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vendredi 3 novembre 2017

Anaïs Vaugelade : Le déjeuner de la petite ogresse



Logo d'Appoline
Avec les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture. Apolline a 7 ans et demi et est en CE1. Elle sait maintenant bien lire. Mais renoncer aux moments de complicité de la lecture du soir, dans le lit douillet, avec sa maman ? Jamais ! Alors les livres qu'elle vous présente, parfois c'est maman qui les lit, parfois ils sont découverts à deux voix et puis elle les relit tout seule.



Titre du livre :

Le déjeuner de la petite ogresse
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Auteur du livre :

Anaïs Vaugelade

Illustrateur :

 Anaïs Vaugelade
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Edition : L’école des loisirs

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Résumé par Apolline

C’est une petite ogresse qui veut chasser des enfants pour les manger. Elle attire un petit garçon avec un gâteau dans la cage. Mais le petit garçon n’a pas peur et après ils deviennent amis étant petits et plus grands ils deviennent amoureux et ont 12 enfants.



La phrase que j’ai préférée : « Dépêchons-nous, les petits, il est bientôt temps d’aller goûter » parce que la maman ogresse  dit à ses douze enfants mi-ogres-mi humains d’aller manger et on ne sait pas ce qu’ils vont manger, ils vont peut-être manger des enfants ?




J’ai trouvé l’histoire :  Intéressante, inventive, imaginaire

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Mon passage préféré est  : 

Quand les deux enfants, la petite ogresse et le petit garçon font de la vinaigrette et fabriquent des échelles, parce que c’est drôle et qu’ils en mettent partout et ça me rappelle maman quand elle remue la pâte du gâteau.

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J’ai aimé l’histoire : Passionnément

J’ai aimé l’illustration : beaucoup




Ce que j’ai aimé dans l’histoire

 Le déjeuner de la petite ogresse m’a beaucoup plu parce c’est très drôle, parce que le petit garçon est très courageux et que la petite ogresse ne fait pas de chichis, parce qu’au début elle paraît un peu méchante quand elle attrape des enfants mais en réalité elle n’est pas méchante. C’est une histoire d’amitié et d’amour et ça finit comme un conte de fée.
La petite ogresse ressemble à un vampire parce qu’elle a des dents très pointues. Les enfants de l’ogresse et du garçon ressemblent soit à leur papa soit à leur maman.

Les enfants,  je vous le conseille !!!!!!!


Avis de la grand-mère :

Le déjeuner de la petite ogresse conte une belle histoire d'amour, joliment illustrée par l'auteure, Anaïs Vaugelade. Le ton est plein de fantaisie et d'humour et Apolline a beaucoup aimé ce petit garçon enfermé dans sa cage (Hansel et Gretel) qui en sort pour faire le ménage et construire des échelles (un don particulier ! ). Ce détournement du conte est très amusant. Il amène aussi à une belle réflexion, c'est que l'amour est assez fort pour changer le mal en bien. La petite ogresse devenue une jeune femme aimée promet de ne plus manger d'enfants.

OUI ! Mais qu'en est-il de sa progéniture ? Soyez attentifs à l'image et vous aurez une réponse sur les lois de l'hérédité !

Le conte s'adresse aux enfants dès l'âge de 4/5 ans. C'est une belle lecture pour les lecteurs débutants de 6/7 ans. Apolline a trouvé la lecture facile et elle s'est bien amusée.


jeudi 2 novembre 2017

Jean Hegland : Dans la forêt


Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre  dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir  Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres

C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».

  Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est  terrible :  plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles.  Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.

Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie :  Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.

Séquoïa géant Yosemite Park source
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie  et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.

Séquoïa tombé
 L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent.  Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.

Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif  et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.

Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI


Voir Aifelle ICI  ; Dominique ICI

mardi 31 octobre 2017

Julien Gracq : Proust, Nerval, Rimbaud ... Les eaux étroites

Gérard Bertrand : voir son très bel Hommage à Julien Gracq ICI

Les eaux étroites Julien Gracq, "court roman de la rêverie associative", "récit à base de mémoire", selon son auteur, publié en octobre 1976,  invite le lecteur à une promenade en barque sur L’Evre, un affluent de la Loire, petite rivière aux berges plantées de roseaux, promenade qu’il faisait souvent dans son enfance. Il s’agit donc aussi d’un voyage dans le temps, dans ses souvenirs, une sorte de recherche du temps perdu différente pourtant de celle de Marcel Proust. C'est un des aspects de l'oeuvre, et non le seul, qui m'a intéressée.

Julien Gracq et la résurrection du passé

Claude Levêque :  J'ai rêvé d'un autre monde ... 


Pour Julien Gracq la remontée du souvenir ne procède pas, selon ses termes, du "quiétisme de l'illumination proustienne" "lié à la résurrection d'un fragment aboli du passé par l'intermédiaire d'une retrouvaille d'objet.".

Pour lui, au contraire, "... les images chères et longtemps obscurcies -  toutes les images - s’enflamment et vont se rallumant de l’une à l’autre; un tracé pyrotechnique zigzague au travers d’un monde assoupi et le sillonne en éclair en suivant les clivages secrets qui année par année - d’une expérience, d’une lecture d’une rencontre essentielle à une autre - l’ont marqué pour toujours à mon chiffre personnel. "

Au cours de cette promenade, le lecteur rencontre de nombreux exemples de ce processus de la mémoire chez Julien Gracq qui libère le souvenir  par un glissement d’une image à l’autre, une "fugue allègre et enfiévrée"  liée à la  poésie, la peinture, la musique, à tout ce qui est la marque de son univers intérieur et compose les strates de sa mémoire. 

Vermeer : Jeune fille au Virginal

J’ai choisi, parce que l’on s'y trouve en très bonne compagnie avec Nerval, Vermeer et Rimbaud, ce passage où  Julien Gracq, passant devant le manoir de la Guérinière situé au bord de l’Evre, ne peut s’empêcher de redire à mi-voix les vers de Gérard de Nerval; ce petit château qui n'a rien d'exceptionnel se trouvant anobli par le souvenir poétique.



Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;




"Ils (ces vers) sont de la veine mineure, celle des odelettes, où rien encore ne fait pressentir les miraculeux sonnets orphiques de la fin, mais leur charme sur moi est puissant; leur son grêle et frileux est celui des instruments à clavier très anciens : l’épinette, le virginal élisabéthain surtout, qui ensorcelle un des plus mystérieux tableaux de Vermeer, tout vibrant encore, on dirait, de la sonorité liquide d’une touche que le doigt suspendu vient de quitter. A leur appel, une faible vapeur, claire et pourtant nocturne, monte de la rivière et vient flotter sur la prairie, ainsi que dans la scène de Sylvie ou chante Adrienne, et voici qu’un poème de Rimbaud, sans effort, enchaîne ici dans ma mémoire et vient prendre le relais de cette magie blanche, champêtre et toute naïve : «  la main d’un maître anime le clavecin des prés; on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes; on a les saintes, les voiles, les fils d’harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant »

August Malmström : peintre suédois La ronde des fées
"Mon esprit est ainsi fait qu’il est sans résistance devant ces agrégats de rencontre, ces précipités adhésifs que le choc d’une image préférée condense autour d’elle anarchiquement ; bizarres stéréotypes poétiques qui coagulent dans notre imagination, autour d’une vision d’enfance, pêle-mêle des fragments de poésie, de peinture ou de musique. De telles constellations fixes (les liens emblématiques qui se nouèrent dès les commencements des anciennes familles entre le nom, les armes, les couleurs et la devise ne seraient pas sans jeter un jour sur leur origine), si arbitraires qu’elles paraissent d’abord, jouent pour l’imagination le rôle de transformateurs d’énergie poétique singuliers : c’est à travers les connexions qui se nouent en elles que l’émotion née d’un spectacle naturel peut se brancher avec liberté sur le réseau — plastique, poétique ou musical — où elle trouvera à voyager le plus loin, avec la moindre perte d’énergie."

Signature de Julien Gracq


dimanche 29 octobre 2017

Emily Gravett : Une fois encore !




Logo d'Apolline

Avec les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture. Apolline a 7 ans et demi et est en CE1. Elle sait maintenant bien lire. Mais renoncer aux moments de complicité de la lecture du soir, dans le lit douillet, avec sa maman ? Jamais !







L'histoire pleine d'humour d'Emily Gravett : Une fois encore est donc la sienne : un petit dragon insatiable qui veut toujours plus de livres et une maman épuisée qui demande grâce !


Apolline et sa maman

Titre du livre :

Une fois encore !
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Auteur du livre : 

Emily Gravett

 Illustrateur : Emilie Gravett
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Edition : Kaleidoscope

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Résumé de la quatrième de couverture  :

Début : Tout parent sait que la lecture du soir est un précieux moment de complicité, un tendre moment de bonheur partagé qui peut alléger ... un cauchemar !


Commentaire d’Appoline : On ne peut pas lire la quatrième de couverture parce que le bébé dragon a fait un trou dans le livre….

La phrase que j’ai préférée : ENCORE ! ENCORE ! parce que le petit dragon s’énerve et il devient tout rouge car sa maman ne veut plus lire d’histoires parce qu’elle est « crevée »

J’ai trouvé l’histoire : Intéressante, inventive, imaginaire et drôle.

Mon passage préféré est  : Quand bébé dragon est avec son doudou, qu’il est encore tout vert car sa maman lui lit l’histoire pour la première fois.

Petit dragon est encore tout vert, tout gentil

J’ai aimé l’histoire : A la folie
J’ai aimé l’illustration : A la folie
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Ce que j’ai aimé dans l’histoire

 ça me plait beaucoup parce qu’en fait le bébé dragon brûle le livre et fait un trou avec ses flammes  dans la quatrième de couverture : il a vraiment craché !!!! ça me rappelle la lecture du soir quand maman me dit : «  il faut éteindre la lumière et il faut fermer le livre » et moi je dis "Encore ! encore !"  avec l’accent marseillais. 
Lisez-le en famille !

Appoline fait rire sa maman pour obtenir encore un livre

 Avis de la grand-mère : 

Et oui, lisez-le en famille comme le dit Apolline.  Maman (ou papa) et leur jeune dragon s'y retrouveront tant l'histoire cible un moment privilégié dans la vie du jeune lecteur ! Les belles illustrations et l'humour feront le reste !
Le livre peut-être lu à partir de 3 ans mais vous voyez qu'il continue à plaire bien au-delà !



mardi 24 octobre 2017

Anna Llenas : La couleur des émotions



Dans La couleur des émotions d'Anna Llenas aux Editions Quatre fleuves, le petit monstre des couleurs est de mauvaise humeur. Il ne sait pas ce qu’il ressent. Toutes les couleurs sont mélangées. Son amie, la petite fille va l’aider en mettre des mots sur ses émotions pour y voir plus clair.



D’abord nommer l’émotion et lui attribuer une couleur, le jaune pour la joie, le bleu pour la tristesse, le marron pour la peur …




Ensuite démêler ce qu’il y a au fond de son coeur  quand on éprouve ce sentiment :




La colère est dévastatrice,
Elle éclate comme l’orage,
Elle allume notre coeur…

Et la sérénité ? qu’est-ce que c’est ?


La sérénité nous calme
Elle est douce comme une maman
Légère comme une feuille au vent..

Ensuite enfermer les émotions dans une bouteille pour mieux les comprendre.



Cet adorable petit livre plein de poésie peut être lu par les enfants à différents âges. Pour les plus petits, c’est l’apprentissage des couleurs associées à un sentiment. Avec les grands, la lecture peut aller encore plus loin et les amener à réfléchir sur ce qu’ils ressentent, les faire parler et nommer les émotions qu’ils ont ressenties, et même en trouver d’autres non mentionnées dans le livre et imaginer leur couleur. Le vocabulaire est riche et entraîne aussi beaucoup de discussions et d'explications.
Ajoutez-y les illustrations en relief, pop-up  qui s'ouvrent comme des petits tableaux animés, aux couleurs éclatantes pour la joie et la colère, pastel pour la tristesse, fraîche pour la sérénité ... Et le rose ? Qu'est-ce que c'est ?

L’avis de Liam  (4 ans) :

En se réveillant de la sieste, tout reposé et de bonne humeur, Liam  s’est exclamé : "Moi, j'ai de la joie et de la sérénité ! "

Et le rose ? " C'est l'amour ! ".

C'est gagné !

PS : Le lendemain de la lecture : sa maman le gronde. "Là, ma maman tu es de couleur rouge ! "


Pop-up : la joie

J'ai déniché cette image du pop-up de la joie dans le blog d'une maîtresse qui a fait travailler les enfants à partir de cet album. Allez voir toutes ses idées.

Maternelle-bambou ICI
http://maternelle-bambou.fr/monstre-couleurs-emotions-anna-llenas/

jeudi 19 octobre 2017

Thomas Vinau : Le camp des autres



Quand on ouvre le roman de Thomas Vinau, Le camp des autres, l’incipit suscite immédiatement une image forte et nous met aux aguets : « Le givre fait gueuler  la lumière. » On s'attendait à un roman, on lit un poème ? Ce qui saisit d’abord, donc, c’est le style, rocailleux, comme des pierres roulant sur le lit d’un torrent, un style à fleur de peau et de nature, aisé et pourtant très travaillé. Et l’on se laisse envahir par des images toujours surprenantes dont les métaphores empruntent au domaine réaliste pour créer la poésie :

"Lorsqu’il lève la tête, dos relâché contre le tronc pour reprendre son souffle, les immenses conifères taillent l’azur en pointes d’arbalètes noires. Leurs silhouettes solides bien plantées dans le gras blanc du ciel."

"Dans le ventre sauvage d’un forêt la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui chassent des éclairs argentés."

Et il y a cette définition de la forêt qui explique le titre  :
"Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l'homme et de tous ceux que l'homme refusait : Elle est l'autre camp. Le camp des autres."

On se dit que l’on entre dans un univers littéraire pas comme les autres  et l’on éprouve de la curiosité, de l’empathie pour ce petit garçon, Gaspard maltraité par son père qu’il a tué dans un geste d’autodéfense, obligé de partir pour ne plus jamais y revenir. L’enfant fuit avec son chien blessé. La forêt ne l’épargne pas, à la fois accueillante pour ceux qui cherchent un refuge mais inhospitalière et dangereuse pour les êtres faibles. Il devra la vie à un homme Jean-le-blanc, personnage assez étonnant, braconnier, sorcier-guérisseur, qui connaît tous les plantes mais aussi les pièges de la forêt et va les apprendre à l’enfant.

Toute cette première partie du roman et la poésie qui en découle m’ont beaucoup plu mais j’ai moins aimé le départ de Gaspard avec les gitans, une bande de détrousseurs appelée la Caravane à Pépère dirigée par Capello. Celle-ci a bien existé au début du XX siècle, défrayant la chronique, volant aux étals des marchés, pillant les fermes, et traquée par les bataillons du Tigre de Clémenceau. 
Si j’avais lu la quatrième de couverture et les interviews de Thomas Vinau avant de lire le livre, j’aurais su que là était justement le véritable sujet du roman, une histoire « qui grimpait en noeuds de ronces dans son (mon) ventre », qu’il gardait près de lui depuis longtemps : « alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours à la forêt ».
 A travers cette bande de misérables, Thomas Vinau écrit la révolte contre les nantis, les bourgeois, il décrit les marginaux semblables aux oiseaux sauvages de Jean Richepin. Il les décrit, ivres d’air pur, face aux jeunes « oies édifiantes » de la Basse-cour, il décrit l’insolence des « gueux », leur soif de liberté.  Chaque portrait des membres de la troupe est d'ailleurs réussi, haut en couleur, hors du commun.

Alors pourquoi ai-je moins aimé cette deuxième partie ? 
J’ai eu l’impression que l’écrivain m’arrachait aux personnages que j’aimais et à cette vie en pleine forêt, à cet apprentissage de la nature qui réunissait Gaspard et Jean-le-blanc. En partant avec la Caravane, c’est le vol que l’enfant va apprendre, le refus du conformisme aussi, certes, et l’amour de la liberté, mais cela il y avait déjà goûté avec Jean-le-blanc et d'une toute autre manière par l’intermédiaire de la nature.
En fait, je suis tombée dans une autre histoire !  La seconde n’était pas la suite de la première, c’est autre chose même si Vinau dit les avoir reliées.
 
J'ajouterai que malgré cette image idéalisée du pauvre, du voleur révolté, développée dans ce livre, je n'ai pas pu oublier que ces bandes qui terrorisaient la population au début du XX siècle ne s'attaquaient pas aux nantis, égoïstes, dominateurs et exploiteurs, mais souvent à des gens qui n'étaient pas beaucoup plus riches qu'eux, paysans dans leurs fermes ou sur les marchés qui allaient vendre les produits d'un travail long et pénible. A la différence des Communards dont Victor Hugo prendra la défense, ils n'ont pas d'idéologie politique, ils n'essaient pas de changer la société ni même d'aider les autres. Ils achètent leur liberté aux dépens de ceux qui travaillent même s'ils ont des règles d'honneur comme l'écrivain prend soin de nous le montrer. Donc je n'ai pas pu être en empathie avec eux ni adhérer à leur mode de vie.

Les poètes qui ont inspiré Thomas Vinau

 

Les oiseaux de Matisse


 Au début de chaque grande partie, Thomas Vinau cite des écrivains ou poètes en exergue.

Jean Richepin : Les oiseaux de passage (extraits chantés par Brassens)





Georges Brassens chante Les oiseaux de passage


Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne

Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.

Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;

Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.




Ce dindon a toujours béni sa destinée.

Et quand vient le moment de mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;

Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir.

"

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 

Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut

Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque

L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.



Elle ne sentit pas lui courir sous la plume

De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,

pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume

Et mourir au matin sur le coeur du soleil.



Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie

 Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux

Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie

Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.



Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !

Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,

Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,

De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,

Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,

Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,

Un coucou régulier et garanti dix ans !



Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,

Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.

Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !



Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte

Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.

Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.



Les poules picorant ont relevé la tête.

Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,

Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,

Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.



Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.

Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.

Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,

Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?



Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.

Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,

Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.

L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.



Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,

Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,

Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,

Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.



Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,

Ils pouvaient devenir volaille comme vous.

Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,

Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.



Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !

Là-haut chante pour eux un mystère profond.

A l'haleine du vent inconnu qui les porte

Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.



La bise contre leur poitrail siffle avec rage.

L'averse les inonde et pèse sur leur dos.

Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.

 Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.



Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.

Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.

Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse

Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.



Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,

C'est l'horizon perdu par delà les sommets,

C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève

Où votre espoir banal n'abordera jamais.



Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !

Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.

Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.

Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.



Oiseaux deBraque

 Victor Hugo

En dehors de Richepin, Vinau cite aussi le Victor Hugo de Ceux qu'on foule aux pieds  paru dans le recueil L'année terrible et ce versIls sont votre épouvante et vous êtes  leur crainte, (qui servit de titre à un roman de Thierry Jonquet) est une défense des communards dont Victor Hugo réclame l'amnistie.



A ceux qu'on foule aux pieds (extrait)

 



Oh ! je suis avec vous ! j'ai cette sombre joie.
Ceux qu'on accable, ceux qu'on frappe et qu'on foudroie
M'attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j'ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m'éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m'appelaient entre eux.
Je n'ai plus d'ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c'est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C'est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l'égaré, le faible, et cette foule
Qui, n'ayant jamais eu de point d'appui, s'écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D'une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu'ils vous font, c'est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l'instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n'ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;
La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c'est pourquoi j'ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.

Exécution des Communards par les Versaillais


Arthur Rimbaud



 Il y aussi le Rimbaud de la Faim dans Alchimie du verbe : Mangez les cailloux que l'on brise/ Pain semé dans les vallées grises."






Alchimie du Verbe

— 
Delaunay





Faim
 
Si j’ai du goût, ce n’est guère 
Que pour la terre et les pierres.Je déjeune toujours d’air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu’on brise,
Les vieilles pierres d’églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.



Jules Vallès


et bien sûr l'Insurgé de Jules Vallès que je ne suis pas étonnée de trouver  dans les bagages de Thomas Vinau.

 La dédicace du livre est en soi un  programme:








Aux morts de 1871
À TOUS CEUX
qui, victimes de l’injustice sociale,
prirent les armes contre un monde mal fait
et formèrent,
sous le drapeau de la Commune,
la grande fédération des douleurs,
Je dédie ce livre.



Dans L'Insurgé, le troisième livre de la trilogie de Jules Vallès, Jacques Vingtras prend le parti de la commune de Paris en 1871. Vaincus  par les Versaillais, les communards sont massacrés, sommairement exécutés dans les rues de la capitale. Le héros de l'Insurgé parvient cependant à s'enfuir.
"C'est fini! Nous avons saigné et pleuré pour toi. Tu recueilleras notre héritage. Fils des désespérés, tu seras un homme libre !"


 

Et André Dhôtel ...

 "Ces lieux étaient  livrés à un désordre magnifique"

Dans Le pays où l'on n'arrive jamais, le personnage principal d'André Dhôtel est un Gaspard comme le jeune garçon de Le camp des autres et comme le fils de Thomas Vinau. Tiens, tiens !




La Marraine littéraire de ce roman est Moka blog Au milieu des livres ICI

 Merci à Price Minister et aux éditions Alma.

mercredi 18 octobre 2017

Colson Whitehead : Underground Railroad



Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d’avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu’elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s’enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les États libres du Nord.
De la Caroline du Sud à l’Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d’esclaves qui l’oblige à fuir, sans cesse, le « misérable cœur palpitant » des villes, elle fera tout pour conquérir sa liberté.
L’une des prouesses de Colson Whitehead est de matérialiser l’« Underground Railroad », le célèbre réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite qui devient ici une véritable voie ferrée souterraine, pour explorer, avec une originalité et une maîtrise époustouflantes, les fondements et la mécanique du racisme.
À la fois récit d’un combat poignant et réflexion saisissante sur la lecture de l’Histoire, ce roman, couronné par le prix Pulitzer, est une œuvre politique aujourd’hui plus que jamais nécessaire.  (Quatrième de couverture)

Colson Whitehead

Le roman de Colson Whitehead couronné par de nombreux prix a ceci de bon, à l’époque où  le racisme et les haines ancrées se réveillent aux Etats-Unis, libérées par un président irresponsable, de rappeler ce qu’était l’esclavage. L’horreur vécue par ces africains prisonniers, survivant avec peine  au fond des cales d’un négrier, puis, vendus, privés de liberté, traités comme du bétail, subissant des sévices, séparés de ceux qu’ils aiment, risquant leur vie s’ils apprenaient à lire, les femmes violées par les maîtres blancs et servant de reproductrices.  Je pensais tout savoir sur l’esclavage des noirs  pour avoir beaucoup lu à maintes reprises des oeuvres parlant de ce commerce abject d’êtres humains mais Colson Whitehaed m’en apprend encore. Par exemple les expériences médicales menées sur des esclaves servant de cobayes et le programme d’eugénisme mis en place par des hôpitaux dans certains états comme la Caroline du Sud. Il a aussi le courage de décrire comment les esclaves noirs ainsi maltraités finissent par perdre leur humanité et par instaurer la loi du plus fort dans les plantations, et ainsi ajouter à la violence de l’esclavage, une autre sorte de domination tout aussi brutale. Non seulement Cora doit défendre son petit bout de terre au péril de sa vie mais elle est violée par des hommes esclaves comme elle.
L’écrivain montre aussi le courage d’une minorité de blancs qui risque sa vie pour sauver les esclaves en les acheminant vers le Nord dans ce que l’on a appelé métaphoriquement le chemin de fer souterrain. Que Colson Whitehead matérialise le chemin de fer parce c’est l’image qu’il en avait enfant, n’apporte rien au roman, je trouve, même pas un peu de fantastique, car l’imaginaire ici cède le pas au réalisme. Le chemin ainsi concrétisée est seulement peu crédible.

Le roman est bon et présente de nombreuses péripéties intéressantes. Le récit est bien raconté et documenté mais je dois dire qu’il n’a pas l’envergure et l’originalité, la voix unique de Beloved de Toni Morrisson qui reste pour moi un chef d’oeuvre et que je vous conseille vivement de lire si ce n’est déjà fait.


lundi 16 octobre 2017

Victor Hugo : La forêt mouillée



La forêt mouillée  de Victro Hugo appartient au recueil de Théâtre en liberté. C’est une comédie en un acte écrit en 1854 pendant l'exil de Hugo à Guernesey et qu'il n'a pas jugé assez bonne à publier ! J'avoue  que je suis assez d'accord avec lui ; j’ai du mal à en voir l’intérêt si bien que je n’ai pas grand chose à en dire !
 Hugo montre ici un homme ridicule que la nature accable de sarcasmes. Le personnage Denarius (qui signifie denier et rime avec niais) «sous des apparences de contemplateur, est à l’évidence un grotesque qui se méprend entièrement sur la réalité de la vie naturelle.»  Son lyrisme est entaché de pédantisme et la nature n’a de cesse de se moquer de lui.

et cela donne ceci  :

Denarius :
Yeux purs qui vous ouvrez dans l’ombre au bleu  matin,
Douces fleurs, je ne veux aimer que vous.

Choeur des fleurs
Crétin !

Une pierre
Fossile !

L’âne
Âne !

Une grenouille
Crapaud !

Les fleurs
Porte ailleurs tes semelles !

Je sais bien que Hugo voulait écrire une comédie à la Shakespeare et que ces papillons et fleurettes qui parlent peuvent rappeler Le songe d'une nuit d'été mais on est loin de la poésie du Songe et la réflexion ne va pas aussi loin.
Le thème traité est léger, presque inexistant : Denarius n’a jamais été amoureux et a horreur des femmes qu’il accable de sarcasmes. Apparaît dans la forêt Balminette accompagnée de madame Antioche qui discutent de leur protecteur respectif. Balminette a trouvé « un vieux », riche, qui lui promet une vie somptueuse. Elle est décidé à abandonner son amant en titre Monsieur Oscar qui est pauvre.
Denarius s’amourache d’elle au premier regard. Ainsi, lui qui méprisait les femmes tombe amoureux à première vue d’une grisette vénale et sans coeur. Il s'agit donc d'une satire de ce genre d'homme qui feint d'aimer la Nature mais ne la comprend pas et qui affirme ne pas s'intéresser aux femmes mais ne les connaît pas ! Evidemment, il s'agit d'une réminiscence transposée du Songe de la nuit d'été, pièce dans laquelle la reine des Fées, Titania, tombe amoureuse d'un homme à tête d'âne.

Peut-être la pièce aurait-elle dû avoir une suite ? Telle qu’elle est, elle s’arrête là. Et il me semble que c’est bien mince pour y trouver un grand intérêt !

La pièce n’a été mise en scène pour la première fois qu’en 1930 et l’on comprend pourquoi !

 Lecture commune avec : Margotte, Nathalie






mardi 10 octobre 2017

Jenni Fagan : Les buveurs de lumière



Merci à Aifelle pour la découverte de ce beau livre Les buveurs de lumière de Jenni Fagan paru aux éditions Métailié.

Il s’agit d’une dystopie et oui encore !  Cette rentrée littéraire en est prolixe, placée comme elle est sous le signe de la catastrophe écologique, du réchauffement, de la montée des eaux avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. C'est la deuxième que je lis après Monde sans oiseaux.

Le lecteur est transporté au Nord de l’Ecosse, dans la ville de Clachan Fells, dans une région aux hivers déjà rigoureux en temps normal ! Mais il ne s’agit plus de normalité. Les glaces du pôle en fondant ont refroidi le gulf steam qui ne peut plus jouer son rôle régulateur. Un gigantesque iceberg aussi grand qu’un montagne s’est détaché et se dirige vers les côtes écossaises. Un épisode glaciaire qui touche le monde entier commence. Les températures ne cessent de descendre  !  Le froid, la pénurie alimentaire, l’obscurité d’une nuit démesurée…  La mort en perspective. C’est dans cette ambiance de fin de monde que vont se retrouver des personnages d’un milieu modeste, tous un peu marginaux, qui vont tenter de survivre, chacun dans leur caravane à peine mieux isolée qu’une boîte de conserve.

Et pourtant, curieusement, le livre est plein d’espoir. Il rayonne, en effet, de chaleur humaine et ceci sans jeu de mots car dans ce froid polaire ces personnages tenus à l’écart de la « bonne »  société, sont d’une grande humanité. Ainsi est Dylan, le géant déboussolé qui vient de perdre sa mère et sa grand mère et le cinéma  familial (en faillite) où s’est déroulé toute sa vie.  Tous s’acceptent malgré leur différence, leurs faiblesses, ils s’entraident, ils font front. Ils sont décidés à lutter. On  a l’impression en fréquentant cette petite poignée d’irréductibles que tout serait possible si les êtres humains le voulaient.  Pourtant vous ne trouverez aucune trace de sensiblerie ou d’utopie dans ce livre. Ce monde est dur, les gens « comme il faut »rejettent ce qui n’est pas conforme à la norme. La petite Stella l’apprend à ses dépens d’une manière bien cruelle.. Et l’on meurt de froid dans la neige.

Et puis, autre source de bonheur dans ce roman,  la beauté  incroyable de la nature. Au moment où elle tue, elle expose les merveilles de ses arbres gelés, encapuchonnés de neige, de ses pénitents de glace, sa forêt de stalactites rutilantes, ses aurores boréales, ses trois soleils brillant faiblement dans le ciel. Un monde de blancheur scintillant, une profusion de beautés que le style poétique de l’écrivaine nous met sous le nez comme pour nous dire que la Terre est si belle qu’elle ne doit pas disparaître.


samedi 7 octobre 2017

Julien Gracq : Carnets du grand chemin



Je suis en train de lire Julien Gracq et je découvre cette description que je trouve si belle et qui me touche par la simplicité et la précision du style et l'acuité de l'observation. Je la partage avec vous : 



Printemps dans la forêt. Dans le berceau des touffes d’aiguilles neuves dont la nuance au soleil matinal est le vert pâle et comme givré des feuilles du mimosa, les jeunes pommes de pin en formation ont pour le moment la consistance granuleuse et presque la couleur d’un paquet d’œufs de saumon.
            Je me promène le long de la plus haute crête de ce massif de dunes forestier. Du côté de l’ouest, la mer à l’horizon apparaît en festons isolés dans les échancrures du tapis grumeleux que mon œil surplombe ; le bleu lavé, évanescent, le vert pelucheux, argenté comme le duvet qui vêt la coque de l’amande, prennent sous le soleil de dix heures une immobilité, une fixité contemplative de lavis chinois qui ne semble pas appartenir à nos climats : je marche dans une forêt du pays du Matin Calme. De temps en temps, une pomme de pin, à quelques mètres devant moi, percute le tapis d’aiguilles avec un choc mat : peu de promeneurs y prêteraient attention, mais dix ans de familiarité avec la pinède me font dresser l’oreille : une pomme de pin en sève ne choit pas d’elle-même, une pomme de pin sèche n’a pas cet impact alourdi. Je ramasse la pomme, et je distingue à la base l’éraflure fraîche des incisives aiguës. Ni le bruit clair des griffes sur l’écorce, ni le geignement hargneux de la grimpée n’ont signalé de fuite : la bête est là encore, tapie de toute sa longueur derrière une branche. Il me faut parfois trois ou quatre minutes pour distinguer le bout de queue révélateur qui dépasse, ou le museau pointu avec l’œil rond qui guette de profil : vérification faite – avec la sagacité comblée et discrète de Derzou Ouzala dans sa taïga – je m’éloigne sans déranger plus longtemps l’animal menu dont le cœur doit battre si vite.

                                           Extrait de Carnets du grand chemin