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dimanche 2 janvier 2022

Bonne année 2022

 

Photo Aurélia Frey ici


Ce  paysage de brume, de mystère et de rêve, pour vous souhaiter  à toutes et à tous, une heureuse année 2022, évasion vers de nouveaux horizons, beaux livres pour nourrir la vie, joies des rencontres familiales ou amicales pour une nouvelle année sans pandémie !


Aurélia Frey nuit dans le palais des glaces


mardi 7 décembre 2021

Tania Crasnianski : Enfants de nazis

Himmler et sa fille Gudrun

Voilà déjà quelques années que j’avais Enfants de nazis dans ma PAL et, enfin, c’est fait, je l'ai lu ! Ce qui me fascine dans tous les livres qui ont pour sujet des nazis, et parlent de leur idéologie haineuse et des camps de concentration, c’est le problème de la culpabilité et du Bien et du Mal, entraînant obligatoirement un questionnement sur la nature humaine.
Le premier livre quand j’étais adolescente, a été Le journal d’Anne Franck qui m’a  fait prendre conscience de ce qu’était la nazisme et l’antisémitisme. Mais à cette époque là, l’univers se partageait, à mes yeux, entre les bons et les méchants !  Et en quelque sorte, c’était rassurant !  Il me semblait évident que les Hitler et ses complices étaient des monstres et que tous ceux qui avaient participé à l’holocauste, aux pogroms, aux massacres, n’étaient pas des êtres humains !  

C’est Robert Merle avec Un métier de seigneur qui, le premier en France, a montré que les dirigeants nazis, les directeurs des camps de concentration, étaient des hommes comme les autres, bons pères de famille, amis fidèles pour certains,  cultivés, esthètes pour d’autres, sensibles à la musique et à la beauté de l’art…  On ne naît pas monstre, on le devient ! A un moment ou à un autre l’être humain a le choix entre le bien et le mal qu'il peut refuser. Quand se fait la bascule, quand franchit-on le point de non retour ? et Pourquoi ? Qu’il adhère à une apologie du meurtre par conviction, haine des autres et de la différence (juifs, homosexuels, opposants politiques, tsiganes,  infirmes…), par une conception rigide du devoir, par opportunisme, arrivisme, obéissance passive, lâcheté, ou par nécessité économique, l'homme est responsable…. !  C’est ce dont nous fait part Gitta Sereny dans son essai Au fond des ténèbres où elle questionne le directeur du camp de Treblinka, Frantz Stangl, jugé en Allemagne, attendant son verdict. Et puis il y eut Les Bienveillantes de Littel, Les disparus de Mendelhson, les écrits de Jorge Semprun … pour ne citer qu’eux ... qui appellent à la réflexion !

Hermann Goering et sa fille Edda

L’essai Enfants de nazis m’intéressait donc de bien des façons. Il ne s’agit pas d’enfants d’anonymes mais de ceux des plus hauts dignitaires du gouvernement nazi : Himmler, Goëring, Hess, Franck, Bormann, Höss, Speer et Mengele, devenus les symboles de l’horreur de cette idéologie mortifère.
 Tania Craznianski présente tout à tour, la biographie de chacun, sa place auprès d’Hitler, ses fonctions, ses responsabilités au sein du régime mais aussi ses rapports avec ses enfants :  l’homme politique et le père. Puis elle analyse le vécu des fils ou filles de ces hommes avant et après la guerre lorsque les crimes de leur géniteur sont révélés et après leur condamnation ou leur mort.

Et je me posais les questions habituelles en commençant cet essai : Comment vivre avec le poids des crimes de ses parents, comment ne pas en porter la culpabilité toute sa vie ?
S’il y a des réponses à ces questions, certaines sont parfois déroutantes pour tous ceux qui considèrent les auteurs des crimes nazis comme les symboles de la déchéance humaine. On peut penser, à priori que tous seront frappés d'horreur.

En fait, Martin Adolf Junior, filleul de Hitler dont il porte le prénom, fils de Martin Bormann, ami proche du Fürher, est celui qui a le plus nettement renié son géniteur. Dans son enfance, l’enfant, mis en pension, ne verra son père que pendant les vacances scolaires et ses liens deviennent de plus en plus distants. Après la guerre, séparé de sa famille, il comprend que le nom de Bormann est désormais une « condamnation » . Il est recueilli par une famille aimante et catholique. Il prend conscience du rôle de son père alors qu’il n’avait jamais entendu parler de l’Holocauste. On ne discutait pas de politique chez lui.  « Soudain, lui apparaît abyssale ce dont la nature humaine est capable ». » » Le jeune homme a du mal  à faire fi de son passé et de sa filiation. Il pense que l’on ne peut échapper à ses parents quels qu’ils soient ». Il se convertit au catholicisme, va trouver son salut dans la foi en Dieu et se se fait prêtre…

Mais qu’en est-il de Gudrun, la fille d’Himmler ?
Himmler, rappelons-le, est le maître incontesté de l’appareil répressif du IIIe Reich, l’homme clé de la gestapo et de la SS. Il est au centre du système concentrationnaire et de l’extermination des juifs d’Europe. C’est un bon père. Il adore sa fille qu’il surnomme Püppi et est très proche d’elle. Elle vénère Hitler qui vient manger chez eux; et ses parents la tiennent au courant de la guerre et des enjeux. Elle aussi, dans l’Allemagne d’après guerre, rencontre des difficultés à cause de son nom et se considère comme une victime.  Mais elle voue un culte à la gloire de son père et n’accepte pas de le renier. Plus tard, elle s’implique dans des organismes d’aide aux anciens nazis et manifeste son soutien à l’extrême droite allemande dont elle épouse les idéaux.

La fille de Hermann Goëring, Edda, continue elle aussi à voir dans son père un « héros » et un « père magnifique ». Elle porte son nom avec orgueil et arrogance : « Je n’ai jamais eu de problème avec mon nom. Au contraire, c’est une fierté. ». Dans la famille Goëring, c’est la petite-nièce et le petit-neveu qui ont été marqués par le passé et en assument la lourde responsabilité. Le neveu, Herman Goëring, s’est converti au judaïsme et a choisi de vivre en Israël.
Je vous laisse découvrir ce qu’il en est des autres enfants de ces hauts dignitaires.

A travers ces cas particuliers, l’essai de Tania Crasninaski, soulève des questions plus générales : Un enfant est-il responsable des actes de ses parents ? Est-il juste qu’il assume des crimes qui ne sont pas les siens ? Comment les allemands ont-ils réagi après la guerre face à l’innommable ? - certains minimisant les faits ou les niant, ou rejetant sur Hitler la seule responsabilité, certains pris entre l’amour du père et son reniement conçu comme une trahison, préférant soutenir son idéal, et beaucoup en faisant peser sur les faits une chape de silence.

jeudi 2 décembre 2021

Heather Young : Un été près du lac


Le récit Un été près du lac de Heather Young se déroule sur deux époques : Celle de Lucy, une vieille dame, qui, sentant venir la fin, écrit l’histoire de cet été tragique 1935, à l’intention de sa petite-nièce Justine. Lucy avait onze ans à l’époque et ces vacances avec ses parents et ses soeurs, Lilith, l’aînée, et Emily, la cadette,  représentaient pour elle une grande source de bonheur.
Mais cette année, rien n’est comme avant.  Lilith délaisse sa soeur pour flirter avec les garçons et est en rébellion contre son père. Sa mère surprotège sa cadette Emily … mais de quel danger ? Et pourtant celle-ci disparaît dans la forêt et l’on ne la retrouve jamais
Enfin, l’époque de Justine, 1999, qui après une rupture avec le père de ses filles, cherche à s’extraire de la relation nocive qu’elle entretient avec un compagnon la fois infantile et trop possiesif et pour tout dire phagocyteur. Justement, à la mort de sa grand-tante qui lui lègue sa maison au bord du lac du Minnesota, elle quitte tout et va s’installer dans ce chalet inconfortable et glacial mais qui lui paraît d’abord synonyme de libération.

Au premier abord, mon entrée dans le roman m’a laissé une impression de déjà lue : l’adolescente rebelle, la fin de l’enfance sur fond de vacances et bord de plage… Puis je me suis laissée entraîner par ces pages qui font sentir avec profondeur les non-dits pesants qui règnent dans cette famille prétendument exemplaire. Et même si un lecteur averti comprend vite de quoi il s’agit, il n’en est pas moins vrai que l’auteur parvient à créer une atmosphère lourde, insécure, et à analyser avec finesse les noirs tourments qui agitent l’âme de ce père religieux, confit en dévotion, à la morale étriquée et rigide, et de cette mère, effacée, voire inexistante, et lâche. Quant à la disparition d’Emily, le suspense entretenu autour de ce mystère nous accompagne pendant le récit tout en générant une mélancolie sourde, jusqu’à la révélation finale qui nous laisse sans voix.
En ce qui concerne Justine, sa vie est intéressante et nous suivons avec attention les péripéties de son combat pour devenir une femme indépendante, tout en découvrant le passé de sa famille dont elle s’était éloignée. Malgré tout, j’ai préféré la première période dont les personnages m’ont paru plus fouillés, plus approfondis et qui m’a donc plus accrochée.
Un premier roman intéressant, agréable à lire, avec des qualités d’écriture, qui a été sélectionné pour le meilleur premier roman policier américain.

dimanche 28 novembre 2021

R.J. Ellory : Le chant de l'assassin


1972. Condamné pour meurtre, derrière les barreaux depuis plus de vingt ans, Evan Riggs n'a jamais connu sa fille, Sarah, confiée dès sa naissance à une famille adoptive. Le jour où son compagnon de cellule, Henry Quinn, un jeune musicien, sort de prison, il lui demande de la retrouver pour lui donner une lettre. Lorsqu'Henry arrive à Calvary, au Texas, le frère de Riggs, shérif de la ville, lui affirme que la jeune femme a quitté la région depuis longtemps, et que personne ne sait ce qu'elle est devenue. Mais Henry s'entête. Il a fait une promesse, il ira jusqu'au bout. Il ignore qu'en réveillant ainsi les fantômes du passé, il va découvrir un secret que les habitants de Calvary sont prêts à tout pour ne pas voir divulguer. (quatrième de couverture)

Un mystère donc que Henry va vouloir percer et qui unit dans le même silence les habitants de cette petit ville typique du West Texas. Ce que j’ai apprécié dans ce roman qui est sans contexte « noir » par son sujet et pas les thèmes qu’il présente, c’est la vision qu’il nous donne de la société américaine de cet Etat. Repliés sur eux-mêmes, xénophobes, sclérosés, soumis à un pouvoir corrompu, celui du shérif de la ville mais aussi de ceux qui sont au-dessus de lui, les habitants se taisent, complices, enchaînés par la culpabilité, ou obligés par la peur et la lâcheté.

On a souvent dit que le mal n’a pas besoin d’autre terreau pour prospérer que le silence et l’inaction des gens de bien.

Mais au-delà de ces aspects, ce qui m’a le plus touchée dans Le chant de l’assassin, ce sont les personnages à qui R.J. Ellory donne vie, des personnages puissants - même ceux qui sont secondaires-  dont certains sont très beaux et touchants. Ils nous offrent une réflexion pleine de sagesse, d’amertume ou de pessimisme, selon chacun d’entre eux, sur la vie mais aussi sur le mal, réflexion empreinte souvent d’une tristesse qui nous touche et nous remue profondément.

De façon différente pour chacun, l’âge adulte leur avait apporté la preuve que le monde n’était pas ce lieu magique auquel ils avaient cru enfants, mais un endroit nettement plus sinistre.

Ellory a une grande connaissance des arrière-boutiques de l’âme humaine et sait nous les révéler au grand jour, habilement, en présentant le thème que l’on peut dire biblique des frères ennemis,  Evan et Carson Riggs, chacun avec leurs zones d’ombres et de faiblesses. Face à eux, Henry Quinn incarne la jeunesse et l’espoir avec une droiture non dépourvue d’intransigeance. 

Aux yeux de Henry, il n’y avait pas réellement de différence entre une parole donnée et une parole tenue. C’était dans sa nature, un point c’est tout.

L’alcool n’arrangeait rien. Henry en savait quelque chose. Il ne faisait qu’exacerber des tendances déjà présentes en vous. Au même titre que l’argent. Ou le pouvoir. Donnez l’un ou l’autre à un homme, et vous ne ferez qu’embraser sa nature profonde et la révéler au grand jour.

La construction du roman qui se déroule en alternance dans des temps différents, celui de Evans Riggs et celui de Henry Quinn, tous deux unis malgré la distance temporelle par leur amour de la musique, donne un rythme au roman et relance sans cesse l’intérêt de l’action.

Un grand roman noir !
 

Lire le billet de Kathel : ICI



 

jeudi 11 novembre 2021

Philippe Jaenada : Au printemps des monstres

 

Allez, comme à chaque parution, je suis allée faire une petite incursion dans l’univers de Philippe Jaenada qui nous entraîne dans une nouvelle enquête avec Au printemps des monstres. Quand je dis petite, il s’agit tout de même de 750 pages mais qui se lisent facilement.

Et comme d’habitude, Jaenada, choisit, parmi les meurtriers, une personne qui lui semble innocente du crime qu’on lui impute et il cherche à mettre en relief les erreurs judiciaires, à rétablir si possible la vérité. Il est vrai que l’écrivain, en s’immergeant dans les archives, les rapports d’enquête, les correspondances, les minutes du procès, en se mettant dans la peau de son personnage, en arpentant les lieux qu’il a fréquentés, en rencontrant les personnes qui l’ont connu (s’il en reste), bénéficie d’un recul que n’avaient pas les enquêteurs de l’époque. Ces derniers bousculés par le temps, par leur hiérarchie, par la nécessité d’un rapide résultat, subissaient en outre la pression et parfois l’influence négative des médias. 

Lucien Léger

Le personnage choisi cette fois dans Au printemps des monstres est Lucien Léger condamné pour le meurtre d’un petit garçon en 1964. Retrouvé dans la forêt, étouffé contre la terre, sans trace d’agression sexuelle, l’enfant, semble avoir été assassiné sans raison apparente. Mais au moment où l’enquête commence, un mystérieux Etrangleur écrit des lettres violentes, crues et ignobles, aux parents de l’enfant ou aux journaux, prouvant qu’il est au courant de certains détails du meurtre. L’Etrangleur est bien vite retrouvé. C’est Lucien Léger. Mais s’il a bien écrit ces horreurs, est-il vraiment le meurtrier ? Il plaide coupable sur les conseils de son avocat, pourtant il y a tant d’incohérences dans son récit que le doute s’insinue. Quand il se rétracte par la suite et demande la révision de son procès et ceci à plusieurs reprises tout au long de sa longue incarcération, il ne sera jamais entendu.

L’enquêteur-écrivain s’imprègne de ce qu’il lit et décèle les faiblesses des accusations, les erreurs de logique. Il enquête aussi sur les zones d’ombre des autres personnages, ceux qui entourent Fernand Léger, mais aussi en particulier des parents de la victime et surtout du père, un odieux et trouble personnage, qui s’enrichit sur la mort de son fils ! Les monstres ne sont pas toujours ceux qui passent en jugement.

Au-delà de l’aspect « policier » du roman, nous nous intéressons à la psychologie des personnages, qui est très fouillée et très intéressante et le personnage de Lucien Léger, en particulier, prend du relief au cours de l’enquête judiciaire.
Comme d’habitude l’auteur se met en scène et nous fait partager sa vie, ses doutes et si l’humour est un peu voilé, un peu plus grave que dans les  livres précédents, c’est que l’écrivain nous parle de sa maladie, de son opération, ce qui donne lieu à des scènes savoureuses comme celle de la salle d’attente où Philippe Jaenada découvre, à travers les patients sous bandelettes comme des momies, ce qu’est pour le chirurgien, une tumeur "bénigne" ! Humour qui sert d'exutoire à l'angoisse !

Un livre intéressant et agréable à lire mais je n’ai pas senti l’écrivain aussi impliqué que pour sa « petite femelle » qu’il aimait tant. Il faut dire qu’il est difficile de se passionner pour Lucien Léger, ambigu, sournois, qui, s’il n’a pas commis le crime, a essayé d’en profiter pour se faire une notoriété et est certainement plus ou moins complice des véritables assassins. Et je ne l’ai pas suivi, non plus, quand il brosse un portrait de l’épouse de Léger, Solange, sous les traits d’une victime innocente. Victime, oui, surtout dans son enfance,  et à cause de sa maladie. Cependant, le personnage n’est pas clair dans son attitude et ses propos et pas obligatoirement sympathique ! Mais le coeur tendre de Philippe Jaenada a besoin de quelqu’un à aimer, si possible une femme belle ! Et oui, c’est à mon tour de me moquer un peu de lui. Je crois que ce que j’aime le plus dans cet écrivain, ce sont ses parti-pris, qu’ils soient d’amour ou de détestation !

mercredi 20 octobre 2021

Villa Datris à L'Isle-sur-la-Sorgue : Exposition : Sculpture en fête !

Niki de Saint Phalle : La déesse bleue
 

Je suis allée récemment voir une exposition de sculpture Sculpture en fête ! à la villa Datris à L’Isle- sur- la- Sorgues à l’occasion d’une rétrospective des dix ans de cette fondation. J’ai été fascinée par la richesse et la grande variété des oeuvres sélectionnées qui représentent à la fois des artistes des années 60 et 70 comme Niki de Saint Phalle, Claude Viallat ou Daniel Dezeuze... et de jeunes artistes contemporains comme Antonella Zazerra, Chiharu Shiota, Marinette Cuesco, Katia Bourdarel, Samuel Rousseau et tant d’autres qui ont été pour moi autant de coups de coeur.

Claude Vialat villa Datris

Daniel Dezeuse, Claude Vialat et au premier plan Judy Tadman

  

Awena Cozannet : woman look at you

Caroline  Achaintre :  Brutus  

Dario Perez-Flores

Manuel Merida : cercle blanc et rouge

 

Laurent Baude

Je ne connaissais pas ce musée mais je suis certaine maintenant que je ne laisserai plus passer une exposition sans aller la voir. J’apprends qu’il a été créée par Danièle Kapel-Marcovici et Tristan Fourtine en 2011, tous deux amoureux de la Provence et de la création contemporaine. La Fondation est installée dans une grande demeure à l’Isle-sur-la-Sorgue non loin d'Avignon et son jardin luxuriant au bord de la Sorgue, près du lieu de naissance du poète René Char, est aussi une occasion de découvrir de belles sculptures.

Villa Datris façade côté rue


Villa Datris façade côté jardin


Jean Denant : Mare nostrum


Villa Datris façade jardin : Sculpture Philippe Hiquily


Villa Datris : Jardin sculpture Vincent Mauger 

 

Villa Datris  jardin Francoise Petrovitch : Sentinelle

 

Villa Datris jardin

Mikas Xanakis : Cinq créatures bleues

Les oeuvres sont regroupées et classées selon des thèmes précis au cours de l'exposition mais je ne retiendrai aucun classement dans ma présentation. J'ai simplement choisi quelques uns de mes coups de coeur. La visite sera, pour cette raison, incomplète car  la richesse de l'exposition permet à chacun de faire "sa" visite selon sa sensibilité, selon que les oeuvres parlent à l'imagination, interpellent par les matériaux employés, les couleurs, la forme, le mouvement, selon leur sens et aussi selon comment on les fait siennes ! 

 

 Mes oeuvres coups de coeur


Chiharu Shiota State of being

 Chiharu Shiota est une artiste japonaise née à Osaka en 1972. Elle travaille à présent à Berlin. J'aime énormément ce globe, notre monde, dans cet enchevêtrement de fils noirs. Pour l'artiste cette sphère est une image de "l'aspiration à l'unité et à la beauté" et le tissage serré autour d'elle nous rappelle que les liens qui nous lient, nous habitants de cet univers, sont étroits malgré les différences. C'est un message entièrement positif. J'y ai vu autre chose, l'idée que la terre est emprisonnée dans une boîte qui figure l'univers, étouffée par  cette noirceur, prise dans des toiles d'araignée, condamnée à disparaître malgré sa beauté d'or et d'azur.

Chiharu Shiota State of being (détail)

Antonella Zazerra Armonica
 

 Antonella Zazerra est une artiste italienne née à Todi en 1976. Ses sculptures sont en fils de cuivre tressée d'une manière rigoureuse. Les jeux de lumière jouent sur la sculpture surtout sur celle du jardin et la font paraître vivante, mouvante. On dirait une longue chevelure d'or qui descend vers le sol (conte traditionnel ? Les cheveux de Raiponce ? ) ou une langue de feu crachée par un volcan.

 

Antonella Zazerra Armonica
 
 
Pascal Bernier  : Accident de chasse

 On voit d'abord le renard puis tous ses bandages. On s'interroge puis on lit le titre : Accident de chasse et l'on rit ! Quel humour mais un humour noir ! Le recours à la taxidermie que Paul Bernier  utilise souvent est en lien étroit avec la mort. Regardez l'expression du renard, son visage tourné vers le ciel son air suppliant, souffrant. Il fait partie lui aussi de cette nature que l'homme est en train de détruire !
Pascal Bernier est un artiste belge né à Bruxelles en 1960. 
 
Marinette Cueco : Tondo
 
Marinette Cueco est une artiste française née en Corrèze en 1934. Elle crée ses oeuvres à partir de la nature, minéraux ou végétaux. Le tondo de la villa Datris est créé à partir de joncs que l'artiste entrelace, tresse, tisse formant des tissus légers, aériens, festonnés comme une dentelle. En transparence, une forme apparaît, lovée sur elle-même, chrysalide prête à éclore. Finesse, délicatesse, sensibilité,  cocon, nid,  douceur,  naissance, ce sont les mots qui viennent à l'esprit devant cette beauté délicate, naturelle et simple.
 
 
Marinette Cueco : Tondo (détail)



 Chul- Hyun Ahn : visual echo experiment

Chul-Hyun Ahn  est né en Corée du Sud, à Busan, en 1971. Visual echo experiment est "un jeu de miroirs qui multiplie les parois d'un puits sans fond, dans lequel se déploie une colonne de lumière centrale issue d'un seul disque de néon créant ainsi une illusion optique sans fin." Oui, c'est l'explication de tout cette magie lumineuse et tourbillonnante,  magnifiquement colorée, à la fois joyeuse et vertigineuse, qui semble nous happer pour nous entraîner dans ce "puits sans fond".


Chul- Hyun Ahn : visual echo experiment  (détail)


Katia Bourdarel : Je suis une louve.

Katia Bourdarel est une artiste  française née à Marseille en 1970. Le critique d'art Philippe Piguet dit à propos de son travail : "Quelque chose du conte, voire de la fable, est à l'œuvre dans son travail.". C'est ce à quoi j'ai pensé en voyant son oeuvre  Je suis une louve. Une louve-déesse des peuples nordiques,  (la parure qu'elle porte sur la tête me semble tisser dans de chauds matériaux aux couleurs qui me rappellent -très subjectivement- les vêtements des Inuits), louve-déesse, protectrice des enfants, celle de Rémus et Romulus  ? ou comme me l'a suggéré ma petite-fille, louve sortie du film de Myazaki, Princesse Mononoké ? Un animal lié aux mythes, aux légendes, à l'imaginaire de notre enfance.


Kate MCCGwire : Paradox II

Kate MCCGwire est née au Royaume-Uni à Norwich en 1964 et vit à Londres actuellement. C'est à partir de plumes de faisans patiemment assemblées que Kate MCCGwire a réalisé cette oeuvre étonnante. Au début l'on à l'impression d'être devant un immense serpent replié sur lui-même puis lorsque l'on regarde de plus près, impossible de trouver un  sens, l'on s'aperçoit qu'il n'y a  ni commencement ni fin ! Etrange bestiaire !


Cathrin Boch ; Sans titre


Cathrin Boch : Sans titre

Cathrin Boch est une artiste français née à Strasbourg en 1968.  Ce travail est réalisé à partir d'une carte routière que l'artiste peint, dans une palette à dominante noire, et sur laquelle elle coud, à la machine ou à la main, différents matériaux. Elle crée là un territoire fantasmé, une carte de l'imaginaire.

Elias Crespin

Elias Crespin : malla electrocinecita IV

Elais Crespin est vénézuélienne, née à Caracas en 1965, elle vit et travaille maintenant à Paris. Quand on s'approche de cette oeuvre qui paraît si légère, on s'aperçoit qu'elle est constituée de graines réunies par des fils de nylon et qu'elle ne cesse d'ondoyer d'un côté à l'autre. Elle paraît être un oiseau suspendu dans l'air, utilisant les courants aériens pour se laisser glisser dans le ciel. Une impression de grâce, de calme, d'apesanteur, émane de cette oeuvre.


Samuel Rousseau : paysage rupestre

Samuel Rousseau paysage rupestre

Samuel Rousseau projette une vidéo de détails des peintures des grottes de Lascaux et Chauvet sur une large lauze. Les animaux prennent vie et se déplacent sur la surface d'ardoise. L'effet est à la fois étonnant et d'une beauté émouvante, comme un retour à la vie d'un lointain passé.  Et comme le dit Samuel Rousseau, c'est "une collaboration avec des artistes qui sont morts il y a 30 ou 40 millions d'années."


Anne Claverie Arbrabra


Anna Claverie, artiste française est née à Paris en 1974. Cet Abrabra  est fait de pneus montés sur une structure métallique. L'artiste aime l'idée que le caoutchouc né de l'arbre retourne à l'arbre du moins dans sa figuration. Celui-ci ne peut pas laisser indifférent tant on le remarque de loin, dressant ses branches sans feuilles comme des bras désolés et morts. On dirait un gros pachyderme à la peau rugueuse, prêt à écraser tout le monde. Il a quelque chose d'un peu dérangeant alors que figurant l'arbre, symbole de la nature et de la vie, il apparaît comme son antithèse, fruit de l'industrialisation, complice de la pollution.

vendredi 8 octobre 2021

Anne Tyler : Leçons de conduite


Dans Leçons de conduite d'Anne Tyler,  Maggie Moran se rend à l’enterrement du mari de sa meilleure amie Serena. Son mari Ira l’accompagne. Le trajet en voiture, les retrouvailles avec les amis d’enfance dans le cadre de cette cérémonie peu banale, Serena étant toujours aussi excentrique, vont être le prétexte d’une remise en cause de leur couple. Il ne peut pas y avoir plus dissemblables, en effet, que Maggie, bavarde, insouciante, légère et Ira, introverti, taciturne, sérieux. Une occasion de faire le point sur leur couple. Remontent alors à la surface les différents, les reproches, les regrets accumulés au cours des années de vie commune.
 Au départ le récit est assez classique et il m’a fallu un moment pour y adhérer mais peu à peu j’ai découvert la subtilité de l’analyse psychologique des rapports entre mari et femme, mais aussi des autres personnages qui se retrouvent, vieillissants, après des années d’absence. Perte des illusions, des espoirs de la jeunesse, de la passion que l’on croit inconditionnelle.
Tout au long du voyage et des échanges du couple,  apparaît l’usure de cette longue vie matrimoniale, les déceptions, les malentendus. Non pas vraiment la fin de l’amour mais plutôt la naissance d’un consensus qui s’établit et qui finit par une acceptation de l’autre, un lien moins exaltant mais réel qui n’a plus rien à voir avec les rêves de la jeune fille qu’était Maggie.

Anne Tyler mène cette analyse tout en nuances et d’une grande perspicacité avec beaucoup de finesse tout en sachant nous amuser même si le rire se révèle grinçant. Bien que ce ne soit pas un thème qui m’attire, j’ai été prise par le grand talent de cette écrivaine et par sa chronique caustique, ironique, mais aussi nostalgique, qui est faite de petits riens et nous laisse une impression de désenchantement tant les travers et les faiblesses de la nature humaine nous sont révélés au grand jour.

Prix Pulitzer 1989

mardi 5 octobre 2021

Madeline Miller : Circé

 

Madeline Miller nous donne avec Circé un récit mythologique passionnant sur la magicienne Circé, fille du tout puissant dieu Hélios et de la nymphe Persé ou Perséis, cette dernière elle-même fille d’Océan et de Thétys. Circé est un personnage proche de nous. En effet, une relecture contemporaine nous la montre humaine malgré sa divinité.
Différente de ses frères et soeur, elle est une déesse mineure, considérée comme inférieure dans la hiérarchie des Dieux dont elle dénonce la cruauté, l’abus de pouvoir et la mesquinerie. Mais elle prend conscience de ses dons de magie qui fait d’elle une puissante sorcière. Ce pouvoir qui dérange Zeus, ainsi que son intérêt pour les humains - c’est la seule qui vient au secours de Prométhée - et son amour pour un mortel, lui valent son exil solitaire sur une île. Mais les hommes qu’elle idéalise révèleront leurs bas instincts et elle les transforme en porcs jusqu’au moment où elle rencontre des humains dignes d’être aimés.
Cette dualité de sentiments, entre rejet des Dieux et amour des humains, fait de Circé un personnage à part qui va être obligée de faire un choix quitte à refuser son immortalité.  

Circé
 
A travers la vie de Circé nous revisitons les grands récits et personnages mythologiques antiques, Dieux ou Hommes, Hélios, Zeus, Hermès, Athéna, Ulysse, bien sûr, et son séjour dans l’île de la magicienne, sa visite aux Enfers, son fils Télémaque… Pasiphaé, la perverse soeur de Circé et son époux Minos, la naissance du Minotaure, Dédale et Icare, Scylla, le monstre avaleur de navires et tant d’autres…

Scylla

Scylla nymphe transformée en monstre par Circé

 Un livre très addictif, agréable à lire ! Il remet à jour nos connaissances de la mythologie grecque tout en nous intéressant à ce personnage complexe, attachant, Circé, à la fois déesse et femme, redoutable et vulnérable, amoureuse, mère, libre, indépendante et courageuse… Circé qui nous interpelle par ses questions sur l’éphémérité de la condition humaine face à l’immortalité, cette dernière n’étant pas obligatoirement synonyme de bonheur.


lundi 27 septembre 2021

Margaret Atwood/ Mary Harron : Captive


 

L’un de mes livres préférés de Margaret Atwood, écrivaine canadienne, est Captive. C’est pourquoi j’ai hésité à regarder la série (2017) de Mary Harron, adaptée du livre que j’avais lu à sa parution en 1996 , tant je craignais d'être déçue. Ce qui n'a pas été le cas, bien au contraire !

Margaret Atwood

Margaret Atwood s'inspire d'une histoire vraie (1859) d’une jeune servante, Grâce Marks, condamnée à perpétuité à l’âge de seize ans pour avoir tué ses patrons. Son complice, le valet qui commis le crime, est exécuté mais avant d’être pendu il accuse Grâce d’être l’instigatrice et la tête pensante de ces deux meurtres. Grâce échappe à la peine de mort étant donné son jeune âge mais est condamnée à la prison à vie.
Les années passent, de prison en asile psychiatrique, des années de douleur et de maltraitance, quand un pasteur et ses ouailles qui croient Grâce innocente font appel à un médecin psychiatre, Simon Jordan. Ils lui demandent de parler avec Grâce qui se dit amnésique pour lui faire retrouver la mémoire, ceci afin de confirmer son innocence et obtenir une remise de peine. Pendant le procès, elle avait donné, en effet, trois versions différentes des meurtres. Les rapports médicaux de l’époque n’avaient pu émettre un avis tranché sur la santé mentale de la jeune fille ni sur sa culpabilité.

Sarah Gadon : Grâce Marks

J’ai retrouvé dans la série canado-américaine les mêmes finesses au point de vue psychologique que dans le roman. La servante, Grâce Marks, extrêmement bien interprétée par Sarah Gadon, est ambiguë à souhait. Simon Jordan, (Edward Holcroft) le médecin, lui demande de raconter sa vie, espérant faire remonter les souvenirs du meurtre à la mémoire. Mais bientôt, il est subjugué, se laisse prendre dans les filets de cette belle jeune femme d’une intelligence redoutable mais dont on devine les zones d’ombres. Que se cache-t-il derrière ce visage si doux, cette voix si sage qui sait si bien choisir ses mots, ce discours si habile, si maîtrisé ? Il en tombe dangereusement amoureux. Dit-elle la vérité ? Est-elle coupable ou innocente, folle ou perverse ? Que dissimule-t-elle ? Doit-on prendre comme vrai ce portrait innocent, ingénu d’elle-même, qu’elle brosse devant le jeune médecin qui doit décider de sa demande de remise en liberté ?
Dans le livre comme dans le film, on se laisse prendre à ce jeu subtil et haletant.

Les autres centres d’intérêt du roman sont aussi très bien rendus. L’aspect féministe étroitement lié à la critique sociale montre une classe sociale misérable dont les membres subissent la faim, le froid,  la maladie, l'insalubrité de taudis sans chauffage. Accéder au statut de domestique dans une maison bourgeoise leur permet d'échapper en partie à ces terribles conditions de vie. Mais c'est pour  subir, alors, comme Grâce Marks ou son amie Mary Whitney, le paternalisme ou la condescendance des patrons, dans le meilleur des cas, et dans le pire (surtout pour les femmes) les agressions sexuelles, sachant que si celles-ci se plaignent, elles auront toujours tort et seront mises à la porte. La scène de la mort de Mary est d’une violence incroyable aussi bien dans le roman que dans le film. Elle souligne, à travers le sort horrible fait aux femmes, l’hypocrisie sociale de ces bourgeois ou nobles qui fréquentent l’église chaque dimanche mais cachent les exactions et la culpabilité de leur rejeton dégénéré. Les journées de travail sont longues, pénibles, du matin très tôt jusqu’au soir tard, une véritable exploitation ! Mais dans tous les cas ce sont toujours les femmes qui sont les victimes puisque même dans leur milieu, elles sont aussi maltraitées par leur père ou mari violent, alcoolique, et machiste, subissent le mépris des domestiques mâles et sont les proies sexuelles aussi bien des dominateurs que des dominés. La femme n'a aucun droit !
Margaret Atwood décrit en particulier les migrants irlandais, écossais, qui fuient la misère de leur pays sous la domination méprisante et implacable des anglais mais qui retrouve au Canada les mêmes conditions de vie et les mêmes anglais exploiteurs et méprisants.
D’autre part, le film en utilisant la voix off de la servante et son récit à la première personne rend compte du style envoûtant de Margaret Atwood et est aussi un récit à plusieurs voix et à plusieurs entrées.
Une réussite !