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lundi 24 juillet 2023

Bertold Bretch : Ariane Ascaride : Au bonheur de donner


Aux dérèglements du monde, Ariane Ascaride oppose la poésie de Bertolt Brecht, forte, engagée, drôle, irrespectueuse.

"J’avais 13 ans, je suis allée à Marseille voir chanter une dame qui s’appelait Pia Colombo. Elle a interprété une chanson qui disait « Comme on fait son lit, on se couche ». Je ne saurai jamais pourquoi ces paroles ont si fort résonné en moi. J’ai pendant des années fredonné ce refrain…
J’ai relu beaucoup de poésies de Brecht, qui est toujours présenté comme un auteur austère, sérieux et théorique… On connaît moins sa bienveillance, son humour et son sens du spectacle. Cet auteur a éclairé certains moments de ma vie et je voulais, en cette période de grand bouleversement, faire à nouveau entendre ses mots si encourageants soulignés par David Venitucci."

Ariane Ascaride
 

Mon avis

 La comédienne Ariane Ascaride dit les textes de Bertold Bretch accompagnée par l'accordéoniste  David Venitucci. Bertold Bretch chante le bonheur de donner, l'amour des autres, la solidarité avec les déshérités, l'exil, la guerre. La prestation des deux artistes est impeccable. Je n'ai pas toujours été sensible au style de la chanson réaliste même si certains textes m'ont intéressée.

 La Scala de Provence du 7 au 28 juillet 2023 à 16H

Durée: 1H10

Relâches
Les lundis 10, 17 , 24 Juillet

Textes et chansons Bertolt Brecht
Avec Ariane Ascaride
Musique originale David Venitucci
Collaboration artistique Patrick Bonnel
En hommage à Marcel Bluwal

samedi 15 juillet 2023

Shakespeare / Sabine Anglade : La Tempête au Chêne noir

 

 J'ai vu La Tempête plusieurs fois et j'en ai déjà parlé dans ce ce blog ICI . Cette année la pièce est donnée au Chêne noir dans la mise en scène de Sabine Anglade.

Prospéro, duc de Milan, a été dépossédé de son royaume par son frère Antonio. Celui-ci, après avoir usurpé le trône, exile Prospéro et sa fille Miranda, les jetant dans une barque qui les conduit dans une île enchantée. La seule créature de forme humaine qu'ils y trouvent est Caliban, un monstre hideux, fils de sorcière, qu'ils traitent avec bonté. Mais la nature brutale de Caliban est rebelle à l'éducation et Prospero ne peut avoir prise sur lui que par la force.
Prospéro qui a pu conserver sa bibliothèque dans son exil apprend la magie dans un livre occulte et parvient à dominer les forces de la nature. Il se rend maître d'Ariel, Esprit de l'air et avec sa collaboration, sachant que le navire de son frère va passer auprès de l'île, il commande une tempête qui va jeter les naufragés sur  son île. Ferdinand, le fils d'Alonso, roi de Naples, isolé des autres, rencontre Miranda et les deux jeunes gens tombent amoureux l'un de l'autre. Prospéro qui a pour dessein de les marier feint de vouloir les séparer pour mieux attiser leur amour.
Antonio, le duc usurpateur, Alonso, le roi de Naples et leurs compagnons sont rejetés sur une autre partie de l'île. Antonio  fomente un complot contre Alonso avec le frère de celui-ci, Sébastien, pour s'emparer de Naples. Pendant ce temps, Caliban persuade le Fou et le Capitaine du navire, eux aussi rescapés du naufrage, de s'allier à lui pour vaincre Prospero en leur promettant de devenir rois de l'île.  Shakespeare montre ici que l'attrait du pouvoir assorti à la violence, au meurtre et à la traîtrise, est le même chez les nobles et  les gens du peuple.
Tous vont être amenés à rencontrer Prospéro et être sous sa domination. Celui-ci pardonne à son frère, célèbre les fiançailles des enfants et, après avoir libéré Ariel, renonce à la magie en brûlant son livre. Tous ensemble, ils quittent l'île.

  Présentation de la pièce par la compagnie

Fabrique d’images et de sens, La Tempête est sans doute la pièce la plus opératique de tout le théâtre de Shakespeare, faisant la part belle au conte, à l’image, à la musique.Cette dimension ne pouvait qu’éveiller le désir de la metteuse en scène d’opéra et de théâtre qu’est Sabine Anglade, lui offrant la possibilité de mettre en commun ces deux approches.

Mon avis :

J'ai beaucoup aimé la scénographie de Mathias Baudry dans cette représentation de La Tempête mise en scène par Sabine Anglade. Elle nous plonge dès le début dans la fureur des éléments déchaînés :  le fracas du tonnerre, le rugissement du vent, les éclairs qui traversent la scène, les jeux de clairs-obscurs, et l'enchevêtrement des voiles du navire chahuté par les vagues de la mer déchaînée. Tout ceci forme un  très beau tableau. Belle et poétique aussi la représentation d'Ariel, interprété par une une jeune comédienne, à la silhouette longiligne, vêtue de noir, aux longues ailes flamboyantes, qui prend du relief dans cette représentation, un esprit qui aspire à la liberté et dont on sent la souffrance d'être retenu prisonnier. 
 
J'ai aimé l'interprétation du rôle de Prospéro, Miranda et Caliban. Par contre, j'ai été surprise par la conception du rôle de Ferdinand, (interprété par par  le comédien qui incarne Caliban). Avec son short, ses godillots et grosses chaussettes montantes, son air benêt, il faut dire qu'il est un jeune premier qui ne fait pas rêver ! Manifestement, la metteuse en scène n'a pas voulu jouer sur l'émerveillement un peu naïf, c'est vrai, un peu sot, mais seulement aux yeux des autres, de deux très jeunes gens qui découvrent l'amour. Il est vrai que l'on sent l'ironie de Shakespeare observant cette idylle naissante mais aussi beaucoup de tendresse et de légèreté. Sabine Anglade a préféré tiré les scènes où ils apparaissent vers la parodie et le comique un peu lourd ! Finalement,  même si je n'ai pas vraiment apprécié cette conception, le comédien est bon et m'a fait rire. Par contre j'ai trouvé que l'interprétation des autres personnages étaient plus faibles et ils m'ont parfois ennuyée.
 
Donc, mon avis est assez mitigé sur ce spectacle qui, certes, a de grandes qualités mais est inégal.


 La Tempête

Du 7 au 27 juillet 2023 à 10h
Relâche les 10, 17, 24, 28 et 29 juillet

Durée : 2h05

De William Shakespeare

Traduction/adaptation Clément Camar-Mercier

Mise en scène Sandrine Anglade

assistée de Marceau Deschamps-Segura

Avec 

Clément Barthelet, Héloïse Cholley, Damien Houssier, Alexandre Lachaux, Serge Nicolaï, Nina Petit, Sarah-Jane Sauvegrain, Benoît Segui, Quentin Vernede

Scénographie Mathias Baudry

Lumières Caty Olive

Costumes Cindy Lombardi assistée d’Océane Gerum

Chef de chant Nikola Takov

Création sonore/régie son Théo Cardoso

Régie Ugo Coppin et Rémi Remongin

Administration et production Alain Rauline et Héloïse Jouary

Production Compagnie Sandrine Anglade

Coréalisation Théâtre du Chêne Noir

A partir de 13 ans

 

jeudi 13 juillet 2023

Un humour de Proust avec Denis Podalydès et Jean-Philippe Collard à La Scala de Provence

Marcel Proust
 

 

 Ce concert-lecture avec Denis Podalydès et le pianiste Jean-Philippe Collard n'a lieu  qu'un seul jour pendant le Festival D'Avignon à la Scala de Provence. J'ai tout de suite eu envie d'aller voir et écouter ce spectacle qui  s'attache à nous montrer l'humour de Marcel Proust à travers La Recherche du temps perdu !

 

Présentation

« On rit de ce qu’on craint. Molière riait de la jalousie parce qu’il était jaloux. Proust rira du snobisme et du monde parce qu’il les a longtemps redoutés. » André Maurois

 Dans un écho de mots et de notes, le duo formé par le comédien Denis Podalydès et le pianiste Jean-Philippe Collard donnera à entendre des extraits d’À la recherche du temps perdu dans un paysage musical inspiré de Proust. Une invitation poétique à rire ou à sourire sur des œuvres de Debussy, Fauré, Chopin, Satie ou Scarlatti.

 Mon avis

Quel plaisir de découvrir ou redécouvrir des textes de Marcel Proust sous un éclairage nouveau, celui de l'humour ! On y voit, à travers le choix des textes le talent d'observation et de pénétration de Proust quant à la nature humaine, ses vanités, son snobisme, ses ridicules, ses travers.  Les portraits satiriques de grands personnages de La Recherche du temps perdu, Françoise, Madame Verdurin, Villeparisi, Monsieur de Cambremer et tant d'autres se déploient avec une certaine férocité, allant jusqu'à la caricature.  Et oui, l'on rit en écoutant Denis Podalydès dire ou mimer ces textes auxquels répondent des moments musicaux interprétés au piano par Jean_Philippe Collard !

"Aussi, décontenancé par la minceur de ce regard bleu, se reportait-on au grand nez de travers. Par une transposition de sens, M. de Cambremer vous regardait avec son nez. Ce nez de M. de Cambremer n’était pas laid, plutôt un peu trop beau, trop fort, trop fier de son importance. Busqué, astiqué, luisant, flambant neuf, il était tout disposé à compenser l’insuffisance spirituelle du regard ; malheureusement, si les yeux sont quelquefois l’organe où se révèle l’intelligence, le nez (quelle que soit d’ailleurs l’intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l’organe où s’étale le plus aisément la bêtise."


 

mardi 11 juillet 2023

Le voyage de Molière mise en scène de Jean-Phlippe Daguerre au Théâtre du chien qui fume

 



Léo, un jeune homme du XXIème siècle qui rêve d’être comédien, amoureux de Molière dont il connaît par coeur la plupart des pièces, se retrouve accidentellement plongé en 1656 au cœur de la troupe de l’Illustre Théâtre de Molière. Commence alors une aventure extraordinaire dans un monde créatif et cruel où la vie et la gloire ne tiennent qu’à un fil.

En 2022, Molière fête ses 400 ans ! Nous avons souhaité lui rendre hommage à travers cette aventure précisément inspirée par la vie de Molière et de sa troupe avant leur arrivée à Versailles.



J'ai assisté à la représentation de la pièce Le voyage de Molière, mise en scène par Jean-Philippe Daguerre, l'année dernière et j'avais regretté de la voir sans ma petite-fille. Aussi, quand j'ai vu que la pièce revenait au Chien qui fume cette année, je me suis empressée de l'y amener. Elle a aimé et moi, je crois que je l'ai encore plus appréciée, si c'est possible, parce que n'ayant plus la surprise de la découverte, j'ai été attentive au moindre détail, sensible à l'émotion, à l'intelligence des dialogues et des situations, et à  l'ingéniosité du décor : une  grande plate-forme ronde, montée sur de grandes roues, que les comédiens font tourner comme s'il s'agissait de la roulotte de l'Illustre théâtre se déplaçant sur les routes du sud de la France et qui devient, tour à tour, scène, château, chambre de Molière, et même un entre-deux temporel entre le passé dans lequel Léo rencontre la troupe et le présent dans lequel il gît sur un lit d'hôpital, enfoncé dans un coma profond.

 De grandes scènes pleines d'humour servis par d'excellents comédiens ont le mérite de nous faire rire par des anachronismes amusants tout en nous introduisant dans l'oeuvre de Molière pour notre plus grande joie car "quand on aime le théâtre, on aime Molière"

Ainsi la scène où Léo reconnaît Molière et tombe à genoux devant lui en lui témoignant sa vénération pour toutes ses grandes pièces (qu'il n'a pas encore écrites), alors que le pauvre homme n'en est encore qu'à ses balbutiement, en proie aux doutes sur son talent, en butte à la mauvaise fortune, dans une région où le fléau de la peste l'empêche de gagner sa vie ! Ou encore la scène où, semblable au bourgeois gentilhomme, Léo apprend la prononciation des voyelles anglaises aux comédiens à partir d'une chanson des Beatles  ! 

Mais le rire n'occulte pas les  angoisses, les drames personnels de chacun des comédiens de la troupe. Quel plaisir d'ailleurs de les rencontrer sur scène comme des amis retrouvés !  Il y a  Gros René éperdu d'amour pour Marquise et qui souffre de se voir trahi, et par sa femme et par son meilleur ami, Madeleine vieillissante qui se sent déjà supplantée par la toute jeune Armande, tout au moins sur la scène, pas encore dans sa vie amoureuse. Et puis l'on assiste aux répétitions du Dépit amoureux et aux leçons que donne Molière à ses  acteurs débutants, leçons qui ont tant de finesse que l'on comprend pourquoi, nous, spectateurs, amoureux du théâtre, nous sommes là, au festival, à courir d'un lieu à un autre dans les rues d'Avignon avec des températures dépassant les 40° !

Décidément ce spectacle est une gourmandise qu'il faut savourer à sa juste valeur et qui a le mérite de toucher les jeunes et les adultes.

Un coup de coeur !

 

Le chien qui fume à 12H35

Le voyage de Molière 

De Pierre-Olivier Scotto et Jean-Philippe Daguerre

Mise en scène Jean-Philippe Daguerre

durée : 1H35

Relâche : les mercredis 12  19  26

dimanche 9 juillet 2023

Fabrice Melquiot / François Ha Van : Kids à la Scala de Provence

 

Fabrice Melquiot, dramaturge

Présentation de la pièce

Une jeunesse fougueuse et brûlante ! Huit adolescents : le temps du siège de Sarajevo (1992-95), vont apprendre à (sur)vivre ensemble, au-delà de toutes considérations ethniques et religieuses, sorte de  « meute » plurielle, avec ses rivalités, ses complicités et ses rêves.
Mais voilà, le conflit touche à sa fin et il faut apprendre à vivre sans la guerre, sans couvre-feu, sans bombardements, libres, mais aussi sans repères.
Et si créer un spectacle pouvait tout sauver ?…

 

   Un très beau spectacle qui nous plonge au coeur de la guerre, à Sarajevo, mais cela pourrait être n'importe où, ailleurs..  Dans la ville ravagée, vivent ou plutôt survivent des enfants et adolescents orphelins. Ils se réfugient dans les caves, l'orphelinat ayant été détruit, hantés par les images de destruction, le souvenir de leurs parents morts sous les bombes ou sous les balles des snippers. Ils ont peur, ils ont faim, font la manche, volent, ils se battent, ils s'aiment, ils apprennent l'anglais pour donner un sens à leur vie, rêvent d'un futur. Peu à peu nous apprenons à les connaître, l'un après l'autre ou tous ensemble. Nous vivons leur désespoir, leur hantise de la mort, leur colère, leurs moments de tendresse, leur besoin d'être aimés...  Au bruit des explosions  répond la musique de la guitare électrique et les paroles tristes de la chanson : Why my Guitar is wheeping ?... Pourquoi ma guitare pleure-t-elle ? 

Pourtant, des éclaircies dans cette noirceur,  liées, en particulier au personnage de Sid, l'aîné de tous, qui accueillent, enseignent, défend les plus faibles et puis l'amour est toujours possible même s'il faut faire comprendre aux garçons ce qu'est la tendresse. Et l'on sourit parfois de la maladresse des adolescents lors de dialogues qui ne manquent pas d'humour.

Le texte est splendide, poignant, la mise en scène de François Ha Van joue avec l'espace pour  suggérer la violence des bombardements, la panique des adolescents, les mouvements de foule, le désir de fuite, d'évasion. Les comédiens sont tous excellents, vrais, et font naître l'émotion.

Je ne suis pas la seule à l'avoir apprécié. Ma petite-fille (13 ans ) l'a beaucoup aimé aussi.

Un spectacle à ne pas rater !

 

KIDS de Fabrice Melquiot
Du 7 au 29 juillet 2023 19H30



Relâches Les lundis 10 17 24  durée 1H05


De Fabrice Melquiot
Mise en scène François Ha Van
Avec Nathan Dugray, Montaine Frégeai, Axel Godard, Yann Guchereau, Hoël Le Corre, Sylvain le Ferrec, Julie Bulourde en alternance avec Lara Melchiori, Manon Preterre
Création musicale et interprétation live – Nathan Dugray


vendredi 7 juillet 2023

Molière/Raphaël Callandreau : Le Malade imaginaire en la Majeur Théâtre 3 Soleils-Buffon festival d'Avignon 2023

 


 Le malade imaginaire

On sait que Le malade imaginaire est la dernière pièce de Molière et qu'il est mort à la quatrième représentation. Ainsi pendant que Molière lutte contre la mort, il nous fait rire d'Argan, cet hypocondriaque ridicule et égoïste, qui décide du sort de toute la famille en fonction de ses prétendues maladies. On comprend l'ironie tragique de la pièce. On peut donc mettre en scène la pièce différemment, soit en soulignant la présence de la mort à qui Molière adresse un dernier pied de nez, soit en choisissant carrément l'aspect amusant. Argan a épousé en seconde noce une femme intéressée Béline qui attend la mort de son mari pour récupérer l'héritage en envoyant ses belles-filles au couvent. Argan exige que sa fille Angélique épouse un médecin Thomas Diaforirus, mais celle-ci aime Léante qui veut l'épouser. Or, le jeune homme a un gros défaut : il n'est pas médecin ! Il se fait passer pour un maître de musique pour pouvoir courtiser Angélique. La servante Toinette déguisée en médecin va imaginer un stratagème pour confondre Béline et pour obtenir le consentement d'Argan au mariage des deux tourtereaux. Comme souvent, la satire des médecins tient une place importante dans la comédie.

 

Mon avis

Le metteur en scène, auteur compositeur, Raphaël  Callendreau, a choisi d'adapter Le malade imaginaire en comédie mucicale et cela marche et même fort bien ! Et après tout pourquoi pas ? La pièce n'était-elle pas à l'origine une comédie-ballet mise en musique par Marc-Antoine Charpentier, musicien qui avait remplacé Lully avec qui Molière était brouillé. 

Cette comédie où alterne prose et chanson, façon Jacques Demy, accompagné au piano, est un petit régal où le rire est servi par quatre excellents comédiens très à l'aise dans les personnages différents qu'ils incarnent ! Une  interprétation sans faiblesse quel que soit le rôle incarné et une manière  habile et astucieuse de  faire exister, malgré leur absence, les personnages qui ont été supprimés. Si le tout forme  un spectacle fort gai, si l'on rit d'un Argan absolument ridicule ou d'un Diaforus hilarant, la mise en scène n'occulte pas les angoisses du Malade imaginaire ou pas et, au cours d'un ballet-cauchemar grimaçant, l'omniprésence de la mort !  

Un excellent spectacle agréable, amusant et intelligent que toute la famille a apprécié. Ma petite-fille qui a 13 ans a adoré et des quatre spectacles qu'elle a vus pour l'instant, c'est son préféré.  (3 sur les 4 pièces sont de Molière ou sur la vie de Molière, un autre de Bertold Bretch !)

 

3 SOLEILS - Buffon
4, rue Buffon
 84000 - Avignon -
Le Malade imaginaire en la majeur à 19h45
Durée : 1h20
du 7 au 29 juillet - Relâches : 11, 18, 25 juillet

Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Raphaël Callandreau
  • Interprète(s) : Cécile Dumoutier, Marion Peronnet, Raphaël Callandreau, Simon Froget-Legendre, Arnaud Schmitt

 

 

 




jeudi 6 juillet 2023

Molière / Anthony Magnier : les Fourberies de Scapin : Théâtre Les Lucioles festival Avignon 2023

 

 La pièce de Molière Les Fourberies de Scapin, a pour personnage central Scapin, valet de la Commedia dell’Arte,  un fieffé coquin, dont on comprend d’ailleurs qu’il a tâté de la prison. Il est au service du jeune Léandre tandis que son compère  Sylvestre est le valet d’Octave.
En l’absence de leur père, Octave, fils d’Argante a épousé sans le consentement paternel une jeune fille, Hyacinthe, sans ressources et dont la mère est malade. Léandre, fils d’Orgonte, un vieil avaricieux, est tombé amoureux de l’égyptienne Zerbinette avec qui il s’est fiancé.
Courroux des pères qui vont tout faire pour rendre nulles ces unions ! Heureusement, il y a Scapin, le rusé, qui va aider les jeunes gens à vivre leur amour. Oui, mais… ce ne sera pas sans quelques petites vengeances et sans en tirer profit ! La pièce est une satire des maîtres et des rapports avec leur valet. C'est aussi un peinture des rapports entre père et fils à une époque où les enfants étaient soumis à leurs parents par la loi et, dans les milieux bourgeois, par la dépendance financière.

Mon avis

J'ai amené ma petite-fille (13 ans) voir Les Fourberies de Scapin dont elle a étudié des extraits en classe. Je ne sais pas si c'est général ou si c'est dans son collège mais j'ai l'impression que l'on n'étudie plus les pièces de Molière entièrement à raison d'une chaque année comme avant ? Et si c'est le cas c'est bien dommage car je vois qu'elle a été réceptive à cette représentation amusante et pleine de bonne humeur de la Compagnie Viva, mise en scène par Anthony Magnier.

Au début de la pièce, j'ai peu aimé, pourtant, le côté parodique un peu trop poussé à mon goût de l'interprétation de Hyacinthe et d'Octave mais, ensuite, tout en soulignant le ridicule de tous  personnages, le ton devient plus modéré.  La mise en scène joue, bien sûr, sur le comique de situation et de caractère mais rappelle en même temps les rapports de force entre les valets et les maîtres, la  brutalité d'une époque où le serviteur pouvait recevoir des châtiments corporels. Anthony Magnier campe à cet égard un Scapin convaincant qui n'oublie pas les affronts reçus, employant toute sa ruse au service des jeunes maîtres mais déployant aussi son talent à exercer sa vengeance. Les grandes scènes de la galère ou du sac sont réussies.

La scénographie est agréable : un plateau nu avec en arrière-plan un rideau laissant apparaître par transparence les silhouettes des personnages modelés par des jeux de lumière. Les costumes pailletés de deux jeunes maîtres rappellent les ridicules des petits marquis du XVII siècle dont Molière raillait les excès de toilette, dentelles, noeuds et falbalas.

Un bon spectacle  !

 La compagnie VIVA

En 2002, Anthony Magnier crée la compagnie Viva et entreprend d'explorer la modernité des grands textes du répertoire, tout en les partageant avec un large public. Au rythme d'une création par an, la compagnie est présente chaque année au Festival d'Avignon et joue près de 150 représentations par an dans toute la France.

Théâtre Les Lucioles 15H30 durée 1H25

 LES FOURBERIES DE SCAPIN

Festival du 07 au 29 juillet / relâches les 12, 19 et 26 juillet

Mise en scène : Anthony Magnier
Auteur : Molière
Interprètes : Elisa Bénizio , Bérénice Coudy, Matthieu Hornuss, Anthony Magnier, Antoine Richard, Ronan Rivière
Costumes : Mélisande de Serres
Lumières : Clément Commien et Marc Augustin-Viguier
Accessoires : Sophie le Carpentier
Administration : Anne Mourotte
Diffusion : Soha Khelifa
La compagnie reçoit le soutien de la Ville de Versailles et régulièrement celui de l'ADAMI, de la SPEDIDAM, du Conseil Général des Yvelines, de la Région Ile de France, du Jeune Théâtre National et de Creat'Yve.

Tout Public- 1H25
Théâtre

 

Welfare à la cour d'Honneur : festival d'Avignon 2023

Welfare de Juile Deliquet à la Cour d'Honneur festival d'Avignon 2023
 
 
 Spectacle monté sur la scène de la cour d'honneur

 

Welfare est un spectacle de la metteur en scène Julie Deliquet adapté d’un film documentaire réalisé par Frederik Wiseman en 1973.
Les problèmes de logement, de santé, de chômage, de maltraitance frappent les Américains les plus pauvres. Dans un bureau d'aide sociale new-yorkais, employés et usagers se retrouvent démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie.



Extrait du film de Wiseman


Présentation de la pièce de théâtre par Julie Deliquet

" Moi j’aime regarder les gens, j’aime réfléchir à tout ce que je vois. » : ces propos du cinéaste Frederick Wiseman sont au cœur de l’adaptation de Welfare (1973) par Julie Deliquet. Une journée particulière dans la vie des sans-abri, des apatrides, des travailleurs, des mères célibataires et des démunis qui se succèdent aux guichets de ce centre d’aide sociale improvisé dans la Cour d’honneur. Le temps de la représentation, le Palais des papes devient le lieu d’une hospitalité qui peine à prendre figure humaine. Voilà le territoire des personnages que met en scène l’actuelle directrice du Centre dramatique national de Saint-Denis, dont le théâtre cherche à capter la vie au cœur de la comédie humaine. Quinze héros du quotidien dont les récits s’entremêlent pour dresser en creux le portrait des dysfonctionnements de notre société. Des personnages qui nous invitent à les suivre et à traverser le quatrième mur comme on traverse le fantasme pour reprendre pied dans le réel. Une pièce qui nous rappelle que la parole est une action et que la faire advenir est un acte citoyen."

 


 

 L'action commence avant même le début du spectacle. Nous sommes dans un asile de nuit. Sur la scène on plie les draps, on démonte les lits de camp, et nous nous retrouvons dans un gymnase qui a servi  d'hébergement de nuit pour les sans-abri. Puis nous voilà dans un bureau d'aide sociale où défilent les exclus de la société, migrants, chômeurs, handicapés, dont les dossiers se perdent dans les méandres d'une administration kafkaïenne. Nous sommes aux Etats-Unis mais, vous l'avez compris, nous pourrions tout aussi bien être en France.

Le spectacle est adapté du film documentaire de Wiseman que je n'ai pas vu, donc pas de comparasion possible et, d'ailleurs, la metteuse en scène, Julie Deliquet, se défend d'avoir fait un documentaire : "je fais du théâtre, je raconte une histoire."

Seulement voilà, si elle ne fait pas du documentaire, elle ne fait non plus du théâtre ! Ce qui fonctionnait peut-être bien au cinéma ne m'a pas paru fonctionner au théâtre. Ce défilé de personnages qui crient et  s'agitent sur la scène ne touche pas, pire il finit pas ennuyer malgré toute l'horreur des situations désespérées qu'il présente. Peut-être à cause de la distance, les personnages ne sont pas véritablement humains, ils sont démonstratifs.

De plus, il n'y aucune progression dramatique.  Les personnages se succèdent sur la scène, explications, cris, pleurs, et au suivant !  Cela recommence et l'on se dit, à la longue, qu'il n'y a aucune raison que le défilé s'arrête puisque la misère est inépuisable.

Et que dire de cette altercation entre le policier noir et l'ancien combattant raciste si ce n'est que la platitude du dialogue est affligeante ?

 Je ne me suis jamais autant ennuyée au théâtre et comme ma petite fille et mon mari aussi, nous avons quitté la représentation avant la fin, ce qui est très rare de notre part  ! 

Si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, à mon avis, on peut en dire autant au théâtre !

 

lundi 3 avril 2023

Jean Racine : Bérénice mise en scène par Robin Renucci


Bérénice est une pièce de Racine que je n'avais jamais vue sur scène avant cette représentation au Chêne noir d'Avignon, dans la mise en scène de Robin Renucci, metteur en scène et directeur de La Criée de Marseille. Vue, non, ni même étudiée mais lue, oui, comme toutes les pièces de Racine. Donc, je n'avais pu qu'imaginer les personnages et avoir un idée personnelle de l'intrigue. C'est loin d'être ma pièce préférée, je la trouve un peu longue, je lui préfère Phèdre. Mais j'ai aimé la lecture proposée par Robin Renucci.

Bérénice, pièce classique en cinq actes, est présentée pour la première fois en 1760 à l'Hôtel de Bourgogne. C'est peut-être la pièce de Racine où il y a le moins d'action et où il ne se passe rien ou presque. Louis XIV a apprécié Bérénice car elle montre une lutte entre le sentiment amoureux et la Raison d'Etat, celle-ci, bien sûr, triomphant !  La pièce semble être à la gloire de la monarchie mais elle est avant tout une analyse du sentiment amoureux. 

 

L'intrigue

 

Jean Racine : Bérénice mise en scène Robin Renucci photo Olivier Pasquier

Bérénice, princesse de Judée, est amenée à la cour de Rome par Titus qui a assiégé Jérusalem et conquis la ville. Le jeune homme aime Bérénice et veut l'épouser mais la mort de l'empereur Vespasien, son père, change tout car Titus est appelé à le remplacer. Or, la loi romaine s'oppose au mariage de l'empereur avec une étrangère. Titus doit lutter entre son devoir et son amour. S'il épouse Bérénice, il sera infidèle aux lois de Rome et comment pourrait-il ensuite en être le garant ?   

Antiochus, lui aussi palestinien, allié à Titus, a suivi Bérénice à la cour de Rome parce qu'il aime la princesse. Désespéré par le futur mariage de celle-ci avec Titus, il décide de lui avouer son amour mais la réponse négative de la jeune femme le décide à partir. Cependant, la nouvelle de la rupture de Titus et de Bérénice change tout.   

La pièce, même si chacun des trois amoureux veut mourir et menace de mettre fin à ses jours, est sans éclat tragique. Chacun se résignera à son sort. Bérénice retournera à Jérusalem, l'amour d'Antiochus ne sera pas récompensé. Titus souffrira mais règnera.

Tout l'intérêt de Bérénice réside donc dans l'étude des sentiments amoureux des personnages, de la souffrance, à la colère, à la résignation. Et ce qui fait la force de cette pièce et fait aussi que l'on ne l'oublie pas, c'est la langue racinienne, la musique, la mélancolie des mots, quelque chose qui ressemble au souffle du vent, très fluide, très léger, qui communique nostalgie et douce tristesse.

Les vers les plus célèbres de Bérénice dans la scène 5 de l'acte IV, illustrent cette musicalité et donnent le ton de la pièce.

 Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

 

 La mise en  scène de Robin Renucci

 

Jean Racine
 

Et dans la mise en scène de Robert Renucci, c'est d'abord cette maîtrise de l'alexandrin qui touche le spectateur. Pas de déclamation ici, la langue coule avec simplicité, l'alexandrin se fait langue naturelle, simple, quotidienne, et permet de goûter la musique du vers.

Les acteurs ne quittent pas le plateau et s'assoient autour de la scène où se déroulent les entrevues de chacun des personnages, une scène réduite qui représente une pièce du palais de Titus ou comme l'indique Racine : un cabinet qui est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice. Et cette disposition convient parfaitement à la pièce de Racine qui obéit à la règle des trois unités, d'action de temps et de lieu : "Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."(Boileau). J'ai vu des spectacles cet été au festival d'Avignon qui reprenaient ce dispositif mais  gratuitement alors qu'ici je l'ai apprécié.

L'interprétation des personnages 


Julia Bartet (rôle de 1893-1919)
 

Robin Renucci a voulu, dit-il,   "faire ressentir non seulement l'amour impossible de Titus et Bérénice mais aussi le désir fou, irrationnel, que ce premier amour provoque chez Antiochus. Un trio d'amoureux malheureux." C'est pourquoi Antiochus prend de l'ampleur dans la mise en scène de Renucci, passant de personnage secondaire à principal, occupant autant de place que Titus à côté de Bérénice. Et cela, c'est nouveau !

 Alors que ma propre lecture m'avait fait m'imaginer un Titus triomphant, non sans douleur, certes,  mais avec un certain panache dans son renoncement, Robert Renucci souligne ses faiblesses - il pleure,  son confident Paulin doit l'exhorter à être ferme- et sa lâcheté apparaît quand il charge, par exemple, Antiochus de dire à Bérénice sa décision de la quitter, n'osant le faire lui-même. Je ne suis pas sûre que Louis XIV aurait aimé cette interprétation !

Au nom d’une amitié si constante et si belle,
Employer le pouvoir que vous avez sur elle :
Voyez-la de ma part.

D’un amant interdit soulagez le tourment :
Épargnez à mon cœur cet éclaircissement.
Allez, expliquez-lui mon trouble et mon silence.
(Acte II scène 2)

Un autre personnage auquel je n'avais pas prêté attention est celui du confident Arsace que le metteur en scène tire vers le comique. Et oui, il nous surprend cet Arsace avec les conseils terre à terre qu'il donne à Antiochus, lui recommandant la patience pour reprendre Bérénice maintenant qu'elle est abandonnée par Titus. Ce bon sens populaire, on a l'impression d'entendre un valet de comédie plutôt qu'un confident de tragédie classique, contraste tellement avec l'exaltation amoureuse d'Antiochus, dans le plus pur style tragique, que l'on ne peut qu'en sourire  !

Et qui peut mieux que vous consoler sa disgrâce ?
Sa fortune, Seigneur, va prendre une autre face :
Titus la quitte. (Acte III scène 2)

Enfin, si les deux amoureux paraissent faibles, il faut bien reconnaître que le beau rôle est donné à Bérénice. Après les premiers moments où elle éprouve incompréhension, colère et désespoir, c'est elle qui se ressaisit la première et par souci de dignité quitte la scène noblement.

Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse.
Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.


Bien sûr, l'interprétation de certains des personnages surprend le spectateur mais pourtant il y a ici un respect et un amour du texte qui n'excluent pas un lecture personnelle, originale et intéressante de la pièce. Tout ce que j'aime dans la mise en scène théâtrale.


Bérénice de Jean Racine au Chêne noir Mars 2023

Avec Tariq Bettahar, Thomas Fitterer, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Amélie Oranger et Henri Payet 

Mise en scène Robin Renucci

Scénographie et lumières Samuel Poncet

Costumes Jean-Bernard Scotto

Collaborateur pour la dramaturgie Nicolas Kerszenbaum

Assistante à la mise en scène Karine Assathiany


vendredi 10 mars 2023

Mikhail Lermontov : Le bal masqué

Décor pour le Bal masqué :  Alexandre Golovine 1917
 

Mikhaïl Lermontov a écrit Le bal masqué en 1835 mais la pièce a été refusée quatre fois par la censure. Il a donc dû reprendre chaque fois le texte et a rédigé quatre versions différentes, de trois ou quatre actes selon le cas. On ne connaît de nos jours que la version deux et quatre. C'est cette dernière que j'ai lue. C'est peut-être à cause de ces réécritures que j'ai parfois eu l'impression d'incohérence ou de décousu, en particulier au niveau des personnes secondaires qui souvent disparaissent un peu trop rapidement sans que l'on comprenne vraiment quelle était leur fonction. Je propose ici un résumé de la pièce mais simplifié.

 

Décor : la salle du bal masqué Alexandre Golovine 1917

Eugène Arbenine est un noble, riche et depuis peu heureux (autant que peu l'être un russe de cette classe sociale à cette époque). Il vient de se marier et on ne l'a pas vu depuis longtemps dans les salons aristocratiques ou les salles de jeux. 

Dans sa jeunesse brillante et dissipée, il a joué, séduit des femmes qu'il a rejetées, incapable d'éprouver un véritable amour. Il participe comme Petchorine, le héros de notre temps, à ce « mal du siècle », ce « romantisme à la russe », cet ennui qui annihile la volonté, rend incapable d'agir, de ressentir des sentiments vrais. 

Moi j'ai vagabondé, joué, été volage et libertin, j'ai travaillé... J'ai connu l'amitié et les amours perfides. Les honneurs ! Je ne les ai jamais cherchés ! Quant à la gloire je ne l'ai point trouvé... Riche ou sans argent, j'ai souffert de l'ennui toujours et partout ."

Il est le fidèle miroir d'une société riche et raffinée mais oisive et inutile, où  sévissent la médisance et, le conservatisme, une société prisonnière d'un pouvoir autocratique rigide, le tsar Nicolas 1er, qui réprime toute liberté de pensée et toute velléité de révolte. Celle des Décembristes qui voulaient obtenir une constitution date de 1825 et a été sévèrement punie. Mais à présent Arbenine est plus âgé, il a rencontré Nina, l'a épousée et l'aime et cette fois, il est sincère.

La pièce commence dans la salle de jeux où Arbenine qui a renoncé aux jeux de hasard sauve le prince Svezditch de la ruine en disputant et en gagnant une partie pour lui. Le prince lui est donc redevable, ce qui rendra sa trahison encore plus grave.

 

Le costume de Nina : Alexandre Golovine 1917

 

Dans les scènes suivantes les deux hommes se rendent au bal masqué. Le prince est abordé par un masque féminin qui lui accorde ses faveurs mais qui ne veut pas lui donner son nom. Nous apprendrons vite que c'est la baronne, le deuxième personnage féminin de la pièce, amoureuse du prince, mais qui tient à sa réputation et dissimule sa véritable identité. Le prince réclame un gage et la baronne lui donne un bracelet qu'elle a ramassé par terre, perdu par une autre femme masquée. Or, cette dernière n'est autre que Nina. Et comme le prince manque de discrétion, il montre ce bracelet à Arbenine qui reconnaît celui de son épouse. Il ne doute pas que sa femme lui est infidèle. La société est vite au courant de la prétendue disgrâce d'Arbenine qui décide de se venger.

Il empoisonne l'innocente Nina. La scène de l'empoisonnement où la pauvre femme meurt dans la souffrance, est pathétique et les cris répétés de Nina «je veux vivre», son extrême jeunesse, son innocence rappellent celle où Desdémone meurt tuée par Othello.

J'ai la tête en feu. Je ne me sens pas bien. Approche-toi de moi et donne-moi ta main. Tu sens comme brûle ma main. Pourquoi ai-je mangé cette glace au bal ? J'ai dû prendre froid. Tu ne crois pas. Puis quand elle comprend que son mari l'a condamnée :

Tu ne vas pas me faire mourir dans la fleur de l'âge ! C'est impossible. Ne te détourne pas. Cesse de me torturer, sauve-moi, éloigne de moi la peur. Regarde-moi !...

Oh ! La mort est dans tes yeux !

Mais la baronne prise de remords, vient avouer la vérité à Arbenine qui comprend que Nina était innocente et devient fou.

Quant au prince qui est un traître, Arbenine lui a réservé un sort pire que la mort. Il le soufflette et refuse de se battre en duel avec lui, le déshonorant aux yeux de la société et en faisant un paria.

Oui, ton honneur ne te reviendra pas ! La barrière est rompue entre le bien et le mal. Le monde entier avec mépris, se détournera de toi, tu suivras désormais le chemin du réprouvé, tu connaîtras la douceur des larmes de sang et le bonheur de tes proches sera lourd à porter pour ton âme.

La philosophie désenchantée de la pièce est bien celle d'une société où la vie n'est pas considérée comme un bien à défendre et où les jeunes gens meurent très jeunes, tués en duel pour de stupides querelles comme deux des plus grands écrivains de la littérature russe : Pouchkine mort à 39 ans et Lermontov lui-même, mort à 27 ans

 La vie n'est précieuse que si elle est belle ! Or, l'est-elle longtemps ? La vie c'est comme un bal. Tu tournes, joyeusement, tout est clair et limpide... Tu rentres, tu enlèves le déguisement fripé. Tu oublies tout, tu te sens à peine fatigué. Mais il vaut mieux lui dire adieu tant qu'on est jeunes, tant que l'âme en porte pas encore  la chaîne de l'habitude. Vanité inhumaine !



Écrivain et poète  russe (Moscou 1814 – Piatigorsk, Caucase, 1841).

Orphelin de mère, il est élevé dans la propriété de sa grand-mère, qui le tient éloigné de son père. Il entre en 1827 à la Pension noble de Moscou, où il s'enthousiasme avec ses condisciples pour la poésie du jeune Pouchkine, celle des poètes décabristes et les idéaux qui l'inspirent. Il écrit ses premiers poèmes, les Tcherkesses et le Prisonnier du Caucase (vers 1828). Lorsque Nicolas Ier ferme cette institution trop libérale en 1830, il poursuit ses études à l'Université, d'où il est exclu en raison de ses prises de position contre certains professeurs conservateurs. En 1832, il entre dans les hussards de la garde. Il continue cependant d'écrire, travaille au Démon et termine Hadji Abrek (1833). Affecté comme officier à Tsarskoïe Selo, il découvre la vie mondaine, qui lui inspire la pièce Un bal masqué (1835) et un roman inachevé, la Princesse Ligovskaïa (1836). Il réagit à la mort de Pouchkine par des vers violents contre son meurtrier (la Mort du poète, 1837), ce qui lui vaut d'être envoyé au Caucase comme simple soldat. Mais son poème l'introduit à la direction du Contemporain, journal de Pouchkine, où il publie un poème, Borodino (1837). Le Caucase exerce sur son caractère et sur son œuvre une influence énorme. Il revient à Saint-Pétersbourg, termine son Démon (1841), collabore à la revue les Annales de la patrie, où paraissent des récits qui entreront dans Un héros de notre temps (Bella, Taman, le Fataliste, 1939), et fréquente le milieu littéraire et les salons. Il reste cependant un esprit frondeur et, à la suite d'un duel avec le fils de l'ambassadeur de France, il est arrêté et à nouveau exilé, cette fois avec exclusion de la garde et à un endroit dangereux du Caucase, alors que Un héros de notre temps (1839-40) est publié et obtient un grand succès. Il prend part à des combats sanglants, qu'il décrit dans ses poèmes. En 1840 paraît un recueil de ses vers, pour lequel il n'a retenu qu'un petit nombre de poèmes. Un duel, provoqué par une querelle avec son camarade Martynov dans des conditions assez obscures, met fin brutalement à la carrière du plus « pictural » des romantiques (il était un excellent dessinateur amateur). (source Larousse)





mercredi 1 mars 2023

Jean-Claude Carrière : La controverse de Valladolid

 


Jean-Claude Carrière a écrit La Controverse de Valladolid en 1992. Le téléfilm avec Jean Louis Trintignant, Jean Pierre Marielle et Jean Carmet fut réalisé la même année.

 

 

La pièce de théâtre mise en scène par Jacques Lasalle a été créée au théâtre de l'Atelier en 1999. C'est cette pièce que j'ai lue pour découvrir le texte.

 


Jacques Weber était Bartolomé de Las Casas

Lambert Wilson : Sépulvéda

Le légat : Bernard Verley

Le supérieur : Jena Philippe Puymartin

Le colon Nicolas Bonnefoy / L'indien l'indienne Fredi Rojas/ Patricia Romero. Le bouffon Hassans dit Sasso. Le serviteur : Jean-Claude Gob. L'enfant indien en alternance Amadas Vias, Fiorella Arza. Jose Luis Lasluisa


La controverse de Valladolid



La Controverse de Valladolid a eu lieu en 1550 et en 1551 devant un collège d'ecclésiastiques à la demande de Charles Quint. Elle s'est faite autour des positions opposées de deux hommes d'église Bartolomé las Casas et Juan Gines Sépulvéda. Mais si leurs opinions sont divergentes comme nous allons le voir, il faut d'abord savoir qu'ils s'accordent, en religieux et en hommes de leur temps, sur deux points fondamentaux au départ :

1) Avec Aristote, ils sont d'accord pour dire qu'il y a des hommes nés pour être esclaves, d'autres pour dominer.

Sépulvéda : Aristote l'a dit très clairement : certains espèces humaines sont faites pour régir et dominer les autres.

2) Que tous les peuples sont nés pour être convertis au christianisme qui est une religion universelle ; c'est ce que veut le Christ.

Sepulvada : N'est-il pas établi, n'est-il pas parfaitement certain que tous les peuples de la terre, sans exception, ont été créés pour être chrétiens un jour ?

Le but de la controverse, après avoir admis que les Indiens ont une âme, est de déterminer si ce sont des esclaves « naturels », c'est à dire selon la théorie d'Aristote, s'ils appartiennent à une race humaine naturellement inférieure, des hommes nés pour obéir, ce qui justifie la guerre de conquête, l'esclavage et la conversion par la force. C'est la théorie de Sépuvélda. Ou si, au contraire, ce sont des hommes qui ne sont pas naturellement esclaves et donc qui doivent être libres et convertis par la douceur. C'est ce que pense Las Casas et c'est pourquoi il refuse le mot « conquête »« Il évoque pour moi des entrailles éparpillées, des terres volées, des militaires triomphants. Je préfère «évangélisation», « civilisation.» Il préconise la conversion par la persuasion et l'exemple du Bien.

Que peuvent-ils penser d'un Dieu que les chrétiens, les chrétiens qui les exterminent, tiennent pour juste et bon ? affirme Las Casas

Sépulvéda répond:

Ces indiens sont des sauvages féroces ! Non seulement il est juste mais il est nécessaire de soumettre leur corps à l'esclavage et leur esprit à la vraie religion !

On ne sait pas si ces deux hommes se sont réellement rencontrés pendant la controverse et ont débattu en public. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont échangé des lettres et se sont opposés dans leurs écrits et que c'est sur les textes de chacun d'entre eux que le débat s'est engagé. Jean-Claude Carrière tranche en les mettant face à face dans son livre car s'il se tient au plus près de la vérité historique, ce qui est important pour lui, c'est la vérité dramatique. La pièce de théâtre retient donc ce face à face.

Bartolome de las Casa

 

Frère Bartolomé las Casas

Bartolome de las Casas (1484_1566) est un dominicain. Il a d'abord exploité une encomienda  avec des esclaves sur l'île d'Hispaniola puis de Cuba où il était aumônier des troupes espagnoles, ce qui l'a enrichi. En 1514, un verset de l'Ecclésiaste lui fait prendre conscience de l'indignité de la colonisation et de l'horreur de l'esclavage des indiens maltraités et convertis de force au christianisme.

Certes Bartolomé las Casas a d'abord profité de la colonisation des terres nouvelles par les Espagnols mais sa conversion est celle d'une homme de cœur, sincère, horrifié, luttant de toutes ses forces pour sauver les peuples autochtones. C'est pourquoi il parle avec émotion, indignation de la cruauté des Espagnols, des atrocités commises « de ce spectacle d'horreur et d'épouvante ». Il dénonce le génocide de cette population soumise aux pires exactions.

J'ai vu des espagnols prendre la graisse d'Indiens vivants pour panser leurs blessures ! Vivants ! Je l'ai vu ! J'ai vu nos soldats leur couper le nez, les oreilles, la langue, les mains, les seins des femmes, oui, les tailler comme on taille un arbre ! Pour s'amuser ! Pour se distraire !

Dès lors, depuis cette conversion, il ne cessera de lutter pour les indigènes et rédige à l'intention de Charles Quint un réquisitoire contre la colonisation des peuples d'Amérique latine  : Très brève relation de la destruction des Indes. Il soulève la grave question de la responsabilité des Espagnols et dénonce leur cupidité et leur cruauté.

Depuis, c'est tout ce qu'ils réclament ! De l'or ! De l'or ! Apportez-nous de l'or ! Au point qu'en certains endroits les habitants des terres nouvelles disaient : Mais qu'est-ce qu'ils font avec tout cet or ? Ils doivent le manger ! Tout est soumis à l'or, tout ! Ainsi les malheureux Indiens sont-ils traités depuis le début comme des animaux privés de raison.

Dès la conquête, sur ordre de Cortez, on les marquait au visage de la lettre G, au fer rouge, pour indiquer qu'ils étaient esclaves de guerre. On les marque aujourd'hui du nom de leur propriétaire.

    Juan Gines de Sepulvada (1490_1573)

Juan Gines Sépulvéda

Juan Gines de Sepulvada (1490_1573) est lui aussi un  homme d'église espagnol. Il devient prêtre en 1537. Il a fait ses études dans les universités de Cordoue et Bologne et s'est spécialisée dans la philologie. Ses oeuvres Histoire de la conquête du Nouveau Monde et Des Justes causes de la guerre font de lui le défenseur de la colonisation et de l'esclavage.

On tressera des couronnes à l'Espagne pour avoir délivré la terre d'une espèce sanguinaire et maudite. Pour en avoir amené certains au vrai Dieu. De leur avoir appris tout ce que nous savons. Et surtout, on reconnaîtra nos efforts pour faire apparaître la vérité !

On notera que Las Casas est un homme d'action, un voyageur, il est le seul qui dans la l'assemblée connaît les Indiens alors que Sépulvéda est un homme d'étude, qui n'est jamais allée aux Amériques. Il est chroniqueur de l'empereur et précepteur de l'Infant, le futur Philippe II d'Espagne. Seul Las Casas connaît le Nouveau Monde, lui seul connaît bien les Indiens. Sépulvéda parle donc des Indiens par ouïe dire et prête foi parfois aux rumeurs les plus fantaisistes, légendes et croyances sans fondement. Il fait preuve de préjugés.  Ainsi, il dénie aux indiens l'intelligence, les connaissances techniques, l'accès à l'art. Or Cortez lui-même en arrivant à Mexico a écrit au Roi qu'il n'a jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi grandiose même en Espagne !

Le sauvage n'a pas le sens du beau, nous le savons. Esclave de naissance, l'accès à la beauté lui est par nature interdit.

Las Casas rétorque en montrant que, bien que païens, les indiens ne sont pas des hommes inférieurs mais des êtres intelligents, organisés en état. Ils montrent leur supériorité dans de nombreux domaines et ceci même sur la civilisation espagnole.

Et leur système d'irrigation ? Et leur écriture ? Et leur arithmétique ? Et leur habileté dans le dessin ? Et leur avancée dans la médecine, où ils savaient mieux lutter que nous contre la douleur ! Et leur connaissance du ciel, leur calendrier qu'on dit plus précis que le nôtre !

*

Las Casas a proposé une réforme au roi en commençant par demander la suppression des encomiendas, terres livrées aux colons avec ses habitants qui deviennent esclaves, il pose la question de la reconnaissance de ceux-ci comme hommes libres travaillant pour un salaire. Mais comme ces propositions vont à l'encontre des intérêts des colons et de la couronne d'Espagne, outre que ces nouvelles lois n'ont pas été appliquées la plupart du temps, cette défense des Indiens aboutira à une autre iniquité : l'esclavage des noirs pour travailler dans les colonies espagnoles d'Amérique !





dimanche 22 mai 2022

Pascal Quignard : Dans ce jardin qu'on aimait et Marie Vialle au festival d'Avignon

 

Lire pour le festival d’Avignon 2022

 Voici encore un spectacle que j’aimerais voir au festival d’Avignon cette année : Dans ce jardin qu’on aimait de Pascal Quignard  adapté par Marie Vialle.

Simeon Pease Cheney
 

Dans ce jardin qu’on aimait  Pascal Quignard s’intéresse à un personnage hors du commun, le pasteur Simeon Pease Cheney, musicien de génie qui eut le premier l’idée de noter tous les chants d’oiseaux qui venaient chanter dans sa cure au cours des années qui vont de 1860 à 1880. Et pas seulement des oiseaux :

"Il n’y a pas que les oiseaux qui chantent!
Le seau où la pluie s’égoutte, qui pleure sous la gouttière de zinc, près de la marche en pierre de la cuisine est un psaume ! L'arpège en houle, tourbillonnant du porte-manteau couvert de pèlerines et de chapeaux, l’hiver, quand on laisse un instant la porte d’entrée ouverte dans le corridor de la cure, lui aussi constitue un Te Deum !"

 

 La sauterelle dans  Wood Notes Wild

Mais il ne réussit jamais à faire imprimer son recueil Wood Notes Wild. C’est son fils, le poète Vance John Cheney,  dans la vie réelle (ou sa fille dans l’oeuvre de P Quignard) qui le fit publier à compte d’auteur. Antonin Dvorak s’en inspira pour son quatuor à cordes n°12. Cent ans après, Olivier Messiaen eut la même idée et nota les chants d'oiseaux.

Le pasteur Cheney a beaucoup de points communs avec un autre personnage de Pascal Quignard dont je vous parlerai bientôt, Monsieur de Sainte Colombe, le musicien de Tous les matins du Monde.

Musicien, le pasteur Cheney s’inspire de la Nature qu’il aime d’un amour absolu, cadeau de Dieu, délaissant même ses paroissiens qui s’en plaignent ! Il a lui aussi perdu son amour, sa femme Eva et demeure inconsolable. Comme Monsieur de Colomb, il voit l’esprit de son épouse lui apparaître:

« Comme une fleur coupée sur la tablette en verre de la salle de bain,
Comme une petite photo que l’amoureux a posée sur la table de chevet en bois près du lit de la chambre d’amour,
elle se tient toute mince et menue dans le cadre de la porte

La jeune mère morte autrefois semble plus transparente, plus fine…. »

Il se montre très dur avec sa fille Rosamunde  et lui demande de quitter  la maison quand elle dépasse l’âge qu'avait sa toujours jeune épouse quand elle est morte en couches.

"En plus, tu lui ressembles de plus en plus.

Tu lui ressembles - avec retard- de plus en plus. (Il crie.) Tu ne peux pas savoir combien ça m’est insupportable de te voir vivante ! »(…)
Rosamund hurle longuement de douleur.
Elle se met à quatre pattes, se lève à son tour, tourne dans le salon de sa cure, devenu complètement rouge dans l’aurore."

Mais ce n’est pas un manque d’amour envers sa fille. Lui-même vit dans un labyrinthe, symbole d’un enfermement où il se sent heureux mais dont il faut que sa fille s’échappe pour vivre vraiment.

 "C’est ce jardin mon labyrinthe. Ce n’est pas elle en personne, Eva, ta mère, bien sûr, je ne suis pas fou. Mais ce jardin, c’est elle qui l’a conçu, c’est son visage. (…)
C’est un merveilleux visage invieillissable !"

 On ne saurait définir le genre de cet ouvrage, biographie qui retrace la vie d'un musicien, roman qui nous raconte une histoire,  pièce de théâtre,  poésie, et le tout à la fois.

Pièce de théâtre puisque les personnages, le pasteur Cheney et Rosemund dialoguent ou monologuent. Parfois intervient un récitant,  l’auteur, qui raconte, qui nous fait voir les personnages, donne son point de vue. Et puis quelques courts textes qui ressemblent à didascalies. 

Poésie car le style ne cesse d’être une ode : à la musique, à la nature et ses éléments, au jardin, aux oiseaux, à la beauté…  Un poème qui introduit la nostalgie, fait sentir la souffrance, mais où l’amour est le plus fort : l’amour envers l’épouse disparue, vécu comme indestructible, l’amour filial aussi qui est parvenu à sauver de l’oubli l’oeuvre de ce musicien incompris.


En fait chaque texte pourrait être lu comme un poème indépendant  :

La mare

Etang de Montgeron  Claude Monet


"Il faisait si chaud dans le silence et dans l’après midi,
dans la torpeur.
Il se dénudait entièrement,
il se glissait
dans l’eau opaque de la mare.

Il y est bien, c’est tiède. Il pose la tête blanche sur la mousse.
Il y a quelque chose de plus ancien que soi dans cet étang,

 cette petite roselière, 

ce bruant qui en assure la garde, ces menthes,
ces mûres noires,
quelque chose de calme, de liquide, de doux,
quelque chose de mort un peu peut-être, ici,
en tout cas quelque chose qui n’est pas très vivant, qui n’est pas très bruyant,
qui n’est pas froid, - un peu tiède,
quelque chose dont la morphologie est plus
 proche des oiseaux que celles des hommes,
quelque chose qui chante à peine,
dans le bec,
qui glisse entre les ondes
qui suit un si petit sillage,
qui court comme une minuscule araignée sur
la surface de l’eau de l’onde que ses pieds ne pénètrent pas,
qui cherche sa part de pollen tombé de la lumière que le ciel répand.

Pour le ciel,
pour le jadis qui est dans le ciel,
comme pour les amoureux qui entrent dans
la chambre sombre en se tenant par la main,
 leur corps tremblant déjà de la nudité
qui se fait plus proche,

  le nombre deux n’existe pas."

 

Dans ce jardin qu’on aimait, mise en scène par Marie Vialle au festival d'Avignon 2022


En adaptant le récit de Pascal Quignard, Dans ce jardin qu’on aimait, la metteuse en scène et comédienne Marie Vialle nous fait entrer dans un univers sonore où la solitude devient une écoute absolue du monde, et le souvenir d’un être aimé la manifestation d’une cruauté inattendue. Inspiré de la vie du compositeur américain Simon Pease Cheney, interprété par Yann Boudaud, ce spectacle déploie un espace épuré où les chants d’oiseaux éveillent à la conscience d’un monde infini. Pour cette cinquième collaboration avec Pascal Quignard, Marie Vialle déroule le fil, d’hier à aujourd’hui, d’un récit émouvant, qui fait entendre la beauté d’une langue littéraire à travers les portraits d’êtres solitaires dévoués à la création.  Programmation festival avignon 2022 ICI