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jeudi 6 juillet 2023

Molière / Anthony Magnier : les Fourberies de Scapin : Théâtre Les Lucioles festival Avignon 2023

 

 La pièce de Molière Les Fourberies de Scapin, a pour personnage central Scapin, valet de la Commedia dell’Arte,  un fieffé coquin, dont on comprend d’ailleurs qu’il a tâté de la prison. Il est au service du jeune Léandre tandis que son compère  Sylvestre est le valet d’Octave.
En l’absence de leur père, Octave, fils d’Argante a épousé sans le consentement paternel une jeune fille, Hyacinthe, sans ressources et dont la mère est malade. Léandre, fils d’Orgonte, un vieil avaricieux, est tombé amoureux de l’égyptienne Zerbinette avec qui il s’est fiancé.
Courroux des pères qui vont tout faire pour rendre nulles ces unions ! Heureusement, il y a Scapin, le rusé, qui va aider les jeunes gens à vivre leur amour. Oui, mais… ce ne sera pas sans quelques petites vengeances et sans en tirer profit ! La pièce est une satire des maîtres et des rapports avec leur valet. C'est aussi un peinture des rapports entre père et fils à une époque où les enfants étaient soumis à leurs parents par la loi et, dans les milieux bourgeois, par la dépendance financière.

Mon avis

J'ai amené ma petite-fille (13 ans) voir Les Fourberies de Scapin dont elle a étudié des extraits en classe. Je ne sais pas si c'est général ou si c'est dans son collège mais j'ai l'impression que l'on n'étudie plus les pièces de Molière entièrement à raison d'une chaque année comme avant ? Et si c'est le cas c'est bien dommage car je vois qu'elle a été réceptive à cette représentation amusante et pleine de bonne humeur de la Compagnie Viva, mise en scène par Anthony Magnier.

Au début de la pièce, j'ai peu aimé, pourtant, le côté parodique un peu trop poussé à mon goût de l'interprétation de Hyacinthe et d'Octave mais, ensuite, tout en soulignant le ridicule de tous  personnages, le ton devient plus modéré.  La mise en scène joue, bien sûr, sur le comique de situation et de caractère mais rappelle en même temps les rapports de force entre les valets et les maîtres, la  brutalité d'une époque où le serviteur pouvait recevoir des châtiments corporels. Anthony Magnier campe à cet égard un Scapin convaincant qui n'oublie pas les affronts reçus, employant toute sa ruse au service des jeunes maîtres mais déployant aussi son talent à exercer sa vengeance. Les grandes scènes de la galère ou du sac sont réussies.

La scénographie est agréable : un plateau nu avec en arrière-plan un rideau laissant apparaître par transparence les silhouettes des personnages modelés par des jeux de lumière. Les costumes pailletés de deux jeunes maîtres rappellent les ridicules des petits marquis du XVII siècle dont Molière raillait les excès de toilette, dentelles, noeuds et falbalas.

Un bon spectacle  !

 La compagnie VIVA

En 2002, Anthony Magnier crée la compagnie Viva et entreprend d'explorer la modernité des grands textes du répertoire, tout en les partageant avec un large public. Au rythme d'une création par an, la compagnie est présente chaque année au Festival d'Avignon et joue près de 150 représentations par an dans toute la France.

Théâtre Les Lucioles 15H30 durée 1H25

 LES FOURBERIES DE SCAPIN

Festival du 07 au 29 juillet / relâches les 12, 19 et 26 juillet

Mise en scène : Anthony Magnier
Auteur : Molière
Interprètes : Elisa Bénizio , Bérénice Coudy, Matthieu Hornuss, Anthony Magnier, Antoine Richard, Ronan Rivière
Costumes : Mélisande de Serres
Lumières : Clément Commien et Marc Augustin-Viguier
Accessoires : Sophie le Carpentier
Administration : Anne Mourotte
Diffusion : Soha Khelifa
La compagnie reçoit le soutien de la Ville de Versailles et régulièrement celui de l'ADAMI, de la SPEDIDAM, du Conseil Général des Yvelines, de la Région Ile de France, du Jeune Théâtre National et de Creat'Yve.

Tout Public- 1H25
Théâtre

 

Welfare à la cour d'Honneur : festival d'Avignon 2023

Welfare de Juile Deliquet à la Cour d'Honneur festival d'Avignon 2023
 
 
 Spectacle monté sur la scène de la cour d'honneur

 

Welfare est un spectacle de la metteur en scène Julie Deliquet adapté d’un film documentaire réalisé par Frederik Wiseman en 1973.
Les problèmes de logement, de santé, de chômage, de maltraitance frappent les Américains les plus pauvres. Dans un bureau d'aide sociale new-yorkais, employés et usagers se retrouvent démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie.



Extrait du film de Wiseman


Présentation de la pièce de théâtre par Julie Deliquet

" Moi j’aime regarder les gens, j’aime réfléchir à tout ce que je vois. » : ces propos du cinéaste Frederick Wiseman sont au cœur de l’adaptation de Welfare (1973) par Julie Deliquet. Une journée particulière dans la vie des sans-abri, des apatrides, des travailleurs, des mères célibataires et des démunis qui se succèdent aux guichets de ce centre d’aide sociale improvisé dans la Cour d’honneur. Le temps de la représentation, le Palais des papes devient le lieu d’une hospitalité qui peine à prendre figure humaine. Voilà le territoire des personnages que met en scène l’actuelle directrice du Centre dramatique national de Saint-Denis, dont le théâtre cherche à capter la vie au cœur de la comédie humaine. Quinze héros du quotidien dont les récits s’entremêlent pour dresser en creux le portrait des dysfonctionnements de notre société. Des personnages qui nous invitent à les suivre et à traverser le quatrième mur comme on traverse le fantasme pour reprendre pied dans le réel. Une pièce qui nous rappelle que la parole est une action et que la faire advenir est un acte citoyen."

 


 

 L'action commence avant même le début du spectacle. Nous sommes dans un asile de nuit. Sur la scène on plie les draps, on démonte les lits de camp, et nous nous retrouvons dans un gymnase qui a servi  d'hébergement de nuit pour les sans-abri. Puis nous voilà dans un bureau d'aide sociale où défilent les exclus de la société, migrants, chômeurs, handicapés, dont les dossiers se perdent dans les méandres d'une administration kafkaïenne. Nous sommes aux Etats-Unis mais, vous l'avez compris, nous pourrions tout aussi bien être en France.

Le spectacle est adapté du film documentaire de Wiseman que je n'ai pas vu, donc pas de comparasion possible et, d'ailleurs, la metteuse en scène, Julie Deliquet, se défend d'avoir fait un documentaire : "je fais du théâtre, je raconte une histoire."

Seulement voilà, si elle ne fait pas du documentaire, elle ne fait non plus du théâtre ! Ce qui fonctionnait peut-être bien au cinéma ne m'a pas paru fonctionner au théâtre. Ce défilé de personnages qui crient et  s'agitent sur la scène ne touche pas, pire il finit pas ennuyer malgré toute l'horreur des situations désespérées qu'il présente. Peut-être à cause de la distance, les personnages ne sont pas véritablement humains, ils sont démonstratifs.

De plus, il n'y aucune progression dramatique.  Les personnages se succèdent sur la scène, explications, cris, pleurs, et au suivant !  Cela recommence et l'on se dit, à la longue, qu'il n'y a aucune raison que le défilé s'arrête puisque la misère est inépuisable.

Et que dire de cette altercation entre le policier noir et l'ancien combattant raciste si ce n'est que la platitude du dialogue est affligeante ?

 Je ne me suis jamais autant ennuyée au théâtre et comme ma petite fille et mon mari aussi, nous avons quitté la représentation avant la fin, ce qui est très rare de notre part  ! 

Si les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, à mon avis, on peut en dire autant au théâtre !

 

samedi 1 juillet 2023

Stefan Zweig : La peur et adaptation de La peur au théâtre par la

 

 

La peur est une nouvelle de Stefan Zweig  dans laquelle l’écrivain analyse les sentiments d’une femme infidèle en butte à un chantage.

Irène Wagner a un amant, un pianiste de milieu modeste. Un jour qu’elle sort de chez lui, elle est abordée par une femme d’apparence vulgaire qui lui reproche de lui avoir pris son amant. Désormais la peur s’empare de la jeune femme.  L’inconnue la suit  et la fait chanter, lui extorque de l’argent. Un jour, elle va jusqu’à s’introduire chez elle en présence de son mari et ses enfants. La peur devient  obsession, vire au cauchemar dans une sorte de crescendo étouffant malgré les tentatives de son mari qui s’aperçoit de son trouble et semble prêt à l’écouter. Elle n’ose plus sortir de chez elle, vit dans l’attente d’une catastrophe, se sent constamment menacée.

"Elle se sentait malade. Elle devait parfois s'asseoir subitement, tant son coeur était pris de palpitations violentes ; le poids de l'inquiétude répandait dans tous ses membres le suc visqueux d'une fatigue presque douloureuse, qui refusait pourtant de céder au sommeil;"

Stefan Zweig analyse les sentiments de cette grande bourgeoise, femme de magistrat, qui toujours eu une vie protégée et facile. N’est-ce pas par ennui et non par passion qu’elle a pris un amant ?

"Blottie paresseusement dans la tranquillité d’une existence bourgeoise et confortable, elle était tout à fait heureuse aux côtés d’un mari fortuné, qui lui était intellectuellement supérieur, et de leurs deux enfants. Mais il est une mollesse de l’atmosphère qui rend plus sensuel que l’orage ou la tempête, une modération du bonheur plus énervante que le malheur. La satiété irrite autant que la faim, et la sécurité, l’absence de danger dans sa vie éveillait chez Irène la curiosité de l’aventure."

Elle prend alors conscience de tout ce qu’elle va perdre si son mari découvre son infidélité :  ses enfants, un mari qu’elle aime, une vie aisée… Il se passe peu de choses dans cette nouvelle, tout tient dans l’intensité dramatique que Stefan Zweig a su créer. C’est avec une rare maîtrise qu’il analyse la psychologie de ce personnage féminin dont on l’impression qu’il a le pouvoir de pénétrer la conscience et de la mettre à nue devant nous.

Une lecture prenante, d’une telle force et d’une telle acuité que l’on ne peut s'arrêter dans la lecture jusqu’au dénouement. Pourtant celui-ci ne m'a pas surprise car je m’y attendais un peu mais, à mon avis, ce n'est pas ce qui est important. 

 J’ai lu cette nouvelle parce que je vais assister à la pièce adaptée à la scène  au festival d’Avignon le 16 juillet à La Scala de Provence. Je vous dirai ce que j’en pense en temps voulu. Je dois dire que je suis curieuse de voir comment on peut rendre au théâtre cette urgence de la lecture qui s'empare du lecteur et cette profondeur dans l’analyse.

dimanche 25 juin 2023

Sujata Massey : la malédiction de Satapur

 

Sujata Massey est une écrivaine américaine d’origine anglaise, indienne et suisse. Elle commence une série policière mettant en scène son héroïne Perveen Mistry dans Les veuves de Malabar Hill  que je n'ai pas lu puis dans La malédiction de Satapur, le roman dont je vais parler aujourd’hui.

Le roman La malédiction de Satapur  se déroule à Bombay en 1921puis à Satapur. Perveen Mistry a pour modèle Cornelia Sorbji, la première femme indienne a avoir fait des études de droit à Oxford et Mithan Jamshed Lam, la première femme indienne à avoir été inscrite au barreau à Bombay. Comme elles, Perveen Mistry qui  a rejoint le cabinet d’avocats de son père, devient la première femme avocate en Inde alors que seuls les hommes sont autorisés à plaider. 

L'Inde : un protectorat britannique 

 

En 1921, l’Inde est sous protectorat du Royaume-uni. C'est à ce titre que les agents politiques anglais  doivent intervenir pour régler les litiges qui surviennent dans les petits royaumes régis par des souverains indiens.

Bien que le gouvernement britannique détienne le pouvoir sur approximativement soixante et un pour cent du sous-continent, le reste de l’Inde était un patchwork de petits et grands Etats, et de possession territoriales dirigées par des Hindous, des Musulmans et quelques Sikhs. En échange d’être dispensées de la loi anglaise, de nombreuses royautés payaient des tributs aux Britanniques sous la forme de liquidités ou de récoltes.

A Satapur, dans les montagnes Sahyadri, le maharajah vient de mourir ainsi que son fils aîné dans des circonstances suspectes. L’héritier au trône est trop jeune pour régner. Les deux Maharanis, la mère et la femme du roi défunt, s’opposent en ce qui concerne l’avenir du jeune héritier et son éducation.

La reine douairière veut qu’il fasse des études au palais comme par le passé. La jeune souhaite qu’il aille étudier en Angleterre et elle insinue que la vie de son fils lui paraît menacée s’il reste sur place. Toutes deux demandent l’arbitrage du protectorat et comme l’agent politique en place, Colin Sandringham, ne peut être reçu par des femmes qui pratiquent la purdah ( séparation stricte des hommes et des femmes), Perveen Mistry, en tant  que femme et avocate,  accepte de représenter le gouvernement britannique et se rend à Satapur pour donner un avis impartial.

Une intrigue policière

C’est donc à Satapur que Perveen va accomplir sa mission non sans danger, on s’en doute ! Après sa rencontre avec Colin, elle va voyager en palanquin, ce qui n’est pas de tout repos ! découvrir l’intérieur d’un palais royal, faire connaissances des ranis, échapper à bien des dangers, tout en protégeant les enfants royaux et en risquant sa vie. Car, il s’agit d’un roman policier, ne l’oublions pas ! A ce propos, j’ai trouvé que l’action policière avait bien du mal à se mettre en place et les péripéties du drame qui se joue dans cette petite cour royale interviennent assez tardivement. Plus intéressantes sont les connaissances que nous apporte l’écrivaine sur l’Inde du début du XX siècle.

 
 Une critique de la colonisation britannique

Le livre est une  critique de l’hégémonie britannique sur l'Inde. La première réaction de Perveen quand on lui  propose cette mission est celle-ci  :  

Elle faillit lâcher sa tasse de thé. Il était hors de question qu’elle travaille pour l’Empire britannique qui maintenait l’Inde sous sa patte d’éléphant depuis le XVII siècle.

Elle qui sympathise avec les idées sur la liberté de Ghandi doit militer en cachette pour qu’une répression financière ne s’abatte pas sur le cabinet de son père. Il en est de même des souverains des petits états qui doivent accepter les mariages imposés par les Britanniques sous peine d’augmentation des impôts.

l'Inde :  coutumes, moeurs et religions

Le livre est un puits de savoir sur le vocabulaire, les moeurs et les coutumes de l’Inde, sur les fleurs et les plantes, sur la cuisine, les saveurs, sur la toilette des femmes, leurs coiffures, les cosmétiques…

Sur la religion, nous apprenons que Perveen est Parsi et zoroastrienne, religion monothéiste antérieure à l’Islam et au Christianisme dont le prophète est Zarathustra et que cette religion ne connaît ni la purdah pour les femmes, ni le système de castes comme les Hindous. Mais, même dans son milieu, il existe bien des restrictions à la liberté et elle se sent très gênée d’apprendre que Colin est célibataire et qu’elle est seule avec lui, ce qui risque de la déshonorer. Elle-même ne peut divorcer car les raisons de se séparer de son mari ne sont pas reconnues par la loi parsie et elle dépend d’une belle-mère tyrannique.

 La misère du peuple à Satapur est aussi évoquée ainsi que la responsabilité des rois qui se préoccupent bien peu d’améliorer le sort de leurs sujets.

 La condition féminine en Inde en 1921

 La condition féminine est au centre du l’intrigue. Les femmes de religion hindoue vivent dans le zénana, partie réservée aux femmes et explique Vandana, femme indienne émancipée, un des personnages secondaires du roman, :    

« La purdah n’est pas un privilège mais une vie de restriction. La maharani peut voyager à quelques kilomètres pour prier au temple familial- mais quand elle s’y rend, son palanquin doit être fermé par des rideaux. Personne ne doit voir son visage »

 
Le roman est féministe et l’on y voit une femme avocate compétente qui va statuer en faveur d’une autre femme et montrer que celle-ci, pour peu qu’elle ait droit à l’instruction, peut gouverner et n’est en aucun cas inférieur à l’homme.

En résumé et à mon avis, un roman à lire plus pour tout ce que l’on apprend sur l’Inde de cette époque que pour l’intrigue policière !
 

 

LC avec Maggie ICIDoudoumatous ICI,  Rachel


mercredi 21 juin 2023

Stefan Zweig : Balzac


 Stefan Zweig considérait que la biographie qu’il avait entreprise de Balzac serait son oeuvre capitale. Il y travailla pendant dix ans accumulant les documents, reprenant inlassablement - comme le faisait Balzac lui-même- les textes qu’il avait rédigés, découvrant sans cesse d’autres nouveaux aspects du sujet. En 1933, face à la montée du nazisme, il s’enfuit à Londres, puis au Brésil, laissant tout derrière lui, y compris ce manuscrit inachevé. Quand il se suicide en 1942, son éditeur et ami, Richard Friedenthal, reprend les documents éparpillés en divers lieux, les rassemble et accomplit un long travail de révision dès 1943, au milieu des bombes.

La comédie humaine


Et c’est vraiment une somme que cette biographie de Balzac ! Stefan Zweig nous amène dans ce livre énorme à la découverte de l’homme physique avec ses faiblesses, ses vanités, ses outrances, et de l’écrivain soulignant sa force de travail et sa puissance visionnaire.  C’est ainsi qu’il a pu créer en un temps record, en vingt ans, et au prix d’un travail de Titan, un univers reproduisant la société de son temps, avec la représentation, du haut en bas de l’échelle, de toutes les classes sociales, de tous les métiers et la peinture de la nature humaine dans tous ses aspects psychologiques, dans toute son infinie variété. Un Démiurge ! Balzac est conscient du caractère unique de son oeuvre et de son immensité. C’est ainsi qu’il écrit, avec lucidité, dans la préface réunissant ses romans :  

L’immensité d’un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il paraît aujourd’hui : La Comédie humaine. Est-ce ambitieux ? N’est-ce que juste ? C’est ce que l’ouvrage terminé, le public décidera.

C’est Dante et sa Divine Comédie qui a inspiré à Balzac le titre de la sienne. La comédie humaine n’a pas pu être achevée. La mort interrompt son oeuvre prématurément. Balzac est victime de son incroyable mode de vie ! Il s’éteint à l’âge de 51 ans, épuisé, usé par sa démesure, par le travail incessant, par les nuits sans sommeil à son bureau, la consommation abusive de café, son poids excessif, et ses tourments. Il ne devait pas être de tout repos, en effet, d’être si endetté qu’il lui fallait vivre caché, fuir d’un logement à l’autre pour échapper aux créanciers ou se réfugier en catimini chez des amis ! Mais l’homme a un optimisme et une joie de vivre qui lui permettent de rebondir chaque fois.


L’homme et l’écrivain

Honoré de Balzac dans sa robe de chambre de travail

Ce que j’ai apprécié dans cette biographie, c’est que Stefan Zweig, malgré son admiration fervente pour Balzac qu’il considère comme le plus grand écrivain de son époque ( et non Victor Hugo ? Cela se discute ! ) n’occulte ni les faiblesses de l’homme qui se répercutent sur l’oeuvre, ni celles de l’écrivain.  Il me permet de mieux comprendre pourquoi j’ai parfois des réserves quand je lis certains des romans de Balzac.

Pour des raison financières et pour se rendre indépendant de ses parents Balzac écrit, dans sa jeunesse, des romans feuilletons médiocres dans un style relâché et sentimentaliste qui se ressent dans nombre de ses romans postérieurs. Zweig, dans son culte pour l’écrivain, parle même de prostitution à propos de ces textes ! Balzac en était conscient puisqu’il n’a jamais signé cette sous-littérature que par des noms d’emprunt. Le style de Balzac explique Zweig a longtemps porté les marques de ce relâchement quand il a enfin écrit sous son nom et est devenu un écrivain célèbre. Il ne se défait de ces défauts que dans les grands romans de la fin dans les années de 1841 à 1843 : La Rabouilleuse, une Ténébreuse affaire, Les illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, et surtout ces deux titres :  la Cousine Bette, le cousin Pons… Le biographe analyse les plus grands romans de l’écrivain et nous révèle ainsi ses réussites et son talent.

Car ces deux romans Le cousin Pons et la Cousine Bette, sortis du plan primitif des Parents pauvres, sont ce qu’il a produit de plus grand. Ici, au sommet de sa vie, Balzac atteint le plus haut sommet de son art, jamais son regard ne fut plus clair, sa main d’artiste plus sûre, plus impitoyable. (…)  En eux plus de faux idéalisme, plus de ce romantisme doucereux qui rend pour nous irréelles et par suite sans action plus d’une de ses oeuvres antérieures.

Balzac, à la suite d’affaires catastrophiques sera toute sa vie endetté!  Sa fuite en avant, son style de vie dispendieux, sont responsables du fait que ses dettes non seulement s’accumulent mais se démultiplient si bien qu’il n’a pour solution que d’écrire toujours plus de livres pour gagner toujours plus d’argent sans jamais parvenir à assainir ses finances. On ne peut pas écrire autant, pressé par la manque d'argent, et n'écrire que des chefs d'oeuvre  aussi tous les romans de Balzac ne sont pas au même niveau !

De plus, Zweig souligne le snobisme de l’écrivain à propos de la noblesse. Il est le Stefan Bern de son époque mais avec le génie en plus !  Petit-fils de paysans, il ajoute une particule à son nom, se réclamant indûment des Balzac d’Entraygues, orne son carrosse d’un blason auquel il n’a aucun droit et devient la risée du Tout-Paris. Légitimiste, il est le larbin de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire dans Paris. Son admiration des grandes dames le rend servile et n’est égal qu’au mépris qu’il éprouve pour les femmes du peuple ou les bourgeoises.  Zweig parle à son propos d’une vanité puérile et ridicule. Son arrivisme s’accompagne d’un manque de goût évident, d’un luxe ostentatoire. Evidemment, tout ceci marque son oeuvre.

Mais il rattrape tout cela par la force de sa volonté qui le maintient à son bureau : Balzac, alors qu’il est maladroit en société, a une intelligence supérieure pour l'analyser et en révéler les dessous. Il comprend tout de l’âme humaine et possède une vision lucide de tous les rouages de la société. C’est un géant de la littérature !

Dans ces romans de la période de maturité, les manies mondaines et aristocratiques qui rendent si pénibles les oeuvres de la précédente période, disparaissent progressivement; Son regard a peu à peu appris à pénétrer la prétendue haute société qu’il adorait avec le respect involontaire du plébéien. Les salons du Faubourg Saint Germain ont perdu de leur magie.


Un hommage à Stendhal


Ce qui m’a réconcilié avec Balzac, aussi, c’est qu’il reconnaît le génie de Stendhal, qui était tout à fait méconnu dans les années 1825 -1840. Et là, quand il s’agit de littérature, il cesse d’être mesquin ! Il lui rend un vibrant hommage. Avec Hugo et dans un style complètement opposé, Stendhal est mon écrivain préféré de l'époque de Balzac.

Balzac écrit : " J’ai déjà lu, dans Le Constitutionnel, un article tiré de la Chartreuse qui m’a fait commettre le péché d’envie. Oui, j’ai été saisi d’un accès de jalousie à cette superbe et vraie description de la bataille que je rêvais pour Les scènes de la vie militaire, la plus difficile portion de mon oeuvre; et ce morceau m’a ravi, chagriné, enchanté, désespéré. "

Et Zweig commente : "Rarement le regard magique de Balzac s’est manifesté plus splendide qu’ici, où parmi les milliers et les milliers de livres de son temps, c’est justement celui-là, le plus ignoré, qu’il vante. Il célèbre comme un chef d’oeuvre, comme le plus grand chef d’oeuvre de son époque, La Chartreuse de Parme... qu’il appelle  " le chef d’oeuvre de la littérature des idées".


L’entourage de Balzac

Laure de Berny, la Dilecta

Stefan Zweig peint aussi des portraits passionnants des femmes et des amis qui ont joué un rôle dans la vie de Balzac : sa mère qui ne l’a jamais aimé. Zweig la peint sans complaisance comme une petite bourgeoise méchante, dépourvu d’instinct maternel, proche de ses sous, à l’esprit étriqué et conventionnel. Dans une autre biographie de Balzac écrite par Titiou Lecoq ICI, celle-ci prend la défense de Madame Balzac. Ce ne devait pas être de tout repos d’être la mère de cet énergumène et celui-ci a toujours fait appel à elle quand il avait besoin de ses services pour mieux la critiquer après.
Stefan Zweig brosse aussi un beau portrait de madame de Berny, le premier amour de Balzac, la Dilecta ! Et un autre, sévère, de Madame de Hanska, la grande dame russo-polonaise, vaniteuse, égoïste et superficielle.

Cette biographie nous apprend beaucoup sur Balzac et son oeuvre et elle est aussi très agréable à lire. En fait, elle se lit comme un roman et c’est bien de cela qu’il s’agit, le roman d’une vie, et ce personnage hors du commun nous réserve bien des surprises. D’autre part, découvrir ou redécouvrir la genèse de chaque livre est passionnant. Un livre à lire !

 Oeuvres de Balzac  dans ce blog ICI


 Le Balzac de Stefan  Zweig est ma participation à la Quinzaine de Balzac chez Patrice et Eva;  et la Barmaid des lettres du 15 juin au 30 Juin

 

 

Ceci est le premier livre lu pour le challenge Les épais de l'été initié par Taloiduciné chez Dasola. Il remplace le challenge de Brize que celle-ci a souhaité arrêter après 11 années. Du 21 Juin au 29 Septembre.

Balzac de Stefan Zweig : 664 pages


POUR LES EPAIS DE L'ETE QUI VEUT FAIRE UNE LC AVEC MOI A RENDRE LE 25 SEPTEMBRE : LA CHARTREUSE DE PARME de STENDHAL. 

 Je ne l'ai pas lu depuis très longtemps et une relecture ne me déplairait pas !

 


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mercredi 14 juin 2023

Robert Louis Stevenson : La flèche noire



Dans La flèche Noire, Robert Louis Stevenson nous entraîne à nouveau dans un roman historique. Cette fois, l’action se déroule à la fin du règne d’Henri VI. Après avoir perdu les possessions françaises, Henri VI est atteint d’aliénation mentale. Commence alors en 1455 une guerre civile appelée la Guerre des Deux-Roses entre deux clans prétendants au trône, celui de  la « Rose rouge » (Lancastre) et celui de la « Rose blanche » (York). Le guerre des deux roses se termine en 1485 avec la bataille de Bosworth et la mort de Richard III de la maison d’York. C’est un Tudor, Henri VII, chef du parti Lancastre, qui lui succède.
 

Richard III
 

Dans ce roman, Stevenson confronte des personnages imaginaires et historiques. Ainsi le héros; Dick, devient un moment le bras droit du « bossu sanguinaire », duc de Gloucester, futur Richard III, immortalisé par Shakespeare.

Richard Shelton ou Dick, orphelin, est le pupille de Sir Daniel Brackley. C'est un prêtre, Sir Olivier Oates, qui a assuré son instruction. Le jeune homme est reconnaissant envers les deux hommes qu'il considère comme ses bienfaiteurs. Pourtant, Sir Daniel, est un opportuniste qui est une fois Lancastre, une autre fois York si le vent  tourne.  
Contrairement à ce qui se passe dans Kidnapped, le contexte historique a peu d’importance, la Guerre des deux roses ne passionne pas l’écrivain. Elle ne sert que de cadre au récit qui est avant tout une histoire de vengeance et d’amour mais aussi un roman d'initiation où le jeune héros, sincère, naïf, bien que courageux et valeureux chevalier, va apprendre ce qu'est la trahison et prendre conscience du mépris des Grands envers le peuple et de l'horreur de la guerre.
 

On apprend bien vite que Sir Daniel et Sir Olivier sont détestés dans la région en raison des exactions qu’ils ont commises, spoliations, tortures et crimes. Les hommes qu'ils ont dépouillés se cachent dans les bois, deviennent hors-la-loi et vivent de rapines, échafaudant des projets de vengeance. Un jour, une flèche noire tue l’un des soldats de Sir Daniel et une liste de noms apparaît qui proclame la mise à mort du seigneur, du prêtre et de leurs partisans.

Dick n’est pas sans rappeler le héros de Sherwood quand, apprenant que son tuteur a tué son père et ne l’a recueilli que pour s’approprier sa fortune, il décide de rejoindre les Flèches noires. Une vie d’aventures commence alors. Le jeune homme veut venger son père et délivrer son amour, une jeune fille noble prisonnière de Sir Daniel.

Le roman présente des passages inattendues et pleins d'humour, ainsi la fuite de Dick en compagnie d’un jeune garçon John, qui lui colle aux basques, et avec qui il se dispute tout le temps. Or, celui-ci n’est autre qu’un fille, Jeanne ! Le lecteur le sait et une connivence entre lui et l’écrivain se crée au dépens de notre héros dont on se moque gentiment et ceci à plusieurs reprises, tant il est maladroitement sincère et gauche face aux femmes. Et bien entendu, il finit par tomber amoureux de Jeanne, lui qui avait une aversion affichée pour le mariage. De plus, il faut bien l’avouer, c’est agréable aussi, dans un roman d'aventures, une fille qui n'est pas nunuche et qui participe !

Il y a aussi des moments de bravoure comme la rencontre avec le lépreux, la bataille de Shoreby avec Richard III, et surtout cette virée en mer catastrophique où Dick est responsable de la mort de ses hommes, de la perte du bateau qui plonge le capitaine à qui il l’a volé dans la misère. Et là un beau passage où Richard passant de l’enfance à l’âge adulte, prend conscience de ses responsabilités et comprend combien les gens humbles ont à souffrir des actions de leurs supérieurs.

"Dick fut saisi de vains remords et de pitié; il chercha à prendre la main du capitaine, mais Ablaster l’évita.
- Non dit-il, laissez. Vous avez joué au diable avec moi, que cela vous suffise.
Les mots s’arrêtèrent dans la gorge de Richard, il vit à travers ses larmes, le pauvre vieux hébété par la boisson et le chagrin, s’en aller en chancelant, tête baissée, par la neige, son chien sans qu’il y prît garde, gémissant sur ses talons; et pour la première fois Dick commença à comprendre le jeu terrible que nous jouons dans la vie, et comment aucune réparation ne peut changer une chose une fois faite ni y remédier."

Un roman que j’ai pris un vif plaisir à lire même si je lui préfère Kidnapped. Que j'aurais aimé le découvrir quand j'étais enfant !



 

samedi 10 juin 2023

Robert Louis Stevenson : Kidnapped ou les aventures de David Balfour et Catriona




La vie est une vraie comédie. On parle des anges qui pleurent; j’ai toujours pensé, au contraire, qu’ils se tiennent les côtes en voyant ce qui se passe sur notre globe; mais je m’étais promis de dire toute la vérité, quand j’ai entrepris cette histoire, et j’ai tenu ma promesse » Catriona

Les aventures de David Balfour

Dans le roman de Stevenson Kidnapped, traduit tout simplement par Enlevé, David Balfour a perdu sa mère dans son enfance. Il a seize ans à la mort de son père, modeste directeur d'école, et se retrouve seul et sans ressources. C'est alors que le pasteur lui remet une lettre de son père lui demandant de rejoindre son oncle, un certain Ebenezer Balfour, esquire de Shaws, dont le jeune garçon n'a jamais entendu parler. David apprend ainsi qu'il a de la famille et de plus qu'il est noble.

Hélas, la rencontre avec Ebenezer est plus qu'inquiétante. Le personnage avare, détesté dans la région, a un comportement bizarre envers son neveu qui lui fait craindre pour sa vie. David finit par comprendre que son oncle a usurpé le titre d'esquire et qu'en fait, c'est lui l'héritier du titre et du domaine. Sous prétexte d'une visite chez le notaire pour régulariser la situation, Ebenezer se débarrasse de son neveu en le vendant à un négrier qui le conduit en esclavage dans une île lointaine. C'est le début des aventures à bord du navire jusqu'au jour où le capitaine et ses seconds recueillent un naufragé, manifestement gentilhomme, portant une ceinture pleine d'écus qui provoque la convoitise de l'équipage. Il s'agit de Alan Brech Stewart et sa fortune, sacrée à ses yeux, est destinée aux chefs des clans qu'il s'apprêtait à rejoindre en France. David prend le parti de cet homme qui se révèle un combattant expérimenté, féroce et endurci. Ils tiennent en respect l'équipage qui finit par se rendre mais le bateau s'échoue sur des écueils de la côté écossaise. Tous deux se retrouvent en Ecosse traqué par les soldats du roi. Aventures périlleuses, souffrances du corps et de l'âme, le jeune homme n'est pas préparé à cette vie angoissante et rude de proscrit. Peu à peu va se nouer entre David et Alan une amitié indéfectible, traversée d'orages et de brouilles, au cours de laquelle chacun sera prêt à donner sa vie pour son ami.

 


 

Dans Catriona, l'histoire continue et David s'emploie, parfois au péril de sa vie, à sauver ses amis. Il lui faut permettre à Alan de quitter secrètement le pays pour gagner la France et témoigner en faveur de James Stewart, l'oncle d'Alan, injustement accusé d'un meurtre. De plus, il tombe amoureux d'une jeune fille nommée Catriona, fille d'un Highlander proscrit, et comme tous les deux ont du caractère, leur relation fait parfois des étincelles ! J'ai beaucoup aimé aussi la conclusion du roman.

Ces deux romans d'aventures sont enlevés, riches en rebondissements, en dangers de toutes sortes, en personnages principaux attachants et d'autres, secondaires, nombreux, haut en couleurs.

L'Histoire d'Ecosse


La bataille de Culloden (1746)

Pour suivre le roman de Stevenson Kinapped et sa suite Catriona il faut d’abord réviser un peu son histoire et dans ce cas particulier celle de l’Ecosse. Et c'est passionnant !

Nous sommes en 1751 peu après la bataille de Culloden au cours de laquelle, en 1746, la défaite sanglante des Highlanders écossais sonne le glas définitif des rebellions qui se sont succédé dans le pays pour rétablir le trône des Stuart. Une répression féroce s'abat sur les Highlanders.

Charles Edouard Stuart, appelé Bonnie prince Charlie, successeur de son père Jacques III dans la prétention au trône d'Angleterre et d'Ecosse, retourne en exil. Les chefs higlanders sont arrêtés et massacrés, certains parviennent à s'enfuir et se réfugient en France. Ceux qui restent sont soumis à des spoliations de la part de l'Angleterre, confiscation des terres, paiements de lourds impôts, interdiction de parler le gaélique, de porter le Kilt et le tartan, de jouer de la cornemuse. Tout est fait pour détruire la structure clanique. Il y a d'ailleurs dans le roman un scène pittoresque et amusante mais aussi très forte, un morceau de bravoure, où deux hommes s'affrontent dans un concours de cornemuse qui leur tient lieu de duel pour vider leur querelle.

Dans ce récit, Stevenson crée un personnage fictif David Balfour mêlé bien involontairement et à son corps défendant au destin et aux tourments des Higlanders. Et l'auteur campe à côté de David, un personnage historique bien connu, Alan Breck Stewart.

Cet Higlander qui  a d'abord servi dans les troupes anglaises du roi Georges II, a rejoint le soulèvement jacobite à la bataille de Culloden. Il est l'homme à abattre pour les anglais, un déserteur, un traître qui vit en France, désormais officier dans les troupes écossaises de l'armée française. Sa tête est mise à prix. Il revient clandestinement dans son pays pour lever les loyers des chefs de clan exilés en France.

 Alan Stewart a grandi sous la garde de son oncle James of the Glen d'Appin, chef du clan des Stewart d'Appin. Nous rencontrons ce personnage historique dans des circonstances tragiques qui appartiennent à l'Histoire de l'Ecosse et au récit de notre roman ! Il s'agit de l'affaire qui a secoué toute l'Ecosse et l'Angleterre à l'époque, le meurtre d'Appin. Le 14 Mai 1752, Collin Campbell de Glenure, surnommé le Renard rouge, venu percevoir les loyers des Stewart d'Arshiel, mesure très impopulaire, est abattu. Alan Beck est accusé du meurtre.

 Stevenson nous raconte dans Kidnapped et Catriona, comment, condamné à mort par contumace, Alan échappera aux soldats royaux et parviendra à gagner la France grâce à son ami Balfour. Par contre, James of the Glen d'Appin est arrêté. Bien que sa culpabilité ne soit pas établie, il est jugé par le clan ennemi Campbell, rallié aux anglais, qui prononce son arrêt de mort. Dans Catriona, Stevenson détaille pour nous les enjeux politiques et les dessous de ce jugement injuste qui, même de nos jours, est encore contesté, avec des demandes de réhabilitation toujours repoussées !

Un Hommage aux Highlanders

 

Les clans des Higlanders : tenue traditionnelle

David et Alan sont très différents l'un de l'autre. Alan est un homme de petite taille (ce qui le vexe), il n'a pas de titre, c'est pourquoi il se vante de porter le nom d'un roi (Stewart a donné le nom de Stuart). Il a la figure tavelée marquée par la variole (Berck est un surnom qui signifie, le Tacheté). Il est fanfaron, très content de lui-même et il n'est pas bon paraître se moquer de lui. Il est d'un courage et d'une endurance extrême, manie l'épée en grand maître, est ardent au combat dont il fait une sorte de jeu, peu enclin à s'effaroucher devant quelques cadavres de plus. En bon Highlander, la mort de ses ennemis lui paraît justifiée, le vol lui semble nécessaire à cause de la misère, défendre le voleur ou le criminel aussi puisqu'ils sont poursuivis par les anglais ! Il faut bien s'entraider, c'est un devoir. Il a pourtant un solide sens de l'honneur mais à la manière des Hautes-Terres ! Il se dévouera pour un ami ou pour son chef de clan jusqu'à la mort, il est fidèle à la parole donnée.

David est beaucoup plus jeune et plus sensible. Il n'a pas connu la guerre et est horrifié d'avoir tué des membres de l'équipage lors du combat. Le sang, les corps gisant sur le pont du navire le rendent malade. C'est un protestant et même un puritain.  Il ne boit pas d'alcool et refuse les jeux de carte, perdition de l'âme, et son ami lui conseille de se laisser un peu aller, parfois. C'est un lowlander, fidèle au roi Georges, un bon whig, tout le contraire d'Alan Beck. Pour lui, les Highlanders sont des espèces de brigands sans foi ni loi, voleurs de bétail, criminels, opposés au pouvoir légitime. Son sens de l'honneur est exigeant et même si, parfois, il souhaite se désolidariser d'Alan Beck pour sauver sa vie, il ne le fera pas et rougit d'avoir de telles pensées. Il est rancunier et pardonne difficilement les offenses.  Mais son courage pour affronter les épreuves forcent l'admiration de son camarade plus âgé. Finalement avec leur sale caractère, leurs défauts et leurs qualités, ce sont deux personnages bien sympathiques.

Il y a une certaine forme comique qui naît de l'incompréhension mutuelle des deux personnages que tout sépare. Lorsque Alan parle d'honneur, David le regarde avec effarement. Chacun accuse l'autre de ne pas avoir de morale :

J'ai remarqué plus d'une fois que vous autres, gens des Basses-Terres, vous n'aviez pas une idée claire de ce qui est juste ou injuste.

A ces mots j'éclatai de rire, et je fus fort surpris de voir Alan en faire autant, et rire aussi gaîment que moi.

Mais peu à peu la vision de David va changer et son opinion des Highlanders aussi. Le différend entre les deux hommes nous permet de mieux comprendre la mentalité des hommes des Hautes-Terres. Leur sens de l'honneur est très fort mais étroitement lié au système clanique qui fait passer la fidélité au chef et au clan avant toute loi. La détestation des « habits rouges », les soldats du roi, unit ces populations. La lutte pour survivre, pour maintenir leurs coutumes, leur langue est souterraine, oblige à la clandestinité, au secret. Le roman est un hommage aux Higlanders, à leur résistance glorieuse, à leur orgueilleuse sauvagerie, à la fierté avec laquelle ils vivent leur misère, à leur fidélité à la parole donnée, à leur courage non seulement dans la bataille mais dans les épreuves quotidiennes.

Quand Alan apprend que les fermiers highlanders paient la redevance au roi George mais qu'ils se privent pour payer une seconde redevance à leur seigneur exilé, David s'écrie :

Voilà ce que j'appelle de la noblesse ! Je suis un whig et je ne vaux guère mieux, mais j'appelle cela de la noblesse !

-Oui, dit Alan, vous êtes un whig mais vous êtes un gentleman, et c'est pourquoi vous parlez ainsi.

Il y a quelque chose que les Anglais n'ont pas pu tuer, c'est l'affection que les hommes du clan ont pour leur chef. Ces guinées en sont la preuve.

Et en fait, si Alan et David peuvent s'entendre, c'est finalement que leur conception de l'amitié et leur conception de la noblesse d'esprit se rejoignent.

Un voyage à travers l'Ecosse

 

David sur l'île de Earaid

Le récit nous conduit dans une longue traversée à pieds à travers les Highlands et permettent de belles descriptions des paysages aimés et bien connus de l'écrivain. Le naufrage a lieu sur l'île Mull, sur la côte Ouest de l'Ecosse où le jeune homme est d'abord prisonnier sur un l'îlot sauvage Earaid. Là, il souffre de froid, de faim et de solitude.

Toute l'île d'Earaid, mais encore le pays adjacent de Mull, qu'on nomme le Ross, n'est autre chose qu'une succession de blocs granitiques, entre lesquels pousse un peu de bruyère.

Il entame ensuite le voyage pour gagner Appin où il sait qu'il retrouvera Alan. Il traverse le Loch Linnhe en direction d'Appin sur un bateau de pêcheurs

Les montagnes des deux rives étaient hautes, rudes et nues, très noires et très sombres sous l'ombre des nuages, mais couvertes comme d'un réseau d'argent formé par de petits filets d'eau qui reflétaient le soleil.

Elle avait l'air d'une âpre contrée, cette contrée d'Appin, pour que les gens l'aimassent autant que le faisait Alan Breck

On peut suivre leur trajet sur une carte tant l'inéraire est précis et détaillée, bras de mer, lacs profonds, montagnes escarpées et ravinées... pour arriver à Carriden où vit le notaire qui doit faire reconnaître son titre, près d'Edimbourg où a lieu la suite du récit Catriona.

 

La carte des clans écossais

  On voit bien les Stewart d'Appin,  la puissance des Campbell, la frontière entre les Hautes et les Basses Terres.

C'est un bonheur pour moi d'avoir découvert ces deux romans passionnants. Et dire que je n'en connaissais même pas le titre avant de charger les oeuvres complètes de Stevenson dans ma liseuse. Et pourtant c'est un grand classique aussi bien en Ecosse qu'aux Etats-Unis. Je ne sais pas, par contre, si les anglais l'aiment beaucoup ! Il faut voir le nombre d'adaptations du livre au cinéma et à la télévision ! Même Michael Caine a voulu endosser le rôle d'Alan Beck, le héros national écossais ! 

 


Et si vous allez en Ecosse peut-être découvrirez-vous, non loin d'Edimbourg, sur Corstorphine Road,  la statue d'Alan Beck Stewart au côté de son ami David Balfour, la réalité historique et la fiction littéraire à égalité dans la mémoire collective écossaise ! 


Alan Beck et David Balfour


jeudi 8 juin 2023

Danemark Copenhague : Jules Verne, la flèche de Borsen, la flèche de Saint Sauveur et l'absolutisme au château de Frédériksborg

18 Octobre 1660 sur la place de Kjöbenhaven : La prestation de serment de Frédéric III  par Heinrich Hansen
 

Un intérêt historique :  L'absolutisme

 C'est au deuxième étage du château de Frederiksborg que l'on trouve ce tableau passionnant :  La prestation de serment de Frédéric III exécuté en 1880 par Heinrich Hansen, peintre danois du XIX siècle.  Ce tableau peint la journée du 18 Octobre 1660, une journée historique importante dans l'histoire du Danemark, au cours de laquelle le roi reçoit le serment d'allégeance des Etats qui reconnaissent la monarchie absolue et héréditaire.

En effet, après la fin du conflit entre la Suède et le Danemark et le traité de Roskild confirmé par la paix de Copenhague, Frédéric III s'appuie sur la riche bourgeoisie et le clergé en conflit avec les nobles et en profite pour introduire la monarchie absolue en Septembre 1660. Puis en Octobre 1660, il la déclare héréditaire. Avant lui, le monarque était élu par un conseil. La loi renforce le caractère féodal de la société. La noblesse et la riche bourgeoisie reçoivent des terres avec les paysans qui y sont attachés et n'ont aucun droit. A la fin du XVIII siècle, 80% des terres du pays appartiennent à une centaine de familles qui sont aussi propriétaires de 770 châteaux ou manoirs.  L'absolutisme est aboli par Frédéric VII et son successeur Christian IX, en 1849, date où la monarchie devient constitutionnelle.  

Un des aspects intéressants du roman de Per Olov Enquist, Le médecin du roi, montre l'état féodal de la société sous Christian VII malgré les idées des Lumières, surtout avec la loi de 1733 qui aggrave le statut des paysans. Il  explique comment Struensee, le médecin du roi devenu ministre,  entreprend à lui seul de réformer la société, d'abolir le servage, les privilèges, la censure, de rétablir la liberté de la presse ... On comprend qu'il se soit fait quelques ennemis et qu'en dehors de son adultère avec la reine,  il avait quelques raisons de craindre pour sa vie !

"Quand, en 1733, le servage avait été établi, il avait constitué pour la noblesse un moyen de contrôler, ou plus exactement d'empêcher la mobilité de la main d'oeuvre. Quand on était paysan et né sur un domaine, on n'avait pas le droit de quitter ce domaine avant l'âge de quarante ans. Les modalités, le salaire, les conditions de travail et de logement étaient fixés par le propriétaire du domaine. A quarante ans, on avait le droit de s'en aller. La réalité étant qu'à cet âge, la majeure partie des paysans étaient à tel point devenus passifs, profondément alcooliques, criblés de dettes et physiquement épuisés, qu'on ne comptait guère de départs.

C'était l'esclavage danois."

Mais cette peinture est aussi intéressant pour de multiples raisons : 


 Copenhague

Et d'abord, ce tableau peint un coin de Copenhague  :  Le cortège sort de Borsen ou Bourse de Copenhague construite pour Christian IV par des architectes flamands entre 1619 et 1640 dans le style de la Renaissance flamande. On remarque la flèche du grand bâtiment autour de laquelle s'enroulent les queues de quatre dragons jusqu'à 56 mètre de Hauteur. Elle se voit de loin quand vous vous promenez à Copenhague. Il faut noter le joli pont qui enjambe le canal, et dans les voiliers, un homme monté sur un mât pour mieux voir le cortège royal.

 

La prestation de serment de Frédéric III 18 Octobre 1660 sur la place de Kjöbenhaven : (détail) Heinrich Hansen (1880)


En cherchant des renseignements j'ai trouvé dans wikisource un extrait de Voyage autour de la Terre dans lequel Jules Verne décrit cette flèche en 1880.

Puis je pris un plaisir d´enfant à parcourir la ville ; mon oncle se laissait promener; d´ailleurs il ne vit rien, ni l´insignifiant palais du roi, ni le joli pont du XVIIe siècle, qui enjambe le canal devant le Muséum, ni cet immense cénotaphe de Torwaldsen, orné de peintures murales horribles et qui contient à l´intérieur les œuvres de ce statuaire, ni, dans un assez beau parc, le château bonbonnière de Rosenborg, ni l´admirable édifice renaissance de la Bourse, ni son clocher fait avec les queues entrelacées de quatre dragons de bronze, ni les grands moulins des remparts, dont les vastes ailes s´enflaient comme les voiles d´un vaisseau au vent de la mer.

 

Flèche aux quatre dragons Bourse de Copenhague (photo de Jugalon)

Mais  l'écrivain décrit aussi une autre flèche remarquable, celle en spirale, avec un escalier en colimaçon extérieur, de l'église de Saint Sauveur. L'oncle de notre héros l'oblige à monter au sommet et bien que cela nous amène loin de notre journée du 10 Octobre,  je vous en donne un extrait  :

Mon oncle me précédait d’un pas alerte. Je le suivais non sans terreur, car la tête me tournait avec une déplorable facilité. Je n’avais ni l’aplomb des aigles ni l’insensibilité de leurs nerfs.
Tant que nous fûmes emprisonnés dans la vis intérieure, tout alla bien ; mais après cent cinquante marches l’air vint me frapper au visage, nous étions parvenus à la plate-forme du clocher. Là commençait l’escalier aérien, gardé par une frêle rampe, et dont les marches, de plus en plus étroites, semblaient monter vers l’infini.
« Je ne pourrai jamais ! m’écriai-je.
— Serais-tu poltron, par hasard ? Monte ! » répondit impitoyablement le professeur.
Force fut de le suivre en me cramponnant. Le grand air m’étourdissait ; je sentais le clocher osciller sous les rafales ; mes jambes se dérobaient ; je grimpai bientôt sur les genoux, puis sur le ventre ; je fermais les yeux ; j’éprouvais le mal de l’espace.
Enfin, mon oncle me tirant par le collet, j’arrivai près de la boule.
« Regarde, me dit-il, et regarde bien ! il faut prendre des leçons d’abîme !  » 

 

La tour de Saint Sauveur

 

Revenons au 18 Octobre ! Sous un dais, marchent Frédéric III, fils cadet de Christian IV, la famille royale et les hauts dignitaires. La reine, au manteau doublé d'hermine, s'avance majestueusement.  Il s'agit de Sophie-Amélie de Brunswick-Lunebourg dont on nous dit très sybillinement qu'elle est énergique et ambitieuse et que son caractère affectera la vie du roi et le destin du Danemark ?  Je n'ai pas trouvé d'autres précisions. A-t-elle encouragé le virage à l'absolutisme ? Près d'elle, quelques uns des enfants royaux sur les huit qu'elle a eus avec Frederik III. Le futur Christian V se tient près de son père et lui ressemble beaucoup ! Il est né en 1646 et a donc 14 ans lors de cette journée. La fille aînée qui tient son petit frère par la main et lui parle est vraisemblablement Anne-Sophie. Née en 1647, elle a treize ans. Le petit garçon est Georges, 7 ans. L'autre jeune fille est Frédérique-Amélie née en 1649, a 11 ans. La petite fille tenue par la main par un noble est peut-être Ulriche Eleonore née en 1656 donc 4 ans. Devant elle mais cachés par les adultes, deux autres enfants dont on peut imaginer qu'il s'agit de  Wilhelmine Ernestine (10 ans). Je me suis amusée à chercher leur prénom mais je n'ai aucune certitude !


La prestation de serment de Frédéric III  La journée du 10 Octobre 1660 (détail)  Heinrich Hansen (1880)


Dans la foule des hommes et des femmes de tous les milieux sociaux et tous les métiers. Hommes d'armes, musicines, noblesse, bourgeois, et le petit peuple, paysans, marins...


La prestation de serment de Frédéric III  La journée du 10 Octobre 1660 (détail)  Heinrich Hansen (1880)


Les détails des costumes et des coiffures...  Quelques scènes de vie intime : le regard affectueux du grand père tenant sa petite fille par la main, un chien qui quémande une caresse.


La journée du 10 Octobre 1660 (détail) Heinrich Hansen (1880)


La foule qui compose ce tableau est vivante, animée, comme prise sur le vif. C'est à la fois une vision historique intéressante par un artiste qui n'est pas contemporain de la scène et un témoignage humain touchant.

Hansen s'est inspiré d'un autre tableau de la prestation de serment, peint en 1666 par Wolfgang Heimbach mais qui en  élargissant la scène  permet de voir toute la place. (château de Rosenborg)


La prestation de serment de Frédéric III : Wolfgang Heimbach château de Rosenborg

 
Wolfgang Heimbach est un artiste allemand devenu peintre officiel à la cour de Frédéric III (1615-1678)