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mardi 23 janvier 2018

Daniel Mendelsohn : Une odyssée, un père, un fils, un épopée (citation 2)

Sir William Russell Flint (1880-1969)

Ulysse et Calypso (source)

Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse. (Voir Citation 1)

À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)

Dans le billet précédent consacré à un passage du texte (citation 1) où le père de Daniel Mendelsohn contestait à Ulysse son titre de héros en s'opposant à son fils, professeur d'université, je vous ai dit que l'essai Une odyssée, un père, un fils, un épopée, était passionnant, érudit et touchant. J'entendais par ce dernier qualificatif qu'il passait beaucoup d'émotion dans ce texte. Car le livre à travers cette analyse savante et si agréable de l'oeuvre d'Homère, est aussi un moyen de parler des rapports que nous avons avec nos parents.
Ici un père intransigeant, sévère, plein de principes, et un enfant en révolte, deux êtres que ne se sont jamais sentis proches. Ils vont finalement se retrouver et même plus, se découvrir, à l'âge adulte, au cours d'une croisière qu'ils feront sur les traces de l'Odyssée à la fin du séminaire.
Une telle expérience n'est pas donnée à tout le monde. Nos parents disparaissent parfois sans que nous ayons eu ce moment privilégié où le masque de l'adulte tombe, où les reproches voire les rancoeurs liées à l'enfance disparaissent et où il ne reste plus que l'amour.

Voici un extrait de ce beau texte p 235

La croisière entreprise par nos deux personnages les amènent jusqu'à l'île de Gozo qui appartient à l'archipel maltais. C'est là que se situe la grotte de Calypso. Daniel, claustrophobe, a une crise de panique et refuse de s'enfoncer dans la cavité malgré les exhortations de son père .

"Alors mon père a fait une chose qui m'a sidéré. Il a tendu le bras et m'a pris par la main. Je l'ai regardé faire et j'ai éclaté de rire. Papa, voyons!
Tout ira bien, me rassura-t-il en me serrant légèrement la main, chose que, autant que je me souvienne, il n'avait plus faite depuis l'époque où j'étais petit garçon. Sa main à lui était légère, sèche et fine. Je la fixai, gêné.
Je serai là avec toi, à chaque pas, promit mon père. Et si tu ne supportes pas, nous sortirons.
J'observai nos mains liées l'une à l'autre et, contre tout attente, je dus avouer que cela me faisait du bien. Je m'assurai que personne alentour ne nous regardait mais je compris alors, avec un sentiment confus de soulagement, que si jamais quelqu'un nous voyait, il s'imaginerait que c'était moi qui guidais mon père en le tenant par la main. C'était pour lui, après tout, qu'il existait un un risque réel; c'est lui qui avait la hantise de tomber.
C'est ainsi que j'ai visité la grotte de Calypso avec mon père qui me tenait la main."

 A demain pour le dernier billet sur ce livre !

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lundi 22 janvier 2018

Asa Larsson : Le sang versé




Le  sang versé de Asa Larsson est second livre relatif au cycle de Rebecka Martisson, la jeune avocate de Stockholm, née à Kiruna (comme l’auteure ) en Laponie suédoise.

Après la fin terrible du premier roman Horreur boréale, Rebecka essaie de reprendre son travail d’avocate mais une sévère dépression nerveuse l’empêche d’être performante. Un collègue lui prête sa maison non loin de Kiruna, dans un petit village à 145km du cercle polaire. Elle part là-bas pour se reposer et essayer de retrouver le goût de vivre.
Hélas ! L’assassinat d’une femme pasteur que l’on a retrouvée pendue à l’orgue de l’église provoque un climat délétère. Et la pauvre Rebecka se retrouve à son corps défendant au milieu de l'enquête !

Alors là, je me suis dit : Décidément Asa Larsson a quelque chose contre les pasteurs sinon comment expliquer qu’elle les trucide d’un livre à l’autre et qu’elle brosse de ces religieux une peinture aussi critique et acide ! Je vois dans la postface que je ne suis pas la seule à avoir pensé cela ! Sa famille, son oncle vicaire à la retraite, sa tante laestadienne, la branche la plus conservatrice, la plus austère et rigide du protestantisme, s’en sont émus et lui ont fait promettre de ne plus tuer de pasteurs dans ses livres. Tant mieux parce que c'est un peu fastidieux cette hécatombe de pasteurs !

Mais à mon avis, elle a un compte à régler ! Car le tableau qu’elle dresse du collègue de la victime et de son vicaire est plus que critique. Et oui, même si l’on est pasteur, on peut-être machiste, antiféministe et ne pas supporter qu’une femme vous concurrence ! Malgré tout l'on ne peut s'empêcher de penser que les protestants sont en avance sur les catholiques et moins misogynes car ce n'est pas demain la vieille qu'il y aura de femmes curés  !
 On peut aussi tremper dans des combines louches et détourner l’argent commun à des fins privés. Quant à la femme pasteur, féministe, elle a des aspects bien sympathiques et l’on comprend pourquoi elle se met à dos tous les machos de la ville mais, en même temps, l’importance qu’elle a dans la vie quotidienne des gens m’effraie. Que le poids de la religion puisse être si pesant  dans ce pays-là m’étouffe ! Je n’aurai pas l’impression de liberté si je devais vivre ainsi.
Enfin,  la critique de la chasse et des chasseurs n’est pas mal non plus !

Ce que j'en pense ? A mon avis le livre n'est pas parfait. L’équilibre entre l’histoire policière et la vie de Rebecka, l’analyse des personnages et de la société, n’est pas encore trouvé. L’enquête traîne en longueur mais le personnage de Rebecka s’étoffe, celui de Sivving aussi. On voit apparaître pour la première fois un personnage qui va devenir important par la suite, le policier maître-chien Krister. 
A la fin quand on apprend ce qui arrive à Rebecka on est inquiet pour elle ! Mais nous répond Asa Larsson  : « Rebecka Martinsson va s’en remettre. J’ai foi en cette petite fille avec ses bottes en caoutchouc rouge. Et puis n’oubliez pas : dans mon histoire, c’est moi qui suis Dieu. »
Moralité ? Il me reste à lire le troisième La Piste noire et le quatrième Tant que dure ta colère. A bientôt !



dimanche 21 janvier 2018

Asa Larsson : Horreur boréale


J’ai commencé ma lecture de la série policière d’Asa Larsson par le cinquième volume En sacrifice à Moloch  et me suis intéressée au personnage principal récurrent, l’avocate fiscaliste Rebecka Martinson. Je me suis donc promis de lire les quatre premiers. Voilà qui est presque  fait, du moins pour deux d’entre eux.

Horreur boréale est le premier. On y rencontre Rebecka qui est avocate fiscaliste à Stockholm, carrière brillante mais qui ne semble pas la combler, de même qu’elle n’aime pas trop son patron Mans Wenngren.
Rebecka  reçoit un appel au secours d’une amie d’enfance, Sanna, mère de deux petits filles, dont le frère, pasteur, vient d’être savamment assassinée à Kiruna, une petite ville de la Laponie suédoise. C'est là que Rebecka est née et qu’elle a vécu avec sa grand-mère maintenant disparue dans un chalet, une enfance dont elle se souvient avec nostalgie. Rebecka prend un congé au grand dam de son patron et va rejoindre Sanna. C’est le début d’une dangereuse enquête - qu’elle mène pour sauver son amie accusée à tort- mais qui se terminera tragiquement.

J’ai trouvé que l’intrigue patinait un peu car l’écrivaine semble plus intéressée par ses personnages que par l’enquête policière proprement dite et je me suis un peu ennuyée au début. Mais j'avais envie d'en savoir plus sur Rebecka et sur son pays.
L’histoire  se déroule en sept jours d’hiver, dans la neige et sous un ciel couronné par les aurores boréales. Le temps qu’il a fallu pour créer le monde. Rappel biblique qui nous replace dans cette petite ville protestante dont les pasteurs représentants de différentes églises forment une communauté religieuse. En Laponie suédoise ils sont encore très puissants.
 Asa Larsson a l’art d’analyser les relations complexes entre les êtres, l’amitié-répulsion entre Sanna et Rebecka, l'art aussi de peindre les non-dits, les jalousies, les rapports de domination, les mesquineries et les malhonnêtetés et hypocrisies qui règnent au sein de la communauté religieuse. Un tableau peu reluisant !

 On y découvre des personnages qui vont l’accompagner tout au long de ces volumes, Anna Maria la policière chargée de l’enquête et son adjoint Sven-Erik, le voisin de la grand-mère de Rebecka, le vieux Sivving et ses chiens.
Malgré ses longueurs, j’ai fini par m'intéresser à ce roman mais pas autant que En sacrifice à Moloch.
Le livre a obtenu le prix du premier roman policier suédois en 2003.

A bientôt pour le deuxième volume "Le sang versé"


samedi 20 janvier 2018

Maranke Rinck et Martijn Van der Linden : Chatangram


La particularité de ce livre Chatangram de Maranke Rinck et Martijn Van der Linden est qu’il contient  un tangram,  puzzle chinois qui consiste en sept pièces en carton,  pour raconter une histoire.  Seulement sept pièces, oui ! Mais c’est fou tout ce que l’on peut faire avec ! Le narrateur, un petit garçon, crée un chat, et puis un poisson pour le nourrir , une maison pour l’abriter, un  chien qui le fait fuir, un crocodile pour faire fuir le chien et.. et.. Je ne vous raconte pas tout mais sachez que l’histoire ne finira que lorsque le narrateur deviendra lui aussi personnage du livre sous la forme d’un Tangram.



 Les pièces assemblées du tangram laissent place chaque fois à l’illustration qui parle à l’imagination de l’enfant.


Un génial petit Album qui  a beaucoup plu à ma petite-fille Apolline (7ans1/2). Il mêle jeu et  récit pour le plus grand plaisir des enfants et des grands !
Oui, j’y ai joué avec Apolline qui a aimé suivre le récit tout en construisant les formes proposées (il y en a beaucoup surtout pour les oiseaux).



 Mais on peut continuer au-delà et chercher à créer d’autres personnages et une autre histoire. C’est ce que nous allons essayer de faire avec Apolline à notre prochaine rencontre.
 A partir de 5 ans.


Merci à  la Librairie Dialogues, Dialogues croisés  et l'édition Kaléidoscope.




mercredi 17 janvier 2018

Daniel Mendhelsohn : Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée (citation 1)

Mosaïque : Ulysse et les sirènes (musée de Tunis)
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse.
À la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père. (résumé de l'éditeur Flammarion)
 


Je suis en train de lire  Une Odyssée, Un père, un fils, une épopée de Daniel Mendhelsohn.  Pendant ma lecture et avant de rédiger un billet sur ce livre passionnant, érudit, et touchant, je vous inviterai à lire quelques extraits du livre, ceci afin de vous mettre un peu l'eau à la bouche.
J'ai choisi aujourd'hui un passage plein d'humour qui éclaire les relations du père et du fils et qui apporte aussi une réflexion intéressante sur l'oeuvre d'Homère.

Le père, Jay Mendhelsohn assiste donc au premier cours de son  fils qui porte sur le chant I et sur le proème de l'Odyssée, le proème c'est à dire "les vers liminaires qui annoncent au lecteur le sujet de l'oeuvre - le cadre de l'action, l'identité des personnages, la nature des thèmes."

Voilà comment réagit le père quand son fils qualifie Ulysse de héros.

Buste grec ancien d'Odysseus, Ulysse

"Ce fut à ce moment-là que mon père leva la tête et dit, "Un Héros? Moi je trouve qu'il n'a rien d'un héros.
 (...)
Très bien répondis-je à mon père.  Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il n'a rien d'un héros?

Eh bien reprit-il. Vingt ans plus tôt il est parti combattre à la guerre de Troie, non ? Et à ce que l'on sache il dirigeait l'armée du royaume...

En effet... Le chant II de l'Iliade énumère toutes les armées grecques qui ont convergé vers Troie. Et il est dit qu'Ulysse a levé l'ancre avec un contingent de douze navires.

Justement, répliqua triomphalement mon père. Cela représente plusieurs centaines de soldats. Et donc ma question est : où sont passés ces douze navires et leurs hommes de bord ? Comment se fait-il qu'il soit le seul à rentrer chez lui vivant ?

En fait c'est une bonne question, dis-je (...) Si vous avez lu le proème, vous vous souviendrez qu'il qualifie les marins d'"insensés" qui ont péri "par leur folle témérité". A mesure que nous avancerons dans le poème, nous en apprendrons davantage sur les évènements qui ont causé la mort de ces hommes, des groupes différents, à différents moments. Et alors vous me direz si vous pensez que c'est vraiment par leur folle témérité qu'ils sont morts.

Mon père grimaça, l'air de dire qu'il se serait mieux débrouillé qu'Ulysse et que lui aurait ramené sans encombre ses douze navires et leur équipage. Donc, tu admets qu'il a perdu tous ses hommes ?

Oui, répondis-je sur la défensive. J'avais l'impression d'avoir onze ans, qu'Ulysse était un camarade de classe qui avait fait une bêtise et que j'avais décidé de le défendre, quitte à être puni avec lui. (...)
Il n'était visiblement pas convaincu.

Les boeufs du Soleil
Le professeur continue son explication :

"Si on y réfléchit bien, il doit absolument être le seul à rentrer.
Je mesurai mon petit effet, laissai planer un instant de suspens, et repris : Si Ulysse est le seul à être toujours debout, alors?...

Trisha (une étudiante) leva le nez de son cahier. Alors il devient le héros de l'histoire.

Exactement. Elle est vive cette petite, me dis-je.
Imaginez... A quoi ressemblerait l'Odyssée s'il était rentré avec une douzaine d'hommes, ou cinq, ou même un seul ? ça ne marcherait pas. Pour être le héros d'une épopée, il faut se débarrasser de la concurrence, pour ainsi dire !

Mon père revint à la charge. Et bien moi, je ne trouve pas qu'il ait grand chose d'un héros. Il prit à témoins les étudiants. Un chef qui perd tous ses hommes ? Vous parlez d'un héros!

Les étudiants éclatèrent de rire (...) Pour leur montrer que j'étais bon joueur, je fis un grand sourire.

Mais intérieurement, je bouillonnais. Ca va être l'horreur ce cours ! "

 


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mardi 16 janvier 2018

Clare Mackintosh : Te laisser partir


"Un soir de pluie à Bristol, un petit garçon est renversé par un chauffard qui prend la fuite. L’enquête démarre, mais atteint rapidement son point mort. Le capitaine Ray Stevens et son équipe n’ont aucune piste. Rien. Après cette nuit tragique, Jenna a tout quitté et trouvé refuge au pays de Galles, dans un cottage battu par les vents. 
Mais plus d’un an après les faits, Kate, une inspectrice de la criminelle, rouvre le dossier du délit de fuite. Et si l’instant qui a détruit tant de vies n’était pas le fait du hasard ?" résumé de l'éditeur

Le premier livre de Clare Mackintosh a connu un immense succès en Angleterre et obtenu le Prix du meilleur roman international au festival Polar de Cognac 2016.
 

J’ai choisi  le livre Te laisser partir de Clare Mackintosh parce qu’il se passait à Bristol, une ville que je connais bien ! En dehors de cette anecdote, j’ai été rapidement pris par l’ambiance du roman, par le suspense qui reste entier tout au long du récit.
Pas un seul instant la tension ne se relâche et lorsque Jenna part pour le Pays de Galles, on pourrait penser que le spectacle de l’océan, la beauté des falaises, l’amitié et peut-être l’amour qu’elle rencontre pourrait lui apporter un peu d’apaisement. Il n’en est rien. Il règne un mystère autour d’elle, un danger la menace.

Il ne s’agit pas ici d’un roman policier social mais d’un suspense très bien fait qui nous tient en haleine. Un coup de théâtre très réussi que, bien sûr, je ne vous révélerai pas, remet en cause toutes nos certitudes.
Un roman qui se lit facilement et que l’on ne peut quitter tant qu’on n’a pas atteint la dernière page !


lundi 15 janvier 2018

Miguel Bonnefoy : Sucre noir



 Le roman Sucre noir de Miguel Bonnefoy débute par une vision fantastique, celle d’un trois-mâts naufragé planté sur la cime des arbres au milieu de la forêt d'une île des Caraïbes. Ce premier chapitre a une force surréaliste tant par la description de la forêt « navirophage » qui va émietter le bateau, en disperser toutes les richesses, faire un sort à son équipage que par les personnages que campe Miguel Bonnefoy. 

Le capitaine Henry Morgan, en particulier, célèbre corsaire qui fut gouverneur de l’île de la Jamaïque au XVII siècle, apparaît ici, moribond, boursoufflé par l’alcool, accroché à son or qu’il va emporter dans la mort. Récit romanesque qui malmène un peu l’histoire puisque Henry Morgan est mort d’alcoolisme, certes, mais dans son lit. Peu importe, la légende est née. Et le trésor des pirates avalé par la forêt tropicale va devenir le rêve des chercheurs  de trésor. 

Trois siècles après, le premier d’entre eux est Severo Bracamonte qui devra déchanter dans sa quête mais épousera, par contre, Serena Otero. Celle-ci, héritière de la plantation de cannes à sucre de ses parents, braves gens qui avaient accueilli et encouragé le jeune homme, est une jeune femme singulière, altière, éprise de liberté. C’est aussi un personnage fort du roman.

Dès lors c’est à travers ce couple et leur fille adoptive Eva Fuego trouvée dans un champ de cannes en feu que nous allons suivre, les grandeurs et les décadences de la famille et leur île. Surtout après la découverte dans la plantation d’un puits de pétrole.

Migule Bonnefoy (source Babelio

Rien n'est aussi fort dans la suite du roman que ce remarquable premier chapitre mais j’ai aimé dans l'ensemble la plume de Miguel Bonnefoy, luxuriante comme les forêts qu’il décrit, riche et épicée comme les personnages qu’il peint. Et puis, il y a ce sentiment d’être ailleurs, non plus dans le réel mais dans un monde particulier, dans le réalisme magique des auteurs d'Amérique du Sud. Miguel Bonnefoy, rappelons-le est français, il est né à Paris, mais vénézuélien par sa mère, chilien par son père.

Tout de suite je me suis sentie en présence non d'un roman mais d'une fable, en train d’en chercher le sens caché, le secret de lecture.

Ainsi, lorsque Severo Bracamonte, personnage sympathique au demeurant, cherche le trésor, il déterre d’abord, au cours de ses fouilles, une statue de Diane. Puis, il découvre l’amour de Serena qui va remplir sa vie. Le seul vrai trésor de l’homme est donc l’amour; tout le reste n’est que faux-semblant comme la statue qui est porteuse de mort.

C’est au moment où le deuxième chercheur, l’Andalou, arrive dans le domaine, que Serena reçoit son second trésor : La petite fille Eva Fuego abandonnée dans le champ de cannes.

Enfin, quand Eva Fuego trouve un puits de pétrole dans son domaine et devient propriétaire d’une immense fortune, elle qui n’aime personne,  est précipitée dans le malheur et la ruine.
Une fable, donc, qui nous dit que la richesse n’est pas là où l'on croit la trouver mais dans l’amour et la nature.

Je suppose que ce n’est qu’une interprétation parmi d’autres. J’ai lu dans un article du journal l’Humanité une explication économique très intéressante. Voir ICI

Une interprétation de Sophie Jourbet dans l’Humanité
Roman. Le goût amer du sucre noir ICI

« Dans la veine du réalisme magique, le Franco-Vénézuélien Miguel Bonnefoy signe une épopée miniature qui se collette, sous une apparente légèreté, avec les problèmes économiques actuels du Venezuela. Ce pays, qui compte les réserves pétrolières les plus importantes du monde, a subi de plein fouet l’effondrement des cours de l’or noir. Comme Eva Fuego, brûlée et desséchée à force d’avoir trop cherché de l’or, le pays serait-il un vieillard qui meurt avec ses chimères, faute d’avoir su exploiter ses véritables richesses ? C’est la question que pose ce conte en Technicolor, qui dégage, à chaque page, une puissante odeur de sucre et de rhum.

dimanche 14 janvier 2018

Je lis donc je suis


Vincent Van Gogh : La lectrice

Aifelle l'a fait (ICI), Nathalie aussi (ICI) ! A mon tour ! le petit jeu sur les titres lus au cours de l'année. Et comme Aifelle, je précise que vos n'avez pas à vous inquiéter de mes états d'âme même si certains titres sont lugubres !

Décris où tu vis actuellement : Je t’écris du Gévaudan, ma Lozère

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ?  Le Pays qui n’est pas ou La Forêt en Sibérie

Ton moyen de transport préféré : Dans une coque de noix 

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est ? Un vénitien anonyme

Toi et tes amies, vous êtes ?  Les reines pourpres

Comment est le temps ? Nuit de printemps

Quel est ton moment préféré de la journée ? Avant que les ombres s'effaçent

Qu'est la vie pour toi ?  Une patience d’ange

Ta peur ? Une histoire des loups

Quel est le conseil que tu as à donner ? Pour me consoler de la mort, j’ai le rêve

La pensée du jour : Tout de la nuit est sans nom

Comment aimerais-tu mourir ? La mort en Arabie

Les conditions actuelles de ton âme ? Dans l’ombre

Ton rêve ? Seule Venise

samedi 13 janvier 2018

Anna Hope La salle bal


Dans La salle de bal, Anna Hope prend pour point de départ de sa fiction un cadre bien réel, celui de l’asile de Mentson, dans le Yorkshire, bâtiment ouvert en 1888, établissement psychiatrique pour les aliénés indigents. Ainsi, la salle de bal qui donne son titre au roman a bien existé.
Anna Hope écrit ce livre en hommage à son trisaïeul qui y a été interné à partir de 1909 à la suite d’une longue vie de travail, de privations et de malnutrition. Elle s’emploie donc à peindre un tableau véridique de la psychiatrie et de l’internement au début du XX siècle, tout en s’accordant le droit de créer des personnages imaginaires. C’est pourquoi elle rebaptise l’asile de Mentson du nom de Sharston.

La salle de bal de l'asile de Mentson
La prise en charge des malades et l’étude de la psychiatrie avait déjà évolué par rapport au XIX siècle. Que la musique et la danse puissent être considérées comme une thérapie en 1911, date à laquelle commence le récit, représente un bond en avant. Mais les méthodes violentes n’ont pas cessé et les soins aux malades ne sont basés que sur des rapports de force, punition ou récompense.
De plus, l’on est vite interné à cette époque si l’on est indigent, ouvrier et que l’on trouble l’ordre public. Etre une femme n’est pas un atout non plus, surtout pour celles qui refusent d’entrer dans un moule.

Le récit laisse tour à tour la parole à trois personnages. Le point de vue alterne donc et les autres personnages sont vus à travers ces trois personnalités :

Ella, le personnage principal combine toutes les déficiences : Femme, pauvre, elle est irlandaise ( c’est aussi une tare en Angleterre)! Ouvrière, elle est épuisée physiquement et moralement par un travail d’esclave dans la filature où les fenêtres sont obturées pour éviter toute distraction. Aussi lorsqu’elle casse les vitres pour laisser entrer la lumière, elle est enfermée à l’asile. C’est à travers son regard que nous verrons son amie, Clem, jeune fille d’un milieu social plus aisé, cultivée. Clem qui aime lire (encore une faute pour une femme) est enfermée parce qu’elle refuse le mariage voulu par son père et ne veut pas du sort réservé aux femmes dans sa classe sociale.

« Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin… si un peu de lecture légère ne porte pas à conséquence, en revanche une dépression nerveuse s’ensuit quand la femme va à l’encontre de sa nature. »

John, lui aussi irlandais, est jugé fou après le décès de son enfant suivi de la séparation avec sa femme. La dépression n’était pas encore reconnue comme telle. John est un poète qui s’ignore; il écrit des lettres à Ella qui introduisent la poésie et la nature dans le roman et dans la vie de la jeune fille.  Ainsi à propos des hirondelles  :

"Elles me font penser à la liberté. Mais aussi à chez moi. Elles me mettent dans la tête ma maison qui était dans l'ouest de l'Irlande qui est rocheuse et pleine de mer grise et de ciel gris. Mais parfois la terre a aussi là-bas une grande douceur et une grande verdure.
Il y a quelque chose chez ces oiseaux qui me fait penser à vous (...) Quelque chose de petit et sauvage. Quelque chose fait pour voler. "          
Face à ces deux patients, l’un des médecins occupent une place primordiale.

Charles : psychiatre attiré par l’eugénisme est le personnage le plus ambigu. Musicien, il croit à la musique comme moyen de guérir ses malades, du moins ceux qui sortent du lot. Ambitieux, il rêve de gloire et il cherche à attirer l’attention des partisans de l’eugénisme et de la stérilisation des indigents, très à la mode en ce début du siècle dans la haute société anglaise, en particulier au gouvernement dont fait partie Winston Churchill. Charles se venge de son échec et il hait, de plus, ceux qui lui révèlent ses tendances homosexuelles qu’il vit comme une honte.

Dans cet univers carcéral où l’on exploite férocement le travail des malades, l’on comprend l’attrait que peut exercer la salle de bal. C’est dans ce lieu que va naître l’amour de Ella et de John mais l’on se doute que le couple rencontrera obstacles et dangers.

La salle de bal, tout en présentant des faits historiques passionnants, bien souvent peu connus des anglais eux-mêmes comme le rôle de Churchill, nous tient en haleine tant nous sommes en empathie avec ces victimes d’une société masculine, dominante, hiérarchisée et inhumaine. Une lecture qui fait frissonner, une réflexion sur la façon dont la folie a été exploitée par les classes dominantes afin d'éliminer ceux qui les gênent. D’où l’idée de limiter les naissances par la ségrégation ou la castration afin d'éviter la dégénescence de la race et la surpopulation. Cela pourrait être un sujet de roman noir ou gothique si ce n’était la vérité historique. Voilà qui rappelle aussi les idéologies nazies. Ainsi le discours de  Leonard Darwin, un des fils de Charles Darwin :

"Notre tâche... en vérité à la société eugénique, est d'étudier toutes les méthodes possibles pour empêcher la décadence de la nation...
Il est notable, poursuivit Darwin, que les sections de la communauté qui parviennent le moins à gagner décemment leur vie se reproduisent plus rapidement que les bénéficiaires de salaires les plus élevés; et, en second lieu, qu'une proportion de cette strate la plus pauvre s'en extrait ou s'y enfonce à cause de quelque force ou faiblesse innée de l'esprit ou de leur corps, avec pour résultat que les membres de cette classe mal payée ont en moyenne, et de façon inhérente, moins de capacités que les mieux payés."

Le récit est très bien mené et va crescendo, maintenant un suspense dramatique jusqu’à la fin, une tension qui ne retombe qu’au dénouement lui-même plein de mélancolie. Un bon roman, bien écrit, avec des moments de poésie et d'émotions !

Voir ici mots pour mots

jeudi 11 janvier 2018

Pénelope Jossen : Bucéphale



Bucéphale de Pénélope Jossen paru aux éditions L’école des Loisirs, conte la rencontre du jeune Alexandre et du cheval Bucéphale. Une histoire adaptée aux enfants entre 5 et 7 ans.
Le récit de la jeunesse d'Alexandre et de son amitié avec son cheval est raconté par Plutarque dans la Vie d’Alexandre et dans le Roman d’Alexandre de Pseudo-Callisthène.

Pénélope Jossen : Bucéphale a peur de son ombre

Bucéphale acheté par le roi Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre, est indomptable. Il n’accepte aucun cavalier sur son dos. Le jeune Alexandre s’aperçoit que le cheval a peur de son ombre. Il obtient la permission de le monter et place Bucéphale face au soleil de manière à ce qu’il ne voit plus son ombre. L’étalon rassuré laisse monter l’enfant sur son dos. C’est le début d’une longue histoire d’amour entre l’animal et son maître.


Le texte simple, direct, raconté au présent, est facilement accessible aux jeunes enfants. Ceux qui adorent les chevaux se sentiront directement concernés, comblés par l'histoire elle-même. Les autres  comme ma petite fille 71/2 ans ont besoin de plus d’explications. Est-ce que l’histoire est vraie ? Bucéphale a-t-il réellement existé ? Qui est Alexandre Le Grand ?  J’avoue que j’avais prévu  les questions sur Alexandre le Grand mais pas celles qui m’ont été posées. J'ai eu tout faux !

Quand est mort Bucéphale ? Où ? Pourquoi ? Est-ce qu’il est mort avant Alexandre ou après ? Et s'ils est mort avant, est ce qu'Alexandre a pleuré ?  Etait-il réellement gris comme dans le livre ?

Depuis j’ai réparé mes lacunes en me documentant mais j’ai aimé cette conversation intéressante, preuve que le livre fonctionne bien. La discussion a aussi porté sur les qualités d’Alexandre, le courage, l’observation, la patience et sur les illustrations. Appoline les aime parce qu’elles sont vives et « cool».

Pénéloppe Jossen : Alexandre monte Bucéphale

Quant à moi, la grand-mère, j’aime beaucoup le format carré du livre et le contraste de ce fond jaune taché de rouge qui évoque le soleil de la Grèce, toujours présent dans l’image. Il contraste avec la couleur gris noir de Bucéphale. Les grandes étendues blanches sur lesquelles galopent Bucéphale et son cavalier semblent éclaboussées de lumière et en mouvement comme pour montrer l’avenir de celui qui conquerra une grande partie du monde. La silhouette du cheval qui se déploie sur deux pages me rappellent les dessins des grottes de Lascaux, silhouette un peu déformée par le support et qui vient d’un passé lointain.

Pénélope Jossen : Bucéphale

Bucéphale, par son format et  ses couleurs primaires, crues, étincelantes, son récit historique mis à la portée des petits,  sort vraiment de l’ordinaire et mérite d'être découvert.

Quelques petits renseignements aux parents qui liraient ce billet ( et si vous voulez en savoir plus, allez lire le mémoire de Emilie Glanowsky  : ICI 

Alexandre chevauchant Bucéphale à la bataille d'Issos, mosaïque de la Maison du Faune à Pompéi

Bucéphale : le mot vient du grec et signifie Tête de boeuf ! Pourquoi ? De nombreuses hyptohèses ont été émises. Je ne les retiens pas toutes ! 

Le cheval aurait une liste blanche sur le chanfrein qui aurait la forme d’une tête de boeuf.

Des cornes auraient poussé sur la tête du cheval marquant son origine magique et divine.

Il aurait été marqué au fer rouge, une marque en forme de tête de boeuf.

La couleur du cheval : Le cheval était noir ou alezan selon deux sources contradictoires.

La bataille d'Hydaspe : Les éléphants de Poros contre l'armée d'Alexandre par André Castaigne
La mort de Bucéphale : Il est mort en -326 a JC (date connue) pendant la bataille entre Alexandre et le rajah Poros et son armée d’éléphants, au bord de L’Hydaspe (Jhelum), sur le territoire actuel du Pakistan. Alexandre est mort en-323 a J C.

Le cheval aurait eu 30 ans à sa mort (sans certitude). Il aurait été blessé pendant la bataille mais Plutarque affirme que c’est surtout de vieillesse et d’épuisement qu’il est mort.
Le chagrin d’Alexandre a été immense, il a fait construire une ville sur l’emplacement du tombeau de son cheval : Alexandria Bucéphale. (aujourd’hui Phalia au Pakistan)

 Voir le billet de Miriam sur La vie d'Alexandre de Plutarque

Je remercie Dialogues croisés, la Librairie Dialogues et les éditions L'école des loisirs




mercredi 10 janvier 2018

Ragnar Jonasson : Snjor



Snjor de Ragnar Jonasson. Encore un policier nordique  ! Cette fois, nous sommes transportés en Islande du Nord, dans une ville Siglufjordur, si éloignée, si coupée du reste du monde et si froide que Reykjavik, par contraste, semble être une villégiature tropicale !  Oui, j'exagère un peu mais n'oublions pas que j'ai vécu longtemps à Marseille.

Ceci dit, un des intérêts du roman, entre autres, c'est ce dépaysement total dans une ville plongée dans la nuit hivernale, ensevelie sous des mètres de neige (Snjor, la neige) dont la seule voie de communication par la route est le plus souvent coupée par des avalanches, un lieu sans lien avec le reste du monde quand sévissent blizzards et tempêtes! Une ville où tout le monde se connaît avec ce que cela suppose de positif (l'amitié, la solidarité) mais aussi de négatif (le manque d'intimité, l'obligation des rapports sociaux même avec des gens que l'on n'aime pas, les racontars, les rumeurs malveillantes.).  Une ville où la porte n'est jamais fermée à clef de jour comme de nuit et pourtant ! Lorsque un écrivain célèbre tombe d'un escalier d'une manière suspecte et se tue, lorsqu'une jeune femme est découverte assassinée dans la neige, l'inquiétude et la peur font son apparition à Siglufjordur.

Le personnage principal est le jeune policier Ari Thor, frais émoulu de l'école de police, qui vient d'être affecté dans la ville. Dans l'Islande en proie à la récession économique, il est bien heureux de trouver un travail mais il doit quitter pour cela sa petite amie Kristin qui vit à Reykhavik.  Au-delà de l'intrigue policière, on suit avec intérêt, le délitement de cet amour à cause de l'éloignement et plus subtilement d'une différence sociale responsable d'une fêlure entre les deux. On voit sa difficile acclimatation à ce pays si rude, ses angoisses, son impression d'étouffement. Puis l'on fait connaissance avec les autres protagonistes de l'action dont la belle Ugla qui ne laisse pas Ari Thor indifférent.

Une intrigue que l'on suit avec plaisir, des personnages intéressants, la découverte d'un pays, une atmosphère oppressante, voilà qui ce qui fait la réussite du roman où l'on se sent pris à partie, enfermé dans un huis clos à l'islandaise.  C'est d'ailleurs le sous-titre du roman. Et je compte lire la suite qui s'intitule : Mörk.


Lire aussi : 


lundi 8 janvier 2018

Antony Phelps : Au souffle du vent-poupée


C'est le titre qui m'a immédiatement attirée dans ce livre proposé par Masse critique de Babelio : Au souffle du vent-poupée du poète haïtien Antony Phelps paru aux éditions Bruno Doucey.  La beauté du titre tient à son mystère, à cette alliance de deux mots unis par ce trait d'union qui fait de la poupée et du vent une entité, à ce souffle, évocateur de liberté, de bruit, doux chuchotis ou bruissement impérieux, qui parle à la fois aux  sens, à l'oreille et la peau, qui apporte des odeurs fraîches ou épicées, qui emporte l'imagination.

Iris Geneviève Lahens

Iris Geneviève Lahens,
Ce très beau livre préfacé par Louis-Philippe Dalembert  ( j'aime bien le retrouver ici !) allie poésie et art puisque les poèmes sont mis en dialogues avec les tableaux et les sculptures de l'artiste haïtienne Iris Geneviève Lahens, oeuvre étrange, d'une grande beauté, curieuse rencontre entre le cubisme et la peinture amérindienne, en harmonie avec les dits du poète.



L'influence du surréalisme sur  la poésie d'Antony Phelps est très forte. Entrer dans sa poésie c'est abandonner toute rationalité pour se fondre dans un monde d'images et de formes où les objets perdent leur statut d'objet :

O lampe imaginée aussi sage que l'huile
Tu veilles paupière verte sur la nuit du tapis
La danseuse-papillon sur l'escalier de verre
écoute bouger l'écho
O Lampe paupière verte.


où la femme aimée est "poupée miraculeuse aux bégaiements d'oiseaux pensifs", "Vénus des aromates", "femme gémeaux, idole boisée aux yeux de prophétesse", "l'amante aux pieds de croissants/et main de lune".


Iris Geneviève Lahens (détail) dans le Vent-poupée d'Antony Phelps Editions Bruno Doucey
Iris Geneviève Lahens
Seins bleus corps bariolé
Femme de bagues en fleurs
les yeux en éventail tout éléments mêlés
je te chante en tempête et furie
embrasements rires et chocs de verre.
 

Femme en falaise
au croisement des pistes
le temps carrousel
ne rattrape pas ses chevaux
mais je me fais bouteille dans ton ciel
Une lettre d'amour attachée à ma clef.


Le monde cosmique est là, avec ses nuits qui orchestrent l'arrivée des fantômes, " corps lumineux des poètes trépassés", "débris de fêtes osselets", une nuit traversée d'éclats de lune porteuse d'espoir.

Ô lune-lune cerf-volant
l'été renaîtra sur les mots de l'enfance
le pavé des rue n'appartiendra plus
aux pas cadencés
la main chantera le temps de l'oeillet
les beffrois des villes sonneront l'amour


Poésie très colorée, très visuelle, où éclatent les verts, les bleus, les cuivres, les rouges coquelicot et pavot, poésie à laquelle répondent les images d'Iris Geneviève Lahens, une symphonie de couleurs aux dominantes de bleu, ocre, brun.


Les cheminées ne fument plus
et les maisons sont dans les rues
Le macadam fleurit des roses de chair
à tous les pas-de-porte
Mon bras est un bouquet de feu
Coquelicot coquelicot dondaine
et ma maison est une main
qui dit bonjour à tous les hommes.


Enfin, en filigrane, la présence de la terre originelle, Haïti, qui l'a nourri, terre des Anciens dont il est fait, dont il est pétri,  et sans laquelle il ne serait pas ce qu'il est :


En cette faille d'avant que tout bascule
ma vision s'enrichit
de tous les hommes à tête de cendre
mâcheurs de silex
ou adorateurs du serpent à plumes
descendants empêtrés d'hommes-dieux
peuple conservateur des ruines.


Des ruines dont la mémoire perdure et renaît peu à peu.

Iris Geneviève Lahens
Orchidée nègre
en mains de deux
nous recollons comme amulettes
ce qui nous reste de nos jeux
petits morceaux de fêtes
bribes de joie éclats de danses
que fécondent les abeilles de ton été
les oiseaux-mouches de mon automne.


Une petite merveille que je vous recommande chaudement ! Un coup de coeur !


Tous mes remerciements à Babelio, Masse critique et les Editions Bruno Doucey.




http://www.editions-brunodoucey.com/au-souffle-du-vent-poupee/




Anthony Phelps est né en 1928 en Haïti, où il contribue à fonder le mouvement Haïti Littéraire. Opposant à la dictature de Duvalier, il connaît la prison et l’exil. Établi à Montréal, il livre une oeuvre de premier ordre qui fait de lui l’un des écrivains haïtiens les plus connus en Amérique.