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lundi 13 octobre 2008

Laurent Cantet : Entre les murs (1)


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Si j'en juge par les réactions autour de moi à propos de "Entre les murs" le film ne fait pas l'unanimité chez les enseignants.
C'est que ce film a un drôle de statut. Il se présente comme un documentaire et comme tel entraîne la question légitime de son rapport avec le réel. Selon l'angle pris par le réalisateur, le choix des images et du montage, il n'y a jamais, en effet, une réalité mais plusieurs et encore ne peut-elle être objective.
Ici, la question se complique du fait que le film est en fait une fiction puisqu'il est l'adaption du livre de François Bégaudeau qui y consigne sa propre expérience, il est aussi le résultat d'une improvisation théâtrale menée par les élèves qui sont ici des acteurs de même que les parents, les professeurs, l'administration. L'ambiguité du film se renforce encore du fait que si tous sont acteurs, tous interprètent pourtant leur propre rôle, ils sont dans la vie réelle élèves, parents,  professeurs. Si bien que l'on ne sait plus où s'arrête la fiction, où est la réalité et les deux sont tellement bien  imbriquées l'une dans l'autre que bien souvent, le spectateur surtout s'il est professeur, réagit épidermiquement comme s'il se trouvait devant une réalité incontestable. Et selon, sa propre expérience, sa propre conception de l'enseignement, la vision qu'on lui renvoie de son métier le fâche, l'irrite, le décourage...
J'ai rarement entendu des enseignants satisfaits du film même s'il y en a, je pense. Et le spectateur-enseignant a raison de réagir ainsi car même s'il s'agit d'une fiction, le regard qui est porté est le reflet d'une réalité et celle-ci n'est pas obligatoirement positive. En même temps il a tort parce qu'il ne devrait pas perdre de vue  que si, dans la fiction le professeur est en échec, dans "la réalité" ces élèves ont  été valorisés par leur expérience, sont allés jusqu'au bout du tournage, ont fait preuve de persévérance et de talent et ont remporté la palme d'or, ce qui n'est pas rien, tout de même!
J'ai lu dans le Télérama du 11 au 17 Octobre le témoignage d'une lectrice. Je la cite :
"Les deux films Entre les Murs et La Belle Personne même si l'un se passe en ZEP et l'autre dans les beaux quartiers, exposent et transmettent la même pensée aujourd'hui couramment répandue : les profs sont des gens minables, un peu débiles (mais tourmentés), en pleine dépression et crise de vocation. Ils font face à des élèves toniques, rigolos ou charmants, à l'égo surdimensionné, qui sont là non pas pour apprendre ou échanger, mais bien évidemment pour mater ou séduire les dits profs, c'est-à-dire les écraser de leur supériorité évidente. Qui peut encore parler de transmission de savoir? Personne n'en a envie. L'inversion des valeurs, c'est très tendance."
On peut se demander pourquoi cette image renvoyée par le film est si négative. J'ai quelques éléments de réponse même si certainement il y a d'autres explications. L'enseignement est ici présenté comme un rapport de force, une sorte de joute verbale où l'on ne sait qui de l'enseignant et de l'élève aura le dessus; l'étude des textes en français n'est pas d'un niveau de quatrième (un échec donc!) puisque il faut expliquer le vocabulaire de base comme s'il s'agissait d'un cours pour étranger (ce qui est le cas de certains de ces élèves mais pas de la majorité qui est française et est passée par l'école primaire, un  autre échec encore!), le "prof" paraît souvent laxiste envers les élèves, démagogique (en conseil de classe), il fait des erreurs et dérape lui aussi au niveau du langage ce qui le dégrade par rapport aux élèves...
Pourtant on pourrait avoir aussi un autre point de vue : L'enseignant est courageux, patient, habile : il essaie de tirer le maximum des enfants dont il a la charge, il continue sans désespérer à enseigner sa matière malgré les difficultés, il ne  cède pas sur les questions qu'il juge importantes par exemple sur la politesse des garçons envers les filles, sur l'homophobie (même s'il cède sur d'autres), il s'efforce de s'intéresser à ses élèves en tant qu'êtres humains, bref,  il ne cesse pas d'exercer avec foi un métier où le plaisir d'enseigner n'est pas toujours présent!
Le film suscite encore d'autres réflexions. Après l'avoir vu on peut se demander si l'on pourra jamais résoudre le problème de fracture entre les classes privilégiés et celles qui ne le sont pas. Comment lutter contre l'échec scolaire quand il y a un tel retard par rapport à la langue, à la culture, malgré l'intelligence évidente de ces enfants? L'école ne pourra jamais remplacer la famille, alors que faire si les parents ne parlent pas le français, s'ils ne comprennent pas l'importance de l'école, s'ils n'apprennent pas à leurs enfants les bases élémentaires de la politesse pour vivre en société? Comment faire aussi si les enfants eux-mêmes qui auraient besoin de travailler plus pour rattraper leur retard, perdent du temps à chaque début d'heure ou pour des problèmes de discipline. Bref! les questions que pose ce film sont nombreuses, importantes et essentielles  : l'enseignement est l'avenir de notre pays et, dans un pays idéal, l'école devrait permettre de corriger les inégalités sociales, ce en quoi elle échoue trop souvent..
Quand le film de Nicolas Philibert Etre et Avoir est sorti sur les écrans il a obtenu l'unanimité. Il reflétait une réalité satisfaisante pour chacun de nous, professeurs ou parents :  un enseignant parfait face à des petits élèves qui étaient tous adorables et attachants même si certains avaient quelques difficultés scolaires. De quoi satisfaire l'ego des profs et rassurer les parents. Ce n'est évidemment pas le cas de Entre les Murs

dimanche 12 octobre 2008

Amy M. Homes : Ce livre va vous sauver la vie

 


Bien sûr, les critères absolus pour choisir un roman sont le nom de l'auteur ou encore le sujet. C'est vrai! Je vous l'accorde mais si je veux découvrir de nouveaux écrivains, explorer de nouveaux Horizons? Alors d'autres critères guident mon choix. Par exemple, il peut y avoir l'agrément du livre en tant qu'objet, l'illustration de  sa première de couverture, sa forme, sa couleur... Peut intervenir aussi la taille du volume, ou comment dirais-je?... son poids! Certes, je peux apprécier les nouvelles et les romans maigrichons mais je n'ai jamais autant de joie que lorsque je serre entre mes mains un bon gros livre, épais et pansu, et que j'anticipe les heures de plaisir que je vais passer en sa compagnie.
Et puis, je n'ai jamais pu résister à l'attrait d'un beau titre, poétique, amusant, mystérieux, peu importe mais qui parle à l'imagination...  Par exemple, Ce livre va vous sauver la vie : comment dire non à un  titre pareil? Ce serait vraiment dommage de passer à côté, vous ne pensez pas?
Pour Richard Novak, le héros de ce livre, il était temps, en effet, que son auteur Amy M. Homes  lui sauve la vie! Retiré des affaires, très riche, il n'a même plus besoin de sortir de chez lui. Pour quoi faire?  Il gère sa fortune depuis son écran d'ordinateur, reçoit la visite de sa masseuse et de sa diéticienne à domicile, fait son footing sur un home-trainer, vit dans une luxueuse villa sur les hauteurs de Los Angles, aseptisée par les soins d'une femme de ménage qui le décharge de tous soucis. La vie de château, diriez-vous? Et bien non! Divorcé d'une femme qu'il aime toujours, coupé de son fils qu'il connaît à peine et qui lui en veut d'être un père absent,  n'ayant pas le courage d'entretenir des relations avec ses parents, son frère, ses voisins, Richard Novak  est  un mort-vivant.. même s'il l'ignore. Alors voilà que notre auteur  pour lui apprendre à vivre lui concocte une avalanche de catastrophes, je ne vous dis que ça! Catastrophes qui déclenchent des réactions en série! Et voilà que notre mort-vivant sort de chez lui et rencontre en quelques jours plus de personnes qu'il n'en a vues pendant des années, et le voilà à la tête de nombreux amis, enfin son fils et son neveu viennent le voir. Et comme l'argent ne fait pas le bonheur mais que, sans argent, pas de bonheur, il va pouvoir dépenser son magot au lieu de dormir dessus et cela, pour la bonne cause, pour sauver la veuve et l'orphelin comme on dit, même si la veuve en l'occurence est pourvue d'un mari macho et l'orphelin d'un père qui n'avait jamais su lui exprimer son amour!
Quant à moi, s'il ne m'a pas sauvé la vie, ce roman, il m'a rappelé quelque chose que je savais déjà : on a besoin des autres, d'amitié et d'amour, pour exister!

mercredi 8 octobre 2008

De Amy Homes à Duong Thu Huong et Chachdortt Djavann


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Les trois derniers romans que je viens de lire en ce début du mois d'octobre ont un point commun qui paraît évident de prime abord : ils sont écrits par des femmes. Ne voyez là aucun sexisme à l'envers, c'est un pur hasard. D'ailleurs je croyais vraiment que A.M. Homes était un homme (A pour Andrew par exemple...) et bien non! Il s'agit d'Amy Homes. Elle est américaine et a écrit Ce livre va vous sauver la vie  dont le principal personnage est un homme et dont l'action se déroule à Los Angeles, à notre époque. Ensuite, j'ai réalisé un bond formidable dans l'espace et dans le temps et me voici au Vietnam dans le hameau de la Montagne après la guerre avec les Américains. L'auteur Duong Thu Huon est une femme courageuse qui a payé très cher son opposition au parti communiste vietnamien et son soutien à la démocratie. Elle est aussi un grand écrivain comme nous le prouve son roman Terre des oublis. Enfin le livre de Chahdortt Djavann m'a amenée, via Paris, en Iran, dans le pays des mollahs où les femmes subissent un esclavage quotidien. L'héroïne, Roxane, soeur de la Roxane créée par Charles de Montesquieu, fuit son pays et s'installe dans notre capitale comme l'a fait Chahdortt Djavann elle-même. Le titre du roman Comment peut-on être français? est une allusion malicieuse aux Lettres persanes de Montesquieu et nous renvoie  avec ironie à la question : Comment peut-on être persan?
Un grand écart, donc, entre chacun de ces livres?  Oui... bien sûr
Et d'abord dans le style : prenez Amy Homes,par exemple, elle écrit comme le font beaucoup d'écrivains américains contemporains dans une prose dépouillée, presque sans description et où le dialogue est prééminent. Par moment il remplace le récit et ressemble à une pièce de théâtre dont on aurait simplement renforcé les didascalies. C'est un style efficace qui "montre" les personnages en action et en paroles comme au cinéma. Nous ne sommes pas à Hollywood pour rien! Aux antipodes, le style de Duong Thu Huong, descriptif, ample et lyrique où apparaît la beauté et la dureté de la terre vietnamienne.
Différence aussi dans les sociétés dépeintes : la richesse et le matérialisme des américains qui vivent dans de somptueuses maisons et ne se déplacent qu'en voiture forment un contraste frappant avec la misère des paysans vietnamiens... La démocratie américaine ou française avec toutes ses faiblesses est en balance aussi avec le totalitarisme religieux ou politique des deux autres pays.
Oui, disais-je et Non..  Car en dépit des apparences il y a des points communs entre ces trois écrivains, ressemblances qui tiennent à l'intérêt qu'elles portent aux êtres humains et à l'analyse de la société de leur pays respectif.
Bien sûr, chacune s'intéresse à la condition de la femme opprimée, étouffée par la société, par des lois  répressives, par des maris tout puissants, par leur éducation.  Cynthia, la femme au foyer que rencontre Richard Novak, le héros de Ce Livre va vous sauver la vie pleure sur des salades au supermarché. Elle ne peut plus supporter d'être traitée en esclave par ses enfants et son mari qui ne s'intéressent pas à elle et tiennent pour acquis son dévouement. Mais elle pourra se libérer contrairement à Roxane et ses amies humiliées, battues et violées par un pouvoir masculin qui prive la femme de toute liberté. Mien, la jeune vietnamienne subit une humiliation continue dans son corps et dans son âme parce qu'elle n'a pas le courage de résister à la pression sociale, à la peur,  tout comme Duong Thu Huong, elle aussi, fut obligée par la menace de se marier avec un homme brutal. Cependant ce ne sont pas les femmes seulement qui intéressent ces romancières. Hoan, le deuxième mari de Mien est un homme bon, attentionné, qui lui aussi sera entraînée dans la tourmente. Bon, son premier mari,  a un destin tragique. Richard Novak est un homme qui ne sait plus être vivant dans une société trop matérialiste où le luxe et le confort ne remplacent pas l'amour et l'amitié. Les hommes iraniens dit Roxane peuvent être aussi des victimes. Les trois écrivains montrent la difficulté de vivre dans des contextes entièrement différents et plus ou moins violents. Elles se penchent avec tendresse sur les personnages qu'elles ont créés et qui leur ressemblent  un peu.. ou beaucoup  et à nous aussi, bien sûr, car, selon l'expression de Montaigne : "chaque homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition".

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         Terre des oublis : Le récit
Mien, jeune femme remariée à Hoan, mère d'un petit garçon, voit revenir son premier mari, Bon, qu'elle avait épousé quatorze ans auparavant. Il avait été déclaré mort à la guerre. Bon réclame sa femme et Mien sous la pression de la communauté, poussée par des sentiments complexes, la peur d'être mise au ban de la société, le sens du devoir, la compassion, accepte de reprendre la vie commune alors qu'elle aime Hoan. Elle doit tout quitter pour cela, son mari, son enfant qu'elle ne voit plus que dans la journée, le confort et l'aisance matérielle pour vivre misérablement, une vie sans amour où elle doit subir les assauts sexuels d'un homme qui n'est plus rien pour elle et qui la dégoûte.. La répulsion qu'elle a pour son ancien mari ne va pas cesser de s'accroître....

Automne : et que j’aime ô saison… Keats/Apollinaire/ Hugo/ Suketaka/ Shiki/ Prévert

Ce premier week end d'Octobre, j'étais là!



et là!


                                              Season of mists and mellow fruitfulness   Keats
    

 L'été a du mal à mourir. Pourtant, la Lozère commence à sentir l'automne avec ses lumières changeantes, ses arbres qui se couvrent peu à peu d'or et de rouille. Les feuilles du prunier et de l'osier tombent dans la mare du jardin. Le soir, le froid engourdit les doigts et le ciel a des couleurs d'orage. Alors, je suis partie sur les chemins des poètes :

Et que j'aime ô Saison ...

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs   
Les fruits tombant sans qu'on les cueille   
Le vent et la forêt qui pleurent  
 Toutes les larmes en automne feuille à feuille  
                  Les feuilles  Qu'on foule                  
Un train 
                  qui roule                 
                            La vie                                                                        
                             S'écoule.                                     

                            Guillaume Apollinaire


 

L'aube est moins claire, l'air moins chaud, le ciel moins pur.

Le soir brumeux ternit les astres de l'azur.

                                                                                                            Victor Hugo




Sur une branche morte

Sur une branche morte

Un corbeau s'est posé


Soir d'automne.     

                   Matsuo  Bashô


  Il pleut des feuilles jaunes

            Il pleut des feuilles jaunes
Il pleut des feuilles rouges
L'été va s'endormir
Et l'hiver va venir
Sur la pointe de ses souliers gelés.

Un oiseau chanta -

tomba au sol
une baie rouge
                     

 


Est-ce la pluie Que j'entends?

Est-ce la pluie Que j'entends? Ce sont les feuilles

   Qui tombent.

Comme s'il pleuvait


mes manches sont mouillées de larmes.            


  Fujiwara no Suketaka



Un oiseau chanta -
tomba au sol
une baie rouge


Shiki
                                                                                  
                    
Car chaque fois les feuilles mortes

Car chaque fois les feuilles mortes

Te rappellent à mon souvenir


Jour après jour les amours mortes


N’en finissent pas de mourir

   
             Jacques Prévert

 

                                                                  

jeudi 2 octobre 2008

Le Retour de Anna Enquist


Le Retour est un roman sur le capitaine Cook, le célèbre navigateur, découvreur de Mondes et cartographe du XVIIIème siècle. Il présente l’originalité de ne pas avoir le héros pour personnage principal. En fait, James Cook nous apparaît à travers le regard de sa femme, Elizabeth. Et comme celle-ci le connaît mal car, entre deux voyages, elle a vécu peu de temps avec lui, il reste pour elle et pour le lecteur une énigme qu’elle s’efforce de déchiffer. En 1755, James Cook rentre d’un voyage (c’est le second) qui a duré trois ans. Elizabeth espère que ce sera un retour définitif et que son mari ne reprendra pas la mer.
L’image qu’elle a de lui correspond-elle à la vérité du personnage? La vie quotidienne à ses côtés lui révèle des pans inconnus de la personnalité de son mari, son manque de confiance en lui lié à ses origines modestes, son humilité envers les grands qui va jusqu’à l’obséquiosité, son désir insatiable d’être reconnu et d’obtenir des honneurs, mais aussi son amour de la mer, de la découverte, sa soif de connaissances, sa tolérance envers les moeurs des indigènes qu’il découvre, sa compétence en tant que capitaine et savant, et puis, sous l’urbanité et la courtoisie du personnage, un caractère parfois emporté et violent qui peut se manifester à l’encontre de ses subordonnés. Les journaux de Cook qui relatent ses voyages, ses lettres, et de mystérieux documents qui lui parviennent après la mort violente de son mari à Hawaii, complètent le portrait dont les manques sont comblés par l’imagination de la romancière néerlandaise Anna Enquist.
On l’aura compris il ne s’agit pas d’un roman d’aventures, nous ne partagerons pas la vie des marins, les dangers du voyage, la peur des tempêtes, l'exaltation de la découverte avec James Cook. Le roman vaut par l’analyse psychologique non seulement du navigateur mais aussi de sa femme, Elizabeth. Il parle de la difficulté de connaître autrui même lorsqu’il s’agit d’êtres proches de nous. Il parle de tristesse, d’attente, d’ennui, de désirs refoulés.
Lecteurs, nous sommes dans la situation de l’épouse, cloués à terre, condamnés à vivre en imagination l’aventure du mari ou par de courtes lettres parfois décevantes. Nous sommes voués au soin du ménage et des enfants, à la solitude, à la patience, à l’obéissance aussi. C’est assez frustrant!! Nous subissons les chagrins de cette femme, nous vivons les périodes de résignation qui succèdent à de rares moments de révolte. Rien de plus radical pour nous faire comprendre la condition féminine et pas seulement à cette époque. Trop de femmes subissent encore ces contraintes de nos jours. Ainsi naît un beau portrait de femme digne, intelligente (c’est elle qui corrige les manuscrits de son mari et lui donne des conseils),  courageuse mais qui n’a pas d’autre choix que l’acceptation. Ainsi, elle n’a aucun pouvoir de décision quant à l’avenir de ses fils. Elle vit dans l’ombre de son grand homme et affronte les naissances et les morts de ses enfants toute seule, sans l’appui et le réconfort de son mari. Il est vrai que Elizabeth Cook - qui a vécu jusqu’à l’âge avancé de 94 ans -  n’a pas été épargnée : Elle perd deux fils en bas-âge Joseph et Georges, puis  Elly, une fillette de six ans meurt, écrasée par une calèche en 1771. Après l’assassinat de son mari en 1779, par les indigènes d’Hawaii, c’est le tour de Nathaniel en 1780 qui périt dans une tempête, puis de James, son fils aîné en 1794.
C'est le thème de la condition de la femme qui m'a le plus touchée dans ce roman. C’est ce que j’ai ressenti avec le plus d'acuité. Malgré mes efforts, je ne me dépars pas toujours de ma mentalité d'ex-lectrice de Simone et beauvoiriste de longue date. Peut-être, ma présentation du livre peut-elle donner l’impression qu’il s’agit d’un roman polémique, engagé et démonstratif. Il n’en est rien. La tonalité est nostalgique, tout en demi-teinte comme cette vie étouffée, mise entre parenthèses, et, s’il est féministe,  c’est seulement parce qu’il dresse le portrait d’une femme qui pourrait être universel.

mercredi 24 septembre 2008

Le Baiser de Caïn de John Connolly

John Connolly (à ne pas confondre avec Connelly!) est un auteur irlandais reconnu comme l'un des maîtres du roman noir... à l'américaine.

Ma foi, le sujet m'avait attirée ainsi libellée sur la quatrième de couverture : "Quand Charlie Parker reçoit un appel au secours de l'avocat Elliot Norton, avec qui il travaillait lorsqu'il faisait partie de la police de New York, il hésite à descendre en Caroline du Sud pour l'aider dans une affaire qui s'annonce difficile : Artys Jones, le client de Norton, un noir de dix-neuf ans, est accusé du meurtre de Marianne Larousse, une jeune femme blanche, fille de l'une des plus grosses fortunes de l'Etat, descendants d'anciens propriétaires esclavagistes..
Quoi! A l'époque où les américains se préparent -peut-être- à élire un président noir, on peut encore écrire sur un sujet pareil tout droit sorti d'un  roman de Caldwell ou d'un livre d'anthologie comme " Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur!"? Et bien oui! Le livre est un moyen de découvrir l'activisme des milieux néo-nazis, racistes, porteurs d'armes, Skinheads, membres du Klan et "divers petits nazillons": "Le mouvement raciste militant n'a jamais été particulièrement important en nombre, écrit John Connolly. Son noyau dur compte probablement vingt-cinq mille  membres au maximum auquel il faut ajouter cent cinquante mille sympathisants actifs, et peut-être quatre cent mille sympathisants "du bord de route "qui ne donnent ni leur argent,  ni leur temps mais vous parleront de la menace que les gens de couleur et les juifs constituent pour la race blanche... " Pas beaucoup? peut-être! à l'échelle des Etats-Unis mais assez pour justifier le sujet du livre, le baiser de Caïn.
Le récit contemporain qui raconte l'histoire de Artys Jones et Marianne Larousse est mis en correspondance avec le passé montrant les liens qui unissent la famille Jones à celle des Larousse, dont la première a été au cours des siècles, esclave et victime de l'autre. Ce roman pourrait donc être intéressant. Seulement voilà, l'auteur cède à la mode actuelle qui veut que l'on ne puisse se passer de psychopathes, de viols, de violences, de perversité  etc... Or des psychopathes dans cette histoire, il en pleut, on pourrait les ramasser à la pelle comme les feuilles mortes et l'auteur surenchérit sur Sade d'une telle manière que celui-ci apparaît comme une petit plaisantin inoffensif à côté des Kittim, Faulkner, Cyrus, Tereus, personnages du roman. Il faut y ajouter, encore pour faire bon poids, bonne mesure, une bande de violeurs pas piqués des vers, sans compter "les gentils", Louis, Angel, Charlie Parker, qui sont plutôt patibulaires et  à qui il vaut mieux ne pas marcher sur les pieds! Enfin, si ce n'est pas assez, l'auteur est toujours prêt à en rajouter une couche!
Et c'est bien dommage car il y a parfois dans ce roman, des pages qui ont une telle force, que l'on ne peut s'empêcher de se dire que John Connoly a un réel talent.

dimanche 21 septembre 2008

Cherry Blossoms de Doris Dörrie

 

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Cherry Bossoms est un film allemand de Doris Dörrie...

Il raconte l'histoire d'un homme qui après la mort de sa femme  prend conscience qu'il n'a pas su la connaître vraiment et qu'il l'a étouffée par son égoïsme, par son impossibilité de donner vie aux rêves, à l'imagination. Or le rêve de la vieille dame, c'est le Japon avec ses cerisiers en fleurs, le Mont Fuji et la danse Buto. Une image cliché du Japon, certes, mais qu'elle n'a pas  pu confronter à la réalité. Le vieil homme part donc au Japon pour réaliser le rêve de sa femme et la retrouver par delà la mort. Il est aidé dans sa quête par une jeune japonaise, danseuse de buto, avec qui il part à la recherche des ombres. Une initiation qui donne lieu à de belles scènes imprégnées d'une poésie certaine.
Voilà le résumé un peu simpliste du film qui part aussi dans d'autres directions et traite non seulement de la vieillesse, de la mort, de l'incompréhension des êtres proches, de l'indifférence dans les rapports humains, de la solitude, des rapports enfants-parents, frères-soeurs,  mais aussi de l'opposition entre le Japon moderne et le japon traditionnel ...
Trop de choses à dire, ce qui alourdit le film, crée des longueurs, le dépouille d'une ligne mélodique pourtant belle au départ.
La mise en scène est  trop appuyée et pleine de répétitions : on voit plusieurs fois la photo de Karl sur la table de chevet qui prouve que sa mère le préférait aux autres, on entend plusieurs fois les conversations entre les enfants pour nous expliquer leurs griefs et leur indifférence. C'est comme si le réalisateur ne faisait pas confiance aux spectateurs et de peur qu'ils ne comprennent pas, en remettait une couche!
Et cela aboutit aussi, cette envie de tout dire, à des scènes qui ne tiennent pas psychologiquement. Pour nous montrer le Japon moderne et déshumanisé, le vieil homme assiste à des spectacles de streap tease, se retrouve avec deux prostituées etc..  Scènes gratuites! On prend bien soin de nous montrer que cela ne l'intéresse pas mais sa présence même dans de tels lieux n'est pas conforme à ce que nous savons de lui. Le pire,  quand le dénouement est consommé, c'est que le metteur en scène se croit encore obligé de nous montrer les coutumes funéraires du Japon, de revenir sur une conversation des enfants, et surtout de donner de l'argent en héritage à la danseuse de buto, ce qui détruit toute spiritualité et toute poésie. Des erreurs pareilles sont difficiles à accepter, d'autant plus que j'étais prête à aimer ce film.
Ah! que j'aurais aimé voir ce sujet traité par Kim Ki Duk, un de mes metteurs en scène préférés, avec son économie de mots et la beauté de l'image qui parle et envahit tous nos sentiments.


jeudi 18 septembre 2008

Utopia, Jar city : Kormakur/Indridason


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 Je suis allée voir à Utopia, le cinéma d'art et d'essai d'Avignon, le film islandais Jar City du réalisateur Baltazar Kormakur.
La Cité des jarres, pour moi, c'est d'abord le roman d'Arnaldur Indridason, auteur  plusieurs romans,  La femme en vert (mon préféré peut-être), La Voix et de L'homme du lac.

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J'étais donc curieuse de voir comment l'univers sombre de Indridason, son pays crépusculaire et son personnage Erlendur seraient portés à l'écran. Erlendur vient rejoindre la famille littéraire des policiers désabusés, solitaires, pessismistes, que leur métier a habitué à ne voir que le côté négatif de l'espèce humaine. Frère du Wallander de Henning Mankell, proche aussi de l'Adamsberg de Fred Vargas, il porte en lui une blessure secrète qui se révèlera peu à peu (mais pas encore dans La Cité des jarres) et qui le pousse à s'intéresser aux personnes disparus. Divorcé, il a, comme Wallander, de graves problèmes avec sa fille Eva Lind dont il n'a pas su s'occuper lorsqu'elle était enfant  et qui se drogue. C'est aussi quelqu'un qui ne sait pas parler de ses sentiments, qui est retranché dans une carapace de silence qui le fait paraître indifférent alors qu'il est plein de souffrance et d'humanité.
J'aime bien le personnage d'Erlendur et son incarnation à l'écran m'a d'abord surprise. Je l'imaginais avec un physique moins dur, plus doux, plus vulnérable.

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Il apparaît tout d'abord comme un vieux bougon pas très commode et plutôt dictatorial envers son coéquipier. Cette dernière caractéristique apporte d'ailleurs une note d'humour bienvenue dans une histoire très noire. L'acteur est excellent et sait faire apparaître la fêlure du personnage, son incapacité à exprimer ses sentiments et ses rapports tourmentés avec sa fille. Les autres personnage sont aussi bien interprétés.


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Sigurdur Oli, Elinborg et  Erlendur

Le metteur en scène qui est aussi le co-auteur du scénario avec Indridason lui-même a bien su rendre l'atmosphère tragique et pesante du roman et ce que j'ai beaucoup aimé dans le film c'est la part qui est donné aux paysages islandais. L'île est un personnage à part entière car elle reflète le caractère des gens qui y vivent. Elle est filmée dans toute sa sauvage et austère beauté, avec de longues lignes droites, la platitude de ses landes jaunâtres aux herbes brûlées qui bordent une côte où s'agite la masse d'eau sombre de l'océan. L'habitat, disséminé le long de la grande route empruntée par les policiers de Reykjavik à Keflavik, corrobore cette impression de solitude. La grisaille, la neige fondue, la brume enveloppent le paysage qui n'est pourtant pas encore hivernal mais annonce la mort. Les villes avec les immeubles sombres, où la  silhouette du héros apparaît, isolée sur un balcon, dans la nuit, sont d'une tristesse infinie. Parfois la caméra aérienne fait un long travelling, au ras du sol, des terres brunes et noires, en gros plan, et l'on ne sait plus ce que l'on regarde : une sorte d'abstraction du pays islandais, semblable à la mort et à l'image du scénario. Ce que j'ai bien aimé quand Kormakur filme ces  images c'est que même si elles sont belles, elles ne sont pas esthétisantes mais toujours justifiées revenant comme un leit-motiv pendant le déroulement de l'action.

mardi 16 septembre 2008

Les cochons au paradis de Barbara Kingsolver





J'ai lu Les cochons au paradis dans la foulée, après avoir fini l'Arbre aux haricots, dont il est, en fait, la suite. Turtle a six ans; elle vit avec Taylor et Jaz, musicien de rock, très amoureux de Taylor. Mais elle passe à la télévision pour avoir sauvé un jeune homme, simple d'esprit, tombé dans le déversoir d'un barrage. Annawake, une avocate cherokee, la voit, apprend qu'elle a été adoptée illégalement par sa mère et décide de la rendre à sa tribu. Taylor s'enfuit avec sa fille qu'elle a peur de perdre. C'est sa mère, Alice, qui va rencontrer la nation cherokee pour négocier avec elle, prétexte à l'auteur pour nous présenter la réserve, les coutumes et la mentalité des indiens.
Ecrit en 1993, cinq ans après l'autre, le roman exploite des thèmes  toujours aussi généreux : dénonciation du racisme, défense des droits des indiens, procès de la misère non seulement des indiens mais aussi des travailleurs issus de classes  sociales modestes. Ainsi Taylor n'arrive pas à gagner sa vie pour élever sa fille quand elle est seule. Thème aussi de la solidarité (très forte chez les indiens) qui est le seul moyen de survivre dans un pays qui pratique le "Aide-toi le ciel t'aidera "et n'a que mépris pour ceux qui ne réussissent pas.
Mais il me paraît pourtant moins réussi que le premier. Je n'ai retrouvé qu'à certains moments la veine qui parcourt L'arbre aux haricots. Certes, il y encore quelques dialogues savoureux qui révèlent des personnages chaleureux comme celui d'Alice et de Jazz au téléphone. De temps en temps l'humour est là comme dans la scène avec l'abricotier lorsque Taylor s'efforce de chasser les oiseaux qui mangent les fruits ou lorsque tous se disputent à propos de l'organisation de la fête du mariage alors que la principale intéressée n'a pas encore dit oui... Le roman m'a fait parfois l'effet d'être un peu démonstratif et le happy end me paraît un peu trop conte de fées dans un pays qui ne s'y prête pas. Le personnage d'Annawake est conventionnel, il n'a pas la vie, la chaleur des autres et Turtle et Taylor sont moins présentes. Je n'aime pas non plus, mais là, c'est un goût personnel, l'emploi du présent de narration qui me fait l'effet d'une coquetterie stylistique. Bref, un bémol très net par rapport à L'arbre aux haricots.

lundi 15 septembre 2008

Un barrage contre le pacifique de Rithy Panh/Duras

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Il y a bien longtemps que je n'ai pas relu le livre de Marguerite Duras dont Un barrage contre le Pacifique, film franco-cambodgien, de Rithy Panh est l'adaptation. Aussi je m'étais promis de voir le film sans chercher à y retrouver à tout prix le roman. D'ailleurs, je reste persuadée que les meilleures adaptations au cinéma sont celles de réalisateurs qui, ayant compris le sens profond du livre, savent s'en éloigner pour laisser libre cours à leur propre création. Ainsi la meilleure adaptation de Madame Bovary est celle de Manoel de Olivera : Val d'Abraham qui est en fait une transposition, au Portugal, dans les années 60, du personnage d'Emma, et non celle de Vincente Minelli qui cherche à "réhabiliter" la malheureuse Emma en la transformant en héroïne romantique. Et encore moins celle de Claude Chabrol qui est pourtant une lecture (trop) fidèle et plate du roman de Flaubert!

Mais  je m'égare. Retournons à Marguerite Duras. J'étais donc prête à ne pas chercher à retrouver les détails du roman mais je pensais y rencontrer  au moins les deux personnages principaux : La femme, qui a la grandeur de Sisyphe, courageuse jusqu'à l'absurdité, admirable dans le combat inégal qu'elle mène et ...  L'Océan, à l'égal d'un Dieu, soulignant la démesure de l'héroïne. Or, de ces deux personnages, l'océan est pratiquement absent, ridicule quand il apparaît (sauf dans la scène où on l'entend sans le voir, ce qui lui donne enfin une présence!) et la femme  est vue par le petit bout de la lorgnette, mesquine dans ses petits tracas, interprétée par Isabelle Hupert  toujours froide et distante, presque à la limite du faux, quel que soit le rôle qu'elle incarne, incapable de passion et de démesure. Finalement,  ce n'est pas elle le personnage clef de l'action mais la fille Suzanne et  ses relations troubles avec le chinois qui préfigure l'Amant. Bref! Il semble que le sujet  réel du roman ait peu intéressé Rithy Panh. Et c'est bien dommage!
Quel est alors l'intérêt du film?  La beauté des acteurs incarnant José (peu convaincant pourtant, trop lisse) et Suzanne. La vision du peuple, serviteurs et paysans, accablés par le colonialisme, ceci traité d'une manière anecdotique. La beauté des paysages  et des images et, certes, à ce niveau, le film est irréprochable.  Mais aucune émotion envers ces personnages dont on suit les tribulations, à distance, d'où un certain ennui!

samedi 13 septembre 2008

L’arbre aux haricots de Barbara Kingsolver






Dès qu'on ouvre les premières pages de L'arbre aux Haricots on sent que l'on est en bonne compagnie, celle d'un écrivain qui a des choses à dire et qui les dit dans un style personnel avec des images vigoureuses et poétiques à la fois, de l'humour et de la conviction. C'est pourquoi j'ai été tout de suite accrochée par le roman.
Les thèmes abordés par l'auteur sont passionnants. Il y tout d'abord  celui de l'amour maternel entre Taylor et sa mère Alice (une femme d'une grande force morale), celui que Taylor va nouer peu à peu avec Turtle, la petite fille cherokee dont elle "hérite" bien malgré elle...
L'amitié aussi est importante et Barbara Kingsolver brosse des portraits de femmes passionnants avec leur beauté, leur faiblesse aussi. Je pense à Mattie, extraordinaire dans sa compréhension des autres et dans sa lutte pour venir en aide aux réfugiés clandestins. Lou Ann, si fragile, bousillée par une mère et une grand mère destructrices... L'auteur a une manière convaincante et chaleureuse de faire vivre tous ces personnages, de nous les faire aimer; un talent aussi pour décrire l'enfance. Turtle est un personnage attachant qui est mis en scène sans mièvrerie et avec beaucoup de tendresse..
La société américaine est présentée aussi dans ce roman avec son indifférence voire son mépris pour les pauvres, les indiens (ici les Cherokee), les réfugiés politiques  que l'on renvoie chez eux bien qu'ils soient condamnées le plus souvent à une mort certaine (beaux personnages de Estevan et Esperanza, guatémaltèques exilés, cachés par Mattie), bref, une société qui rejette tous les déshérités de ce monde.
Un très beau roman donc qui n'est pas sans me rappeler le Steinbeck de Tendre Jeudi par la tendresse et l'humanité qui émanent des personnages de classe modeste, bien souvent des exclus de la "bonne"société.
Résumé du roman :  Taylor Greer n'a qu'une idée, quitter le Kentucky au volant de sa vieille voiture délabrée, car elle ne veut pas subir le sort de toutes des filles du pays  sans travail, sans avenir, qui tombent enceintes et se marient avant même d'avoir commencé à vivre. Mais dans le désert de l'Oklahoma  à la sortie d'un bar, une femme lui "donne" une enfant, petite indienne cherokee. La voilà mère malgré elle. Elle va s'attacher à la fillette qui a subi des violences et qui s'accroche à elle comme une tortue à sa proie. D'où le nom que lui donne Taylor : Turtle. Taylor et Turtle vont s'installer dans  l'Arizona, à Tucson . Là, Taylor grâce à ces nouvelles amies, Mattie et Lou Ann, va se mettre au travail et tisser avec la petite fille des liens très forts.

Barbara Kingsolver

mercredi 10 septembre 2008

La Rivière et son secret Zhu Xiao-Mei




La Rivière et son secret, tel est le titre de l'autobiographie de Zhu Xiao-Mei, pianiste réputée, notamment pour son interprétation des variations Golberg de Bach, installée à présent à Paris et professeur au conservatoire. Elle y raconte sa jeunesse dans la chine communiste de Mao Ze Dong au moment de la révolution culturelle. Issue d'une famille aisée, elle est classée dans la catégorie des "Chuschen Buhao", "êtres de mauvaise origine" et est envoyée dans des camps de rééducation.
Le récit est passionnant à lire d'abord parce qu'il nous renseigne d'un point de vue historique et documentaire sur cette époque sinistre de la révolution culturelle qui a fait des millions de morts, qui a poussé beaucoup d'innocents au suicide et a brisé sur le plan moral de nombreuses personnes. D'autre part, comme il s'agit d'un récit vécu que l'on peut lire comme un roman, on se trouve impliqué avec le personnage; on comprend par l'intérieur l'engrenage dans lequelle elle est prise comme chacun des membres de sa famille et comment un régime dictatorial finit toujours par broyer l'individu.
"Je me raisonne, je me dis que j'étais jeune, et par conséquent sensible à toutes forme de propagande. C'est vrai (..) mais il n'y a pas eu que les étudiants; des centaines de millions de Chinois se sont laissés embrigader, plus âgés et bien plus au fait des choses de la vie que nous. Cela n'a rien empêché, en Chine comme dans tous les autres  pays qui ont connu le joug totalitaire. Je cherche à comprendre comment les idées généreuses du communisme ont pu aboutir à un tel désastre, comment pendant de longues années, j'ai pu ne rien voir, ne rien vouloir croire. En vain; je ne comprends pas. La Révolution culturelle m'a salie, elle a fait de moi une coupable."
Zhu a 13 ans, elle est au conservatoire de musique quand a lieu la révolution culturelle. Les musiciens occidentaux, Bach, Beethoven, Schumann etc.. sont considérés comme décadents; il en est de même des écrivains. Le régime brûle les partitions et les livres, interdit aux étudiants de jouer cette musique. La jeune fille est obligée de faire son autocritique et est encouragée comme chacun de ses camarades à dénoncer son voisin. Pour ne pas être rejetée, elle s'implique dans la révolution et le culte de Mao. Elle croit à l'idéal révolutionnaire et perd tout sens critique envers les excès du régime. Peu à peu, de camp en camp, et grâce à l'amour et à la puissance de la musique, elle échappera à ce lavage de cerveau et, dans une lente remontée, émergera à la conscience. Elle émigre ensuite aux Etats-Unis, puis en France où avec l'aide et le soutien d'amis qui admirent son talent, elle finira par être reconnue en tant que musicienne.
C'est la seconde partie du livre qui décrit ses difficultés d'abord matérielles - elle est  obligée de faire toutes sortes de petits boulots qui l'empêche de  se consacrer à son art- et psychiques : on ne guérit jamais du totalitarisme. Obligée tant de fois à faire son auto-critique, Zhu Xiao-Mei n'a aucune confiance en elle, se dévalorise, ne cesse d'avoir des doutes sur elle-même. Elle porte aussi l'extrême culpabilité d'avoir dénoncé ses amis et ce manque de confiance s'étend aux autres. En Chine, à l'époque de Mao,  l'ami, le voisin, le parent même, c'est celui qui peut à tout moment vous livrer aux autorités, vous envoyer à la mort ou dans un camp. Le moment où elle revoit son père, après la réussite de sa carrière  à Paris, illustre tristement cette vérité. Lorsqu'elle l'accompagne sur la tombe de son ami, il lui dit :
"-Lao Xue est la seule personne qui m'a fait confiance pendant la révolution culturelle. C'est glaçant à dire mais c'est vrai. Nous sa famille, n'avons pas soutenu mon père au temps des épreuves."
Un autre intérêt du livre est la passion de la musique qui lui a sauvé la vie, la manière dont elle en parle et dont elle fait du piano de son enfance un personnage à part entière qui la suit partout jusque dans un camp de rééducation. En tant qu'interprète, elle sait expliquer avec passion ce qu'elle ressent et ce qu'elle veut donner à ressentir.
"Ce que j'ai vécu fait que mon approche de la musique ne peut pas être intellectuelle.(...)  Aussi le public est-il essentiel pour moi.(...) L'humanité est la vérité de la musique. Ce qui compte, c'est cette personne là, qui n'est pas musicienne et que ce soir, peut-être, je vais réussir à toucher, à qui je vais faire entrevoir une partie de son humanité, de notre humanité que jusqu'ici elle ignorait, peut-être, et qui la conduira, qui sait, un jour, elle aussi à dire non lorsqu'elle comprendra que l'essentiel est en jeu."
J'aime beaucoup aussi lorsqu'elle analyse la différence entre la mentalité occidentale et chinoise  et nous parle de son philosophe préféré : Lao Tseu
"Je me rémémore souvent ma voisine qui dans l'avion pour Los Angeles, m'avait cité Lao-Tseu :
La bonté suprême est comme l'eau
Qui favorise tout et ne rivalise avec rien.
En occupant la position dédaignée de tout humain
Elle est toute proche du Tao.
Maintenant, je comprends mieux cette citation. L'eau est utile, elle sert. Elle descend et ne monte pas. Elle se niche dans les creux, où nul ne veut aller, et non sur les hauteurs d'où le monde rêve de dominer. Elle n'est en compétition avec personne et pourtant elle a raison de ce qu'il y a de plus dur au monde : les roches. Et sans eau il n'y aurait pas de vie."
C'est peut-être en cela que réside le secret de la rivière?
Zhu Xiao-Mei

mardi 9 septembre 2008

Un esprit jaloux de A.N. Wilson


Un Esprit jaloux est un roman écrit en hommage à Henry James et en particulier à son roman : Un Tour d'écrou. Celui-ci conte l'histoire d'une gouvernante qui arrive dans un vieux manoir pour s'occuper de l'éducation de deux enfants, un garçon, Miles, et une fille, Flora. Mais bien vite, elle s'aperçoit que la grande et étrange demeure est hantée par des fantômes, deux présences maléfiques, celle de la gouvernante précédente et d'un valet. Tous deux, quand ils avaient la charge des enfants, les ont pervertis si bien que que ces derniers n'ont plus que l'apparence de l'innocence et de la pureté. Le récit se conclut tragiquement.
A. Wilson imagine une étudiante américaine, Sallie, venue à Londres pour terminer son doctorat sur ce roman de Henry James, oeuvre sur laquelle elle travaille de manière obsessionnelle depuis des années; or, pour vaincre sa solitude et résoudre ses problèmes financiers, Sallie accepte la proposition de Charles Masters, avocat séduisant et veuf, qui l'engage comme gouvernante de ses enfants, un garçon, Michael, et une fille, Frances, dans une grande demeure victorienne! On imagine la suite...
L'écrivain ne cherche pas à rivaliser avec James sur son terrain. C'est à dire, qu'elle ne joue pas pas comme lui sur l'ambiguité entre le réel et le fantasmé. Le récit de James, en effet, qui repose entièrement sur la vision et la parole de la gouvernante, nous amène à douter de la crédibilité et de la santé mentale de cette jeune femme. Les fantômes sont-ils issus de son esprit malade ou existent-ils? Mais tout en semant le doute dans l'esprit du lecteur, Henry James fait tout pour que les fantômes apparaissent comme réels et menaçants, ce qui décuple l'angoisse et la peur. Ce double jeu entre apparence et réalité est le propre du fantastique quand il est complexe et réussi.
Dans le roman de Wilson, nous pouvons, bien sûr, être amenés à croire au fantôme que voit Sallie, elle aussi en proie à des visions qui l'affolent et victimes de deux enfants qui la méprisent et se moquent d'elle. Mais l'auteur prend soin de nous révéler rapidement les indices de sa maladie mentale que l'on ne peut mettre en doute. Ceci nous permet de percevoir presque immédiatement ce qui est de l'ordre de la réalité et du fantasmé. Un Esprit jaloux n'est donc pas une histoire fantastique mais plutôt l'analyse du dérèglement mental d'une jeune fille, déjà fragile sur le plan psychique, et si "possédée" par le récit de Henry James qu'elle finit par s'identifier au person

mercredi 3 septembre 2008

Raymond Depardon : la vie moderne

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Raymond Depardon : la vie moderne
Samedi 1 novembre, le  matin, au cinéma Utopia d'Avignon, avait lieu une projection du dernier film de Raymond Depardon, La vie moderne, en présence des membres d'un collectif d'agriculteurs : Manger sans paysans. J'ai choisi d'aller à cette séance car j'étais curieuse de savoir comment des agriculteurs du Vaucluse recevraient cette vision des paysans du Massif Central, région géographiquement et économiquement très éloignée d'eux.
Mais d'abord, parlons du très beau film de Raymond Depardon, qui est est le troisème volet de la trilogie Profil paysan : La vie moderne que le grand photographe aura mis près d'une décennie à tourner,  montrant  la vie et,  au cours des années, l'évolution de personnages emblématiques  de la "paysannerie" dans ces régions que d'aucuns considèrent comme reculées : les montagnes de Lozère et d'Ardèche.
Le but de Raymond Depardon au cours de cette trilogie était de filmer un monde en voie de disparition à travers de vieux paysans comme Marcel et Raymond Privat, Louis Brès, Marcelle Brès, Marcel et Germaine Chalaye ... et de poser la question de la passation entre les générations en allant à la rencontre de jeunes nouvellement installés au début de la trilogie : Amandine Vella, lyonnaise venue, pleine d'espoir, s'établir dans le pays avec son mari pour faire de l'élevage, Jean-François Pantel, fermier de Marcelle Brès, et sa compagne.
Et bien voilà, la fin de la trilogie! Voilà que la boucle est bouclée. Le film est d'ailleurs dédié aux disparus, Louis Brès et Marcelle Brès et aurait pu l'être aussi à Marcel Privat décédé depuis. La fin d'une époque! Et la relève, bien compromise! Amandine, annonce qu'elle doit renoncer à son projet, faute d'argent et de terre, Jean-François se débat lui aussi avec toutes sortes de difficultés, une maison encore en construction, pas de possibilité d'acquérir des terres pour agrandir sa propriété.  Et lorsque son petit garçon dit qu'il veut faire le métier de papa,  sa mère répond: "quand tu seras grand, ça aura changé, il n'y aura plus de paysan". Alors, reste encore une jeune fille qui fait des études pour reprendre la ferme des Privat. En général, les enfants ne veulent pas  devenir paysans et les vieux se prennent à regretter la passion des anciens pour la terre et souffrent de voir le pays peu à peu gagné par les genêts, les ronciers, la forêt et le sanglier.
Il ne faut pas s'étonner donc s'il y a une nostalgie profonde dans ce dernier film, nostalgie rendue par des images splendides magnifiées par l'utilisation d'une caméra cinémascope qui donne au cadre une dimension et une profondeur inégalées jusque-là dans les autres films; jamais Raymon Depardon n'a aussi bien filmé ces paysages dans toute leur sauvage beauté, le changement des saisons, les éclairages froids de l'hiver, les teintes rousses de l'automne, la grisaille d'un été pluvieux.. Jamais, non plus, il n'a si bien filmé les habitants, donnant de plus en plus de sens aux silences par la fixité des images, laissant le temps de l'intériorisation, accordant une importance au langage du corps, aux mains qui se crispent, aux regards qui s'appesantissent, pratiquant le contraire même des reportages de télévision, communiquant son respect et son amour de ces gens qui se qualifient eux-mêmes de "bourrus", bref! laissant l'image parler et quelle image! On sent le vent, le froid, la solitude, on sent la tristesse, le découragement  mais aussi, entre les générations, la jalousie, voire la haine, et encore, pour les plus âgés, l'amour des bêtes et le dévouement absolu presque inhumain, à nos yeux de citadins, à la terre de leurs ancêtres.
Quel beau film! On y entre par un travelling avant sur une  route que nous suivons avec le cinéaste vers ces fermes  du bout du  monde. On le quitte par un travelling arrière où l'on parcourt à reculons la route du Villaret d'où se détache la silhouette de Raymond Privat et son adieu.
Quant au débat qui a suivi? Mon attente a été déçue. A part un ou deux  spectateurs, personne ne s'est jamais vraiment intéressé au film. Quelqu'un a même regretté que Depardon ne parle pas des productions lozériennes, fromages de chèvre,  cultures... Ce n'est évidemment pas le propos du réalisateur! Les interventions ont porté sur "le  manger mal", la culture et l'élevage hors sol. Deux maraîchers ont pris la parole disant la difficulté de maintenir une véritable culture écologique, les dangers qui menaçaient la ceinture verte d'Avignon qui se réduisait peu à peu, menacée par les constructions et le projet de passage d'un axe est-ouest. Certaines de ces interventions étaient intéressantes mais ont rarement été mises en rapport avec le documentaire de Depardon et d'ailleurs les citadins étaient plus nombreux que les agriculteurs dans la salle... Le beau film que nous venions de voir n'était pas au coeur de la discussion et c'est bien dommage, car il se serait prêté à une réflexion sur le devenir du "métier" (mot souvent employé par Raymond Privat) dans les deux régions et en France en général. Le film n'a servi que de prétexte, ce qui, malheureusement est trop souvent le cas dans ce genre de rencontres.