En quête d’un livre en librairie pour le rendez-vous de la littérature des pays de l’Est, je tombe sur cet auteur polonais que je ne connaissais pas (mais qui connaît bien la France) Zygmunt Miloszewski et ce roman intitulé Inestimable. La critique de Télérama en quatrième de couverture me décide : « Une course-poursuite haletante sur fond de changement climatique ». Allez, pourquoi pas ? je le prends et voilà ! Il est lu !
A noter d’abord que ce livre est assez inclassable : un roman d’aventures, d’espionnage médical, de science-fiction, un thriller selon les uns, un policier ? Un roman tout fou, tout délirant et plein d’humour et qui nous mène par le bout du nez avec des revirements incessants. Quels sont les méchants et les gentils ? Peu importe puisque l’un peut rapidement se révéler l’autre et vice versa.
Difficile aussi de le résumer sans déflorer le sujet. Je note cependant que le personnage récurrent Zofia Lorentz, spécialiste d’Art, éminente directrice du musée national de Varsovie (plus pour longtemps !) a déjà fait des apparitions dans des romans précédents (que je n’ai pas lus). Ici, elle part à la recherche des artefacts perdus des Aïnous dans l’île Sakhaline, au coeur de la Caverne du Songe bleu. Ne serait-ce que le nom et les aventures qu’elle y vit en font un roman à la Indiana Jones mais… ce n’est qu’une infime partie d’un tout et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on voyage sans cesse dans ce roman, de la Pologne à la Sibérie à Paris jusqu’à Abidjan, perdu au milieu de la taïga Sibérienne ou des tempêtes de l’Altlantique ! Sofia est accompagné du scientifique Bogdan Smuga dont on comprend vite que ce n’est ni l’art, ni la passion ethnologique qui le guident. Alors, un trésor ? la richesse ? le Pouvoir ? Encore moins ! Autour des ces personnages centraux fourmillent une nuée d’individus plus ou moins probables dont certains hautement en couleurs; et de beaux personnages secondaires inattendus, surprenants, le Père André, qui parle de
la foi et de Dieu en se mettant à la portée de tous et un autre que
j’aime beaucoup, le vieux Martin Meller, le canadien de Sudbury, le seul
"loup de mer de l’Ontario "!
Je dis tout cela et je n’ai pas encore rien dit ! Revenons au terme de science-fiction mais pas si fiction que cela, hélas ! On peut même dire que l’on est en plein dedans : le réchauffement climatique avec les conséquences tragiques qui mèneront à l’extinction de l’humanité. En effet, comme le remarque Zygmunt Miloszewski, ce n’est pas la planète qui est menacée, c’est nous ! Elle ? Elle continuera à tourner bien longtemps après que nous aurons disparu !
Alors, si l’on trouvait un élixir pour remédier au Mal ? Et là, on est presque dans le conte de fées sauf que non, c’est scientifique ! Mais si le remède était pire que le Mal ? ou pas mieux ? Car la science a ses limites et ses fanatismes surtout si elle est sans conscience et l’on ne peut faire le bien -ou ce que l’on croit être le bien- des gens sans leur consentement. C'est ce qu'affirme le mari de Zofia :
« Et puis, je suis un humaniste, je crois que l’Histoire nous enseigne l’existence. Chaque fois que quelqu’un a tenté de changer le monde pour le bien de l’humanité, ça s’est mal terminé, même si au début, ça allait dans le bon sens. Songe à l’Empire romain, à l’Eglise catholique, à Lénine ou à Napoléon. »
L’écrivain en profite pour dénoncer l’âpreté, la malhonnêteté, des grands trusts pharmaceutiques et la dépendance des chercheurs financés par ces multinationales toutes puissantes. D’une manière plus générale, il critique le cynisme des Riches, ceux qui, responsables bien souvent des catastrophes climatiques, construisent pour eux et leurs semblables, des abris souterrains qui leur permettront de survivre après le cataclysme qui aura eu raison de la vie sur terre. Et oui, nous sommes dans la réalité !
Pour ma part, j’ai eu un début un peu hésitant car le récit paraît décousu dans les premiers chapitres et, parfois, j'ai ressenti quelques longueurs. Mais ce n’est qu’une impression car tout se tient et tout se met en place au fur et à mesure. Le roman propose des réflexions intéressantes et qui nous concernent tous, sur la morale scientifique, les rapports de force qui interagissent sur la planète et nous transforment obligatoirement en perdants et en pions sur un échiquier truqué. Nous nous croyons libres dans un monde où tous nos gestes sont espionnés et analysés. Et puis j’ai adoré l’humour. Ah! cette chasse à l’ours hilarante en pleine taïga ou encore le repêchage de Zofia en plein océan, l’invraisemblance, le rocambolesque et la démesure faisant partie des ressorts comiques ! Enfin, pour ce roman, on peut dire : Sérieux, s'abstenir ! ... et pourtant, c'est sérieux, car au-delà du rire et par le biais de la fiction, c'est bien du devenir de l'humanité dont il est question !
Dans Autre étude de femme,
l'écrivain réunit autour d'une table ses personnages préférés
chez la marquise d'Espard : le ministre Henri de Marsay, Emile
Blondet, le docteur Bianchon, la princesse de Carignan, Delphine de
Nucingen, son mari le banquier Nucingen, le marquis de Vandenesse, le
général de Montriveau...
La haute noblesse, donc : le
gouvernement, la banque, l'armée ... Tiens, il ne manque que
le curé ! L'église, la quatrième assise du pouvoir !
La conversation entre personnes du beau
monde, tourne autour du thème de la femme et de l'amour et sert de
prétexte à Balzac pour insérer des textes écrits en 1831 et entre
1838 et 1842 dans le tome II des Scènes de la vie privée
deLa Comédie humaine.
Comte Henri de Marsay
Le texte écrit en 1831 est le récit
du comte Henri de Marsay, devenu ministre, qui raconte son premier
amour. Il a dix sept ans, il est amoureux d'une jeune veuve de six
ans son aînée, et l'aime avec l'idéalisme et la fougue de la jeunesse. Mais la
trahison de son amante qui projette de se marier avec un duc et voit
ce dernier en secret, lui suggère une vengeance subtile qui le
laisse apparemment triomphant. Cependant, cette expérience cruelle lui fait
perdre sa foi en l'amour d'une femme et fait de lui un
être froid, à jamais incapable de passion.
Quant à mon
esprit et mon coeur, ils se sont formés là pour toujours, et
l'empire qu'alors j'ai su conquérir sur les mouvements irréfléchis
qui nous font faire tant de sottises, m'a donné ce beau sang-froid
que vous connaissez.
Le dénouement de cette nouvelle rejeté à la fin du recueil et raconté par le docteur Bianchon
clôt le recueil. Celui-ci assiste en tant que médecin à la mort de
cette femme devenue duchesse, victime d'une grave maladie, et
rapporte le mot sublime de la mourante à son mari, preuve qu'elle
était capable d'aimer vraiment.
"Mon pauvre ami, qui donc
maintenant te comprendra ? Puis elle mourut en le regardant."
La duchesse de Langeais, un femme comme il faut ?
Que la femme française s'appelle Femme comme il faut ou grande dame, elle sera toujours la femme par excellence.
Les textes suivant sont des
considérations sur la femme de la noblesse. Ceci pour regretter que
la grande dame de l'Ancien Régime dont le mari bénéficiait d'une
richesse sans limite ait disparu. Regret que le code Napoléon en ne
privilégiant pas le droit d'aînesse ait dissous ces formidables
richesses en obligeant le partage entre les héritiers. De ce fait,
la grande dame n'est plus ! Elle a donné naissance à la
femme comme il faut, femme du
monde au goût exquis, mais qui n'a plus le luxe dispendieux, la
grandeur, la folie, la démesure et aussi l'érudition des femmes d'autrefois. Regret de la voir
concurrencer par la bourgeoise, issue cette classe montante de
nouveaux riches qui ne lui arrive pas à la cheville et encore plus par la femme comme il n'en faut pas ! Heureusement, les femmes de cette assemblée finissent par se révolter :
"Sommes-nous donc aussi diminuées que ces messieurs le pensent ? dit la princesse de Cadignan en adressant aux femmes un sourire à la fois douteur et moqueur.
Il était temps !
Au cours de cette soirée, chacun y va de son lamento et déplore la perte du cher
passé induite par la révolution. On a
envie de leur dire, à tous ces nobles méprisants, arrogants,
frivoles et futiles, encore immensément privilégiés malgré leurs
doléances et leurs soupirs, que, et oui ! La révolution est
bien heureusement passée par là et a donné de grands coups de
pieds dans le jeu de quilles ! Bon d'accord, comme d'habitude,
ce sont d'autres qui ont pris leur place, qui ne sont pas meilleurs,
et cela n'a pas rétabli l'égalité ni permis de lutter contre le paupérisme. Personnellement j'ai trouvé assez ennuyeux toutes ces considérations mais je reconnais qu'elles ont un intérêt historique pour connaître la mentalité de la noblesse. Et dire que Balzac, le conservateur, est en admiration devant ces gens-là !
Le général Armand de Montriveau
Enfin vient un bref récit fascinant,
très ramassé, au dénouement glaçant, qui, a mon avis, est le plus fort du recueil. Le général de Montriveau raconte comment, après
le passage de la Bérézina, pendant la campagne de 1812, cherchant
un abri pour la nuit, il est chassé de maison en maison par les
soldats de l'armée en déroute qui n'obéissent plus à aucune
discipline, ni même à des règles de solidarité. Le général
finit par être accueilli dans une ferme délabrée où le feu qui
brûle dans la cheminée et la nourriture redonnent un semblant
d'humanité aux hommes qui sont là. Parmi eux, un femme, Rosina et
son mari, un capitaine, italiens tous deux. Rosina est manifestement
la maîtresse d'un colonel qui lui ordonne de venir la rejoindre dans
son lit, devant le mari. Ce qui fait rire Montriveau et le reste de la
compagnie et blesse l'amour propre de l'Italien. Le lendemain, la
vengeance de l'homme humilié sera horrible. Je vous la laisse découvrir !
Il n'y a rien
de plus terrible que la révolte d'un mouton, dit de
Masay.
Ne
serait-ce que pour ce dernier récit (mais lire aussi L'Adieu sur la même
période historique ) il ne faut pas rater Autre étude de
femme !
PS : D'après Maggie, il manque une nouvelle dans le recueil de Kindle. Et d'après Wikipédia ce serait la nouvelle intitulée La grande Bretèche déjà parue dans les Contes bruns.
Illustration Ivan Bilibine : Conte du tsar Saltan : La princesse cygne et l'île Bouaïana
"Le Conte du tsar
Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux le prince Gvidon
Saltanovitch et de la très-belle princesse-cygne " : voici le titre complet du conte merveilleux d'Alexandre Pouchkine qu'il a publié en 1832. Il s'agit d'un conte traditionnel issu du folklore russe mais de nombreux contes dans le monde reprennent le thème des deux soeurs jalouses qui cherchent à se venger de la troisième plus chanceuse, épouse du prince.
Le conte du tsar Saltan de Pouchkineest l'un des contes les plus célèbres en Russie. Nicolaï Rimski Korsakov et son librettiste Bielski ont adapté l'oeuvre de Pouchkine pour créer un opéra Сказка о царе Салтане portant le même titre.
Ivan Bilibine : le tsar choisit Militrissa pour épouse, les deux autres comme cuisinière et tisseuse
Trois
sœurs rêvent à leur avenir dans une modeste isba : que ferait chacune d'elle si elle était tsarine ? L'une dit qu'elle préparerait un grand festin, l'autre
qu'elle tisserait des vêtements somptueux, la troisième, la belle
Militrissa, qu'elle donnerait un bogatyr (preux-chevalier) à son
tsar bien-aimé. Le tsar Saltan qui passait près de chez elles
les entend. Il décide d'épouser la troisième et engage les deux autres comme
cuisinière et tisserande.
Mais
le tsar doit partir à la guerre. Il laisse son épouse enceinte.
Celle-ci accouche bientôt d'un beau petit garçon, le tsarévitch,
Guidon, qui grandit à une vitesse prodigieuse. Les deux sœurs,
jalouses, avec l'aide de leur mère Babarikha, envoient un message à
Saltan pour lui dire que sa femme a accouché d’un monstre.
La
Babarikha est la mère des trois soeurs, mais elle tient le rôle de la
marâtre des contes de fées quand elle devient complice de ses deux
filles pour faire obstacle à la troisième. Elle est aussi une femme- marieuse. Le
tsar répond en demandant qu'on attende son retour pour décider du sort de
l'enfant mais les méchantes femmes substituent le message du tsar à
un autre qui ordonne d'enfermer la tsarine avec son enfant dans un
tonneau et de les jeter à la mer. La mer a pitié de l'enfant et la mère et le tonneau échoue sur une île
lointaine nommée Bouïana ...
Ivan Bilibine : la ville merveilleuse sur l'île Bouïana
Le
tsarévitch Guidon devenu un beau jeune homme sauve un cygne poursuivi par un vautour. Le cygne lui explique qu'elle est une princesse et que le vautour qu'il vient de tuer est un sorcier. En
signe de reconnaissance, la princesse-cygne fait surgir une ville magnifique
sur l'île. Le bogatyr Gvidon en devient le roi puis comme il languit de
son père, elle le transforme en moustique ou en bourdon pour qu'il puisse voyager
caché dans un navire de marchands jusqu'à sa patrie natale.
Bilibine : Le prince Gvidon transformé en moustique
Par trois fois le tsar entendant vanter les
merveilles du royaume merveilleux et de son roi Gvidon par les marchands veut se rendre dans l'île
mais Babarikha et les deux sœurs le dissuadent.
La première fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville sur une île lointaine mais un écureuil enchanteur qui croque des noisettes d'or au coeur d'émeraude.
La seconde fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais trente trois bogatyrs- frères, des géants jeunes et braves, issus des vagues de l'océan.
La troisième fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais une princesse si belle que
Le jour, elle éclipse le soleil
La nuit elle éclaire toute la terre
Le croissant brille sous sa tresse
Et une étoile illumine sa jeunesse
traduction Tetyana Popova-Bonnal
Chaque fois le cygne réalisera le voeu du prince pour obtenir l'écureuil, les trente trois guerriers, mais pour la princesse, ce ne sera possible que par un véritable amour.
Bilibine : Arrivée du tsar et la méchante mère Babarikha
La quatrième fois, quand il entend vanter les merveilles de l'île et apprend le mariage du Gvidon avec une belle princesse, le tsar décide de partir. Lorsqu'il arrive sur l'île, il
reconnaît son épouse, la belle Militrissa,fait connaissance de
son fils Guidon marié à la princesse qui se cachait sous l’apparence du cygne. Le conte se termine dans la joie.
Une oeuvre en vers musicale
Le tsar Saltan et les trois soeurs : miniature de Palekh
Cette oeuvre est une petite merveille,un bijou brillamment ciselé, un récit vivant, animé, poétique, amusant. Le poète l'a rédigé en vers de sept ou huit syllabes dans une langue populaire, savoureuse, joyeuse, avec des personnages proches du folklore russe. On a l'impression que les vers sont chantés.
Le rythme des heptasyllabes accentués sur les syllabes impairs (1/3/5/7 ) est, en effet, très musical, et le retour des mêmes vers dans les situations qui se répètent créent un rythme interne que l'on attend comme un refrain. Ce qui nous rappelle que le conte est destiné à être oral, un conte que l'on lit aux enfants et dont les répétitions sont attendues avec joie.
Un conte merveilleux
Peintres de Palekh : Dans son palais de cristal, L'écureuil croque une noix/ une noix d'or par ma foi
Le conte est une belle histoire d'amour, celle du prince Gvidon et de la princesse-cygne, un récit qui fait intervenir le rêve, la magie, le fantastique. Il obéit au schéma classique du conte traditionnel : à partir d'une situation initiale perturbée par des méchants, le héros ou l'héroïne devra rétablir l'équilibre, aidé en cela par des adjuvants magiques, humains, animaux, ou objets. Il s'agit de contes initiatiques qui permettent au personnage principal (auquel l'enfant s'identifie) de passer de l'enfance à l'âge adulte. La magie ne suffit pas et il faut faire preuve de courage, de débrouillardise, d'intelligence, de bonté.
Dans ce conte tout est en double. Il y a deux couples le Tsar et Mélitrissa et Gvidon et la princesse-cygne dont l'équilibre est pareillement détruit par l'intervention d'éléments déclencheurs qui viennent rompre l'équilibre :
Militrissa et le tsar Saltan séparés par la guerre vont être victimes de la jalousie des deux soeurs et de la mère. C'est le tsarevitch Gvidon qui les réunira.
Comme dans de nombreux contes, la princesse est transformée en animal, ici en cygne : Gvidon tue le magicien qui la poursuivait métamorphosé en vautour. Il aide la princesse-cygne qui l'aidera à son tour.
Le cygne va se poser
Sur les bords dans un fourré.
Il s'ébroue et se secoue,
en princesse se dénoue :
Une étoile entre les yeux,
Un croissant d'or aux cheveux (...)
Traduction Ivan Mignot
Le prince doit prouver sa bravoure mais a besoin pour réussir d'adjuvants magiques : Le cygne réalise ses voeux pour le récompenser. Ils sont au nombre de trois, l'écureuil qui assure la richesse de tous les habitants de l'île; les trente bogatyrs qui assurent la sécurité de l'île et la princesse-cygne qui permet à l'amour de triompher.
Peintres de Palekh : La princesse est majestueuse et bonne
Un conte plein d'humour
Peintres de Palekh: la fête de retrouvailles
Mais le Merveilleux est étroitement mêlé à l'humour qui tient à des personnages burlesques dont la fonction est double : semer des embûches sur le chemin des héros et héroïnes mais aussi faire rire telles les deux soeurs et la mère Babarikha et aussi, parfois, le tsar lui-même !
Enfin, autre source de comique, le moustique. Ainsi lorsque les méchantes soeurs se font piquer par le moustique ou bourdon et deviennent borgnes, l'une de l'oeil droit, l'autre de la gauche ou quand il s'agit de la Babarikha :
Il
bourdonne et fait des rondes,
Il
se pose sur son nez bien rond.
Notre
héros pique le nez
Et
une ampoule y apparaît.
Là
encore l'alerte commence
En
mettant la défiance
AU
secours ! Attrapez-le !
Ecrasez
la bête féroce !
Traduction De Tatyana Popovna -Bonnal Les contes de fée de Pouchkine Edition bilingue ou une autre traduction
Il va tourner autour d'elle
se met sur le nez d'icelle
Une cloque vient marquer
aussitôt le nez piqué.
De nouveau c'est la panique
Et puis la chasse héroïque :
Au secours, attrapez-le,
Dieu du ciel, écrasez-le,
Tu vas voir, attends, vil traître (...)
Traduction de Ivan Mignot Les contes de Pouckine Le tsar Saltan peinture de Palekh
Comique
aussi dans l'agitation qui suit les piqûres de l'insecte car la scène est traitée avec un grossissement épique que les deux traductions préservent bien "La bête féroce !" "Vil traître !" "chasse héroïque", "Panique ", "alerte" ... qui contraste dérisoirement avec la taille de la bête féroce.
Le dénouement aussi est joyeux et enlevé : l'on y voit le tsar fêter dignement ses retrouvailles avec la Tsarine et son Tsarevitch (pas de punition pour les méchantes) mais on doit porter au
lit le tsar à moitié ivre.
денъ прошел - царя салтана
уложили спать вполньяна
я там был ; мед, пиво пил
усы лищь обмовил
La traduction mot à mot dit ceci :
Le jour passe - le tsar Saltan
Est mis au lit à moitié ivre
J'étais là; j'ai bu du miel, de la bière (hydromel ?)
Mes moustaches seules j'ai mouillées.
Quelles traductions choisir ?
Je vous propose deux traductions qui s'opposent et témoignent de deux positions très divergentes face au fait de traduire. Laquelle préférez-vous ?
Doit-on rester proche du texte et, dans la cas où il s'agit de vers, ne pas respecter la métrique ? celle de Tetyana Popovna-Bonnal
La journée passe et Saltan énivré
fut tout de suite couché.
J'y étais, j'ai bu l'hydromel
Seule ma moustache fut mouillée.
Traduction Popova-Bonnal dans Les contes de fée de Pouchkine Edition bilingue
Ou la traduction d'Ivan Mignot qui s'éloigne du texte (tout en
respectant l'esprit) mais garde la versification et utilise l'heptasyllabe comme le vers pouchkinien et la rime.
Le soir, il fut sur sa couche
Ivre comme une vraie souche
J'y étais et j'ai bien bu
Ne m'en demandez pas plus.
Traduction Ivan Mignot Les contes de Pouchkine Le tsar Saltan peinture de Palekh
Les éditions et les illustrations
1) Traduction en vers proche du texte et juxtalinéaire de Popova-Bonnal Les contes de fée de Pouchkine Edition bilingue
Illustration couverture Ivan Vanestiv : Ivan Tsarevitch chevauche le loup gris 1889
2) Traduction Ivan Mignot en vers heptasyllabes Les contes de Pouchkine Le tsar Saltan ma traduction préférée.
Peinture de Palekh Editions медный всадник : Le cavalier de bronze. J'ai acheté ce livre à Saint Pétersbourg. Je ne sais pas si on le trouve en France.
Palekh : Les illustrations, splendides, sont des peintures d'icônes sur bois laqué, provenant de la ville de Palekh devenue centre de la miniature sur laque. Collections privées ou musée russe de Saint Petersbourg, ou musée Pouchkine.
3) Vous pouvez aussi lire ces contes aux Editions Albin Michel jeunesse illustrés par Ivan Bilibine d'après une réédition de 1906. traduction en vers de Henri Abril. Je n'ai pas lu cette traduction mais les illustrations de Bilibine sont enchanteresses.
Ivan
Bilibine est né en 1876. Il est peintre et illustrateur. Formé sous la direction du grand maître Ilia Répine, il réalise en 1899 ses
premiers travaux graphiques et ses premières illustrations de contes
populaires russes : il trouve là son domaine de prédilection, dont il ne
se départira plus et qui caractérise son oeuvre. Ivan Bilibine s'est fait aussi connaître comme décorateur d'opéra.
La femme du deuxième étage de Jurica Pavicic, écrivain croate : Bruna se marie avec Frane qui est marin. Les jeunes époux vont habiter au deuxième étage de la maison familiale de Frane, juste au-dessus de l’appartement d’Anka, la belle-mère de Bruna. C’est un très mauvais arrangement car le couple va devoir cohabiter avec cette femme autoritaire, maniaque et revêche, qui humilie sa belle fille et la considère, malgré ses efforts, comme paresseuse et incapable. Sa belle soeur Mirela n’est pas plus chaleureuse envers elle. Quand son mari part en mer, Bruna, désormais sous la coupe d’Anka, n’a que son travail à l’extérieur pour bénéficier d’une relative liberté. Mais lorsque Anka est victime d’une attaque cérébrale et qu’elle reste paralysée, le drame va éclater. Mirela, la fille d’Anka, privilégie sa carrière, le fils s’oppose à ce que sa mère aille dans un institut spécialisé mais repart en mer. C’est donc à Bruna d’assumer, en plus de ses heures de bureau, la lourde charge d’une femme impotente qu’elle n’aime pas et qui le lui rend bien.
Je ne dévoile rien en parlant de drame puisque dès la première page nous savons que Bruna est en prison et qu’elle a commis un meurtre. Le roman alterne d’ailleurs entre des chapitres qui décrivent la vie en prison, d’autres qui sont un retour dans le passé et racontent l’histoire de Bruna et d’autres encore, les années d’après la prison.
Ce qui qui intéresse l’auteur, c’est l’analyse du meurtre. Il cherche à comprendre et à mettre en évidence les ressorts qui ont poussé une femme « normale », qui n’a rien de monstrueux, jeune, amoureuse, pleine d’espoir, à détruire une vie et à être détruite. Il étudie le lent glissement qui va la conduire au meurtre presque malgré elle, prise au piège de la soumission, prisonnière des non-dits, d’une vie vaine et sans espoir, et surtout de l’égoïsme des autres. Chacun est occupé par ses propres soucis, son travail, son désir de réussite. Même la mère de Bruna ne s’est pas préoccupée de savoir si sa fille allait bien. Tout en se livrant à cette analyse, Jurica Pavici présente une radioscopie de la société croate d’après-guerre où l’économie qui reprend ne l’est que sur des bases factices, ouverte à un tourisme qui détruit toutes les vraies richesses du pays, n’apportant pas la prospérité à ses habitants mais enrichissant les sociétés capitalistes, la maffia et les déjà riches.
Le car pénètre dans les faubourgs (de Split) et Bruna note les changements. Là où était situé autrefois le chantier de déconstruction navale, ce sont maintenant des immeubles de locations et de vacances. A la place de l’usine de chlorure de vinyle, il y a un centre commercial. A la place du port de pêche, elle découvre une marina, et dans la marina, des grappes de yachts coûteux aux vitres teintées et aux lignes agressives. A la place du transbordement, c’est encore une marina. A la place de l’usine de tuyaux en béton, même chose. Là où il y avait auparavant des ateliers et des entrepôts, ce sont désormais des salons d’expositions de concessionnaires automobiles ou des agences de Rent-Car et Ship Management….
Une société où la situation des femmes n’a rien d’enviable, témoin, la vie de Bruna, mais aussi celle de Suzana, l’amie restée fidèle de Bruna, qui a pourtant poursuivi des études de pharmacologie et végète dans un petit emploi sans intérêt. Là encore le bouleversement apporté par la guerre n’est pas source de mieux-être : « … les Slovènes l’ont jetée dehors, au bout de huit ans, comme des porcs, sans aucun préavis, pendant une vague de restructuration. Elle pense à son nouveau boulot, une petite boîte stupide de commerce à la noix, où le patron n’en sait pas la moitié d’elle question travail. »
Dans l’île où travaille Bruna se dresse une façade d’église baroque « grandiose et mensongère » restée inachevée. Elle cache derrière elle une église petite et misérable. Cette façade est une métaphore des civilisations et de la vie, mais aussi de la Croatie nous dit Jurica Pavicic: « Elle nous raconte la seule vérité qui vaille : elle nous dit comment finissent les ambitions humaines. Comment les gens, les villages, les peuples échafaudent des plans et des projets immenses, comment ils imaginent des constructions fastueuses, et de tout cela, il ne reste que des façades. »
J’ai apprécié L’eau rouge le premier roman de l’auteur dont l’action déroule en Croatie pendant le guerre et montre la destruction de la Yougoslavie et le début de l’après-guerre. Dans La femme du deuxième étage, c’est la Croatie actuelle que présente l’auteur. Ce n’est pas réjouissant et pourtant c’est un oeuvre où l’on sent, au-delà de la tristesse et de la mélancolie, l'empathie de l’auteur pour ce personnage en souffrance, solitaire et replié sur lui-même.
J’ai beaucoup aimé ce deuxième livre de Jurica Pavicic, peut-être plus encore que le premier, parce j’ai été sensible à son rapport nostalgique au temps qui passe et nous mène inexorablement à la mort. Je me suis sentie concernée par sensibilité à l’éphémérité des choses et des êtres, encore exacerbée par l’expérience de la guerre qui a détruit un monde existant sans en proposer un meilleur.
Sa définition de la vie : « Cette succession d’anecdotes chaotiques » et les pensées de Suzana m’ont interrogée et touchée : "Et elle se demandait si sa vie et celle de Bruna, aurait été différente s’il n’y avait pas eu cette fête d’anniversaire Chez Zorana. Si elle n’était pas allée la chercher en voiture…. Si ce matin là ou tel autre elle avait marché sur le trottoir de droite plutôt que sur le trottoir de gauche. Tant de bifurcations, des dizaines et des centaines de bifurcations, tant de noeuds indénombrables, denses et opaques comme dans un jeu vidéo ultra-complexe, qui l’ont conduite au point où elle est maintenant."
Ce questionnement, qui, par-delà l’expérience individuelle, atteint l’universel, est passionnant. Oui, il est vertigineux de contempler tous les chemins qui se sont ouverts ou s’ouvrent devant nous au cours d’une vie et combien notre existence aurait pu être différente si… mais ce SI nous renvoie à la question primordiale, sommes-nous vraiment libres de nos choix à partir du moment où nous ne connaissons par les tenants et les aboutissants ? Un choix, peut-être, mais faussé à l’origine, et dont on n’est finalement pas vraiment maître.
C’est ce que constate Bruna : « Tout aurait été différent si nous n’étions pas allées là-bas. Suzana avait raison, évidemment. Mais, comme il arrive souvent quand quelqu’un a raison, ni elle, ni Bruna, ne pouvaient rien faire de ce constat. »