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dimanche 6 octobre 2019

John Mead Falker : Le blason de lord Blandemer


Le blason de Lord Blandamer de John Meade Falker est un livre que j’ai trouvé  dans une brocante. Je ne l’aurai peut-être jamais acheté si je n’avais  reconnu le nom de l’auteur de Moonfleet, un livre d’aventures passionnant dont le héros est un enfant. Ce roman a été adapté par Fritz Lang sous le titre Les contrebandiers de Moonfleet, film qui fit le bonheur, dans leur enfance, de mes filles et de leurs parents.

John Meade Falker réunit dans Le blason de lord Blandemer trois de ses passions, l’architecture médiévale, la musique religieuse et l’héraldique.
J’ai d’abord été étonnée. Voilà un livre destiné à nous faire frémir, mystère, malédiction, assassinat, à la manière des romans anglais du XIX siècle mais dont le sujet semble être aussi et tout autant la description détaillée et amoureuse de la cathédrale de Cullerne, une petite ville du sud de l’Angleterre ;  un exposé enthousiaste sur la musique d’orgue avec partitions à l’appui, choeurs et description de l’instrument en mauvais état, accompagné des plaintes et jérémiades du vieil l’organiste, Mr Sharnall, qui rêve d’un nouveau pédalier et d’un soufflet dernier cri ; et en sus, un savant cours de héraldique … Le tout très complet, parfois long, armez-vous de patience, mais bouillonnant d’enthousiasme ! Et de plus, très cohérent car tous ces éléments se tiennent et permettent de revenir à nos moutons, c’est à dire à l’intrigue policière.

L’histoire ? Westray, un jeune architecte londonien est envoyé par son patron restaurer la cathédrale de Cullerne en si mauvais état que l’on n’ose plus sonner les cloches de peur que le clocher ne s’effondre. Là, dans une chapelle brille le blason nébulé de sinople (lire le livre pour l’explication) de la noble famille des Blandamer. Une malédiction semble poursuivre ceux qui tentent d’élucider le mystère qui leur est attaché. Westray loge dans la pension de Miss Joliffe, vieille dame au grand coeur et très digne malgré ses moyens limités. Elle a une nièce, Anastasia, jolie et romanesque jeune fille qui rêve d’écrire et d’égaler, rien de moins, les soeurs Bronte. Bien sûr, Westray en tombe amoureux mais quand lord Blandemer revient au pays après la mort de son père, celui-ci devient un rival. Ajoutez-y un pauvre fou, Martin Joliffe, qui prétend être le vrai lord Blandemer, un tableau de mauvaise facture dont la valeur est surestimée, des ombres qui semblent poursuivre le vieil organiste et rôdent dans les ruelles sombres de la ville…
Le roman peint avec talent des personnages souvent complexes comme l’organiste vieil alcoolique, aigri, envieux mais ami fidèle et désintéressé. Certains sont attachants comme la vieille Miss Joliffe et son ingénue de nièce, ou déplaisant comme le recteur de la cathédrale, bouffi de vanité, « vieil imbécile », égoïste et cupide; ou encore ambigu comme Lord Blandemer. John Meade Falker dresse un tableau satirique de la société d’une petite ville avec ses mesquineries, ses jalousies, son respect de la hiérarchie non exempt de snobisme.  Finalement, un roman qui sort de l’ordinaire, avec des centres d’intérêt plus que variés, marqué par les passions de son auteur ! A vous d'y adhérer  (ou non)! Tous les ingrédients sont là pour faire un bon roman noir, un peu désuet à la façon de Wilkie Colins, et plein de charme.

lundi 30 septembre 2019

Andrea Wulf : L’invention de la nature (2) Les aventures d’Alexander Humboldt


Naturaliste, géographe, explorateur, Alexander von Humboldt (1769-1859) est le grand scientifique des Lumières. Il a donné son nom à des villes, des rivières, des chaînes de montagnes, à un courant océanique d’Amérique du Sud, à un manchot, à un calmar géant – il existe même une Mare Humboldtianum sur la Lune. (quatrième de couverture)

Alexander Von Humblodt

Il semble que, lorsqu’on lit la présentation de la quatrième de couverture du livre de Andrea Wulf sur Alexander Von Humboldt, l’on n’ait plus qu'à s’étonner qu’un savant aussi célèbre et qui a eu une influence aussi décisive sur nos connaissances, ne soit pas plus connu du grand public de nos jours. Mais c’est que, explique Andrea Wulf : « Humboldt … nous a apporté le concept même de la nature. Ironie du sort, ses réflexions sont devenues si évidentes que nous avons pratiquement oublié l’homme qui en est à l’origine. ».

Le livre passionnant d’Andréa Wulf a le mérite de nous le rappeler et de nous faire découvrir l’homme avec ses forces et ses contradictions. Au cours de ses voyages, il n’a cessé de s’élever contre le colonialisme, l’esclavage, ou de critiquer les mauvais traitements infligés par les missionnaires catholiques aux indigènes. Il soutient la révolution de Simon Bolivar et veut la liberté des peuples;  et pourtant, il reste au service du roi de Prusse pendant des années pour des raisons financières et peut-être aussi parce qu’il a l’espoir de voir naître une monarchie constitutionnelle. C’est un savant qui aime partager ses découvertes et non les garder jalousement, toujours prêt à aider et à financer un jeune collègue. Ceci dit, il était tellement adulé et couvert de gloire qu’il semble être assez infatué de lui-même. Il parle tout le temps, à tout allure, et n’écoute jamais les autres.


C’est aussi un grand scientifique, dont la mémoire et l’intelligence sont phénoménales et dont l’esprit est ouvert à toute nouveauté, un touche à tout de génie qui s’intéresse à toutes les formes de la science, géographie, botanique, vulcanologie, ethnographie, zoologie… Toutes les branches de la science le passionne. Il vibre devant la course des étoiles, expérimente à son détriment l’électricité des anguilles, corrige les erreurs de cartographie, fait appel à son imagination pour mettre en relation tous les éléments de la nature et concevoir qu’elle forme un « tissu, le grand tissu du vivant », un tout dont les éléments sont reliés les uns aux autres.. C’est au sommet du volcan Chimborazo qu’il a cette révélation, la hauteur de vue, explique-t-il, lui permettant d’embrasser l’ensemble. A la différence des scientifiques systématiciens qui étudiaient la nature, les plantes et les animaux, comme des unités séparées pour les classifier et les hiérarchiser, Humboldt est frappé par les liens qui unissent tous les faits isolés. 
Natugemälde
En redescendant des sommets, il dessine son « naturgemälde », son « tableau » ou « peinture » de la Nature : il y représente la montagne et montre que les espèces végétales se répartissent selon des zones étagées liées à l’altitude, à la température, à l’humidité  et que c’est ainsi partout dans le monde… « Les plantes alpines de Suisse poussaient aussi bien en Laponie que dans les Andes. » 

« La variété des informations scientifiques était ainsi représenté avec une richesse et une simplicité sans précédent. Avant Humboldt, personne n’avait traité de genre de données de façon aussi visuelle. Son tableau physique montrait comme personne ne l’avait fait avant lui que la flore se répartissait selon les zones climatiques à travers tous les continents. Humboldt voyait de l’unité dans l’immense variété de phénomènes. Au lieu d’enfermer les plantes dans d’innombrables catégories taxinomiques, il les répartissait selon le climat et leur environnement : une idée révolutionnaire que l’on retrouve encore aujourd’hui dans notre conception des écosystèmes. »

Henry David Thoreau
 Humboldt au cours de ses investigations s’oppose aussi aux philosophes (comme Descartes, Buffon) qui pensaient que la nature avait été créée pour les hommes et était là pour le servir.  Il remet l’humain à sa place parmi les autres animaux dans le grand réseau du vivant. Après Carl Linné qui avait défini le principe de la chaîne alimentaire, il réfléchit à cette loi de la nature qui assure la survie du plus fort, amorçant la théorie de l’évolution des espèces qui influencera Darwin. C’est lui aussi qui, le premier, attira l’attention sur l’action de l’homme sur la nature et les risques qui en découlaient, devenant ainsi le premier écologiste du monde. A  la fois scientifique et poète, ami de Goethe, il met à l’honneur l’importance de  la poésie, de l’art et de l’imagination dans la démarche scientifique. C’est pourquoi il eut aussi une influence fondamentale sur Henry David Thoreau, George Perkins Marsh, Ernst Haeckel et John Muir....

Le livre se lit comme un roman d’aventures, agréable et facile à lire, qui nous entraîne dans des territoires peu connus avec ces grands voyages au Vénézuela puis en Russie, à une époque où l’exploration du continent est loin d’être terminée, où les découvertes scientifiques fleurissent dans tous les domaines, dans ce siècle des Lumières qui voit la remise en question de l’obscurantisme religieux et des préjugés scientifiques.
Ce que j’ai vraiment apprécié aussi ce sont les chapitres consacrés à tous ceux -cités plus haut- qui l’ont fréquenté, qui ont lu ses ouvrages, à qui il a servi de mentor, de professeur, de phare. J’ai été heureuse d’être en si bonne compagnie. C’est un des grands plaisirs du livre qui m’a apporté beaucoup de connaissances, notamment sur l’influence d’Humboldt sur l’art. Je vous en parlerai dans un troisième billet consacré à ce livre. Oui, il en mérite bien trois !

vendredi 27 septembre 2019

Bérengère Cournut : De pierre et d’os


De pierre et d’os de Bérengère Cournut paru aux Editions Le Tripode est un joli livre-objet qui présente une jaquette aux grands rabats, avec une illustration (de Juliette Maroni)  pleine de douceur, le soleil illuminant les glaces de la banquise et les sommets des montagnes gelées. Au premier plan, des restes d’un squelette d’animal et un inuit tenant sa lance, au second, un ours blanc, bleuté, presque effacé par la neige qui tombe à gros flocons. Des photographies anciennes sont insérées la fin du volume.
Cette douceur cache une réalité beaucoup plus dure. C’est ce que nous décrit l’auteure qui connaît bien les inuits pour les avoir étudiés dans les fonds d'archives de Paul-Emile Victor et de Jean Malaurie à la bibliothèque centrale du Museum d'Histoire naturelle à Paris. En effet, derrière la beauté du paysage, on découvre des conditions de vie très éprouvantes, où la mort côtoie la vie à chaque instant, une lutte pour la survie afin de trouver la nourriture, de ne pas succomber à la famine mais aussi au froid et à l’hiver qui plonge ce peuple dans les ténèbres. Pas étonnant alors, que ces étendues désertiques et inhospitalières soient hantées par des esprits qui se mêlent à la vie des humains, les dirigent, les protègent ou au contraire leur veulent du mal.
 Aussi lorsque la jeune Uqsuralik est séparée de sa famille par la rupture de la banquise, elle semble condamnée à une mort certaine. Mais heureusement, son père a fait d’elle une excellente chasseuse, dotée de courage et de bon sens. Elle possède des dons qui feront d'elle, dans l'avenir, une femme puissante. Quand elle rencontre une famille qui l’adopte, elle pourra se croire sauvée. C’est sans compter sur les hommes qui, eux aussi, parfois, constituent un danger pour leurs semblables.
Bérengère Cornut présente un beau roman initiatique et nous permet d’accompagner Uqsyralik dans les différentes phases de sa vie. Nous vivons la vie quotidienne des inuits, nous partageons leurs croyances, leurs peurs, leurs joies et leurs peines, les moments de tendresse et de haine.
 A la prose simple et pure de Bérengère Cournut qui rend compte de la beauté de la nature,  fleurs de la toundra,  bruits, souffle du vent, craquement de la glace, succèdent des chansons-poèmes qui révèlent l’âme des Inuits, un monde peuplé de mystères et d’êtres surnaturels. La nature forme avec l'être humain comme avec les autres animaux un tout que l'on ne peut dissocier. La vie est vécue comme un combat mais est aussi avec le respect des lois de la nature et l'acceptation de la mort. Le réel et le fantastique s’allient pour former un livre à la fois solidement documenté et plein de poésie.

De pierre et d’os a obtenu le prix FNAC 2019

PS : et oui encore un livre de la rentrée littéraire, j'ai craqué !

Photographie d'une famille inuite par George R. King1917
Uqsuralik accouche seule  sur la banquise pendant que se lève la tempête. La femme et la tempête semblent être unies dans le même "travail".

Depuis le rocher sur lequel je me tiens, je regarde comment le vent travaille la surface de l'eau. A chaque rafale, le lac est strié d'un millier de griffes. A chaque nouvelle contraction, mes ongles creusent méthodiquement des sillons dans ma chair. Des gémissements semblables à ceux du vent commencent à sortir de ma gorge. Un éclair déchire enfin l'horizon, je pousse mon premier cri. Il est suivi d'un roulement de tonnerre - mes os frémissent.
Je voudrais inspirer pour reprendre mon souffle, mais le vent s'engouffre dans ma cage thoracique. Les rafales forcent mes côtes les unes après les autres. Je tombe de mon rocher - dans l'eau.

Cap Hoffmann Halvø  voir blog
Sur la toundra, les fleurs forment de grands tapis jeunes, rouges et violets, qui commencent juste à roussir. Les baies foisonnent, j'en fais grande provision. C'était un délice, l'autre jour, que de pouvoir les tremper dans le sang de phoque encore chaud. Ca change des oiseaux à la chair fine et aux os craquants.

« Les Inuit sont un peuple de chasseurs nomades se déployant dans l’Arctique depuis un millier d’années. Jusqu’à très récemment, ils n’avaient d’autres ressources à leur survie que les animaux qu’ils chassaient, les pierres laissées libres par la terre gelée, les plantes et les baies poussant au soleil de minuit. Ils partagent leur territoire immense avec nombre d’animaux plus ou moins migrateurs, mais aussi avec les esprits et les éléments. L’eau sous toutes ses formes est leur univers constant, le vent entre dans leurs oreilles et ressort de leurs gorges en souffles rauques. Pour toutes les occasions, ils ont des chants, qu’accompagne parfois le battement des tambours chamaniques. » (note liminaire du roman)

lundi 23 septembre 2019

Andrea Wulf : L'invention de la nature (1) Citation


Je suis en train de lire L'invention de la nature d'Andrea Wulf et je vous en parlerai dès que je l'aurai terminé..
L'auteure raconte la vie, les voyages et les recherches d'Alexander von Humboldt, scientifique renommé des Lumières qui inventa le concept de Nature tel que nous la percevons maintenant "comme un grand organisme vivant dont tous les éléments sont reliés les uns aux autres"  et qui  fonctionne comme un Tout cohérent.

Aujourd' hui, c'est juste un passage que je veux citer car il est tellement d'actualité.  

Alexander Von Humboldt
 Quand Humboldt explore le Vénézuela, il arrive dans une région agricole fertile, la riante vallée d'Aragua, la plus riche du pays. Pourtant les habitants de la région s'inquiètent car le niveau du lac Valencia  ne cesse de baisser. Nous sommes le 7 Février 1800.

"Lorsqu'on détruit les forêts comme les colons européens le font partout en Amérique avec une imprudente précipitation, les sources tarissent entièrement ou deviennent moins abondantes. Les lits des rivières restant à sec pendant une partie de l'année, se convertissent en torrents chaque fois que de grandes averses tombent sur les hauteurs. Comme avec les broussailles, on voit disparaître le gazon et la mousse sur la croupe des montagnes, les eaux pluviales ne sont plus retenues dans leur cours : au lieu d'augmenter lentement le niveau des rivières par des filtrations progressives, elles sillonnent, à l'époque des grandes ondées, le flanc des collines, entraînent les terres éboulées, et forment ces crues subites qui dévastent les campagnes."

"Humboldt avertissait les hommes qu'il leur fallait comprendre le fonctionnement des forces de la nature et voir que tout était lié. On ne pouvait pas agir impunément sur le milieu naturel pour satisfaire son bon vouloir et ses intérêts. " L'homme n'a d'action sur la nature, il ne peut s'approprier aucune de ses forces, qu'autant qu'il apprend à connaître le monde physique". L'humanité avait le pouvoir de détruire l'environnement et les conséquences pourraient être catastrophiques."

Si Humboldt fut le premier  à expliquer la fonction fondamentale de la forêt dans l'écosystème et son rôle dans la régulation du climat grâce à sa capacité à emmagasiner l'eau et à renvoyer de l'humidité et de l'oxygène dans l'atmosphère tout en protégeant les sols, d'autres grands personnages avant lui s'étaient déjà inquiétés de la déforestation. En 1669, Colbert restreignait les droits d'exploitation des forêts communales et fit planter des arbres pour la construction navale : "La France périra faute de bois". En 1749, le fermier et naturaliste américain John Batram avertissait  : le bois des forêts sera bientôt détruit" et son ami Benjamin Franklin, inquiet, inventa un poêle à combustion lente pour économiser le bois.

Et depuis ? Et de nos jours ?

Août 2019 : feux de forêt en Amazonie image satellite

jeudi 19 septembre 2019

Markus Zusak : Le pont d'argile


Cette année, ayant accumulé un retard considérable dans ma pile de livres à lire, j’avais décidé de ne pas céder à la sirène de la tentation de la rentrée littéraire ! Mais… car vous vous doutez bien qu’il y a un mais, quand j’ai vu le nouveau roman de l’auteur australien Markus Zusak, dont j’avais tant aimé La voleuse de livres, je n’ai pu résister.
Me voici donc lisant, que dis-je ? dévorant Le Pont d’argile dont le héros principal se nomme Clay (diminutif de Clayton) qui signifie argile ! L’auteur nous invite à tenir compte de cette homonymie pour mieux comprendre le personnage et le titre.
 J’ai eu du mal au début du livre car j’avais l’impression de ne pas comprendre ce que je lisais. Et  oui! Tout me paraissait peu clair et je ne cessais de m’interroger. Mais, heureusement, j’ai persévéré et peu à peu tout s’est mis en place, comme un puzzle ou peut-être aussi comme une image trouble qu’une mise au point va permettre de voir nette. Travail formidable de l’écrivain d’ajuster ainsi notre vision en nous livrant des moments de l’histoire avant même que nous en ayons l’explication et en en nous les faisant découvrir par la suite, sans chronologie précise, avec des retours dans le passé mais aussi des avancées dans le futur jusqu’au moment où nous avons tous les éléments pour comprendre. Mais de toutes façons, l'univers de Markus Zusak est toujours un peu étrange, échappe au rationnel et flirte avec la poésie.
 C’est le Frère aîné, Matthew, le responsable des enfants, devenu écrivain, qui raconte l’histoire de la famille et en particulier de Clay et de son pont d’argile. Pourquoi Clay ? Là aussi, il faut aller jusqu’au bout pour le savoir. Pourquoi est-il celui qui porte la plus lourde charge sur ses épaules, pourquoi doit-il construire ce pont  hautement symbolique, ce pont qui permet le passage de la vie à la mort et inversement, pourquoi l'argile, ce matériau aussi modelable et fragile que lui et qui pourtant tiendra bon? Clay est le quatrième de la fratrie, le plus sensible aussi, celui aime les histoires et ne s’en lasse jamais. Il est ainsi le plus proche de sa mère qui lui raconte son enfance d’émigrée polonaise et sa rencontre avec son père. C’est aussi celui qui souffre le plus, le plus silencieux, celui qui semble se sortir le moins bien des drames qui jalonnent sa vie. Il semble vouloir les oublier en s'exerçant à la course jusqu'à la limite de la douleur. Pourtant, il n’a rien d’un ange et sait faire le coup de poing à l’occasion.
La vie des cinq frères Dunbar restés seuls après la mort de leur mère Pénélope et l’abandon de leur père Michael, c’est une mêlée de jambes et de bras dans des bagarres échevelées, de slips sales jonchant le sol, de jurons, de coups de poing, de vaisselle amoncelée dans l’évier mais aussi de solidarité, de bourrades amicales, et de souffrance. Tous unis par un même amour de leur mère et peut-être aussi par la haine de leur père. Le lecteur s’attache à ces personnages qui sont parfois irritants mais toujours humains comme l'ignare Rory, "le dur à cuire", Henry, "l’homme d’affaires" qui ne perd pas une occasion de gagner de l’argent mais sait se montrer généreux, ou l’attendrissant Tommy, le benjamin de la bande, qui adore les animaux et en adopte cinq, pigeon, mulet, chien, chat, poisson, tous tenant une place réjouissante dans le récit, personnages farfelus, comiques, entêtés mais tendres. 

Hé, Tommy, c est quoi ce binz ?
- Comment ?
- Comment ça, « comment » ! Tu te fiches de moi ? Y a un âne dans le jardin.
- C est pas un âne, c'est un mulet.
- Quelle différence ça fait ?
- Un âne c est un âne, un mulet c'est le croisement entre ...
- Je me fiche de savoir si c'est le croisement entre un quarter horse et un poney Shetland ! Qu'est ce qu'il fout sous l'étendoir à linge ?
- Il mange l'herbe.
- Ca, je le vois !
... nous l'avons, finalement, gardé.
Ou, pour être plus précis, le mulet est resté.


Autour de l’image de Pénélope, gravitent les héros grecs, Ulysse, Hector, Achille et tant d’autres, même l'Aurore aux doigts de rose s'invite dans leur salon. Comme leur mère quand elle était enfant, les garçons ont reçu l’Odyssée et l’Iliade en guise de biberon depuis leur plus jeune âge. Il ne faut pas s’étonner alors si leur imaginaire en est nourri et si cela se répercute dans tous les aspects de leur vie jusqu’aux noms donnés aux animaux.  On ne se nomme pas Pénélope pour rien!

 Quand d'autres enfants s'endormaient en écoutant des histoires de chiots, de chatons et de poneys, Pénélope grandit avec Achille aux pieds légers, l' Ingénieux Ulysse ainsi que les noms et surnoms de tous les autres.
Il y avait Zeus, l' assembleur de nuées.
Aphrodite, qui aime les sourires.
Son homonyme : la patiente Pénélope.
Le fils de Pénélope et d' Ulysse : le prudent Télémaque.
Et toujours un de ceux qu'elle préférait :
Agamemnon, roi des hommes.


 Au demeurant, comme dans l'Odyssée, c’est une femme dotée de multiples surnoms dont le moindre n’est pas celui-ci :  La Jeune Mariée au Nez en Compote ! Une grande tendresse émane de ce portrait auréolé par l'admiration des garçons.
La mère, c’est aussi le piano, elle qui a dû abandonner sa carrière de pianiste pour émigrer. Mais il n’est pas dit que ses fils aient la fibre musicale, ce qui donne lieu a des scènes mémorables et hilarantes entre les cinq garçons rétifs et la mère obstinée.
Il y a aussi dans la mythologie familiale, un certain Buonarroti, l’homme au nez cassé, qui rapproche Clay de son père. Le jeune homme est le seul à entretenir des liens avec celui qui les a abandonnés.
Et puis … l’amour des chevaux, la vénération des champions équins dans ce quartier de la ville anciennement dédiée aux courses hippiques. C’est ce qui permet à Clay de rencontrer sa bien-aimée Carey qui mène, envers et contre tous, une carrière de Jockey, brillante cavalière, au caractère bien trempé... et d’endosser à son égard une responsabilité de plus.

Un livre riche de thèmes divers, riche de toutes sortes d'émotions, tendresse et fraternité, amour et colère, moments de bonheur et de désespoir. Un beau roman qui nous tient en haleine en nous faisant passer des rires à la tristesse et vice versa, incapables de lâcher le roman même lorsque l’on sent l’urgence du sommeil ! Et oui, encore une de mes nuits d’insomnie littéraire !

lundi 16 septembre 2019

La maîtresse en maillot de bain de Fabienne Galula / JP Azéma Cie Prune Prod au festival d'Avignon 2019

La maitresse en maillot de bain

Bienvenue au paradis des gommettes, des doudous et des anti-dépresseurs !
Mandatée par le ministère de l’Education Nationale, une psychologue atterrit dans la salle des maîtres d’une école maternelle. Ce qu’elle va y trouver est très loin de ce qu’elle imaginait.
Léonie, ma petite fille, 9 ans et demi, adore le théâtre et a arpenté le festival d'Avignon avec moi ce mois de Juillet 2019. C'est une festivalière assidue depuis l'âge de 18 mois.

Voici sa critique :

Dans la pièce La maîtresse en maillot de bain de Fabienne Galula, mise en scène par JP Azéma, une directrice, deux professeurs et une psychologue discutent dans l’école maternelle.
La psychologue vient voir si tout se passe bien mais découvre que les personnages ont  tous des problèmes différents. L’un est sensible, toujours enrhumé et amoureux de la directrice. Le deuxième est divorcé et séparé de sa fille, la troisième est l’esclave de tout le monde, de sa mère, de son chien et de son amoureux.

Le décor est une salle des professeurs avec une table, des dessins d’enfants, du thé, du nutella pour faire le petit déjeuner. On ne voit pas les enfants mais on entend qu’ils parlent et chantent.
Les costumes reflètent les caractères des personnages.
Les comédiens sont excellents, le public rit en les voyant se disputer, grogner, pleurer et finalement se réconcilier.
Je me suis amusée au possible jusqu’à en pleurer de rire ! Je suis sortie du théâtre enthousiaste, charmée et mon papa aussi. Ce qui m’a plu, c’est que les personnages paraissent être de vrais instituteurs.
J’ai adoré cette pièce. Elle était géniale.

Mon avis  :

J'avais un peu peur que cette pièce présente un humour un peu lourd sur le dos des enseignants. Il n'en est rien ! Non seulement ce spectacle vous fait rire aux larmes (comme dit ma petite-fille) mais encore c'est avec finesse et une certaine profondeur. Car sous le rire, se cache la détresse quotidienne des personnages dont la personnalité se révèle peu à peu nous permettant de découvrir l'intime sous la carapace. Les comédiens qui les incarnent, excellents dans leur rôle, sont plus vrais que nature avec leur lot de problèmes, de soucis, de solitude, de manque d'amour. En un mot, ce sont des êtres humains comme les autres. C'est, bien sûr, ce que découvrent les enfants spectateurs ravis de se retrouver dans le décor d'une salle de professeurs où ils n'ont pas le droit d'entrer, en principe ! L'envers du décor en quelque sorte ! Et les adultes, enseignants ou non, s'y reconnaissent et se sentent concernés. Et oui, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Heureusement l'humour est là, provoquant le rire et comme il s'agit d'une comédie tout finira bien.  On sort de ce spectacle, heureux !

vendredi 13 septembre 2019

Tove Jansson : L'art de voyager léger


Tove Jansson, auteure, peintre finlandaise de langue suédoise, est surtout célèbre pour ses livres de jeunesse et les petits personnages qu’elle a créés, les Moumines.
 
Tove Jansson et ses Moumines

 Aujourd’hui, c’est un recueil de nouvelles s’adressant aux adultes que je présente : L’art de voyager léger.

L’art de voyage léger donne son titre au recueil bien que cette nouvelle soit la dernière publiée, comme un adieu au lecteur, un zeste d’humour à savourer, à la fois léger et un peu amer. C’est l’histoire d’un homme qui part en voyage, en emportant le minimum dans ses bagages et qui a l’air de dire un adieu à sa maison, à ses proches, à ses voisins, qui tous ignorent son départ. Pourquoi ce mystère, cette angoisse d’être découvert, pourquoi rompt-il ainsi avec sa vie antérieure ? lorsque nous l’apprendrons, nous ne pourrons pas nous empêcher de sourire et… de le plaindre !

Les autres récits concernent des moments de sa vie de petite fille, Noël, la jupe de tulle, L’iceberg mais aussi de l’âge adulte, dans l’île où elle a vécu en Finlande. Si l’on distingue bien la voix de l’enfant avec sa vision magique du monde, l'art de se raconter des histoires et d'y croire,  et celle de la femme plus âgée, les deux se rejoignent pourtant dans la description d’un univers qui n’est pas toujours rationnel et où la nature, les animaux restent souvent inexplicables, mystérieux.
La mer y est omniprésente et l’insularité façonne la fillette comme la vieille femme qui toutes deux vivent presque en osmose avec la mer. Dans Le bateau, la petite fille part seule avec la complicité de sa mère qui veut faire d’elle une femme libre, sur le canot que lui a offert son père. On la sent volontaire, sans peur, aventureuse, en phase avec la nature. Tout comme le sera dans L’écureuil, l’adulte qui vit seule dans son île, coupée du monde l’hiver, avec ce petit animal pour unique compagnon. Pourtant, quelques failles se font sentir, quelques fêlures dans la voix vieillissante de l’écrivaine. Elle ne parvient pas à réparer le moteur du bateau,  ne peut plus monter sur le toit pour ramoner la cheminée… Et puis surtout elle commence à avoir peur de la mer, ce qu’elle ressent comme une trahison ! C’est l’heure de Prendre congé. Il y a beaucoup de nostalgie dans ces  beaux textes de l'enfance puis du renoncement. Le style est sobre, refuse l'emphase, la dramatisation. Tout paraît doux et léger mais toujours avec cette petite pointe de tristesse qui est celle des souvenirs qui s'effilochent, d'une vie qui passe...


L'ile de Tove Jansson : Télérama

mardi 10 septembre 2019

Jean Giono : Le chant du monde

Le chant du Monde de Giono
Dans Le chant du Monde de jean Giono, Antonio, l’homme-fleuve, part avec son ami Matelot, bûcheron et ancien marin, à la recherche du besson* nommé Danis (son prénom ne figure qu’une fois dans le roman), le fils de ce dernier. Le jeune homme parti couper du bois dans les montagnes, devrait être rentré dans le « Bas-Pays » sur les radeaux de troncs que le fleuve charrie pour les hommes. L’automne est là mais il n’est pas encore revenu. S’est-il noyé ? 
C’est le début d’un périple au cours duquel Antonio en remontant le fleuve, recueille une jeune femme aveugle, Clara, en train d’accoucher toute seule, en pleine nature. Il la confie à une vieille femme, "gardienne de la route " puis il parvient au Pays Rebeillard, le « Haut-pays », où les deux hommes retrouvent le besson réfugié chez Toussaint, le guérisseur. Il ne peut plus sortir de cette maison car sa vie est en danger. Le besson a enlevé Gina, la fille de Maudru, grand propriétaire terrien, éleveur de taureaux, patron tout-puissant des tanneries et industries de la ville et il a tué le prétendant de Gina, neveu de Maudru. Ce dernier veut sa mort et avec ses hommes veille à ce qu'il ne puisse s’échapper. Une lutte implacable s’engage alors entre Antonio et Maudru

* jumeau

J’ai lu une première fois Le chant du monde quand j’étais adolescente et j’en avais gardé un souvenir ébloui, j’avais été prise immédiatement par cette prose poétique où retentit le chant de la nature. Aussi avais-je peur d’être déçue par cette relecture près de cinquante après.
Au début, je n’ai d’ailleurs pas adhéré tout de suite. Peut-être n’ai-je plus le don comme lorsque j’étais jeune de tout accepter et de me laisser emporter spontanément et suis-je trop dans l’analyse, dans la critique ?  J’ai eu l’impression que le style avait vieilli, j’ai été submergée par la densité de cette prose, l’avalanche des métaphores, la richesse des comparaisons. Puis, peu à peu, j’ai été prise par la poésie de l’image, j’ai glissé dans un autre monde où tous les sens sont sollicités et se répondent, la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, tout participe à ce merveilleux chant du monde, toute la nature s’anime, tous les éléments qui la composent bruissent d’une seule voix universelle où l’homme n’est pas Tout mais fait parti du Tout. Le réalisme de la description est bien présent mais n’est qu’apparent, et le lecteur sent que d’autres mondes se cachent derrière le premier. Un panthéisme anime les scènes et nous apprenons que le bonheur est là pour l’homme qui connaît sa place, qui ne se croit pas supérieur mais qui apprend à connaître la force de la nature et à l’accepter. Tout est vivant, tout participe à l’essor du monde.

Subitement il fit très froid. Antonio sentit que sa lèvre gelait. Il renifla. Le vent sonna plus profond; sa voix s’abaissait puis montait. Des arbres parlèrent; au-dessus des arbres le vent passa en ronflant sourdement. Il y avait des moments de grand silence, puis les chênes parlaient, puis les saules, puis les aulnes; les peupliers sifflaient de gauche et de droite comme des queues de chevaux, puis tout d’un coup ils se taisaient tous. Alors, la nuit gémissait tout doucement au fond du silence. Il faisait un froid serré. Sur tout le pourtour des montagnes, le ciel se déchira. Le dôme de nuit monta en haut du ciel avec trois étoiles grosses comme des yeux de chat et toutes clignotantes.

Nous sommes dans un univers où l’on ne sait plus trop bien la limite entre les différentes composantes de la nature, l’homme est-il fleuve, ou bien le fleuve est-il humain ? animal ?  végétal ?

"Il avait regardé tout le jour ce fleuve qui rebroussait ses écailles dans le soleil, ces chevaux blancs qui galopaient dans le gué avec de larges plaques d'écume aux sabots, le dos de l'eau verte, là-haut au sortir des gorges avec cette colère d'avoir été serrée dans le couloir des roches, puis l'eau voit la forêt large étendue là devant elle et elle abaisse son dos souple et elle entre dans les arbres. "

"Le matin fleurissait comme un sureau.
Antonio était frais et plus grand que nature, une nouvelle jeunesse le gonflait de feuillages."

Tout se mêle dans une magnifique union au cours de laquelle la magie opère, notre vision se dédouble, se multiplie, pour se perdre dans une cosmogonie où se confondent l’eau, la terre, l'air et le feu, où l’on assiste à travers les trois saisons du roman, l’automne, l’hiver et le printemps, au cycle éternel de la mort et de la renaissance, au cycle du Temps tout puissant.
 Et puis il y a cette Provence décrite par Giono, si vraie et si étrange à la fois, avec la cité blanche et ses tanneries, jamais nommée, mais qui ne peut-être que Manosque, la ville natale de l’auteur; son fleuve qui n’est autre que la Durance. On reconnaît bien des lieux dans le roman et pourtant comme le revendique l’auteur lui-même :
« C’est une Provence inventée, un Sud inventé comme l’a été le Sud de Falukner. J’ai inventé un pays, je l’ai peuplé de personnages inventés, et j’ai donné à ces personnages inventés des drames inventés… Tout est inventé »

Les jeux crétois
C’est que Jean Giono nourrit dès l’enfance aux classiques grecs et latins, substitue à la Provence proprement dite, la Grèce de l’époque antique. Le voyage d’Antonio au Pays-Haut tient à la fois de l’Odyssée et de l’Iliade. Les héros sont des personnages épiques, à l’épithète homérique, Clara « aux yeux de menthe », Danis, " le besson aux cheveux rouges", Toussaint « celui qui vend des almanachs » (le dieu du Temps?) et  Antonio, surtout, "l’homme du fleuve" ou encore "Bouche d’or", Antonio semblable, lui aussi, à une divinité de la nature … Mais si Antonio en accomplissant ce voyage jusqu’au pays des montagnes ressemble bien plus à Ulysse qu’à un pêcheur provençal, on peut dire que Maudru qui parle la langue des taureaux "aux cornes en lyre effilée" est plus proche de Minos et de la Crète d’où s’est propagé le culte du taureau  dans tout le bassin méditerranéen, que d’un bouvier camarguais. 

Les taureaux "aux cornes en lyre effilée"
La guerre  à laquelle ils se livrent pour la  liberté du besson et de la belle Gina, enlevée comme Hélène non à son mari mais à son père, rappelle celle de Troie.  Le domaine de Maudru en flammes est la dernière vision que nous aurons du pays Rebeillard, ce pays fantasmé, compromis entre les plateaux et montagne de la Haute-Provence chers à Giono et un pays mythique qui n’existe que dans l’imaginaire de l’auteur.

Jean Giono
« L’hiver au pays Rebeillard était toujours une saison étincelante.(…) Le jour ne venait plus du soleil seul, d'un coin du ciel, avec chaque chose portant son ombre, mais la lumière bondissait de tous les éclats de la neige et de la glace dans toutes les directions et les ombres étaient maigres et malades, toutes piquetées de points d’or. On aurait dit que la terre avait englouti le soleil et que c'était elle, maintenant, la faiseuse de lumière. On ne pouvait pas la regarder. Elle frappait les yeux : on les fermait, on la regardait de coin pour chercher son chemin et c'est à peine si on pouvait la regarder assez pour trouver la direction ; tout de suite le bord des paupières se mettait à brûler et, si on s'essuyait l'œil, on se trouvait des cils morts dans les doigts. Ce qu'il fallait faire c'est chercher dans les armoires des morceaux de soie bleue ou noire. Ça se trouvait parfois dans les corbeilles où les petites filles mettent les robes des poupées. On se faisait un bandeau, on se le mettait sur les yeux, on pouvait alors partir et marcher dans une sorte d'étrange crépuscule qui ne blessait plus »

Quel beau roman riche, foisonnant ! Etrange, poétique, un livre où l’on doit lire à la surface mais aussi en profondeur, en transparence, tout ce qui est suggéré, tout ce qui est présent sans être dit. La lecture au premier degré à l’adolescence fut pour moi un véritable bonheur mais j’ai tout autant goûté cette nouvelle lecture qui va au-delà. Un chef d’oeuvre !

J’aimerais pouvoir le citer en entier mais… Aussi avant de vous quitter, je vous laisse apprécier ce nouveau passage, un véritable régal que je lis et relis avec gourmandise !

"Regarde, dit Matelot, depuis trois nuits le grand bateau est amarré là devant."
La lune éclairait le sommet des montagnes. Sur le sombre océan des vallées pleines de nuit, la haute charge des rochers, des névés et des glaces montait dans le ciel comme un grand voilier couvert de toiles.
"Quel bateau?" dit Antonio.
Matelot montra la fenêtre
"Celui-là, là dehors
"C'est la montagne, avec de la neige et de la lune.
-Non, dit matelot, c'est le bateau"
Dehors, la montagne craquait doucement dans le gel comme un voilier qui dort sur ses câbles.
"Je ne veux pas partir, dit Matelot, je fais encore besoin sur la terre. Et je lui dis : "Va-t-en, démarre, flotte plus loin."
-Qu'est-ce que tu crois donc?
-La mer ne nous lâche jamais, dit Matelot, si elle revient, c'est que mon temps est fini ici-bas.
-Un mauvais rêve" dit Antonio
Les glaciers gonflaient leurs hautes voiles dans la nuit. Les forêts grondaient.
"Pour les rivages de la mort, dit Matelot. "

samedi 7 septembre 2019

Shakespeare et Purcell : Un songe d'une nuit d'été et The fairy queen, mise en scène : Antoine Herbez

Festival d'Avignon 2019 Obéron et Titania dans une songe d'une nuit d'été par la compagnie AH
Obéron et Titania dans Un songe d'une nuit d'été par la compagnie AH
Léonie, ma petite fille, 9 ans et demi, adore le théâtre et a arpenté le festival d'Avignon avec moi ce mois de Juillet 2019. C'est une festivalière assidue depuis l'âge de 18 mois.
 Voici sa critique  : Un Songe d'une nuit d'été d'après Shakespeare et The fairy queen de Purcell :

Un songe d’une nuit d’été

Un songe d'une nuit d'été par la compagnie AH mise en scène par Antoine Herberz
Un songe d’une nuit d’été est une pièce de Shakespeare, mise en scène par Antoine Herbez, qui m’a vraiment beaucoup plu. Ce n’est pas que de Shakespeare mais aussi de Purcell, un musicien qui a écrit l’opéra The fairy Queen, la Reine des fées.
Nous sommes dans une forêt où habitent la Reine des fées Titania et le Roi des fées Obéron, trois fées musiciennes et Puck le serviteur d’Obéron.
Titania a adopté un enfant et Obéron est jaloux. C’est la guerre ! Sur l’ordre d’Obéron, Puck verse le suc d’une plante magique qui fait tomber amoureux du premier venu, sur les paupières de Titania. En ouvrant les yeux, elle devient amoureuse d’un âne mais tout se finit bien.
Des humains sont aussi dans la forêt. Hermia, Lysandre, Demetrius et Héléna. Lysandre et Demetrius sont tous les deux amoureux de Hermia et Héléna est amoureuse de Demetrius qui ne l’aime pas.
Toujours sur l’ordre d’Obéron, Puck doit réconcilier Démétrius et Héléna. Mais il se trompe et verse le suc sur les yeux de Lysandre puis de Démetrius qui deviennent tous les deux amoureux d’Hélèna. Du coup plus personne n’aime Hermia.
Comment vont-ils s’en sortir ?

La compagnie Ah interprète Un songe d'une nuit d'été au festival d'Avignon 2019

Le roi et la reine ont de grandes capes vertes avec des fleurs dessus. Ils ont de belles couronnes en bois. On dirait vraiment un roi et une reine. Ils sont grandioses, radieux, majestueux. Les costumes sont rouge bleu,  blanc, orange, vert et marron et gris. Quand ils sont dans la forêt, les lumières sont superbes : rouge, rose, verte et bleu.
Les chants sont très beaux et tout le monde chante magnifiquement bien.
J’ai aimé le côté fantastique de cette histoire merveilleuse. Le côté amusant m'a beaucoup fait rire parce que les humains se bagarrent, se disputent.
Shakespeare veut dire que les humains ne sont pas libres parce qu’ils se font contrôler par les dieux.
J’ai adoré l’histoire, elle était enchantée! J'ai vu cette pièce deux fois.
                                                                                                                     Léonie

Mon avis : Je suis entièrement d'accord avec ma petite fille. Ce spectacle présente beaucoup de qualités, mise en scène, costumes et interprètes. Il est agréable, amusant et mêle heureusement le texte de Shakespeare et la musique de Purcell. Bien sûr, il ne s'agit pas de la pièce complète, certains passages (Hélène et Thésée, les artisans) sont supprimés. La réflexion philosophique sur la liberté de l'homme, le déterminisme, y est abordée mais rapidement.  Les interrogations sur l'essence de l'amour et la cruauté des rapports hommes et femmes sont traités résolument sur le mode comique dans des bagarres virevoltantes, réglées comme un ballet. La pièce ainsi mise en scène permet aux enfants d'accéder plus facilement au texte du grand dramaturge anglais mais aussi à la musique baroque, réalisant le tour de force de plaire aussi bien aux petits qu'aux adultes.

          Compagnie Ah festival Avignon 2019

  • Metteur en scène : Antoine Herbez
  • Interprète(s) : Laetitia Ayrès, Ariane Brousse, Marianne Devos, Francisco Gil, Ivan Herbez, Grégory Juppin, Orianne Moretti, Maëlise Parisot, Louise Pingeot, Clément Séjourné, Maxime de Toledo, Nicolas Wattinne
  • Diffusion : Stéphanie Gamarra 06 11 09 90 50
  • Régisseuse : Cynthia Lhopitallier





Il y a bien longtemps que ma petite fille Léonie,  sous le pseudonyme d'Apolline, n'a plus écrit de fiches de lecture.  Hélas! Elle a perdu le goût de lire !  Si vous connaissez des livres pour enfants qui pourraient produire un miracle et la faire repartir, alors donnez -moi des titres ! Merci, ils seront les bienvenus !

jeudi 5 septembre 2019

Joyce Carol Oates : Petit oiseau du ciel


Quand Zoe Kruller, jolie serveuse se rêvant star de country, est découverte brutalement assassinée dans son lit, la police de Sparta vise aussitôt deux suspects : Delray Kruller, le mari dont Zoe est séparée, et Eddy Diehl, l'amant de longue date. Mais, sans preuve, l'enquête piétine. Les rumeurs s'amplifient, ravageant au passage l'existence des deux hommes et imprimant un cours étrange à celle de leurs enfants. Aaron Kruller et Krista Diehl, adolescents sacrifiés à l'histoire familiale, chacun persuadé que le père de l'autre est l'assassin, conçoivent peu à peu une redoutable obsession réciproque.  (éditeur Philippe Rey)

Le récit de Petit oiseau du ciel, titre d’une chanson folk, Little bird of heaven, est divisé en deux parties selon le point de vue adoptée : d’abord, celui de Krista, qui adore son père Eddy et qui est persuadée de son innocence. Son récit mêle différents moments de l’histoire, selon qu’elle est enfant ou adolescente. Puis, le point de vue d’Aaron, le fils métis de Zoé et de Delray (ce dernier est indien) qui porte à la fois le poids de son métissage et du regard négatif des autres et la honte du crime dont est accusée son père qu’il croit innocent. C’est lui qui découvre le cadavre mutilée de sa mère.
J’ai lu que l’on reprochait à ce roman des répétitions mais à mon avis, il s’agit d’une force du récit. En effet, les mêmes situations sont vécues à la fois par Krista et Aaron, donc sont forcément très semblables mais aussi très différentes puisque rapportées selon la subjectivité de l’un et l’autre. Peu à peu et par recoupement, l’intrigue progresse. Le roman fonctionne comme un thriller bien qu’il soit tout autre chose, le dénouement nous apportant la réponse à l’enquête policière.

Joyce Carol Oates dresse à nouveau à travers de ce récit un réquisitoire contre l’Amérique profonde : celle ou la police corrompue mène un enquête bâclée voire truquée, renvoyant dos à dos le mari et l’amant de la jeune femme assassinée sans pouvoir les inculper et sans vouloir les disculper. Celle ou les indiens des réserves n’ont aucune chance de pouvoir s’en sortir, faire des études, et où règnent le racisme qui entretient la violence. Les deux communautés se haïssent et ne parviennent pas à vivre ensemble d’une manière apaisée.
L’écrivaine analyse aussi les personnages principaux comme les personnages secondaires avec une maîtrise parfaite, montrant la complexité des sentiments, entre sensualité et rejet, entre amour et haine. Tous sont révoltés, englués dans un désespoir si profond que toute leur vie en sera marquée, du moins pour ceux qui parviendront à survivre. La vision des adultes par les enfants est d’une grande vérité et se révèle parfois très cruelle comme lorsque Krista juge sa mère anéantie par la trahison de son mari et par l’accusation portée contre lui. Elle la repousse pour prendre le parti du père. L’éveil de la sexualité de la jeune fille est lui aussi sans tendresse, marqué par la colère et la peur. Alcool et drogue semblent être un exutoire au mal être de la jeunesse et de la société en général.
Pas une fausse note dans ces personnages dont on partage les sentiments au plus près et qui ont une force et une vie qui font que l’on referme le livre poursuivi par ce récit noir et tragique. 


Little bird of heaven par le groupe Reeltime Travelers


Merci à toutes celles qui se sont inquiétées de mon absence. Votre gentillesse m'a touchée. Me voici de retour et j'espère plus régulièrement...  !

mardi 14 mai 2019

Norman Doidge : Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau


J’ai d’abord été un peu inquiète en recevant le livre de Norman Doidge, psychanalyste, chercheur et professeur à l’université de Toronto et de Columbia à New York,  « Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau :   guérir grâce à la neuroplasticité »  car je me suis demandée si je n’allais pas caler ,- moi qui ne suis pas scientifique -, devant ce pavé de 400 pages! Mais non, le livre est à la portée de tous avec des explications scientifiques claires et précises, toujours illustrées par des expériences passionnantes. La rencontre de personnes malades qui ont été transformées par les pouvoirs de la neuroplasticité du cerveau  donne une dimension humaine à cet essai.

La découverte de la neuroplasticité du cerveau est encore bien récente et s’est heurté pendant des années au cours de la deuxième moitié du XX siècle au scepticisme des chercheurs tenants de la localisation.
Pour les localisationnistes, certaines zones du cerveau sont spécialisées  et correspondent selon leur localisation à des fonctions précises et non modifiables. Pour eux,  si  l’une des zones est lésée, une autre ne peut pas prendre sa place. Les scientifiques, qui ont découvert la plasticité du cerveau comme le professeur Paul Bach-y-Rita ou le professeur Michael Merzenich affirment, au contraire, que si certaines parties du cerveau sont abimées, d’autres peuvent prendre le relais. Ils ont nommé cette propriété du cerveau, la neuroplasticité, de « neuro » pour « neurones » et de « plasticité » pour exprimer ce qui est malléable, transformable. Cette découverte est révolutionnaire car elle implique qu’un cerveau lésé peut se remodeler de façon à ce que la partie endommagée soit remplacée par une autre. Ainsi par des exercices physiques et mentaux, soutenus, répétés pendant des heures et programmés sur des mois, certains patients, victimes d’un accident cérébral, peuvent se remettre à marcher ou à parler. Le champ d’application de cette découverte est large et infinie, elle concerne la formation professionnelle, l’éducation comme celle des enfants qui ont des troubles du langage ou d’apprentissage, des personnes âgées dont la mémoire est défaillante, des victimes des TOCS… Mais elle peut avoir aussi des résultats nocifs, de mauvaises habitudes,  des pensées constamment négatives, des comportements sociaux, en transformant notre cerveau, nous ancrent dans une rigidité qui peut nous porter préjudice.

Si j’ai choisi de lire Les étonnants pouvoirs de la transformation du cerveau à l’opération Masse critique Babelio, c’est, bien sûr, que le sujet m’interpellait de prime abord car le cerveau est à lui seul un monde surprenant, extraordinaire, que les chercheurs, de l’antiquité à nos jours, sont loin d’avoir exploré complètement et qui a encore beaucoup de secrets à nous révéler. Lire ce livre m’a permis une plus grande compréhension du fonctionnement de notre cerveau et de nos comportements. Je l’ai trouvé passionnant. Il m’a apporté une grande bouffée d’optimisme et d’espoir.  Et je dois l’avouer je me suis même inscrite à l’entraînement Dynamic Brain sur des entraînements conçus par le docteur Michael Merzenich et d’autres scientifiques pour améliorer la mémoire ! https://dynamicbrain-fr.brainhq.com/default/start#




 Le professeur Paul Bach-y-Rita, chercheur à l'université du Wisconsin  dont les recherches ont révolutionné les domaines de la neurobiologie et de la rééducation, est l’ inventeur de la vision tactile. C'est en 1969 qu'il a mis au point un système de suppléance visuelle à destination des non-voyants. Il est décédé en 2006. 









Michael Merzenich, née en 1942, est un neuroscientifique et professeur émérite américain. Il enseigne à l'Université de Californie à San Francisco depuis 1980. Il est connu pour ses recherches sur la plasticité cérébrale.







Merci à Babelio Masse critique et aux Editions Belfond

jeudi 4 avril 2019

Peter May : Les disparus du phare




Rejeté par les vagues, un homme reprend connaissance sur une plage. Tétanisé par le froid, le cœur au bord des lèvres, frôlant dangereusement le collapsus. Il ignore où il se trouve et surtout qui il est ; seul affleure à sa conscience un sentiment d’horreur, insaisissable, obscur, terrifiant. Mais si les raisons de sa présence sur cette île sauvage des Hébrides balayée par les vents lui échappent, d’autres les connaissent fort bien. Alors qu’il s’accroche à toutes les informations qui lui permettraient de percer le mystère de sa propre identité, qu’il s’interroge sur l’absence d’objets personnels dans une maison qu’il semble avoir habitée depuis plus d’un an, la certitude d’une menace diffuse ne cesse de l’oppresser. (résumé quatrième de couverture)

Peter May, je l’ai découvert avec sa trilogie écossaise qui se situe dans l'archipel des Hébrides, dans l’île Lewis, et c’est de loin L’île des chasseurs d’oiseaux, le premier, qui demeure mon préféré. Il offre des pages d’une force étonnante qui raconte le quotidien des hommes de cette île et décrit leur mentalité ancrée dans le passé, si loin de la civilisation urbaine actuelle.
 Avec Les disparus du Phare, Peter May retourne dans les Hébrides, plus précisément dans les îles Flannan à une vingtaine de kilomètres de l’île Lewis. L’auteur s’empare d’un fait divers réel, survenu en 1900 : la disparition jamais élucidée des trois gardiens du phare d’Eilean Mor.

Le phare d'Eilean Mor
 
 Pendant le dernier mille, des dauphins d'humeur joyeuse m'ont suivi, crevant la surface de l'eau en décrivant des arcs, tournant autour du bateau, encore et encore. Mais ils sont partis maintenant et, droit devant, s'étend Eilean Mor, trompeusement basse par rapport au niveau de l'eau. Partant d'un point élevé à son extrémité ouest, son relief descend vers une zone centrale assez plate avant de remonter vers un modeste sommet situé à l'est. Au centre le phare est juché sur un petit pic qui est en fait le point culminant de l'île et semble apparaître au milieu de nulle part. Des falaises à pic émergent de la houle, faites de couches rocheuses empilées et veinées de gneiss rose.

Pourtant, le mystère ne porte pas tant sur la  disparition de ces trois hommes que sur l’identité du personnage amnésique, échoué sur une plage, et les raisons de sa présence dans l’île qui expliquent les attaques dont il est l’objet.  J'ai regretté que la vie dans ce phare, le drame qui s'y est joué et qui constituaient en soi un sujet passionnant, n'aient pas été au centre du récit et n'aient servi que de prétexte !
Je n’ai donc pas aimé l’intrigue ! Elle traite d’un thème écologique mais qui me semble un peu plaqué sur le récit. Les îles servent de cadre, certes, mais ne sont plus au coeur du  roman comme dans la trilogie. L’histoire du phare fait couleur locale mais n’est pas authentique. Et c'est bien dommage car Peter May sait raconter une histoire et  la narration est toujours efficace.

Heureusement,  comme d’habitude, il y a le style élégant de Peter May et de belles descriptions des îles, de la tempête et du brouillard. Et là, évidemment, il fait fort!

Eilean Mor ici
J'observe au loin les collines environnantes, au-delà de la plage et des dunes, et la roche violet, brun et gris qui perce la fine peau de terre tourbeuse qui s'accroche à leurs flancs.
Derrière moi, peu profonde, turquoise et sombre, la mer se retire des hectares de sable qui rejoignent les silhouettes noires de montagnes se découpant à distance contre un ciel menaçant, marbré de bleu et de mauve. Des échardes de soleil éclatent à la surface de l'océan et mouchettent les collines. Par endroits, un ciel d'un bleu parfait troue les nuages, surprenant, irréel.