Pages

vendredi 28 septembre 2018

Donna Leone : Le cantique des innocents et Le garçon qui ne parlait pas


Le cantique des innocents


Des carabiniers agressent un pédiatre en pleine nuit pour lui enlever son fils de dix-huit mois. Venise est sous le choc. Puis les langues se délient : certains crient au scandale, d'autres soupçonnent la découverte d'un réseau de trafic d'enfants. Un vent de délation envahit la lagune ... Le commissaire Brunetti a bien du mal à distinguer les coupables des innocents.

Et voilà j’ai retrouvé une fois encore Donna Léone et le charme de la lagune, des promenades dans Venise avec Le cantique des Innocents. Comme d’habitude le commissaire Brunetti et son adjoint Vianallo arpentent la cité mais il est question cette fois d’un trafic d’enfants. Des parents stériles mais assez fortunés achètent leur progéniture à des mères en difficulté et désargentée et derrière tout cela un réseau maffieux, des milieux médicaux véreux épaulés par des politiciens qui le sont tout autant, agissent dans l’ombre. Le roman parle d’une réalité dont Donna Léone  dénonce les ramifications profondes et les zones d’ombre soigneusement cachées.
Comme d’habitude, j’ai lu le roman avec plaisir, retrouvant le commissaire Brunetti et ses petits arrêts gourmands dans les restaurants de la ville ou chez lui, petits plats préparés par sa femme, brillante universitaire mais épouse-cuisinière puisque, comme on le sait, les enseignants ne travaillant pas (ou presque), doivent -quand elles sont femmes- servir de larbins à leur mari ! Et là, Brunetti découvre que  sa vie familiale avec Paola est douce et paisible pour ne pas dire privilégiée. Le commissaire est, en effet, très secoué par cette enquête qui lui révèle le sacrifice des Innocents, enfants vendus comme des marchandises, puis arrachés à leurs parents adoptifs même si ceux-ci sont aimants, et finalement condamnés par la société à ne pas avoir de famille.

Le garçon qui ne parlait pas



Tandis que les feuilles d’automne commencent à tomber, le vice questeur Patta demande à Brunetti d’enquêter sur une petite infraction commise par la future bru du maire. Le commissaire Brunetti n’a guère envie d’aider son patron à récolter les faveurs politiques, mais il est bien obligé de s’incliner. Puis c’est au tour de sa femme, Paola, de lui présenter une requête. L’handicapé mental employé par leur pressing vient de mourir d’une overdose de somnifères, et Paola ne peut pas supporter l’idée que dans la vie comme dans la mort, personne ne l’ait remarqué ni aidé.
Brunetti se met au travail mais, à sa grande surprise, il ne découvre rien sur cet homme : pas d'acte de naissance, pas de passeport, pas de permis de conduire, pas de carte de crédit. Pour l’administration italienne, il n’a jamais existé. Plus étrange encore, sa mère refuse de parler à la police et assure au commissaire que les papiers d’identité de son fils ont été volés lors d’un cambriolage. Au fil des révélations, Brunetti commence à soupçonner les Lembo, des aristocrates, d’être mêlés à cette mort mystérieuse. Mais qui a bien pu vouloir tuer ce malheureux simple d’esprit ?

Dans ce roman, il est encore question de maltraitance, mais aussi d’éducation. Donna Leone démontre l’importance du langage comme vecteur de conscience et de socialisation. Nous y découvrons aussi ce qu’est la mort à Venise dans la vie quotidienne : comment enterre-t-on ses morts à Venise ?

Il vaut mieux ne pas lire plusieurs Donna Leone à la suite, ce que j’ai fait avec ces deux titres, parce que vous apparaît alors le fait que les romans de Donna Léone (que pourtant j’aime bien) obéissent à une recette bien rôdée, toujours la même :  la même structure de l'intrigue, des personnages prévisibles et superficiels pour ne pas dire codés, un soupçon de ville de Venise pour plaire aux nostalgiques, saupoudré de bonnes petites recettes italiennes, une confrontation, élégante et légère, entre mari et femme, Guido et  Paola, avec l'inévitable verre de vin,  intervention ou non des enfants Brunetti autour de la table !  Parfois m'agace aussi le mépris qu'éprouve la dame pour les italiens en particulier du Sud ! L’enquête policière y est plus ou moins intéressante mais ce n’est jamais ce qui est le plus important dans le roman.

Mais si l’on espace les lectures, le charme de la présence du cadre, Venise, agit ; nous découvrons le cité autrement qu’en touristes, ces touristes qui sont une mâne, à la fois, et une plaie (dixit la donna) pour la beauté et l’authenticité de la ville ! Et puis assurés que nous sommes de retrouver nos personnages familiers, leurs habitudes, leurs côtés sympathiques, nous nous glissons comme dans des pantoufles, dans le confort du roman, en terre connue! Et, c’est certain, il faut un talent écrivain pour cela même si le tout manque de profondeur.

mercredi 26 septembre 2018

Voyage dans le sud-ouest de la France (1) : L'abbaye de Moissac

Moissac cloître chapiteau

Une petite escapade le temps d'un week end dans le sud-ouest, au début septembre, m'a amenée à découvrir (ou à revoir ) quelques merveilles que je partage avec vous :

L'abbaye de Moissac

Cloître de l'abbaye de Moissac

L'abbaye de Moissac (Tarn et Garonne) fondée au VII siècle a connu la prospérité au XII siècle après avoir été rattachée à l'abbaye de Cluny par Saint-Odilon, époque où elle étend son influence jusqu'en Catalogne. Si elle a eu des moments tragiques dans son histoire, notamment avec la révolution où elle fut saccagée et pillée, c'est au XIX siècle qu'elle faillit disparaître pour permettre la construction du chemin de fer. Le tracé devait passer dans le cloître. Sauvée par le Service des Monuments Historiques et restaurée par Viollet-le-Duc, l'abbaye ne put éviter le sacrifice des cuisines et du grand réfectoire des moines, ce qui fait que l'abbaye est à l'heure actuelle coupée en deux par la voie ferrée !  Ce XIX siècle est redoutable pour le Moyen-âge. A Avignon, c'est Prosper Mérimée, directeur du service des Monuments historiques, qui a évité la perte de ses remparts à la ville pour les mêmes raisons ! Décidément l'art et l'économie ne font pas bon ménage.


 Et voilà la merveille qui fut à deux doigts de disparaître, le cloître de la fin du XI siècle, alliance de marbres blanc, gris et rose, dentelle et élégance des arcades et des colonnes, richesse de la sculpture des chapiteaux tous différents et qui présentent des scènes de l'ancien et du nouveau testament, des feuillages décoratifs, des animaux.






Moissac  le Cloître

L'église abbatiale de Saint Pierre de Moissac présente deux parties, une de l'époque romane, fortifiée, l'autre de l'époque gothique. On y entre par un magnifique portail dont le tympan sculpté vers 1130 présente le thème de l'apocalypse de Jean avec au centre le Christ entouré des quatre évangélistes  et de leur symbole et sur le reste du tympan,  les vingt quatre vieillards de l'Apocalypse. C'est un des plus beaux portails de l'art roman. Il se dresse sur la route de Saint Jacques de Compostelle.


Eglise abbatiale de Moissac : le portail roman

Portail de l'église abbatiale de Moissac : Tympan (détail)

Les péchés capitaux : la luxure en bas, l'avarice en haut

L'église abbatiale de Saint Pierre de Moissac : la nef

La nef de l'église abbatiale offre un surprise. Elle a été entièrement repeinte  dans le respect des motifs géométriques originels.  Le visiteur a l'impression qu'elle est recouverte d'une tapisserie !  On peut ainsi voir (et non plus imaginer) comment étaient les églises au moyen-âge, non pas la pierre nue mais parée de couleurs et de dessins éclatants.

L'église abbatiale de Saint Pierre de Moissac  Le choeur


Eglise abbatiale de Moissac : Mise au tombeau de 1485

Eglise abbatiale de Moissac : Mise au tombeau (détail)

Eglise abbatiale de Moissac : Mise au tombeau (détail)

Eglise abbatiale de Moissac : Fuite en Egypte du XV siècle

Nous sommes aussi allés à Montauban. Hélas ! le musée Ingres est fermé pour restauration mais nous avons vu la charmante Place Nationale avec ses arcades qui m'a rappelé les places des villes espagnoles. Promenade sous la pluie.



dimanche 23 septembre 2018

Richard Wagamese : Les étoiles s’éteignent à l’aube


Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese éditions ZOE
Franklin Starlight a seize ans lorsqu'Eldon, son père, vieil homme alcoolique en fin de vie, le convoque à son chevet et lui demande de l'emmener au coeur de la montagne, là où les Indiens enterrent leurs guerriers. S'ensuit un saisissant périple à travers l'arrière-pays, où Eldon découvre le fils qu'il avait abandonné en totale symbiose avec la nature sauvage, et libère sa parole progressivement, lui restituant enfin son histoire familiale, et leurs origines indiennes. (quatrième de couverture)

Richard Wagemese est un écrivain canadien d’origine amérindienne. J’avais peur en commençant ce livre sur le thème de la nature et des origines indiennes d’éprouver l’impression d’un déjà vu ou plutôt d’un déjà lu tant l’histoire paraît classique ... et effectivement elle est l’est, la nature jouant ici le rôle de lien entre le père et le fils, sorte de catharsis pour le père et voyage d’initiation pour le fils. C’était sans compter sur le talent de l’auteur, la force de ses descriptions, la beauté de la nature et l’humanité qu’il insuffle à ses personnages, qui font de ce roman une oeuvre personnelle et émouvante.

Si le voyage est initiatique pour Franklin car il s’agit d’un cheminement vers la mort, il y a un renversement de la situation habituelle. C’est le fils qui possède le savoir, la sagesse. Pendant ce périple dans la montagne, c’est le jeune homme qui nourrit son père en tirant parti des richesses de la forêt et de la rivière, lui qui le soigne, le protège, l’assiste dans la douleur et la mort. Franklin est un beau personnage, à l’image de Vieil Homme qui l’a élevé. En l’absence d'Eldon, en effet, le Vieil Homme lui a tout appris de la vie en milieu sauvage, respectant ses origines indiennes, mais aussi du travail de la ferme et de la sérénité que procurent le respect de la nature et l’accomplissement du travail bien fait. 

Le vieil homme lui avait fait le don de la terre à partir du moment où il avait été capable de s’en souvenir, et il lui avait montré comment la traiter et l’honorer, disait-il, et le garçon avait senti l’importance de ces enseignements et il avait appris à les écouter et à bien les reproduire.

  J’ai aimé cet aspect du roman qui nous introduit dans les secrets de la nature, dans le monde des plantes, des herbes médicinales, des bêtes sauvages. On sent que Richard Wagemesse, lui-même amérindien ojibwée comme ses personnages, en a une profonde connaissance.

Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable… Dire qu’il l’aimait, était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir des odeurs du Camp Coffee, des cordes de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait partout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un noeud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre.

Quant au personnage d’Elton, alcoolique, il fait osciller le lecteur entre rejet et compassion. Mauvais fils, mauvais mari, mauvais ami, mauvais père, selon les critères moraux habituels, ses actes peuvent inspirer l’horreur. Le récit qu’il fait à son fils permet de le connaître et le rend plus humain. Sa souffrance morale qui est aussi intense que les affres de la maladie, le sentiment de culpabilité qu’il éprouve, son désir de régénération, témoignent de la complexité de l’être humain. Rien n’est jamais tout noir ni tout blanc et l’on voit que cet homme en fin de vie, à jamais marqué par son enfance misérable et douloureuse, avait des capacités d’amour sincère, mais possédait en lui le germe de son autodestruction.

Des fois les choses tournent mal, explique le Vieil Homme à Franklin. Quand elles arrivent dans la vie, on peut presque toujours les régler.  Mais quand elles arrivent à l’intérieur d’une personne, elles sont plus difficiles à réparer. Eldon a été pas mal cassé, au fond de lui…

Peut-être le drame vient-il pour Elton, comme pour les amérindiens du Canada, du fait qu’il a été éloigné de sa culture et privé des valeurs qui auraient donné un sens à sa vie. C’est ce que semble penser l’auteur.
Dès que j’ai commencé ce livre, je n’ai pas pu le lâcher et l’ai lu d’une traite, d’un souffle, devrais-je dire. C’est un beau roman qui  redonne confiance en la nature humaine au-delà de ses défauts et ses noirceurs. Une lecture passionnante !


Et  vous pouvez lire aussi tous ces billets dont les avis sont élogieux.





lundi 17 septembre 2018

Arturo Pérez-Reverte : Deux hommes de bien



Qui sont ces « Deux hommes de bien » décrits dans le livre d’Arturo Pérez-Reverte ? Deux membres de l’académie royale espagnole au XVIII siècle : le bibliothécaire Don Hermogenes Molina et son collègue Don Pedro Zarata appelé l’Amiral, spécialiste d’ouvrages sur la Marine.



Les deux académiciens sont envoyés à Paris pour acheter l’édition originale et complète de l’encyclopédie française (1751_1772) et la ramener à Madrid au péril de leur vie. C’est le roi Charles III désireux de changement dans son pays qui accorde l’autorisation de faire entrer l’encyclopédie des philosophes français en Espagne, contre la volonté de l’église et des milieux nobles réactionnaires. Tous les membres de l’Académie ne sont pas d’accord avec ce voyage et certains d’entre eux lancent alors un sbire aux trousses des deux savants pour les empêcher de réussir dans leur mission..
Pour bien comprendre l’importance de l’expédition, il faut dire que le siècle des Lumières français a bien du mal à pénétrer en Espagne où l’emprise de l’église est toujours aussi forte.

Nous suivons donc les deux personnages dans ce long périple pour arriver à Paris, partageons avec eux leurs discussions philosophiques mais aussi les rencontres qu’ils font tout au long de la route, les arrêts dans les auberges, et leurs aventures. Nous sommes à la fin du XVIII siècle et quand ils arrivent à Paris, la révolution française n’a pas encore éclaté mais l’effervescence qui règne dans la capitale la laisse pressentir ! Et nous rencontrons, en les suivant dans les salons parisiens, de célèbres personnages qui sont ou seront bientôt les acteurs de la révolution.

On a pu dire  de ce livre « qu’il est enlevé comme un feuilleton de Dumas Père » mais je ne pense pas qu'il soit tout à fait cela ! Certes, les deux hommes vivent des aventures, ils se font rouer de coup, détrousser, emprisonner et l’un d’eux se bat en duel pour les beaux yeux d’une dame mais les débats d’idées demeurent le plus important. D’autre part, les personnages ne sont pas  -surtout Don Hemogénes, savant, rat de bibliothèque, vieillard craintif et timoré - des héros de cape et d’épée. L’Amiral, ancien militaire dans la marine, lui, correspond plus à cet image, toujours élégant, altier et maître de lui, mais son passé glorieux est tout de même loin de lui. A mon avis, ce qui domine dans le roman est la quête intellectuelle de ces deux hommes de bien, amoureux des livres et des idées philosophiques. La quête des Lumières est le véritable sujet de l'histoire et l'encyclopédie, le personnage le plus important ! Et c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai suivi leurs recherches dans les librairies ou encore dans les endroits secrets où se vendent sous le manteau, au milieu des livres pornographiques, les oeuvres interdites des grands penseurs du siècle.
Autre intérêt du livre et pas des moindres, c’est que la quête des deux savants est doublé par celle d'Arturo Perez-Reverte, écrivain. C’est en découvrant les volumes de l’encyclopédie dans la bibliothèque de l’académie dont il est membre lui-même, qu’Arturo Perez -Reverte est parti sur les traces des deux hommes.  Et pour cela, il a refait le chemin de ses personnages, en s’entourant des documents anciens qui lui permettent de retrouver les routes, les lieux de l’époque, il a lu des mémoires et des journaux et aucun détail de ce formidable périple n’est laissé au hasard. J’ai vraiment beaucoup aimé voir le roman se construire devant nous comme dans Les soldats de Salamine de Javier Cercas. Non sans humour mais avec ténacité, l’écrivain intervient au cours du récit pour nous confier les difficultés qu’il rencontre et comment il les résout afin de rester au plus près de la réalité historique et faire revivre cette époque.



jeudi 13 septembre 2018

Thomas Hardy : Sous la verte feuillée

Quelle joie de pouvoir lire un Thomas Hardy que je ne connaissais pas, réédité cette année 2018 dans l’édition Archipoche. Il semble que Sous la verte feuillée ne soit pas le livre le plus réputé de cet auteur et l’intrigue elle-même est légère, faite de petits riens qui peignent la vie des paysans, leur travail, la simplicité et la joie de vivre de ces villageois, carrier, fermier, cordonnier, forgeron, tous musiciens et chanteurs qui accompagnent le service divin à l’église. Le livre est aussi un hymne à la musique toujours présente et  donne lieu à des grandes discussions assez réjouissantes sur la supériorité des instruments à corde et les mérites respectifs de chacun d’entre eux.

Breughel : Noce paysanne


Ce n’est pas sans raison que Thomas Hardy avait d’abord sous-titré le livre « une peinture rurale de l’école hollandaise ». Comme dans un tableau flamand, il peint les moeurs de la campagne, le parler paysan (respecté dans la traduction française), les coutumes, les mentalités. Les personnages y sont truculents et bien campés, l’écrivain y dresse des portraits un peu caricaturaux mais sans méchanceté et fait revivre le monde rural de son époque avec beaucoup de verve, de malice et d’authenticité.  Autre thème qui s’entrelace au premier, celui de l’amour : le sympathique et naïf Dick Dewy tombe amoureux de la coquette et jolie Fancy, institutrice du village de Mellstock, qui draîne les coeurs et ne sait pas ou ne veut pas décourager ses prétendants…

Certains passages sont savoureux, ainsi celui, par exemple, au cours de laquelle les musiciens vont en délégation chez le pasteur qui veut remplacer leurs violons par un orgue. J’ai beaucoup ri de ce dialogue de comédie. Pourtant il y a une certaine nostalgie dans cette scène car ces amoureux de la musique vont être remerciés et remplacés par l’orgue joué par Fancy, tradition contre modernisme, musique du coeur et du terroir contre musique savante. Et l’on regrette avec eux la fin des traditions campagnardes comme celle où le groupe fait la tournée des maisons pour jouer devant chaque fenêtre pendant la veillée de Noël, une sorte de douceur de vivre en train de disparaître.

De plus, sous l’humour et derrière la légèreté, on sent le regard attentif, lucide et un peu désabusé de Hardy  sur les rapports sociaux et leur hiérarchie. Fancy, fille de fermier, a été élevée comme une demoiselle, a fait de bonnes études et se trouve donc déclassée par rapport à son milieu d’origine. Trop bien éduquée, trop instruite, trop délicate et raffinée pour le monde paysan, elle n’en reste pas moins d’un statut inférieur aux yeux de  la société bourgeoise. Il faut noter par exemple, la cruauté inconsciente des termes employés par le pasteur quand il condescend à la  demander en mariage alors qu’elle n’est pas de son rang : 
«  Vous me comprendrez … si je vous dis honnêtement que j’ai lutté contre mes sentiments, trouvant que je ne devais pas vous aimer. »«  après quelques mois de voyage avec moi vous seriez tout à fait digne de pénétrer dans la société »
Mais loin d’être sensible à ce qui devrait être humiliant pour elle, cette proposition donne à la jeune fille un éblouissement, elle se voit un instant échapper à sa condition, devenir une dame. Aussi quand arrive le dénouement (que je ne vous révèlerai pas ) le lecteur peut se demander si, malgré les apparences, la fin de ce récit est aussi joyeuse que ce qu’elle paraît être.

Beaucoup moins grave et moins tragique que les autres romans de Hardy, Sous la verte feuillée, titre empruntée à une chanson populaire chantée par nos paysans-musiciens, procure un grand plaisir de lecture, une oeuvre pleine de fraîcheur et de gaité écrite par un écrivain proche de la terre.

lundi 10 septembre 2018

Laurent Gaudé : La porte des Enfers



Il y avait longtemps que je n’avais pas lu Laurent Gaudé et c’est avec La porte des enfers que j’ai repris ma lecture de cet auteur. Il faut dire que le thème traité, celui du mythe d’Orphée, me passionne. Orphée, tout comme Ulysse, sont les seuls hommes à être entrés vivants aux Enfers. Ce mythe fascinant nous concerne tous, et touche particulièrement à ce que nous sommes... mortels ! Il parle de notre humanité, de nos chagrins, de nos deuils, de la perte d’êtres chers qui nous dépossède un peu, chaque fois, de ce que nous sommes.  Il raconte notre révolte contre les dieux. L’être humain rêve de pouvoir inverser le cours du temps, de pouvoir lutter à armes égales avec la divinité, de pouvoir revoir vivant l’enfant, le père, l'épouse… qui ont disparu pour toujours. Mais le mythe nous rappelle aussi notre petitesse et notre impuissance car nul ne peut faire revenir quelqu’un d’entre les morts à moins d’être Dieu.

Laurent Gaudé transpose le mythe d’Orphée à Naples, à l’époque actuelle. Au cours d’une fusillade, Pippo, le petit garçon de Matteo est tué alors que son père l’amène à l’école. Au sens figuré, c’est alors la descente aux Enfers pour Matteo comme pour Guliana, sa femme : comment accepter l’inacceptable, comment ne pas se sentir coupable, envahi de regrets, de doutes, de colère, comment ne pas être anéanti par le chagrin ou secoué par la révolte ? Aussi, lorsque dans le petit café de Gariboldo, le mystérieux professeur Provolone lui dit connaître la véritable porte des Enfers, Matteo ne résistera pas longtemps et partira à la recherche de l’enfant. Mais Matteo parviendra-t-il à faire sortir son fils ? Si le livre est celui de la mort, des ombres et du chagrin, il est aussi celui de l’amour, un amour paternel si fort, si total qu’il permettra, peut-être, l’impossible.

J’avoue que j’ai été complètement happée dès le début par la scène où la fusillade éclate, si puissante, si juste et si précise, qu’il m’a semblé la vivre moi-même ! Tout se passe rapidement et pourtant paraît long! Le père se jette par terre pour protéger Pippo, puis découvre la mort de son enfant. On a l’impression de vivre comme lui la scène, au ralenti, comme lui de découvrir en différé la réalité et d’être incapable de l’accepter.
 Il y a une force, une violence dans les réactions de la mère, dans son reniement de Dieu, un désespoir chez le père partagé entre faiblesse et détermination, qui font de ce roman une oeuvre pleine et poignante. Une adaptation très réussie du mythe.

dimanche 9 septembre 2018

Dominique Fernandez : La course à l'abîme


Le Caravage : Judith et Holopherne

Il y  a longtemps que je voulais lire le livre de Dominique Fernandez sur le Caravage : La course à l’abîme. Et bien voilà, c’est fait ! Le roman date de 2002 mais il reste l’une des meilleures approches de la vie et de l’oeuvre du peintre, roman historique qui fait appel à l’imagination de l’auteur, mais qui est aussi le travail d’un érudit, agrégé d’italien, professeur d’université, amoureux inconditionnel de Rome et du baroque, l'art de la contre-réforme.

Rome, 1600. Un jeune peintre inconnu débarque dans la capitale et, en quelques tableaux d’une puissance et d’un érotisme jamais vus, révolutionne la peinture. Réalisme, cruauté, clair-obscur : il bouscule trois cents ans de tradition artistique. Les cardinaux le protègent, les princes le courtisent. Il devient, sous le pseudonyme de Caravage, le peintre officiel de l’église. Mais voilà : c’est un marginal-né, un violent, un asocial ; l’idée même de « faire carrière » lui répugne. Au mépris des lois, il aime à la passion les garçons, surtout les mauvais garçons, les voyous. Il aime se bagarrer, aussi habile à l’épée que virtuose du pinceau.
Condamné à mort pour avoir tué un homme, il s’enfuit, erre entre Naples, Malte, la Sicile, provoque de nouveaux scandales, meurt à trente-huit ans sur une plage au nord de Rome. Assassiné ? Sans doute. Par qui ? On ne sait. Pourquoi ? Tout est mystérieux dans cette vie et dans cette mort. (quatrième de couverture)

La vie de Michelangelo Merisi qui prend pour nom d’artiste celui du village où il est né en 1571, Caravaggio, dans le duché de Lombardie, est si mouvementée, si violente, pleine de vicissitudes, de gloire et de déchéance, entre palais et prison, qu’il pourrait sembler le héros type de tout roman d’aventures ! Entre échauffourées et rixes, l’épée et le poignard faciles, fréquentant les tavernes avec ses amants, riche un jour, endetté le lendemain, meurtrier, mourant lui-même de mort violente, il est l’image par excellence du « mauvais garçon » sauvé chaque fois par l’un de ses riches et puissants protecteurs conscients de son talent, amateurs d’art et collectionneurs avides. C’est du moins l’image que l’on a toujours voulu voir de lui. Mais si cet aspect de sa personnalité existe, Dominique Fernandez donne un tout autre éclairage de l’artiste, entre ombre et lumière, à l’image de ses tableaux. Comment le peintre qui est mort à l’âge de 39 ans, dont l’activité ne s’étend que sur une période de dix-huit ans, aurait-il pu accomplir une oeuvre aussi dense, plus de cent tableaux, aussi réfléchie et minutieuse, s’il était ce personnage vivant uniquement dans le désordre et la dépravation ?
Et comme le roman est à la première personne, c’est Michelangelo Merisi qui nous raconte sa vie et rétablit la vérité : « Comment ai-je passé la plus grande partie de ma vie? Assis devant mon chevalet ».


Le Caravage : garçon mordu par un lézard
Le Caravage suscite l’admiration des grands qui le protègent mais n’hésitent pas à le spolier. Pourtant ses tableaux qui rompent avec la tradition de la Renaissance pour trouver son inspiration dans la rue et qui défient la morale, lui attirent les foudres de l’église et de l’Inquisition. Loin de l’imitation des Anciens et de l’idéalisation des sujets, ses modèles sont des êtres réels qu’il ne cherche pas à embellir, parfois ses amants, de jeunes garçons des rues un peu vulgaires ou ses amies, les prostituées. J'aime bien le personnage de Mario qui a été le véritable amour de Michelangelo  et a beaucoup de personnalité .

Le Caravage : Bacchus
 Et l’artiste  révèle par la sensualité de sa peinture et son érotisme étalé au grand jour, ses préférences sexuelles qui, à cette époque, peuvent le conduire à la mort. Pourtant, le pire ennemi du peintre, c’est lui-même. Dominique Fernandez le peint sous les traits d'un homme tourmenté, qui ne peut accepter le succès, remettant toujours en jeu sa réussite, trop passionné pour se satisfaire de ce qu'il a. Il se détruit lui-même par une pulsion de mort qui le conduit jusqu’à cette plage où il fut assassiné, véritable course à l'abîme. Si l’auteur fait appel à son imagination pour nous expliquer la fin tragique du Caravage, c’est dans ses oeuvres qu’il a trouvé une réponse, puisant dans leur analyse une connaissance de l’homme. 
Car si Fernandez a un talent réel pour brosser un tableau haut en couleurs de ce XVII siècle houleux, des personnages célèbres que côtoie le peintre, des âpres rivalités qui l’opposent aux autres artistes,  il nous offre, de plus, une étude intéressante de ses oeuvres, à la lumière de sa vie, analysant les motivations profondes qui guident l’artiste.

Un livre passionnant pour tout amoureux de l’Italie, du Caravage et de l’art en général ! Un roman historique d’un grand intérêt.

Le Caravage  : Garçon à la corbeille de fruits (Mario)
Le garçon à la corbeille de fruits : " sujet unique, célébration d'un seul instant  : l'épanouissement de la volupté physique sur le visage de Mario. La tête penchée, la bouche entrouverte, la paupière lourde, le regard vague, l'épaule nue, l'air languide que souligne l'éclairage indirect, l'offrande des fruits -clair symbole de cadeau érotique - , tout, ici, n'est que la traduction imagée de la physionomie de Mario tel qu'il m'apparaissait dans l'intimité..."
"Je suis le premier à avoir mis en évidence que la force érotique déborde de l'endroit du corps où notre paresse mentale, nos préjugés, nos frayeurs la cantonne. Elle irradie où elle veut, avec une impudence souveraine, qui transfigure celui qui en est possédé "

Le Caravage est à l'origine d'un type de peinture, véritable révolution dans l'art, que l'on a appelée le caravagisme et qui présente des caractéristiques communes : Technique du clair obscur, Réalisme, et scène prise sur le vif. 


Le Caravage : Emmaus  ( clair obscur)

Les caravagistes, amis ou rivaux du Caravage, font partie des personnages du roman. Ainsi Orazio Gentileschi (le père d'Artemisia) à la fois ami et disciple.


Orazio Gentileschi : Judith et sa servante

lundi 3 septembre 2018

Retour ...


Coucher de soleil en montagne : Lozère

 Au revoir les vacances !

Après deux mois de silence, me revoilà. J'ai dit au revoir au coucher de soleil du mois d'août derrière les montagnes de Lozère, sur le chemin de l'Arbre foudroyé, au revoir aux petits êtres magiques de la maison aux pierres de granit :


Au revoir au village : La nuit tombe, quelques lampes s'allument :

Le village de Grizac


Bonjour la rentrée !


la veille la rentrée : admirer son cartable de grand garçon

La rentrée : En cette occasion, j'ai bien sûr craqué pour quelques livres et je vous présente ma  cueillette :

 un classique jamais lu Sous la verte feuillée d'un de mes auteurs favoris, Thomas Hardy, 

un policier (?) ou plutôt un roman historique Deux homme de bien d'Arturo Pérez-Reverte (Mars 2018);  

un essai Qu'est-ce qui fait sourire les animaux ? (Mars 2018) critique lue dans le Monde alors j'ai re-craqué ! 

Hildegarde de Léo Henry (Avril 2018) prêté (ouf! Merci mon frère, un de moins à acheter !) 

et puis les deux  plus récents Camarade papa de Gauz (Juin 2018) que Keisha dit avoir aimé ICI  
et George Sand à Nohant (août 2018) en espérant que Michelle Perrot saura me surprendre  : j'ai tellement lu sur Sand !

Et puis pour le rentrée littéraire, je sais que l'envie viendra en vous lisant, camarades blogueuses !



PS :

Massif Central : montagnes de Lozère

Etes-vous comme moi ? Les voyez-vous ces îles et cette ville sur la mer dans le  lointain ?



jeudi 9 août 2018

Pause Lozère





Vacances en Lozère ! A bientôt en Septembre.



mardi 24 juillet 2018

Roger D. Masters : La fortune est un fleuve, Léonard de Vinci / Machiavel




La fortune est un fleuve  s’intéresse à un fait peu connu de l’Histoire, la tentative de détournement de l’Arno pour faire de Florence un port maritime, projet qui réunit deux célèbres figures de la Renaissance Italienne, Léonard de Vinci et  Nicolas Machiavel.

Ces deux grands hommes se sont connus à la Cour de César Borgia en 1502. Machiavel qui occupait alors le poste de deuxième conseiller à la Signoria de Florence y était envoyé en mission pour négocier avec César Borgia, fils du pape Alexandre VI. Léonard de Vinci y était  employé comme ingénieur et architecte notamment dans la conception des fortifications, l’architecture urbaine et les techniques militaires.
Tous deux rentrent ensuite à Florence en 1503 et leur collaboration pour la réalisation de ce projet surprenant, détourner l’Arno de Pise, commence.
 Le premier but de ce projet est militaire. Florence vient de subir deux défaites dans la guerre qui l’oppose à Pise. En détournant l’Arno de cette ville et en privant les Pisans d’eau, les florentins s’assurent de la reddition de la cité ennemie. Mais le but ultime poursuivie par Vinci est de fournir  un port à sa ville en rendant le fleuve navigable de Florence à la mer. D’autre part, il prévoit des travaux d’irrigation d’envergure permettant aussi de rendre fertile et productive la nouvelle vallée ainsi créée.

Vinci a conçu trois projets différents mais celui qui est retenu  est d’amener L’Arno directement de Florence au Stagno de Livourne. p 142
Si les travaux commencés en 1504  échouèrent, l’on sait que les plans de Léonard de Vinci n’en sont pas la cause. L’ingénieur hydraulicien, Colombino, choisi pour diriger le projet n’était pas à la hauteur et ne respecta pas le plan initial de Vinci qu’il jugeait trop difficile à réaliser. Le manque d’argent, l’insuffisance du nombre d’ouvriers, et peut-être aussi le manque de volonté, l’indécision de Pier Soderini, gonfalonier de Florence, expliquent aussi que le projet fut un échec et eut des répercussions fâcheuses sur leur vie à tous deux.

En dehors de la description très documentée, cartes à l’appui, de ce projet pharaonique, le livre de Roger D. Masters dresse un portrait de ces deux grands personnages et les accompagne tout au long de leur vie, de l’enfance à la mort, une vie mouvementée faite de hauts et de bas, de brillantes réussites et d’échecs qui les laissent démunis. Il présente au lecteur leur oeuvre respective, peinture, recherches scientifiques, militaires, pour Vinci, poésie, ouvrages historiques et politiques pour Machiavel. Il décrit leur philosophie respective, leur humanisme dans le  tourbillon intellectuel de cette période tourmentée et florissante, leurs différences aussi et ce qui les unit. Et puis, c'est la partie que j'ai préférée,  bien sûr, leurs héritages, tout ce que nous devons à ces esprits supérieurs.
Un livre qui présente donc des qualités et de l’érudition mais j’avoue avoir été désagréablement surprise, surtout de la part d’un historien qui se doit d’être objectif, des parallèles établis à deux reprises entre le passé et l’histoire des Etats-Unis pour justifier l’utilisation de la bombe atomique (p 149 et p181) sur Nagasaki et Hiroshima. Choquant !

"L'échec du projet de l'Arno fut une catastrophe pour Léonard de Vinci et Machiavel, comme pour Soderini et le gouvernement de Florence. Buonaccorsi conclut avec tristesse, "cette entreprise coûta sept mille ducats ou plus, parce que, outre les salaires des ouvriers et d'autres choses, il fallut garder sur place un millier de soldats pour protéger les ouvriers des attaques des Pisans." Pour comprendre les implications, il suffit d'imaginer que les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki n'aient pas explosé, menant à une invasion longue et onéreuse du Japon par les troupes américaines et à l'abandon de la technologie nucléaire."


Merci à Babelio Masse critique et aux éditions Omblage

samedi 7 juillet 2018

Pause Festival Avignon 2018



Une petite pause pendant le festival avec ma petite -fille. A bientôt !

samedi 30 juin 2018

Jean-Marie Blas de Roblès : Là où les tigres sont chez eux (4)



Voici la suite de la  LC que nous proposons Ingannmic et moi. Comme je l’ai expliqué dans le billet 1 nous avons décidé de publier chaque samedi du mois de Juin un texte donnant nos impressions sur ce livre  de Jean-Marie Blas de Roblès : Là où les tigres sont chez eux.
Nous avons divisé arbitrairement le livre en quatre parties.
La première partie du chapitre I au Chapitre VII. Voir Ici
La seconde partie du chapitre VIII à XV Voir ici
La troisième partie du chapitre XVI au XXV Voir Ici

 La quatrième partie du chapitre XXVI a l'épilogue

2léphant et Obélisque :  Bernin/Kircher (source)

Les chapitres de cette dernière partie nous amène au dénouement et au Triste épilogue qui clôt le roman et qui « comme son nom l’indique, hélas…. ».

Où l'on voit encore l’inénarrable et savant Anathase Kircher faire des siennes, comme écrire un traité de sinologie sans avoir mis les pieds en Chine en piquant allègrement les écrits de ses amis voyageurs; ou encore imaginer avec le Bernin le fameux monument à l’éléphant surmonté d’un obélisque couvert de hiéroglyphes dont il propose la traduction ! Croyait-il vraiment en avoir découvert le secret ou mentait-il ?
Ce personnage qui est le pivot central du roman nous a fait voyager dans le temps et dans le foisonnement intellectuel de cette époque. Avec ses idées de génie, son imagination délirante, ses intuitions extraordinaires et ses erreurs monumentales, il a été, tout au long de ce récit, le fil conducteur qui relie entre eux tous les personnages par l'intermédiaire d'Eléazard et ceci bien qu’il soit éloigné d’eux dans le temps et l’espace.  Il faut dire que la démesure de Kircher répond à celle d'un pays comme le Brésil. De plus, il est et c’est sa fonction romanesque, celui qui soulage les tensions, allège la tragédie qui se joue au présent dans ce pays, en nous divertissant. Ses aventures parfois burlesques ou grotesques nous font rire et pourtant l’on ne peut s’empêcher d’avoir une admiration certaine pour lui mêlée à de l’agacement, exactement ce qu’éprouve Eléazard à son égard.

Peu à peu se dénouent tous les récits multiples, celui d’Elaine dans le Mato Grosso, de Nelson dans la Favela de Pirambu, de Moema et de son père Eleazard, de Lorédana repartie dans son pays…  Se dénouent ? Le terme est inexact car la fin reste ouverte mais pessimiste, tragique et violente, au diapason de la situation du Brésil où triomphe toujours le plus fort, le plus riche, le plus crapuleux, où des gens comme le gouverneur Moreira finisse toujours par l’emporter. Sauf peut-être si le plus faible se révolte comme le fait Nelson, minuscule grain de sable qui enraie -mais pour combien de temps-, la course au pouvoir et à la fortune.  Il y a aussi les bonnes volontés, tous ces gens qui luttent pour éradiquer la misère au Brésil.

Si j’ai eu un regret à la lecture de ce roman, c’est que les personnages secondaires ne soient pas plus développés non seulement d’un point de vue psychologique mais aussi au point de vue de leurs aventures. Il faut dire que le roman fait déjà 765 pages et qu’il aurait fallu le doubler !!  La structure du roman qui veut que chaque récit soit enchâssé dans l’autre crée un manque lorsque le récit s’arrête pour ne reprendre que longtemps après, une attente parfois trop longue. De plus, les personnages sont abandonnés à un moment crucial de leur existence et c’est un peu frustrant car on aimerait en savoir plus. Et pourtant, paradoxalement, le lecteur n’a pas besoin de plus pour savoir ce qu'ils deviennent. Une sorte de fatalité pèse sur eux.

Pour conclure, je dirai que ce roman aussi foisonnant que l’esprit d’Anaphase Kircher est une somme de connaissances, de pensées et de réflexions passionnantes et pour moi de découvertes. Il a fallu dix ans à Jean Marie de Roblès pour l’écrire et on  comprend pourquoi; un roman que j'ai beaucoup aimé. 

**********

Cette LC avec Ingammic en plusieurs billets m’a intéressée. En Septembre-Octobre nous proposerons peut-être de recommencer avec un livre assez riche pour s'y prêter.
Ce n’est pas toujours un exercice facile. Pour ma part, les difficultés que j’ai éprouvées sont les suivantes : Il faudrait pouvoir analyser les personnages et les situations plus longuement, mais en même temps, il ne faut pas trop dévoiler l’histoire pour ceux qui n’ont pas encore lu le livre. Donc, forcément, l’on se censure. Par exemple, nous avions entamé une discussion à propos de la fille d’Eléazard avec Ingammic et sur l’avenir probable de celle-ci mais impossible de poursuivre sur ce sujet sans révéler ce qu’il lui arrive.


LC Ingammic Voir Ici LC1
LC Ingammic Voir Ici LC 2
LC Ingammic Voir Ici LC 3
LC Ingammic voir Ici LC 4