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vendredi 22 juillet 2011

Festival OFF d'Avignon : Plaisanteries de Tchékov par la compagnie La Crème

La compagnie La crème donne dans la chapelle de Notre-Dame à Avignon un spectacle de Tchekov :  Plaisanteries composé de trois petites pièces du dramaturge russe :  les méfaits du tabac, Tragédien malgré lui et l'Ours. Ces oeuvres n'appartiennent pas au grand répertoire de Tchekhov. Ce sont des comédies  courtes et légères du moins en apparence.

Dans Les méfaits du tabac, un professeur vient, sur l'ordre de sa femme, faire une conférence sur les méfaits du tabac pour une association charitable. De digression digression,  l'homme se laisse aller à des confidences et l'on s'aperçoit bientôt qu'il est bafoué par son épouse, traité comme un domestique, soumis et sans défense. Face à sa vie gâchée, il a des rêves d'évasion qui ne se réaliseront jamais! Pas si légère, finalement cette courte pièce!
Hélas! je n'ai pas été convaincue par l'interprétation qui ne fait pas passer le tragique de l'échec du personnage.

Avec Tragédien malgré lui nous retrouvons sensiblement le même thème. Un homme expose à son ami la manière dont sa femme  et toute sa famille l'exploitent, le ridiculisent. Le monologue -car l'ami reste quasi muet-  ne s'achève qu'à la chute finale qui provoque le rire malgré sa cruauté. Là encore pas assez de nuances dans cette  mise en scène et cette interprétation qui manquent de subtilité. Elle ne rend pas vraiment compte du comique et ne souligne par le tragique sous-jacent.

Enfin l'Ours qui est la plus développée de ces petites scènes raconte l'histoire d'un propriétaire terrien, sorte d'ours mal léché, misogyne et  coléreux, qui vient rendre visite à une veuve éplorée pour lui réclamer l'argent dû par son mari défunt. Et ce qui doit arriver arrive, ces deux êtres de caractère  après s'être copieusement insultés,  tombent dans les bras l'un de l'autre!

J'ai aimé  cet Ours servi par deux bons comédiens qui savent rendre le caractère inflammable des protagonistes et maintenir un crescendo trépidant dans les scènes  de dispute.  Le comique vient des contradictions des personnages, de leurs  revirements, des brusques emportements qui vont jusqu'à la démesure voire l'absurde, ce  que les deux comédiens ont su rendre avec une belle énergie et vitalité. Il est dommage, cependant, que l'exiguïté de la scène ne leur permette pas de s'exprimer sans contrainte.  C'est le meilleur moment du spectacle!

 Avis de Wens

Trois textes courts de Tchekhov sont regroupés pour constituer une bonne heure de spectacle. Dans un espace digne d'un aquarium de salon, où la mise en scène est réduite à sa plus simple expression et l'éclairage inexistant, tout repose sur la qualité de l'interprétation. Dans "les méfaits du tabac" un vieux conférencier s'adresse à nous pour faire le bilan tragique de sa pitoyable existence. L'acteur s'efforce de dire le mieux possible un texte, avec des attitudes étudiées, des respirations… travail sur le corps et sur la voix, certes, mais sans aucune émotion, on ne partage jamais la souffrance du conférencier palpable dans le texte. On souhaite ardemment que la conférence cesse, on voudrait  allumer une clope même si on n'est  pas fumeur. Aucune empathie. Ennui. Le "Tragédien malgré lui" hurle son désespoir  d'être une marionnette manipulée par son épouse dans des aigus toniques. Vos oreilles réclament une boule quies. Vous comprenez l'épouse. Aucune émotion. Ennui. Heureusement "l'Ours" apparaît en face d'une veuve tout de noir vêtue, recluse dans son domaine, vous en arrivez à oublier l'inconfort de la salle, vos jambes repliées sur votre menton, les reins brisés et vous commencez à sourire, à rire même. Magie des acteurs. Un très inégal spectacle.




Plaisanteries De Tchekhov 
Théâtre Notre-Dame
du 8 au 31 Juillet à 19H15
Durée 1h15

Tracy Chevalier : Prodigieuses créatures


De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris par Cagire et par moi, Claudialucia.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme. Bon, je sais, il suffit d'un clic sur la toile pour trouver la réponse mais je sais aussi que si vous aimez jouer comme moi, vous vous plairez à deviner le nom de l'auteur et du roman  par vous-même  d'abord, le plus vite possible ensuite et c'est juste dans ces secondes-là que réside le plaisir de trouver pour soi uniquement la bonne réponse : retrouver le titre d'un roman comme on retrouve le nom d'un ami  ancien qu'on n'a pas vu depuis très longtemps... Bref, on joue ici avec sa mémoire  et puis on me le dit, comme ça, par amitié!  
  
Nouvelle énigme pour ce vendredi

Nabussan, aimé, l'adora; mais elle avait les yeux bleus et ce fut la source des plus grands malheurs. Il y avait une ancienne loi qui défendait aux rois d'aimer ce genre de femme que les grecs ont appelées depuis boopies. Le chef des bonzes avait établi cette loi il y avait plus de cinq mille ans; c'était pour s'approprier la maîtresse du premier roi de l'île de roi de Serendib que ce premier bonze avait fait passer l'anathème des yeux bleus en constitution fondamentale d'Etat. Tous les ordres de l'Empire vinrent faire à Nabussan des remontrances. On disait publiquement que les derniers  jours du royaume étaient arrivés, que l'abomination était à son comble, que toute la nature était menacée d'un évènement sinistre; qu'en un mot Nabussan, fils de Nussanab, aimait deux grands yeux bleus. Les bossus, les financiers, les bonzes et les brunes, remplirent le royaume de leurs plaintes.



Réponse à l'énigme de Jeudi

                                            

Et voilà les gagnantes : Aifelle, Maggie, Gwenaelle, Lystig et Mango.

Les prodigieuses créatures de Tracy Chevalier sont les fossiles que découvre Mary Anning en fouillant la plage et les falaises de Lyme, sur la côte du Dorset. Pour la jeune fille, issue d'une famille d'ouvrier modeste, il s'agit d'un gagne-pain puisqu'elle revend ses trouvailles aux touristes de passage mais cette recherche devient une véritable passion. Mary Anning va faire la connaissance de Elizabeth Philpot passionnée elle aussi par la recherche des fossiles de poissons dont elle fait collection. Bien que de milieu différent, les deux femmes, la bourgeoise et l'ouvrière, vont se lier d'amitié, un sentiment qui traversera des orages, certes, mais sera plus forte que les conflits et les rivalités amoureuses. Dans ce passage, c'est Elizabeth Pilpot qui présente son amie.
Il faut savoir tout d'abord avant de continuer la lecture que Mary Anning et Elizabeth Philpot ont existé ainsi que certains autres personnages comme le Colonel Birch, le professeur William Buckland..  même s'il s'agit aussi d'une oeuvre de fiction. Suite ici

jeudi 21 juillet 2011

Kathrin Stockett : La couleur des sentiments

Mango ayant fait de La couleur des sentiments une lecture commune, ce qui a entraîné une discussion controversée, j'en profite pour republier cet article de mon ancien à mon nouveau blog.

La couleur des sentiments de Kathryn Sotcket est un livre qui a fait sa rentrée littéraire en septembre 2010 et dont la réputation s'est répandue comme une traînée de poudre sur le web, soulevant enthousiasme et louanges unanimes. D'où vient que je me situe en dessous de ce concert, que je ne peux partager entièrement le coup de coeur de nombreuses blogueuses?
Certes, c'est un roman agréable à lire, avec des personnages attachants, Aibileen et son amie Minny, noires d'un milieu social très modeste ou Skeeter, jeune fille d'une bonne famille blanche de cette ville de Jackson, Mississipi. Cette dernière veut faire une carrière d'écrivain et décide de recueillir le témoignage des bonnes noires qui travaillent chez des patronnes blanches pour en faire un livre témoignage. L'entreprise est périlleuse pour Skeeter qui se rend suspecte de sympathie envers les noirs auprès de ses amies et peut être mise au ban de la société mais surtout pour les noires qui risquent de ne jamais plus retrouver du travail, d'être molestées, de voir leur maison brûler ou même d'être tuées si l'on découvre leur participation à ce livre. Nous sommes dans les années 60, Luther Martin King a entrepris sa croisade pacifique mais les noirs subissent au quotidien les humiliations et les violences liées à la ségrégation et au racisme virulent de cet état du Sud. Le Ku Kux Klan terrorise la population noire et se rend coupable d'exécution sommaires. L'entreprise de ces femmes de bonne volonté réussira même si elles devront en payer le prix.. somme toute modéré! La toute puissante et raciste Miss Hilly, une blanche méprisante dont le mari fait une carrière politique est réduite au silence; vous saurez pourquoi en lisant le livre. Abileen perdra son travail mais découvre sa vocation pour l'écriture, Minny garde son emploi et si son mari est renvoyé à cause d'elle, cela lui permet de se séparer de cet homme violent qui la bat. Un Bien pour un Mal! Skeeter part à New York commencer une belle carrière. Somme toute cela se termine plutôt bien pour nos héroïnes!
Et c'est là où le bât blesse pour moi! Ce roman donne bonne conscience, ce roman est trop gentil!  Qui se replonge dans l'Histoire de cette période sait que cette "amitié" entre blancs et noirs dans les Etats du Sud est une vue de l'esprit. Relisez les romans de Caldwell ou de Faulkner pour comprendre la réalité d'une époque, la violence et la haine, la misère des noirs et des pauvres blancs. A côté de leurs romans, témoins de leur temps, celui de Kathryn Stockett paraît refléter une réalité bien édulcorée. Même s'il y a des blancs de bonne volonté dans le Sud, ils sont tout au plus comme le juge de Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur, ils ont le courage de ne pas aller contre leur conscience en laissant accuser un innocent et ils luttent pour faire triompher la justice. Mais il demeurent une minorité et ne sont pas "amis" avec la population noire!
Et ces questions que je me pose sur ce roman et qui fait que je ne peux le recevoir au premier degré, la larme à l'oeil et tout attendrie, je me suis aperçue que Kathryn Sotckett se les posait de la même manière dans la postface qu'elle a rédigée  : Trop peu et trop tard, titre d'ailleurs très signifiant.
Abileen, le personnage créé par Kathryn Stockett ressemble un peu à la propre bonne de l'écrivain, Demetrie, qui lui a donné beaucoup d'amour et réciproquement mais :
 Je suis à peu près certaine de pouvoir dire qu'aucun membre de ma famille n'a jamais demandée à Demetrie ce que l'on ressentait quand on était une noire travaillant pour une famille de blancs dans le Misssissipi.
Même de nos jours il n'est pas facile pour un écrivain du Sud d'aborder un tel sujet. Elle a pu le faire parce qu'elle habite New York et pourtant, nous ne sommes plus au temps de la ségrégation, un noir est président des Etats-Unis mais les mentalités n'ont pas totalement évolué.
"Il n'est pas de sujet plus risqué pour un écrivain du Sud que l'affection qui unit une personne blanche à une noire dans le monde inégalitaire de la ségrégation" écrit Howell Raines à propos de La couleur des sentiments.
C'est pourquoi je n'ai pu entièrement adhérer à cette histoire.  Elle fait plaisir, elle réconcilie tout le monde mais elle est invraisemblable. Je préfère envisager ce récit comme une fable, sans chercher à y croire, comme nous le suggère l'écrivain elle-même  dont j'apprécie l'honnêteté à ce sujet :
J'ai regretté pendant bien des années de ne pas avoir été assez âgée et assez attentionnée pour poser cette  question à Demetrie. J'avais seize ans à sa mort. J'ai passé des années à imaginer ce qu'aurait été sa réponse. C'est pour cela que j'ai écrit ce livre.
et aussi parce que :

Tenter de comprendre est vital pour l'humanité.

 Un témoignage contemporain

Voilà, de nos jours, sous la présidence de Obama, la situation économique et sociale des noirs dans une ville comme celle de Détroit.
(voir article dans Le Monde diplomatique janvier : 2010 http://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/POPELARD/18702)

Quelques extraits :
« Les indicateurs de santé de la population s’apparentent à ceux d’un pays en développement. Le taux de mortalité infantile s’élève à dix-huit pour mille, trois fois plus que dans le reste des Etats-Unis, autant qu’au Sri Lanka. »
« les classes moyennes et supérieures blanches partent s’installer dans les suburbs. Mais les raisons de ce déménagement sont aussi à chercher du côté de la peur et du racisme. Si les premiers départs ont lieu dès les années 1950, avec l’amorce de la désindustrialisation, la majorité de la population blanche prend prétexte de la révolte des Noirs de 1967 — quarante-trois morts ; l’armée envoya des chars — pour partir. Les représentations apocalyptiques valant à Detroit le surnom de Murder City (« cité du crime ») ou de Devil City (« cité du diable ») ont joué le rôle de prophéties autoréalisatrices.

Hemingway : Le vieil homme et la mer (citation)


  De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par Mango qui demande si quelqu'un veut proposer d'autre devinettes littéraires en même temps qu'elle car ... elle a bien envie de jouer aussi!! 
Ce jeu de Qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont on présente un extrait. Vous pouvez, au choix, donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me donner des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez tout juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme.


  La nouvelle énigme : Jeudi 

Ce passage est extrait d'un roman récent que de nombreuses blogueuses ont lu et commenté :

Mary Anning en impose par ses yeux. Ce détail m'a semblé évident dès notre première rencontre, quand elle n'était qu'une fillette. Ses yeux sont marron comme des boutons, et brillants, et elle a cette manie (...) de toujours chercher quelque chose, même dans la rue ou a l'intérieur de la maison, où il n'y a aucune chance de trouver quoi que ce soit d'intéressant. Cette particularité la fait paraître pleine d'énergie, même lorsqu'elle reste sans bouger. Mes deux soeurs m'ont dit que moi aussi je jetais des coups d'oeil alentour au lieu d'arborer un regard impassible, mais dans leur bouche ce n'est pas un compliment, tandis que dans la mienne, envers Mary, c'en est un.


 Réponse à l'énigme de mercredi



Et oui, vous avez trouvé!  Aifelle, Wens, Mango, Cagire.

Il s'agit du roman célèbre d'Hemingway : Le vieil homme et la mer. L'histoire d'un vieil homme qui mène un combat terrible pour ramener au port un immense espadon, le plus énorme qu'il ait jamais pêché. C'est le combat de l'Homme contre la nature, de l'Homme contre le Léviathan, une lutte  à mort qui n'exclut pas le respect et l'admiration. L'homme sortira vainqueur par son courage, sa patience et sa ténacité mais l'espadon sera dévoré par les requins. Si l'on n'est pas agacé par le côté machiste qui existait chez Hemingway et si l'on remplace le mot homme par être humain, la leçon du roman est belle :  Mais l'homme ne doit jamais s'avouer vaincu. Un homme, ça peut-être détruit, pas vaincu.


Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C'est ton droit. Camarade, j'ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ca m'est égal lequel de nous deux tue l'autre.
Qu'est-ce que je raconte?pensa-t-il. Voilà que je déraille. Faut garder la tête froide. Garde la tête froide et endure ton mal comme un homme. Ou comme un poisson.


Ben Jonson : Volpone adapté par Jules Romain et StefanZweig (citation)


Je cite ici le texte de Marc Favier, metteur en scène  qui a monté la pièce de Ben Jonson, Volpone, adapté par Stefan Zweig et Jules Romains.

Écrite à la fin des années 20 par deux pacifistes et humanistes qui fuiront le nazisme, "Volpone " est une parabole pessimiste sur le thème " les loups se dévorent entre eux " ; seul survit celui qui aime la vie et ses plaisirs.
J'aime Mosca qui, à la question de son maître :
- Pourquoi ne salues-tu pas mon or ?
Répond : - Parce qu'il est en prison dans votre bahut.
Marc FAVIER

 De Chiffonnette

mercredi 20 juillet 2011

Festival OFF d'Avignon : Volpone d 'après Ben Jonson par la Fox Cie


Volpone par la Fox Compagnie


Ben Jonson( 1572-1637)
  On sait que Volpone, Le Renard en italien, grand seigneur vénitien, veut soutirer de l'argent à ses prétendus amis  qui guettent son héritage! Grâce à la complicité de son valet, Mosca, il se fait passer pour mourant. Les charognards viennent le voir sur son lit de mort, lui apportant de coûteux cadeaux,  espérant ainsi devenir son héritier. Volpone se croit rusé mais rira bien qui rira le dernier!
Avec cette pièce, Ben Jonson, le rival de Shakespeare, nous fait rire, en effet, mais il s'attaque avec férocité aux  travers des hommes, aux riches cupides et avides, à la justice qui donne raison à ceux qui ont le pouvoir et l'argent. Il peint aussi  la condition de la femme enfermée chez elle, surveillée par un mari jaloux et finalement  prostituée à son avidité.

Le seul Volpone que je connaissais avant d'assister à la représentation de la pièce par la Fox Compagnie, est celui incarné -et avec quelle classe- non au théâtre mais à l'écran par l'inimitable, l'élégant  Rex Harrisson dans un film de Mankiewicz. Encore s'agissait-il d'une transposition intitulée Guêpier pour trois abeilles. Rex Harrisson y campait le rôle d'un certain Mr Fox, filou et retors à souhait, mais grand seigneur méchant à homme, à la façon du Dom Juan de Molière.

Le parti pris des metteurs en scène de la Fox Cie est tout le contraire! Volpone nous apparaît, au physique et au moral, comme repoussant, torse nu, pantalon à carreaux à bretelles, prompt à jouer de la braguette avec les femmes de chambre ou tout jupon qui passe. Le maquillage accentue ce côté repoussoir, les yeux rouges comme ceux.. d'un loup ou d'un chien enragé plutôt que d'un renard!  Il est affreux et digne des monstres de la comédie à l'italienne de Monicelli, Comencini, Scola.  Il en est ainsi des autres personnages dont les visages soulignés par traits noirs et les costumes insistent sur leur appartenance à la gent animale plutôt qu'humaine, corneille (Corvino), vautour, (Voltore) corbeau (Corbaccio), mouche (Mosca).. Excellente idée, aussi, d'avoir utilisé des marionnettes pour interpréter le rôle des juges. Les soubrettes portent d'impressionnants masques humains mais figés qui leur enlèvent tout humanité, esclaves des désirs de leur maître.  Tout ce beau monde évolue autour d'un décor pivotant, sorte de cube dont les faces permettent le changement de lieu.  Les jeux de scène des acteurs, d'ailleurs fort bons, s'organisent autour de ce dispositif scénique et jouent sur le côté farce, accentuant la bouffonnerie. Ce choix de mise en scène réussi met en valeur la concupiscence, l'avarice, la bassesse de ces hommes qui sont prêts pour obtenir l'héritage de Volpone,  à vendre leur femme, à déshériter leur fils.


Volpone d'après Ben Jonson par la Fox Cie
Théâtre la Luna
DU 8 au 31 Juillet à 14H30
Durée 1H25

Sthendal: Le rouge et le Noir (citation)

De qui est-ce?*

 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par Mango qui demande si quelqu'un veut proposer d'autre devinettes littéraires en même temps qu'elle car ... elle a bien envie de jouer aussi!!

Ce jeu de Qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont on présente un extrait. Vous pouvez, au choix, donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me donner des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez tout juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme.

*
                                               
L'énigme du Mercredi 20 Juillet

Voilà l'extrait choisi aujourd'hui.

Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C'est ton droit. Camarade, j'ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ca m'est égal lequel de nous deux tue l'autre.
Qu'est-ce que je raconte?pensa-t-il. Voilà que je déraille. Faut garder la tête froide. Garde la tête froide et endure ton mal comme un homme. Ou comme un poisson.


Réponse à l'énigme du Mardi 19 Juillet
Danièle Darrieux et Gérard Philippe dans le Rouge et le Noir

Et oui, Mango et moi nous avons choisi le même livre sans nous consulter pour ce petit jeu de l'été. Par pure coïncidence! Ceux qui ont deviné le titre dans mon blog : Clara, Wens, Aifelle, Dominique, Tilia, Cagire, Lystig, Ys ..
Wens qui avait deviné le titre.. sans tricher, je vous assure, vous a proposé deux indices dans les commentaires : le prénom  Gérard et les couleurs du stade toulousain, ce qui a eu l'air de laisser froides les blogueuses sauf Lystig! Pourquoi? Il n'y a pas d'amateurs de rugby parmi vous?

C'est donc, Le Rouge et le Noir de Stendhal, un magnifique roman, celui que je préfère dans la littérature française du XIX ème siècle. Le passage choisi me touche toujours beaucoup et contient le sens de l'oeuvre : Julien Sorel qui a tiré sur Madame de Rénal va être condamné et exécuté : il ne le sera pas parce qu'il est coupable mais parce qu'il a cherché à échapper à sa classe sociale. Stendhal place dans la bouche de Julien des mots vibrants, un réquisitoire implacable contre la société de son temps. Mais le roman de Stendhal est toujours actuel. Certes notre société a bien changé, chacun peut faire des études et, en théorie, aller dans les meilleurs établissements scolaires, universitaires. Mais la discrimination par l'argent et la culture est toujours bien vrai, le déterminisme social existe toujours.

* tableau de Renoir



Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appellent la bonne société.
Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés.

mardi 19 juillet 2011

Jean-Luc Lagarce : Juste la fin du monde et J'étais dans ma maison... de la Cie Ubwigenge

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne .. Cie Ubwigenge


Jean-Luc Lagarce est un des auteurs contemporains les plus joués non seulement festival d'Avignon mais aussi en France. Il est au programme du baccalauréat et de l'agrégation de Lettres modernes. J'ai voulu lire une des oeuvres du dramaturge avant d'aller voir une de ses pièces.

Juste la fin du monde raconte l'histoire d'un homme qui est parti loin de sa famille et ne lui a jamais donné de nouvelles. Apprenant qu'il va mourir, il retourne chez les siens pour leur annoncer sa mort prochaine. Son frère et son épouse, sa petite soeur et sa mère l'accueillent. Chacun se met à parler pour lui dire comment ils ont vécu la séparation, pour lui reprocher son indifférence et son silence, exprimer ses souffrances. Sous ce flot de paroles qui laissent apparaître des sentiments mêlés d'amour et de colère, l'homme ne replie sur lui-même. Il repart sans leur avoir révélé la vérité et mourra loin d'eux.
Je suis ensuite allée assistée au spectacle de J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne de la compagnie Ubwigenge à l'Espace Roseau. L'histoire est sensiblement la même : Le jeune frère, chassé dans la maison par son père revient mourir près de sa mère, sa grand mère et ses trois soeurs. On ne saura rien de ce qui lui est arrivé. Les cinq femmes ont vécu dans l'attente de son retour, dans l'espoir de voir justifier le sacrifice qu'elles ont fait de leur vie en l'attendant, victimes? ou responsables de leur soumission à l'image du mâle et de leur adhésion à sa prétendue supériorité?

Pour comprendre ce thème récurrent, il faut savoir qu'il est en partie autobiographique. Jean-Luc Lagarce après s'être séparé de sa famille est mort du sida en 1995. Il écrit Juste la fin du monde au moment où il apprend qu'il est séropositif. Mais il ne parlera jamais directement de sa maladie dans ses pièces.

L'on dit de Jean-Luc Lagarce qu'il est "un classique contemporain" car il occupe une place à part et se différencie des tendances du théâtre contemporain en accordant beaucoup d'importance à la parole. Le texte est primordial dans son oeuvre. Dans les deux pièces, celle que j'ai lue et celle que j'ai vue, l'intrigue, en effet, est réduite au minimum, il n'y a pas d'actions mais des personnages qui parlent. Ce qui est très étonnant aussi, c'est qu'il y a très peu de dialogues. A peine amorcés, ceux-ci s'interrompent pour laisser place à de longs monologues où chaque personnage exprime ses sentiments, présente son point de vue, monologues qui alternent, se coupent parfois, pour mieux reprendre. On a parfois l'impression de ne pas avancer, de repartir en arrière, d'être en suspension, en attente. Les personnages sont murés dans leur silence, ont des difficultés pour communiquer. Peut-être ne s'intéressent-ils qu'à eux-mêmes et à leurs propres souffrance? Les rapports entre eux sont cruels.

Avis de Claudialucia

Mon ressenti par rapport à ce style de théâtre a été différent selon que je l'ai lue ou vue.

Lors de la lecture de Juste la fin du monde j'ai d'abord été surprise par la forme théâtrale mais surtout par ce style si étrange. Les personnages ne sont pas sûrs de ce qu'ils avancent, ils s'interrompent, tâtonnent comme pour affiner la pensée, reprennent un mot, s'appuient sur lui comme pour se projeter en avant. Au fur et à mesure, les mots s'accrochent, s'agglutinent les uns sur les autres, forment une chaîne, à laquelle s'agrippe la pensée pour mieux progresser. C'est dans ces hésitations, dans ces tâtonnements que la femme ou l'homme qui s'exprime parvient à se trouver.*
Puis, je me suis peu à peu laissée prendre par ce rythme comme par une poésie incantatoire. Le ton est doucement élégiaque. La douleur des personnages paraît bercée par les mots mais elle ne s'exprime pas moins intensément. J'ai été sensible à la souffrance qui s'exprimait ainsi.

Le spectacle théâtrale de J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne donnait lui beaucoup d'importance au corps. Les cinq comédiennes-danseuses vêtues de noir évoluent sur scène dans une pénombre bleutée, chacune coupée de l'autre, enfermée dans sa pensée. Le fils mourant gît sur son lit, enfermé derrière un voile blanc qui déjà le sépare du monde des vivants. La scénographie, et la gestuelle sont très belles, inventives. Les comédiennes disent  bien ce texte difficile. Alors pourquoi n'ai-je pas, malgré les qualités du spectacle, complètement adhéré à la pièce? J'en ai aimé l'esthétique mais beaucoup moins le texte qui n'est pas parvenu à me toucher. Peut-être est-ce à cause de la diction hachée, dure, un peu mécanique, presque désincarnée des comédiennes? A part, la petite soeur qui exprime son désespoir avec violence (peut-être parce qu'elle est jeune et peut encore être sauvée?) j'ai eu l'impression que la metteur en scène, Catherine Decastel, refusait l'émotion. Veut-elle nous indiquer ainsi que ces femmes ne sont plus vraiment en vie? Pourtant, à la fin, elles se révoltent et se libèrent du joug. Toujours est-il que je n'ai pas ressenti la poésie du texte.

Avis de Wens
Hérétique! je le suis. Jean-Luc Lagarce est un des auteurs les plus joués dans l'hexagone, l'enfant chéri actuellement des metteurs en scène mais "J'étais dans ma maison…", j'ose l'avouer, m'a laissé totalement de marbre. Intellectuellement je peux comprendre la portée du propos, la richesse et la beauté de la langue (je préfère lire le texte que le voir jouer! ), mais la forme théâtrale me laisse totalement insensible. J'assiste, étranger, à un spectacle de la pure parole  même si les corps parfois s'expriment. Les personnages n'agissent pas, ils récitent leurs propres réflexions, leurs longues confidences, rarement interrompus par quelques dialogues. L'ennui me gagne, je me sens comme ces femmes sur la scène enfermé dans un espace clos que je ne peux quitter. Mon corps devient souffrance.
Mon jugement mériterait peut-être d'être corrigé en assistant à une autre mise en scène, en écoutant le texte porté par d'autres comédiennes. Qui sait? J'en doute.


*Extrait d'un passage de Juste la fin du monde

Je me suis éveillé, calmement, paisible,
avec cette pensée étrange et claire

je ne  sais pas si je pourrai bien la dire

avec cette pensée étrange et claire
que mes parents, que mes parents,
et les gens encore, tous les autres, dans ma vie,
les gens les plus proches de moi,
 que mes parents et tous ceux que j'approche ou qui
s'approchèrent de moi (...)
que tout le monde après s'être fait une certaine idée de moi,
un jour ou l'autre ne m'aime plus, ne m'aima plus
et qu'on ne m'aime plus
(ce que je veux dire)
"au bout du compte "
comme par découragement, comme par lassitude de moi,
qu'on m'abandonna toujours car je demande l'abandon.


J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne
Compagnie Ubwigenge
Espace Roseau
Du 8 au 31 Juillet à 14H
Durée : 1h 15

De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été


De qui est-ce?

 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par Mango qui demande si quelqu'un veut proposer d'autres devinettes littéraires en même temps qu'elle car ... elle a bien envie de jouer aussi! Je cite :

D'ailleurs, moi aussi j'aimerais bien exercer ma mémoire et si l'une d'entre vous veut reprendre ce jeu dès maintenant, tant mieux et tant mieux aussi si on est nombreux à poser ce genre de colles pour lecteurs! Ce serait un vrai plaisir!

Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez, au choix, donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme. Bon, je sais, il suffit d'un clic sur la toile pour trouver la réponse mais je sais aussi que si vous aimez jouer comme moi, vous vous plaisez à deviner le nom de l'auteur et du roman  par vous-même  d'abord, le plus vite possible ensuite et c'est juste dans ces secondes-là que réside le plaisir de trouver pour soi uniquement la bonne réponse : retrouver le titre d'un roman comme on retrouve le nom d'un ami  ancien qu'on n'a pas vu depuis très longtemps... Bref, on joue ici avec sa mémoire  et puis on me le dit, comme ça, par amitié!

Je commence par un classique très(trop?) facile en guise d'encouragement

Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appellent la bonne société.
Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés.

lundi 18 juillet 2011

Festival OFF d'Avignon : L'augmentation de George Perec, Théâtre de la Boderie


 Comme j'avais beaucoup aimé l'excellent spectacle Pièces détachées Oulipo en 2009 (qui revient d'ailleurs cette année  au Théâtre du chien qui fume), j'ai couru voir l'Augmentation de George Perec par le Théâtre de la Boderie, sachant que Paul Fournel, président de l'Oulipo, était satisfait de de l'adaptation.
 Georges Perec a appartenu au mouvement littéraire de l'Oulipo ( OUvroir de LIttérature POtentielle) fondé par le mathématicien François Le Lionnais et l'écrivain Raymond Queneau en 1960. Les membres se définissent comme des "rats qui construisent eux mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir". En effet les auteurs du groupe se fixent des séries de contraintes formelles plus ou moins complexes, mathématiques et littéraires. C'est de la contrainte, en effet, que naît la liberté. Les Oulipiens jonglent avec les mots, avec les sons, avec la langue et même s'ils rendent compte de notre société et traitent de sujets graves, il faut se garder de les aborder en les prenant trop au sérieux ! Avec Oulipo, on entre dans le jeu, dans le monde de l'absurde, dans le feu d'artifice de la langue.

Avis de Claudialucia Ma  Librairie

Comme souvent dans Oulipo le sujet mince - un employé va demander une augmentation à son chef de service- mais le parcours compliqué!!  Si vous êtes persuadés, en effet, que demander une augmentation est facile, détrompez-vous! Et si vous êtes assez naïfs pour croire que l'obtenir est à votre portée, vous déchanterez ! Vous vous apercevrez bien vite que vous allez accomplir un parcours d'ancien combattant, rencontrer mille difficultés, vous heurtez à des portes closes, vous faire rabrouer comme un malpropre ou bercer de fallacieuses promesses, bref arpenter vainement les couloirs labyrinthiques de la grande entreprise broyeuse d'hommes qui vous emploie. Car sous l'absurdité de la situation, des dialogues et des mots, perce l'indignation de Perec qui dénonce ici, tout en nous faisant rire, le capitalisme et l'exploitation de l'homme méprisé, utilisé et rejeté comme un objet. Le décor ressemble parfois un décor d'hôpital, sous une lumière crue, on vous y fait des conférences sérieuses, rétroprojecteur à l'appui, sur la rougeole ou la scarlatine! Peut-être pour mieux monter combien ce monde est malade.

Pour rendre cette déshumanisation, le metteur en scène, Marie-Martin Guyonnet, règle au millimètre près les déplacements et les interventions de ses acteurs. Ceux-ci évoluent comme s'ils suivaient des lignes géométriques, coupées en angles droits, ils marchent mécaniquement comme des robots ou, mieux encore, comme des marionnettes dont les fils seraient actionnés par le Pouvoir. De la même manière, l'ordre des interventions verbales qui se succèdent, se croisent, rebondissent, obéit à une rigueur mathématiques, une précision de métronome. Les trois comédiens, excellents, répondent à la lettre à ces exigences bien oulipiennes!

Comme tout le texte repose sur un système de répétitions de situations, de gestes, de formules, de mots qui donnent (à tort car on avance) l'impression de faire du surplace, le spectateur (c'est ce qui m'est arrivé) peut-être désorienté au début. Mais si vous acceptez d'entrer dans le jeu, vous vous laisserez emporter par ce délire permanent et vous apprécierez pleinement ce spectacle qui déclenche le rire. Une beau travail de mise en scène et de jeu d'acteurs.

Avis de Wens En Effeuillant le Chrysanthème

L'Augmentation ou: "Comment, quelles que soient les conditions sanitaires, psychologiques, climatiques ou autres, mettre le maximum de chances de son côté en demandant à votre chef de service un réajustement de votre salaire…". Commence alors pour l'employé modèle et discret d'une multinationale  un intense processus de réflexions, de suppositions, de solutions positives, de solutions négatives.. dans le dédale  d'une logique de  pensée toute kafkaïenne, les stratégies mises en place sont souvent  à reconstruire totalement car tout les raisonnements reposent sur des choix multiples.  Mais l'objectif pour l'employé ne doit jamais être perdu de vue : obtenir une augmentation! Pérec déclenche le rire  par le jeu des mots et des formules répétées ou réinventées, par l'absurde logique de la situation. Mais le texte nous présente aussi une vision très critique de notre monde. L'employé est  enfermé  dans un mécanisme de pensée qui lui est de fait dicté par la société. Qui est-il? un simple pion dans un rouage complexe. Il est le transparent jouet d'une société capitaliste structurée, hiérarchisée qui l'exploite. Hommes politiques, hauts fonctionnaires, sabres et goupillons sont au service des grandes entreprises. Alors l'employé n'a aucune chance de recevoir une augmentation.
L'intelligente  mise en scène de Marie-Martin Guyonnet rend parfaitement le propos de Perec. Trois excellents comédiens, incarnent l'ensemble des personnages : l'employé, la secrétaire, le chef et le sous chef… Chaque déplacement, chaque geste, chaque phrase  obéit à une chorégraphie d'une grande précision. Parfois un chant  sorti tout droit de l'univers de Jacques Demy, vient briser  la respiration mécanique du texte. Un moment de poésie chez Kafka. Le décor déshumanisé, aseptisé, fonctionnel, géométrique qui n'est pas sans rappeler celui de Mon Oncle de Jacques Tati, semble guider, imposer les déplacements des acteurs. Le choix de couleurs vives saturées à la fois au sol et dans les costumes renforce la férocité sous-jacente du propos. Un grand moment de théâtre.

L'augmentation. Georges Perec.
Théâtre de la Boderie.
Avec : Jehanne Carillon, Jean-Marc Lallement,Olivier Salon.
Mise en scène: Marie-Martin Guyonnet.
La Luna du 8 au 31 juillet. 18H20


Brassée d'images : Le festival d'Avignon 2011


 Comédiennes photographiées dans la rue des Teinturiers


Dimanche a été un jour de repos! Pas de théâtre pour  pouvoir aborder une seconde semaine de festival! Où est le temps où j'étais capable d'assister à trois ou quatre représentations par jour  sans fatigue? Pour l'instant j'ai vu 9 spectacles dans le OFf  et 4  pour enfants avec ma petite fille. Une bagatelle par rapport aux 1143 pièces qui seront jouées en 2011 par 969 compagnies et 6000 artistes. Cette année, je verrai un seul spectacle dans le In car je m'y suis prise trop tard ; il n'y avait plus de places pour ce que je voulais voir.
Voici donc une brassée d'images prises ces jours-ci dans les rues bondées d'Avignon.

LES PARADES DANS LES RUES

Les artistes du Off présentent leur spectacle dans les rues d'Avignon et tractent. Au début du festival quand nous ne sommes pas encore habitués, il y a quelques surprises! Par exemple, je me suis retrouvée une année face à face avec un rhinocéros! Choc! Heureusement, c'était celui de Ionesco.
L'incident le plus spectaculaire survenu il y a quelques années est celui où un individu en uniforme et croix gamée  est venu faire un discours  nazi sur la place de l'Horloge. Scandale parmi les promeneurs, huées, attroupements houleux, colère... jusqu'au moment l'on a appris qu'il était échappé d'une pièce de Bertold Brecht. Le metteur en scène (c'était dans le In) avait demandé au comédien de sortir du théâtre pour prononcer son discours devant la foule sans penser à la réaction d'un public improvisé et non averti! Hier, dans la rue des Teinturiers nous avons été abordés par les hommes sanguinolents (qui nous ont d'ailleurs offert des tracts couverts de mercure au chrome) des flagellés (? ), par Louis XIV avec une perruque en papier accompagné de son fidèle Lully, par de curieux personnages au bec d'oiseaux, par une géante qui dominait toute la foule...

Rue des Teinturiers

Rue de la République

                               Rue Carnot
 Rue des Teinturiers

 Rue des Teinturiers

LES AFFICHES 

A Avignon, les affiches montent jusqu'au ciel, escaladent tout ce qui est vertical, arbres, gouttières, poteaux, s'agrippent aux murs, s'attachent aux poubelles. Par temps de Mistral, elles claquent comme des drapeaux et parfois s'envolent; par temps de pluie, elles dégoulinent, gondolent, se délitent. Certains trouvent que cela fait désordre mais moi, j'aime bien le désordre. Chaque année, je guette qu'elle sera la première affiche qui apparaîtra dans ma rue!






 
 QUELQUES LIEUX

La rue des Teinturiers, ancienne rue des Roues, une des plus pittoresques d'Avignon, a conservé son aspect médiéval. C'est la plus fréquentée du festival.

                                                               



La Place des Carmes, ombragée, avec sa halle, son cloître qui reçoit des spectacles du In, le théâtre de Benedetto, ses nombreux restaurants et cafés est aussi un lieu convivial et agréable.





dimanche 17 juillet 2011

Amanda Smyth : Black Rock, éditions Phébus


Célia, dont la mère est morte en couches, est recueillie par sa tante Tassi à Black Rock, village de l'île de Tobago dans les Caraïbes. Tassi s'occupe d'elle ainsi que de ses deux filles. Mais lorsqu'elle se remarie avec Roman, un alcoolique vicieux et violent, Célia sait que cet homme lui fera du mal et se méfie de lui. Ceci, d'autant plus, qu'il ne cesse de la dénigrer auprès de Tante Tassi et que celle-ci croit tout ce qu'il lui dit. A seize ans, lorsque la jeune fille est violée par cette brute, elle n'a d'autre solution que de fuir le plus loin possible de Blak Rock et se rend à Port of Spain sur l'île de Trinité. Elle pense rejoindre son autre tante, Sula. Là, elle va entrer comme bonne d'enfants chez le docteur Emmanuel Rodriguez.

L'intrigue du roman est assez attendue et n'offre pas de surprise si ce n'est au dénouement. Dès le départ, l'on sait que Célia sera violée, c'est tellement évident! Mais l'écrivain utilise ce thème du viol comme une ficelle de métier et le traite d'une manière assez superficielle. On sait aussi que, Célia malgré son intelligence brillante, n'ira pas à l'université, qu'elle ne sortira pas de sa condition, que sa beauté ne sera pas un cadeau mais sa perte. On s'attend à ce qu'elle soit séduite par un homme blanc qui la méprisera  en tant que noire et domestique. 

 Pas original, donc!  Mais il faut reconnaître que Amanda Smyth tire son épingle du jeu car elle écrit très bien. Les mésaventures de la jeune fille voire les drames qu'elle vit sont nombreux et maintiennent en éveil l'intérêt du lecteur. Le roman, en effet, se fait récit initiatique, quête de soi-même. Célia est à la recherche de son origine, de ce père anglais qui l'a abandonnée à sa naissance. Elle entretient le culte de sa mère décédée en lui donnant la vie. Elle va apprendre la vérité sur son origine mais aussi sur elle-même. L'analyse de la blessure amoureuse est bien conduite et les personnages que ce soient les tantes, l'épouse bafouée l'amoureux transi, l'amant sont peints avec vérité. L'écrivain place l'action dans un pays qu'elle connaît bien puisqu'elle a des attaches par sa mère native de Trinidad.  L'auteur a des qualités certaines mais on aimerait lire d'elle une oeuvre plus originale, avec une inspiration plus personnelle. Quoi qu'il en soit le roman se lit  avec intérêt et est plaisant.

Lire aussi
Moi, Clara et les mots
Keisha

Une femme seule, Dario Fo et Franca Rame par la compagnie Vents et marées au Théâtre La Luna

 Dario Fo, écrivain, dramaturge italien, metteur en scène et acteur est aussi un homme politiquement engagé. Son théâtre se fait porteur d'une idéologie proche des gens du peuple, des ménages qui ne peuvent boucler la fin du mois (Faut pas payer!) de l'ouvrier  exploité  mais aussi de la femme doublement victime du capitalisme et de son mari (Un femme seule). Il dénonce le colonialisme avec Johan Padan ou la découverte de l'Amérique, la puissance et la richesse de l'Eglise et toutes les formes d'injustice dans une langue populaire, volontiers truculente et burlesque. Avec son épouse Franca Rame, il fonde une compagnie théâtrale et cherche à amener le théâtre dans les usines et les maisons de jeunesse. Il est prix Nobel de littérature en 1997.

Italie. Une femme seule dans son appartement s'adresse par la fenêtre à une nouvelle voisine que nous n'entendrons jamais. Elle lui explique sa vie partagée entre son ménage, ses enfants et la garde d'un beau-frère paralysé et pervers. Peu à peu, on découvre  la condition désespérée de cette "italienne" épiée par un voyeur, harcelée par des coups de téléphone, simple objet sexuel de son mari jaloux et violent qui  la retient enfermée dans le logement. Quel espoir? le suicide ou donner la mort.
Avis de Claudialucia
Dans Une femme seule, Dario Fo montre l'aliénation de la femme enfermée physiquement mais aussi moralement dans un carcan que la société et la religion lui imposent. Cette pièce aurait demandé à être traitée avec subtilité et émotion, de la découverte progressive de son quotidien à sa révolte aux accents de folie, au goût de crime. Alors qu'elle se confie à sa voisine par la fenêtre restée entrouverte, on aurait dû assister à des confidences d'abord hésitantes, pudiques puis de plus en plus pathétiques jusqu'à l'explosion finale. Malheureusement, il n'en est rien.  La comédienne dit son texte à tout allure, sans pause, sans variation, d'une voix haut perchée et monocorde dans l'aigu. Il n'y a aucune gradation dans les révélations, aucune montée de la tension dramatique.  Habituellement  Dario Fo a l'art de nous faire rire des situations les plus tristes, un rire grinçant, certes, mais toujours en empathie avec le personnage dont le spectateur partage les sentiments. Avec cette mise en scène, au contraire, on  se détourne de cette femme. Le manque de nuances et de sentiments crée l'ennui. On finit en désespoir de cause par regarder le bruiteur sur scène, à côté de l'actrice. Et certes celui-ci est doué. Il parvient à rythmer l'action avec toutes sortes d'objets les plus hétéroclites, devient acteur à part entière, nous distrait et même nous fait rire! Mais c'est au détriment de la pièce et vous avouerez que cela n'est pas le but recherché!

Avis de Wens de En effeuillant le Chrysanthème
Dans le théâtre de Dario Fo et de Franca Rame, le tragique surgit progressivement d'une situation anodine qui nous fait sourire et rire. Nous regardons s'agiter cette femme au foyer qui s'occupe de son gosse, de son pervers de beau frère, fière de ses appareils ménagers, de sa télé, de sa radio. Mais la tension monte progressivement, quelques bribes de texte déclenchent chez le spectateur un rire salutaire. Elle est une victime d'une société machiste, comme de nombreuses femmes en Italie ou ailleurs.
Dans l'adaptation proposée par la Compagnies Vents et Marées, cette montée progressive du tragique n'existe pas. D'entrée, la femme seule crie son désespoir, elle le fait sur le même registre pendant toute la durée du spectacle. Pas de pause, pas de respiration, pas un sourire :  l'étouffement permanent. Le regard du spectateur cherche l'issue salvatrice, il le trouve du côté de l'excellent travail du bruiteur qui sur scène nous crée les champs sonores de l'appartement : bruits de pas, claquements de portes, sonneries de téléphones…en synchronisme parfait avec le monologue et les déplacements de l'actrice. Le son aurait dû souligner le comique comme dans le cinéma de Jacques Tati où les situations burlesques sont mises en valeur par les bruitages qui suppléent souvent la parole. Mais  le bruit est en off, en contrepoint de l'image, pas sur scène comme dans cette représentation. Ici, le bruiteur devient souvent aussi présent, voire même plus que l'actrice et que le texte! Dommage!

Fernando Pessoa : Le gardeur de troupeau d'Alberto Caeiro

Jean François Millet
"Hola, gardeur de troupeaux,
sur le bas-côté de la route,
que te dit le vent qui passe?"

"Qu’il est le vent, et qu’il passe,
et qu’il est déjà passé,
et qu’il passera encore.
Et à toi, que te dit-il ?"

"Il me dit bien davantage.
     De mainte autre chose il me parle, 
de souvenirs et de regrets,
et de choses qui jamais ne furent."

"Tu n’as jamais ouï passer le vent.
Le vent ne parle que du vent.
                 Ce que tu lui as entendu dire était mensonge,
Et le mensonge se trouve en toi. »