forme d’une succession de collines ondoyantes. Un coin de campagne dans l’Ohio où tous les serpents dans les hautes herbes de la prairie savent comment les anges perdent leurs ailes.

Vous résistez encore ?

Quand je repense à Fraya, ce qui me vient à l'esprit est l'image floue de mille lumières qui s'agitent et oscillent. Des particules qui resplendissent et scintillent avant de disparaître dans le noir et un bourdonnement dont je me rends compte qu'il n'est autre que le bruit des abeilles.

- Doux comme le miel, disait Fraya.

 Tandis qu'elle grandissait, tous les ans, à la même époque, Papa lui prenait les bras et les levait.

-Tu es ma mesure. C'est toi qui vas mesurer la distance qui sépare tout ce qui pousse dans le jardin et aussi les intervalles entre les piquets de la clôture.

- Pourquoi c'est moi ta mesure ? demandait-elle toujours même si elle savait ce qu'il allait lui répondre.

- Parce que tu es importante, répliquait-il en lui étendant les bras de chaque côté. Tu es mon centimètre, mon décimètre et mon mètre. La distance entre tes deux mains est la distance qui mesure tout ce qu'il y a entre le soleil et la lune.

Encore  un extrait ?

 Non, je m'arrête là, sinon il me faudra recopier tout le livre !

lundi 11 janvier 2021

La riche moisson de Noël


 

Voici ma riche moisson de Noël ! J'en ai déjà lu plusieurs mais je suis en retard pour les commenter comme d'habitude. A bientôt !

Les livres : "C'est la meilleure des munitions que j'aie trouvée en cet humain voyage". Montaigne



vendredi 1 janvier 2021

Bonne année 2021 à tous !


Ces petits bonhommes de neige nés d'un voyage norvégien en mai 2017, sous les mains de ma petite-fille, vous souhaitent une bonne année 2021 en espérant qu'elle nous apporte la fin de la pandémie, la paix et le bonheur pour tous !  

Quand je pense à ce qui m'a le plus manqué pendant cette année 2020 de confinement et de sinistrose, ce sont les voyages ! Et les voyages, les plus beaux de ces dernières années, ont été ceux accomplis avec ma petite-fille ! A la joie de la découverte d'un pays s'ajoute le bonheur du partage, l'impression d'être pourvoyeur de merveilles et le sentiment avéré de vivre des moments inoubliables...

Ainsi, ce premier Janvier 2021, je suis en train de revivre Venise au temps du carnaval Mois de février 2017. Quelques images... 

Et chaque jour une promenade en bateau pour découvrir la ville et les îles






 


 




Et chaque jour le carnaval






Venise scènes de carnaval








Elles ont du succès auprès de ces messieurs !


Café place Saint Marc

 



Et chaque jour... un masque



  
Venise : vitrine masques en carton






Et dans les musées









 et chaque jour la petite gourmande



mercredi 30 décembre 2020

Jack London : L'aventureuse

 

Après quelques mois de lectures assidues et nombreuses, le challenge Jack London est en train de battre de l'aile, certaines lectures ayant lassé les plus fidèles lectrices. Je dois dire, pour mon cas personnel, que me suis réjouie de découvrir certains aspects d’un Jack London que je ne connaissais pas, une grande diversité dans les genres du récit, dans les thèmes, les pays explorés… mais j’ai été indignée par certaines idées propres à la majorité de ses écrits : le racisme et l’affirmation toujours réitérée de la prétendue supériorité de la « race » anglo-saxonne. Il y a de quoi en être découragé(e) même si Jack London est souvent plein de contradictions :  raciste et pourtant, certains de ses personnages récurrents, courageux, fidèles en amitié, sages, sont des amérindiens tels Malemute Kid dans le grand Nord ou dans les mers du sud, le canaque Otoo, homme bon et doux. Socialiste défendant les misérables, il admire  l’homme fort, qui, selon Darwin, triomphera de la sélection naturelle. Un curieux mélange.
Pourtant, Jack London est féministe - avant la lettre - et dans L’aventureuse, il pousse très loin sa conception de la femme libre, indépendante, et se montre ainsi très en avance sur la société.


L’action se passe dans les îles Salomon. David Sheldon est un colon anglais qui gère une plantation en train de devenir fructueuse grâce à ses soins mais il tombe gravement malade. Or, ses employés, des autochtones qui sont traités comme des esclaves, sont sur le point de se révolter. Arrive dans l’île une jeune femme, américaine, belle, fière, intelligente, accompagnée de Tahitiens qui sont sous ses ordres. Joan Lackland, élevée par un père progressiste, sait se servir du lasso et du colt, gréer un navire, diriger un schooner dans les mers du sud, jouer du piano, parler art et littérature, Elle soigne et guérit Sheldon, mate l’insubordination des indigènes. Mais lorsqu’elle décide d’être propriétaire de sa propre plantation, elle se heurte aux principes des hommes de sa classe, David Sheldon en tête, qui estiment qu’une femme ne peut réussir toute seule et que vivre sans être mariée serait une inconvenance.
Avant les gens me cornaient aux oreilles que le mariage était le seul but d’une femme dans la vie : adieu le romanesque ! Mais la ruine de mon père m’a plongée dans l’aventure
Il faudra à Joan beaucoup de caractère pour défendre son indépendance, refuser le mariage, montrer ce dont elle est capable et obtenir le respect. Et il faudra à David Sheldon beaucoup d’aventures, de dangers à surmonter, d’admiration et d’amour envers la jeune fille pour évoluer et être moins conventionnel, moins conservateur et étroit d’esprit en ce qui concerne la femme.
L’aventureuse serait une merveilleux roman d’aventures s’il n’était pas basé sur un racisme affirmé.
Sur cette plate-forme gisaient côte à côte, pressés les uns contre les autres, une vingtaine de noirs. Il était facile de constater, au premier coup d’oeil, qu’ils se situaient au bas de l’échelle humaine. Leurs figures étaient bestiales, asymétriques, leurs corps laids et simiesques.

Il est vrai que les peuples des îles Salomon étaient, pour certains, cannibales, donc ils faisaient peur. Ils étaient tous très hostiles aux blancs qui leur prenaient leur terre, et les faisaient travailler dans des conditions dignes de l’esclavage. Et cela, c’est légitime, on les comprend ! Que London, socialiste, ne le comprenne pas, voilà qui est surprenant et décevant ! Mais c’est là qu’interviennent ses contradictions : le peuple anglo-saxon est supérieur donc il doit conquérir le monde Et la volonté du blanc pénétra la basse intelligence de l’indigène avec un force impétueuse…
et les noirs sont des êtres inférieurs que l’on doit « bien traiter » mais faire obéir ! 

Voilà qui vous gâche tout le plaisir de lire !

Je ferai bientôt le quatrième bilan (et peut-être dernier) du challenge Jack London, encore que j'aurai peut-être envie de lire le Snark avant de m'arrêter et qui sait ? de relire les livres qui ont marqué mon enfance : Croc Blanc et l'Appel de la forêt.  Je verrai et vous ?
 


 

mardi 29 décembre 2020

Olivier Norek : Entre deux mondes

Entre deux mondes est mon roman préféré d’Olivier Norek. Il a une force qui vous retient prisonnier, captivé, et ceci d’autant plus qu’il s’agit d’une réalité, la jungle de Calais avec l’horreur de des conditions de vie, de l'exil,  de la solitude, de la violence et de la mort, femmes assassinées, enfants seuls, abandonnés, violés … Une jungle où triomphe le plus fort, où s’organisent des bandes de malfaiteurs, racketteurs, tueurs, qui tiennent le haut du pavé et font la loi; un lieu sordide où le crime demeure impuni, où le métier du policier devient un combat de Sysiphe : empêcher la fuite vers l’Angleterre une nuit et recommencer sans cesse; un no man’s land où la justice et les lois françaises sont lettres mortes …

Libération Ici

Olivier Norek qui a été capitaine de la police judiciaire dans le 93, sait de quoi il parle mais c’est aussi un écrivain, un vrai, dont le style puissant, évocateur, nous transporte dans cette jungle, nous fait vivre par l’intérieur ce qui s’y passe, nous fait éprouver les émotions, les espoirs, les révoltes, l’état de déréliction dans lesquels sont plongés ces hommes et femmes perdus dans l’exil. Ce que j’apprécie, c’est que l’écrivain sait éviter le manichéisme. Non, il n’y pas les bons émigrés d’un côté et les méchants français, les cruels policiers racistes de l’autre. Le Bien et le Mal sont également distribués, couche après couche, dans la société française ou étrangère.
D’autre part, Olivier Norek n’écrit pas, malgré la parfaite connaissance du sujet et la précision des détails, un documentaire. Entre deux mondes est un vrai roman et l’on s’intéresse aux personnages, on s’attache à eux, on tremble pour leur vie comme dans le meilleur roman d’aventures. Il y a Nora qui part de Damas, via Beyrouth et Tripoli, avec sa fille Maya, 6 ans, pour rejoindre la France sur un zodiac, à la merci, toutes deux, de passeurs sans scrupules, puis la quête d’Adam, policier syrien mais membre d’une organisation rebelle, le mari de Nora, qui fuit le régime de Bassar El Assad et part à la recherche de sa femme et de son enfant dans cet « entre deux mondes » qu’est la jungle de Calais. Enfin Bastien et sa fille Jade qui se traitent mutuellement, de « sale flic » et de « sale gosse », mais ont une grande complicité et enfin, Manon, dépressive, épouse de Bastien. La nomination du « flic » à Calais n’est pas pour leur faire voir la vie en rose !
On s’intéresse aussi aux personnages secondaires, aux humanitaires, aux collègues de Bastien, enfin au gamin perdu dans la jungle qui s’attache aux pas d’Adam. Norek porte un regard plein de tendresse sur ses personnages, il nous les fait comprendre et aimer. Il nous dépeint aussi leur évolution face à ce qu’ils vont vivre et comment cette expérience va les transformer…
Entre deux Mondes est donc un livre plein d’humanité dans lequel l’espoir et le désespoir cohabitent mais où finalement un rayon de soleil parvient à percer la noirceur du monde.

samedi 26 décembre 2020

Honoré de Balzac : La vieille fille

Ecrit en 1836, édité en 1837, l’action de La Vieille Fille commence en 1816. Ce court roman s’insère dans Etudes de meurs, Scènes de la vie de Province, avant d’être réuni dans un même ensemble avec Le cabinet des Antiques.

Nous sommes à Alençon, en 1816, à l’époque de la seconde Restauration, Louis XVIII est au pouvoir. il a accordé une constitution dès la première restauration en 1814, ce qui mécontente les Ultra royalistes.
 En Province s’opposent deux hommes, vieillards sensiblement du même âge (57/58ans) qui présentent deux classes sociales, deux époques, deux partis politiques, deux personnalités totalement  opposés !

Le chevalier de Valois

 Le chevalier de Valois incarne la noblesse traditionnelle d’avant la révolution. Raffiné, il est toujours en phase avec le XVIII siècle, jusque dans sa manière de parler, de se vêtir, de penser. Intelligent, il a beaucoup de finesse pour comprendre la psychologie de ceux qu’il fréquente, nobles, bourgeois ou grisettes. Il plaît à tous, est charmant, spirituel, avenant. Complètement désargenté, il cache sa misère et se fait inviter dans le meilleur monde, jouant le rôle de pique-assiette. Libertin, il cache bien son jeu en paraissant avoir une vie sage et mesurée. Bien qu'il soit rusé, retors et habile à manipuler les gens, il est cependant moins pragmatique que son rival du Bousquier.

Du Bousquier

Du Bousquier est le représentant de la classe bourgeoise. Hommes d’affaires sous le Directoire, il s’est ruiné avec l’Empire et se réfugie en province pour faire fortune. Vulgaire, sans élégance, brutal, incapable de sentiments distingués, odieux, il représente les idées révolutionnaires et épouse le parti libéral qu’exècre Balzac. Mais en bon hypocrite, il ne lutte pas pour des idéaux mais pour lui-même, la seule personne qui l’intéresse. Il se révèle d’ailleurs un homme de progrès, très compétent, capable de transformer l’économie d’une ville, d’y apporter la modernité, ce que lui reproche Balzac.

Ces deux personnages opposés ne sont épargnés, ni l’un, ni l’autre par Balzac qui exerce son talent caricatural sur eux et les malmène avec brio ! Cependant, on voit très bien de quel côté penche l’écrivain qui, parfois, prend la parole directement et rédige une diatribe contre la royauté constitutionnelle, tout en se  plaçant du côté des ultras royalistes. 

Ainsi  du Bousquier représente : « …. cette fatale opinion qui, sans être vraiment libérale, ni résolument royaliste, enfanta les 221* au jour ou la lutte se précisa entre le plus auguste, le plus grand, le seul vrai pouvoir, la Royauté, et le plus faux, le plus changeant, le plus oppresseur pouvoir, le pouvoir dit parlementaire qu’exercent des assemblées électives. »

Une amie blogueuse m’a demandé en quoi Balzac était un réactionnaire. Il faut lire ce livre pour le comprendre ! 
"Aucun homme, en France, (du Bousquier) ne jeta sur le nouveau trône élevé en août 1830 un regard plus enivré de joyeuse vengeance. Pour lui, l’avènement de la branche cadette était le triomphe de la Révolution. Pour lui, le triomphe du drapeau tricolore était la résurrection de la Montagne, qui, cette fois, allait abattre les gentilshommes par des procédés plus sûrs que celui de la guillotine, en ce que son action serait moins violente. La Pairie sans hérédité, la Garde nationale qui met sur le même lit de camp l’épicier du coin et le marquis, l’abolition des majorats réclamée par un bourgeois-avocat, l’Eglise catholique privée de sa suprématie, toutes les inventions législatives d’août 1830 furent pour du Bousquier la plus savante application des principes de 1793." 

 
C’est pourquoi, malgré la caricature, malgré ses défauts, le noble chevalier du Valois est supérieur en tout à l’horrible Bousquier!

Non contents d’être ennemis en politique, Bousquier et du Valois vont aussi se retrouver rivaux dans leurs ambitions matrimoniales. Tous deux briguent la main de la Vieille fille, Rose-Marie-Victoire Cormon, non pour ses beaux yeux mais pour sa fortune.

A côté d’eux un jeune homme Anathase de Granson, naïf, amoureux sincère de cette femme, même s’il ne dédaigne pas la fortune, est malheureusement éconduit. Un autre personnage a aussi son importance, c'est la grisette, Suzanne.

Rose Marie Victoire Cormon

Rose-Marie-Victoire Cormon est une riche héritière qui vit dans la plus belle demeure d’Alençon avec son oncle, le grand-vicaire, Cormon. Elle représente la tradition royaliste solidement ancrée dans le terreau de l’Eglise catholique. Bourgeoise, étroite d’esprit, bigote, prude, elle est aussi inintelligente et ignore tout de la sexualité, ce qui l’entraîne à dire des inepties qui font la joie de son entourage. Elle est toujours « vieille fille » à force de refuser des partis tant sa méfiance est grande envers les adorateurs de sa fortune. Mais à la quarantaine, la question du mariage l’agite tant qu’elle devient une obsession. Toute la ville se moque d’elle. La caricature de son physique, de son ignorance, de ses ridicules est d’une grande cruauté. Mais l’on sait le mépris de Balzac pour les femmes célibataires qui se sont montrés trop difficiles pour trouver un mari; Il leur reproche de ne pas avoir rempli leurs obligations d’épouse, servir leur mari, et surtout leur devoir de mère, servir la société! La seule qualité que  reconnaît Balzac à Mademoiselle Cormon, c'est de vouloir des enfants! Mais il la punira, à la fin du roman, par là où elle a pêché, le refus du mariage ! Pas de pitié pour ces êtres inutiles !
Par contre et étonnamment, Balzac est assez anti-clérical et se montre ironique envers la dévotion portée à l’extrême, autrement dit la bigoterie, ce que j'avais noté dans Le Lys de la vallée. Dans ce roman, l’écrivain condamne le directeur de conscience de madame de Mortsauf qui en lui prêchant la vertu, l’a empêchée de vivre comme il critique cette dernière de ne pas avoir su choisir l’amour. Dans la Vieille fille, il est assez virulent et cela,  à plusieurs reprises :
« La dévotion cause une ophtalmie morale. En un mot les dévotes sont stupides sur beaucoup de points. (…) quoique le voltairien monsieur de Valois prétendît qu’il est extrêmement difficile de décider si ce sont les personnes stupides qui deviennent dévotes, ou si la dévotion a pour effet de rendre stupides les filles d’esprit. »

La vieille fille est donc bien un roman de moeurs où apparaît la vie étriquée, monotone, trop bien réglée de la Province, où sont dépeintes les différentes couches de la société, du peuple aux plus hautes classes. C’est aussi un roman politique qui décrit l’agitation de cette première partie du XIX siècle, de 1816 à 1830, et son histoire mouvementée. De plus, dans ce roman, Balzac porte l’art du portrait caricatural à un haut niveau.

221*  En mars 1830, le roi  menace les députés  qui s'opposent au gouvernement réactionnaire qu'il met en place avec à sa tête Polignac; 221 d'entre eux lui présente une adresse rappelant au gouvernement les droits de la Chambre. Le roi s'empresse de la dissoudre. Le 27 juillet 1830, il dissout une assemblée nouvellement élue malgré sa volonté. Il rédige les ordonnances de Saint Cloud qui rétablissent la censure, interdisent la  liberté de la presse, modifient le cens pour éliminer la bourgeoisie. Le 27, 28, 29 ont lieu les Trois Glorieuses, révolution qui chasse Charles X du trône; Il abdique le 3 août 1830. Le duc d'Orléans monte sur le trône.

 

 J'ai trouvé un site qui explique dans quels romans de La Comédie Humaine l'on retrouve les personnages de La vieille fille ICI.

Du Bousquier : 57 ans en 1816, est le rival heureux de Valois. Il monte des entreprises sous la Révolution et mène grande vie jusqu'au Directoire, dont l'une en association avec un Minoret (Entre savants). Ruiné en 1800 (La Bourse) il se retire à Alençon, sa ville natale, où il devient le chef du parti libéral. Son mariage avec Mlle Cormon en fait, vers 1838, le maître d'Alençon (Béatrix).
–  Rose-Marie-Victoire Cormon : elle atteint la quarantaine en 1816. Vieille fille à son corps défendant, l'ironie du romancier la fait Présidente de la Société de Maternité. Son mariage, comme on sait, la laisse « fille », et vouée aux « nénuphars », selon le mot de Suzanne, qu'elle soit l'épouse de du Bousquier ou de son alter ego du Croisier (Le Cabinet des Antiques).
Suzanne : …. et ses vieillards, « personne assez hardie » pour disparaître d'Alençon « après y avoir introduit un violent élément d'intérêt » . Une beauté normande, grisette en province, lorette à Paris. Elle y fait carrière sous le nom de Mme du Valnoble, emprunté à la rue Val-Noble, où demeure Mlle Cormon (Illusions perdues, Un début dans la vie, Une fille d'Ève). Elle rêve, adolescente, au destin de Marie de Verneuil (Les Chouans). C'est elle qui procure à Esther les fatales perles noires (Splendeurs et misères des courtisanes). On apprend dans Béatrix son mariage, en 1838, avec le journaliste Théodore Gaillard. La tournée parisienne des Comédiens sans le savoir commence chez elle.
Chevalier de Valois : à Alençon. Il a 58 ans en 1816. En 1799, il était, dans l'Orne, le correspondant des Chouans (Les Chouans), et réapparaît à ce titre dans L'Envers de l'histoire contemporaine. « Adonis en retraite » il échoue in extremis auprès de Rose Cormon, et deviendra l'un des habitués du Cabinet des Antiques ; c'est dans ce roman qu'il mourra, en 1830, après avoir accompagné Charles X à Cherbourg, sur le chemin de  l'exil.
 


LC initiée par Maggie Ici avec : Rachel ICI