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mardi 21 janvier 2014

Fernando Pessoa : Le gardeur de troupeaux ( Le pasteur amoureux et je suis un gardeur de troupeaux)


Fernando Pessoa de Almada Negreiros, 1954

Le jeu de la poésie continue sur facebook :
" L'idée est d'occuper Facebook en poésie. Quelqu'un vous attribue un(e) poète et vous partagez son texte comme suit. Chaque personne qui cliquera qu'elle aime ce statut se verra attribuer en retour un(e) poète par vos soins, poète dont vous partagerez un poème sur votre propre mur Facebook. "
Aifelle m'a proposé Fernando Pessoa :

Fernando António Nogueira Pessoa est un écrivain, critique, polémiste et poète portugais . Né le 13 juin 1888 à Lisbonne, ville où il meurt des suites de son alcoolisme le 30 novembre 1935, il a vécu une partie de son enfance en Afrique du Sud.


Pessoa a créé une œuvre poétique multiple et complexe sous différents hétéronymes en sus de son propre nom. un hétéronyme est un pseudonyme utilisé par un écrivain pour incarner un auteur fictif, possédant une vie propre imaginaire et un style littéraire particulier. :
  • Alberto Careio qui incarne la nature et la sagesse païenne;
  • Ricardo Reis, l'épicurisme à la manière d'Horace;
  • Alvaro de Campos  le « modernisme » et la désillusion;
  • Bernardo Soares, modeste employé de bureau à la vie insignifiante s'il n'était l'auteur du  Livre de l'intranquillité
  • Alii (soixante-douze en incluant les simples pseudonymes)
Ces grands hétéronymes littéraires auront une telle force, seront à l'origine d'une création littéraire si unique que l'auteur leur trouvera même à chacun une biographie justifiant leurs différences. Fernando Pessoa deviendra « le cas Pessoa » pour grand nombre d'intellectuels, de critiques, de littérateurs, de simples lecteurs. (source Wikipedia)
« Nombreux sont ceux qui vivent en nous ;
Si je pense, si je ressens, j’ignore
Qui est celui qui pense, qui ressen
t.

Je suis seulement le lieu
Où l’on pense, où l’on ressent.. »
 
Le berger : Julien Dupré

Le pasteur amoureux 


L’amour est une compagnie.
Je ne peux plus aller seul par les chemins,
parce que je ne peux plus aller seul nulle part.
Une pensée visible fait que je vais plus vite
et que je vois bien moins, tout en me donnant envie
de tout voir.
Il n’est jusqu’à son absence qui ne me tienne compagnie.
Et je l’aime tant que je ne sais comment la désirer.
Si je ne la vois pas, je l’imagine et je suis fort comme
les arbres hauts.
Mais si je la vois je tremble, et je ne sais de quoi se
compose ce que j’éprouve en son absence.
Je suis tout entier une force qui m’abandonne.
Toute la réalité me regarde ainsi qu’un tournesol dont le
coeur serait son visage.




Maurice Hagemans, Berger et son troupeau.



Je suis un gardeur de troupeaux.

Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
et mes pensées sont toutes des sensations.
Je pense avec les yeux et avec les oreilles
et avec les mains et avec les pieds
et avec le nez et avec la bouche.

Penser une fleur c'est la voir et la respirer
et manger un fruit c'est en savoir le sens.

C'est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
je me sens triste d'en jouir à ce point,
et couche de tout mon long dans l'herbe,
et ferme mes yeux brûlants,
je sens tout mon corps couché dans la réalité,
je sais la vérité et je suis heureux.

dimanche 27 janvier 2013

Un livre/Un film Le coup de l'escalier de William P. MacGivern



Résultat de l'énigme n°55
Bravo à : Aifelle,  Dasola, Eeguab, Pierrot Bâton, Syl. 
Merci aussi aux courageuses qui ont participé mais qui n'ont pas trouvé la réponse (difficile!) ! Ce sera pour la prochaine fois!

Le roman :  Le coup de l'escalier de William P. MacGivern
Le film  :  Le coup de l'escalier de Robert Wise
Odds against to morrow est un roman de William Peter MacGivern paru en traduction française sous le titre Le coup de l' escalier. Outre qu'il n'y a pas d'escalier dans le roman (et même s'il y en a un dans le film de Robert Wise, il ne joue pas un grand rôle) le titre est fort mal choisi car il ne rend pas compte du sens du roman comme le fait le titre anglais. Je ne me risque pas à le traduire* car cela est plutôt difficile mais il signifie que les personnages n'ont rien à espérer de l'avenir, que les chances de réussite ne sont pas bonnes. Bref! Earl, Ingram et Burke sont des perdants et nous en sommes avertis d'avance. Si bien que ce qui est intéressant dans ce roman, ce n'est pas le fait policier lui-même, ce sont les personnages et la société dans laquelle ils évoluent.

Earl, un pauvre blanc né au Texas n'a pas eu de chance dans la vie. Il a fait de la prison alors qu'il était innocent et se retrouve sans travail, entretenu par sa femme Lorry, ce qu'il ne peut supporter.  Il va accepter la proposition de Novak de braquer une banque; il en est de même de Ingram, un noir, qui a perdu une forte somme au jeu et est menacé de mort par un caïd. Enfin, Burke, un ancien flic véreux,  se joint à eux. C'est un pari perdu d'avance. Le casse échoue, Burke est tué et Ingram et Earl, blessé, s'enfuient. Ils vont se réfugier dans une ferme où ils se terrent, recherchés par la police.  Mais Earl hait Ingram parce qu'il est noir.  Pourtant, les circonstances vont peu à peu faire évoluer leurs rapports. L'amitié serait-elle possible entre un blanc et un noir? Peut-être, dans un monde qui ne serait pas ce qu'il est!

Le thème du racisme est donc largement développé dans le roman qui est écrit en 1957, en pleine lutte contre la ségrégation qui avait commencé dès 1955 par le refus de Rosa Parks de céder sa place à un blanc dans un bus, et ensuite, par les combats menés par Marin Luther King. Si en 1957, certains lois ségrégationnistes ont déjà été révisées, la ségrégation ne sera abolie qu'en 1960 et ce n'est qu'en 1964 que paraît la loi interdisant  toute discrimination raciale. Dans le roman, Ingram a peur de rentrer dans un bar qui n'est pas réservé aux noirs alors qu'il en a le droit et nous voyons que s'il est pris dans l'équipe de braqueurs, c'est parce qu'il est noir et peut remplacer le serveur, les noirs occupant toutes les places subalternes dans la société. Le racisme de Earl est d'autant plus virulent qu'il a été, comme Ingram, au bas de l'échelle sociale. Né au Texas, Earl, le pauvre blanc a connu la même misère que ses voisins noirs et il se raccroche d'autant plus à la seule supériorité que lui reconnaît alors  la loi : la blancheur de leur peau!  Il méprise donc Ingram et ne manque pas une occasion de l'humilier en l'appelant Bamboula, en le frappant.
Contrairement au film de Robert Wise où le rôle d'Ingram est tenu par Harry Bellafonte, crooner plein de charme et d'élégance et dont la stature et la  force rivalisent à celles de Earl incarné par Robert Ryan, Ingram dans le roman est un petit homme maigre et effacé, timide et gentil, qui baisse la tête devant le blanc. C'est pourtant lui qui révèlera une véritable grandeur d'âme en venant à aide à Earl alors qu'il pourrait s'enfuir et en étant prêt à donner sa vie pour empêcher un meurtre. Cette attitude entraînera chez Earl un sursaut de conscience qui transformera le gangster raciste et réveillera ce qu'il y a de meilleur en lui.
Le film de Robert Wise s'éloigne beaucoup  du roman.  Comme dans le livre, le scénario s'intéresse aux raisons qui font que ces hommes acceptent l'attaque de la banque, ce qui éclaire la psychologie et le passé de chaque personnage. Cela existe dans le roman mais c'est plus rapidement exposé. Le braquage de la banque reste un fait secondaire pour les deux mais la fin est très différente. Dans le film, un dénouement rapide montre que les deux hommes périssent en s'enfuyant. La mort rétablit symboliquement l'égalité entre blanc et noir. Dans le livre un long développement est consacré à la fuite des deux bandits et l'auteur va s'intéresser à l'évolution de ses personnages.

Si j'ai beaucoup aimé le film de Wise magnifiquement filmé et qui présente des images avec de superbes clairs-obscurs, je crois que j'ai préféré le roman pour cette dernière partie absente du film mais qui  éclaire les personnages d'un jour différent et fait que l'on s'attache plus à eux.


*comment le traduiriez-vous?





lundi 12 novembre 2012

Marc Dugain : L'insomnie des étoiles



Si La chambre des officiers traitait des atrocités de la guerre de 1914 à travers la souffrance des hommes blessés au visage, L'insomnie des étoiles peint l'horreur du nazisme. A croire que Marc Dugain n'a de cesse d'explorer ce qu'il y a de plus bas dans la nature humaine, sa soif de destruction, cette violence qui est en elle! Les étoiles qui nous contemplent n'en ont pas fini, c'est certain, d'être insomniaques!
Nous sommes en Automne 45, une compagnie de soldats français avec, à leur tête, le capitaine Louyre découvre une jeune fille, Maria, dans une ferme isolée. Ils ne savent rien d'elle et s'interroge sur le cadavre d'un soldat calciné qu'ils découvrent à côté d'elle. Ils l'amènent dans la ville voisine où le capitaine va mener une enquête : Que s'est-il passé dans cette ferme? La jeune fille a-t-elle tué cet homme? Mais ses recherches prennent bientôt une orientation plus générale : pourquoi la maison de repos de la ville a-t-elle était fermée? Que sont devenus les handicapés et les malades mentaux qui y étaient abrités?
L'habileté du récit est de rendre le lecteur plus savant que le personnage car nous savons ce qui s'est passé dans la ferme avant l'arrivée de l'armée française puisque nous avons assisté au drame et la pratique de l'eugénisme, une des hontes du nazisme, nous est connue aussi. Ce qui n'est pas le cas du capitaine Louyre qui s'enfonce dans l'horreur. Le roman montre comment le régime nazi a pu amener peu à peu des hommes apparemment normaux à perpétrer ces crimes. Comment l'on peut composer avec sa conscience s'il s'agit d'obéir aux ordres les plus iniques jusqu'à s'en trouver justifié. C'est le cas du docteur Halfinger. C'est un sujet qui n'est pas neuf et que j'ai eu l'occasion de découvrir à travers des films ou des lectures comme La Mort est mon métier de Robert Merle ou Au fond des ténèbres de Gitta Sénery.
Ce qu'il y a de particulier dans Marc Dugain, tout au moins dans les deux livres que j'ai cités, c'est que, tout en constatant que la nature humaine est foncièrement mauvaise, il place en contrepoint un ou plusieurs hommes qui s'élèvent au-dessus de cette triste humanité. Dans La chambre des officiers, les gueules cassées parvenaient par leur courage, leur amitié et leur solidarité à redonner de la couleur à la vie. Ici, c'est le capitaine Louyre qui en prenant soin de Maria dont la santé mentale vacille, incarne le bien, d'une manière peut-être un peu trop rigide et trop démonstrative pour être totalement sympathique. C'est peut-être pour cela que j'ai préféré le récit quand il adoptait le point de vue de Maria. Je me suis moins intéressée quand le centre d'intérêt se déplace et adopte celui de Louyre. Quoi qu'il en soit L'insomnie des étoiles est un bon roman qui a le mérite  de sonder les gouffres noirs de notre Histoire et de s'interroger sur l'Homme.






jeudi 24 mai 2012

Jean-Christophe Ruffin : Le grand Coeur





Jean-Christophe Ruffin l'explique, il a passé son enfance, à Bourges, au pied du palais de Jacques Coeur, un homme "qui lui montrait la voie" au milieu de la grisaille, un homme "qui témoignait de la puissance des rêves et de l'existence d'un ailleurs de raffinement et de soleil". C'est pour lui rendre hommage et surtout pour lui dresser un "tombeau romanesque" que Jean-Christophe Ruffin écrit Le grand Coeur avec pour but de faire vivre le personnage et de ressusciter un période historique complexe, témoin de grands bouleversements.

Le roman historique, relate, en effet, une époque charnière, riche en péripéties, celle où la France va sortir du Moyen-âge et s'ouvrir,  peu à peu, à un autre style de vie, à d'autres mentalités, une avancée vers la Renaissance. Le palais de Jacques Coeur à Bourges témoigne de ce passage, l'une des façades est encore médiévale, l'autre renaissance. La jeunesse de Jacques Coeur, issu d'une modeste famille d'artisans, se déroule en effet, sous le règne de Charles VII qui succède à son père, Charles VI le Fou. Le pays est ruiné par la guerre de cent ans avec les Anglais dont les troupes dévastent les campagnes, pillent, détruisent, tuent. Le pouvoir du roi est contesté, l'intervention de Jeanne d'Arc permet son couronnement mais le royaume est largement détruit, appauvri, encore traversé de guerres intestines. Les moeurs chevaleresques tombent en désuétude, le sentiment de l'honneur est remplacé par l'attrait de l'argent, la guerre devient plus technique, et l'on va bientôt désirer plus de raffinement, de douceur, de luxe dans la vie quotidienne des classes aisées. Or c'est par le commerce que la société va pouvoir évoluer, d'où le rôle d'un homme comme Jacques Coeur qui a voyagé en Orient, en Italie, en Flandres, en Grèce, et possède une hauteur de vue et une ouverture d'esprit exceptionnelles. Profitant de la paix, même toute relative, il va s'allier au roi pour organiser des échanges commerciaux à grande échelle, ce qui apportera une prospérité au royaume et lui permettra de réaliser une immense fortune personnelle. Mais il n'est jamais trop bon d'être plus riche que son souverain! 
L'Histoire s'allie aussi à la fiction et l'écrivain laisse son imagination suppléer en l'absence de faits historiques fondés, brodant, par exemple, autour des relations qui ont rapproché Jacques Coeur de la favorite du roi, la belle Agnès Sorel, peinte par Fouquet. Le but de l'écrivain étant de rappeler cet "homme à la vie", il dresse de Jacques Coeur  le portrait  d'un homme supérieurement intelligent, en avance sur son époque, hardi et ambitieux. A côté du personnage principal, le portrait du roi, aigri, soupçonneux, jouant de sa faiblesse physique, maladivement jaloux de son autorité,  dangereux pour ceux qui lui font de l'ombre, est une belle analyse du pouvoir et est tout aussi réussi.

Damas :
Surtout Damas comptait de fabuleux jardins. Cet art, poussé à l'extrême de son raffinement, me parut être autant que l'architecture, le signe d'une haute civilisation. Enfermés dans leurs châteaux forts, menacés sas cesse de pillages, les nobles de chez nous n'avaient pas le loisir d'ordonner les terres comme ils le faisaient de la pierre. Nous ne connaissions que deux mondes :  la ville ou la campagne. Entre les deux les Arabes avaient inventé cette nature réglée, hospitalière et close qu'est le jardin...
 Nous découvrîmes à Damas bien d'autres raffinements, en particulier, le bain de vapeur. J'en usais presque chaque jour et y ressentais un plaisir inconnu. Jamais, jusque là, je ne m'étais autorisé à penser que le corps pût être en lui-même un objet de jouissance.

Jean Fouquet : Agnès Sorel




Quand Agnès le vit, elle prit immédiatement en sympathie. Il faut dire que découvrir Fouquet au milieu de ses tableaux était la meilleure façon de faire sa connaissance. Il était étrange de voir sortir de ce personnage si désordonné et si sale des oeuvres lumineuses d'une calme beauté, d'une facture précise et d'une délicatesse de couleurs et de formes qui lui faisaient totalement défaut dans la vie. Ses portrait en particulier plaçaient ses personnages dans un monde à part, comme s'ils les avait extraits de leur réalité  pour les restituer dans le décor de leurs songes.

 Jean Fouquet : Charles VII



Fouquet s'était bien tenu devant le roi, pour ne pas indisposer Agnès, sans doute. Mais s'il avait dissimulé l'antipathie qu'il ressentait pour le souverain, son tableau, lui, en faisait l'aveu. Il présentait Charles dans le climat de de sentiments qui lui était propre : jalousie, peur, cruauté, méfiance, rien ne manquait. Heureusement une des particularités des oeuvres de Fouquet étaient qu'elles plaisaient toujours à leurs modèles, quand même elles les montraient sous un jour défavorable.




Merci  à la Librairie Dialogues et aux éditions Gallimard  pour l'envoi de ce livre.


LIVRE VOYAGEUR : inscrivez-vous!

jeudi 27 octobre 2011

Jean-Marie Gustave Le Clezio : L'Homme n'écrit pas seulement avec des mots..

prix Nobel de littérature 2008


Jean-Marie Gustave Le Clezio : La Ritournelle de la faim  édit. Gallimard
L'homme n'écrit pas seulement avec des mots. Tous les langages ne seront pas de trop pour entendre ce qui se dit chaque jour.
je mets trop de moi-même dans chacune de mes pages pour ne pas vivre dans l'espoir qu'elles toucheront quelqu'un. 
il faut continuer à lire des romans; le roman est un très bon moyen d'interroger le monde actuel.

jeudi 20 octobre 2011

Christian Bobin : le vent, ce matin…



"Le vent ce matin pique sa crise, arrache des feuilles aux arbres, comme on sort brutalement des condamnés de leur cellule pour les pousser vers une mort fauve, et la grâce de ce petit matin d'exécution, c'est que les feuilles, avant de rejoindre leur ombre sur terre, chahutent jusqu'à l'ultime seconde."
   Autoportrait au radiateur


avec Chiffonnette

lundi 29 août 2011

JMG Le Clezio : Poisson d’or



Poisson d'or de JMG Le Clézio se présente comme un conte et s'ouvre avec le proverbe nahuatl (Aztèque) : "Oh poisson, petit poisson d'or, prends bien garde à toi! Car il y a tant de lassos et de filets tendus pour toi dans ce monde."
Le poisson d'or englué dans les filets de ce monde aussi dangereux qu'un océan, c'est Laïla. Petite fille, elle a été volée à sa tribu des Ouled Halil, le peuple au croissant de lune,  qui vit dans le sud marocain dans la région de Foum Zguid. Vendue à une vieille dame, Lalla Asma, pour qui elle travaille et  qui devient à la fois sa maîtresse et sa grand-mère, elle va faire son apprentissage dans la grande ville ayant tout oublié de son enfance. Seul souvenir, celui du rapt brutal, violent, inattendu, un  grand sac qui se referme sur elle et le cri déchirant d'un oiseau noir qui marque le moment décisif de son existence où elle a été dépossédée de son identité. Car c'est cela l'histoire de Laila. A travers toutes ses aventures, ses tribulations, ses exils en France ou aux Etats-Unis, c'est une quête à la recherche de son identité car personne ne peut vivre sans racines. Comme dans un conte initiatique,  l'héroïne va devoir partir, subir de nombreuses épreuves pour réparer le manque qui lui a enlevé jusqu'à son véritable nom.
Le roman s'apparente donc à un roman d'apprentissage, à un roman picaresque aussi, car Laila dans ses voyages incessants à la recherche d'elle-même, va connaître bien des aventures difficiles, douloureuses parfois, va subir la faim, les privations, la peur, l'exploitation. Elle sera obligée pour survivre d'utiliser toutes ses ressources, de ne compter que sur elle-même, parfois sauvée, pourtant, mais jamais bien longtemps, par une main secourable. Le roman nous présente un monde qui n'est pas tendre pour les pauvres, qui écrase les faibles.
Le style de ce roman est d'une  grande simplicité. Les lecteurs qui ont aimé le Le Clézio, première manière, avec son lyrisme, ses emportements, en seront pour leur frais. La phrase coule comme de l'eau limpide; aucun effet inutile. On dirait que l'auteur essaie de s'effacer devant son personnage. Mais sous cette simplicité, quel travail contenu et maîtrisé, quelle science du récit!
Témoin cet extrait qui se situe au moment où Laila dont la grand-mère, Lalla Asma, vient de mourir, s'enfuit de la maison. Elle est accusée par Zorha, la belle-fille de Lalla Asma, d'avoir laissé mourir la vieille dame et menacée d'être livrée à la police. Elle se réfugie dans la cour d'un immeuble, chez madame Jamila qu'elle a rencontrée auparavant et qu'elle prend pour une sage-femme. Là, un marchand l'accuse d'avoir volé des raisins.
Au même moment, madame Jamila est arrivée, et les dames de l'étage se sont penchées au balcon et ont commencé à invectiver le marchand ambulant, en lui criant des injures que je n'avais jamais entendues. Et même, une des princesses, ne trouvant rien de mieux comme projectiles, lui lançait des piécettes de dix ou de vingt centimes, en lui criant :"Tiens, voilà, ton  argent, voleur, fils de chien !"Et lui restait, hébété, reculant sous les lazzis des femmes et sous la pluie de piécettes, jusqu'à ce que madame Jamila me prenne dans ses bras et m'emmène avec elle vers l'étage. Je crois que j'avais dans les mains les poignées de raisins secs que je n'avais pas lâchées, même quand le marchand m'avait tirée les cheveux et m'avait battue avec sa courroie.
Mais j'avais si peur tout à coup, ou bien c'était l'accumulation de tout ce qui était arrivé ces derniers temps, avec Lalla Asma qui était tombée sur le carreau et Zohra qui m'avait chassée en me volant les boucles d'oreilles qui m'appartenaient. Je me suis mise à pleurer dans l'escalier si fort que je n'arrivais plus à monter les marches. Et madame Jamila qui n'était pas plus grande que moi m'a vraiment portée jusqu'en haut comme si j'étais un petit enfant. Elle répétait contre mon oreille: "ma fille, ma fille" et moi je pleurais encore plus, d'avoir , le même jour, perdu ma grand-mère, et trouvé une maman.
En haut de l'escalier, les princesses (car c'est ainsi que je les appelais au fond de moi, même quand j'ai compris qu'elles n'étaient pas précisément des princesses) m'attendaient avec mille caresses et démonstrations d'amitié. Elles m'ont demandé mon nom, et  elles le répétaient entre elles : Laila, Laila. Elles m'ont apporté du thé fort et des pâtisseries au miel, et j'ai mangé tant que j'ai pu.Ensuite elles m'ont fait un lit dans une grande pièce sombre et fraîche, avec des coussins disposés par terre, et je me suis endormie tout de suite dans le brouhaha de l'hôtel, bercée par le grincement de la musique d'un poste de radio dans la cour. C'est ainsi que je suis entrée dans la vie de madame Jamila la faiseuse d'anges et de ses six princesses.
Le Point de vue de l'enfant

Ce récit se fait sous le point de vue d'une petite fille et le style qui épouse le vocabulaire et les sentiments de la fillette est le reflet de sa naïveté,  de sa vision incomplète et approximative du monde.
Un style et un vocabulaire enfantin  :
les "dames" de l'étage;  et moi je pleurais encore plus... trouvé une maman; des injures que je n'avais jamais entendues; j'ai mangé tant que j'ai pu... Lalla Asma qui était tombée sur le carreau
une vision manichéenne :
il y les bons: madame Jamila, les dames de l'étage, les princesses
et les méchants : Zorha qui m'avait chassée en me volant mes boucles d'oreilles; le marchand..
Une vision du monde qui s'apparente au conte de fées :
avec des personnages hors du commun : les six princesses, madame Jamila,  protectrices dotées d'une force extraordinaire qui font fuir l'ennemi : et lui reculait, hébété sous les lazzis des femmes,  des héroïnes capables d'accomplir des exploits : et madame Jamila qui n'était pas plus grande que moi m'a vraiment portée jusqu'en haut.. des dames parées de toutes les qualités, semblables à des marraines-fées :
la pluie de piécettes qui suggére abondance, richesse, générosité
elles m'attendaient avec mille caresses et démonstrations d'amitiés..
Un décor de conte, une caverne d'Ali Baba :
du thé fort et des pâtisseries au miel ; une grande pièce sombre et fraîche, avec des coussins disposés par terre; bercée;  la musique.....

Mais derrière l'enfant,  un autre point de vue, celui de la narratrice, plus âgée, qui corrige le point de vue de l'enfant :
car c'est ainsi que je les appelais au fond de moi, même quand j'ai compris qu'elles n'étaient pas précisément des princesses;
la faiseuse d'anges et ses six princesses...

et  l'art de l'écrivain qui suggère, qui laisse entrevoir une toute autre réalité :

La réalité des personnages :
On devine aisément qui sont ces"dames" qui se donnent en spectacle au balcon de l'étage, qui  invectivent, crient des injures grossières, envoient des projectiles, sont capables de faire reculer cet homme sous les lazzis vulgaires
Madame Djamila , accoucheuse, avorteuse, mais aussi maîtresse de la maison, patronne des filles comme le souligne le possessif : "ses" six princesses.
La réalité du décor :
un hôtel  de passe  dans un quartier populaire : un  lit improvisé à même le sol, le brouhaha, le grincement de la musique, la radio dans la cour
La réalité d'une enfance triste , misérable  et sacrifiée :
Une petite fille sans parent, qui vient de perdre son seul soutien, sa grand mère,  effrayée, chassée de chez elle, affamée,  battue... Une enfant malheureuse qui ne sait plus ce qu'elle fait, qui souffre...
Je crois que j'avais dans les mains les poignées de raisins secs que je n'avais pas lâchées, même quand le marchand m'avait tirée les cheveux et m'avait battue avec sa courroie ; c'était l'accumulation de tout ce qui était arrivé ces derniers temps; Mais j'avais si peur tout à coup; Je me suis mise à pleurer ; je pleurais encore plus..
La tendresse de l'écrivain pour ces personnages du peuple :
Car l'amour que va rencontrer Laila, ce n'est pas chez les bourgeois aisés qu'elle va le trouver, mais chez madame Jamila et ses filles. Ces femmes considérées au plus bas de l'échelle sociale vont, en effet, donner à Laila leur amour, un foyer, la sécurité. Ce sont elles qui possèdent la vraie générosité car c'est celle du coeur. C'est pourquoi les piécettes qu'elles lancent sur le marchand ambulant peuvent bien figurer aux yeux de la fillette comme une pluie d'or, l'endroit où elles installent l'enfant, un palais des Mille et une nuits, le miel et les pâtisseries, un repas merveilleux. En ce sens, elles sont vraiment les marraines d'un conte de fées pour l'enfant.
Un très beau roman, donc!


Texte publié de mon ancien blog vers celui-ci.

vendredi 26 août 2011

Kundera : La plaisanterie


Je viens de lire La Plaisanterie (1967) de  Milan Kundera dans une traduction révisée  par Claude Courtot et l'auteur lui-même.  Milan Kundera explique, en effet, qu'il a été horrifié par une  première traduction française qui ne respectait pas son style et même réécrivait le roman. C'est pourquoi  il a revu le texte français une première fois en 1980, une autre en 1985 avec l'aide de Claude Courtot. Dans une note à la fin de cette édition, il déplore que ce livre, sorti en France au moment de l'invasion de Prague par l'armée russe, n'ait été lu que d'un point de vue politique, dans l'éclairage de l'actualité et il ajoute : "Or aujourd'hui les rumineurs de l'actualité ont depuis longtemps oublié le Printemps de Prague ainsi que l'invasion russe. Grâce à cet oubli, paradoxalement, La Plaisanterie va pouvoir redevenir enfin ce qu'il a toujours voulu être : roman et rien que roman."
Hélas! j'ai bien peur -  pour moi qui viens de lire le livre si tôt après les révélations faites sur le passé de Kundera et sur sa possible dénonciation d'un jeune homme opposé au régime-  que l'actualité ne m'ait rejointe et c'est sous cet éclairage  politique que j'ai d'abord reçu ce roman!  Mais pas seulement! Car La Plaisanterie, on s'en rend compte assez vite, dépasse l'actualité et se révèle être une réflexion sur l'homme en général et sur le sens que celui-ci peut donner à sa vie.
Les premières questions qui viennent à l'esprit en lisant La Plaisanterie concernent les rapports de l'individu avec un régime totalitaire? Comment celui-ci est-il amené à adhérer à l'idéologie en place, sacrifiant parfois amitiés, amours, conscience? Qu'est-ce qui explique qu'une dictature puisse avoir un tel pouvoir sur l'individu? Pourquoi la délation est-elle une constante dans un tel système?
Comment ne pas voir, en effet, qu'un des thèmes centraux du récit est la trahison :
Dans La Plaisanterie, une jeune fille, Marketa, suit un stage de formation du parti. Son amoureux, un brillant étudiant communiste, Ludvik Jahn, lui envoie en guise de plaisanterie et pour se  moquer de son enthousiasme de néophyte, une carte avec quelques mots qui, pris au premier degré, font de lui un ennemi du régime. Commencent alors la mise à l'écart, l'inexorable défection des amis, leur trahison, sa condamnation lors d'un procès mené par un autre étudiant Pavel Zamenek, jusque là son ami. Ludvik, exclus du parti, interdit d'études, est envoyé à l'armée, dans un corps disciplinaire qui rassemblent les ennemis du régime, et doit travailler à la mine. Sa vie, brisée, va être désormais marquée par la haine et la vengeance. L'intérêt du roman est encore renforcé par le changement de point de vue selon que Ludvik, Héléna, Jaroslav ou Kostka présentent le récit. Cette variation de focale permet de pénétrer dans la conscience de chacun et d'avoir plusieurs visions des évènements donc plusieurs "vérités".
Nous découvrons les facettes multiples et complexes des personnages et les motivations  de leur trahison qui révélent parfois les recoins les plus noirs de l'âme humaine :  l'intérêt, l'ambition, la fascination du pouvoir, le fanastisme autrement dit la certitude d'avoir raison et l'idée que la fin justifie les moyens, la lâcheté, l'égoïsme, la peur d'être mis au ban de la société ...  mais d'autres aspects, pourtant,  sont, à priori, tout à fait positifs : La révolte contre l'injustice, l'idéalisme, la fidélité à une idée, la foi en une société meilleure...  Ainsi Marketa n'a aucune honte d'avoir montré la carte de Ludvik Jahn aux camarades de la direction qui surveillent le courrier. Communiste, elle a foi dans le parti à l'égal d'un fanatique envers sa religion. Elle juge  le jeune homme coupable donc elle le dénonce mais, par honnêteté, elle refuse de céder à la pression de Pavel Zemenek,  qui, lui,  apparaît comme un vaniteux, ambitieux qui aime plaire et qui jouit du  pouvoir qu'il exerce sur les autres. Elle est prête à soutenir Ludvik s'il s'avoue coupable, agissant selon un stéréotype romantique un peu ridicule. Mais dans tous les cas, elle reconnaît au Parti le droit de surveiller ses pensées et sa vie privée puisque la réussite du communisme et du bonheur des peuples dépendent de ce contrôle. Tout se passe, en effet,  comme si le parti s'emparait de la conscience de l'individu qui ne s'appartient plus, perd son sens critique, sa liberté et devient conformiste par obligation ou par choix. Il doit se couler dans un moule et si, comme Ludvik, il n'y parvient pas tout à fait, les séances de critiques et d'autocritiques sont là pour le remettre dans le droit chemin. C'est ainsi que Ludvik se voit reprocher des "résidus d'individualisme", "son mauvais comportement avec les femmes" "sa froideur envers autrui".
"Et comme une étrange fatalité, un tel germe veillait sur la fiche de renseignements de chacun, oui, de chacun d'entre nous."  
Le roman est donc une analyse fouillée de la manière dont un régime totalitaire broie l'individu dans une société où  la victime finit toujours par se sentir coupable et par collaborer avec son bourreau et cela quel que soit le pays ou l'origine de la dictature, communisme, nazisme, totalitarisme religieux ...  et cette desciption n'est donc pas seulement liée à l'histoire de Prague et de la Tchécoslovaquie.
Mais le roman est aussi une réflexion générale sur la vie, sur la vacuité de l'existence, la déréliction des individus dans un monde que ne semble être qu'une gigantesque farce, vision pessimiste et noire d'une société où l'amour semble impossible, où l'amitié ne peut survivre, où la souffrance est intense mais profondément inutile et surtout pas rédemptrice. Même la haine échoue car Ludvik, incapable d'aimer  -il brutalise Lucie et la perd - est animé par une haine qui reste sa seule raison de vivre mais qui lui échappe :
"Comment lui expliquer que je peux pas me réconcilier avec lui?(Zamenek) Comment lui expliquer qu'en le faisant je romprai mon équilibre intérieur. Comment lui expliquer que ma haine envers lui contrebalance le poids du mal qui est tombé sur ma jeunesse.. Comment lui expliquer que j'ai besoin de haïr""
Son ennemi a changé de camp et reconnaît ses torts, tous les idéaux de sa jeunesse se dégonflent comme des ballons de baudruche, même le vocabulaire véhiculant des idées pour lesquelles il a tant souffert, n'a plus cours. La jeune maîtresse de Zemenek juge que c'est un vocabulaire de vieux. L'art populaire qu'il a défendu avec son ami musicien Jaroslav ne rencontre que désintérêt; la jeunesse sans idéal, bruyante et vulgaire, se saoule dans les bars.
Il y a un ironie féroce dans ce roman. La vie est absurde : Ludvik passe à côté de l'amour véritable, celui de Lucie, trop habité par la haine qu'il cultive en lui. Sa "vengeance" pitoyable et mesquine envers Zemenek se retourne contre lui -encore une autre mauvaise plaisanterie- et c'est justice puisqu'il se sert d'Héléna comme d'un objet, sans avoir aucune considération pour ses sentiments. Héléna rate lamentablement son suicide. L'on ne sent aucune tendresse de l'auteur pour ses personnages. Il les maltraite constamment, les amène jusqu'au bout de leur vie pour mieux nous faire ressentir combien ils sont passés à côté d'elle en privilégiant ce qui est secondaire et non ce qui est essentiel. Ludvik en fait le constat lucide :
"Nous vivions Lucie et moi dans un monde dévasté; et faute d'avoir su le prendre en pitié, nous nous en étions détournés, aggravant ainsi et son malheur et le nôtre. Lucie si fort aimée, si mal aimée, c'est cela que tu es venue me dire au bout des ans? plaider la compasion pour un monde dévasté?"
Jaroslav lui-même, le personnage le plus sympathique du roman rate sa mort car celle-ci, non plus, n'a pas de sens "et l'idée m'envahit qu'un destin souvent s'achève avant la mort, que le moment de la fin ne coïncide pas avec celui de la mort.." 
Ce qui a paru avoir une signification se vide de son contenu et c'est en cela que La Plaisanterie rejoint l'universel car le roman pose la question qui est celle de tout homme au moment du bilan: pourquoi ai-je vécu?

lundi 22 août 2011

Jim Thompson : Le lien Conjugal


Le Lien conjugal de Jim Thompson est un roman noir qui offre une vision pessimiste de l'humanité : gangsters sans scrupules, meurtriers sans états d'âme, sans code de l'honneur en vigueur pourtant, à ce qu'on dit, dans le milieu. Dans ce roman, on tue celui qui fut un partenaire s'il a cessé de vous convenir ou de vous servir, ou si l'on commence à avoir des doutes sur lui... et les doutes ne manquent pas.
Carter Mc Coy, dit Doc, vient de sortir de prison et organise un braquage avec l'aide de sa femme, Carol, de son associé Ruddy Torrento et d'un "bleu" qui apprend le métier mais sera supprimé à la première occasion.
Les trois personnages vont fuir dans une course à travers les Etats-Unis qui doit les amener à franchir la frontière. Si Ruddy Torrento surnommé Crâne de Tarte en raison de sa tête aplatie, est une brute primaire mais dangereuse, marquée par une enfance aux mains de tortionnaires, Doc représente le cerveau. Il est réfléchi, intelligent, chanceux et sympathique et sait utiliser ses qualités pour gagner les gens à sa cause, endormir la méfiance. Il est très amoureux de sa femme et réciproquement; Carol n'a pas plus de scrupules que lui lorsqu'il s'agit de se débarrasser de ceux qui les gênent. Mais la méfiance va naître entre eux et ils vont arriver à avoir peur l'un de l'autre.
L'auteur témoigne d'une grande maîtrise d'écriture, en particulier, pour ne citer qu'une scène, lorsque Carol, obligée de se cacher dans une caverne, pénètre dans un boyau rocheux, long et étroit, et doit y demeurer, allongée, pendant quarante-huit heures dans une obscurité  totale. Elle est alors en proie  - et le lecteur avec elle- à une crise de panique insurmontable. Le style est si précis, si violent, faisant appel à tout le vocabulaire des sens, que nous sommes plongés dans l'angoisse, suffoquant comme si nous étions enfermée vivants dans un cercueil dont il serait impossible de soulever le couvercle.
La plus grande partie du roman est très réaliste mais finit en fable : Le manipulateur sera manipulé, trouvera plus fort que lui et recevra le juste châtiment. Ainsi, le couple Mac Coy parviendra à atteindre un pays sur lequel règne un tyran qui les oblige à dépenser toute leur fortune pour lui, les déshumanise toujours un peu plus, jusqu'au moment où, ruinés, ils finiront par être rejetés et détruits. Vision d'une société avide de profit, qui ne s'intéresse qu'aux riches, qui exploite les individus, les pousse à la consommation avant de les consommer eux-mêmes quand ils n'ont plus de raison d'être! Vous avez dit... Capitalisme?

vendredi 19 août 2011

Milan Kundera : L’ignorance



L'ignorance met en scène deux émigrés d'origine tchèque, l'une, Iréna, installée à Paris, l'autre, Josef, au Danemark. Tous deux se retrouvent dans l'avion qui va les ramener à Prague après vingt ans d'exil. Dans cette Tchéquie post-communiste, ils partent à la recherche de leur passé respectif, de leur famille, de leurs amis et de leurs souvenirs.
C'est le thème du Grand Retour à la manière d'Ulysse qui lui aussi pendant vingt ans n'a eu de cesse de regagner Ithaque et de retrouver Pénéloppe, le thème de la nostalgie glorifiée par Homère mais qui, somme toute, nous dit Milan Kundera, se révèle bien décevante car il est impossible de faire revivre le passé
"On ne comprendra rien à la vie humaine si on persiste à escamoter la première de toutes les évidences : une réalité telle qu'elle était quand elle n'est plus, sa restitution est impossible."
La mémoire est incapable de ressusciter le passé car elle n'a pas de dimension temporelle. Elle est figée sur des images immobiles qui ne se déroulent pas puisqu'elles n'ont pas la durée. C'est en vain, par exemple, que Josef va essayer de faire revivre les souvenirs de sa femme disparue.
Le roman de Kundera nous livre donc une réflexion sur la mémoire humaine pour en constater la pauvreté.
"Elle n'est capable de retenir du passé qu'une misérable petite parcelette sans que personne ne sache pourquoi justement celle-ci et non pas une autre, ce choix, chez chacun de nous, se faisant mystérieusement, hors de notre volonté et de nos intérêts"
Ainsi Iréna se souvient très bien de Josef qui était amoureux d'elle et à qui elle a renoncé pour épouser son fiancé, Martin, dont elle maintenant veuve. Elle a toujours eu l'impression d'être passée à côté du grand amour. Josef, lui, ne se souvient pas du nom d'Iréna même s'il feint le contraire par politesse d'abord et peut-être aussi par calcul, plus tard, pour mieux la mettre dans son lit. Comment expliquer ses particularités de la mémoire?
"L'un se souvient de l'autre plus que celui-ci ne se souvient de lui; d'abord parce que la capacité de la mémoire diffère d'un individu à l'autre(....) mais aussi parce qu'ils n'ont pas l'un pour l'autre la même importance.
Le retour d'Iréna et de Josef dans leur pays natal est donc un échec et ils vont de même échouer dans la tentative de nouer entre eux des liens amoureux. Chacun retournera dans son pays d'accueil avec la certitude d'avoir été floué. C'est ce qu'a dû éprouver Ulysse en rentrant auprès des siens.
Alors de quoi peut-on être certain? Cerainement pas de l'avenir qui se dérobe à nous :
 Toutes les prévisions se trompent, c'est l'une des rares certitudes qu'il a été données à l'homme. Mais si elle se trompent, elles disent vrai sur ceux qui les énoncent, non pas sur leur avenir mais sur leur temps présent; Pendant ce que j'appelle la première vingtennie (entre 1918 et 1938) les Tchèques ont pensé que leur République avait devant elle un infini. Ils se trompaient mais, justement parce qu'ils se trompaient, ils ont vécu ces années dans une joie qui a fait fleurir leurs arts comme jamais auparavant. Après l'invasion russe, n'ayant pas la moindre idée de la fin prochaine du communisme, de nouveau ils se sont imaginé habiter un infini et ce n'est pas la souffrance de leur vie réelle mais la valeur de leur avenir qui a pompé leurs forces, étouffé leur courage et rendu cette troisième vingtennie si lâche, si misérable.
Donc le présent est tout aussi difficile à appréhender que l'avenir.
L'homme ne peut être sûr que du moment présent. Mais est-ce bien vrai? Peut-il vraiment le connaître, le présent? est-il capable de le juger? Bien sûr que non. Car comment celui qui ne connaît pas l'avenir pourrait-il comprendre le sens du présent? Si nous ne savons pas vers quel avenir le présent nous mène, comment pourrions-nous dire que ce présent est bon ou mauvais, qu'il mérite notre adhésion, notre méfiance ou notre haine?
Ainsi, au final, la seule certitude que nous puissions avoir est celle de notre ignorance à propos du monde qui nous entoure et de ce que nous sommes.
Je viens de noter ici ce que le roman -du moins tel que je l'ai compris et reçu- signifie pour moi; maintenant, il y a ce que j'ai ressenti. Les deux livres de Milan Kundera dont je parle dans ce blog La Plaisanterie et l'Ignorance sont riches à analyser, on a l'impression de ne pas arriver à les saisir dans leur intégralité, c'est donc un plaisir pour l'intelligence; mais pas un plaisir pour les sentiments. Le pessimisme de Kundera est tel que je referme toujours ses romans avec le moral en berne. Les personnages sont affectivement desséchés, ils n'ont aucune chance d'être heureux, de trouver un sens à leur vie. Les rapports humains oscillent entre l'indifférence ou l'égoïsme, l'envie ou la haine. Les rapports amoureux sont fichus d'avance. Les femmes, parfois, veulent y croire, sont plus sincères, mais en vain. Elles apparaissent souvent comme des victimes des hommes, ceux-ci étant particulièrement odieux. Tous sont des êtres tourmentés, enfermés en eux-mêmes, dans un monde qui n'a rien à envier à l'enfer dantesque.

jeudi 4 août 2011

Christian Bobin : Le surgissement de l’écriture

 


Photo Edouard Boubat


Tout peut provoquer le surgissement de l'écriture - une perte, une joie, les ombres chinoises de la mémoire, une baleine blanche, la guerre de Troie, une odeur de lilas, mais le sujet réel des livres, leur sujet unique, c'est le lecteur à l'instant où il lit et le bouleversement qui lui vient de cette lecture, comme des retrouvailles de soi avec soi.


 Avec Chiffonnette

mercredi 27 juillet 2011

Christian Bobin : Autoportrait au radiateur (citation)



De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) et me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.

Nouvelle énigme

Il s'agit d'un roman contemporain avec deux personnages principaux très différents l'un de l'autre :

LUI :

La  descente dans l'Averne est facile : nuit et jour la porte du sombre Dis est ouverte... Il sourit à ces vers de Virgile flottant à sa conscience comme l'écume sur une rivière. Il se dit qu'il n'avait pas peur : son âme était aussi coriace que le cuir de ses plus vieilles bottes.
Il engagerait quelqu'un pour habiter chez lui. Il avait d'ailleurs réellement besoin d'un assistant pour son projet de traduction.


ELLE :

Elle avait l'air trop sérieux et trop abattu pour être une prostituée, et vraiment pas assez glamour, malgré des cheveux blond cendré qui lui tombaient aux épaules et un visage jeune, sensuel, frappant; rond et aussi mou que de la pâte à pain. Sa peau était blanche à l'exception d'une marque magenta en forme de papillon sur la joue droite. Elle avait les yeux meurtris, les paupières tombantes, et sa petite bouche luisante béait comme si elle respirait rapidement par là, une respiration à la fois superficielle et accélérée.


Réponse à l'énigme 






Et oui il s'agit d'un extrait du texte de Christian Bobin : Autoportrait au radiateur.
Aifelle, Wens,  l'Ogresse de Paris ont gagné!

Je n'écris pas un journal mais un roman. Les personnages principaux en sont la lumière, la douleur, un brin d'herbe, la joie et quelques paquets de cigarettes brunes." Christian Bobin écrit donc le roman d'une année, décrivant la vie comme elle va, le temps comme il passe. Les mots suivent le temps des fleurs, le temps d'une cigarette, le temps de l'enfance, le temps de l'absence. Des mots simples, de la joie ou de la tristesse, qui font gagner à l'écrivain le pari d'une écriture du silence (Note de l'éditeur)

dimanche 24 juillet 2011

Jeanne Benameur : les demeurées



La Varienne est domestique. Elle est demeurée, "abrutie", disent les gens, autour d'elle. Elle exécute ses tâches quotidiennes régulièrement, mais sous l'enveloppe charnelle, il n'y a rien, pas de lueur d'intelligence, un corps sans conscience.  La Varienne a une fille, Luce, qu'elle l'adore. Entre la mère et la fille existe un amour étroit, une symbiose qui se passe de mots. Tous deux vivent heureuses dans leur univers borné mais leur tranquillité vole en éclats quand Luce est scolarisée. La Varienne souffre d'être séparée de sa fille. La petite résiste à l'instruction par fidélité à sa mère.  L'institutrice, Mademoiselle Solange, ne veut pas s'avouer vaincue. Alors que tout le village penche pour une sorte de déterminisme : à  mère demeurée, fille de même, elle essaie d'arracher Luce à l'ignorance; elle cherche à percer les brumes de sa conscience pour la faire émerger dans un monde signifiant. Son insistance va provoquer un drame. Pourtant après la mort de l'institutrice,  l'on s'aperçoit que les leçons de l'enseignante ont porté leurs fruits, l'enfant accède à l'intelligence, au savoir.
Cette courte histoire très forte est distillée à petites phrases brèves, avec une économie de mots, une retenue qui peint le quotidien simple et rituel, le manque de réflexion qui préside aux actes de ces deux femmes prises dans la gangue de l'ignorance.  Le présent de l'indicatif est celui de l'habitude, des gestes que l'on accomplit sans réfléchir tellement ils sont machinaux, familiers.

Abruties, elles vivent une lourdeur opaque dans le crâne, fleur endurcie en bouton, qui fait bosse... Le monde est opaque, seulement familier dans la buée de la cuisine, la main tenant la louche ou soulevant la casserole pleine d'eau qui bout.

Mais l'amour qui les lie est une  forme de bonheur qui s'ignore, fait de gestes, de rituels, pas besoin d'autres communications que le contact.

Chaque jour la mère passe l'eau froide  sur la serviette dans le cou, derrière la tête, sous les lourds cheveux relevés.

J'ai beaucoup aimé les passages exprimés de manière si poétique au cours desquels Luce, qui a un réel talent de brodeuse, écrit avec des fils de toutes les couleurs les lettres de l'alphabet, ceux-ci s'organisent en mots dans sa tête, la fillette découvre la lecture, un moment de pure magie .

Les mots ont beau avoir été  lancés de toutes ses forces jusqu'en haut des arbres. Les mots ont beau avoir été piétinés sur le chemin, ils sont là. Ils ont fait leur nid dans sa tête.
 Maintenant ils reviennent furtivement appelés par le fil et l'aiguille.
Ils sont là.


Un beau livre, plein d'émotion.

Voir Alice, livres de Malice

Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes



 De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris dans le blog de Cagire et dans le mien.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas. On ne gagne rien sinon le plaisir et je cite le lendemain les noms de ceux qui ont trouvé l'énigme. Bon, je sais, il suffit d'un clic sur la toile pour trouver la réponse mais je sais aussi que si vous aimez jouer comme moi, vous vous plairez à deviner le nom de l'auteur et du roman  par vous-même  d'abord, le plus vite possible ensuite et c'est juste dans ces secondes-là que réside le plaisir de trouver pour soi uniquement la bonne réponse : retrouver le titre d'un roman comme on retrouve le nom d'un ami  ancien qu'on n'a pas vu depuis très longtemps... Bref, on joue ici avec sa mémoire  et puis on me le dit, comme ça, par amitié!  
 

Nouvelle énigme

Trouverez-vous d'où est extrait ce passage?

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses et dépravées; le monde n'est qu'un égout sans fond ou les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.


 Réponse à l'énigme de samedi


Marie Ndiaye




 Lystig et Aifelle ont gagné!
Marie Ndiaye est née à Pithiviers d'une mère française et d'un père sénégalais. Avec Trois femmes puissantes elle a obtenu le Prix Goncourt en 2009.

Les trois femmes s'appellent Norah, Fanta et Khady Demba et sont chacune le personnage principal des trois parties de ce roman.

Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s'appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Norah, la quarantaine, arrive chez son père en Afrique. Le tyran égocentrique de jadis est devenu mutique, boulimique, et passe ses nuits perché dans le flamboyant de la cour. Fanta enseigne la français à Dakar, mais elle a été obligée de suivre en France son compagnon Rudy. Rudy s'avère incapable d'offrir à Fanta la vie riche et joyeuse qu'elle mérite. Khady Demba est une jeune veuve africaine. Sans argent, elle tente de rejoindre une lointaine cousine, Fanta, qui vit en France. Chacune se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible. (Résume de Evènement)

 Le style de Marie Ndiaye se caractérise par de longues phrases sinueuses qui semblent épouser le cheminement de la pensée et par l'intrusion dans le réalisme d'une part d'irrationnel, de fantastique.
Ce passage est situé au début du roman quand Norah revient au Sénégal pour rencontrer son père qu'elle n'a plus revu depuis des années. Voir billet ici

samedi 23 juillet 2011

Marie Ndiaye : Trois femmes puissantes

Marie Ndiaye

 

 

  A l'occasion du jeu de l'été où j'ai cité un passage de Trois femmes puissantes, je republie cet article de mon ancien blog vers le nouveau.

Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, publié chez Gallimard, a reçu le prix Goncourt 2009. A priori, le sujet m'attirait et j'avais envie aussi de voir ce qu'il en était de la controverse entre la majorité du jury du Goncourt et Jorge Semprun (un auteur que j'admire) quant au bien fondé de l'attribution de ce prix.
J'ai voulu me faire une idée personnelle.
Trois femmes puissantes : le titre annonce la couleur. il s'agit de trois récits présentant tout à tour des femmes qui, par leur refus de se soumettre à l'adversité et leur volonté de préserver leur dignité, parviennent, alors même qu'elles sont des victimes, à être plus fortes que ceux qui les humilient : des femmes puissantes, donc, ce qui célèbre la force de l'esprit sur la force brute.
Norah est en visite à Dakar, chez son père, à sa demande expresse. Celui-ci ne l'a jamais aimée. Il a quitté la France en abandonnant sa femme et ses deux filles et en arrachant Sony, son fils, à sa mère et à ses soeurs pour l'amener chez lui, au Sénégal. Toute la famille a été brisée par cet acte égoïste et contre-nature et depuis cette rupture, depuis ce déchirement, "un démon s'était assis sur son ventre et ne l'avait plus quitté".
Norah est maintenant avocate et son père a besoin d'elle pour prendre la défense de Sony accusé d'avoir assassiné sa belle-mère. Norah va trouver en elle la force de surmonter le traumatisme de l'enfance et le courage de sauver son frère, innocent.
J'avoue que j'ai été assez déconcertée par la conduite de ce récit. J'y suis rentrée très lentement et n'ai pas adhéré tout de suite à l'histoire car le style, froid et élégant, composé de longues phrases qui nous entraînent dans le labyrinthe d'une pensée qui se cherche, crée une résistance. Puis au moment où les personnages commençent à m'intéresser et où je me sens impliquée, voilà que c'est terminé! Le récit suivant commence! J'aurais voulu comprendre la psychologie du personnage, en savoir plus sur le cheminement qui lui permet de prendre le dessus, m'intéresser à son combat. Or, j'ai eu l'impression d'une ellipse, de quelque chose qui se dérobait, d'une volonté de l'auteur de ne pas nous montrer la logique du personnage, de ne pas aller au bout du récit  Je sais bien, la littérature classique française nous a habitués à pénétrer dans la pensée des personnages par le truchement d'un narrateur omniscient qui nous en donne toutes les clefs mais il n'en est jamais ainsi dans la réalité. Chaque être garde sa part d'intimité. Il est donc légitime de la part de Marie Ndiaye de vouloir préserver le mystère de ses personnages mais je me suis sentie pourtant en état de manque.

Le second récit, celui que j'ai le plus aimé parle de Fanta. La jeune Sénégalaise, ramenée en France - où elle n'a pu s'intégrer- par son mari, Rudy, n'apparaît jamais directement dans le récit. Elle est vue selon le point de vue de Rudy (et à la fin de sa voisine). C'est à travers le regard de cet homme que se dessine le portrait d'un petit bout de femme inflexible, qui refuse d'abdiquer sa dignité, de feindre des sentiments qu'elle n'éprouve plus face à la violence de son mari. Le personnage de Rudy, haineux, désespéré, plein de fureur, est complexe. Il est à la fois odieux, pitoyable et attachant. J'ai bien aimé comment se révèlent peu à peu les véritables raisons de son échec et de sa déchéance, un peu comme des morceaux de puzzle qui s'emboîteraient ... Comment lui aussi parvient à régler ses comptes avec son père (un leit-motiv?) et sa mère, et s'affranchir de son passé.
Ce récit m'a paru plus achevé que le précédent même si tout n'est pas dit et s'il soulève des interrogations. Quelle est cette buse vindicative qui s'attaque à Rudy à plusieurs reprises? Faut-il y voir une irruption du fantastique dans un récit pourtant très réaliste? L'oiseau semble symboliser la volonté et la puissance de Fanta mais au moment où l'on croit qu'il n'est qu'une projection de l'esprit de Rudy en proie au délire, il est aussi perçu par l'enfant. Et comment peut être interprété le sourire de Fanta à sa voisine dans le dénouement? comment sait-elle que son mari lui ramène son fils? Est-ce une promesse d'un bonheur retrouvé? Et là, contrairement au précédent, j'aime bien que l'écrivain nous laisse à nos interrogations et ne nous conduise pas par la main.

La dernière histoire, celle de Khady Demba, est la plus rapide, la plus brutale. C'est le parcours d'un jeune fille chassée par la famille de son mari défunt et qui a pour seule issue de quitter son pays clandestinement. Les violences, les souffrances physiques et morales qu'elle subit au cours de ce voyage vers une terre d'accueil qu'elle ne verra jamais ne pourront venir à bout de la conscience de son identité et du caractère unique de sa personne, elle... Khady Demba!
Le récit qui est pourtant le plus tragique des trois m'a paru froid. Il est extrêmement maîtrisé et bien écrit (encore une très belle image d'oiseau entre autres) avec un refus de la dramatisation évident. Mais mon admiration pour l'art de l'écrivain a été purement intellectuelle et je ne suis pas parvenue à éprouver de l'émotion et à participer entièrement.

samedi 2 juillet 2011

Joyce Carol Oates et Ian MC Ewan : Chutes (2) ; Sur la plage de Chesil

 J'ai découvert des correspondances certaines entre le roman de Carol Joyce Oates : Chutes et celui de Ian McEwan :  Sur la plage de Chesil.
Tous deux parlent  de jeunes mariés en voyage de noces, l'un aux Etats-Unis en 1950, l'autre en Angleterre, en 1962, une nuit de noces qui sera sans lendemain pour les deux couples. Tous deux seront en effet, des victimes de leur époque  et de leur milieu.  Si le récit de cette nuit de noces ne couvre que la première partie du long roman de Joyce Carol Oates, et ne représente qu'un moment rapide (mais décisif) de la vie de son héroïne, Ariah, il constitue par contre  le corps du court roman de Ian McEwan, le reste de la vie des personnages, Florence et Edward, étant résumé en quelques pages.
Les deux récits sont construits de la même manière avec des retours en arrière qui renseignent sur le passé, le milieu social, le caractère, les sentiments des personnages.
Pour le couple américain tous deux issus de milieux protestant puritains -lui est un pasteur évangéliste-  le sexe, considéré comme un péché, est une souillure. L'absence d'amour entre le couple, sa peur de la damnation, les non-dits sur les tendances homosexuelles du mari, tout va les conduire à un dénouement tragique. Le couple anglais, à priori, paraît moins marqué par le puritanisme et l'empreinte judéo-chrétienne, il doit surmonter pourtant tout autant d'inhibitions. Les années soixante sont encore une période où la sexualité est tenue secrète, où l'on cache la vérité sur la procréation aux enfants, sur les règles des filles aux garçons.. Les rares manuels d'éducation sexuelle sont maladroits et finalement malsains. Le sexe est associé à la peur d'avoir des enfants par "accident", à la crainte du contact physique ou d'échouer dans l'acte sexuel, de se ridiculiser. Pourtant si l'on devait parier sur l'un ou l'autre couple, j'aurais choisi celui de Mc Ewan car Florence et Edward ont une attirance physique l'un envers l'autre et s'aiment au contraire du couple de Oates qui n'éprouvent qu'un dégoût physique l'un envers l'autre assorti à un sens du devoir et des convenances peu réjouissant.
Les lieux éponymes des deux romans témoignent de l'influence déterminante qu'ils vont avoir sur l'avenir de ces jeunes mariés. Les Chutes du Niagara pour l'un, la plage de Chesil dans le Dorset, pour l'autre, vont consacrer la rupture du couple et décider de son avenir...
Le Niagara, fleuve à l'égal d'un Dieu, dans le roman de Oates, apparaît, en, effet, comme un personnage à part entière, obsédant par sa formidable présence, symbolique du destin des êtres humains qui gravitent autour de lui sans pouvoir lui échapper. Les chutes sont le symbole de la toute puissance de la Nature et de la Mort présentée comme un fléau et une délivrance à la fois. On dirait même qu'il s'impose comme la seule solution au mari d'Ariah. La plage de Chesil est présente, elle aussi, dans la soirée du couple; d'abord comme un paysage attrayant mais inacessible. Ils le contemplent par la fenêtre  lorsqu'ils sont à table mais n'osent se lever car ils sont retenus par les conventions sociales et gênés par les serveurs qui s'agitent autour d'eux.
Edward ne restait  pas insensible à cet appel venant de la plage, et, eut-il su comment faire ou justifier une telle suggestion, il aurait proposé de sortir sans plus attendre."
La plage représente donc un interdit que le couple s'impose et qui symbolise toutes leurs inhibitions au point de vue sexuel, tout ce qui, dans une éducation hypocrite et conventionnelle, brime la spontanéité et les élans du coeur et du corps. On se dit se dit que si le couple avait cédé à cet appel, il aurait trouvé dans toute cette beauté, "les falaises vertes et nues derrière la lagune, et quelques fragments de mer argentée,  l'air d'une douceur vespérale... la liberté de s'aimer.  Il est donc normal que, puisqu'ils sont trop polis, trop coincés, trop timorés, la plage ne puisse alors qu'être le témoin de leur rupture et de la fin de leur amour..
Ainsi les deux récits se terminent pour les deux couples par un échec à la suite de la nuit de noces. Pour ma part, j'avoue que j'ai été beaucoup plus séduite par le dénouement de Joyce Carol Oates non seulement parce qu'il est d'une puissance hallucinante mais parce qu'il est en accord avec la psychologie des protagonistes, des êtres entiers, tourmentés, exacerbés, marqués par la religion comme par un fer rouge, terrorisés par le sens de la faute et du péché.
Si le roman de Mc Ewan a de la force, je ne suis pas arrivée à adhérer à cette fin sur la plage car elle me paraît un peu superficielle. D'abord, parce que les deux jeunes gens s'aiment, et l'amour aurait pu, on le sent d'ailleurs à plusieurs reprises, leur permettre de surmonter la peur qui est sans commune mesure avec l'angoisse spirituelle qui précipite les héros de Chutes en enfer. Ensuite, parce que, pour justifier la rupture de Florence et Edward, Ian McEwan a dû préciser, dans le passé du jeune homme, sa tendance à l'emportement voire à la colère. Autrement dit si le héros n'avait pas été coléreux, il n'aurait pas brisé son couple. Ce fait paraît artificiel car il n'a rien à voir avec le sujet du roman qui s'énonce ainsi : Ils étaient jeunes, instruits, tous les deux vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient dans des temps où parler des problèmes sexuels était manifestement impossible.

mercredi 15 juin 2011

Blaise Cendrars : Orion dans Au coeur du monde




Le poème Orion appartient à la première partie du recueil de Blaise Cendrars Au coeur du Monde, intitulée Feuilles de route. Il a été écrit au cours d'un voyage sur l'océan. Le poète passait sa nuit sur le pont et observait sa constellation Orion qui évoquait pour lui la guerre et sa mutilation. Plus tard, il écrira La Main coupée (1946) deuxième volume d'une Tétralogie de Mémoires.



Orion
C'est mon étoile
Elle a la forme d'une main
C'est ma main montée au ciel
Durant toute la guerre je voyais Orion par un créneau
Quand les Zeppelins venaient bombarder Paris ils
venaient toujours d'Orion
Aujourd'hui je l'ai au-dessus de ma tête
Le grand mât perce la paume de cette main qui doit
        souffrir
Comme ma main coupée me fait souffrir percée qu'elle
        est par un dard continuel

Blaise Cendrars  Au coeur du monde (1924-1929)


Les compagnons Troubadours du dimanche :
Edelwe, Mango, Abeille, Emmyne, Chrestomanci, Mariel, Laurence , Ankya, Herisson08, Anjelica , George, Uhbnji , Fleur, Esmeraldae, Armande, Satya, Zik, Lystig, Amos, Bookworm, Emma, Julien, Marie, Yueyin , Soie , Alex , Hambre , Katell , Mathilde, Schlabaya, Hilde, Saphoo, La plume et la page, Tinusia, Chrys, Roseau, MyrtilleD, Cagire, Caro[line], L’or des chambres, Violette, claudialucia, Séverine, Maggie, Sev, Azilis.