Himmler et sa fille Gudrun |
Voilà déjà quelques années que j’avais Enfants de nazis dans ma PAL et, enfin, c’est fait, je l'ai lu ! Ce qui me fascine dans tous les livres qui ont pour sujet des nazis, et parlent de leur idéologie haineuse et des camps de concentration, c’est le problème de la culpabilité et du Bien et du Mal, entraînant obligatoirement un questionnement sur la nature humaine.
Le premier livre quand j’étais adolescente, a été Le journal d’Anne Franck qui m’a fait prendre conscience de ce qu’était la nazisme et l’antisémitisme. Mais à cette époque là, l’univers se partageait, à mes yeux, entre les bons et les méchants ! Et en quelque sorte, c’était rassurant ! Il me semblait évident que les Hitler et ses complices étaient des monstres et que tous ceux qui avaient participé à l’holocauste, aux pogroms, aux massacres, n’étaient pas des êtres humains !
C’est Robert Merle avec Un métier de seigneur qui, le premier en France, a montré que les dirigeants nazis, les directeurs des camps de concentration, étaient des hommes comme les autres, bons pères de famille, amis fidèles pour certains, cultivés, esthètes pour d’autres, sensibles à la musique et à la beauté de l’art… On ne naît pas monstre, on le devient ! A un moment ou à un autre l’être humain a le choix entre le bien et le mal qu'il peut refuser. Quand se fait la bascule, quand franchit-on le point de non retour ? et Pourquoi ? Qu’il adhère à une apologie du meurtre par conviction, haine des autres et de la différence (juifs, homosexuels, opposants politiques, tsiganes, infirmes…), par une conception rigide du devoir, par opportunisme, arrivisme, obéissance passive, lâcheté, ou par nécessité économique, l'homme est responsable…. ! C’est ce dont nous fait part Gitta Sereny dans son essai Au fond des ténèbres où elle questionne le directeur du camp de Treblinka, Frantz Stangl, jugé en Allemagne, attendant son verdict. Et puis il y eut Les Bienveillantes de Littel, Les disparus de Mendelhson, les écrits de Jorge Semprun … pour ne citer qu’eux ... qui appellent à la réflexion !
L’essai Enfants de nazis m’intéressait donc de bien des façons. Il ne s’agit pas d’enfants d’anonymes mais de ceux des plus hauts dignitaires du gouvernement nazi : Himmler, Goëring, Hess, Franck, Bormann, Höss, Speer et Mengele, devenus les symboles de l’horreur de cette idéologie mortifère.
Tania Craznianski présente tout à tour, la biographie de chacun, sa place auprès d’Hitler, ses fonctions, ses responsabilités au sein du régime mais aussi ses rapports avec ses enfants : l’homme politique et le père. Puis elle analyse le vécu des fils ou filles de ces hommes avant et après la guerre lorsque les crimes de leur géniteur sont révélés et après leur condamnation ou leur mort.
Et je me posais les questions habituelles en commençant cet essai : Comment vivre avec le poids des crimes de ses parents, comment ne pas en porter la culpabilité toute sa vie ?
S’il y a des réponses à ces questions, certaines sont parfois déroutantes pour tous ceux qui considèrent les auteurs des crimes nazis comme les symboles de la déchéance humaine. On peut penser, à priori que tous seront frappés d'horreur.
En fait, Martin Adolf Junior, filleul de Hitler dont il porte le prénom, fils de Martin Bormann, ami proche du Fürher, est celui qui a le plus nettement renié son géniteur. Dans son enfance, l’enfant, mis en pension, ne verra son père que pendant les vacances scolaires et ses liens deviennent de plus en plus distants. Après la guerre, séparé de sa famille, il comprend que le nom de Bormann est désormais une « condamnation » . Il est recueilli par une famille aimante et catholique. Il prend conscience du rôle de son père alors qu’il n’avait jamais entendu parler de l’Holocauste. On ne discutait pas de politique chez lui. « Soudain, lui apparaît abyssale ce dont la nature humaine est capable ». » » Le jeune homme a du mal à faire fi de son passé et de sa filiation. Il pense que l’on ne peut échapper à ses parents quels qu’ils soient ». Il se convertit au catholicisme, va trouver son salut dans la foi en Dieu et se se fait prêtre…
Mais qu’en est-il de Gudrun, la fille d’Himmler ?
Himmler, rappelons-le, est le maître incontesté de l’appareil répressif du IIIe Reich, l’homme clé de la gestapo et de la SS. Il est au centre du système concentrationnaire et de l’extermination des juifs d’Europe. C’est un bon père. Il adore sa fille qu’il surnomme Püppi et est très proche d’elle. Elle vénère Hitler qui vient manger chez eux; et ses parents la tiennent au courant de la guerre et des enjeux. Elle aussi, dans l’Allemagne d’après guerre, rencontre des difficultés à cause de son nom et se considère comme une victime. Mais elle voue un culte à la gloire de son père et n’accepte pas de le renier. Plus tard, elle s’implique dans des organismes d’aide aux anciens nazis et manifeste son soutien à l’extrême droite allemande dont elle épouse les idéaux.
La fille de Hermann Goëring, Edda, continue elle aussi à voir dans son père un « héros » et un « père magnifique ». Elle porte son nom avec orgueil et arrogance : « Je n’ai jamais eu de problème avec mon nom. Au contraire, c’est une fierté. ». Dans la famille Goëring, c’est la petite-nièce et le petit-neveu qui ont été marqués par le passé et en assument la lourde responsabilité. Le neveu, Herman Goëring, s’est converti au judaïsme et a choisi de vivre en Israël.
Je vous laisse découvrir ce qu’il en est des autres enfants de ces hauts dignitaires.
A travers ces cas particuliers, l’essai de Tania Crasninaski, soulève des questions plus générales : Un enfant est-il responsable des actes de ses parents ? Est-il juste qu’il assume des crimes qui ne sont pas les siens ? Comment les allemands ont-ils réagi après la guerre face à l’innommable ? - certains minimisant les faits ou les niant, ou rejetant sur Hitler la seule responsabilité, certains pris entre l’amour du père et son reniement conçu comme une trahison, préférant soutenir son idéal, et beaucoup en faisant peser sur les faits une chape de silence.
A la fois glaçant et passionnant, j'imagine.. j'ai lu récemment La fabrique des salauds de l'allemand Chris Kraus, qui évoque aussi les mécanismes de cette "bascule" vers le Mal. Un roman très dense, très intelligent, qui démontre en effet que les chemins qui mènent à la barbarie sont divers et complexes..
RépondreSupprimerUn roman que je lirai. Je le note.
SupprimerUn livre intéressant sans doute, mais plombant sûrement...
RépondreSupprimerOui, bien sûr ! Pour moi, le plus plombant a été Les bienveillantes de Littel;
Supprimerje te suis totalement dans tes souvenirs de lecture, j'ai les mêmes, l'horreur perpétrée par des gens ordinaires c'est ce qui fait la question majeure : qui étaient ils ? sommes nous différents ? qu'aurions nous fait
RépondreSupprimerje note ce livre que je ne connaissais pas du tout je peux te conseiller le livre d'Irvin Yalom : le problème Spinoza qui interroge de façon magnifique et distanciée
Un sujet difficile que l'on ne comprendra jamais tout-à-fait je pense. En tout cas, la parole de ceux qui l'ont vécu dans leur chair est importante, on voit bien à quel point l'être humain est complexe.
RépondreSupprimerOui, j'ai lu Le problème Spinoza. Effectivement c'est un livre qui répond à beaucoup de questions.
RépondreSupprimerAs-tu lu Retour à Lemberg de Philippe Sands, on y rencontre ces fils de ...
RépondreSupprimerUne lecture aussi perturbante que passionnante. Comment répondre à de telles questions. Je suis impressionnée par les exemples que tu cites. Et effectivement, ils ajoutent aux questions. Je note également Le problème Spinoza. Ton billet me rappelle que cela fait trop longtemps que je me suis promise de lire H.Arendt.
RépondreSupprimerC'est passionnant. Ce sujet de la filiation est particulièrement intéressant. Vous évoquez ici le rapport au père pour ces enfants de dignitaires nazis mais il y a aussi les enfants d'assassins tristement célèbres voire d'artistes auprès desquels il est difficile de trouver sa place, soit en glorifiant le père, soit en le rejetant totalement. Merci pour cette réflexion matinale !
RépondreSupprimerTu me fais penser à Hannah Arendt qui a suivi le procès Eichmann qui lui a inspiré le concept de "banalité du mal".
RépondreSupprimerTu parles de Jorge Semprun, ses écrits, les siens entre autres, font réfléchir à la façon dont on peut survivre dans des situations extrêmes car certains survivent et d'autre pas. Et il ne faut pas se croire irréprochable et capable de faire les bons choix
C'est très intéressant, je le note. Le dernier livre que j'ai lu sur les dignitaires du Reich était la biographie de Goering.
RépondreSupprimerY a t'il un bon choix? Une aide psychologique suffit-elle?
RépondreSupprimerCertains nazis, familles de nazis ont fui après la guerre, aidés en général... Les dignitaires en avaient le choix à l’époque, les autres devaient obéir aux ordres sinon leur vie ne valait plus rien. Qu'advient-il de leur descendance ?
Nous avons vécu en Allemagne dans les années 80 et pouvions voir encore les conséquences de ces choix parfois intimes mais pas enterrés.
J'avoue ne plus avoir envie de lire sur le sujet malgré le fait que je n'ai pu résister à lire certains de ces livres.
Voulais-tu plutôt parler de "un métier de seigneur" de Pierre Boulle ou bien de « La mort est mon métier » de Robert Merle ?
Bonne année 2022 Claudine! Santé et mille joies au cours de la nouvelle année.