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mardi 6 avril 2021

Hervé Le Corre : Prendre les loups pour des chiens

 

Hervé Le Corre a remporté tous les principaux prix de la littérature noire : le Grand Prix de Littérature Policière, le prix Mystère de la critique par deux fois, le prix du Polar européen du Point, le prix Landerneau, le prix Michel Lebrun et le Trophée 813.

Quant à moi, Prendre les loups pour des chiens est le premier livre que je lis de lui et de prime abord, je suis surprise par la qualité de l’écriture et la noirceur du propos. La critique a dit de lui qu’il était un grand maître du roman noir français, et c’est bien vrai si l’on en juge par la société que nous décrit l’écrivain : une société malade, corrompue, violente, qui ne vit que d’expédients, d’argent sale, vite gagné par le vol ou la drogue.
Le milieu dans lequel va échouer Franck a sa sortie de prison n’est donc pas mieux que celui où il évoluait en prison et peut-être pire… car il y fait figure de naïf et pourtant ce n’est pas un enfant de choeur !

Franck sort de prison après un braquage qui a mal tourné pour lui. Il n’a jamais dénoncé son frère aîné Fabien, son complice, qui a pu échapper à la police. A sa sortie son frère est absent, parti en Espagne pour un travail urgent. A sa demande, c’est la compagne de Fabien, Jessica, qui vient le chercher et l’héberge chez ses parents car le jeune homme n’a personne pour l’accueillir. On apprend, en effet, que Franck et Fabien ont perdu leur mère quand ils étaient jeunes et qu’ils haïssaient leur père alcoolique violent, avec qui ils ont rompu toute relation. Les parents de Jessica, trempent dans des affaires louches qui introduisent Franck dans un réseau de voitures volées où il fait connaissance du Gitan, un Grand Méchant, et de bien d’autres personnages peu recommandables. Ce qui lui fait le plus peur, au début, c’est un énorme chien noir, adopté par Jessica et sa mère, et qui a toujours l’air prêt à le dévorer. Mais il ne faut pas se tromper de chien… je veux dire de loup !

Comme dans tout roman noir, il y a la femme fatale, Jessica, magnifique fruit mais véreux, une fille droguée, malade, en un mot tordue !

Il ne sait pas comment elle (Jessica)  fait. Les voilà en cavale, une gamine sur les bras, coincés. Et elle bavarde, elle rit, comme si tout ça n'était que la suite logique d'une histoire commencée il y a longtemps, comme si la façon dont elle va finir ne l'intéressait pas. En fait, elle continue de courir au-dessus du vide, pareille à ces personnages de dessins animés qui s'aperçoivent trop tard qu'il n'y a plus de chemin ni issue.

 
Comme dans tout grand roman noir, Franck est marqué par une sorte de fatalité qui fait qu’il ne pourra pas s’en sortir. On sent se refermer sur lui un piège qui le retient encore plus prisonnier que lorsqu’il était en prison. L’homme est complexe, rendu méchant par tout ce qu’il a vécu dans son enfance puis en prison et dans le présent. On sent toute la violence prête à exploser en lui, à tout moment. Et pourtant, il y a encore en lui un fond d’honnêteté et une sensibilité qui rendent le personnage sinon attachant du moins intéressant. C’est cette impossibilité qu’il y a en lui, de laisser tomber les plus faibles, Jessica, d’abandonner les plus fragiles, Rachel.
Car au milieu de cette noirceur, il y a Rachel, la fille de Jessica, 8 ans, enfant traumatisée par les scènes auxquelles elle assiste, battue par sa mère qu’elle aime et protège pourtant…  dont on sent qu’elle aura peu de chance de s’en sortir indemne si…
Rachel, en effet, est la part d’humanité de cet homme dont Hervé le Corre nous fait partager la souffrance.
Un roman fort, une lecture addictive où la chaleur suffocante et l’odeur entêtante des pins de la région bordelaise servent de décor au drame et où le soleil possède une aura nocive.

 Il avait dix, quinze ans de moins, mais les barreaux de l'échelle par laquelle il remontait le temps craquaient souvent et le ramenaient au présent alors qu'il aurait aimé rester prisonnier de ce passé et refaire le chemin en sachant ce qu'il savait, comme il l'avait vu dans des films à la télévision. Il s'était surpris à murmurer les prénoms de tous ceux qui lui manquaient. Quand il l'a nommée, la silhouette de sa mère s'est formée sur l'écran surchargé de sa mémoire mais son visage restait flou, dont il ne distinguait que le sourire triste qu'elle avait si souvent, vers la fin.

Il s'est levé, le coeur gros, seul comme jamais il ne l'avait été, et il s'en voulait de ce chagrin de gosse, de ce désarroi d'enfant perdu et il détestait l'espace étroit de la caravane, se demandant comment il avait pu se sentir libre dans les premiers jours, comment sa solitude même avait pu lui sembler une étendue idéale sans murs ni frontière.




mardi 29 décembre 2020

Olivier Norek : Entre deux mondes

Entre deux mondes est mon roman préféré d’Olivier Norek. Il a une force qui vous retient prisonnier, captivé, et ceci d’autant plus qu’il s’agit d’une réalité, la jungle de Calais avec l’horreur de des conditions de vie, de l'exil,  de la solitude, de la violence et de la mort, femmes assassinées, enfants seuls, abandonnés, violés … Une jungle où triomphe le plus fort, où s’organisent des bandes de malfaiteurs, racketteurs, tueurs, qui tiennent le haut du pavé et font la loi; un lieu sordide où le crime demeure impuni, où le métier du policier devient un combat de Sysiphe : empêcher la fuite vers l’Angleterre une nuit et recommencer sans cesse; un no man’s land où la justice et les lois françaises sont lettres mortes …

Libération Ici

Olivier Norek qui a été capitaine de la police judiciaire dans le 93, sait de quoi il parle mais c’est aussi un écrivain, un vrai, dont le style puissant, évocateur, nous transporte dans cette jungle, nous fait vivre par l’intérieur ce qui s’y passe, nous fait éprouver les émotions, les espoirs, les révoltes, l’état de déréliction dans lesquels sont plongés ces hommes et femmes perdus dans l’exil. Ce que j’apprécie, c’est que l’écrivain sait éviter le manichéisme. Non, il n’y pas les bons émigrés d’un côté et les méchants français, les cruels policiers racistes de l’autre. Le Bien et le Mal sont également distribués, couche après couche, dans la société française ou étrangère.
D’autre part, Olivier Norek n’écrit pas, malgré la parfaite connaissance du sujet et la précision des détails, un documentaire. Entre deux mondes est un vrai roman et l’on s’intéresse aux personnages, on s’attache à eux, on tremble pour leur vie comme dans le meilleur roman d’aventures. Il y a Nora qui part de Damas, via Beyrouth et Tripoli, avec sa fille Maya, 6 ans, pour rejoindre la France sur un zodiac, à la merci, toutes deux, de passeurs sans scrupules, puis la quête d’Adam, policier syrien mais membre d’une organisation rebelle, le mari de Nora, qui fuit le régime de Bassar El Assad et part à la recherche de sa femme et de son enfant dans cet « entre deux mondes » qu’est la jungle de Calais. Enfin Bastien et sa fille Jade qui se traitent mutuellement, de « sale flic » et de « sale gosse », mais ont une grande complicité et enfin, Manon, dépressive, épouse de Bastien. La nomination du « flic » à Calais n’est pas pour leur faire voir la vie en rose !
On s’intéresse aussi aux personnages secondaires, aux humanitaires, aux collègues de Bastien, enfin au gamin perdu dans la jungle qui s’attache aux pas d’Adam. Norek porte un regard plein de tendresse sur ses personnages, il nous les fait comprendre et aimer. Il nous dépeint aussi leur évolution face à ce qu’ils vont vivre et comment cette expérience va les transformer…
Entre deux Mondes est donc un livre plein d’humanité dans lequel l’espoir et le désespoir cohabitent mais où finalement un rayon de soleil parvient à percer la noirceur du monde.

samedi 19 décembre 2020

Olivier Norek : Impact

 

J’ai lu tous les romans policiers d’Olivier Norek et j’ai apprécié cet écrivain comme peintre de notre société dans ce qu’elle a de noir et de plus actuel, les cités du 93, la Jungle de Calais …  mais je commence à rendre compte de ces lectures par le dernier paru Impact. Son thème, l'écologie,  me paraît le plus urgent à découvrir !

Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une dystopie tant le monde qui s’ouvrait devant moi était inimaginable : le delta du Niger, route des oléoducs, au sol imbibé de pétrole, empoisonné par les métaux lourds, la pollution qui gagne l’air, génère des maladies, provoque des pluies acides, s’attaque à tout,  la végétation, la faune et les êtres humains. Des dizaines de décès par semaine, des villages entiers qui se vident, des charniers de corps humains susceptibles de  provoquer des pandémies… Le pétrole prend quinze ans de leur vie à chaque individu
« Ils sont un million et demi, et comme, c’est la seconde génération qui subit cette pollution, ce sont en tout quarante-cinq millions d’années qui leur ont été volés.
L’image d’un vampire géant, insatiable, courbé au-dessus de ce point d’Afrique, aspirant d’un seul coup quarante-cinq millions d’années en une seule et même population alimenta l’écoeurement de Solal. »

Pirogues abandonnées, englouties dans la boue du pétrole

Et bien, non, ce n’est pas une dystopie, c’est ce qui se passe actuellement dans le monde. Voir Ici Voyage au coeur des marées noires en pays Ogoni. Le livre d'Olivier Norek est un immense cri d’alarme qui nous oblige à prendre conscience; certes, nous le savons, la planète est en danger, mais c’est une chose de le savoir, c’est une autre d’assister à la catastrophe de visu. Ce que ce roman nous oblige à faire.

Olivier Norek construit son roman sur des faits qui non seulement sont irréfutables mais sont chaque fois corroborés par des articles de journaux ou des études auxquels il nous renvoie à la fin du livre, preuve de la véracité et de l’actualité de ses dires. Nous y retrouvons aussi les déclarations des grands capitalistes responsables de cette mort programmée : le PDG de Total d’un cynisme écoeurant, les banques françaises qui réinvestissent massivement dans l’énergie fossile... Est dénoncée aussi la pusillanimité des politiques devant ceux qui détiennent réellement le pouvoir.
Mais n’allez pas croire que les capitalistes qui s’enrichissent au dépens de la survie de l’humanité ne sont pas conscients de ce qu’ils font :

Toutes les terres vierges sont en passe d’être achetées. Dans le Colorado, des centaines de tunnels souterrains accueillent des appartements à quatre millions de dollar l’unité. Au Kansas, les architectes ont érigé un immeuble de 15 étages dans un ancien silo à missiles. Les logements à trois millions l’unité sont partis en moins d’un mois. A Las Vegas pour dix-huit millions de dollars, vous pouvez vous offrir un bunker à huit mètres de profondeur avec piscine et forêt d’arbres. De même en Nouvelle-Zélande.
Le New York Times titre : le survivalisme, un business florissant pour les ultra-riches.


C’est pourquoi le personnage principal du roman, Virgil Solal, qui n’a plus rien à perdre à la mort de son bébé victime de la pollution, va imaginer un plan machiavélique pour attirer attention de la population sur les responsables de la  destruction de la planète ou plutôt - comme il est dit -  de la disparition de la race humaine, car notre bonne vieille planète continuera à rouler dans l’espace sans nous. C’est là qu’interviennent le capitaine Nathan Modis et Diane Meyer, psychologue et  profileuse, qui cherchent à empêcher Solal d'exercer sa vengeance médiatisée sur les coupables et de commettre des meurtres en direct. Il s’agit, bien sûr, d’un roman policier où le lecteur comme les policiers sont amenés à considérer Solal comme un assassin un peu particulier, dont on comprend les revendications sans toutefois être d'accord avec les méthodes.

Inutile de vous dire que c’est l’aspect écologiste qui m’a le plus intéressée, plus que l’histoire policière. Bien sûr, on peut trouver ce roman démonstratif. Il l’est et ne s’en cache pas ! Néanmoins, il est assez fort pour nous ouvrir les yeux et nous faire prendre conscience  du système dans lequel nous vivons et de l’immoralité totale des capitalistes qui dominent le monde.  

 "Nous survivons dans un monde de financiers où les 1% les plus riches détiennent deux fois plus que le reste de l'humanité."  Et ils décuplent leur fortune au détriment de la planète.

Si Total et les autres investissent  timidement dans les énergies renouvelables, c'est pour se tenir prêts quand il n'y aura plus de pétrole à exploiter. En attendant, ils veulent utiliser les énergies fossiles jusqu'à la fin tant qu'elles leur rapporteront de l'argent.

 Dans trente ans, entre la pollution, le manque d'eau potable, les famines et la montée des eaux, cinq milliards d'êtres humains seront en péril, et nous sommes huit milliards.


jeudi 10 décembre 2020

Hannelore Cayre : La daronne

 

Quel livre ! La daronne de Hannelore Cayre, est un policier hors norme !  Hors norme par le personnage, cette Patience Portefeux, fille d’un malfrat qui se retrouve dans la dèche pour élever ses deux filles à la mort de son mari. Hors norme par le style, cette langue acide, féroce, qui passe la société  française, la justice, les magistrats au vitriol et ceci avec un humour noir défiant toute concurrence.

Patience Hortefeux est interprète d’arabe pour le ministère de la justice et elle passe son temps à traduire les conversations des dealers ! Elle a besoin d’argent pour élever ses filles et d’encore plus encore pour maintenir sa mère dans un EPHAD qui est un gouffre budgétivore sans fond.
C’est donc sans beaucoup d’état d’âme qu’elle glisse du côté obscur de la force (et oui, j’ai des références cinématographiques grâce à mon petit-fils) et lorsque l’occasion se présente, elle récupère une grosse cargaison de shit et la cache dans sa cave! Mais il faut vendre la marchandise et la voilà devenue la daronne, pourvoyeuse pour les petits dealers des quartiers parisiens.

Immoral ce roman ? Ou plutôt amoral ? oui ! Bien sûr !  Mais pas plus que le ministère de la justice qui emploie Patience au noir, pas plus que ce juge qui condamne l'ouvrier arabe dont le travail n'est pas déclaré.
… j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt.
C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu, ni retraite.

Et tout est ainsi au demeurant, dans ce pays où règne l’hypocrisie, tous ceux qui détiennent un pouvoir, ceux qui chassent les dealers, punissent les drogués, policiers, avocats, magistrats, mais dont les fils, sinon eux-mêmes, sont les premiers à se défoncer !
Tolérance zéro, réflexion zéro, voilà la politique en matière de stupéfiants pratiquée dans mon pays pourtant dirigé par des premiers de classe. Mais heureusement, on a le terroir… Etre cuit du matin au soir, ça au moins c’est autorisé. Tant pis pour les musulmans, ils n’ont qu’à picoler comme tout le monde s’ils ont envie de s’embellir de l’intérieur.

Hannelore Cayre se fait un plaisir de fustiger tout ce qui ne tourne pas rond et elle n’épargne rien, le racisme, la société de consommation qui fait de l’argent un but en soi, l’acharnement thérapeutique… Les scènes dans les maisons de retraite, les rapports avec sa mère démente, la souffrance de la vieillesse, la détresse prolongée de ces fins de vie, tout cela, sous l’humour noir et la causticité, laisse percer une profonde humanité.   

Un policier à découvrir absolument !
 

vendredi 10 juillet 2020

Camilla Grebe : L'archipel des larmes


Autour de meurtres horribles et de femmes crucifiées, trois enquêteuses, policières, et une professeur d’université, vont mener une enquête qui se prolongera, d’une femme à l’autre,  de 1944 à nos jours, à la poursuite de celui que l’on a appelé : l’assassin des bas-fonds. C’est le sujet du thriller de Camilla Grebe qui se déroule à Stockholm et permet à Camilla Grebe d’explorer un thème féministe ayant pour fond l’histoire de son pays.

Je n’ai pas lu L’archipel des larmes  de Camilla Grabe, prix du meilleur roman suédois 2019, mais je l’ai écouté aux éditions Audiolib que je remercie pour cet envoi, texte dit par Audrey Sourdive.
C’est une de mes rares expériences de livre audio et c’est pourquoi, je commence mon billet par mon ressenti en l’écoutant. Je l’ai trouvé bien interprété par une comédienne qui fait entendre les voix des différents personnages et nous permet ainsi de les imaginer. Mais contrairement à la lecture personnelle et silencieuse, je pense que ces longues heures d’écoute ( ce qui pour moi est plus fatigant que lorsque je lis moi-même) met en relief - et m’a permis ainsi de les remarquer-  certains imperfections du livre, tics de langage qui reviennent souvent sous la plume de Camilla Grebe, comme l’expression « les papillons dans le ventre », certains moments répétitifs dans le discours féministe, et l’aspect un peu trop didactique de l’histoire des femmes dans la famille et le travail, en particulier dans la police. 
 Et puisque j’en suis à mon ressenti négatif, je note aussi que la quasi-absence de personnages masculins positifs me paraît aussi trop démonstratif et systématique. Maris ou chefs, il y en a peu qui plaident en faveur de la gent masculine. Je sais bien que la misogynie n’a jamais cessé au cours des siècles et que l’égalité des sexes n’est encore qu’un rêve lointain. Mais, tout de même, oui, il y a des hommes qui se comportent autrement. Ce serait intéressant de les montrer. Heureusement, Camilla Grebe introduit avec le dernier personnage de la jeune Malin, mère d’un petit garçon, une autre idée qui me plaît et qui compense un peu cette peinture caricaturales des hommes : lorsque, dans le travail, les femmes peuvent enfin accéder aux postes supérieurs, elles se comportent de la même manière que les hommes et discriminent les femmes qui cherchent à concilier travail et enfants mais pas obligatoirement au détriment de l’enfant. Il s’agit d’une question de pouvoir et non de sexe.
D’autre part, c’est un détail qui a de l’importance pour moi, je n’aime pas les portraits qui donnent trop de détails vestimentaires. Parfois, oui, quand ils apportent des renseignements sur le caractère et la classe sociale du personnage mais systématiquement, non ! Qu’il ait une cravate rayée ou unie n’est pas essentiel !

Ce que j’ai aimé dans le roman, c’est l’originalité de la construction romanesque qui s'appuie, chaque fois, sur un destin de femme différent et permet de prendre la mesure de l’évolution de la conditions féminine des années 40 à nos jours : en 1944, lors du premier meurtre, Elsie ne peut être que « aide policière » dans son commissariat et son chef la méprise; en 1971, Britt-Marie est intégrée dans la police mais bien qu’elle soit la meilleure tireuse du groupe, et une bonne enquêtrice, on la cantonne au secrétariat. Dans les années 80, Linda, de milieu populaire, est une jeune adjointe optimiste et gaie. Hanne qui devient son amie, issue d’un milieu bourgeois intellectuel, a fait de hautes études et est devenue profileuse. Si certains collègues masculins la considèrent comme une égale et même ont de l’admiration pour elle, elle subit encore le harcèlement d’un supérieur éconduit. Enfin Malin, à notre époque, est elle aussi discriminée mais par une femme. L’égalité n’est pas encore à l’ordre du jour mais elle a désormais des moyens de se défendre. Ces personnages féminins sont très attachants et l’on ne peut qu’être en empathie avec elles.
L’enquête est suffisamment compliquée pour que l’on se demande tout au long du roman qui peut être le coupable. En tout cas, je n’avais pas deviné.

Les inconditionnels de Camilla Grebe seront conquis. Pour ma part, malgré mes restrictions, j’ai pris plaisir à suivre le récit de ces femmes courageuses et victimes.


Merci à Masse critique et aux éditions Audiolib 


 

dimanche 8 mars 2020

La citation du dimanche : Camilla Grebe : les réseaux sociaux

Camilla Grebe
Dans L’ombre de la baleine, roman policier, l’écrivaine suédoise, Camilla Grebe, ne se prive pas de jeter un coup d’oeil critique sur notre société et en particulier sur notre addiction aux réseaux sociaux. Je n'ai pas encore commenté le livre mais, en attendant, voilà de quoi, nous interroger sur nous-mêmes et sur notre société.

Le syndrome du "J'en ai plus rien à foutre du temps présent"
Voir dessins humoristiques sur notre addiction aux réseaux sociaux

L’un des personnages secondaires, Martin, est étudiant en sociologie. Il discute avec Manfred, le narrateur, et son épouse Afsaneh sur le sujet de sa thèse, le narcissisme.

« - Le narcissisme ou plus précisément, pourquoi les personnalités narcissiques sont de plus en plus nombreuses aujourd’hui. (…)
J’interviens
- Mais pourquoi serions-nous devenus plus narcissiques?
Martin a un sourire en coin.
-La société a changé, les structures sociales ont éclaté, la plus petite unité n’est plus la famille, mais l’individu. S’ajoute à cela la montée en puissance des réseaux sociaux. Plus d’un milliard de personnes se connectent sur Facebook chaque mois. Un milliard. Vous imaginez ? Et les autres plateformes se développent à vitesse grand V. Il y a une forte corrélation entre la dépendance aux réseaux sociaux et le comportement narcissique. Une corrélation établie par essai clinique. En réalité, ce n’est pas étonnant - l’objectif est de montrer une façade qui permet d’engranger le plus de likes, de commentaires, enfin ce qui intéresse l’utilisateur.
- Mais les gens n’ont-ils pas toujours eu besoin de reconnaissance sociale ? demandé-je.
-Si, mais la technologie a pris en otages notre quête naturelle d’interactions et d’acceptation sociale. Aujourd’hui, il y a des gens qui ne sortent plus de chez eux, qui ne font que se prendre en photo ou se filmer dans différentes situations pour poster leurs images sur les réseaux sociaux. Et tous leurs amis sont en ligne. Ils ont fusionné avec la technologie.
-C’est un peu comme les mariages chinois (dit Afsaneh)
Il est assez courant de ne pas organiser de fête pour son mariage. Au lieu de cela, les jeunes époux se rendent chez un photographe et se font tirer le portrait avec un tas d’accessoires, verre de champagne à la main, couteau et fausse pièce montée, décors devant lesquels ils s’embrassent. Et au Japon, apparemment, on peut faire appel à des figurants pour poser sur la photo de mariage.
-  Tout à fait répond Martin.(..) Je me suis rendu à Auschwitz, l’hiver dernier : vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui prennent des selfies ! Comme si elles avaient d’avantage à coeur de montrer qu’elles y étaient allées que de réfléchir à ce qui s’y est passé.
Le visage d’Afsaneh se tord dans une grimace.
-C’est vrai ? ça m’aurait fait vomir de voir quelqu’un prendre la pose devant les chambres à gaz.
-Et pourtant c’est ce que faisaient les gens. Et ce n’est que le  début. Internet a modifié le contrat social. Celui qui régule le nombre de fois que l’on peut dire : «  regarde-moi ». Dans la vie réelle, on ne peut recevoir des commentaires positifs sans relâche comme sur Internet. Alors pourquoi se concentrer sur la vie réelle?
-Donc Facebook a gagné ?
C’était dit comme une plaisanterie, mais Martin ne sourit pas.
- Sais-tu que Facebook a explosé au moment où l’entreprise a inventé le like ?
Une certaine Leah Pearlman en a eu l’idée, si je ne m’abuse. C’était il y a près de dix ans et cette petite icône, le pouce levé, a transformé internet. Il a changé les comportements humains, il a permis à des entreprises de fleurir, à d’autres de s’effondrer. Il a fait élire et fait tomber des présidents.
- Tu n’exagères pas un peu ?
Martin secoue vivement la tête.
-Les réseaux sociaux vont transformer notre société en profondeur. Ils vont NOUS transformer en profondeur.  Et pas nécessairement en bien.


Et la solitude pour ceux qui ne suivent pas le mouvement
Voir dessins humoristiques sur notre addiction aux réseaux sociaux

Un narcissisme accru
Voir dessins humoristiques sur notre addiction aux réseaux sociaux

mercredi 12 février 2020

Craig McDonald : Rhapsodie en noir



Un polar-thriller avec une pointe d’originalité, c’est la définition que je donnerais de Rhapsodie en noir de Craig McDonald dont le titre s'inspire de l'histoire du Dahlia noir d'Ellroy, d'après un fait divers concernant le meurtre d'une femme qui ne fut jamais élucidé.

Nous sommes à Key West à la pointe extrême de l'archipel de Floride où l’on attend, d’un moment à l’autre, un violent ouragan. C’est là que vit Harry, un auteur de polars qui vient de faire  la connaissance de Rachel, un jolie touriste. Il ne sait pas encore qu’il deviendra amoureux de la jeune femme qui se révèle intelligente et cultivée, au point de vouloir vivre avec elle. Mais un horrible assassinat vient d’avoir lieu qui sera suivi par beaucoup d’autres et Harry, féru d’art contemporain tout comme Rachel, s’aperçoit que l’assassin réalise une mise en scène qui renvoie chaque fois à un tableau d’art contemporain surréaliste. L'un des points forts du roman est d'entendre tous ces intellectuels discuter surréalisme, même si  Graig McDonald fait jouer aux surréalistes un bien mauvais rôle !
Marx Ernst : Anatomie de jeune mariée
Le récit se déroule sur plusieurs périodes  : 1935, 1937, 1947, 1959 et nous promène de Key West à Barcelone, pendant la guerre civile, à Cuba au temps de Castro, à Hollywood au temps de la chasse aux sorcières.

Un déplacement dans le temps et l’espace qui n’est pas sans intérêt car il nous fait voyager en bonne compagnie avec Hemingway qui se révèle être un ami de Harry, toute proportion gardée entre notre héros, humble auteur de romans policiers, et le Grand Ecrivain de Grande littérature comme le lui rappelle sans cesse Hemingway lui-même ! et puis Don Passos, Rita Hayworth, Man Ray, John Huston … et j’en passe. Et d’ailleurs, c’est ce j’ai préféré dans le roman, ce qui en fait son originalité, surtout quand nous approchons de près Ernest Hemingway, « Papa » comme il se fait appeler, dont Graig dresse un portrait savoureux, haut en couleurs, et juste, du moins pour ce que je connais du personnage. Hemingway, alcoolique et tourmenté, fêtard et généreux, imbu de lui-même et coléreux, écrivain brillant, doué, beau parleur, infatigable, homme à femmes se débarrassant avec assez de facilité de ses épouses successives, toujours à la recherche de sensations fortes, sur son bateau pendant un ouragan, à Barcelone assiégée par les franquistes pendant la guerre civile. Nous retrouvons aussi Orson Welles pendant le tournage de « La dame de Shangaï » et Craig McDonald dresse de la société hollywoodienne un portrait au vitriol, tout comme il n'épargne pas les protagonistes de la guerre d'Espagne.


Hans Bellmer
Quant aux personnages principaux, Harry et Rachel, ils nous ménagent beaucoup de surprises au cours du roman!  Mais l’histoire elle-même m'est apparue tirée par les cheveux, surtout du point de vue de la psychologie des personnages à laquelle on ne peut croire, à mon avis. Et c'est bien dommage !
C'était le deuxième roman de Craig McDonald, paru pour la traduction française en 2010.



lundi 20 janvier 2020

Lars Kepler : Le Pacte et Ragnar Jonasson : Sott



Deux petits polars en un billet... ou plutôt un « gros » polar  (600 pages) Le Pacte de Lars Kepler et un petit, Sott de Ragnar Jonasson, (342 p),  un suédois et un islandais.

Lars Kepler est le pseudonyme d’un couple d’écrivains suédois Alexandra et Alexandre Anhdoril. Nous sommes à Stockholm. Le thème principal du roman Le Pacte porte sur les ventes d'armes illicites consenties de manière frauduleuse à des états coupables de génocide ou proches des djihadistes. Cette dénonciation est vécue à travers les aventures d’une jeune femme, Pénélope, pacifiste convaincue, présidente de l’association pour la paix et l’arbitrage.  Pourchassée par un tueur, elle ne comprend pas pourquoi elle est ainsi devenue une cible.


En arrière-plan, kastskar, l'île où Pénéloppe s'est arrêtée.
Pénélope est sur le bateau de son amoureux Bjorn et s’apprête à passer de bons moments avec lui mais sa mère lui impose la présence de sa soeur Viola. Pour s’isoler, elle met pied à terre avec Bjorn à Kasrska, sur l’une des trente mille  petites îles de l’archipel de Stockholm, en laissant Viola dans le bateau ancré près de là. Quand elle revient sa soeur est morte, assassinée. Bjorn et elle échappent de peu à leur poursuivant et commence alors une course-poursuite haletante et désespérée.
Parallèlement la police, en la personne de Joanna Linna, enquête sur la mort de Carl Palmcrona, directeur général de l'Inspection pour les produits stratégiques, l'homme chargé de valider les contrats d’armement de la Suède. Il est retrouvé pendu chez lui : suicide ou meurtre ? Le corps de Viola retrouvé à bord du yacht passe d’abord pour un accident.  Bientôt, le policier va être amené à lier les deux affaires.

La lecture procure des moments de tension réussis surtout lors de la fuite de Pénélope qui relève du cauchemar. Mais j’ai eu l’impression de passages moins soutenus, moins bien écrits, et je me suis demandée si c’était l’écriture à quatre mains qui en était responsable ou seulement un manque d’inspiration. Le roman est intéressant par ce qu’il nous apprend des ventes d’armes et des trafics qui y sont liés même si l’on n’a pas besoin d’aller en Suède pour découvrir cela ! Hélas ! Le récit est pessimiste, car tout amène à croire que rien n’arrêtera jamais cette corruption !
 Le Pacte a des visées politiques mais il ne va pas très loin dans la critique car la complexité de l’intrigue nous amène ailleurs, à l’aspect thriller du livre que les auteurs semblent avoir privilégié : complots, personnage mystérieux et pactes sanglants que rien peut rompre. C'est l'aspect que j'ai le moins apprécié.  En résumé, Le Pacte est un thriller qui fonctionne assez bien mais pas un coup de coeur.
C’est le premier livre que je lisais avec ce personnage récurrent de l’inspecteur Joanna Lina.  Certaines critiques disent que ce roman n'est pas le meilleur et que le policier se révèle plus intéressant dans d'autres enquêtes.

Ragnar Jonasson : Sott


J'avais lu avec plaisir le livre de Ragnar Jonasson Snjor qui décrivait avec brio le sentiment de claustrophobie qui s'emparait de l'inspecteur Ari Thor, envoyé dans une ville du Nord profond de l'Islande, Siglufjordur. Coupé du reste du monde par une tempête, l'inspecteur menait ses enquêtes dans une atmosphère angoissante.
 Avec Sott, nous retrouvons donc l'inspecteur. Cette fois-ci, il n'est plus fâché avec Kristin, il s'est réconcilié avec elle et il la voit régulièrement malgré l'éloignement puisqu'elle travaille dans la capitale et lui est toujours en train de végéter à Siglufjordur. Il faut savoir qu'il fait si noir et si froid dans cette ville et pendant si longtemps que Reykjavik passe pour une ville du sud chaude, lumineuse et privilégiée! Ceci pour faire comprendre la situation.
L'écrivain renouvelle le scénario précédent. Ari Thor, est à nouveau isolé de tout, la ville étant mise en quarantaine à la suite d'une épidémie.

Siglufjordur, plutôt joli..  hors hiver!
Bon, comme point de départ, je constate que Jonasson ne fait pas dans l'original. Mais voyons l'intrigue. Un homme  vient le trouver pour élucider la mort de sa tante qui a été classée comme accidentelle il y a vingt ans de cela. Il a, en effet, trouvé une photo qui introduit un doute et est incontestablement une raison pour relancer l'enquête. Ari Thor s'y emploie, ce qui nous permet de découvrir un fjord et une ferme encore plus reculés et coupés de tout en hiver que ne l'est Siflufjordur ! Et ce n'est pas peu dire! 
 L'intérêt du roman, à mes yeux, réside là, dans la description de cette ferme et des activités des habitants,  dans  la description d'une vie dure, d'un isolement presque total qui privait les gens de tout secours avec des chemins enneigés, dangereux à travers la montagne.  Les recherches de l'inspecteur nous font découvrir qui étaient ces personnes, leurs rapports entre eux, les non-dits, les haines, les rancunes et la personnalité de chacun se révèle à nous. Nous nous rendons avec Ari Thor dans ces lieux maintenant reliés par une route. Un long tunnel  traverse la montagne. L'écrivain rend très bien la pesanteur qui règne dans cet endroit, l'absence de vie qui peut expliquer la folie des hommes. 
Par contre, je n'ai pas du tout aimé le dénouement dans lequel le héros fait preuve d'un manque de sensibilité voire d'humanité envers l'homme qui lui a commandé cette enquête et, ceci, d'autant plus que les conclusions d'Ari Thor ne sont que des supputations. A mon avis, il n'a pas de preuves à l'appui. Cela rend le personnage peu sympathique et ne convainc pas le lecteur.



dimanche 6 octobre 2019

John Mead Falker : Le blason de lord Blandemer


Le blason de Lord Blandamer de John Meade Falker est un livre que j’ai trouvé  dans une brocante. Je ne l’aurai peut-être jamais acheté si je n’avais  reconnu le nom de l’auteur de Moonfleet, un livre d’aventures passionnant dont le héros est un enfant. Ce roman a été adapté par Fritz Lang sous le titre Les contrebandiers de Moonfleet, film qui fit le bonheur, dans leur enfance, de mes filles et de leurs parents.

John Meade Falker réunit dans Le blason de lord Blandemer trois de ses passions, l’architecture médiévale, la musique religieuse et l’héraldique.
J’ai d’abord été étonnée. Voilà un livre destiné à nous faire frémir, mystère, malédiction, assassinat, à la manière des romans anglais du XIX siècle mais dont le sujet semble être aussi et tout autant la description détaillée et amoureuse de la cathédrale de Cullerne, une petite ville du sud de l’Angleterre ;  un exposé enthousiaste sur la musique d’orgue avec partitions à l’appui, choeurs et description de l’instrument en mauvais état, accompagné des plaintes et jérémiades du vieil l’organiste, Mr Sharnall, qui rêve d’un nouveau pédalier et d’un soufflet dernier cri ; et en sus, un savant cours de héraldique … Le tout très complet, parfois long, armez-vous de patience, mais bouillonnant d’enthousiasme ! Et de plus, très cohérent car tous ces éléments se tiennent et permettent de revenir à nos moutons, c’est à dire à l’intrigue policière.

L’histoire ? Westray, un jeune architecte londonien est envoyé par son patron restaurer la cathédrale de Cullerne en si mauvais état que l’on n’ose plus sonner les cloches de peur que le clocher ne s’effondre. Là, dans une chapelle brille le blason nébulé de sinople (lire le livre pour l’explication) de la noble famille des Blandamer. Une malédiction semble poursuivre ceux qui tentent d’élucider le mystère qui leur est attaché. Westray loge dans la pension de Miss Joliffe, vieille dame au grand coeur et très digne malgré ses moyens limités. Elle a une nièce, Anastasia, jolie et romanesque jeune fille qui rêve d’écrire et d’égaler, rien de moins, les soeurs Bronte. Bien sûr, Westray en tombe amoureux mais quand lord Blandemer revient au pays après la mort de son père, celui-ci devient un rival. Ajoutez-y un pauvre fou, Martin Joliffe, qui prétend être le vrai lord Blandemer, un tableau de mauvaise facture dont la valeur est surestimée, des ombres qui semblent poursuivre le vieil organiste et rôdent dans les ruelles sombres de la ville…
Le roman peint avec talent des personnages souvent complexes comme l’organiste vieil alcoolique, aigri, envieux mais ami fidèle et désintéressé. Certains sont attachants comme la vieille Miss Joliffe et son ingénue de nièce, ou déplaisant comme le recteur de la cathédrale, bouffi de vanité, « vieil imbécile », égoïste et cupide; ou encore ambigu comme Lord Blandemer. John Meade Falker dresse un tableau satirique de la société d’une petite ville avec ses mesquineries, ses jalousies, son respect de la hiérarchie non exempt de snobisme.  Finalement, un roman qui sort de l’ordinaire, avec des centres d’intérêt plus que variés, marqué par les passions de son auteur ! A vous d'y adhérer  (ou non)! Tous les ingrédients sont là pour faire un bon roman noir, un peu désuet à la façon de Wilkie Colins, et plein de charme.

mercredi 3 octobre 2018

Policiers : Sandrine Colette/ Hervé Commère/ Ian Rankin/ Pierre Lemaître/



J'ai lu quelques policiers pendant l'été mais je n'ai pas eu le temps d'en parler. Je m'en acquitte ici en les regroupant. Avec le recul, même si je me souviens de chacun d'eux c'est souvent d'une manière détachée, un passage, une scène, une idée.. Je vais dire pour chacun d'eux ce qui surnage de toutes ces lectures

Sandrine Colette Six fourmis blanches

 

Cinq amis ont décidé de s'offrir un week-end de marche dans les montagnes d'Albanie. Menés par Vigan, un guide local impénétrable à l'étrange charisme, ils vont vite déchanter : au bout de quelque temps, l'échappée belle vire au cauchemar, puis au carnage. Egarés en pleine tempête, prisonniers d'une nature impitoyable, vont-ils échapper au mal qui rôde dans ces désolations glacées ? Récompensée par le Grand Prix de Littérature Policière en 2013 pour son premier roman, Sandrine Collette crée l'événement avec ce nouveau thriller implacable, salué par la critique et plébiscité par les lecteurs, qui confirme toute l'étendue de son talent

Ce qui m'a marquée dans le roman, c'est la description des coutumes archaïques dans cette montagne albanaise, à travers le personnage de Mathias, le sacrificateur de chèvres. Sandrine Colette a beaucoup de talent dans la description de cette société superstitieuse, encore hantée par la peur du diable, et qui appartient à un monde ancien, un pays au climat rude, accroché à son sol aride, dominé par les neiges éternelles, ou renaissent au printemps, parmi la roche, les narcisses sauvages; une société patriarcale dans laquelle le Vieux Carche, sorte de maffioso, propriétaire terrien, règne en tyran sur sa famille mais aussi sur toute la population qui est sous sa coupe. Le style de l'écrivaine est à la hauteur de cette description :
 
Le mal suinte de ce pays comme l'eau des murs de nos maisons tout le long de l'hiver. Enraciné en nous, telle une sangsue fossilisée sur une pierre. C'est ce que disait mon grand père, et, avant lui son père, et le père de son père : depuis toujours ces montagnes sont maudites...
Les vieux répètent à l'envi que les mauvais esprits ont choisi cet endroit pour venir mourir; qu'ils y agonisent des années durant, crachant des imprécations sur nos roches et nos forêts malingres. Nous sommes de trop dans ces vallées; nous en payons le prix fort.

Le groupe de randonneurs français qui part dans la montagne, leurs mésaventures, leur peur, quand ils se perdent dans la montagne malgré la compétence de leur guide Vigan, entretient un bon suspense tout au long de l'intrigue qui vire bien vite au cauchemar.


Hervé Commère Les ronds dans l'eau


 Un truand paranoïaque en cavale depuis quarante ans. Un serveur dépressif qui voit son ancien amour se trémousser dans un jeu de télé-réalité. Quel est le rapport entre ces deux hommes ?
A priori, il n'en existe aucun.
Aucun lien entre ces deux êtres que tout ou presque oppose et qui ne se connaissent pas.
Sauf peut-être une lueur dans le regard d'un vieil homme ou l'obsession d'une journaliste à réunir les pièces d'un vieux puzzle.
Sauf peut-être les ronds dans l'eau.
Car certains actes ont des répercussions inattendues, même longtemps après...

 Ce roman se lit avec plaisir et l'on a attend avec impatience la rencontre  (et comment pourrait-il en être autrement? ) du jeune homme amoureux  déçu et du Vieux truand. 
Ce qui m'a le plus marquée? Les rapports de la journaliste avec le malfrat "retraité et paisible", scènes dans lesquelles la jeune femme  fascinée par le crime, venue interroger le vieil homme paraît dominer la situation et la brusque inversion des rôles à la violence inouïe.

Ian Rankin : Une enquête de l'inspecteur Rébus

La police a pris en chasse deux adolescents qui prétendent avoir enlevé la fille du maire d'Édimbourg. Acculés, ils se jettent d'un pont sous les yeux de l'inspecteur John Rebus. Hanté par cette image, Rebus tente de retrouver la jeune fille disparue et d'en savoir plus sur les deux jeunes gens. C'est alors que survient un second suicide, spectaculaire et encore plus suspect... 

On retrouve ici l'inspecteur Rébus toujours porté sur la bouteille et dépressif, en chasse dans les rues hivernales, lugubres et glaciales, d'Edimbourg. La scène du suicide des jeunes gens sur le pont a beaucoup de force. 
 Comme d'habitude, à travers ce roman, l'écrivain écossais décrit la corruption et les dessous de la société économique et de l'Etat. Tout y est prétexte à magouille mais ceux qui y participent sont intouchables car leur arrestation priverait d'emploi une grande partie de la population ! Les logiques du capitalisme !  J'avoue que j'ai trouvé l'intrigue complexe et parfois difficile à suivre.

 Pierre Lemaître : Sacrifices


Témoin d’un hold-up dans le quartier des Champs-Élysées, Anne Forestier échappe par miracle à la sauvagerie du braqueur. Détruite, défigurée. Bouleversé, le commandant Verhœven, qui est son amant, s’engage corps et âme dans cette enquête dont il fait une affaire personnelle. D’autant que le braqueur, récidiviste déterminé et d’une rare férocité, s’acharne à retrouver Anne pour l’exécuter… Les deux hommes s’engagent alors dans un face à face mortel dont Anne est l’enjeu. Verhœven, touché au plus secret de sa vie privée, devient à son tour violent, implacable, jusqu’à sacrifier tous ses principes… Mais en réalité, dans cette affaire, qui est le chasseur ? Et qui est la proie ? Par l’auteur de Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013.

Désolée mais je ne me souviens plus très bien de l'intrigue si ce n'est de ce passage saisissant où la jeune femme, Anne, est attaquée dans la bijouterie. Le style de Pierre Lemaître permet de "voir " la scène si bien que j'ai l'impression qu'elle est devant mes yeux comme dans un film.  Il faut reconnaître que Pierre Lemaître sait écrire ! quelle qualité du style ! j'ai lu le roman sans déplaisir mais je préfère le Pierre Lemaître de Au revoir là-haut.

jeudi 24 mai 2018

R.J. Ellory : Papillon de nuit



Si un thriller est, selon la définition du dictionnaire Larousse « un roman policier ou d’épouvante, à suspense et qui procure des sensations fortes », je ne placerai pas Papillon de nuit de R.J. Ellory dans ce genre - sauf peut-être par la surprise que révèle le dénouement- car ce serait réducteur.

« Papillon de nuit »  peut avoir plusieurs entrées et c’est pour cela qu’il se révèle riche et intéressant.  Il tient du roman historique puisqu’il se passe en 1982 avec un retour dans les années soixante aux Etats-Unis. On assiste à l’assassinat de Kennedy, à la lutte des noirs et de Martin Luther King pour conquérir les droits civiques et à la guerre du Vietnam et à son impact sur la jeunesse des années 60 et 70.
Il y a meurtre et, en ce sens, il est aussi policier :   Daniel est accusé d’avoir tué son meilleur ami, Nathan. Condamné, il est enfermé dans le couloir de la mort en Caroline du Sud, attend son exécution depuis des années et sait qu’elle est désormais imminente. Un prêtre qui est là pour l’aider devient son confident. C’est à lui qu’il va raconter sa vie et le drame qui l’a conduit là.

Roman psychologique, il est d’abord l’histoire d’une amitié qui naît dès l’enfance entre Daniel et Nathan, entre un blanc et un noir, dans une Amérique où le racisme s’exacerbe, le Ku Kux Klan  étend son pouvoir et fait régner la terreur. Tout en décrivant les hiérarchies sociales, les hiérarchies de race dans ces états du Sud corrodés par la haine, il montre l’évolution des jeunes enfants qui grandissent dans des milieux modestes et dont l’amitié perdure à l’adolescence et à l’âge adulte. Il analyse l’éveil de la sexualité, les émotions amoureuses, mais aussi les sentiments complexes qui les unissent, Daniel toujours un peu sous la domination de Nathan, la rivalité qui va naître entre les deux garçons, la jalousie éprouvée par Daniel à propos d’une jeune fille. 
Roman politique, social, il présente une critique virulente du racisme organisé en crime, de la guerre en général et de celle du Vietnam, en particulier. Il dénonce la responsabilité politique des dirigeants, corrompus, sans morale, qui envoient les jeunes se faire tuer pour rien. C’est aussi un vibrant réquisitoire contre la peine de mort et les pages qui racontent la vie des condamnés comme de ceux qui les surveillent, leurs gardiens, dans le couloir de la mort, en décrivent toute l’horreur et tiennent le lecteur en haleine.

Papillon de nuit, est de plus très bien écrit, il est addictif, et l’on a envie de ne pas le lâcher avant d’en savoir la fin.  Une bonne lecture.


mercredi 23 mai 2018

Clare Mackintosh : Je te vois



Comme des milliers de Londoniens, Zoe Walker emprunte quotidiennement le métro et feuillette le journal distribué sur le quai. Un matin, elle y découvre sa photo dans les petites annonces, sous l'adresse d'un site Internet. Qui a pris ce cliché à son insu ? Dans quel but ? Et puis, est-ce bien elle ? Sa famille n'en est guère convaincue. Zoe ne trouve qu'une oreille attentive : celle de Kelly Swift, un agent de la police du métro. Car une succession d'incidents étranges, puis le meurtre d’une femme qui avait également découvert sa propre photo dans le journal persuadent Kelly que quelqu'un surveille les moindres faits et gestes des passagères. Chacune de leur côté, Zoe et Kelly vont lutter contre cet ennemi invisible et omniprésent. (résumé quatrième de couverture)

Pour me reposer un peu des lectures graves et des sujets noirs traités par la littérature des pays de l’Est, lors du challenge du mois d’Avril d’Eva, Patrice et Goran, j’ai commencé début mai par lire un thriller que je ne vous présente que maintenant, faute de temps !
C’est  « Je te vois » de Clare Macintosh, auteure anglaise, dont j’ai déjà lu l’intéressant Te laisser partir.

C’est le genre de livre à l’intrigue bien construite et bien écrite qui relance sans cesse le suspense et nous fait partager l’angoisse des personnages. On a peine à interrompre sa lecture tellement l’on veut savoir ce qui va se passer, si les femmes traquées vont s’en sortir et bien sûr, quel est le pervers particulièrement intelligent et machiavélique qui est derrière ce cauchemar.
Les personnages féminins surtout, sont très intéressants et nous nous attachons à elles, Zoé et sa fille Kathie, l’agent de police Kelly. Nous les voyons dans leur vie quotidienne, pas toujours facile, avec leurs problèmes de travail, de patron, de mari et d’enfants. Et cela les rend très proches de nous. C’est une société dans laquelle nous pouvons nous retrouver c’est pourquoi le livre fonctionne si bien. Attention ! comme dans son premier livre, Clare Mackintsh vous réserve une surprise au dénouement !

Nota : Vous allez me dire que chercher à se reposer et à se changer les idées en lisant un thriller -surtout s’il est réussi - c’est une bien mauvaise idée. Et bien non ! Un livre comme celui-ci parle, bien sûr, de l’existence du Mal, mais le lecteur sait que si celui-ci existe, il est pour l’instant théorique. D’accord, les personnages sont en danger mais nous sommes bien à l’abri dans notre fauteuil ou notre lit douillet ! C’est comme adorer les lectures qui nous plongent dans le Grand Nord, au milieu des forêts sauvages, du blizzard et des loups affamés, quand on est à côté d’un bon feu ronflant !
Par contre, quand on lit la plupart des livres des pays de l’Est, envahis, occupés, détruits, ravagés par la haine des hommes, là, il n’y a aucun échappatoire !

jeudi 26 avril 2018

Pieter Aspe : Chaos sur Bruges


Le commissaire Van In, grande gueule au cœur tendre et buveur de bière impénitent, son adjoint, le perspicace Versavel, et la belle Hannelore Martens, substitut du procureur. Un trio de choc pour déjouer une série d'affaires qui sème la panique dans la bourgeoise ville de Bruges. Une fois de plus, le pas très politiquement correct Van In s'apprête à jeter le trouble en haut lieu, où l'on semble peu pressé de le voir résoudre son enquête... (4ième de couverture)
Chaos sur Bruges de Pieter Aspe ne m’a pas entièrement convaincue. Cela tient d’abord au personnage principal, le fameux commissaire Van In avec lequel je faisais connaissance et qui m’a grandement ennuyée. En dehors de son alcoolisme et de son amour immodéré de la bière (cela m’a du moins appris le nom d’une d’entre elles la Duvel ! ), de sa saleté, de ses vêtements froissés et tachés et de son mauvais caractère, je ne sais pas ce que l’on peut lui trouver ! Ajoutons que lorsqu’il sort du lit de la belle Hannelore, c’est pour mieux entrer dans celui d’une prostituée, si bien que lorsqu’il demande Hannelore en mariage, on se dit qu’elle ferait mieux de fuir ! Tout cela pour dire que l’on ne peut pas vraiment croire aux sentiments de l’un ou de l’autre et que l’analyse psychologique des personnages paraît superficielle dans ce roman.
Voyons l’intrigue maintenant. Là aussi, j’ai eu beaucoup de mal à m’y intéressée, du moins au début. Je trouve qu'elle traîne en longueur. Ensuite, je suis bien entrée dans l’histoire mais elle me paraît compliquée. Il y est fait allusion aux différends entre wallons et flamands. Piste abandonnée par la suite.. mais qui m’intéressait.

Bref! En gros, l’alchimie n’a pas eu lieu. Peut-être dans un autre de ses romans ?



jeudi 1 mars 2018

Michel Bussi : Un avion sans elle


Je m’étais promis d’espacer la lecture des livres de Michel Bussi depuis  que je n’ai pas trop aimé On la trouvait plutôt jolie mais je m’étais engagée à lire un livre de lui pour le blogoclub au mois de mars, aussi le revoici avec un autre titre : Un avion sans elle. Oui, le jeu de mots est voulu, référence à la chanson de Charlélie Couture : comme un avion sans ailes.

Le récit  se déroule  sur deux époques et sur dix-huit ans :

23 septembre 1980  : Un avion s’écrase dans le Jura sur le Mont Terrible et prend feu. Une seule survivante  éjectée de l’appareil, une fillette de trois mois, autour de laquelle deux familles vont se déchirer. Les parents sont morts dans l’avion et ce sont les grands-parents qui revendiquent la garde du nourrisson. Les Vitral, Nicole et Pierre, d’origine modeste, sont persuadés qu’il s’agit de leur petite-fille Emilie, Léonce de Carville, riche industriel, et son épouse Mathilde affirment que la fillette est Lily-Rose. A une époque où les tests d’ADN n’existent pas encore, c’est à la justice de trancher et elle le fera en faveur des Vitral.
2 Octobre 1998  :  Mais dix-huit ans tard, à l’anniversaire  de celle que l’on appelle Lylie, compromis entre les deux prénoms, le doute subsiste encore et c’est d’autant plus tragique que Marc, le frère supposé d’Emilie, est amoureux de la jeune fille et réciproquement. Les tests d’ADN devraient pouvoir trancher ! Mais au contraire, c’est là que les choses se compliquent !
Le détective privé, Crédule Grand-Duc, qui a passé dix-huit ans à enquêter sur l’affaire à la demande de Mathilde de Carville découvre pourtant enfin la vérité avant d’être assassiné. C'est à travers son carnet et des notes prises pendant l'enquête que nous découvrons le récit.

Je retrouve dans ce roman ce que fait la force de Michel Bussi mais aussi ce que je n'aime pas.
Michel Bussi est un bon conteur qui sait embarquer son public et le  livre est d’un abord agréable, facile ; je me suis laissé prendre par l’histoire. Les 573 pages du pavé se lisent donc volontiers mais... le récit finit par traîner en longueur et devient parfois lassant. En effet, le procédé qui consiste à toujours différer les révélations est souvent irritant et coupe l’action. Le livre pourrait être plus court et éviterait ainsi les ficelles employées pour allonger le récit, ce qui nuit à la vérité psychologique. Je prends pour exemple, la scène où Marc vient trouver sa grand-mère Nicole de toute urgence pour avoir des explications et qu’ils prennent le repas ensemble sans en discuter. Et quand il a enfin le test qui va tout révéler, il le laisse tomber de surprise et il faut attendre un chapitre de plus pour savoir la suite alors qu’à ce stade-là on a compris du moins en partie !  Parfois, il me semble que si l’auteur allait plus vite au but, il  maintiendrait le suspense jusqu’au bout et gagnerait en efficacité… De plus, je ne peux m’empêcher de trouver invraisemblable le dénouement qui fait penser à une romance du XIX siècle.
Quant aux personnages, ils manquent de profondeur et sont souvent  trop attendus : la preuve, c'est que les de Carville coupables d'avoir trop d'argent, sont antipathiques mais raffinés, musiciens, alors que les Vitral prolétaires, courageux et sympathiques, sont peu intelligents et peu cultivés. En effet, s'il y a des des doutes sur l'identité d'Emilie, c'est parce qu'elle est trop brillante, trop artiste, trop fine, pour être une Vitral. Il est vrai que ce déterminisme social recevra un pied de nez mais, en attendant, comme il se doit, Emilie lit et fait de brillantes études, Marc ne lit pas et est moyen en classe.
En bref ! Le sujet est intéressant au départ, le livre se lit bien mais je ne suis pas entièrement convaincue par cette lecture.

Lecture commune du blogoclub :  Un roman de Michel Bussi