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samedi 18 juin 2022

Frances Trollope : La pupille de Thorpe-Combe

 

Je ne savais pas qu'Anthony Trollope avait eu une mère écrivaine, France Trollope dite Fanny, une femme cultivée et intelligente,  qui a obtenu un succès certain à l'époque puisque c'est elle qui, avec ses écrits, a fait bouillir la marmite quand son mari s'est ruiné. Bien sûr, j'ai eu envie de la lire. C'est tellement facile avec ma liseuse qui me présente les classiques anglais (ou français) gratuitement ou à des prix modérés. C'est elle qui est l'auteure de Jonathan Jefferson Whitlaw, publié en 1836, qui a inspiré La case de l'oncle Tom de Harriet Beecher Stowe.

Avec la pupille de Thorpe-Combe, le lecteur se retrouve à nouveau dans une histoire d'héritage comme dans les trois romans d'Anthony Trollope que je viens de commenter ! Monsieur Thorpe, vieil homme riche,  gentil mais un peu râleur,  très conservateur, s'est retiré du monde et a perdu le goût de vivre depuis qu'on lui a annoncé la mort de son fils aux Indes. Il veut léguer sa fortune et sa propriété à celui (ou celle) de ses descendants qui le méritera. Ses trois soeurs sont mortes en laissant des enfants qu'il ne connaît pas. Il les invite tous chez lui avec leur père respectif et belle-mère s'il y a lieu, à la Noël pour faire son choix. Il organise cette visite avec sa fidèle gouvernante Mrs Barnes et son jeune voisin et ami Lord Charles qui va jouer un grand rôle dans l'histoire..

C'est le prétexte pour Frances Trollope de présenter toute une série de personnages bien décrits et vivants mais où n'apparaît pas, comme chez Anthony Trollope, l'art raffiné de sonder l'âme humaine en  révélant les zones d'ombre, en analysant les faiblesses et les défauts sous l'apparence,  en  décrivant une humanité qui n'est ni entièrement bonne ni complètement mauvaise. 

Disons que  les personnages de Frances Trollope sont plus tranchés, plus caricaturaux, qu'ils se révèlent tout de suite sympathiques ou antipathiques. Bref! Il y a les bons et les méchants et ceci sans nuances ! Mais l'écrivaine pose un regard satirique sur la société où l'argent (c'est aussi une constante de l'oeuvre d'Anthony T) joue un grand  rôle et elle nous offre une comédie satirique en nous décrivant cette rencontre où tous savent que leur sort est en jeu !

Trois familles se présentent au château  : Mr Wilkins et ses trois filles, des pimbêches, vaniteuses, égoïstes, uniquement préoccupées de leur toilette.

 Mr Spencer et ses deux fils,  jeunes adolescents sans cervelle donc pas très fûtés et peu intéressants.

 Mr Heathcote est remarié avec une femme,  bonne et maternelle, qui veille avec amour et dévouement non seulement sur ses neuf rejetons mais aussi sur ceux de son mari, orphelins de mère, nièce et neveu du vieillard  :  la belle, douce et désintéressée Florence et Algernon, jeune homme maladif, d'une intelligence précoce qui observe d'un oeil froid et  critique ceux qui l'entourent. De plus, ces braves gens ont adopté Sophie, à la mort de sa mère, Jane, la plus jeune soeur de Lord Thorpe. Ils ne sont pas riches et s'attirent le mépris des autres cousins ! Entre nous, je trouve que ce sont eux qui devraient mériter le gros lot !

Les intrigues vont se nouer autour du vieillard. Chacun rivalise avec les autres en méchanceté, en commentaires acerbes, chacun cherchant à s'attirer la sympathie du vieillard! Ce dernier saura-t-il discerner sous les amabilités, lesquelles sont fausses ?  Je vous laisse apprendre qui l'emportera. Mais l'histoire ne s'arrête pas là et nous verrons comment, grâce à un procédé littéraire romanesque accepté à l'époque voire apprécié mais auquel le lecteur actuel s'attend un peu trop, Frances Trollope rétablira l'équilibre et la morale.

En résumé un récit sans grand originalité, mais où l'on se laisse entraîner par le charme de la vie campagnarde, la découverte des moeurs et des mentalités de cette riche société, les intrigues amoureuses, l'enjeu de l'héritage avec cette riche et belle demeure, la sympathie pour les gentils et autres ressorts romanesques bien menés.

 


mercredi 15 juin 2022

Anthony Trollope : Les Bertram

 

Dans ce roman Les Bertram, le personnage principal, George Bertram, est un jeune et brillant étudiant. Il  est élevé par son oncle George Bertram l’aîné, un homme d’affaires très riche qui paie les études de son neveu malgré son avarice relative. Il faut dire, pour sa décharge, que Lionel, le père du jeune George, frère du vieillard, s’est enfui à la naissance de l’enfant, et mène une vie insouciante et dissipée, refusant de participer aux frais de l’éducation de son fils !  Lionel Bertram est un homme peu intéressant mais séduisant que George ne connaîtra que devenu adulte, et qui n’hésite pas à vivre au dépens de son fils quand celui-ci a un peu d’argent. Sans morale et sans scrupules, il intrigue pour faire un riche mariage.
George Bertram l’aîné, outré,  décide que son neveu ne sera pas son héritier et donc, comme dans les deux romans que je viens de commenter dans mon blog, Le domaine Belton et Le cousin Henry c’est autour d’un héritage que va se jouer le destin des jeunes gens. L’argent est comme toujours le moteur des romans de Anthony Trollope.

Les  personnages vont vivre des histoires d’amour contrarié et parfois tragique mais ils ne doivent leur malheur qu’à eux-mêmes et à leur caractère : Ainsi Caroline Waddington,  jeune coquette d’une grande beauté mais aussi volontaire et indépendante, hésite à épouser George Bertram qu’elle découvre sans fortune. Elle s’est fiancée avec lui pendant un voyage en Palestine. C’est un jeune homme d’une intelligence supérieure, promis à un bel avenir, mais elle  préfère attendre qu’il ait réussi avant de se lier à lui. Elle l’aime pourtant mais rêve d’une vie animée, dans la haute société, et de tout ce que le richesse peut lui apporter. Les deux amoureux finissent pas se quereller. Ni George, blessé dans sa fierté, jaloux et impatient, ni Caroline, altière et orgueilleuse, ne  veulent faire le premier pas pour s’expliquer, entraînant le drame.

 Arthur Wilkinson, le cousin de George, a une attitude inverse. Placé sous la domination de sa mère dont il a la charge ainsi que de ses soeurs après le décès de son père, il se juge trop pauvre pour vivre en ménage et se refuse à demander en mariage la tendre et fidèle Adela Gauntlet. Il manque de caractère pour s’affirmer et de confiance en lui et en elle. Celle-ci, qui est une jeune fille désintéressée et sincère, n’aurait pourtant pas hésité à partager une vie modeste avec celui qu’elle aime.

 Quant Henry Harcourt, ami de George, il se révèle un jeune loup ambitieux intéressé par le pouvoir et l’argent. Il fait une carrière politique si rapide qu’elle  en étonne plus d’un mais au détriment de l’amitié et de l’honnêteté. Un type de personnage vrai de tous les temps et donc très actuel, n’est-ce pas ? L’écrivain décrit avec beaucoup de précision la période historique et les intrigues et manipulations des hommes politiques les uns envers les autres.

Les Bertram, roman en deux tomes et 572 pages, est extrêmement dense et présente de nombreux centres d’intérêt. A la fine analyse psychologique, une des grandes qualités de l’auteur, s’ajoute la peinture de la société dans les hautes sphères politiques. Le statut de la femme mariée, réduite à la dépendance, sans droit contre la violence, y est décrit avec force et indignation.
Le récit est riche et mouvementé et Trollope trouve encore le moyen de nous amener en voyage, de nous faire visiter avec force détails les sites de la Palestine, d’introduire aussi une foule de personnages secondaires mais très bien campés et qui rendent compte des habitudes et des mentalités provinciales dans un tableau pittoresque et vivant.


 

dimanche 12 juin 2022

Paris : Exposition Machu Pichu et les trésors du Pérou ( 2) Ai Apaec

Masque funéraire  représentant Ai Apaec ( culture mochica 100 à 800 apr.JC)
 

L’exposition du Palais de Chaillot  à Paris : Michu Pichou et les trésors du Pérou fait la part belle au mythe de Ai Apaec.

Ai Apaec est un héros mythique de la culture Mochica qui explique la vision cosmique de l’univers commune aux civilisations précolombiennes.
Mon premier billet sur l’exposition ICI  expliquait cette vision que je rappelle  : Si toutes ces civilisations présentent des différences et une originalité les unes par rapport aux autres, elles ont pourtant une commune manière d’appréhender l’Univers dans une interconnexion de trois mondes : Pachamama, est la Terre nourricière, divinité respectée, principe de vie et du temps présent, avec ses terres, ses pierres, ses montagnes, ses animaux prédateurs, félins, jaguar ou puma. Elle  anime un Monde nommé Kay Pacha. Hanan Pacha est le domaine du Soleil, de la Lune et des oiseaux. Uku Pacha est l’empire souterrain de l’océan, le monde des ancêtres et de la mort. Le serpent symbolise ce monde.

AI Apaec et ses épreuves. Ici le crabe
 

Ai Apaec est un puissant chef mochica, mi homme, mi félin. Voyant que le soleil plonge dans l’océan, il entreprend un grand voyage pour le rechercher, ce qui l’amènera au pays des Ancêtres, dans les profondeurs de l’Océan. Il doit donc mourir pour renaître et ramener la vie sur la terre. Tel Orphée ou Ulysse descendant aux Enfers, ou Jésus Christ mourant et ressuscitant, il incarne un mythe commun à beaucoup de religions, qui explique le cycle éternel de la Nature. Celle-ci meurt en Hiver et se régénère à chaque printemps, succession des saisons  rappelant aussi le mythe du retour de Perséphone des Enfers.

 

Ai Apaec sur le dos d'un vautour avec le lézard et son ami le chien


Il est accompagné dans cette aventure par ses deux amis, un chien et un lézard.  Ai Apaec poursuit le Soleil disparu sur sur le dos d’un vautour jusque dans l’Océan. Chemin faisant, il doit affronter de nombreux monstres. Il sortira vainqueur de sa lutte contre le crabe dont il prendra la force, contre l'escargot géant, Strombus, contre l'oursin aux piquants empoisonnés, et le poisson-globe. Mais il succombera au dragon et perdra la vie, ce qui lui permettra de pénétrer dans le monde d’en-bas. 

Il ressuscite grâce la chouette chamane et ayant retrouvé sa force et sa virilité, il féconde Pachamama, la Déesse-Terre, pour ramener le soleil, l’abondance et la vie sur la terre. Il sauve ainsi l’Univers et sert d’intermédiaire entre les trois Mondes.


 Son premier ennemi est le crabe, gardien de l'entrée de l'océan. Le héros prend les pinces du crabe qui lui donnent la force.

 

Ai Apaec -crabe

Après avoir battu son adversaire le poisson-globe, Ai Apaec acquiert la couronne du hibou qui lui  permet la vision nocturne. Son corps se transforme en poisson globe.

 


Ai Apaec combat l'escargot géant, Strombus, et entre dans sa coquille se couvrant de son armure invincible.

 

Ai Apaec combat Strombus
 

 

Ai Apaec et Strombus

Ai Apaec affronte le monstre de l’obscurité, serpent-dragon, qui lui coupe la tête avec un couteau. Il devient vieux et ridé. Il meurt  et il peut  gagner le monde d’en bas


La mort de Ai Apaec


Ai Apaec doit quitter le monde des vivants soutenu par un fou et un vautour pour rejoindre les Ancêtres.

Ai Apaec quitte le monde des vivants


La chouette chamane est puissante. Elle lui redonne la vie.



AI Apaec ressuscite. Il s'unit à Pachamama. Le cycle de vie recommence, le soleil réapparaît. Les cultures reprennent. Ai Apaec est figuré ci-dessous en maïs pour témoigner de cette renaissance.

Ai Apaec sous la forme d'un épi de maïs

 Cette coupe raconte l'histoire d'Ai Apaec :


Céramique racontant le mythe d'Ai Apaec

Machu Picchu et les trésors du Pérou


Cité de l'architecture et du patrimoine


Palais de Chaillot, 1 place du Trocadéro, 75116 Paris


Tous les jours de 10h à 19h


vendredi 10 juin 2022

Paris : Exposition, Machu Pichu et les trésors du Pérou (1)

Exposition Machu Pichu : trousseau funéraire impérial en or d'un chef Chimu (1100-1470)
 

Quelle magnifique exposition que celle qui a lieu jusqu’au 4 septembre 2022, au Palais de Chaillot, place du Trocadero, sur les civilisations précolombiennes.  Si vous avez la chance d’être à Paris, surtout ne la ratez pas !  C’est un vrai bonheur !
Machu Pichu et les trésors du Pérou présente 3000 ans d’histoire jusqu'à l'Empire Inca et l’exposition est d’une richesse incroyable, plus de 190 pièces ( ils ont dû dévaliser les musées péruviens et en particulier le musée Larco de Lima! ).

 

Coiffe frontale avec félin et condor Culture Mochica (100 à 800 apr. JC) Musée Larco Lima

Ces artefacts témoignent des cultures pré-incas, Chavin, Paracas, Nazca, Mochica, Huari, Chimu, Lambayeque…  jusqu'à l'apparition des Incas dont le premier souverain, Manco Capac, fonde Cuzco en 1200. La civilisation inca s’implante alors solidement dans la vallée de Cuzco mais ce n’est qu’au début du XV siècle que s’affirme la volonté d’expansion, la  conquête des territoires, la montée en puissance d’un immense empire qui ne cesse de s’étendre en intégrant les autres peuples, en  construisant des villes, palais, temples, voies de communication, en organisant une administration rigoureuse et une société très hiérarchisée. La ville sacrée de Machu Pichu est érigée vers 1450 sous le règne de l’Inca Pachacuti, sur les hauteurs vertigineuses de la cordillère des Andes, à 2438 m d’altitude.…   

La conquête espagnole en 1493 mettre fin à cette brillante civilisation dès le début du XVI siècle..

 

 La scénographie

 
Exposition Machu Pichu Paris 2022
  
 Visiter cette exposition réserve bien des surprises et des plaisirs ! 


La scénographie d’abord ! Elle nous fait pénétrer par des portes en arcs outrepassés dans une atmosphère de clair-obscur qui met en valeur les ors des armures et des bijoux, les vases, coupes, statuettes, masques, dans leurs vitrines délicatement éclairées, le tout baigné dans des lumières feutrées, mystérieuses. 

Video sur le rituel du sacrifice humain et coupe sacrificielle

 Des projections sur les murs, des vidéos, des dessins, viennent appuyer les explications d’une manière imagée, vivante, didactique et ludique à la fois, en particulier quand il s’agit de raconter l’histoire du héros Ai Apaec dans le style  de la BD ou du dessin animé. Je pense aux enfants qui sont introduits dans cet univers si éloigné de nous dans le temps mais rendu ainsi accessible pour eux!
 

Combat de Ai Apaec avec le crabe

 La perfection des objets exposés

 


 Cette boucle d'oreille attribut d'un chef puissant est un objet funéraire orné de l'oiseau-guerrier. Elle est en or, turquoise, nacre, coquillage : culture Mochica  (100_800 apr.JC) 
 
Et puis il y a la découverte d’une civilisation qui a atteint un niveau - artisanal - travail de la céramique, travail du textile, orfèvrerie, travail de l’or et de l’argent, - extrêmement élevé, artefacts d’une grande perfection, d’autant plus riches et divers qu’ils sont le produit de cultures qui se sont succédé pendant 3000 ans ! J’ai admiré la beauté des objets exposés, leurs formes extraordinaires, l’imagination qui y préside, les histoires qu’ils nous racontent.





Perfection de cette cruche en céramique ornée de dessins figurant des vagues. C'est un objet funéraire qui contenait de l'eau ou autres liquides activant le camaquen, force vitale qui anime tout et permet au défunt de continuer à vivre dans le monde d'en bas : culture mochica (100-800 Apr. JC))


 vêtements funéraires : tunique et jupe Culture Lambayeque

Ces vêtements funéraires dont étaient revêtues les momies péruviennes sont composés d'une tunique  appelée Inku et d'une jupe. Les matériaux utilisés sont le coton et de la laine teints avec des pigments naturels issus de plantes ou d'insectes et mêlés à des fibres animales d'alpaga et de vigogne. Culture lambayesque (700-1300 Apr. JC).


Tissage (détail)



Les motifs sont en forme de vague  et indiquent que l'ancêtre va être emporté dans le monde d'en bas, sous l'océan.

Dans une galerie sont exposées les parures funéraires de dix seigneurs pré-incas. C'est une découverte éblouissante tellement, dans la semi-pénombre, l'or et l'argent rutilent mais aussi parce qu'en les observant de près, les détails se révèlent pleins d'originalité, témoignant d'un grand savoir-faire. On y voit l'importance de la nature, inspiration végétale ou animale, qui sert de modèle à l'orfèvre pour concevoir la parure des grands chefs disparus.

Parure funéraire : coiffe , boucles d'oreilles, nariguera, plastron et collier
 
La coiffe frontale est à visage humain encadré de félins rampants. Le nariguera, ornement du nez, signalait le pouvoir divin de celui qui le portait.








 

 
 
Le plastron est composée de motifs d'or en forme de graines de courge. Le collier est orné de grenouilles aux yeux de turquoise.

Collier (détail) culture mochica

 
 
 
Couronne, boucles en porphyre noir Culture Chavin (1250 -1 Av. JC)
 
Cette parure appartenait à un seigneur de la civilisation Chavin (1250 -1 Av. JC) et les boucles en porphyre sont caractéristiques de la culture cupisnique (1250_100 av. JC) qui est une culture régionale Chavin.
 
 
 
Parure funéraire (culture mochica)

 

Collier de perle à têtes de félins.

boucles d'oreilles à bossettes

Des civilisations différentes mais avec une cosmovision commune


Céramique  : Hibou Exposition Machu Pichu Paris
 

Enfin, bien sûr, il y a tout ce que nous apprenons sur les civilisations qui nous sont présentées par thèmes : la religion, la sexualité, la procréation, les rituels de la chasse et des combats, les sacrifices humains ou animaux, la politique, la société érigée en pyramide, les arts, et aussi le mythe du héros Ai Apaec, venu de la culture mochica, dont le voyage dans le monde des morts n’est pas sans rappeler celui d’Orphée ou d’Ulysse.
Si toutes ces civilisations présentent des différences et une originalité les unes par rapport aux autres, elles ont pourtant une commune manière d’appréhender l’Univers dans une interconnexion de trois mondes : Pachamama, est la terre nourricière, divinité respectée, principe de vie et du temps présent, avec ses terres, ses pierres, ses montagnes, ses animaux prédateurs, félins, jaguar ou puma. Elle  anime un Monde nommé Kay Pacha. Hanan Pacha est le domaine du Soleil, de la Lune et des oiseaux. Uku Pacha est l’empire souterrain de l’océan, le monde des ancêtres et de la mort.

La symbolique des animaux
 
Les oiseaux : le colibri

 

Les animaux y jouent un rôle symbolique. Les oiseaux représentent le monde du Soleil et de la Lune et par là ils sont proches des Dieux. Le hibou chasse la nuit, le cormoran plonge dans les eaux profonds pour pêcher. Ils peuvent être en communication avec le dieux et relier les mondes.


Céramique en forme d'oiseau : cormorans

 Le félin, jaguar et Puma, symbolisent le royaume de Pachamama, la Déesse-Terre. Ce sont des prédateurs qui inspirent la crainte.

 

Bouteille à anse-étrier : Félin

Le serpent est l’animal symbolique du Uku Pacha, le monde des profondeurs.


Vase serpent


 Les rituels de chasse et les rituels sacrificiels

Céramique de la Rebellion des objets

Cette céramique raconte le mythe mochica de la Rébellion des objets sous les commandements du Dieu Hibou et de la Déesse Lune, des objets inanimés prennent vie et capturent des guerriers humains. Dans la partie supérieure du récipient, parures et armes côtoient deux divinités qui symbolisent la "nouvelle peau des guerriers" qui se transforment en ancêtres après le rituel sacrificiel.


Les objets se rebellent et s'animent

Au cours des chasses  auxquelles seuls les personnages haut placés pouvaient participer, on  recueillait le sang des animaux pour l'offrir au Dieux.

Cerf attendant le sacrifice

 

Il y avait aussi des sacrifices humains car dans la culture mochica la vie ne peut continuer qu'à travers la mort. Les prisonniers vaincus étaient conduits au temple et le prêtre offrait leur sang aux Dieux qui en échange maintenait l'ordre naturel, le cycle des saisons, éviter les inondations ou les sècheresses extrêmes. Mourir ainsi était un acte glorieux car les guerrier sacrifiés contribuaient à l'apaisement de la Nature et au bon fonctionnement des cycles de vie dont la mort fait partie. C'est ainsi que le sacrifice humain chez les incas ne se pratiquaient pas aussi fréquemment que chez les Mayas et les Aztèques mais seulement en temps de crise.

Les céramiques pré-incas extrêmement bien conservées  racontent, peintes sur toute leur face, les détails du combat rituel.

Le combat : le vaincu tiré par les cheveux

Celle ci-dessous présente la cérémonie du sacrifice et la présentation de la coupe (culture mochica 100_800 apr. JC). Les archéologues disent que c'est leur pierre de Rosette pour connaître la culture de ce peuple.

Céramique à anse étrier de la cérémonie du Sacrifice

Le sacrifice  était suivi d'une grande célébration  qui avait lieu qui avait lieu avec musique, danse et  boisson, la chicha.

 

Musicien jouant de la flûte andine (Quena) culture mochica


Céramique tambour chaman (culture nazca (100_600 apr.JC)


 Bon, vous avez compris que j'ai adoré cette exposition. Aussi, je ne m'arrêterai pas là. Je vous présenterai bientôt le mythe du héros Ai Apaec à travers les oeuvres qui représentent son voyage au pays des Ancêtres.

Paris Exposition, Machu Pichu et les trésors du Pérou (2) Le mythe de Ai Apaec

 

Machu Picchu et les trésors du Pérou


Cité de l'architecture et du patrimoine


Palais de Chaillot, 1 place du Trocadéro, 75116 Paris


Tous les jours de 10h à 19h


Tarifs : semaine 22 €, week-end et jours fériés 24 € 

(18 € et 20 € pour les enfants)


15€ supplémentaire  pour le voyage virtuel

Du 16 avril au 4 septembre 2022
 

mercredi 8 juin 2022

Anthony Trollope : Le domaine de Belton


Le domaine Belton : le récit

Clara Amedroz est la fille du propriétaire du château de Belton, Bernard Amadroz. Ce dernier vient de perdre son fils qui s’est suicidé après avoir ruiné son père par une vie dissolue. A la mort du vieillard, le domaine doit donc revenir à un cousin Will Belton, qui gère sa propre propriété avec profits, sans hésiter à participer lui-même aux travaux des champs. Un paysan ?  Ce dernier tombe amoureux de la jeune fille et veut l’épouser mais elle lui préfère le capitaine Frederic Aylmer, membre du parlement, beaucoup plus raffiné et cultivé. Fiancée au capitaine, elle s’aperçoit bien vite qu’on la reçoit dans cette noble famille sans enthousiasme car elle n’a pas de dot et son futur mari se montre assez froid avec elle. Elle comprend aussi que sa  future belle-mère exigera d’elle une obéissance absolue. Clara se révolte… 

 Encore un roman sur l'émancipation féminine

Même s’il paraît léger et rapide à priori, ce roman n’en est pas moins une lecture agréable et finalement pleine d’intérêt,  qui permet la découverte des moeurs de l’époque et présente une analyse des personnages toujours aussi fine.
Et tant pis si Henry James a jugé ce livre sévèrement ! Si l’on creuse un peu, l’on s’aperçoit que Anthony Trollope est très en avance sur le thème de l’émancipation de la femme. Clara est capable de tenir tête à son fiancé Frederic Aylmer et surtout à la mère de celui-ci qui prétend régenter la vie de sa future bru. Quant à Frederic, snob et rigide, il est partagé entre son amour (tiède) pour Clara et son désir d’épouser une femme fortunée. 

Lady Almey, orgueilleuse, pleine de morgue et formaliste, critique souvent Clara et condamne, en particulier, l’amitié de Clara pour une femme qu’elle juge immorale et infréquentable. Or cette femme Mistress Askerston a été mariée avec un homme qui la maltraitait. Elle s’est séparée de lui et a vécu avec le colonel Askerton avant de l’épouser à la mort de son premier mari. Un scandale ! Elle est donc perdue de réputation, ne peut être reçue dans le voisinage et n’a pour seule amie que Clara. Celle-ci lui reste fidèle malgré les interdits de lady Aylmer. C’est un preuve d’amitié et de solidarité. L’histoire parallèle et apparemment secondaire de Mistress Askerton me paraît tenir une place primordiale dans la roman. Il faut se replacer dans l’époque pour comprendre  le courage qu’il fallait à Clara pour prendre cette décision qui met à mal ses espoirs de mariage et risque de la compromettre elle aussi.
Encore donc un roman « féministe » avant la lettre même si Trollope a lui-même des préjugés sur ce que doit être la femme parfaite, capable «  de se laisser guider avec douceur et fermeté » par son mari  à condition qu’il soit « le meilleur des maris »!!

Humour et dérision

L’écrivain manie l’humour et la dérision (tendre) envers ses personnages, Will et Clara qu’il aime bien ! Il les observe avec indulgence comme un père ses enfants ! Il intervient dans l’action, s’adressant aux lecteurs, les faisant juges des maladresses de l’un (Will Belton, sympathique, généreux, dévoué, mais un peu rustaud et irréfléchi) et de l’aveuglement de l’autre (Clara ne sait pas discerner ses véritables sentiments et se révèle pleine de contradictions ). Le lecteur est ainsi complice de l’auteur et s’amuse avec lui de l’imbroglio amoureux, tout en sachant que cette situation traitée avec humour pourrait être tragique pour cette jeune fille sans fortune. Les femmes de cette classe sociale n’ont pour avenir que le mariage et elles n’ont pas toujours le choix.  Pour avoir droit au bonheur, à la liberté de ses sentiments mais aussi de la pensée, il faut que Clara sache résister à la pression sociale, aux conventions, à la peur de la précarité. Il lui faut donc beaucoup de caractère, de volonté, d’intelligence et de lucidité pour repousser les préjugés de son époque et pour s’en sortir. Le statut de la femme n’est donc pas très enviable à l’époque victorienne.

Clara est un personnage attachant, on aime sa révolte et on est reconnaissant à Trollope de l'avoir créée et d'amener à une réflexion sur la femme !  Will Belton, malgré la maladresse de ses manières, se révèle un noble caractère.

L'écrivain a préféré traité l'histoire comme une comédie. Tout est bien qui finit bien pour eux mais... pas dans le meilleur des Mondes !

Voici trois autres romans de Trollope déjà commentés dans mon blog  :
 

Miss Mackenzie

John Bull sur le Guadalquivir

Phineas Finn

lundi 6 juin 2022

Anthony Trollope : Le cousin Henry

 

J’ai lu trois livres en suivant de Anthony Trollope (1815-1882), écrivain célèbre et prolixe de l’Angleterre victorienne : Le cousin Henry, Le domaine Belton,  Les Beltram.

Les deux premières romans sont assez courts et le second, en particulier, peut paraître léger au niveau de l’histoire qui est assez simple et même convenue dans la mesure où l’on sait que cela finira par un mariage. Une histoire d’amour donc ! Mais ce qui ne l’est pas, c’est la finesse de l’analyse psychologique et la connaissance des êtres humains que l’écrivain décrit d’une manière subtile, description qui est faite souvent avec humour, parfois en satiriste voire en moraliste, et toujours avec un sens du détail et de la précision.  

Le cousin Henry et Le domaine  Belton ont ceci en commun :  ils ont pour sujet la loi alors appliquée en Angleterre, qui privait les femmes de leur droit à l’héritage. Dans la plupart des cas, la fortune et la propriété terrienne devaient revenir à un héritier mâle, le fils aîné. D’autre part, la propriété transmise par entail (fee tail), en l’absence d’héritier direct, était transmise à un neveu, un cousin qui portait le nom, fût-il éloigné dans la descendance.

Cette loi datait du moyen-âge et ne fut abrogée en Angleterre qu’en 1925. Il faut reconnaître qu’elle était profondément injuste et jetait les femmes, épouses ou filles, dans la misère ou dans la dépendance de l’héritier. Elle a été largement critiquée et utilisée comme moteur du récit dans les romans de l’époque : Jane Austen dans Orgueil et préjugé, Persuasion et aussi Raison et sentiment où le frère aîné hérite.
Le troisième roman Les Beltram, beaucoup plus touffu, est un étonnant mélange de genres et présente nombre de thèmes variés.

Le cousin Henry

Anthony Trollope

 Le récit

Indifer Jones, propriétaire de Llanfeare, a recueilli sa nièce Isabel Borderick après la mort de sa mère lorsque le père de la jeune fille se remarie. Indifer Jones, alors âgé et malade, aime tendrement sa nièce et réciproquement. Tout son entourage pense qu’elle sera son héritière. Mais le vieillard rédige un autre testament en faveur de son neveu Henry Jones qu’il n’aime pas mais qui porte son nom. Il souhaite, en contrepartie que Henry épouse Isabel mais celle-ci refuse catégoriquement. Elle n’aime pas Henry, le méprise et, de plus, elle est amoureuse de William Owen, chanoine sans fortune, qui l’a demandée en mariage mais dont elle a refusé la proposition selon le désir de son oncle. Peut-être maintenant qu’elle est libre d’agir à sa guise pourrait-elle l’accepter s’il renouvelait sa proposition ?
Pourtant, juste avant de mourir, dans l’urgence, Indifer Jones rédige un autre testament en faveur de sa nièce en prenant ses domestiques comme témoins. Mais, après sa mort, l’acte demeure introuvable. Henry est le premier soupçonné de l’avoir fait disparaître…

Une analyse psychologique fouillée

Il n’y a pas de bons ou de méchants, il n’y a pas des personnages blancs ou noirs, dans ce roman car Trollope préfère peindre les zones de gris ! Et c’est pourquoi, l’on ne peut, comme dans d’autres oeuvres, s’attacher à l’un ou à l’autre, l’admirer ou l’aimer complètement. Mais ils sont tous intéressants, oui, car ils nous montrent la nature humaine.

Prenons Indifer Jones : c’est un homme affectueux, bon avec tous ceux qui dépendent de lui, fermiers, domestiques, à qui il s’intéresse sincèrement mais c’est un conformiste, prisonnier des convenances. Il se sent obligé d’obéir à la tradition qui veut que ce soit un héritier mâle portant son nom qui hérite. Il est profondément malheureux de déshériter sa nièce bien-aimée alors que rien ne l’y oblige, l’entail ne semble pas s’appliquer à la propriété. Son indécision, ses revirements, ses préjugés, en font un vieillard geignard et irritable, parfois pénible à vivre.

Ainsi Isabel Borderick : c’est une jeune femme de caractère, indépendante, courageuse, ayant un grand sens de la justice. On peut dire qu’elle est la porte-parole de la cause féminine, dont l’écrivain se fait volontiers le défenseur. Elle refuse la soumission, refuse d’être une monnaie d’échange, une marchandise. Elle veut se marier par amour, non par intérêt. C’est ce qu’elle répond à  son oncle qui lui demande d’épouser son cousin.

"Je me ferais honte à moi-même si j’allais à l’autel avec lui. Renoncez à cette idée, oncle Indefer, enlevez-la de votre esprit comme une chimère qu’elle est. C’est la seule chose que je ne puisse ni ne veuille faire, même pour vous. C’est la seule chose que vous ne devriez pas me demander. Disposez de la propriété comme il vous plaît, comme vous le croyez bon.

– Mais cela ne me plaît pas de faire ce que vous dites.
– Comme votre conscience vous l’ordonne, alors. Quant à ma personne, la seule petite chose que je possède au monde, j’en disposerai selon mon goût et selon ma conscience. "

On voit qu’elle a une parole ferme et hardie pour une femme de son époque, ce qui ne l’empêche pas de céder, elle aussi, aux préjugés de son siècle. Ainsi, elle refuse la demande en mariage de William Owen parce quelle se croit héritière du domaine et sait que son oncle ne permettra pas un mariage avec un homme sans fortune. Elle est d’autre part très entière, ce qui la pousse au mépris voire à la cruauté envers son cousin. Mais elle est capable de reconnaître ses torts et de présenter des excuses même si celles-ci sont faites avec effort.
D’autre part, elle ne se plaint pas lorsqu’elle est déshéritée, refusant de critiquer son oncle et paraît renoncer avec altruisme à l’héritage. Mais l’on voit que c’est une pose orgueilleuse et qu’elle joue volontiers, pour elle-même, ce rôle d’héroïne désintéressée et stoïque. Cependant, lorsqu’elle a connaissance du dernier testament en sa faveur, elle ne peut cacher sa joie et entre en fureur contre son cousin qu’elle accuse sans preuve de l’avoir détruit. Le personnage n’est donc pas entièrement sympathique mais il est humain avec ses zones de clarté et d’ombre.

Et parlons maintenant du cousin Henry ! J’ai fini par le plaindre ! Non seulement il s’attire le mépris de sa cousine et l’inimitié de son oncle mais aussi de tous les habitants du domaine sans vraiment l’avoir mérité. Si ce n’est qu’il a été fait héritier sans l’avoir demandé mais à sa plus grande satisfaction. C’est un être falot, sans envergure, timide, assez terne, mais pas méchant. Pour réparer l’injustice, il demande sa cousine en mariage et est refusé avec hauteur. Il a agi avec légèreté dans sa jeunesse mais il s’est rangé et travaille honnêtement. Somme toute un individu dans la moyenne par rapport au reste de l’humanité. 

Mais là où le personnage devient le plus intéressant, c’est quand il est placé devant un dilemme (habileté de l’écrivain) dans la seconde partie du roman, celui d’un combat entre le Bien et le Mal. Henry a le choix entre être riche ou pauvre, entre être honnête ou malhonnête, juste ou injuste. L’écrivain étudie avec minutie les hésitations du personnage, ses remords, ses angoisses mais aussi sa veulerie. Il est incapable d’assumer le mal mais trop lâche pour choisir le bien. La seconde partie montre comment le sentiment de culpabilité peut anéantir un homme, l’amener à se trahir; comment la peur du châtiment terrestre mais aussi divin pèse plus dans la balance que le sens de l’honneur et de l’équité. L’écrivain décrit avec brio le caractère obsessionnel des tourments de Henry.

On peut trouver le récit de prime abord un peu conventionnel puisque certains thèmes sont récurrents d'un roman à l'autre mais il correspond à la réalité de l’époque et permet de présenter, à travers la société de cette seconde moitié du XIX siècle, les mentalités, la condition féminine et les rapports du propriétaire terrien avec ses subordonnés. Les classes populaires sont, en effet, bien représentées ici. Une belle place est réservée, en particulier, au fermier Griffiths, épris de justice, qui prend la défense de Henry.
Mais ce qui donne l’étoffe au roman, c’est bien l’analyse psychologique servie par un style tout en nuances qui offre au lecteur une gamme de personnages vrais. Par leurs faiblesses, leurs travers mais aussi leurs beaux sentiments,  ceux-ci sont les représentants de l’espèce humaine et cela d’une manière universelle, au-delà des différences de moeurs et de mentalité.


 

dimanche 29 mai 2022

Jamie McLaughin : Dans la gueule de l’ours


Pour se faire oublier d'un puissant cartel de drogue mexicain qu'il a trahi, Rice Moore trouve refuge dans une réserve des Appalaches au fin fond de la Virginie, où il est employé comme garde forestier par un riche propriétaire qui lui demande d’assurer la sauvegarde des ours trop souvent décimés par les chasseurs.
Mais la découverte de la carcasse d'un ours abattu vient chambouler son quotidien : s'agit-il d'un acte isolé ou d'un braconnage organisé ? L'affaire prend une tout autre tournure quand d'autres ours sont retrouvés morts. Rice décide de faire équipe avec Sara Birkeland, une scientifique qui a occupé le poste de garde avant lui; Ensemble ils mettent au point un plan pour piéger les coupables. Un plan qui risque bien d’exposer le passé de Rice.
(quatrième de couverture)

Dans la gueule de l’ours, premier roman de Jamie McLaughin, a  obtenu le prix du roman policier en 2020. L’intrigue policière se déploie sur deux plans : d’une part, Rice Moore devra affronter les tueurs d’ours, chasseurs en colère, qui passent outre la loi mais aussi des gangs violents qui ont intérêt à tuer les ours. On apprendra pourquoi. Mais il devra aussi faire face aux trafiquants de drogue qui ne lui pardonnent pas sa trahison et finiront par le retrouver et là, ce sera encore une épreuve supplémentaire et pas des moindres ! Heureusement pour lui, Rice Moore est un dur à cuire, il sait se battre, et sait tirer. Bref ! ce n’est pas un enfant de choeur et il ne reculera pas !

L’aspect policier est intéressant non seulement par les péripéties qu’il nous fait vivre mais aussi parce que l’écrivain nous amène dans ce coin de terre reculé, à la réserve de Turk Mountain, dans les montagnes  de la Virginie, où les autochtones sont plutôt primaires, rébarbatifs voire racistes et violents. L'enquête menée par Rice Moore nous tient en haleine.

Quant au personnage, il est autre chose qu’un trafiquant primaire et brutal et c’est en ce sens qu’il nous apparaît comme intéressant.

Rice Moore a fait des études scientifiques qu’il n’a pu terminer et s’est fourvoyé dans un trafic de drogue pour suivre Apryl, la femme qu’il aime mais il risque tout pour se dégager de ce milieu.
C’est en scientifique, en écologiste, qu’il nous amène dans la forêt à la découverte d’essences variées, d’oiseaux et autres animaux qu’il reconnaît, nomme et décrit pour établir des preuves de leur présence et de leur nombre. Mais il nous fait aussi pénétrer dans ce monde sauvage en poète, en esthète, nous en faisant goûter la majesté, le silence et la beauté. C’est en gardien de la Nature qu’il agit, protégeant les ours, en accord avec la vie animale, assisté par une autre mordue, tout aussi folle que lui, Sara Birkeland qui revient après avoir été chassée de la réserve.

 Tenue de camouflage : Ghilie

Autre que policier, donc, ce roman de Nature writing montre le personnage s’enfonçant dans la forêt, gagné par la solitude, cherchant à communier avec la nature et ne faire qu’un avec elle. Enfermé dans sa tenue de camouflage, dans sa tenue de Ghillie, il devient végétal et bête, se fond au point de perdre sa propre identité, sombre dans une sorte de folie inspirée, presque chamanique, et vit des aventures qui échappent au rationalisme. Certains passages du livre qui décrivent cette aventure spirituelle tournent  au  fantastique et  se révèlent d’une étrangeté onirique. C’est fascinant ! (Prix Allan Poe en 2019)

" Il tenta  d'entrer en contact avec les oiseaux, s'en approcha en imagination. Il eut l'impression de demander la permission de se joindre à eux. La mésange à l'oeil vif bondit soudain et un petit scarabée noir fut dans son bec, les pattes s'agitant, l'exosquelette craquant, un goût huileux. Boire un peu de rosée à une goutte suspendue au bout d'un brin d'herbe. Lorsque les oiseaux s'envolèrent de la falaise, Rice s'envola avec eux, défiant tout bon sens, il nagea à travers l'air invisible, un moment de vertige quand tout en bas la rivière scintilla au soleil, la cime des arbres, les nuages dans le ciel infini, puis un temps d'arrêt pour reprendre ses esprits - une syncope musicale, un battement de coeur en moins, une longue goulée d'air dans les poumons - et une immense valve cosmique s'ouvrit, la vision de la gorge explosa dans son esprit, toute la gorge à la fois, toutes les couleurs, de l'infrarouge à l'ultraviolet, tout était vivant, des millions de voix parlaient en une fantasmagorie de présences bien réelles, le champ magnétique de la planète, elle-même pulsait puissamment autour de lui."

 
Le style de James Mc Laughin est d’une poésie précise. L’écrivain fait appel à tous les sens pour nous faire goûter les bruits de la nature, ses couleurs, sa texture, son goût même. Il épouse le regard de Rice, à la fois connaisseur des arbres et des bêtes qu’il aborde toujours avec respect et délicatesse  et  toujours sensible à la beauté.

"Deux mésanges à tête noire se posèrent sur le buste de Rice et entreprirent d'arracher des brins de toile de jute. Son rire étouffé agita le tissu et plongea les volatiles dans la perplexité, mais ils ne s'envolèrent pas. Une mésange parut deviner que Rice était un être vivant et elle sauta sur la capuche pour examiner son oeil. Sara avait un jour déclaré que les mésanges à tête noire avaient des caractéristiques agréables qui poussaient les humains à les adorer, à les considérer avec un regard anthropomorphique - le front arrondi et protubérant, le bec court, leur corps minuscule couvert de plumes, leurs grands yeux. Rice examina la face de l'oiseau à quelques centimètres de son propre visage. L'oeil noir et luisant braqué sur le sien. Pas si mignon que ça finalement, pensa-t-il. Il semblait farouche, différent, impitoyable. Il sentit l'éclair d'une brêve reconnaissance le traverser. Il cligna des yeux et le mésange s'envola."

Il s’agit donc d’un roman passionnant, original, inclassable car à deux entrées, et l’on peut que recommander aux amateurs de romans policiers comme à ceux qui aiment la Nature writing et si vus aimez les deux, vous serez comblés !  Un beau livre,  bien écrit, surprenant !
 

 

Jamie Mc Laughin source

James McLaughlin a grandi en Virginie et vit désormais en Utah. Photographe passionné de nature, il est également l’auteur de plusieurs essais. Dans la gueule de l'ours est son premier roman. Il a été unanimement salué par la critique américaine (The New York Times, The Washington Post, USA Today ou Entertainment Weekly, etc.).
 

mardi 24 mai 2022

Petra Rautianen : Un pays de neige et de cendres

 

 Le roman, Un pays de neige et de cendres de Petra Rautiainen, se situe au nord de la Finlande, en pays sami, à  Inari en 1944 et Enontekio de 1947 à 1950 (une carte nous permet de situer ces lieux en début de livre). Les deux époques se chevauchent et le lecteur passe ainsi du passé à présent, celui-ci encore marqué par la guerre.

1944 : Le narrateur Vaino Remes arrive dans un centre pénitentiaire pour y servir d’interprète auprès des prisonniers de différentes nationalités, Russes, Ukrainiens, Serbes, Polonais, Roumains. Il s’agit d’un camp allemand en Finlande placé sous la haute autorité de la gestapo. Les conditions de vie y sont inhumaines, le froid, la neige et l’obscurité des nuits d’hiver rendent fous les gardiens allemands eux-mêmes, la faim et la maladie font des ravages. Vaino Remes qui a eu des activités dans des commandos d’extermination en Finlande est aussi affecté à la détermination des races. Il croit à la Grande Finlande et à la race finnoise épurée. Il fait connaissance de l’autre interprète finlandais avec qui il travaille, Olavi Heiskanen. De plus, il s’intéresse à un prisonnier nommé Kalle qui jouit d’un statut privilégié. Ses recherches dans le dossier de cet homme lui permettent de savoir qu’il se nomme Kaarlo Linqvist. Tous ces faits et bien d’autres sont consignés dans son journal de bord.

1947 : Inkeri Lindqvist arrive à Enontekio près de Inari. Elle est photographe et journaliste et est là pour faire une enquête sur la reconstruction de la Finlande. En vérité, elle est à la recherche de son mari qui a disparu.  Elle ne sait pas s’il est encore vivant.
Elle fait la connaissance d'Olavi Heiskanen et aussi de Piera, un vieux sami et de sa petite-fille Bigga-Marja mais son enquête avance difficilement. Tous sont réticents à évoquer le passé. Le camp a disparu. Personne ne veut en parler, sentiment de honte, de culpabilité ? Tout en faisant la connaissance des Sames et de leurs coutumes et en se liant d’amitié avec Bigga-Marja, Inkeri en apprend plus sur les secrets du camp. Mais elle découvre en même temps que la discrimination, les humiliations et le racisme que subit le peuple sami n’ont pas disparu même après la guerre. 

-Ils envisagent de créer un registre des Sames
- C’est quoi ?
- Ils recensent toute la population. Qui sont les Sames. Combien ils sont. Où ils habitent.
-Ah.
L’Etat veut s’approprier ces forêts, cette tourbe, ces marais et tout le reste mais ça pose un problème avec ces ploucs de Lapons.

Ce roman parle d’un réalité très dure et un malaise règne tout au cours de la lecture. Non pas seulement à cause du camp et des crimes qui y sont perpétrés mais aussi parce que l’on sent que tout n’est pas dit, que l’on nous cache quelque chose. En fait, on se retrouve dans la même position que la photographe Inkeri à qui il manque beaucoup d’éléments pour tout comprendre. On le découvrira peu à peu avec elle.

J’ai aimé l’amitié qui lie Inkeri aux Samis et en particulier à la jeune Bigga-Marja, personnage attachant comme son grand-père Pietra. J’ai eu plaisir à découvrir avec elle leurs croyances et leurs traditions. Mais j’ai appris avec horreur l’existence de ces camps de concentrations avec la participation de la Finlande sous l’autorité allemande. Je savais pourtant que la Finlande s’était alliée à l’Allemagne nazie, la préférant à son ennemi héréditaire, le Russe. Mais je savais pas qu’elle avait abrité de telles abominations sur son sol. 

Quant aux Samis, dans tous les pays nordiques, Norvège, Suède et Finlande, ils ont eu à subir les violences d’une assimilation forcée accompagnée de mépris. Le mot lapon qui les désignait jadis est d'ailleurs un terme péjoratif abandonné de nos jours. Ils sont désormais reconnus comme une nation autonome constitutionnelle même si leur nomadisme, pour certains, est encore source de conflits.

 
Merci à Miriam pour cette lecture qui m’a appris beaucoup sur ce pays.

Voir son billet ICI