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mardi 4 octobre 2022

Le premier Prix littéraire avignonnais : Venez me rejoindre !


  

Le premier Prix littéraire des Avignonnais

 

La Ville d’Avignon lance le premier Prix littéraire des Avignonnais. À partir du 1er octobre et jusqu’au 12 novembre, les avignonnais et tous les amoureux de la littérature sont invités à élire, parmi les cinq ouvrages sélectionnés par les bibliothèques, les librairies d'Avignon, un professeur de lettres du lycée René Char et la directrice des bibliothèques d'Avignon, leur roman préféré issu de la rentrée littéraire d’automne. Lectures, tables rondes, midi-sandwichs et de nombreuses animations permettront de mieux faire connaître ces cinq ouvrages et de voter pour celui qui emportera le premier Prix.
Les cinq romans sélectionnés sont disponibles en prêt dans les bibliothèques de la Ville et à la vente dans les librairies partenaires.
 

Comment élire votre livre préféré ?

En votant jusqu’au 12 novembre !
   

 •    sur jeparticipe.avignon.fr
 .   en déposant un bulletin dans une des urnes des bibliothèques de la ville
 

Remise du prix à l’écrivain lauréat
Le samedi 3 décembre à 15h30 au Théâtre des Halles

Si ces titres vous tentent venez me rejoindre pour la lecture de ces livres jusqu'au 12 Novembre. Vous pouvez voter en ligne si vous lisez les cinq romans puisque le vote est ouvert à tous les amoureux de la littérature ou  seulement vous joindre à moi pour quelques-uns de ces livres lors de Lectures Communes avec pour logo : le blason d'Avignon.

Je commence Lundi 10 Octobre avec le livre de l'édition Zulma (édition que j'aime) :  L’invention du diable
 Hubert Haddad



Liste les livres sélectionnés



L’évaporée 
Fanny Chiarello, Wendy Delorme
 Éditions Cambourakis 

 


 

« Qu’est-ce qui peut bien faire qu’une femme soudain abandonne celle à qui elle vient de dire, Quels merveilleux moments j’ai passés auprès de toi, aujourd’hui encore : je veux ça tous les jours de la vie ? » Tel est le questionnement auquel est confrontée Jenny après le départ d’Ève. Toutes deux apprendront que l’ on peut vivre une même histoire de deux façons totalement différentes ».

 
 

 

Le pion 
Paco Cerdà
  Éditions La Contre Allée 

 


Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.
En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.
    •    Première sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger - catégorie non-fiction.

 
 

 

 

Eleftheria 
Murielle Szac  
Éditions Emmanuelle Collas 

 


 
1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue… Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le 3e Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin.


 

 

Des rêves d’or et d’acier
 Émilie Tôn
 Éditions Hors d’atteinte 

 


 

 Je veux savoir comment mon père est arrivé dans cette Lorraine où l’acier s’écoule, comprendre comment il est devenu cet homme au destin plusieurs fois brisé, qui n’a jamais abandonné. Il l’a toujours dit : « Quand on a tout perdu plusieurs fois, on n’a plus peur de se lancer. »
 


 

 

 

L’invention du diable
 Hubert Haddad
 Éditions Zulma 

 



Papillon de Lasphrise s’est retiré dans sa tour d’ivoire angevine. Après une existence dédiée à l’amour et à la guerre, le voilà tout entier habité par le démon de l’écriture. Au soir de sa vie, il pactise avec le diable : tant que ses Poésies n’auront pas accédé à la postérité, il ne connaîtra pas le repos éternel. L’immortalité sera sa malédiction.
 

 

 

 Le Blason d'Avignon

 


 J'ai choisi pour illustrer ce billet le blason d'Avignon même si ce n'est pas le choix du prix littéraire. Le symbole des trois clefs est adopté par le festival d'Avignon.

Voici l'explication du blason :

La ville d'Avignon porte 3 clés parce que,du temps des papes, il y avait alors pour gouverner la ville, trois syndics ou consuls.

 Les trois clefs évoquent l'emblème papal, qui comprend deux clefs en sautoir, et le nombre de trois rappelle que la ville d'Avignon était alors gouvernée par trois syndics.

 Au xve siècle, des gerfauts furent réintroduits en tant que supports à l'écu, sur demande de la population auprès du pape.
La devise de la ville fut adoptée au même moment :
" Unguibus et rostro. "

Sa signification, « à bec et ongles », fait référence aux gerfauts.
Les deux oiseaux portent chacun un grelot à la patte, afin de maintenir symboliquement l'attention des syndics sur les affaires de la cité.https://www.armorial.org/produit/106138/avignon.html

 

dimanche 14 mars 2021

Hervé Le Tellier : L' anomalie

  

Voilà un moment maintenant que j'ai lu  le roman de Hervé Le Tellier L'anomalie mais avec mes rendez-vous en Amérique Latine ou dans les pays d'Europe de l'Est, je n'ai pas eu le temps de le commenter !  Et c'est dommage car s'il n'est pas un coup de coeur, il s'agit pourtant d'une lecture agréable, intéressante, qui pique la curiosité.

Il vaut mieux ne pas trop en dire sur l'intrigue sous peine de gâcher le plaisir du lecteur. Disons seulement que, à quelques mois d'intervalle, le même avion, le Boeing 787, contenant les mêmes passagers, après avoir subi des turbulences, se pose au même endroit lors d'un vol Paris-New-York.

Vous ne comprenez pas ? C'est bien ! car sachez-le : "Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l'intelligence, et même le génie, c'est l'incompréhension"

Hervé Le Tellier présente d'abord les personnages. Ils sont très différents les uns des autres, par le milieu social, le métier, le caractère, l'âge, l'histoire personnelle. C'est avec intérêt que le lecteur fait connaissance de chacun d'entre eux. C'est ce qui rend le récit agréable.

Ensuite survient l'évènement ou, pour être plus précise, l'anomalie ! Comment l'expliquer ? Un grand moment de curiosité ! Oui, l'incompréhension est bien une chose admirable qui donne envie de savoir! Vous vous demandez comment l'auteur va pouvoir se sortir de cette situation inextricable ! Mais si vous connaissez tant soit peu l'Oulipo dont Hervé Le Tellier est le président,vous vous doutez de l'orientation que prendra le récit ! "Si je n'étais pas membre de l'Oulipo*, j'aurais écrit un roman très différent- a dit Hervé Le Tellier. Et c'est bien vrai ! On imagine ce même roman écrit par un théologien, ou par un auteur de Fantasy. Quoiqu'il en soit, cette explication amène le lecteur à réfléchir sur le sens de la vie, sur la liberté humaine.

Une fois votre curiosité satisfaite (trop vite à mon gré, j'aurais aimé faire durer le plaisir !), il va falloir résoudre l'imbroglio que cause l'anomalie car, c'est peu de le dire, l'écrivain a mis ses personnages "dans le pétrin". On pourrait penser que pour l'un d'eux, David, malade, l'anomalie serait providentielle. Et bien non, car il n'y a pas de Providence, on n'échappe pas à son destin. Quant à celui qui s'en tire bien, Blake, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas des plus gentils ! Et tout finit par une explosion et un  dernier jeu littéraire,  un calligramme,  pour dire le mot FIN!


*Oulipo :  Voir France-culture


lundi 6 janvier 2020

Jean-Paul Dubois : Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon (2)


Entre un père danois, pasteur, mariée à une française gauchiste, nouvelle vague et provocatrice, directrice d’un cinéma d’art et d’essai, une enfance à Bordeaux qui s’interrompt par le choc du divorce de ses parents bien mal assortis, Paul Hansen, le héros de notre histoire, se retrouve en prison à Montréal. Il a rejoint son père exilé au Quebec, plus exactement à Thetford Mines (voir ICI), dans le paysage cataclysmique d’une mine d’amiante exploitée à ciel ouvert. Pourquoi est-il en prison ? Pourquoi partage-t-il la cellule de Patrick Horton, motard appartenant à la sinistre bande des Hells Angels, malabar patibulaire qui ne rêve que d’ouvrir les gens en deux,  selon son expression favorite? C’est ce que nous apprendrons peu à peu au cours du récit.

Prison de Bordeaux à Montréal
Ce que j’aime dans ce roman, c’est d’abord son ancrage dans le réel que ce soit celui des années 60-70 en France ou à partir des années 75 au Canada. Le roman s’établit, en effet, sur un va-et-vient entre le présent et le passé, entre la France et Le Canada (et plus rapidement le Danemark). Jean-Paul Dubois n’épargne pas les  deux pays où il vit, et peint les travers de la France et ceux de son pays d’élection.
Ce que j’aime aussi ce sont les personnages auxquels on s’attache malgré leurs faiblesses ou leurs défauts. Paul Hansen est un homme qui aime le travail bien fait et qui a, dans ses relations envers les autres, beaucoup d’empathie et de gentillesse. Homme à tout faire de la résidence Excelsior, c’est avec dévouement qu’il s’occupe des personnes âgées de l’immeuble, et avec sérieux et compétence de l’entretien de la cité. Son histoire d’amour avec Winona, une indienne algonquine est belle et triste. L’amour qu’il  porte à  son chien montre que son humanisme et sa compréhension des autres ne concernent pas seulement l’espèce humaine mais s’étendent aussi aux animaux. Quant à son pasteur de père, Johanes Hansen, que dire de lui ? Qu’il est bien poignant quand on a perdu la foi, de devoir continuer pour vivre à faire un métier en lequel on ne croit plus ! Et que la dérive de cet homme, au demeurant sympathique, crée un sentiment de compassion et de nostalgie devant une vie irrémédiablement gâchée.
Mais si la tristesse est présente dans le roman, l’humour aussi, essentiellement dans le personnage de Horton, le détenu assassin. Il faut dire qu’il vaut mieux être dans les petits papiers de cette armoire à glace ! Et heureusement, pour Paul Hansen, c’est le cas ! Avec Patrick Horton, on assiste à des scènes savoureuses comme celle où il a peur d’une souris ou celle où il découvre la bible.
Pourtant si Horton, nous fait rire, il n’est pas lui-même exempt de tragique. Jean-Paul Dubois, avec ce personnage, parle de l’enfance malheureuse, de ceux qui n’ont pas de chance dans la vie. De même, il dénonce, à travers le personnage du syndic qui prend le pouvoir dans la résidence Excelsior, Edouard Sedwick, le règne du pragmatisme, et de l’efficacité qui fait fi de tout humanité et ne connaît pas le mot solidarité. Le mépris de ce technocrate, « archétype du fourbe cauteleux, du chacal sournois » envers ceux qui sont sous ses ordres, la déshumanisation des rapports humains que Sedwick introduit dans la résidence, sont dans le collimateur de l’écrivain et renforcent la sympathie que nous éprouvons envers Paul Hansen.
Un bon roman donc, entre rire et émotion, avec des personnages pour qui l’auteur éprouve une tendresse  qu'il nous fait partager.








samedi 4 janvier 2020

Québec : Thetford Mines et Abestos dans le roman de Jean-Paul Dubois : Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon


Je viens de finir le roman de Jean-Paul Dubois Tous les hommes n'habitent par le monde de la même façon, prix Goncourt 2019, et avant de le commenter, je vous livre un extrait de quelques pages dont j'aime beaucoup l'écriture. Quant à ce qui est décrit, cela nous rappelle que lorsque l'économie est en jeu et lorsqu'il s'agit de l'enrichissement des grands groupes capitalistes, la vie humaine ne compte pas ! On comprend mieux aussi combien et pourquoi il est long et difficile de forcer les gouvernements à prendre des mesures pour éviter les pollutions.
Dans ce récit, le personnage principal Paul Hansen, vient rejoindre son père, Johanes Hansen, pasteur exilé au Québec, à Thetford Mines.

Le lac minier (voir ici)
Thetford Mines est aujourd’hui encore une aberration géologique doublée d’une curiosité esthétique.
(…)
Des mines, et encore des mines, creusées à ciel ouvert, profondes, récurées jusqu’au ventre de la terre, des cratères lunaires gigantesques, des fosses martiennes démesurées, taillées en escalier, striées de routes tortueuses, de terrils poussiéreux, roulés en boule, pareils à énormes animaux endormis. Et çà et là, de grands lacs, semblant tombés du ciel, gorgés d’une sublime eau émeraude, petite mer de joaillier, quasi surnaturelle et luminescente dans ce paysage dégradé de cicatrices, de tristesse, de grisés.
Le nom de la dernière petite municipalité avalée par Thetford Mines, Amiante, en dit long sur la nature des sols. Sa proche voisine se nomme Abestos*.


Abestos : mine jeffrey  (source)
C’est donc ici que vit mon père, dans ce chaudron de fibres et de poussières, dans cet incroyable décor minier, cette cité fouillée, charcutée, bombardée, irréelle, où depuis 1876, le chrysolite était roi.
(...)
C’est à Paris, en 1975, l’année ou mon père installa dans les boyaux de Thetford Mines, qu’éclata le scandale de l’amiante à la faculté de Jussieu. On avait découvert que ce matériau, présent dans les bâtiments, et vieillissant mal, dispersait des poussières et pouvait contaminer les étudiants.
 La même année, Thetford Mines établissait ses records de production dans les puits et le chrysotile du KB3 était partout, dans l’air, dans l’eau, la terre, les jardins, les maisons, les écoles, le macadam des rues et même l’église de Johanes Hansen
(...)
L’idée de vivre dans une ville ouatée d’amiante, poudrée par le poison, guettée par l’asbestose, ne me préoccupait pas plus que les autres résidents de Thetford Mines qui naissaient, grandissaient, apprenaient, flirtaient, baisaient, se mariaient, s’assuraient, travaillaient, divorçaient, socialisaient, rebaisaient, vieillissaient, toussaient, et mouraient entre les monts et cratères, les terrils et les fosses.


Thetford Mines et Abestos

Thetford Mines : la ville
Thetford Mines est une ville du Québec, au Canada, située dans la municipalité régionale de comté des  Appalaches en Chaudière-Appalaches. En 2015, la population était de 25 621 habitants.
*Abestos : Le nom de la ville vient du mot anglais pour l’amiante, asbestos ou « asbeste » en ancien français, lui-même étant à l'origine un mot grec signifiant : incombustible. L'abestose est le nom donné à la maladie des poumons liées à l'abeste.
Lisez l'article de Jessica Van Horssen ICI , dans lequel elle raconte l'histoire de la ville d'Abestos et des relations conflictuelles entretenues par les habitants d'Abestos et la toute puissante compagnie minière américaine Johns Manville, entre amour et répulsion, entre consentement aux destructions partielles de quartiers de la ville et révolte (grandes grèves de 1949). 
La Johns Manville Company épaulée par le gouvernement  canadien de l'époque exploita les gisements d'amiante de la mine Jeffrey jusqu'en 1983 au détriment des territoires de la communauté et de la santé de tous. Les habitants n'étaient pas vraiment persuadés de la nocivité de l'amiante. Et puis entre leur santé et la nécessité de  nourrir leur famille, ils n'avaient pas vraiment le choix. Il fallait bien vivre ! Mais, comme le remarque Jessica Van Horssen, ce n'est pas seulement l'argent et l'intérêt qui expliquent leur attachement à leur mine : 
"Si l’argent constituait certainement un facteur déterminant, il y avait un profond sentiment d’appartenance au lieu, et ce sentiment était ancré dans le territoire qui reliait les habitants à la mine Jeffrey. Malgré une histoire d’expropriations répétées, l’absence brutale d’expansion territoriale et économique de la mine Jeffrey fut plus traumatisante que la disparition de l’église ou du centre-ville commercial. La Johns-Manville avait fait en sorte que les populations locales perçoivent les transformations territoriales à grande échelle comme le symbole ultime du progrès et de la prospérité. Sans elles, la ville était perdue." 
La mine fut reprise après 1983 et exploitée jusqu'en 2011mais ce n'est qu'en 2018 que le gouvernement canadien interdit l'amiante alors que sa nocivité par inhalation est connue depuis 1880 ! Un rapport sur les dangers de l'amiante existe dès 1906, en Angleterre dans les années 1930, en 1947 la France reconnaît l'abestose comme maladie du travail. Pourtant lorsque la France se décide enfin à voter l'interdiction de l'amiante en 1997, elle est attaquée par le Canada, qui est alors le deuxième producteur mondial d'amiante, devant l'Organisation Mondiale du Commerce. L'OMC a donné raison à la France en confirmant  " la cancérogénicité du chrysotile, l'absence d'un seuil d'innocuité, l'importance des populations à risques, l'inefficacité de l'utilisation contrôlée, la moindre nocivité des produits de substitution. C'est la première fois qu'un pays membre du GATT ou de l'OMC parvient à démontrer qu'une mesure nationale est "nécessaire à la protection de la santé et de la vie des personnes ".


La ville d'Abestos, considérant que ce nom à la connotation négative lui fait du tort, va en changer au cours de l'année 2020.

jeudi 19 décembre 2019

Audur Ava Olafsdottir : Miss Islande



Miss Islande de Audur Ava Olafsdottir raconte l’histoire d’une jeune femme qui porte le nom du volcan islandais, Hekla. Elle part à Reykjavik, quittant sa région natale, dans le nord, pour être écrivain. Elle s’est aperçue bien vite qu’il est difficile de réaliser son projet -qui est aussi une vocation- quand on est une femme. De caractère bien trempé, volontaire, elle décide de tracer sa route sous un nom d’emprunt. Non, nous ne sommes pas dans l’Angleterre victorienne des soeurs Brontë mais en Islande dans les années 1960 ! Hekla est née en 1942. Le premier chapitre du livre s’intitule d’ailleurs : « Poète est un mot masculin ». Seule son amie Isey, mariée trop jeune et déjà mère, et Jon John, son  ami d’enfance, homosexuel, ainsi que son père, sont au courant.

Le volcan Hekla : voir ici

Le récit raconte les difficultés rencontrées par Hekla : travailler dans un café, subir les humiliations quotidiennes, gestes déplacés, harcèlement sexuel, d’hommes avinés, refuser de participer au concours de Miss Islande, seule « carrière » envisageable, semble-t-il, pour une jeune femme quand elle est jolie, et trouver le temps de continuer à écrire !
Mais être une femme au foyer, ne semble pas beaucoup plus désirable. C’est ce que l’on se dit quand on voit Isey, ses regrets non exprimés, son enfermement entre quatre murs, son manque de communication avec son mari, et, malgré l’amour porté à ses enfants, la peur d’être enceinte sans pouvoir être maîtresse de son corps, sans possibilité de contraception.
Le roman explore aussi le thème de l’homosexualité. Il montre les souffrances de Jon John qui doit cacher ce qu’il est, et pourtant subir les railleries, les brimades, la brutalité de ses camarades de travail pendant ses expéditions en mer.
Ces deux derniers personnages, fragiles, sont intéressants. J’ai aimé ce qu’écrit Isey dans son journal intime qu’elle cache dans une seau mais qui contient de jolies perles poétiques. Par contre, le personnage de Hekla n'est pas attachant. Les relations qu’elle entretient avec Starkadur, l’homme avec qui elle va vivre, ne la rendent pas obligatoirement sympathique. Elle est très froide et n’a d’empathie que pour ses amis et son père. On sent qu’elle est prête à sacrifier tout ce qui freinerait ses projets.
C’est peut-être pour cela que le roman malgré ses qualités évidentes d’écriture ne m’a pas toujours touchée bien qu'il ait reçu le prix Médicis étranger.
Ce que je préfère, dans le roman,  se situe dans le chapitre placé avant l’histoire d’Hekla : le passage où la mère d’Hekla, enceinte, rencontre l’aigle qui la raccompagne jusqu’à son logis, celui où le père amoureux des volcans donne son nom à la fillette et l’amène avec lui voir les éruptions.
En fait, c’est là que je retrouve l’écriture que j’aime, Audur Ava Olafsdottir et son rapport avec la nature et la terre mère, l’Islande.

jeudi 8 février 2018

Kazuo Ishiguro : Le géant enfoui




De Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature, j’avais beaucoup aimé Vestiges du Jour et Quand nous étions orphelins. Avec Le géant enfoui, l’écrivain nous emmène dans un tout autre univers, surprenant, mystérieux, envoûtant mais aussi inquiétant.
Nous sommes en Angleterre dans les temps reculés. Les saxons et les bretons vivent sur cette terre dans une entente relative. Le roi Arthur est mort mais erre encore dans les montagnes, à la recherche d’une dragonne, un de ses très vieux chevaliers, sire Gauvain. Noyée dans la brume, cette terre abrite des habitants qui semblent perdre la mémoire; leurs souvenirs s’effacent peu  à peu.
C’est alors que le vieux couple Axl et Beatrice, unis par un amour fidèle, décident de partir dans une île lointaine à la recherche de leur fils qu’ils n’ont pas vu depuis longtemps. On les suit dans cette aventure.

On le voit, le livre peut être lu au premier degré comme un roman de fantasy et d’aventures. Axl et Beatrice vont affronter toutes sortes de dangers, mauvaises rencontres avec des humains, des animaux ou des êtres surnaturels. Qui est ce guerrier qui accepte de les protéger quand le couple se charge d’un enfant banni par son village après avoir été mordu par une bête monstrueuse? Et ces moines qui se laissent dévorer vivants par des oiseaux de proie? Qui est cet étrange batelier qui amène les voyageurs sur l’autre rive mais sépare les couples qui ne s’aiment pas d’un amour véritable?

IL y a bien sûr, un souffle magique dans ce récit d’aventures, mais ceux qui voudront le lire seulement comme un roman fantasy seront peut-être déçus car le rythme est lent et l'intérêt est ailleurs. Dans cette réflexion philosophique sur le rôle de la mémoire. Par l’intermédiaire de cette brume qui efface le passé, le roman parle de l’absence au monde. Les personnages vivent là dans un monde évanescent, qu'ils ne dominent pas, dont ils n'appréhendent qu'une infime partie, sans bien savoir où ils se situent ni ce qu’ils sont. N’est-ce pas ce que nous sommes tous ? La mémoire nous apporte-t-elle le bonheur ? N’est-elle pas au contraire source de chagrin, ne ravive-telle pas la haine et les désirs de vengeance entre les peuples et chez les individus? En permettant un retour dans le passé, le souvenir révèle les failles, les accidents de parcours dans la vie d’un vieux couple car l’amour n’est jamais paisible.

Avec Le Géant enfoui, nous sommes dans un monde qui finit, celui des légendes et des chevaliers de la table ronde (très beau personnage de sire Gauvain ) et celui de Axl et Beatrice. Car le livre est aussi une métaphore de la mort avec son corollaire la vie et l’amour. Le chemin parcouru péniblement par le vieux couple, en particulier par Beatrice, malade, est sans doute le dernier chemin; le batelier ne serait-il pas alors l’incarnation de Charon, le nocher des Enfers ? Mais c’est aussi une belle histoire d’amour car malgré les vicissitudes de la vie, le sentiment qui unit Axl et Beatrice est grand, touchant et indestructible.

Un très beau livre ! Si le pays est estompé par la brume, le roman baigne le lecteur dans une douceur triste, un climat mélancolique engendré par un délitement progressif, un effacement des êtres et des choses. Une lecture qui soulève beaucoup d’émotion et de questions.


Kazuo Ishiguro, né le 8 novembre 1954 à Nagasaki, est un écrivain, romancier et scénariste britannique d'origine japonaise. 
Il a obtenu le pric Noble de littérature le 5 octobre 2017.

mardi 5 décembre 2017

Olivier Guez : La disparition de Josef Mengele



La disparition de Josef Mengele de Olivier Guez

1949  : Josef Mengele arrive en Argentine.
Caché derrière divers pseudonymes, l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz  croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie à Buenos Aires. L’Argentine de Peron est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis. Mais la traque reprend et le médecin SS doit s’enfuir au Paraguay puis au Brésil. Son errance de planque en planque, déguisé et rongé par l’angoisse, ne connaîtra plus de répit… jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage en 1979.
Comment le médecin SS a-t-il pu passer entre les mailles du filet, trente ans durant  ?
La Disparition de Josef Mengele est une plongée inouïe au cœur des ténèbres. Anciens nazis, agents du Mossad, femmes cupides et dictateurs d’opérette évoluent dans un monde corrompu par le fanatisme, la realpolitik, l’argent et l’ambition. Voici l’odyssée dantesque de Josef Mengele en Amérique du Sud. Le roman-vrai de sa cavale après-guerre. (quatrième de couverture )

L’autre jour dans un débat à la télévision à propos de Oskar Gröning, ancien comptable d’Auschwitz, qui est jugé actuellement à l’âge de 96 ans ( !), la conversation a fini par porter sur Mengele et le livre d’Olivier Guez. Après tout, a dit l’un des participants, Mengele a été puni de ses crimes puisqu’il a été traqué, obligé de se dissimuler et a vécu dans l’angoisse et la solitude. 

Le roman d’Olivier Guez nous apprend que ce n’est pas entièrement vrai. Josef Mengele a vécu des années à Buesnos Aires, dans la communauté nazie qui s’était installée en Argentine sous la protection du dictateur Peron. Il a habité avec sa seconde femme dans une luxueuse maison, a fréquenté les cercles nazis,  a assouvi sa passion pour l’opéra, et continuer à faire fructifier en Amérique du Sud l’entreprise de son père et sa fortune. Il a pu aller en Suisse pour voir son fils, rendre visite en Allemagne à son père, ancien nazi lui aussi, qui a usé de son influence et de sa fortune pour qu’il ne soit pas inquiété. Après la fin de la dictature de Peron, il a été accueilli au Paraguay et a même obtenu la nationalité du pays. Et si l’angoisse d’être poursuivi et traqué a été sa punition, la fortune de son père pendant de longues années l’a protégé.

Il vous faut lire, comme je l’ai fait,  le très beau et terrible  roman de Affinity K., Mischling, sur les crimes du docteur Mengele, pour comprendre que ce n’est pas suffisant. Il aurait fallu un procès et un jugement pour rendre un véritable hommage à ses victimes, pour permettre aux survivants et aux familles de faire leur deuil. Au lieu de cela nombreux sont les gouvernements qui ont fermé les yeux ou pire collaboré pour sauver les criminels de guerre et ceci pour des raisons idéologiques, ou économiques, ou pour asseoir leur puissance dans le monde !
 C’est le mérite de ce livre, mi-roman, mi-biographie, de montrer la culpabilité de ces pays. Olivier Guez cite l’Allemagne, bien sûr, qui a conservé à la tête du pays tous les grands industriels qui ont aidé le nazisme à l’extermination des juifs et des opposants,  l’Amérique du Sud qui est devenu un repaire pour ces monstres, l’Egypte qui a demandé l’aide de savants nazis pour sa course à l’armement. Il aurait pu parler des Etats-Unis qui n’ont pas été les derniers à récupérer les scientifiques nazis pour la conquête de l’espace, et de l’Italie, en particulier du Vatican, qui a organisé une filière pour assurer leur fuite. Mais ne donnons pas de leçons, en France aussi, on s’est bien gardé de juger les criminels s’ils étaient haut placés, bien sûr !

J’ai lu ce livre avec beaucoup d’intérêt et, si ce n’est pas le premier que je lis sur ce sujet, cela ne m’a pas empêché d’éprouver comme toujours le même sentiment de révolte en pensant aux millions de morts dont ces hommes sont responsables et à la culpabilité des états qui ont entravé les recherches et se sont faits les complices de ces criminels. 

« A Auschwitz, les cartels allemands s’en sont mis plein les poches en exploitant la main-d’oeuvre servile à leur disposition jusqu’à épuisement. Auschwitz, une entreprise fructueuse : avant son arrivée au camp, les déportés produisaient déjà le caoutchouc synthétique pour IG Farben*et des armes pour Krupp. L’usine de feutre Alex Zink achetait des cheveux de femmes par sacs entiers à la Kommandatur et en faisait des chaussettes pour les équipages de sous-marins ou des tuyaux pour les chemins de fer. Les laboratoires Schering rémunéraient un de ses confrères pour qu’il procède à des expérimentations in vitro et Bayer testait de nouveaux médicaments contre le typhus sur des détenus du camp. Vingt ans plus tard les dirigeants de ces entreprises ont retourné leur veste. Ils fument le cigare en compagnie de leur famille en sirotant de bons vins dans leur villa de Munich ou de Francfort. »



* Farben producteur du gaz Zyklon B. utilisé dans le camps nazis, coupable de la mort de six millions de juifs . 


Prix Renaudot

dimanche 3 décembre 2017

Philippe Jaenada : La serpe



Qu’est-ce qui peut provoquer une telle addiction dans un livre de Philippe Jaenada ? C’est ce que je me suis demandé en lisant en deux  jours La serpe, un pavé de plus de six cents pages. Les meurtres qui y sont relatés sont anciens, les coupables ont été jugés depuis longtemps  et la plupart des protagonistes ont maintenant disparu !

Un vrai « polar »
Le château de l'Escoire

Dans La Serpe, Philippe Jaenada enquête comme il sait si bien le faire sur un triple assassinat qui a eu lieu dans le château de l'Escoire en Périgord, pendant la guerre de 1940. J’ai eu envie de lire ce roman quand j’ai appris que Henri Girard accusé d’avoir tué son père, sa tante et la bonne, n’était autre que Georges Arnaud, l’auteur de Le salaire de la peur. Ce livre paru dans les années 50,  à l’écriture puissante, a donné lieu à plusieurs adaptations : celle de Clouzot, en particulier, avec Charles Vanel et Yves Montand.

Philippe Jaenada procède, quand il prend en charge une affaire, exactement comme le ferait un enquêteur chargé de trouver le criminel. Il retourne sur les lieux du crime, examine les indices, s’imprègne de l’atmosphère; et, puisqu’il s’agit d’un évènement ancien, consulte les archives, les minutes du procès, la correspondance des principaux personnages. Au lieu de remonter le temps, il le descend, il s’immerge dans l’époque. Pas étonnant qu’il soit alors habité par des fantômes et qu’il puisse éprouver la chair de poule en  mettant  son pas dans les traces de l’assassin. Chemin faisant il nous fait part de ses doutes, s’il en a (et c’est le cas pour cette enquête) puis il apporte sa propre vision de ce qui s’est passé.
Il s’agit donc pour le lecteur d’une véritable enquête policière dans lequel les ressorts romanesques sont les mêmes que ceux d’un bon vieux « polar » ! Empathie pour les victimes, frissons, horreur des crimes commis, curiosité et questionnement sur la véritable identité du coupable, résolution de l’énigme.
Et comme dans tout bon roman policier, nous découvrons ici la société française de l’époque. Ainsi l’antagonisme plus ou moins larvé entre châtelains et villageois, entre maîtres et employés semble jouer une grand rôle. La misère est très répandue dans cette France de la province, les inégalités sociales très marquées. De plus tout est exacerbé par les privations dues à la guerre. L’occupation allemande et le gouvernement de Vichy servent de toile de fond à ce drame et entrent en ligne de compte dans les motivations des personnages. Quant à la justice française, j’espère qu’elle a fait des progrès car la manière de conduire une enquête à cette époque-là est extrêmement inquiétante !

Un  enquêteur  bourré d’humour

Philippe Jaenada (source)
L’inspecteur ? Allons, soyons bons ! Accordons lui le grade de commissaire! Le commissaire Jaenada ne peut s’empêcher de se glisser dans le récit et devient ainsi un personnage à part entière comme dans un roman de Fred Vargas.  Et ceci par le biais des fameuses digressions jaenadiennes.  Et bien oui, vous partagez tout de ses états d’esprit, de ses peurs bleues, de ses vagues-à-l’âme, de ses amours aussi, sa femme et son fils…   Et avec quel humour !
Ainsi,  vous saurez qu’il aime la solitude et la retraite, du moins c’est ce qu’il prétend ! Mais quand il part quinze jours en Périgord, c’est pire que s’il partait six mois en Sibérie au bord du lac Baïkal comme dans le dernier roman que  je viens de lire de Sylvain Tesson. Heureusement,  pour se coucher, il a emporté  son « doudou », euh! je veux dire le foulard de sa femme ! Il est vrai que l’épreuve est grande pour un Parisien comme lui de partir ainsi dans le Périgord, une région sauvage et désolée avec des autochtones peut-être hostiles, on ne sait jamais !
J’adore ce style d’humour ! Je m’arrête sur ce sujet, en précisant que l’humour permet de désamorcer la tension qui naît de l’atrocité et de la sauvagerie de ces assassinats qui nous sont décrits avec précision.

L’analyse psychologique et la structure du livre

Henri Girard  : Georges Arnaud
L’écrivain est excellent dans l’art de l’analyse psychologique à travers les lettres, les écrits, mais aussi les déclarations des uns et des autres car tout est consigné au cours du procès et les nombreux témoignages permettent de brosser un portrait du suspect assez complexe.
 Il y a, et c’est ce qui me passionne,  une mise en abyme de Henri Girard comme s’il était vu dans une succession de miroirs qui  renvoient des images contradictoires.  Par exemple, selon le point de vue, Henri Girard peut apparaître comme un sale gosse de riches, dépensier, caractériel, un individu méprisable, violent, capable de tous les crimes, plein de haine envers son père et sa tante. Mais aussi et en particulier à travers la correspondance qu’il entretenait avec son père, il peut être un enfant traumatisé par la mort de sa mère, mal dans sa peau,  arrogant, certes, mais un fils aimant et respectueux, un homme très intelligent et cultivé,  engagé contre le nazisme, un humaniste qui venait en aide aux plus pauvres.. 
La structure du livre en deux parties va jouer sur les deux facettes du personnage et nous amener à un dénouement inattendu mais spectaculaire !

 Prix Fémina 2017

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samedi 1 octobre 2016

Pierre Lemaître : Au revoir là-haut



Il m’en aura fallu du temps pour lire Au revoir là-haut de Pierre Lemaître, prix Goncourt  2013 qui est dans ma PAL depuis ce temps-là !
Et bien au moins l’on ne pourra pas dire que je suis dans l’actualité et que je n’ai pas eu le temps de réfléchir.
J’ai beaucoup aimé Au-revoir là haut car il nous montre toutes les horreurs de la guerre et pas seulement des combats puisque le roman commence quand finit le conflit en 1918. Non, il nous montre l’Après et cela n’a rien de réjouissant.
L’Après c’est ce qu’il advient des combattants comme Albert, caissier dans une banque avant la guerre, et qui ne retrouve pas son travail à son retour, obligé de gagner sa vie avec toutes sortes de petits boulots et à vivre dans la misère. Dans l’Après les « héros » sortis du peuple et encore vivants deviennent encombrants.
Mais pas le lieutenant de Pradelle, noble ruiné, qui a su profiter de la guerre pour se faire un tremplin et épouser la fille d’un grand industriel Mr Péricourt. La richesse et les honneurs sont pour lui qui qui n’a pas hésité à tuer ses hommes ou à les faire tuer pour gagner ses médailles.
Quant au fils de Péricourt, Edouard, gueule cassée, qui a failli mourir pour sauver Albert, il préfère passer pour mort plutôt que de rejoindre ce père qui l’a toujours rejeté, grand bourgeois qu’il méprise, milieu social dont il dénonce l’hypocrisie.
Et puis il y a les profiteurs, ceux qui vont s’enrichir sur les sépultures des soldats tombés ou sur les monuments aux morts qui fleurissent dans toute la France. Les spéculations les plus affreuses ont lieu sur les dépouilles des héros. Le charnier de la grande Guerre engraisse tous ceux qui vont exploiter la mort à leur profit.

C’est avec virulence que Pierre Lemaître fait le portrait de la pourriture qui gangrène la classe dominante; c’est avec lucidité qu’il dénonce la lâcheté, l’hypocrisie et l’enrichissement de tous ceux qui tirent des profits de la guerre. 
Le roman est très bien écrit, d’une plume évocatrice qui fait naître des images et nous submerge de terreur et d’émotion : ainsi la scène où Albert est enseveli dans un trou d’obus et se retrouve nez à nez avec la tête d’un cheval ou encore ces passages fiévreux, à l’hôpital, qui décrivent la douleur physique et morale d’Edouard qui a eu le visage emporté par un éclat d’obus.
Un roman très fort, une dénonciation de la guerre et de ceux qui en vivent et en tirent profit, un récit qui ne peut laisser indifférent.

PS : Dans mes discussions avec Wens (blog en effeuillant la marguerite), nous avons eu des divergences sur ce livre. Je vous en fais part car il est intéressant d’avoir des points de vue différents. Si Wens est d’accord pour louer la force de l’écriture, il trouve que Pierre Lemaître force trop le trait; pour lui le lieutenant Pradelle est une caricature. Ce dernier cumule trop de turpitudes sur sa seule tête : aristocrate déchu et corrompu, meurtre de ses propres soldats, trafic des cercueils, vie dépravée.. Un peu plus de mesure sur ce personnage aurait renforcé la critique sociale.

vendredi 16 septembre 2016

John Maxwell Coetzee : Disgrâce



La disgrâce, c’est celle dans laquelle tombe David Lurie professeur de littérature à l’université du Cap pour avoir eu des relations sexuelles avec une étudiante. Révoqué, poursuivi par la presse à scandale, déchu, mis au ban de la société, il va se réfugier chez sa fille Lucy qui a une ferme non loin du Cap. Lucy vit sur cette modeste terre qu’elle cultive avec un associé noir, Petrus, dont on sent qu’il veut agrandir sa propre propriété au dépens de celle de la jeune fille. La plus grande source de revenus et la joie de Lucy, c’est son élevage canin. Mais dans les temps qui suivent l’apartheid, il est dangereux de vivre ainsi seule et femme dans un pays où les tensions sont très fortes entre les noirs et les blancs. La fille et le père subissent une agression de la part de trois jeunes noirs haineux et animés d’un désir de revanche. Si David s’en sort avec de graves brûlures, Lucy, elle, est violée. Mais elle ne veut pas porter plainte et veut conserver le bébé conçu lors du viol…

Le personnage de J M Coetze, David Lurie, est à un tournant de sa vie et il incarne aussi la fin d’une époque.
 Homme à femmes (il a divorcé deux fois et collectionne les aventures), il arrive à un âge où les belles jeunes filles ne s’intéressent plus à lui. Cette dernière aventure avec une étudiante est son chant du cygne et encore, il faut bien avouer que la belle n’est pas très enthousiaste voire consentante pour cette relation. L’aventure plutôt sordide qu’il aura ensuite avec Bev Shaw, la voisine de sa fille, dans un labo qui sert à la mise à mort de chiens malades ou errants et avec une femme sans charmes signe la fin de sa vie sexuelle.
Il faut reconnaître que David Lurie n’est pas un homme sympathique et qu’on ne le plaint pas trop! Ce n’est pas pour rien qu’il s’intéresse à Byron, lui aussi poursuivi par le scandale lié à ses relations sexuelles. Le mépris des femmes de Lurie est patent, sa condescendance envers les classes sociales inférieures ou peu cultivées et son orgueil ne le sont pas moins. Il refuse de faire amende honorable et de demander pardon à la jeune fille et quand il le fait c’est avec assez d’arrogance. Et c’est au nom de sa liberté et des droits au désir qu’il estime ne pas être coupable. Mieux vaut la mort que de renoncer à sa nature profonde, donc au désir.

Mais c’est aussi la fin d’une époque ou plutôt le début d’une autre à laquelle il ne peut s’adapter. La période post-apartheid est d’une grande violence. Le racisme, les haines, l’inégalité, n’ont pas disparu. Personne n’est vraiment en sécurité, la misère est trop forte, le bouleversement des mentalités trop intense. Les rivalités, la cupidité, le besoin de vengeance ne sont satisfaits que par le vol, le viol ou le meurtre. Si David travaille parfois sous les ordres de Petrus -  c’est alors l’ancien « boy » qui devient le patron -  il ne peut comprendre l’acceptation de sa fille, voire sa soumission vis à vis des voyous qui l'ont attaquée.  Et pourquoi s'obstine-t-elle à rester sur ce lopin de terre désolé et dangereux? Il y a un fossé entre lui et elle qui représente la génération post-apartheid.

«  Espères-tu expier les crimes du passé en souffrant dans le présent? » lui demande-t-il.

Sa fille plus tard fait écho  :
-Oui, je suis d’accord, c’est humiliant. Mais c’est peut-être un bon point de départ pour recommencer.
C’est peut-être ce qu’il faut que j’apprenne à accepter. De repartir à zéro. Sans rien. Et pas, sans rien sauf. Sans rien. Sans atouts, sans armes, sans propriété, sans droits, sans dignité.
-Comme un chien
—Oui, comme un chien.

Mais les chiens, allégories de ce pays tragique, en proie au désordre, sont faits pour être sacrifiés comme on le voit au cours du roman. A la fin, en parlant d'un chien malade qu'il aime mais qu'il envoie à la mort, David Lurie répond à  l'étonnement de Bev Shaw  :
-Je pensais que tu lui donnerais une semaine de grâce; Tu le largues?
- Oui, je le largue.

Or, Disgrâce est le dernier roman écrit par Coetze avant de quitter son pays pour l'Australie.

Un grand roman extrêmement fort tout autant que pessimiste, qui peint un pays malade, un pays qui ne semble pas pouvoir un jour surmonter ses épreuves. Disgrâce a reçu le prestigieux prix Booker en 1999.



John Maxwell Coetzee est un écrivain et professeur sud-africain, naturalisé australien et d'expression anglaise, né en 1940 au Cap en Afrique du Sud. Il est lauréat de nombreux prix littéraires de premier ordre dont le  prix Nobel de littérature en 2003. Marquée par le thème de l'ambiguïté, la violence et la servitude, son œuvre juxtapose réalité politique et allégorie  afin d'explorer les phobies et les névroses de l'individu, à la fois victime et complice d'un système corrompu qui anéantit son langage. Wikipédia.

jeudi 2 juillet 2015

Lily Brett : Lola Bensky



Le roman de Lily Brett, paru aux éditions de la grande Ourse et qui a obtenu le prix Médicis en 2014, est en grande partie autobiographique. C’est à travers un personnage fictionnel, Lola Bensky, journaliste assez atypique, que l'auteure nous raconte sa vie. Lola, tout en interviewant les stars du rock à Londres et à New York pour son magazine australien, Rock-Out -nous sommes en 1967- fait part (aux rockers comme à nous, lecteurs) de ses réflexions sur son régime alimentaire, son drame étant d’être trop grosse, et de souvenirs de la Shoah vécus par ses parents! Fille de parents polonais rescapés d’Auschwitch, elle est née dans un camp pour personnes déplacées en Allemagne et a grandi à Melbourne. Mais si ses parents l’aiment, elle a vite réalisé qu’ils n’étaient pas véritablement présents car ils ne sont jamais sortis des camps de concentration, sa mère surtout qui ne peut s’empêcher de revivre sans cesse le passé .

Lily Brett et John Weider, guitariste du groupe Eric Burdon (source)

Si j’ai choisi de lire ce livre, ce n’est pas pour faire un pèlerinage sur les traces de Mick Jagger, Jimi Hendrix, Manfred Mann, Paul Jones, Cher, Jim Morrison et bien d’autres puisque je n’ai jamais aimé le rock (oui, je sais, je suis un anachronisme vivant dans la génération 68)! Mais contre tout attente, pendant la lecture, je me suis intéressée à ces stars que Lili Brett alias Lola Bensky fait revivre d’une manière surprenante dans des interviews pas très orthodoxes et tellement drôles parfois. Elle interroge Jimy Hendrix sur ses bigoudis, aide Barry Gibb a acheté 4 costumes semblables, se lamente sur son poids avec Mama Cass, interroge Cat Stevens sur ses tics de genoux, et se fait voler ses faux cils par Cher! Le ton est nouveau, plein d’humour, inattendue même. Il est aussi plein d’émotion quand elle évoque la courte vie de certains de ces rockers qui se droguaient et priaient pour ne pas mourir vieux.

The Black coat : portrait de Lily Brett par son mari David Rankin
Lily Brett peinte par son mari le peintre australien David Rankin (source)

Si j’ai choisi de lire ce livre, c’est pour rester dans la continuité de mes lectures. Avec Le liseur de Bernhard Schlinck et Automne allemand  de Stag Daggerman je venais de découvrir le sentiment de culpabilité et le mal être des enfants de parents nazis après la guerre. Il m’a paru intéressant de savoir comment les enfants des victimes rescapées avaient vécu eux aussi.
J’avoue que là encore le ton du roman surprend. Les atrocités des camps d’extermination, telle que sa mère a pu la vivre, Lola Binsky les distille entre deux interviews, petites anecdotes que l’on reçoit comme une gifle, au cours d’un bavardage à bâtons rompus ou de la découverte d’un nouveau régime amaigrissant. Cette apparente désinvolture donne encore plus de force à l’horreur. Peu à peu l’on s’aperçoit que toute la vie de Lola est hantée par ces souvenirs qui reviennent obsessionnellement. Elle n’a pas connu les camps mais comme sa mère, elle n’en est jamais sortie.

A quatre ans seulement, Lola savait déjà que les sélections envoyaient les juifs à la chambre à gaz. Elle ignorait ce qu’était le gaz, mais elle comprenait que ce n’était pas bon. Quand elle était rentrée à l’école et qu’elle avait découvert qu’on procédait chaque matin à l’appel, sa première réaction avait été de s’enfuir pour se cacher.
  Les enfants des rescapés des camps de la mort sont tous, nous dit Lily Brett, d’une manière ou d’une autre, perdus dans un brouillard, en proie à des crises de panique, assaillis de maux physiques et de maladies psychosomatiques.

L’absence pouvait occuper la place avec une surprenant intensité. Lola se demandait souvent comment quelque chose qui n’était pas là pouvait se faire aussi présent. L’absence des êtres, notamment. Des oncles, des tantes, des cousins et cousines avec lesquels elle aurait théoriquement dû grandir. Des grands-parents dont elle avait la nostalgie même si elle ne les avait jamais connus. Des questions qui restaient en suspens ou qui n’étaient jamais formulées. Et l’absence de sa mère.
A travers l’autodérision et l’humour, le ton se fait plus grave pendant que l’écrivaine analyse les traumatismes du passé qui l’ont marquée d’une trace indélébile.

Lola ne savait pas qu’elle était liée aux morts par une double couture. Cousue à eux par un fil invisible. Et commençant à éprouver leur poids.
Un roman curieux et décalé, passant du rire à la gravité, parlant du pire avec légèreté, pour mieux nous communiquer la souffrance et la détresse qui ont nourri ces jeunes générations et leurs malheureux parents. Un livre à découvrir!

samedi 23 mai 2015

Pär Lagerkvist : Le nain

Paolo Ucello : La défaite du camp siennois illustrée par la mise hors de combat de Bernardino della Ciarda, (~1456)
Paolo Ucello : La bataille de San Romano entre Florence et Sienne

Les deux grandes questions de ce livre Le nain de Pär Lagerkvist  sont les suivantes :
Est-ce grand et merveilleux d’être homme et faut-il s’en réjouir? Est-ce dénué de sens et désespérant et faut-il s’en affliger?

Agnolo Bronzino : Le nain Morgante à la cour des Médicis à Florence
Agnolo Bronzino : Le nain Morgante, cour des Médicis
Le nain, personnage éponyme du livre, vit dans une cour de la Renaissance italienne, Florence (?), auprès d’un Prince qui pourrait être celui de Machiavel et qui est peut-être le mélange d'un Médicis, Lorenzo le Magnifique et d'un Sforza, Ludovico, duc de Milan, tous deux mécènes de Léonard de Vinci, ou de bien d’autres encore. Nous ne le saurons pas! Cela n’est pas dit mais nous reconnaissons pourtant un grand peintre, Maestro Bernardo, savant et philosophe, traité comme un égal par le Prince, qui peint la Cène, réalise le portrait d’une femme, la princesse, au sourire énigmatique, et imagine pour son maître des engins de guerre mystérieux : Vous savez qui? bien sûr! Et ajoutez à cette évocation un grand Condottieri et la guerre entre deux cité italiennes.

La Cène de léonard de Vinci réalisé de 1494 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan
Ultime Cène de Leonardo da Vinci (1494 à 1498 à Milan)

Le roman de Pär Lagerkvist n’est pourtant pas un roman historique à proprement parler bien qu’il nous fasse voir cette période brillante mais trouble et mouvementée de la Renaissance et qu’il nous promène dans les rues de la ville, hérissée de campaniles encore en construction et en proie à la peste; bien qu’il nous fasse assister à de somptueux banquets, à des fêtes éblouissantes qui se terminent dans un bain de sang, bien qu’il nous dépeigne les préoccupations et les mentalités de ces hommes de la Renaissance qui émergent d’un long Moyen-âge… Et cet aspect du récit n’est pas un des moindres plaisirs du texte. Mais Le nain est aussi un roman philosophique où l’écrivain explore toutes les facettes du Mal et questionne le sens de la vie.

Un roman philosophique

Homme de Vitruve: dessin de Léonard de Vinci (1492) Galleria  dell'Academia de Venise
Homme de Vitruve: dessin de Léonard de Vinci (1492)
Le journal du nain Piccolino, nous fait pénétrer, en effet, dans l’obscurité d’une âme sombre, pétrie de haine pour les hommes. Le nain, c’est le Mal, il se compare lui-même à Satan mais c’est aussi la souffrance lié à la difformité, à la différence, tout ce qui fait de lui un être solitaire. C’est à travers lui que nous découvrons les hommes et les femmes de cette cour où règnent le savoir, l’amour des arts et de la philosophie et les instincts les plus bas, l’ivresse de la guerre, la trahison, le meurtre. Nous sommes à une époque où les hommes craignent Dieu mais se livrent à leurs instincts d’une manière effrénée.
Derrière les somptueux pourpoints en velours des gentilshommes et les robes inscrutées de pierreries des femmes, se cachent des sentiments violents que le nain, dans sa misanthropie exacerbée nous révèle en termes exaltés : « Tous ces êtres qui se donnent le nom d’hommes et vous remplissent de dégoût. Pourquoi existent-ils?  Pourquoi se repaissent-ils de rire et d’amour et règnent-ils si orgueilleusement sur la terre. Oui, pourquoi existent-ils ces êtres lascifs, éhontés, dont les vertus sont pires que les vices. Puissent-ils brûler en enfer! Je me sentais comme Satan lui-même, entouré des esprits infernaux qu’ils invoquaient dans leurs réunions nocturnes et qui maintenant, affluant vers eux le visage ricanant, tiraient de leurs corps leurs âmes encore chaudes et puantes pour les emporter dans le royaume de la mort. »
 Le nain qui se croit héritier d’une très ancienne race n’appartient pas à cette espèce humaine qu’il méprise. Il se complaît à mettre en évidence la part bestiale qui est en eux; ainsi la description du banquet et de la gloutonnerie des Grands qui les ravale au rang de bêtes rappelle ce passage où dans l’Odyssée, les compagnons d’Ulysse sont métamorphosés en porcs par Circé. Il éprouve de la répugnance envers l’amour et la luxure, envers les femmes qu’il juge laides et dont l’odeur l’incommode, envers la mort dans ses manifestations physiques, cadavres, maladies, puanteur, sang, viscères. Mais il n’a aucune pitié et compassion, même envers la jeune princesse Angélica et Giovanni, le fils de Ludovico, qui, par leur jeunesse et leur sincérité échappent à la corruption ambiante : "L’amour est toujours répugnant. Mais l’amour entre des deux-là me parut encore plus déplaisant que ce que j’avais connu auparavant. Je brûlais de colère et d’indignation d’en être le témoin." Ces deux jeunes gens, n’en déplaise au nain, sont pourtant ceux qui représentent l’amour et la spiritualité face à l’abjection humaine.
Ravalés au rang de l’animal, en proie aux instincts les plus vils, quelle est notre espérance d’atteindre un jour la liberté s’interroge Maestro Bernardo : « Notre parcours est déterminé; après un petit essor qui nous remplit d’espérance et de joie, nous sommes tirés en arrière, comme le faucon ramené en arrière par la corde que tient le fauconnier. Quand obtiendrons-nous la liberté? Quand la corde sera-t-elle coupée, laissant le faucon s’élancer dans l’espace. »

A travers la vision de Piccolino, Pär Lagerkvist souligne donc la part animale qui est en chacun d’entre nous et explore toutes les grands questions que l’être humain se pose sur la Mort, sur religion et sur Dieu, le mal et le Bien, sur la liberté humaine mais aussi sur le futur de la race humaine.  Piccolino en écoutant les conversations des maîtres, du Prince et de Maestro Bernardo, révèle leurs contradictions. Une fois, les voilà certains de la grande destinée de l’humanité, prévoyant que l’homme percera les mystères qui l’entourent et dominera le monde; une autre fois, persuadés de la petitesse de l’homme et de l’étroitesse de son savoir, ils doutent : et nous sommes ainsi toujours ramenés aux deux Infinis de Pascal : "Qu’est-ce que l’Homme? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout.."
A l'interrogation de Pascal répond celle Maestro Bernardo :
Pourquoi donc cet infini existe-t-il autour de nous, autour de la vie, si nous sommes comme des prisonniers impuissants et que la vie reste confinée en nous? Pourquoi cet incommensurable?

Une philosophie pessimiste donc (écrite par un protestant qui croit à la prédestination??), un roman pas obligatoirement facile mais passionnant!  Le style est beau, très âpre et évocateur, suggestif. Le genre de  livre sur lequel il faut revenir en arrière pour en mesurer la portée! Il sort de ma lecture tout hérissé de marque-pages et il faudrait que je le cite en entier pour vous en montrer l’intérêt.

     Pär Lagerkvist : Prix Nobel de littérature 1951

Pär Lagerkvist  prix Nobel de Littérature 1951
Pär Lagerkvist  prix Nobel de Littérature 1951 (source)
"Pär Lagerkvist est un écrivain suédois, auteur de pièces de théâtre, de poèmes et d'essais... Fils d'un employé des chemins de fer, il a grandi dans une atmosphère très religieuse et en contact avec la vieille paysannerie. La confrontation, au lycée et à l'Université, avec un autre type de pensée comme la théorie de l'évolution, le pousse vers le radicalisme politique et artistique." (Dictionnaire des auteurs, Robert Laffont).
Il publie son premier livre, Hommes, en 1912. L'année suivante, il découvre le cubisme à Paris.
La Première Guerre Mondiale survient : il publie Angoisse (recueil de poèmes 1916), Chaos (1919).
Un pessimisme temporaire, puisque ses oeuvres suivantes traduisent tout de même sa foi dans l'Homme... mais avec un questionnement sur le bien et le mal, le sens de la vie. Dans le Sourire Eternel (1920), une nouvelle assez étonnante, les morts prennent la parole les uns après les autres, encore et encore, puis se lèvent, marchent longuement et vont trouver Dieu pour lui demander quel est le sens de la vie.
Commence un cycle sur le Mal : le Bourreau (1933), Le Nain (1944), Barabas (1950), La Sibylle (1956).
Prix Nobel de littérature en 1951." 
source

dimanche 1 mars 2015

Patrick Modiano : L'herbe des nuits


Quand Lisa et Sylire nous ont proposé de lire Patrick Modiano pour le blogoclub, je n’ai eu que l’embarras du choix, moi qui connais peu cet auteur! J’ai choisi L’herbe des nuits car sa résonance poétique me parlait. 

 Le titre

Pavot et Mémoire de Paul Celan
Le titre,  nous dit l’écrivain, est emprunté à un vers du poète russe Ossip Mandelstam :
 rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Patrick Modiano précise :
Je ne sais pas si le russe exprime la même chose, mais, en français, l'expression «herbe des nuits» me paraissait refléter le climat de mon livre : ces souvenirs qui jaillissent comme des herbes et qu'on broute sans fin.
 D’autre part, dans une interview accordée au Figaro, Modiano fait aussi allusion au recueil de poésies de Paul Celan  Pavot et mémoire, le pavot étant la fleur associée à l’oubli… Une image qui en accord avec le roman dans lequel le narrateur Jean, à l’aide d’un petit carnet noir où il a noté quelques noms, des évènements, des lieux, part à la recherche de son passé. Des décennies se sont écoulées.  Il ne reste plus grand chose du Paris des années 1960, quand jeune étudiant, il avait pour amie une jeune femme mystérieuse, Dannie, qui a disparu soudainement de sa vie sans qu’il puisse la retrouver. Ce Paris est aussi celui de la décolonisation et à travers la vie nocturne, dans les  bars louches de la capitale, le narrateur fait connaissance de personnages interlopes, comme les marocains Aghoumari, ou l’inquiétant « Georges ». Entre oubli et mémoire, Jean retourne sur les lieux de son passé, cherche à faire revivre les fantômes qui ont vécu là.

Un archéologue du passé

Paris semble être ici, comme dans la plupart de ces romans, un personnage à part entière. Il explore la ville recherchant au-delà des rues, des cafés, de l'Unic Hôtel où se passe une grande partie de l'action, du cimetière de Montparnasse, la gare, les traces qu'il a pu laissées.  L'on sent que l'écrivain y a mis beaucoup de lui-même - c'est ce qu'il confirme dans l'entretien donné sur le site de Gallimard-.  Le récit est écrit par petites touches et nous livrent des bribes du passé sans avoir l’air d’y toucher, sans s’appesantir. C’est que la mémoire fonctionne ainsi et les souvenirs se dérobent toujours au présent. Il ne faut pas les forcer.  Le narrateur semble être un archéologue étudiant les couches successives d'un passé récent mais aussi plus ancien : les traces de sa jeunesse recouvrent ou au contraire sont recouvertes par celles de l'Histoire. Gérard de Nerval, Madame du Barry,  Jeanne Duval, Restif de la Bretonne, Tristan Corbière, la baronne Blanche qui a donné son nom à la rue, et que Jean étudie, ont autant de consistance (ou aussi peu) que Dannie, Aghamouri, Georges et les autres qui ont traversé sa vie. Tous sont des ombres qui reviennent vaguement à la lumière du souvenir. Les rues de la capitale changent de nom, les immeubles disparaissent pour laisser place à d’autres, mais parfois, dans une brèche du temps, surgit le souvenir, fragile, d’un moment, un flash, un arrêt sur image. Le tout baigne dans un atmosphère de clair-obscur, entre sommeil et veille, entre réalité et rêve. Car ce passé a-t-il vraiment existé?
Le passé? Mais non, il ne s’agit pas du passé, mais des épisodes d’une vie rêvée, intemporelle, que j’arrache, page à page, à la morne vie courante pour lui donner un peu d’ombre et de lumière.

Un tableau de Hoper

Edward Hoper Noctambules ou nightawks tableau de 1942
Edward Hopper : Noctambules

L’ombre et la lumière!  Le roman de Modiano me paraît très visuel, très pictural. Ses descriptions font écho pour moi aux tableaux nocturnes de Hoper où les personnages sont figés dans des lieux éclairés au milieu de l’obscurité, enfermés dans leur solitude : Cette nuit-là je ne sais pas combien de temps je suis resté à les observer.(…) Ils étaient à quelques centimètres de moi derrière la vitre, et l’autre, avec son visage de lune et ses yeux durs, ne me voyait pas lui non plus. Peut-être la vitre était-elle opaque de l’intérieur, comme les glaces sans tain. Ou tout simplement, des dizaines et des dizaines d’années nous séparaient, ils demeuraient figés dans le passé au milieu de ce hall d’hôtel , et nous ne vivions plus, eux et moi, dans le même temps.
L’image de cette vitre qui sépare le passé du présent est récurrente : Il me semble qu’à cette époque je les voyais tous comme s’ils étaient derrière la vitre d’un aquarium, et cette vitre nous séparait, eux et moi.

J’ai aimé le ton nostalgique de ces souvenirs, cette impression de tristesse douce qui baigne l’ensemble.  J’ai senti combien l’écrivain parlait de lui-même et avec quelle intensité il nous faisait partager ses émotions. J’ai été sensible à l’urgence que l’on sent dans sa recherche du temps perdu, parce que, à un certain  âge, l’on ne peut plus éprouver cette impression d’éternité liée à la jeunesse. Ainsi quand il s’adresse à cette femme aimée dont la personnalité et l’identité même étaient si insaisissables : 
Tu dois te cacher dans ces quartiers là. Sous quel Nom? Mais, chaque jour, le temps presse et, chaque jour, je me dis que ce sera pour une autre fois.



Sylire et Lisa