Belle rencontre avec Marie-Sabine Roger et son roman Loin-Confins, paru aux éditions du Rouergue ! Quel livre plein d’humanité et de poésie pour décrire une réalité poignante, celle de la maladie mentale, d’un quotidien gris, fermé à l’espoir par les barres d’une HLM.
Marie-Sabine Roger a un don pour nous emporter dans le rêve, dans le royaume de Loin-Confins, archipel situé dans l’océan Frénétique. Les récits fabuleux du père de Tanah, petite fille de neuf ans, la transporte vers ces rivages merveilleux. Et elle admire ce père, Agapito 1er, magnifique conteur, roi déchu, privé de son royaume par un frère cupide qui a usurpé le trône. En attendant elle est princesse et se prépare à régner mais dans un avenir lointain. Et ce ne sont pas les récriminations de sa mère qui cherche à la ramener à la vraie vie qui vont y changer quelque chose !
Tanah grandit ainsi, petite fille seule mal partagée entre une mère ancrée dans le réel au point de ne voir dans les histoires pour enfants qu’un ramassis de mensonges stupides, et qui méprise au plus haut point tout ce qu’elle appelle « des imaginations », et un père divaguant comme d’autres respirent. »
Mais de son père ou sa mère, la plus prisonnière des deux, n’est-ce pas la mère, « les pieds soudés au sol » « bétonnée dans le concret, le vrai , le quantifiable, les vérités sans poésie »?
Pourtant l’écrivaine, à travers la narration de Tanah devenue adulte, porte aussi un regard compréhensif sur cette femme qui a élevé seule ses sept enfants. Car si l’un vit ailleurs, il faut bien que ce soit elle qui assure les difficultés de tous les jours. La mère, qui, comme toujours, a le mauvais rôle ! Celle que Tanah n’aime pas ! De même qu’elle n’aime pas ses frères qui ont fui la maison dès qu’ils ont été en âge de partir, de fuir la folie.
Loin-Confins est une belle histoire d’amour entre un père et sa fille, un amour triste et tendre qui survit à l’écroulement des rêves, à la révélation de la vérité. Pauvre Agapito, une nouvelle fois déchu de son trône et enfermé dans un asile psychiatrique ! Et pourtant ces « mensonges » ont construit un lien indéfectible entre les deux personnages à qui il suffit, parfois, de les évoquer pour partir à nouveau sur les îles lointaines. D’ailleurs, n’est-ce pas les récits de son père qui, en l’arrachant à la tristesse, lui ont donné sa force, l’ont orientée vers le métier qu’elle aime et ont fait d’elle une femme libre et aimante. « Tanah, elle, se souvient d’une enfance inventée qu’elle garde secrète. Une enfance qui lui donne une force incroyable. La force des enfants choyés. »
Merveilleux roman ! Il décrit une réalité sociale humble et difficile avec finesse, il montre combien le regard des autres sur la maladie mentale est une souffrance pour ceux qui le subissent … Il parle avec sensibilité et intelligence de l’importance de l’imagination qui pare la terne réalité de couleurs scintillantes et permet de vivre. Encore un coup de coeur de cette rentrée littéraire !
« Lorsqu’il est l’heure de s’en aller, Tanah serre tendrement son père dans ses bras, dans un geste très doux et très précautionneux. Elle n’est pas sûre qu’il s’aperçoive de son départ, une fois refermée la porte. Elle n’oublie jamais de lui dire qu’elle l’aime.
C’est un amour de larmes aux yeux. »
jeudi 24 septembre 2020
Marie-Sabine Roger : Loin-Confins Rentrée littéraire 2020
dimanche 20 septembre 2020
Carrières de Lumière au Baux de Provence : Salvador Dali et Gaudi
Voir origine de la photo ici |
Salvador Dali ou l'énigme sans fin est le peintre choisi pour la projection d'images sur les hautes murailles des carrières de lumière aux Baux de Provence; cette année, covid oblige, il est obligatoire de reserver, le nombre d'entrées étant limité.
Voilà le texte de présentation officiel sur le site des Carrières :
"À travers un parcours thématique, vous vous promenez dans des paysages surréalistes et métaphysiques et se retrouve au coeur des oeuvres surprenantes de l’artiste à l’imagination débordante. Peintures, dessins, photographies, sculptures, gravures, films et images d’archives rappellent la personnalité unique du peintre à la moustache célèbre mais également ses obsessions pour l’étrange et le surnaturel ainsi que sa fascination pour sa femme Gala, sa véritable muse.
Des chefs-d’oeuvre emblématiques, des Montres molles au Visage de Mae West en passant par Léda Atomique et La tentation de Saint Antoine, révèlent le talent de Dalí, créateur de nouveaux langages et de toiles uniques, inspirées des grands maîtres de la peinture tels que Vélasquez, Raphaël, Vermeer ou Millet.
La nouvelle création révèle les miroirs de la pensée du peintre dans une atmosphère presque hypnotique et revient sur les différentes facettes de l’artiste. De ses recherches initiales impressionnistes et cubistes à ses oeuvres mystiques aux thématiques religieuses en passant par sa période surréaliste et ses rapports à la scène, à la photographie et au cinéma.
L’ensemble de l’exposition numérique est rythmé par les musiques de Pink Floyd..."
Les images d'Eric Spillert en montrent bien le côté spectaculaire.
J'ai
pris quelques photos moi-même, lors de la visite, malgré l'obscurité, sur lesquelles, comme toujours,
la taille des visiteurs donne l'échelle des murs de la carrière et la
dimension des images.
Certains aspects de la projection m'ont plu mais j'ai trouvé que parfois les images étaient trop petites et disséminées par rapport au gigantisme du site, le choix musical peu en accord et j'ai moins aimé le spectacle, cette année.
Dali |
La projection vidéo sur Gaudi, plus lumineuse m'a paru plus réussie.
vendredi 18 septembre 2020
Jack London : Les contes des mers du sud
Le recueil Les contes de la mer du sud de Jack London, paru en 1911, regroupe huit nouvelles dont l’écrivain a trouvé les matériaux lors d’une croisière et un séjour de deux ans dans les archipels de l’océan pacifique en 1907 autour des îles Salomon, Fidji et de la Polynésie Française.
Les titres de ces nouvelles : La graine de MacCoy, Le païen, l’Inévitable Blanc, les Salomon, îles de la terreur, Maouki, Yah! Yah! Yah !, La maison de Mapuhi, La dent du cachalot…
Aventures…
On y retrouve la force des récits d’aventures de Jack London, inégalable conteur, que ce soit dans le récit d’effroyables tempêtes, de naufrages, de Tsunami terrifiant, mais aussi d’absence de vent, calme plat qui réduit les voiliers à l’immobilisme avec le manque d’eau et de nourriture, que ce soit avec les épidémies qui ravagent l’équipage et les passagers ou les attaques meurtrières des blancs contre les indigènes et réciproquement. On se laisse ainsi entraîner fort loin de notre quotidien, en plein océan pacifique, chez les peuples de coupeurs de têtes !
Portraits
London présente aussi une galerie de portraits d’hommes rudes, aventuriers blancs parfois sans morale ou humanité, trafiquants surtout préoccupés des profits qu’ils font en exploitant les indigènes, iliens sauvages ou cannibales qui défendent leurs territoires … Parfois au-dessus de cette humanité moyenne, certains personnages sont moralement supérieurs : le canaque Otoo, natif de Bora Bora, une des îles tahitiennes, dans Le Païen est un de ces hommes, courageux, sincère, dévoué. Il se lie d’amitié avec le narrateur :
Otoo était la bonté personnifiée. Bien qu’il mesurât six pieds de haut et fût musclé comme un gladiateur romain, il était la gentillesse et la douceur même.
S’il est païen et tient à le rester, Otoo, non seulement n’a rien à envier aux chrétiens qui veulent le convertir mais il leur est souvent cent fois supérieur. Il en est de même de Mac Coy dans la nouvelle La graine de Mc Coy, gouverneur de Pitcairn, descendant d’un révolté du Bounty. Il provoque d’abord le mépris du capitaine et de ses officiers par sa tenue négligée. Mais il sauve le navire en feu au mépris du danger au cours d’un récit haletant où la course contre l’incendie qui risque de faire exploser le bateau est engagée ! Ce sont mes deux nouvelles préférées, certainement parce qu’elles nous redonnent confiance en la nature humaine. ce qui n’est pas le cas des autres nouvelles !
Colonialisme
Mais ce qui fait l’intérêt primordial de ces nouvelles, c’est la vision de la violence et de l’horreur du colonialisme. Les hommes blancs affirment leur suprématie à l’aide de canons, de fusils, de spoliations, d’exécutions répétées et toujours impunies.
Ils réduisent les autotochtones à un esclavage qui ne porte pas son nom puisque les hommes ne sont pas « obligés » de s’enrôler (sauf la misère qui les y contraint), sont « payés » (un salaire dérisoire pour des heures non stop de travail pénible et dur ). Ils sont punis (fouets, coups, prison à la moindre négligence ou révolte) et écopent d’années supplémentaires s’ils cherchent à s’enfuir. C’est ce qui arrive à Maouki, fils du chef de Port-Adam.
L’esprit du colonialisme c’est bien sûr l’inévitable blanc dans la nouvelle éponyme :
- J’ai vu, reprit le capitaine Woodward, je ne sais combien de braves gens s’obstiner à traiter les noirs comme des égaux.
« Mal leur en pris et ils ont tous fini dans l’estomac de leur nouveaux amis ».
« Non, non, mille fois non! Ne me parlez pas de comprendre les noirs. La mission du blanc est être fermier du monde et il n’a pas à s’attarder à des contingences aussi dangereuses qu’inutiles »
Dites à un blanc qu’il trouvera de la nacre dans un lagon infesté de cannibales. Il n’ira pas s’attarder à parlementer avec eux. Mais solidement armé, il arrivera sur un méchant cotre de cinq tonneaux (… )
Et vlan ! il commencera par une fusillade, voire une canonnade en règle. Après quoi, sa demi-douzaine de plongeurs canaques pourra, sans danger, entamer la besogne. (L’inévitable blanc)
On comprend pourquoi les têtes de blanc sont si prisées par les indigènes et sont un trophée dont ils sont fiers ! Ceux-ci sont cannibales et leurs ennemis finissent si possible dans leur marmite.
« Manger ou être mangé avait été, de tout temps, la loi du pays. Pour longtemps encore, elle semblait destinée à demeurer telle (La dent de cachalot)
Voilà donc une série de contes qui plaisent par les différentes approches qu'ils nous proposent. Une lecture intéressante mais qui nous secouent.
A propos du cannibalisme
Je me suis demandée si Jack London faisait la part belle à l'imaginaire en nous parlant du cannibalisme. existait-il encore des cannibales dans les îles du sud ?
Montaigne parlait déjà de ceux du Nouveau Monde dans l'essai du même nom. Il note que ceux-ci mangent leurs ennemis morts en signe de vengeance alors que les Portugais les torturent longuement et avec raffinement avant de les pendre!
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.
*le cannibalisme
** Quand Montaigne écrit les Essais, la France est déchirée par les guerres de religion
Le cannibalisme a duré jusqu’au XIX siècle comme en témoignent des récits de voyageurs. J’ai lu un article et un essai sur la question auxquels je vous renvoie si cela vous intéresse.
https://journals.openedition.org/carnets/10176
https://www.lepoint.fr/culture/le-tour-du-monde-des-cannibales-4-les-gourmets-des-iles-marquises-et-salomon-02-08-2018-2240943_3.php
Lecture Commune avec ?
Voir Pralines, enthousiaste de sa relecture de Croc Blanc : ICI
Lu dans le cadre du challenge Jack London
mercredi 16 septembre 2020
Caroline Fives : Térébenthine Rentrée littéraire 2020
Térébenthine, c’est le surnom péjoratif que les étudiants ont donné au groupe de la narratrice et de ses deux compagnons, Luc et Lucie, qui ont choisi d’étudier la peinture dans les années 2000 à l’école des Beaux-Arts de Lille. Car, sachez-le ! La peinture est morte ! On ne parle plus que performances et installations. Je n’ai rien contre l’art conceptuel que je trouve parfois passionnant malgré certains excès, ni contre les artistes conceptuels mais contre ceux qui considèrent l’art comme un marché, contre ceux qui font de l’art une question de « mode », contre les théoriciens dictatoriaux, enseignants, philosophes de l’art, qui la plupart du temps sont incapables de créer eux-mêmes, mais imposent leur point de vue et mettent dans un même moule uniforme et sans personnalité les jeunes créateurs en formation.
Apprendre à dessiner, à peindre, est passé de mode ainsi l'ont-ils décrété !
Carole Fives raconte, c’est son expérience personnelle, comment elle et ses compagnons peintres sont relégués dans les sous-sol de l’école. Ils n’ont pas de professeur de peinture (le dernier n’a pas été remplacé) et subissent le mépris des enseignants comme de leurs condisciples.
« La figuration est morte, dit un des professeurs, tout autant que la défiguration… C’est l’objet qui nous parle le mieux du monde contemporain, pas l’image ! » ou encore « dans l’échelle du développement psychique, les peintres ne dépassent jamais le stade anal. La peinture, c’est la merde avec laquelle jouent les petits enfants . »
C’est pour ce thème que ce livre m’a intéressée car il questionne notre rapport à l’art et il montre que non seulement les artistes sont pris au piège des « décideurs » mais le public aussi ! Où est notre liberté? Je me le demande ! L’art, après tout, n’est qu’un enjeu économique aux yeux de certains ou une affaire de snobisme, de domination d'une "élite" qui se pose comme intellectuelle et méprise ceux qui ne leur lèchent pas les bottes !
Que nous laissions aux imbéciles, aux snobs et aux « marchands » le soin de faire la « mode » dans l’art est grave. Grave, car il décide de la vie et la mort des artistes. De ces trois étudiants ostracisés, Caroline Fives raconte comment elle-même se tourne vers l’écriture, l’autre vers l’enseignement, et le dernier qui a voulu vivre de sa peinture se suicide. Aucun peintre n’a donc émergé de la formation des Beaux-Arts de Lille dans les années 2000 !
Grave, car il crée, sous prétexte d’innovation et de modernité, une autre forme d’académisme. La hiérarchisation des genres picturaux établie par l’académie plaçait la peinture historique au sommet de l’échelle. On ne pouvait pas être un grand peintre si l’on ne s’illustrait pas dans le Grand genre... Maintenant, l’art doit être « conceptuel » ou il n’est pas ! C’est la même rigidité que l’on retrouve de nos jours qui brime la sensibilité (Ah! Bannissez ce mot que je ne saurais voir ! ), l’imagination, la liberté d’expression de chacun. Il faut accompagner son travail d’un discours qui prime sur l’oeuvre elle-même. Que ce discours soit sincère ou non, peu importe ! Caroline Fives s’en aperçoit bien vite ! Si elle veut réussir à ses concours de fin d'année qui sanctionnent ses études, peu importe le travail qu’elle présente, ce qui est important, c'est d'entrer dans le moule.
L'émotion dans l'art
Les images noires de Christina Boltansky : effacement du souvenir |
Parler d’émotion à propos de l’art ? Ringard ! Ridicule ! Dépassé !
Les écoles d'arts, en France, contribuent donc, largement, par leur enseignement à ce nouvel académisme ! Si je trouve cet état de choses lamentable, c’est parce qu’aucune de ces formes d’art ne devrait s’éliminer. Je ne vois pas pourquoi la peinture ne pourrait pas être elle aussi conceptuelle, et pourquoi l’art conceptuel ne pourrait pas provoquer l’émotion ! C’est le but même de l’art : impliquer l’esprit et le corps, faire naître des sensations, susciter des réactions, parler à l’imagination, émouvoir, toucher, questionner, provoquer…
L’art est irréductible au pur concept, l’art ne peut se passer du corps et de son intuition écrit l'auteur.
Pipilotti Rist |
Personnellement, quel que soit le mouvement contemporain auquel appartient un artiste, je ne m’y intéresse que s’il me touche, me parle, me retient ! Le discours qui accompagne l’oeuvre ne peut m’intéresser que si je ressens quelque chose devant elle. Le nouveau réalisme d’Arman, le land art d’Andy Goldworthy ou de Nancy Holt, les installations de Christian Boltasnsky, d’Annette Messager, les oeuvres lumière de Claude Levêque, ou de Pippilotti Rist font naître des émotions, tout comme certaines peintures ! Celles de Rotko par exemple ! Caroline Fives parle avec beaucoup de justesse de ce qu’elle a éprouvé à New York devant les oeuvres de ce peintre. C’est une expérience que j’ai eu la chance vivre aussi. Lisez ce qu’en dit Caroline Fives et vous comprendrez pourquoi j'en veux à ceux qui veulent nous en priver. Les étudiants sortant des Beaux-Arts ne savent ni peindre, ni dessiner et on leur en a fait passer l’envie, voire on les a poussés à mépriser cet art !
Et puis il y a Rotko, le choc Rotko. Tu avais déjà vu les toiles immenses de ce peintre sur des catalogues, dans des magazines. Jamais en vrai. Tu flottes au milieu des monochromes en suspension, tu te perds, tu oublies pourquoi tu es là. C’est une pure expérience de la couleur, du silence, puis finalement une grosse envie de chialer. Tu sais que beaucoup de gens ressentent ça, tu sais que tu n’es pas la première à craquer devant Rotko,, ses toiles sont connues pour faire éclater les gens en sanglots, lui faire baisser les armes. Ce que l’art conceptuel s’emploie depuis des années à détruire, ce que l’art conceptuel refoule depuis des années, éclate sur les toiles de Rotko : l’émotion. Toute l’intelligence du monde ne peut rien y faire, l’art est avant tout une affaire d’émotion.
Mark Rokto |
La place des femmes dans l'art
Le deuxième thème du roman - il me touche aussi - est celui de la place de la femme dans l’art. Les artistes féminines sont nombreuses et elles aussi ont influencé l’art contemporain. Aucune n’est présentée dans le cours du professeur d’histoire de l’art à l’école des Beaux-Arts de Lille, nous dit Caroline Fives. Malheureusement, ceci est trop vrai et dans tous les arts ! Allez aux Rencontres de la photographie d’Arles et, en dehors de quelques rares élues, vous constaterez que les photographes représentés sont en majorité des hommes, choisis, bien sûr, par un jury masculin.
Si vous intéressez à l’art, en particulier à la peinture, lisez Térébenthine, le livre de Caroline Fives. Il est au coeur des questionnements de l’art contemporain et de son devenir.
Enfin bonne nouvelle ! Il paraît qu’en 2020, la peinture est à nouveau à la mode !!
lundi 14 septembre 2020
Pat Barker : Le silence des vaincues Rentrée littéraire 2020
Le silence des vaincues de Pat Barker
Qui a dit que la rentrée littéraire n’était pas intéressante ? Pas moi en tout cas ! Le silence des vaincues est un coup de coeur.
J’en aime le sujet : la guerre de Troie revue par une femme, Briséis, la captive d’Achille, son trophée, l’enjeu de sa rivalité avec Agamennon, la raison de sa colère et de son refus de se battre !
Et je trouve audacieux et intelligent de la part de Pat Barker cette Iliade débarrassée des ors de la légende, du grandissement épique qui auréole les guerriers grecs ou troyens. Les héros sont ramenés à leur condition d’hommes, les combats ne sont plus orchestrés par les dieux.
Pat Barker refuse l’épopée parce qu’elle magnifie la guerre et elle nous ramène à ce que nous sommes, près de la terre !
Ce thème est introduit dès l’incipit du roman qui claque comme une gifle :
« Le GRAND ACHILLE, LE BRILLANT ACHILLE, le bouillant Achille, le divin Achille… Comme les épithètes s’accumulent ! Nous ne l’appelions jamais par aucun de ces noms; nous l’appelions « le boucher ».
La guerre, donc, vue à hauteur de femme : tuerie de masse, ivresse du meurtre et de la violence, la guerre et ses horreurs sans gloire qui révèle les pires instincts, folie, cruauté, qui peint les combattants tels qu’ils sont, couverts de sang et de souillures organiques, cervelles éparses, intestins déversés. Et le sort des des vaincues, toujours le même, éventration des femmes enceintes, assassinat de leurs enfants, viol, servitude sexuelle, esclavage, humiliations, maltraitance, avilissement, désespoir… Pat Barker nous révèle une autre réalité sous la richesse affichée des vainqueurs. Achille mange dans une vaisselle d’or mais la saleté et la misère règnent dans le camp des Grecs, odeurs délétères des latrines et de l’hôpital, amoncellement des dépôts d’ordure qui entraîne la peste, réinterprétation du récit homérien qui décrit l'épidémie comme une vengeance du dieu Apollon offensé en la personne de son prêtre Chrysès.
Ajoutez à ces propos, un roman passionnant, addictif, plein de compassion, qui nous fait découvrir des êtres vivants, complexes, tourmentés, divisés, tout en nous plongeant au coeur de l’humanité, de ses souffrances, de ses contradictions. C’est aussi une grande réussite de l’écrivaine d’avoir évité le manichéisme, d’avoir su montrer la fragilité de ces « héros » devenus machines à tuer. Achille, enfant abandonné par sa mère, la déesse Thétys, quand il était enfant, souffrant toujours d’un manque affectif, Patrocle, empathique, mais se transformant en tueur sur le champ de bataille. Les rapports ambivalents des deux amis, entre domination, soumission et amour indéfectible.
L’écrivaine connaît son Iliade sur le bout des doigts et nous fait partager le plaisir érudit, mis à la portée de tous, même de ceux qui ne connaissent par l’oeuvre d’Homère, de retrouver les personnages illustres, Hécube, Hélène, Cassandre, Ulysse, Nestor, Ajax…et d’assister aux grands sommets de l’histoire de Troie : la visite de Priam à Achille pour réclamer son fils Hector mort sur le champ de bataille, celle de de Chrysès, le prêtre d’Apollon, venu chercher sa fille Chryséis, la dispute entre Agamemnon et Achille, sa mort … Mais en même temps, elle démystifie tous ces personnages et nous parle des victimes, de ces femmes obscures, livrées à la soldatesque, battues, survivant dans la peur et dans la violence.
C’est ainsi que le récit de Pat Barker offre une vision féminine ( féministe ? mais pas obligatoirement, tous les pacifistes peuvent se reconnaître dans cette proposition) de la guerre de Troie mais elle décrit aussi avec réalisme ce que sont toutes les guerres. A travers l’Iliade, elle nous parle de notre époque ou plutôt de toutes les époques et donne une vision universelle de la guerre avec sa corrélation, la violence faite aux femmes. Elle nous oblige à réfléchir à notre humanité qui n’a jamais pu et su éviter que les conflits dégénèrent en boucherie et qui n’a jamais su gagner en sagesse !
Un beau roman, au style efficace, sensible et vibrant, qui, tout en nous renvoyant à l’actualité, donne pour la première fois la parole aux femmes, reines déchues, filles violées, arrachées à l’enfance, esclaves battues, victimes d’hier et d’aujourd’hui. Une belle réussite !
samedi 12 septembre 2020
Lola Lafon : Chavirer rentrée littéraire 2020
Chavirer de Lola Lafon chez Actes Sud
Depuis La petite communiste qui ne souriait jamais, je lis les romans de Lola Lafon avec attention et décidément, c’est un écrivain que j’aime ! Elle traite de thèmes qui ne sont pas toujours ma tasse de thé, à priori, mais auxquels elle parvient à donner une intensité qui vous tient captive, en haleine, thèmes qui sont toujours intégrés dans la société et répondent à vos questionnements.
Il en est ainsi pour « chavirer « .
J’ai d’abord eu peur du sujet découvert en lisant la quatrième de couverture : 1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve : devenir danseuse de modern jazz. Mais c’est un piège, sexuel, monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner d’autres collégiennes.
Mais connaissant Lola Lafon, je savais que ce thème n’avait pas été choisi par opportunisme, à l’heure du mouvement du Me too, mais parce qu’elle avait beaucoup à dire sur la question!
Culpabilité et innocence
Danseuse de modern jazz |
On lit toute la première partie du livre en apnée sans pouvoir refermer le livre. Il y est racontée le piège qui se referme sur la jeune fille et sur celles qu’elle entraîne avec elle. Alors que dès le début nous savons ce qui va se passer, une impression d’angoisse naît, liée à notre impuissance à arrêter ça ! « Ça »? le saccage de l’enfance, du rêve et de l’innocence.
Le roman pose le problème de la culpabilité. Quand cesse-t-on d’être une victime pour devenir coupable? C’est la question que toute sa vie Cléo se posera, elle qui a envoyé ses camarades de collège dans le piège, sachant ce qui allait leur arriver. Pourquoi les fillettes n’en ont jamais parlé ? Honte, peur d’être jugées, coupables quelque part de ce que « on » leur a fait subir.
Mais Lola Lafon montre aussi que ce sont les classe sociales modestes qui sont les plus touchées. Cléo a pour consigne de ne viser que les enfants des milieux et des quartiers populaires, dont elle fait partie elle-même : le milieu social, les fins de mois difficiles, les problèmes d’argent, l’ignorance de la famille désarmée, l’impossibilité de s’attaquer à des hommes haut placés, puissants, riches, intouchables, l’acceptation aussi de certains parents comme seul moyen pour leur fille d’échapper à la misère sociale, le laxisme de l’époque vis à vis des prédateurs, ces hommes âgés qui font de bons « fiancés » argentés. Nous sommes dans les années 80.
Culpabilité individuelle mais aussi collective, et par delà ce thème, celui du pardon. Cléo pourra-t-elle un jour être pardonnée et surtout se pardonner ?
Une construction savante
La construction du roman qui ne respecte pas l’ordre chronologique introduit tout une galerie de personnages qui croisent la vie de Cléo : Yonaz son ami de collège, qui ne « veut pas être juif », Claude, son habilleuse, si proche d’elle, comme une seconde « maman » et qui pourtant la déçoit, Betty jeune danseuse noire, victime comme elle, Ossip son Kiné, Lara son amante…
Ces nombreux personnages sont autant de portraits individuels, intéressants en eux-mêmes, mais qui ont aussi une fonction narrative puisqu’ils qui reflètent comme dans jeu de miroirs multiples les différentes personnalités de Cléo et nous donnent des points de vue différents. Mais c'est parfois Cléo qui nous renvoie l'image des autres.
Danseuses du Lido |
Et puis nous pénétrons dans le milieu de la danse, non celle du classique, celle qui se produit sur la scène de Garnier, adoubée par la bourgeoisie mais celle des plateaux télévisés de Drucker, des danseuses du Lido : strings et paillettes. La danse populaire, la danse méprisée par la « bonne » société !
"Tout était faux, là résidait
la beauté troublante de ce monde-là... Les filles faisaient semblant
d'être nues, elles surjouaient leur joie sur scène quatre-vingt-dix
minutes durant Ca c'est Paris, elles venaient d'Ukraine,
d'Espagne ou de Clermont-Ferrand. La sueur ternissait le satin de leurs
bustiers, des traces jaunâtres persistaient en dépit des nettoyages, les
strings étaient pulvérisés de spray antibactérien, les résilles
s'incrustaient dans le tendre des cuisses, elles laissaient des ratures
quadrillées : de loin, on n'en apercevait rien. (...) La lumière
escamotait les accrocs, les faux plis, les traces de cellulite, les
cicatrices, elle atténuait les rides et le roux criard d'une coloration
bon marché. Les bustiers en tissu à paillettes laissaient des plaques
vermillon sur les flancs de Cléo, des estafilades bordeaux sous ses
aisselles : des débris de plastique que la sueur aiguisait. De loin, on
n'en apercevait rien."
Savez-vous que les danseuses du Lido sont d'excellentes danseuses qui ont des années de travail assidu derrière elles, souvent issues du classique, mais trop grandes pour interpréter le répertoire ? Elles sont traitées comme des objets, dans les mains des chorégraphes, des directeurs des revues, des décideurs de tout bord et parfois d’un certain public. Un taxi vient les chercher à la sortie de leur loge pour les soustraire aux empressements de ces messieurs libidineux. Si, en plus, elles sont noires, alors, elles ne peuvent prétendre à faire du classique ! Une sylphide ou une Gisèle pourrait-elle être noire ?
Savez-vous qu’il n’y a jamais leur nom sur les programmes comme il est d’usage pour n’importe quel artiste ? qu’elles sont payées des clopinettes, qu’elles risquent leur place si elles se blessent et s'arrêtent, que leur sécurité n’est pas assurée!
Lola Lafon, avec son style efficace, sensuel, réaliste et élégant à la
fois, sait comme nulle autre nous montrer l’envers du décor, la
souffrance sous le sourire obligatoire, les odeurs de sueur et de
pommade de camphre, les irritations des aisselles, le sang sous les
paillettes, tout un monde de faux-semblant dans lequel, toujours, les
femmes sont des victimes.
Et pourtant, l’amour de leur art les pousse à endurer la souffrance, à repousser les limites de leur corps pour un dépassement d’elles-mêmes avant que la désillusion, l’amertume, l’échec, les poussent au renoncement.
Un beau roman, très bien écrit, riche en émotions ! Une des belles découvertes de cette rentrée littéraire 2020 !
jeudi 10 septembre 2020
Rentrée littéraire 2020 : Mes choix
Certains livres de la rentrée littéraire 2020 m'ont tentée et j'ai "craqué" sur ces titres qui ne sont pas obligatoirement ceux qui sont en tête de la course aux prix, je crois...
Et j'en ai déjà lu deux avec beaucoup de bonheur : Chavirer de Lola Lafon et Le Silence des vaincues de Pat Barker que je vous présenterai bientôt. Je ne regrette pas mon choix !
Chavirer de Lola Lafon
1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve : devenir danseuse de modern jazz. Mais c’est un piège, sexuel, monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner d’autres collégiennes.
2019. Un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation.
Devenue danseuse, notamment sur les plateaux de Drucker dans les années 1990, Cléo comprend qu’un passé qui ne passe pas est revenu la chercher, et qu’il est temps d’affronter son double fardeau de victime et de coupable.
Le silence des vaincues de Pat Baker éditions Charleston : Une Illiade écrit par une femme, Briséis.
"Elle était reine.
Briséis de Lyrnessos, vénérée et respectée. Mais, hors des murs du
palais, la guerre de Troie fait rage et bientôt la cité de Lyrnessos
tombe sous les assauts grecs. En quelques heures, Briséis voit son mari
et ses frères massacrés ; de reine, elle devient esclave. Un trophée
parmi d’autres pour l’homme qui l’a conquise : le divin Achille dont les
générations futures chanteront les exploits. Captive du camp grec,
Briséis doit choisir : se laisser mourir ou survivre.
J'ai très envie aussi de lire le roman de Barbara Kingsolver, Des vies à découvert et de David Bailly, L'autre Rimbaud Ariane de Tant qu'il y aura des livres voir ici
ou encore Richard Russo Retour à Marha'sVineyard dont Ingammic propose une LC voir ici J'espère avoir l'un des trois demandés chez Masse Critique Babelio! J'attends la réponse avant d'acheter !
* remarque ajoutée le 12/09 ; je n'ai eu aucun des livres ! Des romans de la rentrée littéraire, tout le monde a dû s'y précipiter ! Et comme c'est tiré au sort !
Comment je choisis mes livres ? Je lis les critiques, bien sûr, et en particulier les vôtres, amies blogueuses ainsi les billets que vous avez rédigés sur Des vies à découvert de Barbara Kingsolver m'ont donné envie de découvrir le livre ! Keisha voir ici
Ensuite le nom de l'auteur peut emporter l'adhésion mais il y a aussi le thème général. Pour Chavirer, le thème me faisait peur mais j'ai fait confiance à Lola Lafon, et j'ai eu raison ! Pour Le silence des vaincues, c'est le thème qui m'a emballée, je ne connaissais pas l'auteur. Et quelle belle découverte! C'est un coup de coeur !
Loin-Confins
Marie-Sabine Roger
Il y
a longtemps de cela, bien avant d’être la femme libre qu’elle est
devenue, Tanah se souvient avoir été l’enfant d’un roi, la fille du
souverain déchu et exilé d’un éblouissant archipel, Loin-Confins, dans
les immensités bleues de l’océan Frénétique. Et comme tous ceux qui ont
une île en eux, elle est capable de refaire le voyage vers l’année de
ses neuf ans, lorsque tout bascula, et d’y retrouver son père. Il lui a
transmis les semences du rêve mais c’est auprès de lui qu’elle a aussi
appris la force destructrice des songes.
Dans ce beau et grave roman qui joue amoureusement avec les mots et les
géographies, Marie-Sabine Roger revient à ce combat perdu qu’on nomme
l’enfance et nous raconte l’attachement sans bornes d’une petite fille
pour un père qui n’était pas comme les autres.
Térébenthine choisi pour le débat sur la peinture considérée comme dépassée. Il faut dire que c'est un art que j'aime énormément et ce rejet me paraît stupide. Comme si l'art conceptuel et l'art pictural ne pouvaient pas coexister. Ceux qui dictent "la mode" dans l'art créent des formes d'académisme. C'est dire que le sujet m'intéresse !
Térébenthine
Devenir peintre est pourtant son rêve. Celui aussi de Luc et Lucie, avec qui elle forme un groupe quasi clandestin dans les sous-sols de l’école. Un lieu de création en marge, en rupture.
Pendant ces années d’apprentissage, leur petit groupe affronte les humiliations et le mépris. L’avenir semble bouché. Mais quelque chose résiste, intensément.
J'ai eu envie de découvrir Lumière d'été puis vient la nuit parce que le livre parle de l'Islande, un pays que je rêve de visiter après la Norvège, la Suède et la Finlande. Il a l'attrait des pays nordiques que j'aime tant. La photo de la première de couverture introduit le rêve.
Pourtant, ce quotidien si ordonné se dérègle parfois : le retour d’un ancien amant qu’on croyait parti pour toujours, l’attraction des astres ou des oiseaux, une petite robe en velours sombre, ou un chignon de cheveux roux. Pour certains, c’est une rencontre fortuite sur la lande, pour d’autres le sentiment que les ombres ont vaincu - il suffit de peu pour faire basculer un destin. Et parfois même, ce sont les fantômes qui s’en mêlent…
En huit chapitres, Jón Kalman Stefánsson se fait le chroniqueur de cette communauté dont les héros se nomment Davíð, Sólrún, Jónas, Ágústa, Elísabet ou Kristín, et plonge dans le secret de leurs âmes. Une ronde de désirs et de rêves, une comédie humaine à l’islandaise, et si universelle en même temps. Lumière d’été, puis vient la nuit charme, émeut, bouleverse.
Traduit de l'islandais par Éric Boury
Et Frank Buysse, Buveurs de vent, pour le thème, le résumé, le titre (que je trouve beau) mais je n'ai pas lu de critiques.
Ils sont quatre, nés au Gour Noir, cette vallée coupée du monde, perdue au milieu des montagnes. Ils sont quatre, frères et sœur, soudés par un indéfectible lien.
Marc d’abord, qui ne cesse de lire en cachette.
Matthieu, qui entend penser les arbres.
Puis Mabel, à la beauté sauvage.
Et Luc, l’enfant tragique, qui sait parler aux grenouilles...
Tous travaillent, comme leur père, leur grand-père avant eux et la ville entière, pour le propriétaire de la centrale, des carrières et du barrage, Joyce le tyran, l’animal à sang froid…
Dans une langue somptueuse et magnétique, Franck Bouysse, l’auteur de Né d’aucune femme, nous emporte au cœur de la légende du Gour Noir, et signe un roman aux allures de parabole sur la puissance de la nature et la promesse de l’insoumission.
lundi 7 septembre 2020
Olivier Truc : Le cartographe des indes boréales
Ici, avec ce roman de 739 pages, intitulé Le cartographe des Indes boréales, nous partons du pays basque où vit Izko pour voyager à travers l’Europe du XVII siècle, de 1628 à 1693, Portugal, France, Pays-bas, Suède, Laponie suédoise, sans oublier une tragique chasse à la baleine dans l’archipel du Svalbard norvégien dans l’océan Arctique.
Ce roman qui s’appuie sur des bases historiques solides met en scène des personnages qui ont réellement existé, illustres comme la reine Christine, Pierre de Lancre, juge au parlement de Bordeaux pour en citer qu'eux.
Et puis il y a Izko, jeune garçon, âgé de 13 ans au début du roman. Il vit à Saint-Jean-de- Luz et rêve de devenir chasseur de baleines comme son père. Mais Pierre de Lancre, va en décider autrement. Pour des raisons que Izko mettra toute une vie à découvrir, ce personnage tout puissant va convaincre ses parents de faire de leur fils, un espion à la solde de Richelieu. Celui-ci doit partir à l’Ecole de Sagres au Portugal puis à Lisbonne pour apprendre la cartographie et il sera ensuite envoyé en Suède, à la cour de la reine Christine, puis en Laponie. Tout en cartographiant ces pays encore mal connus, il envoie des rapports qui permettent à la France de connaître les ressources naturelles de ces puissances étrangères et de louvoyer dans ses rapports conflictuels avec la Suède et les Pays-Bas.
La cartographie comme base de l’espionnage ! C’est là qu’on découvre l’importance de cette science toute nouvelle, les ateliers de cartographie d’Amsterdam, et le pouvoir que détiennent les cartographes capables d’envoyer à la mort un équipage d’un navire pour une faute de relevé involontaire ou de tricher sur les défenses d’une ville pour la rendre plus redoutable à ses ennemis !
Je me suis passionnée pour de nombreux aspects du roman : participer dans les moindres détails à une chasse à la baleine et découvrir les conditions de la vie rude et dangereuse de ces marins, rencontrer la fameuse reine Christine qui se convertit au catholicisme et renonça au trône, assister au naufrage du Vasa, le bateau que j’ai visité au musée de Stockholm, découvrir l’horreur de la chasse aux sorcières en France, et renvoyer ainsi dos à dos l’intolérance, le fanatisme, la folie meurtrière de l’église catholique et des pasteurs luthériens, deux églises toute puissantes qui font contrepoids au pouvoir royal dans leur pays respectif pour le pire et non pour le meilleur ! Le portrait du pasteur luthérien rigide, cruel, avide de pouvoir, zélateur, est d’ailleurs très bien campé.
Mais plus que tout ce qui m’a intéressée, c’est d’en apprendre plus (les livres d’Olivier Truc et mes visites dans les musées ethnographiques m’en avaient donné un bon aperçu) sur la colonisation brutale, sauvage des samis, paupérisés par les exactions des colons, obligés de se convertir, d’abandonner leurs pratiques religieuses, privés de liberté, bref! traités comme des esclaves… Et de le découvrir par le biais du roman, c’est à dire à travers de personnages qui vivent l’histoire. Même si pourtant j’ai trouvé parfois trop longs et répétitifs certains passages.
J’ai beaucoup aimé ce roman mais il m’a manqué quelque chose pour qu’il devienne addictif. Parfois, il paraît un peu trop long comme je l’ai noté ci-dessus. Mais parfois, au contraire, les années défilent trop rapidement! Quand on commence à se laisser emporter par des passages de la vie d’Izko, on le retrouve déjà adulte ou âgé dans les chapitres suivants. 65 ans de la vie d’Izko, cet enfant sacrifié, cet homme victime, tourmenté, auquel on s’attache mais que l’on aimerait voir vieillir moins vite !
Alors trop long ou trop court, ce roman ? Je parais être en contradiction ! Mais j’ai parfois eu l’impression que ce roman fleuve avait en lui la matière pour plusieurs romans, une sorte de saga, permettant de s’attarder sur l’enfance d’Izko, sur certaines parties de sa vie tout en ne sacrifiant pas, bien sûr, l’intérêt historique du roman que j’ai vraiment apprécié !
Lu dans le cadre du pavé de l'été initié par Sur mes Brizées édition 2020
vendredi 4 septembre 2020
Jack London : La Petite Dame de la Grande Maison
Après une jeunesse aventureuse qui lui apprend la vie et forge son caractère, Dick Forrest, riche héritier, revient pour faire fructifier ses immenses propriétés, ses riches cultures, ses élevages modèles, ses mines et entreprises diverses. S’il vit dans le luxe, reçoit beaucoup d’amis, il a une vie de travail rigoureuse et réglée qui lui laisse peu de temps pour s’occuper de sa jeune, jolie et spirituelle épouse, « la Petite Dame de la Grande Maison », Paula Desten.
Paula est l’idéal féminin de Jack London, non seulement parce qu’elle est belle et gracieuse mais parce qu’elle est intrépide, aventureuse, et ne connaît pas la peur. Cavalière émérite, nageuse hors pair, c’est aussi une musicienne et une chanteuse pleine de sensibilité. Elle a beaucoup d’humour et le sens de la répartie, inspire l’amour à tous les hommes qui l’entourent mais s’attire aussi leur respect et leur dévotion.
Dick Forrest est présenté comme un homme hors du commun, non seulement par son intelligence, sa grandeur de vue, sa force de travail, son sens extraordinaire des affaires, mais aussi par sa virilité, son courage, son caractère ferme et sa culture. C’est un meneur d’hommes. Bel homme, il séduit son entourage féminin. Comment dans ces conditions pourrait-il avoir un rival ?
Et pourtant, celui-ci existe en la personne d'Evan Graham, son ami, qui se révèle l’égal de Dick et tombe, bien sûr, amoureux de Paula. Homme supérieur, lui aussi ! Aventurier, il a perdu une partie de sa fortune et vit dans une aisance realtive. Musicien lui aussi, il est pourtant plus sensible que Dick et plus à l’écoute.
On comprend ce qui va se jouer entre ces trois personnages. Mais je vous le laisse découvrir.
Je dois dire que cette histoire d’amour à trois m’a très peu touchée. Ces personnages trop parfaits, et leur trop nombreuses qualités, m’ennuient et par conséquent me laissent de marbre. Et non seulement, ils m’ennuient mais en plus, je ne les aime pas.
Paula et son côté mondain, sa façon de faire admirer ses prouesses, de se donner en spectacle à ses invités, me déplaît. Mais c’est surtout Dick, cet homme d’acier, qui m’est antipathique. Je ne comprends pas comment Jack London, le socialiste, peut donner à admirer ce capitaliste avide, ce faiseur d’argent, qui ne parle que chiffres et rendements. Son paternalisme m’irrite : il n’appelle pas ses serviteurs chinois par leur nom mais leur donne des surnoms ridicules. Il a des préjugés de classe et préfère noyer ses mines mexicaines que de les laisser aux mains des péons de Villa, pourtant, ô combien, misérables ! Il pense appartenir à une race d’homme supérieur et le proclame. Comment ressentir alors une quelconque empathie pour eux et leur déchirement intérieur ? Mais… car il y a un mais !
Mais l’histoire est traitée avec originalité et une certaine audace puisque l’on y voit, une femme aimer deux hommes. Situation scandaleuse pour l’époque dans une Amérique puritaine. London évite la banalité, laisse une grande place à la femme et à sa liberté. Les sentiments de Paula sont subtilement analysés et complexes. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de ne pas choisir ? Est-elle réellement libre si l’on considère le dénouement ? Les discussions sur la femme que Dick partage avec ses invités dont d’ailleurs édifiantes sur ce thème, allant de la misogynie la plus pure à l’affirmation de l’amour libre.
« Il ne saurait y avoir d’amour sans liberté.. »
« Les hommes, tous les hommes et les femmes, toutes les femmes, sont capables d’aimer plus d’une fois, de voir mourir le vieil amour et d’en sentir naître un nouveau. Pas plus que l’homme et la femme, l’Etat ne peut s’immiscer dans les affaires d’amour ... »
Il est vrai que Dick gâche un peu cette belle déclaration puisqu’il accorde cette liberté seulement aux hommes (et aux femmes ) « supérieurs ».
N’oubliez pas que je me place au point de vue des natures supérieures. Et ce point de vue éclaire ma réponse à votre question. La grande majorité des individus doit être maintenue dans la légalité et au travail par l’institution de la monogamie ou tout autre espèce de mariage rigoureux. La plupart ne sont pas prêts pour l‘union libre.
Tous ces questionnements nourrissent le récit et l’étoffent, lui donnent de la consistance.
D’autre part, l’attitude de Dick est équivoque. Pourquoi, voyant ce qui se passe, ne fait-il rien pour l’en empêcher? Est-ce l’orgueil qui dicte sa conduite ? Fait-il taire ses sentiments pour être à la hauteur de l’image qu’il veut donner de lui-même, sans faiblesse et sans mesquinerie ?
Je ne puis concevoir ni la loyauté ni la satisfaction qu’il peut y avoir à retenir une femme qu’on aime dès le moment où elle n’aime plus.
Ou est-ce le goût du jeu qui le motive ? La devise qu’il partage avec Paula est :
Au diable la dépense quand il s’agit de s’amuser » ! Et peu importe s’il faut payer de nos dollars, de notre peau ou de notre vie!
Un jeu dangereux ! Savoir qui va gagner de lui ou de son rival ? Découvre-il trop tard qu’il ne supportera pas la perte de Paula ? Du coup, le personnage gagne en zones d’ombre, devient plus humain donc plus intéressant, et ouf! nous sauve du poncif - trop cher au coeur de London et trop récurrent - de l’homme supérieur, blanc et de « race » anglo-saxonne !
Il semble donc qu’il y ait une lecture au second degré beaucoup plus intéressante, celle qui dépasse les apparences lisses de ces héros au panache éblouissant et superficiel pour découvrir en profondeur leurs failles, leurs faiblesses, leurs peurs et apprendre que ce qu’ils jouent ensemble, c’est tout simplement leur vie !
C’est en ce sens que ce roman m’a intéressée.
Lecture commune dans le cadre du Challenge Jack London avec Nathalie ICI
mercredi 2 septembre 2020
Retour à Avignon : A bientôt !
Et voilà, je vais bientôt quitter mon village lozérien pour Avignon et dire au revoir à la maison des Totems aussi surnommée la maison aux belles joubarbes. Retour qui correspond à celui que je vais faire dans mon blog.
Le frêne au bas du pré
La cabane des enfants sur le frêne : que de belles nuits passées à se faire peur !
Et je vous dis à bientôt pour les LC du challenge Jack London que je rappelle ici :
Les lectures de l'été : rendez-vous au mois de Septembre
Pour le 4 Septembre : La petite dame de la grande maison
Pour le 18 Septembre : Contes des mers du sud
Pour le 30 septembre : Le fils du loup et autres nouvelles
vendredi 10 juillet 2020
Camilla Grebe : L'archipel des larmes
Je n’ai pas lu L’archipel des larmes de Camilla Grabe, prix du meilleur roman suédois 2019, mais je l’ai écouté aux éditions Audiolib que je remercie pour cet envoi, texte dit par Audrey Sourdive.
C’est une de mes rares expériences de livre audio et c’est pourquoi, je commence mon billet par mon ressenti en l’écoutant. Je l’ai trouvé bien interprété par une comédienne qui fait entendre les voix des différents personnages et nous permet ainsi de les imaginer. Mais contrairement à la lecture personnelle et silencieuse, je pense que ces longues heures d’écoute ( ce qui pour moi est plus fatigant que lorsque je lis moi-même) met en relief - et m’a permis ainsi de les remarquer- certains imperfections du livre, tics de langage qui reviennent souvent sous la plume de Camilla Grebe, comme l’expression « les papillons dans le ventre », certains moments répétitifs dans le discours féministe, et l’aspect un peu trop didactique de l’histoire des femmes dans la famille et le travail, en particulier dans la police.
Et puisque j’en suis à mon ressenti négatif, je note aussi que la quasi-absence de personnages masculins positifs me paraît aussi trop démonstratif et systématique. Maris ou chefs, il y en a peu qui plaident en faveur de la gent masculine. Je sais bien que la misogynie n’a jamais cessé au cours des siècles et que l’égalité des sexes n’est encore qu’un rêve lointain. Mais, tout de même, oui, il y a des hommes qui se comportent autrement. Ce serait intéressant de les montrer. Heureusement, Camilla Grebe introduit avec le dernier personnage de la jeune Malin, mère d’un petit garçon, une autre idée qui me plaît et qui compense un peu cette peinture caricaturales des hommes : lorsque, dans le travail, les femmes peuvent enfin accéder aux postes supérieurs, elles se comportent de la même manière que les hommes et discriminent les femmes qui cherchent à concilier travail et enfants mais pas obligatoirement au détriment de l’enfant. Il s’agit d’une question de pouvoir et non de sexe.
D’autre part, c’est un détail qui a de l’importance pour moi, je n’aime pas les portraits qui donnent trop de détails vestimentaires. Parfois, oui, quand ils apportent des renseignements sur le caractère et la classe sociale du personnage mais systématiquement, non ! Qu’il ait une cravate rayée ou unie n’est pas essentiel !
Ce que j’ai aimé dans le roman, c’est l’originalité de la construction romanesque qui s'appuie, chaque fois, sur un destin de femme différent et permet de prendre la mesure de l’évolution de la conditions féminine des années 40 à nos jours : en 1944, lors du premier meurtre, Elsie ne peut être que « aide policière » dans son commissariat et son chef la méprise; en 1971, Britt-Marie est intégrée dans la police mais bien qu’elle soit la meilleure tireuse du groupe, et une bonne enquêtrice, on la cantonne au secrétariat. Dans les années 80, Linda, de milieu populaire, est une jeune adjointe optimiste et gaie. Hanne qui devient son amie, issue d’un milieu bourgeois intellectuel, a fait de hautes études et est devenue profileuse. Si certains collègues masculins la considèrent comme une égale et même ont de l’admiration pour elle, elle subit encore le harcèlement d’un supérieur éconduit. Enfin Malin, à notre époque, est elle aussi discriminée mais par une femme. L’égalité n’est pas encore à l’ordre du jour mais elle a désormais des moyens de se défendre. Ces personnages féminins sont très attachants et l’on ne peut qu’être en empathie avec elles.
L’enquête est suffisamment compliquée pour que l’on se demande tout au long du roman qui peut être le coupable. En tout cas, je n’avais pas deviné.
Les inconditionnels de Camilla Grebe seront conquis. Pour ma part, malgré mes restrictions, j’ai pris plaisir à suivre le récit de ces femmes courageuses et victimes.
Merci à Masse critique et aux éditions Audiolib
lundi 22 juin 2020
Cordélia : Alana et l'enfant vampire
Les parents d’Alana, une fillette de 13 ans, sont médiateurs depuis des générations, et sa soeur aînée Alexia semble déjà très douée. Dans ce métier, il faut avoir l’art de la diplomatie mais aussi celui de courir très vite !
Oli, elle, ne sait pas trop quel est son genre. Elle ne se « sent » pas fille ! C 'est ce qu'elle confie à ses amis.
— Et genre tu voudrais être ? un garçon ?
— J'sais pas trop. Peut-être. J'ai pas décidé. Je sais pas si j'ai vraiment envie de me décider.
Oli se mord les lèvres, le regard fuyant. Je lui souris. Je suis contente qu'elle ait eu envie de nous parler de ça. Et j'espère qu'elle finira par trouver tranquillement qui elle veut devenir.
Quant à Joâo, humain transformé en vampire, il ne peut s’intégrer dans aucune société, c’est un exilé qui n’a plus de racines, un être à part ! On voit donc que le thème le plus visité du roman est celui de la différence, de la souffrance qui en résulte. Avoir une grand-mère compréhensive et pouvoir parler de ses difficultés avec ses amis, voilà qui permet de faire face aux difficultés plus facilement et gagner confiance en soi.
Merci à Masse critique et aux éditions Scrinéo