Voici la suite de la LC que nous proposons Ingannmic et moi. Comme je
l’ai expliqué dans le billet 1 nous avons décidé de publier chaque
samedi du mois de Juin un texte donnant nos impressions sur ce livre de
Jean-Marie Blas de Roblès : Là où les tigres sont chez eux.
Nous avons divisé arbitrairement le livre en quatre parties.
Nous avons divisé arbitrairement le livre en quatre parties.
La première partie du chapitre I au Chapitre VII. Voir Ici
La seconde partie du chapitre VIII à XV Voir ici
La troisième partie du Chapitre XVI au chapitre XXV
Anathase Kircher |
Le roman de Jean-Marie Blas de Roblès est divisé en grands chapitres subdivisés eux-mêmes en sous-chapitres dont les titres expliquent, à la manière ancienne, ce qui va se passer ; et comme le roman se déroule dans des endroits différents, est précisé aussi le nom du lieu…
Par exemple, voici comment se présente le chapitre XIX : Où l'on apprend la conversion inespérée de la reine Christine
Canoe Quebarada : C'est pas un vrai défaut de boire
Fortaleza, Favela de Pirambu ; Angicos , 1938
Chaque chapitre commence toujours par une histoire de l’extraordinaire Anathase Kircher raconté par son disciple puisque c’est le vrai héros du roman malgré la multitude d’autres personnages qui gravitent autour de lui par le biais d’Eléazard. Décidément, Kircher, s’il n’existait pas, devrait être inventé tant il est par excellence « romanesque », au sens où ses aventures sont multiples et variées, sa personnalité inattendue et improbable, ses inventions farfelues ou géniales ! Comment croire à un tel personnage ? Et pourtant, il a existé !
Dans les chapitres XVI et XVII il condamne l’alchimie et démontre les supercheries du « sinistre alchimiste » Blaustaein, combattant ainsi l'obscurantisme au nom de la science. Plus tard dans la chapitre XXI, pendant l’épidémie de peste qui décime le pays, il utilise le microscope, dont il est l’inventeur, pour étudier le sang mêlé de pus d’un bubon. Il y découvre « des petits vers » invisibles à l’oeil nu qui sont, selon lui, les responsables de la contagion. Et même si ces vermicules observés n’étaient probablement que les globules du sang, Kircher avait compris la cause de la maladie.
C’est aussi lui qui invente les cercueils à tube pour que les personnages enterrés de leur vivant puisse signaler leur présence. L’invention a des conséquences absolument burlesques, aussi hilarantes que morbides, que je vous laisse découvrir mais on peut dire qu’il est le précurseur des petites cloches munies d’une corde que les victoriens attachaient à la main de leurs présumés défunts !
Franz Vester (1868) |
Dans cette troisième partie, j’ai des réponses aux questions que je m’étais posée dès le début dans le billet 1 de ma lecture sur Eléazard Von Waugan et ses rapports envers Kircher à qui il reproche d’être un faussaire. Dans le chapitre XXIII le savant ami d’Eléazard, Euclides, soutient brillamment, à ce propos, une idée provocatrice : Toute création est un plagiat !
Voltaire pille Maynaird, La Fontaine, Esope, Musset, Carmontelle, Machiavel, Plutarque, Virgile, Quintus Ennius …
Toute l’histoire de l’art, et même de la connaissance, est faite de cette assimilation plus ou moins poussée de ce que d’autres ont expérimenté avant nous. Personne n’y échappe depuis que le monde est monde. Il n’y a rien à dire, sinon que l’imagination humaine est bornée, ce que nous savons depuis toujours et que les livres se font avec d’autres livres. Les tableaux avec d’autres tableaux. On tourne en rond depuis le début, autour du même pot, de la même gamelle.
Voilà qui m’a rappelé mon cher Montaigne : Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n'est plus thym, ni marjolaine : Ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien : à savoir son jugement. »
S’ensuit une discussion qui affine le concept de plagiat. Où commence-t-il ? Qu’en est-il de l’imitation ? de la re-création ? Une discussion passionnante qui conduit à une réflexion sur les arcanes de la création
J’ai eu une réponse aux interrogations que nous avons eues Ingannminc et moi (billet 2) sur le sort de la jeune Moema, la fille d’Eléazard, dans ce sous-titre aussi mystérieux que poétique : Favela de Pirambu, la princesse du Royaume-où-personne-ne- va .
Le royaume où personne ne va qui résonne comme un titre de conte désigne la Favela de Pirambu, l'enfer sur terre, l'un des endroits du monde où la misère est à son comble. La description qu'en fait Roblès nous fait "voir" cette misère en grossissement comme avec le microscope de Kircher ou plutôt comme un grand zoom sur l'horreur, la faim qui pousse à manger des rats, les maladies endémiques, les privations, les bordels d'enfants, l'inceste ...
On tirait sur la foule avec la même indifférence que sur une volée de moineaux. Comme si cela ne suffisait pas, il y avait aussi les rixes continuelles entre miséreux, l'alcool, l'héroïne, les morts enterrés assis - des fois, on butait sur leur tête pour aller pisser - les fous innombrables, le papier hygiénique sur lequel des voyous qui s'improvisaient propriétaires de votre taudis griffonnaient une quittance de loyer, les nourrissons vendus aux rupins, à toutes les bonnes âmes en mal de progéniture, la plage des harponneurs où l'on baissait culotte devant tout le monde pour faire ses besoins, les enfants, garçons et filles, nus jusqu'à l'âge de huit ans, qui s'éteignaient soudain, le ventre creux, après de vaines prouesses de yogis... quatre vingt dix millions de mal blanchis sans acte de naissance et sans identité, plus de la moitié de la population brésilienne réduite aux dernières extrémités.
Un vibrant réquisitoire contre la misère.
On tirait sur la foule avec la même indifférence que sur une volée de moineaux. Comme si cela ne suffisait pas, il y avait aussi les rixes continuelles entre miséreux, l'alcool, l'héroïne, les morts enterrés assis - des fois, on butait sur leur tête pour aller pisser - les fous innombrables, le papier hygiénique sur lequel des voyous qui s'improvisaient propriétaires de votre taudis griffonnaient une quittance de loyer, les nourrissons vendus aux rupins, à toutes les bonnes âmes en mal de progéniture, la plage des harponneurs où l'on baissait culotte devant tout le monde pour faire ses besoins, les enfants, garçons et filles, nus jusqu'à l'âge de huit ans, qui s'éteignaient soudain, le ventre creux, après de vaines prouesses de yogis... quatre vingt dix millions de mal blanchis sans acte de naissance et sans identité, plus de la moitié de la population brésilienne réduite aux dernières extrémités.
Un vibrant réquisitoire contre la misère.
Toujours aussi intéressée par tes billets et cette démarche ! J'attends le dernier avec impatience... avant de me lancer moi-même ?
RépondreSupprimerAthanase est en effet un sacré personnage, mais comme je l'évoque dans mon billet d'aujourd'hui, je regrette un peu qu'il prenne autant de place : peut-être l'auteur n'aurait-il pas dû nous faire suivre autant de personnages. Certains sont effleurés et je trouve ça dommage. Je pense notamment à Carlotta, ou à Zé. Je trouve aussi que dans cette 3e partie, on commence à réaliser qu'il est probable que certains pans de son intrigue ne se rejoindront jamais vraiment...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cette histoire de plagiat... Et je veux un cercueil comme celui-ci !
RépondreSupprimerQuel foisonnement de connaissances. Peut-être que su j'ai du temps devant moi, j'essaierai de me plonger dans tel roman !
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