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jeudi 10 avril 2014

Une brassée d'images (4) Le château de Michel de Montaigne


La tour de Montaigne : au premier étage sa chambre, au dernier sa bibliothèque et son lieu de travail.

Je ne pouvais aller à Bordeaux sans aller rendre une visite de courtoisie à Michel de Montaigne en son château d'Eyquem situé non loin, en Dordogne, au nord du bourg de Saint-Michel-de-Montaigne. Les parties les plus anciennes du château remontent au XVe siècle. Le fief fut acquis en 1477 par Ramon Eyquem riche commerçant de Bordeaux. Son petit-fils Pierre Eyquem de Montaigne (1495-1519), qui fut maire de Bordeaux, et père de Michel, l'a agrandi et fortifié.
Autour d'une vaste cour se répartissent le château et les ailes des dépendances. L'entrée principale est constituée par le châtelet qui flanque la tour de Montaigne du XVIe siècle. Une première transformation a été réalisée à partir de 1860 par Pierre Magne, ministre de Napoléon III, qui rehaussa le corps de logis principal dans le style néo-médiéval. En 1885 un incendie provoque la reconstruction du château dès l'année suivante à partir de ses fondations.
Le parc XIXe organisé à l'occasion de la reconstruction du château laisse encore lisibles les éléments de la composition ancienne du jardin conçue par Michel de Montaigne.
Je le découvre en ce début Avril, paré d'un écrin de verdure qui dans ce printemps précoce commence à se couvrir de fleurs, prairies émaillées de pâquerettes, parcs aux arbres séculaires, large ouverture sur la plaine ensoleillée. Calme et beauté que ne viennent même pas troubler les quelques rares visiteurs qui nous accompagnent.

Vue sur la vallée de la Lidoire au Nord


Une visite printanière

 La tour historique : "la librairie"


La tour de Montaigne est d'époque alors que le corps du bâtiment ne l'est pas


Le corps du bâtiment, privé, emprunte à toutes les époques

La tour vue du parc


La tour vue de la cour intérieure







La Tour vue de l'intérieur  du châtelet



Face à la tour de Montaigne, séparé par le toit des communs, la petite tour de l'épouse de Montaigne, Françoise de Chassaigne (1544-1627) qui assista son mari dans dans la gestion du domaine. 


La tour de Françoise de Chassaigne située à l'Est

Visite-pèlerinage, visite émouvante pour tous ceux qui admirent son oeuvre et s'en nourrissent. Imaginer la vie quotidienne de Michel de Montaigne à partir de ce lieu, de cette tour où il travaillait et des dépendances du château qu'il apercevait de sa fenêtre, prendre conscience de l'inconfort, du froid qui régnait dans ses appartements ouverts aux quatre vents,  se replonger dans une époque révolue où règne la violence et la barbarie des guerres de religion et où son plus immédiat voisin peut se révéler comme un ennemi, toucher du doigt l'érudition du Sage, l'activité de son esprit si ouvert, si en avance sur son époque, dans sa bibliothèque maintenant vide de ses livres. Un rare plaisir....

 La chapelle

 

La chapelle : fresque de Saint Michel terrassant le dragon. Par un conduit auditif percé dans la muraille, Montaigne, malade,  pouvait écouter la messe de son lit dans sa chambre située au premier étage.

 La chambre

 

La chambre de Montaigne

Une petite niche  où il se réfugiait pour se protéger des courants d'air et pour échapper aux "fâcheux" qui venaient lui rendre visite
En hiver j’y suis moins continuellement car ma maison –comme son nom l’indique- est juchée sur un tertre et n’a point de pièce plus ventée que celle-ci.  J’aime que son accès en soit pénible, tant pour le fruit de l’exercice que j’en retire que pour en éloigner la foule.



Le coffre de Montaigne où son journal  de voyage fut retrouvé

La librairie de Montaigne

 

Gravure représentant la bibliothèque de Montaigne avec ses livres

La librairie du Montaigne (à laquelle mon blog doit son titre!) est sa bibliothèque :

Ma librairie est l’une des plus belles librairies de village. Chez moi je m’y réfugie souvent, et d’une main j’y supervise mon train de maison. Depuis sa porte je vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour et la plupart des autres corps de bâtiment de ma maison. Là je feuillette tantôt un livre, tantôt un autre, sans ordre ni but précis, à pièces décousues. Tantôt je rêve, tantôt je dicte et enregistre, tout en me promenant, les songes qui me viennent.


La bibliothèque au troisième étage






La forme de ma librairie est ronde et n’a de plat que ma table et mon siège. Elle m’offre, en une ligne courbe et d’un seul regard, tous mes livres rangés à cinq degrés tout autour. Elle possède trois vues aux riches et libres perspectives, et un diamètre de 16 pas.





Montaigne avait fait graver des maximes d'auteurs grecs et latins sur les poutres

Maximes sur les poutres de la bibliothèque

Statue dans la bibliothèque


C’est là mon siège : j’essaie d’en être le seul maître, et de soustraire ce coin unique à la communauté à la fois conjugale, filiale, et civile. Malheureux, à mon avis, celui qui n’a chez lui aucun lieu où être à soi, où se faire particulièrement la cour, où se cacher. Et je trouverais beaucoup plus supportable d’être toujours seul que de ne pouvoir l’être jamais.

 Montaigne à Bordeaux

 

D’abord magistrat, Montaigne s’implique dans la vie politique en tant que conseiller à la cour des aides de Périgueux, puis maire de Bordeaux. À partir de 1571, il se retire dans son château natal et notamment dans sa « librairie » où il se consacre à la rédaction des « Essais », qu’il ne cessera de retravailler, corriger et enrichir jusqu’à sa mort.


Statue place des Quinconces à Bordeaux

Statue de la place des Quinconces à Bordeaux

 

Les Essais

Au lecteur

C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altiére et plus vive, la connaissance qu'ils ont eue de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc ; de Montaigne, ce premier de mars mil cinq cent quatre vingts.

vendredi 7 février 2014

Un été avec Montaigne d'Antoine Compagnon






Les gens seraient étendus sur la plage ou bien, sirotant un apéritif, ils s'apprêteraient à déjeuner, et ils entendaient causer de Montaigne dans le poste.
C'est ainsi que Antoine Compagnon explique la genèse de son livre  : Un été avec Montaigne. Une série de quarante passages sur France Inter durant l'été pour rendre accessible à tous le philosophe du XVI siècle et sa pensée, élucider les difficultés de cette langue riche, savoureuse, imagée mais déjà si ancienne qu'il faut se laisser prendre par la main pour éviter de se perdre. Et en plus réaliser le tour de force de plaire à ceux qui entre la poire et le fromage ont plus envie de faire bronzette que de philosopher gravement!

Mais qui a dit gravement? Antoine Compagnon nous amène tout simplement en promenade et nous donne envie d'aller plus loin dans la découverte de Montaigne et non seulement de l'oeuvre  mais de l'homme qui apparaît sous ses écrits. 
Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautés empruntées. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans étude et artifice : car c'est moi que je peins. (Au lecteur)


Michel Eyquiem Montaigne

Nous découvrons donc un Montaigne non pas seulement retiré dans sa librairie en train de méditer mais aussi le Montaigne de la vie publique, le maire de Bordeaux, le conseiller du roi, un Montaigne voyageur qui aime aller se frotter aux coutumes d'autrui, plein de curiosité  envers tout ce qui se passe par le monde; ainsi il rend compte des découvertes du Nouveau Monde. C'est un homme ouvert et tolérant dans un pays qui ne l'est pas. Car à travers lui apparaît en effet son siècle et les dangers qui  guettent chaque citoyen. Nous sommes en pleine guerre de religion, les passions sont exacerbées de telle façon que l'on est menacé non seulement par ceux qui ne sont pas de votre religion mais aussi par ceux qui le sont et vous prennent pour un adversaire. 

 Je me suis couché mille fois chez moi, imaginant qu'on me trahirait et assommerait cette nuit-là : composant avec la fortune, que ce fut sans effroi et sans langueur : et me suis écrié avec mon patrenôtre : ces terres que j'ai  tant labourées, c'est donc un soldat impie qui les aura (Virgile) (III, 9)

François Dubois : massacre de la Saint Barthélémy, la reine Catherine de Médicis

Montaigne nous parle aussi de la mort, de l'amitié, de l'amour, de la sexualité, du vieillissement, de tous les sujets qui nous concernent mais toujours comme à bâtons rompus, une conversation au coin du feu.

Voilà comment  Montaigne parle des trois "commerces" qui ont rempli sa vie :

Ces deux commerces (l'amour et l'amitié) sont fortuits, et dépendants d'autrui : l'un est ennuyeux par sa rareté, l'autre se flétrit avec l'âge : ainsi ils n'eussent pas assez pourvu au besoin de ma vie. Celui des livres, qui est le troisième; est bien sûr et plus à nous. Ils cède aux premiers, les autres avantages : mais il a pour sa part la constance et la facilité de son service. (III, 3)

 Il (le commerce des livres) me console en la vieillesse et en la solitude: il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse; et me défait à toute heure  des compagnies qui me fâchent: il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est pas du tout extrême et maîtresse : Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres, ils me détournent facilement à eux, et me la dérobent... (III, 3)

Etienne de la Boétie, le meilleur ami de Montaigne

Oui, une conversation : c'est ainsi que Antoine Compagnon procède! Il cite un extrait de Montaigne puis il nous en donne le sens, ensuite replace le texte dans son époque, enfin en montre la portée actuelle. Evidemment ce livre ne convient pas à des spécialistes du XVI siècle ni même à des lecteurs avertis. Il s'agit, vous l'avez compris, d'une oeuvre de vulgarisation mais très utile et agréable à lire.

samedi 26 octobre 2013

Martine Mairal : L'Obèle Un hommage à Montaigne (citation)

Récit de la rencontre entre Montaigne et Marie de Gournay

Je suis en train de lire L'Obèle de Martine Mairal.  Le livre raconte la rencontre  exceptionnelle entre Montaigne et sa "fille d'alliance", Marie de Gournay, jeune lectrice et admiratrice de l'auteur des Essais, lettrée et savante,  dont il fit  la dépositaire de son oeuvre.
Je vous parlerai plus longuement de cet ouvrage lorsque je l'aurai fini mais en attendant  je publie cet extrait en forme d'hommage à la langue de Michel De Montaigne.

Marie de Gournay

C'est ainsi que Marie de Gournay rend hommage aux Essais :

Et voilà que parmi les livres, il en était un qui parlait à mon esprit avec une limpidité et une force jamais éprouvées, qui ordonnait les lignes de ma raison avec une évidence bouleversante, et disait sans vert le bonheur de réfléchir, d'être doué de conscience. Avant même que de m'en approcher, je me pris de passion pour ces Essais écrits dans une langue vigoureuse et précise. Une langue vivante et bondissante sur les sentiers de la pensée avec la souplesse d'un bel animal dont le moindre mouvement est dicté par un sens très sûr de la nature. Ce que d'aucuns croient sauvage et primitif et qui est de fait libre et inspiré. Une langue de Babel, capable de forger les mots qui lui font défaut, de modeler en quelques syllabes puissantes l'allégorie d'une idée, de faire surgir la sonorité du monde au creux du verbe.

Les Essais. Jamais plus sacrilège qu'aujourd'hui* d'oser en faire l'éloge. Au moment où notre langue se vertagudine et se fige dans une rigueur désolante, toute semblable à un hiver tardif qui givre les promesses du renouveau trop tôt venues et navre gravement les récoltes à venir, plus me plaît encore à évoquer l'élan, la verve, l'ivresse étymologique, l'arcature rhétorique, la puissante conception, la force et la jubilation de cette écriture...

Michel de Montaigne


* Au XVII siècle.  Marie Gournay, beaucoup plus jeune que Montaigne, a "tourné" le siècle et est passée du XVI siècle au XVII où sous l'autorité de Richelieu, fondateur de l'académie française, la langue s'est codifiée et rigidifiée.

Merci à Dominique du blog A sauts et à gambades de m'avoir fait découvrir ce livre ICI

jeudi 17 janvier 2013

Citation avec Montaigne : Le trajet d'une rivière



Je suis en train de lire Le trajet d'une rivière d'Anne Cuneo, roman historique qui nous amène dans le passé, d'abord en Angleterre à l'époque élizabethaine puis en voyage en Europe déchirée par les guerres de religion.  Or, qui ai-je rencontré dans ce XVI siècle où s'affronte les fanatismes et où  l'on tue au nom de Dieu?  Montaigne, bien sûr, et ce texte magnifique et si vrai qui explique le titre de ce roman dont je vous parlerai bientôt.



Ce que notre raison nous conseille de plus vraisemblable, c'est généralement à chacun  d'obéir au loi de son pays, comme est l'avis de Socrate inspiré, dit-il d'un conseil divin. Et par là que veut-elle dire, sinon que notre devoir n'a d'autre règle que fortuite? La vérité doit avoir un visage pareil et universel.. Il n'est rien de sujet à de plus continuelle agitation que les lois. Depuis que je suis né, j'ai vu trois et quatre fois rechanger celle des Anglais, nos voisins, non seulement en sujet politique, qui est celui que l'on veut dispenser de la constance, mais au plus important sujet qui puisse être, à savoir la religion. De quoi j'ai honte et dépit, d'autant plus que c'est une nation à laquelle ceux de mon quartier ont eu autrefois une si privée accointance qu'il reste encore en ma maison aucunes traces de notre ancien cousinage… Que dira donc en cette nécessité que la philosophie? Que nous suivons les lois de notre pays? C'est à dire cette mer flottante des opinions d'un peuple ou d'un Prince, qui me peindront la justice d'autant de couleurs et la réformeront d'autant de visages qu'il y aura en eux de changements de passion? Je ne peux pas avoir le jugement si flexible.
Quelle bonté est-ce, que je voyais hier en crédit et demain plus, et que le trajet d'une rivière fait un crime? Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà?

jeudi 9 février 2012

Civilisation : Une réponse de Montaigne

  

 
L’astrolabe d’Abû Bakr b. Yûsuf, XIIIe siècle.


 Civilisation : Etymologie : du latin civis, citoyen.

Sens n°1 :
Une civilisation est l'ensemble des caractéristiques spécifiques à une société, une région, un peuple, une nation, dans tous les domaines : sociaux, religieux, moraux, politiques, artistiques, intellectuels, scientifiques, techniques... Les composantes de la civilisation sont transmises de génération en génération par l'éducation. Dans cette approche de l'histoire de l'humanité, il n'est pas porté de jugements de valeurs.
Le sens est alors proche de "culture".
Exemples : civilisations sumérienne, égyptienne, babylonienne, maya, khmer, grecque, romaine, viking, arabe, occidentale...

Sens n°2 :
La civilisation désigne l'état d'avancement des conditions de vie, des savoirs et des normes de comportements ou moeurs (dits civilisés) d'une société. La civilisation qui, dans cette signification, s'emploie au singulier, introduit les notions de progrès et d'amélioration vers un idéal universel engendrés, entre autres, par les connaissances, la science, la technologie. La civilisation est la situation atteinte par une société considérée, ou qui se considère, comme "évoluée". La civilisation s'oppose à la barbarie, à la sauvagerie.
Le XXe siècle ayant montré que la "civilisation occidentale" (au sens n°1) pouvait produire les formes les plus cruelles de barbarie, il est indispensable de faire preuve de la plus grande modestie quant au degré de civilisation (sens n°2) atteint par notre société.
source


C'est déjà l'avis de Montaigne! En parlant des Cannibales du Nouveau Monde dans l'essai du même nom, Montaigne note que ceux-ci mangent leurs ennemis morts en signe de vengeance alors que les Portugais les torturent longuement et avec raffinement avant de les pendre!
Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action*, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion)**, que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.


 *le cannibalisme
** Quand Montaigne écrit les Essais, la France est déchirée par les guerres de religion

jeudi 6 octobre 2011

Charles-Monroe Schluz et Montaigne : la vie c'est comme...




Snoopy : un de mes philosophes préférés...


La vie, c’est comme un cône glacé ; il faut savourer chaque bouchée.

 Pas si éloigné de Montaigne après tout :

Les autres sentent la douceur d'un contentement et de la prospérité, je la sens ainsi qu'eux, mais ce n'est pas qu'en passant et en glissant : si la faut-il étudier, savourer, ruminer., pour en rendre grâces... Ils jouissent les autres plaisirs comme ils font celui du sommeil sans les connaître. A celle fin que le dormir même ne m'échappât ainsi stupidement, j'ai autrefois trouvé bon qu'on me le troublât pour que je l'entrevisse. 
Livre III chapitre XIII

Avec Chiffonnette

jeudi 8 septembre 2011

Montaigne : Quoi n'avez-vous pas vécu?




La vie :

Je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie et par la vigueur de l'usage compenser la hâtivité de l'écoulement. A mesure que la possession de vivre est plus courte, il me faut la rendre plus profonde et plus pleine.

"Je n'ai rien fait aujourd'hui." Quoi? n'avez-vous point vécu? C'est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de nos occupations.


Initié par Chiffonnette

jeudi 14 juillet 2011

Festival OFF d'Avignon : Montaigne de Michel Bruzat, Théâtre de la Passerelle

 Jean-Pierre Descheix interprète Montaigne
Il y en aura peut-être d'autre (je l'espère car le festival est loin d'être terminé) mais le spectacle du Théâtre de la Passerelle de Michel Bruzat sur Montaigne est d'ores et déjà un coup de coeur.

Montaigne? Mon enthousiasme ne doit pas vous étonner puisque mon blog lui est dédié à commencer par son titre Ma Librairie et le bandeau d'accueil qui représente la tour où il avait installé sa bibliothèque autrement dit sa librairie.

Pourquoi j'aime autant Montaigne? Le beau spectacle théâtral mis en scène par Michel Bruzat à partir d'un choix judicieux de textes répond à cette question. Et tout d'abord en montrant l'homme car Montaigne n'est pas un pur esprit et s'il porte en lui la forme entière de l'humaine condition, c'est parce qu'il est proche de nous, un être de chair et de sang, qui aime la bonne chère, les plaisirs du corps, l'amour, l'amitié, un épicurien qui aime la vie et la cultive telle qui a plu à dieu nous l'octroyer. Un homme qui pense que le corps et l'esprit sont liés par "une étroite couture" et qu'ils ne sont donc pas opposables. Un homme qui n'essaie pas de dresser un portrait flatteur de lui-même mais qui  se montre à nous tel qu'il est avec ses faiblesses et ses erreurs : "Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans  étude et sans artifice". Et puis il y a le Montaigne philosophe, aussi éloigné des valeurs chrétiennes d'abstinence et de toutes formes d'ascétisme prônés par  la religion, "J'ai horreur d'imaginer un corps privé de plaisir", que du fanatisme lié à une quelconque certitude. Car cet humaniste est persuadé de la relativité des coutumes et des croyances. Et c'est parce qu'il ne pense pas détenir la vérité qu'il parle de tolérance, de respect des autres, du plaisir de découvrir d'autres pays, d'autres façons de vivre et de penser. La voix de Montaigne qui s'élève vers nous sur la scène du théâtre des Carmes est belle et toujours actuelle. L'adaptation en français moderne est de plus très réussie et nous rapproche de lui dans le temps. Elle nous dit, des choses toujours vraies, que la guerre est la preuve de la sottise humaine, que les hommes n'ont pas à imposer des règles aux femmes qu'ils sont bien loin de pouvoir respecter eux-mêmes, que la peur de la mort ne doit pas nous empêcher de vivre et que la vie, justement, est la plus belle des aventures humaines : "Mon métier et mon art, c'est de vivre".

 Michel de Montaigne, à qui l'excellent comédien Jean-Pierre Descheix prête son corps (il va même jusqu'à lui ressembler!) et sa voix, nous convie à un repas aux chandelles, nous invite à sa table et le spectateur est même parfois sollicité pour la préparation des plats. Convivialité, amour des saveurs, gourmandise, la glace est brisée, ce n'est pas le philosophe mais l'homme et même l'ami qui bavarde avec nous à bâtons rompus. Les évolutions de l'acteur qui sert à table, goûte avec sensualité un bon vin, trinque avec nous, danse, chante, ses digressions, ses hésitations, son franc parler, tout donne l'impression de ce style "à sauts et à gambades" si cher à Montaigne. Belle idée de Michel Bruzat et qui sert à merveille ces textes! Nous avons l'impression que ceux-ci s'écrivent devant nous, nous sentons le tâtonnement de la pensée, les mots qui se cherchent, qui se pressent, qui se bousculent. Jean-Pierre Descheix nous les donne à savourer. Avec bonhomie, simplicité et naturel, beaucoup d'humour aussi, il nous fait voir l'homme, nous fait rire, nous fait partager ses émotions, ses doutes aussi.  Avec cette mise en scène intelligente et pleine de finesse Michel Bruzat a réussi a concocté un régal théâtral goûteux salué par la qualité de l'écoute et des réactions des spectateurs.


Avis de Wens  blog En effeuillant le Chrysanthème

Ecrire sur Montaigne en parallèle à Claudialucia est un pari audacieux de ma part, elle qui se nourrit des Essais depuis sa prime jeunesse, qui a choisi de nommer son blog "Ma Librairie" en l'honneur de l'essayiste et philosophe. Mais...
Michel Bruzat par ses choix judicieux d'extraits des Essais montre la puissance de la pensée et la modernité de l'écrivain. Dans un rêve utopique on pourrait envisager que Montaigne inspire la conduite de nos puissants dirigeants, mus par le profit et l'ambition, où le visage des hommes se cache sous le masque de leur fonction, où se parjurer n'est pas un vice, mais une façon de parler où la politique sans conscience et sans âme consiste à faire le renard. Montaigne nous rappelle que la voix de la sagesse réside dans la tolérance, que notre richesse provient de notre diversité, qu'aucun homme sur notre terre ne détient la vérité absolue, que nos croyances sont le fruit de nos coutumes, de notre éducation. En vérité, dès notre naissance nous humons les règles de la coutume avec le lait…Par la suite, ce qui est contraire à la coutume, nous le croyons contraire à la raison.Il faut aller vers l'étranger, le comprendre, éviter tout repli sur soi, sur son propre monde. Le philosophe prône la tolérance religieuse, alors que son siècle est ravagé par les combats fratricides entre catholiques et protestants. Au nom de l'amour de Dieu, des paradis futurs, les croyants, les fanatiques s'étripent. Il dénonce la guerre, toutes les guerres, car elle font le jeu des ambitieux, des haineux, des violents. Aucune guerre n'est justifiable. En avance sur son temps, et sur le nôtre, il aborde le thème de l'égalité des sexes !
Au delà du philosophe, Michel Bruzat, nous fait rencontrer l'homme qui fait de lui même  un portrait pas toujours très flatteur. Nous sommes invités à un banquet par un hôte charmant, brillant, érudit, bavard, inquiet, curieux… qui nous fait rire, sourire, ou retenir notre souffle : Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans étude et artifice. Les mots, les formules savoureuses surgissent, fleurissent comme celle mise en exergue en sous titre de la pièce: Sur le plus haut trône du monde nous ne sommes assis que sur notre cul. Parce que Montaigne c'est aussi une langue brillante servie par un acteur de talent : Jean Pierre Descheix. Il habite Montaigne, nous fait partager ses réflexions, ses interrogations, ses doutes sur la beauté de la vie qu'il nous faut remplir, sur la force de l'amitié, sur la mort, sur la nature. 
La mise en scène inventive, et la scénographie participent à la beauté du spectacle. On aimerait garder en bouche le goût de ce festin de mots et de sagesse.





Montaigne
au Théâtre des Carmes 
du 8 au 31 juillet à 17H50
Durée : 1H15

dimanche 26 juin 2011

Clément Marot : Epigramme de moi-même



Clément Marot par Corneille de Lyon

Après Charles d'Orléans (1394-1465), je continue à remonter le temps avec Clément Marot, (1496-1544), poète officiel de François Ier.

Je ne suis plus ce que j’ai été

Et je ne le saurais jamais être,

Mon beau printemps et mon été

Ont fait le saut par la fenêtre.
 
Amour, tu as été mon maître,

Je t’ai servi sur tous les dieux.

Ah, si je pouvais deux fois naître,

Comme je te servirais mieux !
Clément Marot


Les compagnons troubadours de Bookworm

vendredi 10 juin 2011

Montaigne: Le philosophe sur les deux tours de Notre-Dame



Dans le chapitre de l'Apologie de Raymond de Sebond, Michel de Montaigne décrit la faiblesse de l'homme qui dans son outrecuidance croit être maître du monde alors qu'il est dominé par ses sens, précieux intermédiaires entre le monde et lui mais certainement insuffisants pour lui permettre de porter un jugement valable sur ce qui l'entoure.
Quant à l'erreur et l'incertitude de l'opération des sens, chacun peut s'en fournir autant d'exemples qu'il lui plaira, tant les fautes et les tromperies qu'ils nous font sont ordinaires.
Une idée philosophique qui n'est pas nouvelle même à l'époque de Montaigne et qui a fait et fait toujours l'objet d'un débat à la fois scientifique et philososophique. De plus, Montaigne dénonce aussi l'insuffisance du nombre de nos sens.
"Nous avons formé une vérité par la consultation et concurrence de nos cinq sens; mais à l'aventure fallait-il l'accord de huit ou de dix sens et leur contribution pour l'apercevoir certainement et en son essence."
Il aborde ici l'idée qui est restée même de nos jours sous forme d'hypothèse -puisqu'il semble que nous ne puissions aller plus loin dans nos connaissances- que l'homme n'exploite, faute de savoir le faire, qu'une infime partie de ses possibilités.
La piperie des sens autrement dit le fait que l'homme soit trompé, abusé par ces sens, Montaigne nous en donne de nombreux exemples toujours illustrés concrètement et de manière vivante. J'ai retenu ce passage.
Qu'on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clairsemés, qui soit suspendue au haut des tours de Notre-Dame de Paris, il verra par raison évidente qu'il est impossible qu'il en tombe, et si, ne se saurait regarder (s'il n'a accoutumé le métier des recouvreurs) que la vue de cette hauteur extrême ne l'épouvante et ne le transisse. (...) Qu'on jette une poutre entre ces deux tours, d'une grosseur telle qu'il nous la faut à nous promener dessus : il n'y a sagesse philosophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y marcher comme nous le ferions si elle était à terre .
Plus encore que la vue ce que Montaigne dénonce ici, c'est l'imagination, la mauvaise imagination, "la folle du logis", toute puissante, celle qui nous tourmente inutilement, nous fait souffrir en nous faisant voir des choses qui n'existent pas, en nous projetant dans les affres de l'avenir :
Le sang-froid de certains devant la mort vient d'un manque d'imagination, ils meurent mieux parce qu'ils ne meurent pas avant dit Pradines
L'imagination vécue comme une faiblesse, une torture de l'esprit. Oui, mais..
Lors de mes voyages à Paris, quand je passe devant Notre-Dame, je ne manque jamais de lever les yeux vers les tours de la cathédrale. Ce que j'y vois? Un petit bonhomme  vêtu de noir, un peu chauve, la fraise autour du cou, avançant, les bras en balancier, sur la poutre du philosophe tendue au-dessus de l'abîme. Un petit bonhomme pas fier de lui qui chancelle. Passera, passera pas? La question reste entre lui et moi car personne d'autre ne le remarque. Et là, je pense à l'imagination, la bonne, la créatrice, celle qui est à l'origine de la littérature, de l'oeuvre d'art, celle qui met de la fantaisie et de la joie dans notre vie et je le laisse là, le philosophe, sur sa poutre jusqu'à la prochaine fois.

La sagesse de Montaigne




Comme la sagesse de Montaigne nous paraît simple, banale, voire peu héroïque. Nous nous imaginons qu'elle  est aisée à mettre en pratique. Et pourtant! Essayez un peu et vous verrez! Ne vivrions-nous pas plus heureux si nous parvenions à la faire nôtre.

Il n'est rien de si beau et de si légitime que de bien faire l'homme et dûment, ni science plus ardue que de bien et naturellement savoir vivre sa vie. (Livre III chapitre 13)

"Je n'ai rien fait aujourd'hui?" Quoi, n'avez-vous pas vécu? C'est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de vos occupations. (Livre III chapitre 13)

Je n'ai eu besoin que de la suffisance de me contenter qui est pourtant un règlement d'âme, à bien le prendre, également difficile en toute sorte de condition. (Livre II chapitre 17)

Sur une idée de Chiffonnette

Le bonheur selon Montaigne



J'ai un dictionnaire tout à part moi : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m'y tiens. Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l'usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et échapper, de la passer, gauchir, et, autant qu'il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et dédaignable.
Principalement à cette heure que j'aperçois la mienne si brève en temps, je la veux étendre en poids; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l'usage compenser la rapidité de son écoulement; à mesure que la possession de vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine.
                                                                                           Livre III chapitre 13
56270471_p.1283356242.gif par Chiffonnette.

Montaigne, les blogueuses et la critique



Il paraît que les blogueuses qui tiennent des blogs littéraires sont plus nombreuses que les blogueurs.  Il paraît aussi qu'elles ne devraient pas se parer d'un mot aussi noble : littéraire! Quelle outrecuidance, en effet! De là à les renvoyer à leur vaisselle ou à leur repassage, il n'y a qu'un pas... vite franchi.  Et oui! Surtout lorsqu'elles osent écrire qu'elles n'aiment pas le livre de ces messieurs (les  écrivains, du moins ceux qui sont mal embouchés!) et qu'elles semblent faire ombrage aux critiques de profession.
Vous ne me croyez pas? Et bien allez voir le blog de Cynthia et ses contes défaits ( ici    et là  ) qui a eu le malheur de ne pas apprécier un roman publié aux éditions Alphée!!
Pourtant ces blogueuses ne prétendent à rien d'autre que ce que dit Montaigne dans son blog * :

Chapitre X : Les livres
Je ne fais point de doute qu'il ne m'advienne souvent de parler de choses qui sont mieux traitées chez les maîtres du métier, et plus véritablement. C'est ici purement l'essai de mes facultés naturelles et nullement des acquises; et qui me surprendra d'ignorance, il ne fera rien contre moi, car à peine répondrai-je à autrui de mes discours, qui ne m'en réponds point à moi; ni n'en suis satisfait. Qui sera en cherche de science, si la pêche où elle se loge: il n'est rien de quoi je fasse moins de profession. Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point de donner à connaître les choses, mais moi..."
 Je dis librement mon avis de toutes choses, voire et de celles qui surpassent à l'aventure ma suffisance, et que je ne tiens être aucunément de ma juridiction. Ce que j'en opine, c'est aussi pour déclarer la mesure de ma vue, non la mesure des choses.

*appelé : Les Essais

Car Michel de Montaigne aurait été blogueur, bien sûr! D'abord parce qu'il était ouvert à toutes les nouveautés, parce qu'il se plaisait à échanger des idées à tel point, disait-il, qu'il aurait préféré être aveugle plutôt que sourd ou muet. Ensuite, parce qu'il aimait lire et que, pour  subvenir un peu à la trahison de "sa" mémoire, il annotait ses livres et écrivait un petit résumé de ses idées à la fin de chacun, enfin parce que son écriture à sauts et à gambades aurait pu se déployer librement sur le web.
Librement?

Montaigne : encore une nouvelle "traduction" des Essais


Une nouvelle "traduction" des Essais en français contemporain vient de paraître. Il s'agit d'un livre intitulé Vivre à propos traduit du japonais par Pascal Hervieu aux éditions Flammarion, préfacé par Michel Onfray.
Oui, vous avez bien lu : "traduit du japonais" : accéder à Montaigne par le biais d'une traduction, voilà qui a de quoi surprendre! mais après tout pourquoi pas? Je suis d'avis que tout est bon pour connaître Montaigne : "et que le japonais y arrive si le français n'y peut aller"!*
N'ayant pas lu  cette traduction je serais bien en mal de vous dire ce que j'en pense mais je vous livre ici des extraits de l'article que Dominique consacre à cette traduction dans son blog  littéraire A sauts et à gambades dont le titre est un hommage à notre grand Montaigne, blog  que vous aurez ainsi le plaisir de découvrir :
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Michel Onfray (...) est lui aussi un grand admirateur de Montaigne, les heures qu’il lui a consacrées et que l’on peut retrouver dans sa Contre-Histoire de la philosophie sont là pour en témoigner.
Que nous propose-t-il ici ?  A première vue une idée folle et saugrenue, accéder à Montaigne par le détour d’une traduction.
Montaigne est difficile d’accès certes, mais qu’en font les américains, les hongrois, les japonais ? Ils lisent et admirent Montaigne en n’ayant pas accès à la langue d’origine.
Le pari fou tenté et à mon sens réussi c’est celui de la traduction d’une traduction de deux des chapitres majeurs des Essais. Pascal Hervieu à partir de la traduction en japonais
Pascal Hervieu a utilisé les traductions des trois plus grands écrivains japonais traducteurs de Montaigne, Pour Sekine Hideo, ce fut l’oeuvre de toute une vie. Il a traduit à l’aveugle, sans se référer au texte français, une année lui fut nécessaire pour traduire ces deux essais. des Essais, à fait un nouveau travail de traduction vers le français, un français actuel.

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Qui perd et qui gagne dans l’aventure ?
Le gain évident le lecteur se sent moins intimidé, la lisibilité est plus grande, il y a un accès immédiat à l’idée sans le détour d’un vocabulaire parfois rare, sans tournures de phrases inusitées aujourd’hui, c’est à mon avis un accès intéressant pour une première lecture de Montaigne, pour une approche simple, sans barrière.
Ai-je l’impression d’une perte? oui, ma réponse eut été très différente quelques années en arrière, après des lectures multiples et aidées par des accompagnateurs (Marcel Conche,Jean Starobinsky, Michel Onfray etc.) je trouve aujourd’hui belle, voire familière, la langue de Montaigne, s’en priver est dommage.
Mais... car il y a un mais, si la langue doit faire barrage, faut-il se passer de la lecture ou faut-il adapter la langue sans la trahir, je suis résolument pour la seconde solution et c’est en cela que j’applaudis le travail de Pascal Hervieu. Le texte n’est en rien dénaturé, il y gagne parfois beaucoup en clarté, des choix ont été fait par le traducteur, la pensée de Montaigne est préservée me semble-t-il.
* "Et que le gascon y arrive si le français n'y peut aller"

De Montaigne à Cees Nooteboom : Les raisons de mes voyages

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Je pars en Espagne : Madrid, Galice, Asturies.. Et voilà que je me projette déjà dans l'avenir, que j'imagine avec une hâte impatience mes retrouvailles avec Madrid et la découverte de régions nouvelles. Comment expliquer que le voyager soit un tel besoin?
Comme toujours, dans toutes circonstances de ma vie, je feuillette Les Essais et c'est bien sûr là qu'est la réponse :
Dans le chapitre IX  du livre III, Montaigne explique, à propos du voyage, qu'il cherche à fuir le gouvernement de sa maison qui est un plaisir trop uniforme et languissant ainsi que les pensements fâcheux concernant le monde qui l'entoure. Mais lorsqu'on lui demande pourquoi il voyage, il a cette réponse lucide :
Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent la raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche.
Pourtant malgré cette réponse, il trouve de nombreuses raison de voyager :
Si on me dit que parmi les étrangers, il peut y avoir aussi peu de santé, et que leurs moeurs ne valent pas mieux que les nôtres, je réponds, premièrement qu'il est malaisé "tant le crime s'est multiplié parmi nous!" (Virgile) et secondement, que c'est toujours gain de changer un mauvais état à un état incertain, et que les maux d'autrui ne nous doivent point poindre comme les nôtres.
J'estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un Polonais comme un Français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune.
Outre ces raisons, le voyager me semble être un exercice profitable. L'âme y a une continuelle exercitation à remarquer des choses inconnues et nouvelles. Et je ne sache point meilleure école à façonner la vie que de lui proposer incessamment la diversité de tant d'autres vies, fantaisies et usances et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature.
Quant à sa manière de voyager :
Nulle saison m'est ennemie, que le chaud âpre d'un soleil poignant... J'aime les pluies et les crottes comme les canes.
S'il fait laid à droite, je prends à gauche; si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m'arrête... Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi, j'y retourne; c'est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine, ni droite, ni courbe,
... je pérégine très saoul de nos façons, non pour chercher des Gascons en Sicile, j'en ai assez laissé au logis; je cherche des grecs plutôt ou des persans; j'accointe ceux-là, je les considère; c'est là où je me prête et je m'emploie. Et qui plus est, il me semble que je n'ai rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres.
Cependant, si je consulte Montaigne avant de partir, c'est avec Cees Nooteboom que je voyagerai cette fois-ci, en Espagne, dans les régions que je vais découvrir : Le labyrinthe du pèlerin ou Mes chemins de Compostelle
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Je rencontre chez l'auteur néerlandais des désirs d'Espagne qui font écho à ceux de Montaigne :
Alors, je ne suis plus là, d’autres lois régissent ma vie : le voyage, la sensation grisante de dépaysement, le besoin de collectionner ce qui est autre.
Ou encore la même façon d'éviter la ligne droite, de retourner sur ses pas, de se fier au hasard. Pour Cees Nooteboom, en effet, les chemins se divisent comme les fils d'une corde...
Mes flèches ne peuvent voler en ligne droite, toujours s'interpose quelque chose qui m'écarte de l'itinéraire prévu, lequel apparaîtra plus tard comme un seul long voyage, le détour comme parcours".
... et forment un labyrinthe!
Mon voyage est devenu un détour fait d'une d’une multiplicité de détours dont je trouve toujours le moyen de m'écarter.
Pourtant que de différences entre le Gascon si "expert" en "véritable amitié" et le Néerlandais austère et solitaire !
Si Montaigne au cours de ses périgrinations ne souhaitent pas s'encombrer d'une compagnie importune, ennuyeuse, il n'est jamais aussi heureux que de rencontrer un honnête Homme, d'entendement ferme, et de moeurs conformes aux vôtres,qui aime à vous suivre.
Nul plaisir n'a saveur pour moi sans communication; Il ne me vient pas seulement une gaillarde pensée à l'âme, qu'il ne me fâche de l'avoir produite seul, et n'ayant à qui l'offrir.
Très loin donc du désir de Cees Nooteboom à la recherche du silence, du vide, du temps suspendu, d'une Espagne qui ne se laisse pas facilement approcher :
L’Espagne, surtout dans ces régions, demande que l’on se donne du mal. Il faut la conquérir, parcourir de longues distances. Le caractère espagnol a quelque chose de monacal, même leurs grands rois sont un peu des anachorètes : Philippe II et Charles Quint firent construire des couvents pour eux-mêmes et vécurent très longtemps le dos tourné au monde qu’ils devaient gouverner.
Cees Nooteboom mène donc une quête spirituelle sans Dieu, à la recherche de lui-même :
Non pas en pèlerinage vers l’apôtre, comme le firent les autres, mais plutôt pour retrouver l’ombre de ce que je fus, pour revenir sur les traces d’un voyage passé. En quête de quoi ? L’une des rares constantes de ma vie, c’est mon amour – il n’existe pas d’autre mot – pour l’Espagne. Femmes et amis ont disparu de mon existence, mais un pays ne s’en va pas.
Je parcours ce pays depuis trente ans et je ne vois jamais la fin du voyage .