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vendredi 9 mars 2012

Kenzaburo Ôé : Gibier d'élevage




Kenzaburo Ôé est né en 1935, dans l'île japonaise de Shikozu. Il a suivi des études de littérature et française et a fait une thèse sur Sartre. Il est vite reconnu dans les années 1950 comme l'un des plus grands écrivains japonais. Il reçoit le prix Akutagawa, l'équivalent du Goncourt français, pour pour ce livre Gibier d'élevage en 1958. Dans un livre déchirant Une affaire personnelle il parle de la naissance de son fils, handicapé, qui bouleverse sa vie. Il écrit Le Jeu du siècle sur le Japon entre 1860 et 1960... Il reçoit le prix Nobel en 1994.

Autres livres de Kenzaburo Öé:
Dites-nous comment survivre à la folie
Le faste des morts
Une existence tranquille.



 Le récit de Gibier d'élevage se déroule pendant la seconde guerre mondiale. Dans un village montagnard coupé du monde pendant la saison des pluies, un avion américain s'abat dans les bois. Les villageois capturent le seul survivant, un grand noir américain qui excite la curiosité de tous mais en particulier des enfants. Le prisonnier, en attendant d'être remis aux autorités, est enfermé dans une cave. Son abattement, sa passivité et son étrangeté le font considérer comme un animal d'élevage! Les enfants qui en ont d'abord un peur bleue finissent par faire de lui un compagnon de jeu. Oui, mais...

Le récit est raconté par un jeune garçon qui vit sa vie d'enfant, insouciante, jeux, bagarres, baignades, découverte sexuelle pour les plus grands, entouré de son petit frère cadet, de Bec-de-Lièvre, le meneur de la bande, et de toute la marmaille qui les suit et les admire. Nous sommes en guerre mais le village est si fermé sur lui-même que la guerre paraît être un fait irréel presque légendaire. Une abstraction. Pourtant la mort qui la symbolise est toujours présente dans le récit soufflant ses miasmes délétères sur le village, compagnon fidèle de tous, même des enfants. Ceux-ci jouent à "touiller" les morts dans la fosse commune béante pour récupérer des ossements afin de se confectionner des bijoux.

La description de ce peuple "de vieux défricheurs quelque peu primitifs" est un choc pour le lecteur. Ces gens vivent dans une pauvreté extrême. Ils n'ont aucun meuble chez eux, et couchent par terre sur des planches. Ils sont considérés comme des sauvages, sales, miséreux et sans manières, par les citadins lorsqu'ils se rendent à la ville soit pour aller à l'école soit pour faire quelques courses. Le fait d'être isolés de tout pendant la saison des pluies ne les dérange donc pas et est une aubaine pour les élèves qui ne peuvent plus aller à l'école.
Le choc des civilisations va être énorme entre cet américain, un espèce de colosse noir qui parle une langue totalement inconnue, et ces gens qui n'ont jamais dépassé les bornes de leur village sauf pour la ville toute proche et n'ont jamais vu la mer que de très loin comme un mince ruban miroitant.
Le jeune narrateur qui est le premier à l'approcher de près  pour apporter sa nourriture au prisonnier le présente comme une bête avec "ses oreilles pointues comme celles d'un loup" "son cou gras et huileux", "l'odeur de son corps qui pénétrait toute chose comme un poison corrosif" et sa "voracité de rapace" quand l'homme se jette sur la nourriture après avoir jeûné longtemps. Mais peu à peu le jeune garçon va cesser d'en avoir peur, pour le voir comme un animal familier que l'on aime bien.
Ce Noir était à nos yeux une sorte de magnifique animal domestique, une bête géniale.
Les adultes aussi finissent par ne plus être effrayés par lui et l'américain peut circuler librement dans le village. Les enfants partagent enfin  avec lui de beaux moments de sérénité lorsqu'ils l'écoutent chanter une chanson
Nous étions emportés par la houle de cette voix grave, solennelle, se propageant de proche en proche.
ou quand ils le font sortir de la cave sous la pluie : .. et là, longtemps, nous remplîmes nos poumons d'un air qui sentait l'écorce mouillée"
Mais que va-t-il advenir de cette amitié quand les adultes sans mêlent?
Le soldat parti, que nous resterait-il au village? L'été, vidé de sa substance, ne serait plus qu'un coquille vide.

Le roman est un roman d'apprentissage pour le jeune narrateur qui prend alors conscience de l'horreur de la guerre, et perd son insouciance enfantine.  Devenu adulte brutalement, pour lui, plus rien ne sera comme avant :
La guerre, cette interminable et sanglante bataille aux dimensions gigantesques, allait se prolonger encore. Cette espèce de raz de marée qui, dans des pays lointains emportait les troupeaux de moutons et ravageait les gazons fraîchement tondus, cette guerre là, qui eût jamais pensé qu'elle dût parvenir jusqu'à notre village? Pourtant elle y était venue... et moi au milieu de ce tumulte, je n'arrivais plus à respirer.

Kenzubaro Ôé dénonce avec ce roman l'absurdité de la guerre. La haine entre les peuples n'est-elle pas d'abord une conséquence de l'ignorance et de la méconnaissance de ce qui est étranger? Les enfants ne sont-ils pas ici ceux qui y voient clair? 

Lecture commune avec Ys et Emmyne  dans le cadre du challenge les 12 d'Ys sur les Prix Nobel





mercredi 21 décembre 2011

Haruki Murakami : Kafka sur le rivage



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Franklin Carmichael
Dans Kafka sur le rivage, Haruki Murakami raconte l'histoire d'un jeune garçon de 15 ans, Kafka Tamura, qui s'enfuit de Tokyo pour échapper à la prophétie de son père qui pourrait le détruire. Son voyage l'amène loin de chez lui dans une ville, Takamatsu, jusqu'à une bibliothèque de livres anciens et précieux où il rencontre Oshami, le bibliothécaire, et la mystérieuse Melle Saeki, la directrice. Parallèlement, nous suivons le trajet d'un vieil homme, Nakata, qui part de Tokyo poussé par la nécessité et arrive lui aussi à Takamatsu pour trouver la pierre d'entrée.
Haruki Murakami est un auteur très riche car s'il nous fait pénétrer dans sa culture, il ouvre la porte aussi aux mythes grecs, fondateurs de l'humanité, comme celui d'Oedipe cherchant à échapper à l'oracle pour mieux accomplir son destin, ainsi qu'à différentes cultures par le biais du cinéma, de la musique, des livres que lit Kafka, car les livres font partie de sa vie et la bibliothèque est le seul endroit où il se trouve chez lui.
Même un esprit cartésien peut accepter d'entrer dans un roman fantastique  et y adhérer mais le passage entre le réel et l'imaginaire doit être délimité, une barrière bien franche qui permet de garder des repères. Le fantastique finit donc par avoir sa propre logique et si l'esprit frémit d'horreur, les pieds restent plantés en terre. Autrement dit, nous ne croyons pas aux fantômes mais nous en avons peur! Un sentiment délicieux à éprouver quand vous êtes douillettement installé sur votre canapé, auprès d'un bon feu, si possible!  Mais avec Haruki Murakami, il faut abandonner toutes certitudes.  Lorsque vous pénétrez dans son univers, c'est comme si vous larguiez les amarres, comme si vous vous détachiez de la rive pour partir vers  l'inconnu car la frontière n'existe plus; les esprits des morts côtoient les vivants sans distinction, les vivants, eux-mêmes, peuvent devenir fantômes, se projetant dans un âge de leur vie qu'ils ne veulent pas quitter, la forêt est peuplée de soldats disparus il y a un demi-siècle, les chats parlent avec un vieil homme capable de provoquer des pluies de poissons.. Tout est possible! Et c'est cela qu'il y a de très beau dans ce roman, cet abandon que vous devez faire de vous-même, ce mélange indistinct de réalisme et de rêve, cette exploration de contrées inconnues, obscures, qui sont peut-être aussi ceux de l'âme humaine. Car ce qui me touche beaucoup dans ce roman, c'est que tous les personnages, fragiles et attachants, sont à la recherche d'eux-même. Ils ne savent pas qui ils sont, que ce soit Nakata, le vieillard amnésique dont la mémoire a été mystérieusement effacée mais qui a bénéficié d'autres dons en contrepartie; que ce soit le jeune héros, Kafka Tamura, qui ne connaît ni sa mère, ni sa soeur, ou Oshima qui ne sait pas s'il est homme ou femme, ou la vieille-jeune Melle Saeki. Et il faut encore accepter de ne pas avoir de réponse toute prête car cette quête douloureuse et hésitante n'a pas d'autre enjeu que la vie ou la mort. Et c'est à chacun de nous de  trouver des raisons de vivre ou encore de mourir.

Voici la réponse de Kafka Tamura :
" Ai-je agi comme il fallait?
-Tu as agi comme il le fallait, dit le garçon nommé Corbeau. Tu as fait ce qui était juste. Personne n'aurait pu agir aussi bien que toi. Tu es le garçon de quinze ans le plus courageux du monde réel, tu sais.
-Mais je ne sais toujours pas ce que cela signifie vivre, dis-je.
-Regarde le tableau et écoute le vent.
Je hoche la tête.
-Tu en es capable.
Je hoche à nouveau la tête.
-Tu devrais dormir un peu, dit le garçon nommé Corbeau; Quand tu te réveilleras, tu feras partie d'un monde nouveau.
Tu t'endors sans tarder.
Et quand tu t'es réveillé, tu faisais partie d'un monde nouveau. "

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dimanche 30 octobre 2011

Anthologie de la poésie japonaise classique : L'Automne

Franklin Carmichael , peintre Québécois, groupe des Sept


Dans mon Anthologie de la poésie japonaise classique, Gallimard, je lis ce poème sur l'Automne de Fujiwara no Kinto (966-1041). Celui-ci, premier secrétaire d'état, se distingua dans la poésie ainsi qu'en musique et calligraphie.


Sur le Mont Ogura
Le vent violent
Est si froid
Que chacun se vêt d'un brocart
De feuilles rouges


Minamoto no Tsunenobu (1015-1097), premier sous-secrétaire d'état,  célèbre lui aussi l'automne.


Le soir est tombé,
Les feuilles du riz de la rizière voisine
Bruissent,
Sur ma hutte de roseaux
Souffle le vent d'automne



Dimanche poétique : les troubadours de Bookworm


jeudi 2 juin 2011

Yôko Ogawa : Le musée du silence




 Je continue donc ma lecture de Yoko Ogawa avec .Le musée du Silence aux  Editions Actes Sud.
Dans ce livre l'auteur continue ses variations autour des thèmes qui lui sont chers, le temps et de la mémoire.
Nul lieu n'est mieux indiqué pour explorer ce thème que celui d'un musée, qui plus est un musée consacré à l'objet le plus représentatif d'une personne disparue, un objet qui résume sa vie, son essence et qui, dérobé au mort, sera exposé comme témoin silencieux, unique trace.
L'amosphère étrange qui règne dans ce manoir et ce village isolés du reste du monde est surprenante et nous partageons les sentiments du jeune muséographe appelé de la grande ville par une vieille dame presque moribonde pour s'occuper de la collection que cette dernière a patiemment rassemblée à chaque décès. Au besoin il doit aussi voler d'autres objets. Il est assisté dans sa tâche par une très jeune fille, un jardinier, homme à tout faire de la maison et qui (ceci n'est pas anecdotique) aime fabriquer de splendides couteaux, et son épouse, femme de ménage.
Comme d'habitude dans les romans de Yôko Ogawa le réel et le fantastique se côtoient et les deux mondes n'ont pas de limites distinctes; le jeune homme est un "vrai" muséographe et nous suivons les différentes étapes de la création de son musée décrites avec beaucoup de minutie, du recensement, de l'archivage, à la conservation puis à la mise en scène des objets... Pourtant ce village, le monastère des moines du Silence, le cimetière des bisons des Roches Blanches, le paysage fantomatique du marais, tout donne l'impression d'être projeté hors du temps. Les personnages qui, déjà n'ont pas de nom, perdent le peu de consistance qu'ils pouvaient avoir. Ils glissent lentement dans une sorte d'abstraction; je les vois un peu comme les Gardiens d'un Temple de la Mémoire, chargés d'une mission qui leur enlève leur statut humain et les désincarne.
Mais la confusion entretenue par l'auteur ne porte pas seulement sur le jeu entre le réel et le fantastique. Yôko Ogawa brouille les pistes. Dans quel genre de roman sommes-nous? un roman policier, "thrilling" avec "serial killer" ? Qui est, en effet, à l'origine des crimes atroces commis dans ce petit village en apparence tranquille? Le muséographe risque-t-il d'être accusé? Et que dire de l'attentat à la bombe dont sont victimes les habitants du village? Et l'histoire d'amour que l'on est en droit d'attendre? fausses pistes, bien sûr, qui nous mènent dans une direction que nous n'attendions pas! Drôle de roman qui vous déboussole!
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J'aime dans mes lectures relever un passage qui n'appartiendra qu'à moi et qui me parle particulièrement pour des raisons qui me sont personnelles.
Voici ce passage (p 95) : Le frère aîné du muséographe est professeur de sciences. Il a appris à son jeune frère à se servir d'un microscope que ce dernier amène partout avec lui à la découverte des Mondes qui échappent au regard, ceux de l'infiniment petit. La jeune fille interroge le jeune homme.
-Vous lui ressemblez?
-Pas tellement; il est de ceux qui n'attachent pas d'importance à la possession des choses. Il n'a pas de liens. Peut-être parce qu'il connaît l'organisation de la matière. Il sait que le joyau le plus précieux n'est qu'un simple assemblage d'atomes, et que l'animal inférieur le plus horrible possède un bel arrangement de cellules. La forme extérieure n'est rien que simple tromperie. C'est pour ça qu'il attache une grand importance au monde invisible. Son opinion, c'est que " l'observation commence à partir du moment où l'homme prend conscience de la mauvaise qualité de son regard".
-Alors, c'est complètement à l'opposé de vous qui faites tant d'efforts pour conserver la forme le plus longtemps possible"
Deux philosophies opposées, deux attitudes de l'Homme face à la Mort et la Mémoire.
Je trouve très belle la philosophie du frère aîné : c'est le regard d'un savant mais aussi d'un visionnaire qui ne se laisse pas abuser pas la superficialité du monde qui l'entoure. Mais puisque "la forme extérieure n'est rien que simple tromperie", il est bien évident que la forme ne pourra conserver la mémoire ni même l'évoquer. La lutte contre la mort est donc vaine.
Il a raison, peut-être... ? Pourtant, depuis toujours j'agis comme le muséographe!

Yôko Ogawa : Amours en marge, Parfum de glace


J'aime beaucoup l'écrivain japonais Yoko Ogawa. Traduite en plusieurs langues, elle a reçu le prix prestigieux Akutagawa pour son livre La Grossesse. J'ai l'intention de lire tous ses livres comme je le fais quand un auteur me passionne et d'en parler dans " Ma Librairie".
J'ai commencé par lire quelques romans d'elle aux éditions Actes-Sud Babel : Amours en marge ; Parfum de glace .
Ces romans présentent un univers étrange à mi-chemin entre la réalité et le fantastique. Il est très difficile, je trouve, de résumer un roman de Yoko Ogawa car on risque de le réduire à une histoire banale, de ne pas arriver à en montrer toutes les directions.

Amours en marge

 Amours en marge est l'histoire d'une jeune femme, la narratrice, atteinte d'une maladie des oreilles et qui sera guérie en dictant à un jeune homme, sténographe, l'histoire de sa vie, c'est vrai. Cette femme blessée par son divorce, par la solitude, se libère peu à peu de la douleur et de la maladie en partant à la recherche de son passé. Celui-ci se reconstitue devant nous comme un puzzle dont les morceaux égarés reviennent à la surface et ne prennent sens qu'à la fin du roman. Mais ce résumé ne rend pas la dimension à la fois poétique et fantastique de l'oeuvre, la fascination exercée sur la jeune femme et sur nous, lecteurs, par les doigts du sténographe dont l'écriture trace des signes bleus au pouvoir libérateur, par l'oreille qui devient ici le siège de la mémoire, cela ne rendrait pas non plus l'attrait éprouvée pour cette grande maison encore emplie de l'odeur du jasmin pourtant depuis longtemps disparu, le mystère de cette ombre revenue du passé.
"son écriture était comme une dentelle élaborée avec du fil bleu. Fine, souple, sans accrocs. Derrière les mots, on pouvait voir le motif en filigrane."

Parfums de glace

D'un roman à l'autre des thèmes récurrents apparaissent : dans Parfum de glace Ryoko entreprend une quête pour comprendre pourquoi l'homme qu'elle aime Hiroyuki s'est suicidé. Là aussi ce retour sur le passé nous mènera sur des pistes qui s'entrecroisent, se mêlent, nous entraînent loin dans l'espace géographique, du Japon à Prague, loin aussi dans le passé de Hiroyuki à la recherche de la blessure originelle qui donnera un sens à sa mort. La mémoire est ici sollicitée par l'odorat, concrétisée encore une fois par une partie du corps, cette fois-ci le nez d'Hiroyuki, créateur de parfums, une mémoire olfactive qui nous permet de franchir la barrière entre le réel et le fantastique et d'entrer dans la mystérieuse grotte du gardien des paons, oiseaux qui sont eux aussi symbole de la mémoire. Et ce parcours, aussi douloureux soit-il, est la condition indispensable pour dépasser la mort et retourner à la vie.

Le style de Yoko Ogawa

J'aime le style de Yoko Ogawa, sa manière précise et minutieuse de décrire les choses et de leur donner une vie propre, l'importance accordée à tous les sens, l'odorat, l'ouïe... et le don qu'elle possède de matérialiser les odeurs, les bruits ou le silence, de nous les faire voir, entendre ou toucher.
"Un matin tous les bruits avaient disparu (...) Au début j'ai cru que la neige avait enseveli le jardin. Parce que dans mon enfance, j'avais ressenti ce silence dans l'air, les matins de neige.Mais je me suis rendu compte aussitôt que c'était idiot. Le calendrier indiquait qu'on était en juin. Je ne savais pas du tout quoi faire. c'était complètement différent de ce que peut être le calme.. Tout était blanc à l'intérieur de ma tête. j'ai essayé de me boucher les oreilles, de secouer la tête, de m'ébouriffer les cheveux, mais cette blancheur ne faisait qu'épaissir, et cela n'a eu aucun effet."

L'univers de Yoko Ogawa 

J'aime l'impression d'être perdue dans un no man's land, de ne pas savoir si je suis dans la réalité ou dans un ailleurs de la mémoire, de l'imaginaire, car l'auteur efface la frontière entre les deux d'une telle façon que le lecteur perd ses repères. Ainsi le sténographe existe-t-il réellement? Il dit lui-même qu'il est une "ombre", celle du jeune garçon de treize ans qui existe encore dans la mémoire de la narratrice. Celle-ci n'a pas de nom, le sténographe est désigné par la seule lettre Y, personnages sans matérialité et qui ne s'incarnent que par les parties de leur corps, oreilles ou doigts.

"J'ai fait glisser ma main gauche entre mes cheveux pour toucher mon oreille gauche. Elle était glacée comme une tranche de fromage oubliée dans une chambre froide.."

J'aime cet univers tourné vers l'exploration du passé et de la mémoire, imprégné de silence, très intériorisé : vieilles maisons abandonnées parcourues d'ombres et de fantômes, musées fourre-tout, objets hétéroclites qui ont une présence.

"J'avançais lentement. Le plancher grinçait à chaque pas. L'odeur de vieux bois, de vernis et de temps écoulé qui émanait des meubles emplissait l'espace. Je sentais l'air devenir de plus en plus dense. Il stagnait, et sans s'écouler nulle part, pesait sur les épaules et entravait mes jambes. (...) Sur le secrétaire il y avait un stylo à plume et une bouteille d'encre, et un cadre avec une photo. Le cadre luxueux était en argent. Il contenait une vieille photographie; Je tendis prudemment la main vers elle." ( Amours en marge)

ou encore
"Le couloir où se trouvaient deux fauteuils Windsor, dans le clair de lune, ressemblait à une nature morte. La poussière sur le dossier montrait qu'ils n'avaient pas été utilisés un certain temps.. " (Amours en marge)



dimanche 23 janvier 2011

Dimanche en poésie : Haiku et Tanka

Hasui Kawase  : mare de Shiba
En recherchant des Haikus, une forme de poésie que j'aime beaucoup, j'ai découvert un site intitulé Haïku sans frontière qui nous invite à découvrir cette poésie classique japonaise qui a fait son chemin en Occident de nos jours et toutes les autres formes moins connues comme le Tanka, le Renku, le Haïbun, le récit d'un rêve.
Le HAIKU, même si certains poètes prennent des libertés avec une forme contraignante, présente traditionnellement  3 vers comprenant respectivement 5/7/5 syllabes.

Haiku de Kusatao NAKAMURA

Kusatao Nakamura (ou KUSATAO) naît en Chine en 1901 et meurt à Tokyo en 1983 Sur le site Haïku sans frontière; présentation: Alain Kervern; traduction des haïkus: Makoto Kemmoku et A. Kervern.
Manger du raisin
Une grappe après l'autre
Comme une grappe de mots
Aube glacée
Chant de grillon
C'est mon enfant qui dort

Le TANKA est un poème construit en deux parties dont la seconde renforce l'autre. Il présente traditionnellement  un tercet  dont chaque vers compte respectivement 5/7/7 syllabes comme dans le Haïku et un distique dont chaque vers compte 7 syllabes.

TANKA de Jean-Michel MAYOT
Tanka de la nuit d'hiver
Veillée en hiver
Le feu à l'âtre s'épuise
En ombres chinoises
Sous son abat-jour en fer
La lampe s'épanche en flaque

Tanka de l'amour
Crocus dans la neige
Vous m'arrosiez de lumière
Comme un vol d'oiseaux
La peur doucement fuyait
Tout en moi devenait ailes

Les compagnons Troubadours du dimanche de Bookworm :
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis, Wens,sophie57

mercredi 3 février 2010

Pour célébrer l’hiver… avec Guy.Charles Cros, René Char, Anne Hébert, Pierre Reverdy, Yonomoto Kikaku ,

 
Sisley


On s'éveille
du coton dans les oreilles
une petite angoisse douce
autour du cœur, comme mousse
c'est la neige,
l'hiver blanc
sur ses semelles de liège
qui nous a surpris, dormant.
                                       
Guy-Charles Cros : matin d'hiver dans Poésies au coeur

Sur mon chapeau
la neige me paraît légère
Car elle est mienne

    Yonomoto Kikaku : poésie japonaise classique




Il neige
Sur mon toit et sur les arbres
Le mur et le jardin sont blancs
Et le sentier noir
Et la maison s'est écroulée  sans bruit
Il neige
Pierre Reverdy  Souffle dans Le Cadran quadrillé




La neige nous met en magie
Blancheur étale
Plumes gonflées
Où perce l’œil rouge de cet oiseau.

Mon coeur; Trait de feu
sous des palmes de gel
File le sang qui s'émerveille
                               Anne Hébert : Neige dans Mystère de la parole




J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises qui ne finissaient pas cendres. Dans mon dos l’horizon tournant d’une vitre safranée réconciliait le plumet brun des roseaux avec le marais placide. L’hiver favorisait mon sort. Les bûches tombaient sur cet ordre fragile maintenu en suspens par l’alliance de l’absurde et de l’amour. Tantôt m’était soufflé au visage l’embrasement, tantôt une âcre fumée. Le héros malade me souriait de son lit lorsqu’il ne tenait pas clos ses yeux pour souffrir. Auprès de lui, ai-je appris à rester silencieux ? À ne pas barrer la route à la chaleur grise ? À confier le bois de mon cœur à la flamme qui le conduirait à des étincelles ignorées des enclaves de l’avenir ? Les dates sont effacées et je ne connais pas les convulsions du compromis.
                      
René Char : Sept saisis par l’hiver dans Chants de la Balandrane

samedi 25 juillet 2009

Le festival Off d’Avignon 2009 : Edogawa Ranpo, Imomushi, un spectacle fascinant

Imomushi
La caserne des pompiers à Avignon est un lieu de diffusion de la Région Champagne-Ardenne pendant le festival et présente le plus souvent des spectacles de théâtre contemporain de qualité.
Imomushi d'après une nouvelle de  Edogawa Ranpo, mise en scène par David Girondin Moab de la Compagnie Pseudonymo Théâtre et marionnette contemporaine ne déroge pas à la règle. La pièce est forte servie par une scénographie et une mise en scène éblouissantes où le son, la lumière, le jeu des acteurs et des marionnettistes s'allient pour former un spectacle d'une grande beauté et d'une intensité poignante.
L'histoire est simple, dépouillée  : Le lieutenant Sunaga a été blessé à la guerre mais les "miracles" de la médecine militaire l'ont maintenu en vie alors qu'il n'a plus de bras et de jambes, qu'il est muet, le visage défiguré, le corps tordu par la souffrance. Sa femme le veille depuis trois ans avec un "dévouement exemplaire"  selon les propos du général qui  a eu le jeune homme sous ses ordres. Nous sommes dans un huis-clos étouffant  rompu seulement par la visite du général,  une confrontation tragique qui n'est pas sans rappeler celle imaginée par Atiq Rahimi dans Syngue Sabour, la Pierre de Patience :  un homme muet, immobile, infirme, face à une femme qui va exercer sur lui sa toute puissance mais qui est à la fois victime et esclave de son époux. Mais la ressemblance s'arrête là car si Atiq Rahimi  s'attachait à montrer la folie meutrière des hommes, c'est surtout la condition de la femme dans les pays musulmans qu'il dénonçait. David Girondin Moab, à la fois auteur et metteur en scène, décrit l'horreur de la guerre et son absurdité. Il explore aussi le fond de l'âme humaine, traquant, sous l'abnégation du personnage féminin, les tentations du désir charnel, les impatiences, le désespoir, l'amour qui se mue en haine, le long cheminement vers  la cruauté et le meurtre.
Cependant, malgré cette violence qui happe le spectateur, ne lui laisse aucune respiration, la mise en scène est d'une extrême retenue, d'une grande sobriété, tout est dans l'intériorisation, l'économie de gestes et de paroles.
La musique et le son nous empoignent, jouent sur nos nerfs, nous font réagir.
Le décor, un plateau sombre séparé de la salle par des tiges métalliques qui semblent représenter les branchages d'un arbre ou les barreaux d'une prison, est sculpté par la lumière : celle-ci dessine sur le sol des cercles concentriques, labyrinthe au centre duquel se trouve  la femme, prisonnière; elle isole tour à tour les personnages, détachant les visages dans un clair-obscur qui les fait paraître, privés de corps, semblables à des spectres tragiques; elle joue sur les traits de la femme révélant ses sentiments, sa lutte intérieure, (l'actrice est excellente), elle  façonne et  dissout les chairs, créant des personnages à la Soutine. Au fond du plateau un mur qui s'illumine à plusieurs reprises fait apparaître par transparence des ombres chinoises, des inscriptions, des couleurs qui renvoient au récit.
Enfin, il y a la marionnette, le mari, une sorte de mort-vivant qui ne peut exprimer ses sentiments, sa colère, sa jalousie, qu'en tapant la tête contre le lit. Son corps tronqué, monstrueux, emmailloté comme un nouveau-né, est semblable à cette chenille (imomushi en japonais) que l'on voit dès le début de la représentation, rampant sur une branche dans une difficile ascension, échappant à sa chrysalide pour mieux être précipitée dans un puits, allégorie de la vie et de la mort figurant ainsi l'éphémère destinée du  lieutenant Sunaga. Face à cette marionnette douée de vie et souffrante et à cette actrice aux mouvements saccadés, déshumanisés, qui semble porter un masque figé par le désespoir, l'on se prend à douter, à ne plus savoir laquelle des deux est vivante, laquelle est de chair et de sang.
Certaines scènes sont saisissantes de beauté et d'étrangeté : celle, par exemple où la femme, à la fois mère et amante de son mari, semble donner naissance à un foetus qui devient ensuite phallus et jouissance.
Un très beau spectacle, donc, qui laisse le spectateur sous le choc. Il faut un moment avant de pouvoir réagir et saluer la prestation des acteurs, l'excellence de la scénographie et de la mise en scène, la force du propos.
Imomushi d'après la nouvelle de : Edogawa Ranpo

 metteur en scène :  David Girondin Moab
Cie Pseudonymo théâtre marionnette contemporaine
Lieu  : Caserne des Pompiers  du 8 au 29 Juillet 20H30
Durée : 1H
Tarif : 13  € tarif carte off 9€

mercredi 30 avril 2008

André de Richaud et autres livres : lectures du mois d’avril 2008


La douleur d'André de Richaud : récit autobiographique se déroulant près  d'Avignon , au bord de la Sorgue.
Pendant la guerre de 14-18 : mort du père. Amour fusionnel entre un enfant et sa mère qui tourne à la tragédie quand la mère prend pour amant un prisonnier allemand. Point de vue du petit garçon.
La campagne provençale sert de contrepoint poétique et gaie à l'atmosphère lourde et triste de l'intrigue; parfois une impression de déjà vu dans le personnage féminin, une Emma Bovary provençale doublée d'une Thérèse Raquin (pour sa sensualité) ; mais l'écrivain a une plume puissante; il s'agit d'un premier roman qui a fait scandale à l'époque. Il s'est vu refuser un prix littéraire pour immoralité! je n'ai rien lu d'autres de cet auteur sauf des textes - très beaux- sur Carpentras et Avignon.
André de Richaud à 20 ans
J'ai très envie de lire ses autres écrits car ce premier ouvrage paru en 1931 était prometteur. J'aimerais savoir pourquoi après avoir fini sa vie tristement dans une maison de retraite, pauvre, alcoolique, abandonné de tous, son oeuvre est tombée plus ou moins dans l'oubli.


Mémoires d'un touriste de Stendhal : lu les passages de son arrivée à Avignon et son séjour dans la ville.
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Les filles d'Avignon d'Aubanel :
Les poésies traduites en français perdent beaucoup par rapport au provençal.
Théodore Aubanel, félibre d'Avignon


Les yeux bleus de Mistassini :
 
 Jacques Poulin, auteur québécois installé à Paris. Son personnage un vieux libraire est atteint de la maladie "d'Einsenhower", triste maladie dont il oublie toujours le nom. J'ai d'abord aimé le début, la vieille librairie du Vieux-Montréal qui accueille tous les marginaux, les désargentés, auprès d'un poêle ronflant, une librairie où les livres aimés sont placés à l'entrée pour qu'il puissent être volés avec facilité. La suite du roman qui se passe à Paris m'a déçue. Pour résumer mon sentiment il faut aller sur le site de cette lectrice dont le texte correspond tout à fait à ce que j'ai ressenti.
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Le Vieux Chagrin de Jacques Poulin (Editions Actes Sud)



Vert Venin (Editions Actes Sud) : Ornela Vorpsi

Le personnage, une albanaise qui vit à Paris, part à l'aide d'un ami malade à Sarajevo.

O' Pionner de Willa Cather




J'ai continué la lecture de Yoko Ogawa :

Trois courts romans, fonctionnant comme des nouvelles avec une chute qui vous laisse pantois :
La Grossesse
Les Abeilles
La Piscine
l'Hôtel Iris (éditions Actes Sud ): j'ai peu aimé ce récit d'une passion sado-maso très éloigné de l'univers de Yoko Ogawa que j'avais découvert dans Amours en marge et Parfum de glace.








Le musée du silence de Yoko Ogawa      16052.1221335014.jpg
La part du diable : André de Richaud
L'or des mots sous la direction de Eve Duperray : La Sorgue Baroque
: Retour aux ondes thessaliques


Le Quintette d'Avignon de Lawrence Durrell : Monsieur ou le Prince des Ténèbres ( Livre 1)


Une terrible vengeance et trois autres récits fantastiques de Mrs Ridell
Charlotte Ridell est un écrivain de l'époque victorienne; elle a été aussi célèbre de sont temps que George Eliot et très prolixe. Mais elle a été oubliée par la suite.
Ces nouvelles : la porte ouverte, Walnut-Tree House, Nut Bush Farm, Une terrible vengeance sont des histoires  fantastiques avec intervention du surnaturel et revenants. Mais il y a toujours un personnage qui mène une enquête pour comprendre le phénomène étrange auquel il assiste si bien que le récit fantastique se double d'une intrigue policière.