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lundi 22 janvier 2018

Asa Larsson : Le sang versé




Le  sang versé de Asa Larsson est second livre relatif au cycle de Rebecka Martisson, la jeune avocate de Stockholm, née à Kiruna (comme l’auteure ) en Laponie suédoise.

Après la fin terrible du premier roman Horreur boréale, Rebecka essaie de reprendre son travail d’avocate mais une sévère dépression nerveuse l’empêche d’être performante. Un collègue lui prête sa maison non loin de Kiruna, dans un petit village à 145km du cercle polaire. Elle part là-bas pour se reposer et essayer de retrouver le goût de vivre.
Hélas ! L’assassinat d’une femme pasteur que l’on a retrouvée pendue à l’orgue de l’église provoque un climat délétère. Et la pauvre Rebecka se retrouve à son corps défendant au milieu de l'enquête !

Alors là, je me suis dit : Décidément Asa Larsson a quelque chose contre les pasteurs sinon comment expliquer qu’elle les trucide d’un livre à l’autre et qu’elle brosse de ces religieux une peinture aussi critique et acide ! Je vois dans la postface que je ne suis pas la seule à avoir pensé cela ! Sa famille, son oncle vicaire à la retraite, sa tante laestadienne, la branche la plus conservatrice, la plus austère et rigide du protestantisme, s’en sont émus et lui ont fait promettre de ne plus tuer de pasteurs dans ses livres. Tant mieux parce que c'est un peu fastidieux cette hécatombe de pasteurs !

Mais à mon avis, elle a un compte à régler ! Car le tableau qu’elle dresse du collègue de la victime et de son vicaire est plus que critique. Et oui, même si l’on est pasteur, on peut-être machiste, antiféministe et ne pas supporter qu’une femme vous concurrence ! Malgré tout l'on ne peut s'empêcher de penser que les protestants sont en avance sur les catholiques et moins misogynes car ce n'est pas demain la vieille qu'il y aura de femmes curés  !
 On peut aussi tremper dans des combines louches et détourner l’argent commun à des fins privés. Quant à la femme pasteur, féministe, elle a des aspects bien sympathiques et l’on comprend pourquoi elle se met à dos tous les machos de la ville mais, en même temps, l’importance qu’elle a dans la vie quotidienne des gens m’effraie. Que le poids de la religion puisse être si pesant  dans ce pays-là m’étouffe ! Je n’aurai pas l’impression de liberté si je devais vivre ainsi.
Enfin,  la critique de la chasse et des chasseurs n’est pas mal non plus !

Ce que j'en pense ? A mon avis le livre n'est pas parfait. L’équilibre entre l’histoire policière et la vie de Rebecka, l’analyse des personnages et de la société, n’est pas encore trouvé. L’enquête traîne en longueur mais le personnage de Rebecka s’étoffe, celui de Sivving aussi. On voit apparaître pour la première fois un personnage qui va devenir important par la suite, le policier maître-chien Krister. 
A la fin quand on apprend ce qui arrive à Rebecka on est inquiet pour elle ! Mais nous répond Asa Larsson  : « Rebecka Martinsson va s’en remettre. J’ai foi en cette petite fille avec ses bottes en caoutchouc rouge. Et puis n’oubliez pas : dans mon histoire, c’est moi qui suis Dieu. »
Moralité ? Il me reste à lire le troisième La Piste noire et le quatrième Tant que dure ta colère. A bientôt !



dimanche 21 janvier 2018

Asa Larsson : Horreur boréale


J’ai commencé ma lecture de la série policière d’Asa Larsson par le cinquième volume En sacrifice à Moloch  et me suis intéressée au personnage principal récurrent, l’avocate fiscaliste Rebecka Martinson. Je me suis donc promis de lire les quatre premiers. Voilà qui est presque  fait, du moins pour deux d’entre eux.

Horreur boréale est le premier. On y rencontre Rebecka qui est avocate fiscaliste à Stockholm, carrière brillante mais qui ne semble pas la combler, de même qu’elle n’aime pas trop son patron Mans Wenngren.
Rebecka  reçoit un appel au secours d’une amie d’enfance, Sanna, mère de deux petits filles, dont le frère, pasteur, vient d’être savamment assassinée à Kiruna, une petite ville de la Laponie suédoise. C'est là que Rebecka est née et qu’elle a vécu avec sa grand-mère maintenant disparue dans un chalet, une enfance dont elle se souvient avec nostalgie. Rebecka prend un congé au grand dam de son patron et va rejoindre Sanna. C’est le début d’une dangereuse enquête - qu’elle mène pour sauver son amie accusée à tort- mais qui se terminera tragiquement.

J’ai trouvé que l’intrigue patinait un peu car l’écrivaine semble plus intéressée par ses personnages que par l’enquête policière proprement dite et je me suis un peu ennuyée au début. Mais j'avais envie d'en savoir plus sur Rebecka et sur son pays.
L’histoire  se déroule en sept jours d’hiver, dans la neige et sous un ciel couronné par les aurores boréales. Le temps qu’il a fallu pour créer le monde. Rappel biblique qui nous replace dans cette petite ville protestante dont les pasteurs représentants de différentes églises forment une communauté religieuse. En Laponie suédoise ils sont encore très puissants.
 Asa Larsson a l’art d’analyser les relations complexes entre les êtres, l’amitié-répulsion entre Sanna et Rebecka, l'art aussi de peindre les non-dits, les jalousies, les rapports de domination, les mesquineries et les malhonnêtetés et hypocrisies qui règnent au sein de la communauté religieuse. Un tableau peu reluisant !

 On y découvre des personnages qui vont l’accompagner tout au long de ces volumes, Anna Maria la policière chargée de l’enquête et son adjoint Sven-Erik, le voisin de la grand-mère de Rebecka, le vieux Sivving et ses chiens.
Malgré ses longueurs, j’ai fini par m'intéresser à ce roman mais pas autant que En sacrifice à Moloch.
Le livre a obtenu le prix du premier roman policier suédois en 2003.

A bientôt pour le deuxième volume "Le sang versé"


mercredi 10 janvier 2018

Ragnar Jonasson : Snjor



Snjor de Ragnar Jonasson. Encore un policier nordique  ! Cette fois, nous sommes transportés en Islande du Nord, dans une ville Siglufjordur, si éloignée, si coupée du reste du monde et si froide que Reykjavik, par contraste, semble être une villégiature tropicale !  Oui, j'exagère un peu mais n'oublions pas que j'ai vécu longtemps à Marseille.

Ceci dit, un des intérêts du roman, entre autres, c'est ce dépaysement total dans une ville plongée dans la nuit hivernale, ensevelie sous des mètres de neige (Snjor, la neige) dont la seule voie de communication par la route est le plus souvent coupée par des avalanches, un lieu sans lien avec le reste du monde quand sévissent blizzards et tempêtes! Une ville où tout le monde se connaît avec ce que cela suppose de positif (l'amitié, la solidarité) mais aussi de négatif (le manque d'intimité, l'obligation des rapports sociaux même avec des gens que l'on n'aime pas, les racontars, les rumeurs malveillantes.).  Une ville où la porte n'est jamais fermée à clef de jour comme de nuit et pourtant ! Lorsque un écrivain célèbre tombe d'un escalier d'une manière suspecte et se tue, lorsqu'une jeune femme est découverte assassinée dans la neige, l'inquiétude et la peur font son apparition à Siglufjordur.

Le personnage principal est le jeune policier Ari Thor, frais émoulu de l'école de police, qui vient d'être affecté dans la ville. Dans l'Islande en proie à la récession économique, il est bien heureux de trouver un travail mais il doit quitter pour cela sa petite amie Kristin qui vit à Reykhavik.  Au-delà de l'intrigue policière, on suit avec intérêt, le délitement de cet amour à cause de l'éloignement et plus subtilement d'une différence sociale responsable d'une fêlure entre les deux. On voit sa difficile acclimatation à ce pays si rude, ses angoisses, son impression d'étouffement. Puis l'on fait connaissance avec les autres protagonistes de l'action dont la belle Ugla qui ne laisse pas Ari Thor indifférent.

Une intrigue que l'on suit avec plaisir, des personnages intéressants, la découverte d'un pays, une atmosphère oppressante, voilà qui ce qui fait la réussite du roman où l'on se sent pris à partie, enfermé dans un huis clos à l'islandaise.  C'est d'ailleurs le sous-titre du roman. Et je compte lire la suite qui s'intitule : Mörk.


Lire aussi : 


samedi 6 janvier 2018

Asa Larsson : En sacrifice à Moloch




En sacrifice à Moloch est un roman de la suédoise Asa Larsson dont l'action se déroule en Laponie suédoise.
Le  roman débute par une impressionnante chasse à l'ours dans le ventre duquel l'on retrouve des restes humains.  Plus tard, Sol Brit Uusitalo, une vieille femme, est assassinée chez elle à coups de fourche. Son petit-fils Marcus, un petit garçon de 7 ans a disparu. C'est le policier Krister et ses chiens dressés qui le retrouvent mais l'enfant traumatisé semble frappé d'amnésie. La procureure Rebekka Martinssso est d'abord chargée de l'enquête avant de se faire évincer par son collègue Von Post arriviste infatué de lui-même et fort antipathique. Mais elle continue à enquêter de loin et remarque que dans la famille Uusitalo, on n'a décidément pas de chance et que l'on y meurt facilement d'une génération à l'autre, et ceci d'une manière suspecte. En reliant le passé aux meurtres du présent, Rebekka va-t-elle parvenir à trouver le coupable?

J'ai beaucoup aimé ce roman policier dont l'intrigue est bien conduite et le suspense bien mené. Il y a un autre récit enchâssé dans le premier et tout aussi intéressant, dont l'intrigue se passe en 1914 et qui suit le cheminement de la jeune Elina Petterson, institutrice, la trisaïeule de Marcus, elle aussi sauvagement assassinée.
D'autre part, le cadre, les paysages enneigés de la Laponie suédoise, ne pouvait que me plaire après mon voyage en Laponie norvégienne. J'ai eu plaisir à me retrouver au pays des Samis, dans le froid d'un pays reculé, sauvage et beau qui contraste fortement avec la vie antérieure de Rebekka à Stockholm. La magistrate était promue à un brillant avenir avant qu'elle ne vienne se réfugier dans le village de son enfance. Finalement, entre une vie dominée par la recherche de l'argent, du confort, au prix d'une concurrence acharnée avec ses collègues, elle préfère la vie plus authentique de sa Laponie natale.
Les personnages qui gravitent autour d'elle sont à la fois très attachants et bien campés, originaux, parfois un peu marginaux et très humains comme en témoignent leurs relations entre eux. Que ce soit Sivving, le vieux voisin sur lequel Rebekka veille filialement, Pohjanen le médecin-légiste dont elle sait  accompagner la solitude, Anna-Maria Mella, la policière, qui a bien du mal à concilier l'élégance et sa ligne avec son métier, Krister Ericsson, défiguré par un incendie, policier, amoureux de Rebecca.  Krister, du fait de son métier de maître-chien, introduit d'autres personnages inattendus dans le roman : les chiens !  Ces derniers jouent un grand rôle dans l'histoire et il faut reconnaître que Asa Larsson parle d'eux d'une manière tendre et pleine d'humour. On sent qu'elle les aime et les connaît bien !

Ce livre m'a donné envie de lire les précédents car il est fait allusion à des évènements antérieurs qui expliquent le personnage de Rebekka même si l'on peut lire ce livre sans connaître les autres. Une lecture très agréable.



vendredi 17 novembre 2017

Roy Jacobsen : Les invisibles



Les Invisibles de Roy Jacobsen, voilà un magnifique roman comme je les aime, une rencontre entre des personnages issus du peuple humains et courageux et un style poétique mais sobre et retenu, qui magnifie la Nature mais sait en peindre les excès et les rages. Une nature qui abonde en beautés mais se montre avaricieuse de ses dons qu’il faut arracher à une terre aride, battue par les vents, ou à un océan dangereux voire meurtrier. C’est là que vit, au début du XXème siècle, Ingrid, petite fille dont on célèbre le baptême au début du roman, dans une île au nord de la Norvège. Une île si petite qu’elle n’est habitée que par une famille, la sienne. Le roman se termine lorsque Ingrid, devenue l’héritière de son père, reprend la ferme familiale. De l’enfance à la maturité, un roman d’initiation mais quelle initiation ! La fillette dès son plus jeune âge doit apprendre les gestes qui sauvent et qui nourrissent. Car elle sait déjà, malgré ses doutes, que nul ne peut quitter son île :  «Une île, c’est un cosmos en réduction où les étoiles dorment dans l’herbe sous la neige.»!

Les maisons sur Barroy sont placées en diagonale les unes par rapport aux autres. Vues du ciel, elles ressemblent à quatre dés que l’on aurait lancés au hasard, plus une resserre à pommes de terre qui devient un igloo en hiver. On peut marcher sur les dalles qui relient les maisons, il y a des cordes à linge et des chemins qui partent dans toutes les directions, mais en vérité les maisons forment comme une charrue dressée dans l’air afin de ne pas être emportée, même si la mer entière devait s’abattre sur l’île.

La description de la vie quotidienne, des activités, des coutumes, des mentalités, est passionnante. La pauvreté règne, l’argent est gagné à grand peine par le père Hans Barroy qui part à la pêche dans les Lofoten pendant de longs mois. Pendant son absence, le grand père Martin, la mère Maria et la tante d’Ingrid, Babro qui est simple d’esprit, cherchent à tirer leur subsistance des quelques vaches, brebis et légumes et des poissons de la pêche côtière. L'île offre un cadre à la fois âpre, désolé et d'une grande beauté.
Les personnages malgré la dureté de leur vie restent humains et dignes. L’amour qui les lie entre eux est très fort mais pudique et se passe souvent de paroles. Ces personnages si petits sur une île qui l’est tout autant, ce sont les Invisibles mais ils ont une grandeur qui les rends attachants. Un passage m’a paru proche du Victor Hugo des Pauvres gens quand la famille accueille sous son toit deux orphelins, simplement et sans discussion.
Il y a quelques scènes très fortes dans le roman comme celle ou les parents d’Ingrid cherchent à placer Babro comme bonne dans une famille bourgeoise mais la ramène chez eux parce qu’on lui a manqué de respect ; celle aussi où  le père fait sortir sa fille en pleine tempête en l’attachant de peur qu’elle ne soit pas emportée par le vent, parce que « Un ilien n’a pas peur, sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil. »

"Il lui crie qu’elle doit sentir avec son corps que l’île est immuable, même si elle tremble, même si le ciel et la mer sont chambardés, une île ne disparaît jamais, même si elle vacille, elle reste ferme et éternelle, enchaînée dans le globe lui-même."

Un très beau livre, aux éditions Gallimard,  un coup de coeur qu'il faut lire en s'imprégnant du rythme lent et du passage des saisons.



Roy Jacobsen (né le 26 Décembre 1954) est un norvégien romancier et nouvelliste écrivain.
Né à Oslo, il a fait ses débuts en 1982 avec la publication d'un recueil de nouvelles.
Il est lauréat de prestigieux prix et de deux de ses romans ont été mis en nomination par le Conseil nordique pour le prix de littérature






mercredi 15 novembre 2017

Tarjei Vesaas : Nuit de printemps



Quelle merveille- et ses ombelles qui tournoyaient comme des roues et comme des robes entrées dans la danse.



Quel étrange roman que celui de Tarjei Vesaas :  Nuit de printemps  aux éditions Cambourakis en 2015 !  Etrange, car l’écrivain est le maître de l’indicible et laisse à ses lecteurs le soin d’interpréter !

Dans Nuit de printemps, il en est ainsi car le point de vue est celui de Hallstein, un garçon rêveur, encore crédule et sous influence, qui regarde ce qui se passe autour de lui sans le comprendre vraiment. Et comme tous les personnages sont incapables de communiquer, l'adolescent sera pris dans un noeud de sentiments contradictoires et un enchevêtrement de faits inexplicables.

Le récit

Contrairement à certains de ses romans, Tarjei Vesaas raconte une histoire dans Nuit de printemps.  Hallstein et sa soeur bien-aimée Sissel se retrouvent seuls pour deux jours dans la maison, leurs parents étant partis à un enterrement. Sissel, 18 ans, est bien capable de s’occuper de son frère 14 ans et tous deux sont des enfants raisonnables. Oui, mais rien ne va se passer comme prévu.

D’abord Hallstein surprend sa soeur en train d’échanger un baiser avec Tore, un voisin de son âge, puis le repousser et se disputer avec lui. La scène trouble Hallstein; il ne parvient pas à comprendre les sentiments de Sissel. Il perçoit qu'il y a chez la jeune fille une contradiction entre le langage du corps et celui de la parole. Il comprend que c’est la fin de  leur complicité, Sissel entre dans le monde adulte alors que lui n'est encore qu'un enfant. Heureusement, Hallstein à une amie imaginaire que lui seul peut voir, Gudrun et sa franche blonde, qui le réconforte avec son franc parler quand il ne va pas bien !

Et puis survient un évènement qui entraîne le chaos : une voiture tombe en panne devant chez eux. On leur demande l’hospitalité pour Grete, une jeune femme sur le point d’accoucher. Son mari Karl est nerveux, ce qui se comprend, mais aussi violent et agressif. Et qui est cette vieille femme Kristine oubliée dans la voiture? Elle est muette et impotente mais elle parle à Hallstein, et lui fait promettre son aide; et pourquoi le mari de cette dernière se comporte-t-il aussi follement, pourquoi semble-t-il avoir peur ? Enfin, quelle surprise, quel bonheur, au milieu de cette famille impossible, Hallstein découvre Gudrun, sa Gudrun avec sa frange blonde !

 Je ne vous en dis pas plus mais sachez que tout semble déraper, n’avoir aucun sens. Il  n'y a, entre tous ces êtres, aucune possibilité de se parler, de s’écouter et donc de s’entendre. Hallstein est pris dans un tourbillon d’urgence et de folie, balloté de l’un à l’autre. L’amoureux de Sissel, Tore, quant à lui, n’est pas plus raisonnable, il erre toute la nuit dans la forêt.

Une  nuit de printemps

Une nuit de printemps, pas celle de Shakespeare, non, mais celle de Tarjei Vesaas ! Une nuit ou l’amour, la haine, la mort mais aussi avec la naissance du bébé, la vie, sont au rendez-vous !
Une nuit de printemps - et c'est aussi ce qui me fait penser à Shakespeare- où la nature est présente, où elle offre un refuge à ceux qui en ont besoin, où sa beauté lumineuse, en cette saison en Norvège,  est enivrante.

L'incommunicabilité entre les êtres

Ce que j’admire dans Tareji Vesaas, c’est cet art de ne pas dire les choses, de les suggérer, de les faire sentir à travers un geste, un début de phrase qui s’interrompt, un regard, un pli du visage. Il y a quelque chose de douloureux dans cette incommunicabilité entre les êtres.
L'adolescent qui se trouve pris dans cet engrenage a une innocence qui devrait le disposer à souffrir. Mais il a Gudrun, l'incarnation de ses rêves dans la réalité,  et sa propre force qui lui donnent la sensation d’avancer et l’on sent qu’il en sort plus mûr, plus fort. Nul doute que cette nuit de printemps ouvre pour lui une brèche d'où échapper au monde de l'enfance. Elle lui laissera un souvenir indélébile.



 Tarjei Vesaas est né à Vinje dans le Télémark, au sud de la Norvège, en 1897, et mort en 1970, à quelques kilomètres de la ferme familiale. Le chant de la terre, de la vie paysanne, l’exaltation de la vie, l’enfance et sa psychologie, comptent parmi les thèmes majeurs de son œuvre. Le Palais de Glace a reçu en 1963 le grand prix du Conseil Nordique et il est, avec Les Oiseaux, l’un des romans les plus emblématiques de l’art de Vesaas. Avec Nuit de printemps, publié en 1954, Tarjei Vesaas rompt avec cette ambiance romanesque que certains critiques contemporains lui ont souvent reprochée : des récits à la temporalité suspendue et dépourvue d’action. Texte éditions Cambourakis ici


Lecture commune avec Margotte dans le cadre du challenge littéraire nordique



Voir le beau billet, très complet de :  Erik 35 dans Babelio   ici

mardi 5 septembre 2017

Arnaldur Indridason : Dans l'ombre



Le roman d’Arnaldur Indridason, Dans l'ombre aux éditions Métailié, explore un des moments de l’histoire Islandaise qui en 1941 fut occupée par les forces armées britanniques et américaines, pour faire obstacle au nazisme.

L’écrivain brosse un tableau passionnant de ce bouleversement historique qui chamboule la vie, les habitudes et même les moeurs des habitants de l’île. C’est l'aspect du roman qui m’a le plus intéressée. L’occupation de l’Islande par des soldats alliés, arrivés en masse, transforment l’économie du pays, créent des emplois, donnent aux femmes, en particulier, des espoirs d’avenir et d’émancipation.  Se faire épouser par un soldat anglais, c’est sortir de la misère et quitter un pays pauvre, économiquement en retard sur ceux des occupants. Les femmes couchent avec les soldats, s’amusent avec eux dans des bars et des dancings qui se développent, trouvent du travail dans les blanchisseries et les cantines. C’est ce que les islandais ont appelé la Situation. La police est obligée de protéger les jeunes adolescentes attirées par le miroir aux alouettes pour éviter qu’elles ne servent de prostituées aux soldats.

C’est dans ce contexte que se place l’intrigue policière : un représentant de commerce, Eyvindur, est assassiné dans l’appartement d’un de ses collègues, Félix Lunden. Son cadavre est marqué au visage par une croix gammée. Les soupçons se portent vite sur ce Félix qui appartient à une famille d’origine allemande qui semble avoir eu des sympathies pour l’idéologie nazie. Félix exercerait-il des activités d’espion à la solde de l’Allemagne nazie ? De plus,  c’est un ancien camarade de classe d'Eyvindur, ce qui va mettre à jour des zones d’ombre de leur enfance commune.
 Pourtant un colt appartenant à l’armée américaine oriente les enquêteurs vers les soldats qui peuplent la ville. Et ceci d’autant plus que Véra, la femme d'Eyvindur, qui a quitté son mari pour travailler comme blanchisseuse, a une liaison avec un soldat  étranger.

Ce sont deux jeunes enquêteurs peu expérimentés qui mènent l’enquête : Flovent qui travaille depuis quelques années à la Criminelle de Reykjavik où les crimes sont rares. Il a fait un stage à Scotland Yard. Thorson, canadien d’origine islandaise, interprète maîtrisant la langue islandaise, est affecté à la police militaire britannique puis américaine. Il devient l’assistant de Flovent parce qu’il est le seul capable de communiquer avec les habitants tout en garantissant les intérêts de l’armée.
Les deux policiers malgré leur inexpérience vont se révéler entêtés et coriaces. Ils sont sympathiques et l’on s’intéresse à eux, même s’ils ne m’ont pas encore  permis d’oublier le regretté Erlendur. Mais laissons leur le temps ! Dans l’ombre n’est que le premier tome d’une trilogie qui va certainement permettre aux deux personnages de s’imposer. Le deuxième volume La femme de l’ombre paraîtra en octobre  2017. A suivre donc !



jeudi 31 août 2017

Anne-Cathrine Riebnitzsky : Les guerres de Lisa


De retour de mission en Afghanistan pour l’armée danoise, dans l’avion qui la ramène au Danemark, Lisa se retrouve aux côtés d’Andreas, médecin, à qui elle décide de raconter l’histoire de sa vie. Une histoire familiale lourde à ­porter : une mère manipulatrice et dépressive, un père violent, la tentative de suicide de sa jeune sœur… Mais aussi l’histoire de quatre frères et sœurs liés par un même combat : survivre — à la guerre comme dans la vie.
Lisa dévoile de terribles secrets, comme les cir­constances exactes de la mort accidentelle du père, et les conséquences tragiques d’une mission para­chutiste en ­Russie à laquelle son petit frère Peter a participé. (Quatrième de couverture)

 Si le livre Les guerres de Lisa de Anna-Cathrine Riebnitzsky aux éditions Gaïa commence en Afghanistan où Lisa et son frère Ivan, tous deux soldats comme le fut l’auteure elle-même, mènent leur guerre, le roman nous ramène bien vite au Danemark au chevet de la petite soeur Marie, musicienne, qui vient de faire une tentative de suicide. Et l’on s’aperçoit que la guerre ne cesse pas mais se déplace de l’extérieur vers l’intérieur, au sein de la cellule familiale où la fratrie, deux frères, deux soeurs dont Lisa est l’aînée, est unie dans la lutte pour la survie qui les a opposés à leurs parents et dont ils porteront toujours les marques. Le roman alterne, en effet, les retours dans le passé et les moments présents.
La mère admirée mais malade, suicidaire, dont on découvre comment elle joue avec l’affection de ses enfants disant à chacun d’eux qu’il est le préféré ; le père violent et brutal qui attise la haine de ses enfants. Haine qui unit aussi les époux qui ne se sont jamais aimés, jamais entendus. Oui, la guerre est à l’intérieur. C’est ce qu’exprime Marie, la jeune soeur artiste, plus fragile que ses aînés : « Elle dit que les munitions, dans cette maison, ce sont les gifles et les mots. »
L’auteure dont il semble que le récit soit en partie autobiographique crée une atmosphère pesante autour de cette famille sur laquelle pèse, même après la mort du père, des non-dits, ce que l’on soupçonne sans jamais le formuler. Une version des Atrides au Danemark qui permet de comprendre pourquoi deux des enfants Lisa et Ivan se réalisent dans les combats de l'armée danoise qui mettent leur vie en danger, vie que les poussées d’adrénaline rendent précieuse tandis que le second frère Peter est sur un fauteuil roulant. On y voit aussi comment les névroses se forment d’une génération à l’autre, de la grand-mère de Lisa à sa mère qui dès l’âge de huit ans avait la conviction: « que la seule façon de rendre sa mère heureuse était de mourir. »  L’écrivain arrive à rendre la complexité des rapports humains mais j’ai trouvé que les enfants étaient singulièrement tendres entre eux contrairement à ce que leur enfance à la dure laissait attendre !

Si l’enfance malheureuse et ses séquelles est un thème largement exploité dans la littérature, Anne-Cathrine Riebnitsky, écrivaine danoise, a une manière personnelle de traiter ce sujet grave qui se termine contre toute attente par une note optimiste.



dimanche 30 juillet 2017

Une maison de poupée de Henrik Ibsen mise en scène Philippe Person, festival OFF d'Avignon

Une maison de Poupée : Philippe Calvario et Florende Le Corre
Voilà la note d’intention du metteur en scène d'Une maison de poupée, Philippe Person, qui interprète aussi un des personnages, l’avocat Krogstad.

« C’est Noël chez Torvald et Nora Helmer et Monsieur vient d’être nommé directeur de banque. Mais son employé Krogstad, menace de révéler le lourd secret de Nora. La Maison de poupée se transforme en cage de verre, le drame bourgeois en thriller hitchcockien. »

J'ajouterai le résumé rapide de l'intrigue que j'ai publié dans mon blog pour ceux qui sont intéressés :

Dans Une maison de poupée, Nora est considérée par son époux Torvald Helmer comme une femme-enfant, jolie, délicieuse, gaie mais puérile et sans cervelle et surtout… très dépensière. Mais enfin, l’on ne demande pas à une femme d’être intelligente et le couple s’entend bien, le mari bêtifiant à qui mieux mieux avec son « petit écureuil »  et sa charmante «  alouette », bref sa poupée. Pourtant Nora quand elle se confie à son amie madame Linke, Christine, est beaucoup plus sérieuse qu’il ne paraît. Pour sauver son mari, malade et à qui il fallait un séjour dans un pays chaud, elle a emprunté en secret de l’argent à un avocat véreux, Krogstad. Et pour cela elle a fait une fausse signature, celle de son père, puisqu’elle n’a pas le droit en tant que femme de signer. .. Suite ICI

La pièce mise en scène par Philippe Person n’est pas intégrale. Le personnage du docteur Rank est supprimé ainsi que les scènes avec les enfants et la nourrice. Certaines répliques sont élaguées et j’ai trouvé que la pièce n’avait pas assez de continuité, le rythme étant coupé, haché, par une présentation en tableaux successifs. Ce qui m’a paru gênant pour voir l’évolution des personnages.

La manière de traiter certains personnages secondaires m’a surprise aussi : Christine et Krogstad. Christine (Nathalie Lucas) qui représente une autre facette de l’aliénation de la femme et mériterait, à ce titre, d’être plus mise en valeur est assez effacée. Et Philippe Person qui joue Krogstad paraît prendre de la distance par rapport à son personnage et ne pas y croire du tout. Le dénouement heureux pour eux qui se sont aimés dans leur jeunesse est traité avec dérision, semble-t-il, par le comédien et metteur en scène. Peut-être parce que cela arrive trop brutalement, sans transition. Si on s’intéresse à ces deux personnages, il faudrait leur laisser plus de temps.

Reste donc le couple principal : Nora et Torvald Helmer. C’est sur eux que le metteur en scène a resserré l’intrigue. La comédienne Florence Le Corre qui interprète la femme-enfant, Nora, charmante et mutine, est convaincante et la scène finale nous permet de découvrir un Torvald  humain (Philippe Calvario) qui comprend, mais trop tard, ses torts envers son épouse. Ce sont des moments qui m’ont touchée. Je l'avais jugé trop brutal dans les scènes précédentes.
La cage de verre dont parle Philipe Person est peut-être ce huis-clos du salon de Nora qui permet aux spectateurs de s’immiscer dans l’intimité du couple, c’est aussi cette vitre qui coupe le décor et derrière laquelle se cache la boîte à lettres fatale.  J’avoue, par contre, qu’à aucun moment, je n’y ai vu le thriller Hitchcockien annoncé par le metteur en scène.
 Je n’ai donc pas tout aimé dans cette version de la pièce mais le spectacle, comme je l’ai souligné, a des qualités, en particulier  le jeu de Florence Le Corre, Nora.

Une maison de poupée de Ibsen
Mise en scène de Philippe Person
Théâtre de l’Oulle
Durée : 1h20
à 15h10 : du 7 au 30 juillet
Compagnie Philippe Person
Interprète(s) : Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario, Philippe Person



lundi 15 mai 2017

Tor Jonsson : poète norvégien

Tor Jonsson
Un autre grand poète norvégien m’accompagne pendant de voyage. J’emporte avec moi dans mes valises le recueil de Tor Jansson  (1916_1951): Pour me consoler de la mort, j’ai le rêve paru aux Editions Rafael de Surtis collection Pour une rivière de vitrail.

 Pour me consoler de la mort, j’ai le rêve, est une anthologie de plusieurs recueils. Le titre est en lui-même déjà un poème mais aussi une philosophie. De même pour les titres de ses autres oeuvres  :  Maturation dans l’obscur est son premier recueil paru en 1942 et donne la coloration de toute son oeuvre, l’ombre,  la couleur grise, la solitude et la souffrance.
Suivent Montagnes près d’un lac bleu (1946), Nuits de fer (1948), Un journal pour mon coeur. Ce dernier écrit en 1951 avant son suicide est un peu son testament littéraire.
Voilà ce que Pierre Grouix, le traducteur, dit de sa poésie  : « Si amour et mort s’unissent intimement dans la poésie de Tor Jonsson, c’est parce que la limite n’est pas nette entre rêve et réalité. Loin des rumeurs d’Oslo et d’une certaine pratique élitiste de la littérature et de la poésie, Tor Jonsson, originaire de Lom dans le Gudbrandsdal (la perle des vallées norvégiennes), est en prise directe avec le monde qui l’entoure. Tout comme un autre poète écrivant en néo-norvégien (ou nynorsk), celui-ci du Télémark – Tarjei Vesaas -, un homme est à l’écoute de la nature qui l’entoure et lui parle. Il en traduira les voix. »
Tor Jansson est né en 1916  à Lom dans une splendide vallée de la Norvège du Sud où il a vécu dans un grand dénuement matériel et une profonde solitude morale. Son père est mort quand il était jeune, et sa mère, malade, était entièrement démunie. Il a dû travailler très tôt comme ouvrier agricole ou jardinier. C’est pourquoi, les souvenirs d’enfance dans le hameau qui l’a vu naître y jouent un grand rôle. La pauvreté de sa famille et de tous ces cultivateurs rivés à la terre qui connaissent la faim, nourrissent son oeuvre. L’amour de sa terre natale et la révolte contre la misère des hommes sont donc à la base de sa poésie. Il écrit une poésie engagée qui dénonce les injustices sociales et qui trahit une grande solitude. A la mort de sa mère, il part à Oslo et devient journaliste.

  La maison d’enfance

La maison de Tor Jonsson

La maison d’enfance
Je remercie la maison d’enfance
pour, derrière les vitres embuées, la haine
contre les conditions de vie d’un métayer.
Le rêve blême que tu me donnas,
le chagrin amer que tu cachas
témoignent d’un printemps.

Dans cette pièce misérable
Le chagrin a toujours geint
et aiguisé son long couteau.
Dans cette pièce ont grandi
les bons rêves dont les rayons
entoureront ma vie à jamais.

Je vais vers mon hameau de toujours
et plante de belles fleurs
sur chaque tombe au loin de l’oubli.
Je remercie la maison d’enfance
pour la haine dans la solitude sacrée
et la moisson qu’elle m’offrit.

Un poème sur tout ce que j’aime
prend racine dans la petite maison chez moi,
derrière les pleurs d’une mère.
Le poème fait exploser l’épiderme
dans le bruissement de la pauvreté
et le chagrin sur la terre.

Mais la poésie - la force du Verbe- reste la consolation et la raison de vivre.

Le Verbe

Lom : Starvekirke

 Le Verbe

A quoi sert de chanter
comme la rivière dans le désert?
A quoi sert de remonter
les horloges pour les morts?

A quoi sert de bâtir
toute la beauté du monde
quand le Verbe doit céder
face à la faim et aux épées?

C’est ce que nous nous demandons étonnés
aux heures d’abattement
Mais cette pensée nous revient :
un mot est un miracle.

Oubliés les grands de ce monde
et tout ce qu’ils accomplirent.
Mais la vie est éternité.
Et éternel est le verbe.

Enfin un dernier poème que j'aime beaucoup  : 

Les oies cendrées

Oies cendrées et soleil levant : Robert Hainard (source)

Les oies cendrées

Quand les oies cendrées trouvent leur V
vers le nord,
alors chaque graine s’anime dans le bois,
chaque fleur croît.

Alors une convulsion naît
dans les jeunes pensées,-
Alors les V d’oies cendrées pointent
vers les temps non nés-




dimanche 7 mai 2017

Gunvor Hofmo : Tout de la nuit est sans nom (2)

Gunvor Hofmo en 1949

J’ai publié dans mon blog deux poésies de Gunvor Hofmo ICI.
 Voici maintenant une présentation du recueil : Tout de la nuit est sans nom, préface de Ole Karlsen, édition bilingue, traduit du norvégien par Pierre Grouix et Grete Kleppen, aux éditions Rafael de Surtis, 2009 collection Pour une Rivière de vitrail.
Ce recueil est une anthologie de plusieurs autres de Gunvor Hofmo :   je veux revenir habiter chez les hommes (1946) ou D’une autre réalité (1948)  Invité sur la terre (1971)  Il est tard (1978) et  sans doute de bien d’autres… Il est très difficile pour qui n’a pas lu l’intégralité de son oeuvre (et pour cause ! non traduite en français) de savoir à quel recueil appartient chaque poème et à quelle date chacun a été écrit. C’est le reproche que je ferai à cette édition, car ces précisions et la chronologie des oeuvres permettraient mieux encore de saisir le sens d’une poésie si liée au vécu de l’auteure tant par le traumatisme de la guerre que par son enfoncement dans le mutisme pendant seize ans, puis sa résurrection.

Ruth Maïer, l'amie de Gunvor Hofmo

Nous savons, en effet, grâce à la notice biographique de la préface de Ole Karseln que la vie de Gunvor Hofmo, norvégienne née à Oslo en 1921 a été marquée définitivement pendant la deuxième guerre mondiale par l’arrestation de Ruth Maïer, une réfugiée juive autrichienne dont elle est amoureuse. Celle-ci fut déportée le 26 novembre 1942 avec tous les juifs norvégiens et envoyée à Auschwitz où elle est tuée dès son arrivée.

J’ai veillé

Edvard Munch : Angoisse

Ami, j’ai veillé –
traversé de maléfiques montagnes.
Sommeil – qu’est-ce,
est-ce une danse de trolls,
des cœurs arrachés d’eux-mêmes
qui sombrèrent dans les marécages de l’angoisse.

Ami, j’ai toujours veillé
même quand j’ai dormi.
Toujours, même dans le rêve,
l’ouverture fut ma loi.
J’ai bu des myriades de visions,
sans défense – voyant tout.

J’ai vu ma mère dans la pièce,
pauvre, simple, lasse.
Et derrière, derrière elle
les respirations éternelles
des mères qui soufflèrent sur moi
à travers l’odeur de la nuit.

J’ai vu mon père dans la pièce,
sage, mais aussi dur.
Et derrière lui
une houle
d’hommes aux armes dressées,
des assassins, eux-mêmes couverts de blessures.

J’ai vu ma sœur
autour de moi, et mon frère prodigue.
(Et derrière eux tous les Étrangers –)
Ma solitude au-delà des mots
trouva son reflet en eux.

J’ai vu mon amie,
l’unique, je l’ai vue
partir pour la mort.
Et depuis, les arbres sont en deuil,
et depuis, la Mort a tiré
mon corps, mon âme, ma voix
dans l’océan du désespoir !

A la fin de l’été 1947, Gunvor Hofmo, voyage  à travers l’Allemagne détruite, en direction de Paris, où elle restera jusqu’au début de l’année 1948.

Je veux rentrer


Emil Nolde : ciel étoilé


Je veux lever les yeux vers les étoiles
sur une mer brillante dans la nuit
qui chante, chante :
belle est la nuit
beau est le jour,
aucun d’eux ne périra !

Je veux revenir habiter parmi les hommes-
tel un aveugle
transpercé dans l’obscurité
par l’éclat interstellaire du deuil.

Mais si dans la première strophe  le souhait du retour à la vie, s’exprime dans des mots qui portent la lumière et la joie pour illuminer et révéler la beauté de la nuit : « Les étoiles » « une mer brillante »  « chante », la seconde strophe en antithèse ne laisse aucun espoir : celle qui « lève les yeux «  se révèle « aveugle », à la lumière s’oppose « l’obscurité », l’éclat des étoiles est éteint par le «deuil » qui s’oppose lui aussi à « ne périra », toute une série d’oxymores qui marque l’impossibilité du retour pour la jeune femme. 

 D'une autre réalité

Edvard Munch : le cri

C’est que Gunvor Hofmo est d’une sensibilité extrême; elle ressent avec intensité la souffrance de l’autre: elle est de ces êtres qui savent voir au-delà de l’apparence. Dans le poème D’une autre réalité (1948), titre du recueil du même nom en 1948, elle dit ce passage de la réalité à un autre monde.

On tombe malade à force d’appeler la réalité.
J’étais trop près des choses,
à m’en brûler à travers elles,
à me retrouver de leur autre côté,
où la lumière n’est pas disjointe de l’obscur,
où nulle frontière n’est posée, rien qu’un silence
qui me jette dans l’univers de la solitude,
l’incurable solitude.

Elle ne peut éviter de passer de l’autre côté, là où se révèlent l’angoisse, la solitude, le silence des choses et des êtres. Et ce passage est terriblement douloureux car il est synonyme de lucidité. La réalité laisse place à une autre réalité de la profondeur, celle qui ne dit pas son nom mais qui est la seule réelle. Le poète est visionnaire.

Regarde, je rafraîchis ma main dans l’herbe fraîche:
c’est bien la réalité,
c’est bien une réalité suffisante pour tes yeux,
mais je suis de l’autre côté, là où les brins d’herbe
sont des cloches qui sonnent de deuil, d’attente amère.
je tiens la main d’un être humain,
mais je suis de l’autre côté,
là où l’être humain,
 regarde dans les yeux d’un autre être humain,
mais je suis de l’autre côté,
là où l’être humain est une brume d’angoisse et de solitude.

Et l’on ne peut passer sans danger d’une rive à l’autre, comme Orphée, au risque de n’en jamais revenir. C’est ce qui arrive à Gunvor Hofmo.

Ah! si j’étais une pierre
capable d’accueillir le poids de ce vide,
si j’étais une étoile
capable de boire la douleur de ce vide,
mais je suis un être humain jeté aux confins,
 et j’entends bruire le silence,
j’entends crier le silence
depuis des mondes plus profonds que celui-ci.

 Après avoir écrit cinq recueils jusqu’à en 1955, elle sombre dans le mutisme et est enfermée dans un hôpital psychiatrique. Pendant seize ans, elle n’écrira plus et on la croit définitivement perdue pour la littérature et la poésie. Mais à l’initiative d’un médecin, on lui donne à nouveau de quoi écrire. C’est la renaissance. Elle sort de l’hôpital, publie un premier recueil en 1971, Invité sur la terre. Après voir publié une quinzaine de recueils nouveaux, elle s’éteint en 1995. Elle est l'une des plus grandes figures de la poésie norvégienne.

Invité sur la terre (1971)

Gustaf Fjaestad : Arbres gelés au crépuscule

L’invité qui attend,
immobile, loin dans l’espace fourmillant de Sa beauté,
immobile, comme les mouettes au bord des falaises,
Loin dans l’espace blanc de soleil et de Sa beauté.
Dieu qui laisse attendre son invité,
Dieu qui laisse attendre son mendiant
à présent, après toutes ces années,
avec un billet d’admission tout en métamorphoses.
Toi qui attends, toi mort profonde faite de rues,
de la lumière d'un printemps
 de visages écrits dans la poussière
qu'apportes-tu avec toi, ici à l'intérieur
où tout est profondeur,
tout est incessante création: de nouveaux arbres,
de nouvelles pluies, un murmure neuf du néant.
Au milieu de tout, nues dans la lumière,
le défilé devant toi de millions d'années;
au fond de la matière tu devines des lois
que ton âme suit.

A présent ton âme se faufile à travers l'éternel 

Regarde bien les roses du chemin
regarde bien les croix sur les tombes en ruines
et vois : dans le jour d'hiver un brasier allumé
dont la fumée de vie défunte
s'immobilise au-dessus de toi, et toi
immobile, au fond de son Espace de beauté
blanc de soleil

mardi 2 mai 2017

Maren Uthaug : La petite fille et le monde secret



Lorsque j’ai commencé à lire La petite fille et le monde secret de Maren Uthaug dont l’action se déroule entre le nord de la Norvège en pays same et le sud du Danemark, je pensais en me fiant au  titre que ce récit allait me faire pénétrer dans un monde mystérieux à mi-chemin entre réalité et féérie, un monde peuplé d’êtres surnaturels qui m’amèneraient au coeur de la mythologie des peuples samis. Il n’en est rien et si, effectivement, il est question des croyances et des êtres légendaires de ce peuple, le roman est très réaliste et le monde décrit est très dur aussi bien dans les rapports entre membres d’une même famille qu’entre les minorités ethniques et les Norvégiens.

Les Sames ou Lapons

Les Samis de Suède
 Une note du traducteur Jean-Baptiste Coursaud est appréciable pour mieux comprendre le récit qui commence en Norvège du Nord. On y apprend que les Sames (ou samis) peuplent la Sapmi, région qui s’étend sur plusieurs territoires de Norvège, Suède, Finlande et Russie : c’est ce que nous nommons la Laponie. Si pour nous le mot lapon n’a aucune connotation péjorative, il n’en est pas de même en Norvège puisque Lapon vient du substantif lapp qui signifie "haillons",  "guenilles", "lambeaux" et désigne d’une manière méprisante le vêtement traditionnel des Sames. C’est pourquoi ce vocable à été aujourd’hui abandonné. Les Sames ont été victimes d’une assimilation forcée par l’administration et l’Eglise d’Etat de ces pays. Ce « génocide  culturel » n’a cessé qu’en 1945. A l’heure actuelle, les Sames sont 40 000 en Norvège et disposent maintenant d’un parlement autonome. Leur langue finno-ougrienne, de la même famille que le finnois, l’estonien et le hongrois, est reconnue comme langue nationale depuis 1987. Malgré tout, le racisme entre les peuples sames et les norvégiens est toujours bien vif et les problèmes restent nombreux en particulier pour ce peuple d’éleveurs de rennes resté nomades alors qu’une partie d’entre eux s’est sédentarisée.
Les Sames ont leur propre religion panthéiste caractérisée par le chamanisme mais ont été christianisés au XVIII siècle et sont devenus luthériens. A partir de 1848, un prédicateur suédois Lars Levi Laestadius a suscité un mouvement religieux conservateur le laestadianisme, basé sur le luthérianisme, qui développe une morale très stricte et austère.
Il est aussi question dans le roman des Kvènes, une autre minorité de la Norvège du Nord, venus de Finlande au XVI siècle.

Risten ou Kristen

 
Famille sami en vêtement traditionnel de nos jours (source)

Risten dont le père Knut est norvégien et la mère Rithha est same, vit une partie de son enfance en pays same. Entre Knut et la famille de sa femme règnent une inimitié profonde. La grand mère de Risten, Akkhu, ne parle jamais directement à son gendre parce qu'elle hait les norvégiens et son oncle, un laestadianien rigoriste, le méprise. Mais Ahkku aime sa petite fille qu’elle nourrit des croyances de son peuple. Ainsi Risten apprend à se méfier des sous-terriens, ces êtres maléfiques,  cachés au fond de la terre où ils entraînent les humains et elle sait qu’il ne faut jamais regarder une aurore boréale de peur d’être aspirée par elle. C’est nourrie de ces croyances et de ces terreurs que la petite fille va être amenée au Danemark chez la nouvelle compagne de son père. Séparée de sa mère qu’elle ne retrouvera qu’à l’âge adulte, elle ne reverra jamais sa grand-mère.

L’enfance et l’adolescence de Risten ainsi déracinée, soudainement arrachée à son pays et à sa famille, obligée de se plier à la langue et aux coutumes d’un autre pays, en proie à des terreurs superstitieuses qu’elle cache aux adultes sont  éprouvantes. Son seul ami est Niels, un petit vietnamien exilé qui a vu sa mère noyée au cours de son voyage dans un boat-people, et qui est tout aussi perturbé qu’elle.
Même si son père et sa nouvelle « mère », Grethe, sont des parents affectueux, il y a une incompréhension totale entre eux et cette enfant secrète, renfermée, rageuse, vindicative. D’autre part, la langue danoise et norvégienne sont proches mais la prononciation très différente, ce qui va expliquer, entre autres, les difficultés d’intégration de Risten devenue Kristen, prénom danois. Si l’on y ajoute les mésententes sexuelles du couple qui rejaillissent indirectement mais d’une manière sordide sur les enfants, Niels et Kristen, qui vont être séparés, l’on voit que l’enfance n’est pas un long fleuve tranquille pour eux! Ce n’est qu’à la mort de Rithha que Risten apprendra le secret qui pèse sur sa famille.
La petite fille et le monde secret est donc un roman initiatique  au cours duquel l’enfant abandonnée à une solitude et une grande détresse morales va atteindre l’âge adulte et finir par se reconstruire malgré ses blessures.


Ce roman est aussi intéressant en ce qu’il nous fait découvrir le peuple same, ses croyances, cette vie difficile souvent misérable, vouée au froid et à la nuit. Contrairement à ce qu’il est dit dans le résumé de la quatrième de couverture, je n’ai pas trouvé que ce « portrait de la communauté same »  était « tendre et subtil »; au contraire, je l’ai ressenti comme violent, dur et sévère, sans demi-teintes, un peu à la mesure de ce pays où les êtres humains plongés dans l’obscurité polaire pendant des mois sont obligés de s’endurcir pour survivre.

Maren Uthaug

Né en 1972 d'une mère norvégienne et d'un père sami, Maren Uthaug est une auteur de BD et illustratrice danoise reconnue. Nominé pour le prestigieux prix danois BogForum qui consacre une révélation, La Petit Fille sami est son premier roman. Le livre est écrit en danois et traduit en français par Jean-Baptiste Coursaud.
J'ai oublié de préciser que Risten est passionnée de dessin et que c'est une fine illustratrice comme l'écrivaine. il y a peut-être beaucoup de Maren dans ce personnage.
Chez Actes Sud une très belle première de couverture ! Illustration de Brad Kunkle




Quelques oeuvres de Brad Kunkle artiste américain (1978- )

Brad Kunkle

jeudi 27 avril 2017

Gunvor Hofmo : Tout de la nuit est sans nom (1)


Gunvor Hofmo 1948 (source)

Je suis en train de lire pour mon voyage en Norvège. Aujourd'hui, voici deux poésies de Gunvor Hofmo, poétesse norvégienne (1921_1995), extraites du recueil  Tout de la nuit est sans nom que je suis en train de découvrir. Je vous le présenterai plus longuement quand je l'aurai terminé.

Tout de la nuit est sans nom

Harald Solhberg, peintre norvégien:  nuit d'hiver à Rondane

Tout de la nuit est sans nom
Calmes, heure après heure,
Les choses posent
leur nom
L'arbre et la pierre
interprètent la voix de l'univers,
perdant leur identité
propre.


La bouche du soir 

 La bouche du soir se referme
mais son murmure résonne
dans les arbres et les rochers
Elle chuchote l'éternel
et la nuit qui vient
où les éclairs, les uns après les autres,
te montrent les images du Monde !