Pages

Affichage des articles dont le libellé est essais. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est essais. Afficher tous les articles

lundi 8 décembre 2014

La Boétie : De la servitude volontaire ou le Contr'un



Il y avait longtemps que je voulais lire De la servitude volontaire ou le Contr'un, l'essai de La Boétie, pour que ce dernier ne soit plus seulement un nom rencontré dans Les Essais de Montaigne. Maggie me l'a proposé en Lecture commune mais ce n'est que maintenant et avec retard que je m'acquitte  de cette tâche!
Et je dois dire d'entrée que ce texte m'a procuré un vif  plaisir lié à mon admiration pour la liberté de pensée, la profondeur de vue, la hardiesse et les idées de ces hommes du XVIème siècle, ces humanistes si tolérants, si lucides, si ouverts aux idées nouvelles. Après eux, il faudra attendre les philosophes du XVIII siècle pour aller aussi loin.

Critique du gouvernement d'un seul

Les idées politiques de la Boétie sont si perturbantes que son ami Montaigne, lui-même, devenu son exécuteur testamentaire, a reculé et a renoncé à publier  De la servitude  Volontaire ou le Contre'un. Il ne voulait pas nourrir les revendications des protestants qui s'étaient emparés du texte de la Boétie pour critiquer le pouvoir royal dans un but religieux. Mais il est bien souvent lui-même en accord avec  son ami (Voir Les cannibales)
C'est que cet essai présente la critique du gouvernement d'un seul (le Contr'un) et déplore l'obéissance passive de tout un peuple à ce pouvoir unique, obéissance que La Boétie appelle "la servitude volontaire".

"pour ce coup, je ne voudrois rien sinon entendre comme il se peut faire que tant d'hommes, tant de villes, de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n'a de puissance que celles qu'ils lui donnent; qui n'a pouvoir de leur nuire sinon qu'ils ont de vouloir de l'endurer; qui ne sçaurait leur faire mal aucun, sinon lors qu'ils aiment mieulx le souffrir que de le contredire."

Problèmes d'interprétation


On notera que La Boétie emploie le terme tyrannie dans un sens très général et il se garde bien de parler de la royauté française. La question se pose donc depuis des siècles : La Boétie a-t-il écrit un essai purement rhétorique ou au contraire un pamphlet virulent dicté par évènements contemporains qui traversent la France dans ces périodes de misère qui voient le peuple se soulever contre la gabelle et le pays se déchirer dans des querelles religieuses sanglantes? La Boétie est-il un théoricien ou un témoin de son temps et qui prend parti? Les partisans des deux interprétations sont partagés.
L'un d'eux affirme que le tyran de la SV n'est autre que Henri III.* D'autres proposent d'autres noms, Henri II, Charles IX. Certains pensent que le texte a été remanié par Montaigne ou par les huguenots  après la mort de la Boétie pour servir leurs idées. Un critique affirme, étant donné les nombreuses citations d'auteurs grecs ou romains, que c'est seulement une oeuvre d'inspiration antique. A l'inverse, un tel voit en lui un précurseur de la révolution française! Tout et son contraire! Quand les plus grands spécialistes  du XVIs se déchirent sur un tel sujet, il ne reste plus qu'à se taire!

Les raisons de la servitude volontaire


Pourtant, quand la Boétie écrit ce qui suit*, il paraît très clair sur la définition de la tyrannie et il y englobe la notion de royauté. Mais tenu à une extrême prudence il reste toujours très discret et rien ne permet d’affirmer dans quel but il a écrit cet ouvrage : éclairer?  Faire réfléchir? ou aller plus loin critiquer le pouvoir royal? Appeler à la révolte? Il n’en reste pas moins que j’ai lu ce texte comme une dénonciation, que j’y ai senti une indignation et une conscience lucide.

*Il y a trois sortes de tyrans, les uns ont le roiaume par election du peuple; les autres par la force des armes; les autres par succession de leur race. ceus qui les ont acquis par le droit de la guerre, ils s’y portent ainsi qu’on conçoit bien qu’ils sont en terre de conqueste. ceus la qui naissent rois, ne sont pas communement gueres meilleurs, ains estans nés et nourris dans le sein de la tiranie avec le lait la nature du tiran, et font estat des peuples qui sont soubs eus comme de leurs serfs hereditaires (…) . celui a qui le peuple a donne l’estat devrait estre, ce me semble, plus supportable, et le seroit,comme je croy, n’estoit que delors qu’il se voit eslevé par dessus les autres, flatté par je sçay quoy qu’on appelle grandeur, il délibère de n’en bouger point…

Mais ce qui intéresse surtout La Boétie c’est de comprendre pourquoi les peuples acceptent sans réagir le pouvoir d'un seul. Voilà qui est étonnant car, affirme la Boétie, l’homme tend naturellement vers la liberté. L’amour qu’il a pour elle est inné chez lui.
La lâcheté des peuples ne peut être la seule explication possible. La force de la coutume et l'habitude de servir ne mèneraient-elles pas à l'acceptation de la tyrannie et à l'obéissance passive? Il oppose ainsi la nature à la coutume, l’inné et l'acquis.
Enfin, l’ignorance de ce qu'est la liberté expliquerait aussi cette servitude volontaire.

L'on en se plaint jamais de ce que l'on n’a jamais eu, et le regret en vient point sinon qu'après le plaisir; et toujours est avec la coignaissance du mal la souvenance de la joie passée.

Seule la culture et le savoir peuvent permettre de rester fidèle à l’idée de liberté et d’être conscient du joug que l’on subit. L’ignorance est donc une des bases les plus solides sur lesquelles s’établissent les tyrans. Et ceux-ci l’ont bien compris qui refusent l’instruction à leurs sujets et cherchent à les endormir avec des largesses et des fêtes qui les détournent de la pensée, les rendent crédules, et les amènent à une sorte de dévotion superstitieuse envers eux.

Le Grand Turc s’est bien avisé de cela que les livres et la doctrine donnent plus que tout autre chose aus hommes, le sens de se reconnoistre, et d’hair la tirannie; j’entens qu’il n’a en ses terres gueres de gens scavants, ni n’en demande.

On voit l’actualité du sujet car les régimes totalitaires et les idéologies d’extrême droite ne fonctionnent pas autrement.
Goering disait : « Quand j’entends parler de culture, je sors mon revolver » et une des premières mesures que prennent les islamistes extrémistes c’est d’interdire l’école aux filles. Louis XIV comme le régime hitlérien ou stalinien se basaient sur le culte de la personnalité.

Mais le véritable secret de la domination du tyran pour La Boétie, c’est que le tyran s’entoure toujours de quelques personnes cupides, avides de pouvoir et de richesses pour asseoir son pouvoir. Ceux-ci perdent leur liberté dans la crainte de déplaire au tyran et se font ainsi les gardiens les plus sûrs du régime. Rien n’a changé en politique depuis la Boétie et l’antiquité!



 Etienne de la Boétie, philosophe et poète, connu pour avoir été l'ami mythique de Montaigne, est surtout l'auteur d'un court texte resté dans la postérité: le Discours de la servitude volontaire . Ecrit à l'âge de 18 ans, par celui que Pierre Clastres n'hésitait pas à appeler "le Rimbaud de la pensée", ce texte qui constitue une oeuvre de référence sur la question de la légitimité du pouvoir politique a été depuis le XVIe siècle constamment réimprimé. Traduit en quinze langues, il a donné lieu à une masse impressionnante de commentaires et d'interprétations. Toutes les périodes de troubles politiques ont vu réapparaître ce manifeste contre la tyrannie et il est aujourd'hui encore convoqué par divers courants de pensée. Ces annexions militantes témoignent de la résonance profonde et durable de ce texte et en font un cas "curieux", énigmatique. C'est sur cette énigme que se propose de se pencher cette émission, en interrogeant le texte du Discours, dont la question centrale demeure toujours d'une modernité surprenante : pourquoi obéit-on ?


Lecture commune avec Maggie, Margotte

jeudi 13 mars 2014

Rachel Polonsky : La lanterne magique de Molotov ou voyage à travers l'histoire de la Russie




La lanterne magique de Molotov ou voyage à travers l'histoire de la Russie de Rachel Polonsky est un livre érudit qui nous promène à travers la Russie des tsars jusqu'à notre époque en passant par la révolution et l'époque stalinienne. Rachel Polonsky, spécialiste de la littérature russe, a, en effet,  habité dans une résidence de la ruelle Romanov, à Moscou, qui était du temps des Tsars réservée aux nobles courtisans puis aux hauts dignitaires du parti sous Staline. Lorsqu'elle apprend que Viatcheslav Molotov à vécu dans l'appartement au-dessus de chez elle et qu'on lui en donne les clefs, l'auteure découvre la bibliothèque du bras droit de Staline.

Je me promettais donc beaucoup de joie de cette lecture parce qu'à partir des livres de Molotov,  grand lecteur aux goûts éclectiques, je savais que l'auteure partait sur les traces des écrivains russes. J'allais découvrir avec elle et sous une angle différent de celui j'avais abordé lors de mes études de russe les lieux où avaient vécu Pouchkine, Dostoievsky, Tolstoï et bien d'autres…
Oui, mais je ne suis pas arrivée à me passionner pour ce livre et je l'ai abandonnée en chemin. Oui, je me suis ennuyée! C'est pourtant un livre riche, foisonnant de connaissances, nourri de l'histoire mouvementée de la Russie mais aussi de l'amour de ce pays, de son passé,  de ses coutumes, de sa culture, un livre abondant que l'écrivaine a nourri de ses recherches pendant dix ans. Je ne peux donc m'en prendre qu'à moi si je ne suis pas parvenue à entrer dans ce livre. Le fait d'en avoir interrompu la lecture m'interdit d'ailleurs de le juger.

Si j'analyse pourquoi je n'ai pu m'y intéresser, je mettrai en cause l'abondance des informations qui me sont données et qui en fait un livre très (trop?) dense. Le présent et les différentes strates du passé se confondent et le récit m'a paru trop touffu voire confus. Je pense que cet essai m'aurait beaucoup plus interpellée si je connaissais les lieux dont il est question! Si je visitais Moscou, livre en main, je suis sûre que je souhaiterais voir la façade du n° 3 de la ruelle Molotov "ce grand coffre de trésors secrets", "cet immeuble que les vieux Moscovites appellent encore la "maison des généraux" ou, avec moins de révérence, les "archives du parti" ou encore le "Mausolée". ". C'est donc un livre que je conseillerais de lire pendant ou après un voyage à Moscou et plus largement en Russie, non comme un guide car il est beaucoup plus que cela, mais comme une mine inépuisable de renseignements sur ce pays. Il n'est pas dit que je ne le reprendrai pas d'ailleurs si un jour je réalise mon rêve d'un voyage en Russie.





Merci à Dialogues croisés et aux éditions Denoël

vendredi 7 février 2014

Un été avec Montaigne d'Antoine Compagnon






Les gens seraient étendus sur la plage ou bien, sirotant un apéritif, ils s'apprêteraient à déjeuner, et ils entendaient causer de Montaigne dans le poste.
C'est ainsi que Antoine Compagnon explique la genèse de son livre  : Un été avec Montaigne. Une série de quarante passages sur France Inter durant l'été pour rendre accessible à tous le philosophe du XVI siècle et sa pensée, élucider les difficultés de cette langue riche, savoureuse, imagée mais déjà si ancienne qu'il faut se laisser prendre par la main pour éviter de se perdre. Et en plus réaliser le tour de force de plaire à ceux qui entre la poire et le fromage ont plus envie de faire bronzette que de philosopher gravement!

Mais qui a dit gravement? Antoine Compagnon nous amène tout simplement en promenade et nous donne envie d'aller plus loin dans la découverte de Montaigne et non seulement de l'oeuvre  mais de l'homme qui apparaît sous ses écrits. 
Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautés empruntées. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans étude et artifice : car c'est moi que je peins. (Au lecteur)


Michel Eyquiem Montaigne

Nous découvrons donc un Montaigne non pas seulement retiré dans sa librairie en train de méditer mais aussi le Montaigne de la vie publique, le maire de Bordeaux, le conseiller du roi, un Montaigne voyageur qui aime aller se frotter aux coutumes d'autrui, plein de curiosité  envers tout ce qui se passe par le monde; ainsi il rend compte des découvertes du Nouveau Monde. C'est un homme ouvert et tolérant dans un pays qui ne l'est pas. Car à travers lui apparaît en effet son siècle et les dangers qui  guettent chaque citoyen. Nous sommes en pleine guerre de religion, les passions sont exacerbées de telle façon que l'on est menacé non seulement par ceux qui ne sont pas de votre religion mais aussi par ceux qui le sont et vous prennent pour un adversaire. 

 Je me suis couché mille fois chez moi, imaginant qu'on me trahirait et assommerait cette nuit-là : composant avec la fortune, que ce fut sans effroi et sans langueur : et me suis écrié avec mon patrenôtre : ces terres que j'ai  tant labourées, c'est donc un soldat impie qui les aura (Virgile) (III, 9)

François Dubois : massacre de la Saint Barthélémy, la reine Catherine de Médicis

Montaigne nous parle aussi de la mort, de l'amitié, de l'amour, de la sexualité, du vieillissement, de tous les sujets qui nous concernent mais toujours comme à bâtons rompus, une conversation au coin du feu.

Voilà comment  Montaigne parle des trois "commerces" qui ont rempli sa vie :

Ces deux commerces (l'amour et l'amitié) sont fortuits, et dépendants d'autrui : l'un est ennuyeux par sa rareté, l'autre se flétrit avec l'âge : ainsi ils n'eussent pas assez pourvu au besoin de ma vie. Celui des livres, qui est le troisième; est bien sûr et plus à nous. Ils cède aux premiers, les autres avantages : mais il a pour sa part la constance et la facilité de son service. (III, 3)

 Il (le commerce des livres) me console en la vieillesse et en la solitude: il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse; et me défait à toute heure  des compagnies qui me fâchent: il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est pas du tout extrême et maîtresse : Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres, ils me détournent facilement à eux, et me la dérobent... (III, 3)

Etienne de la Boétie, le meilleur ami de Montaigne

Oui, une conversation : c'est ainsi que Antoine Compagnon procède! Il cite un extrait de Montaigne puis il nous en donne le sens, ensuite replace le texte dans son époque, enfin en montre la portée actuelle. Evidemment ce livre ne convient pas à des spécialistes du XVI siècle ni même à des lecteurs avertis. Il s'agit, vous l'avez compris, d'une oeuvre de vulgarisation mais très utile et agréable à lire.

jeudi 18 juillet 2013

Laure Murat : La maison du Docteur Blanche



Dans La maison du docteur Blanche, Laure Murat retrace pour nous l'histoire  de l'institution psychiatrique fondée par Esprit Blanche et reprise par son fils Emile, une célèbre clinique privée qui accueillit pendant une grande partie du XIX siècle tous les grands de ce monde atteint de troubles mentaux, assez fortunés pour pouvoir y séjourner.

Esprit Blanche
 L'essai est donc passionnant car en s'appuyant sur  les dossiers de la Maison du docteur Blanche, sur des archives, des lettres, des articles de journaux, Laure Murat reconstitue l'histoire de la folie au XIX siècle, ses avancées mais aussi ses faiblesses et ses ignorances.
Le mot "psychiatre" n'apparaît qu'en 1802 et "psychiatrie" en 1842, mais, nous dit Laure Murat, la libération des aliénés est l'acte fondateur à partir duquel la nouvelle discipline s'élabore et se pratique. Philippe Pinel serait, en effet, à la fin du XVIIIème, celui qui libéra les fous de leur chaîne : jusqu'alors à peine mieux considéré qu'un animal, créature du diable ou sorcier malfaisant, le fou commence à être regardé comme un malade. Avec la révolution il gagne un statut de "patient.
Mais si le XIX siècle est un creuset bouillonnant quant aux recherches et aux théories qui s'élaborent sur les maladies mentales que l'on commence à nommer et à classer, les médecins sont bien souvent démunis devant les cas graves. Les docteurs Blanche, père et fils, sont entièrement dévoués à leurs patients qui prennent les repas avec eux et avec lesquels ils vivent en famille mais la connaissance du cerveau et des troubles psychiatriques en est encore à ses balbutiements. Ainsi le rapprochement n'est pas fait entre la syphilis et la paralysie, les crises de démence et la dégénérescence qu'elle entraîne. D'autre part, bien souvent, Emile Blanche comme la plupart des médecins de son époque réagit lorsqu'il faut juger de la santé mentale d'une personne selon les préjugés et les principes religieux et sociaux de sa classe, bourgeoise et bien pensante. Certaines femmes (le cas n'est pas isolé) qui essaient de se libérer de la tutelle de leur père ou veulent divorcer de leur mari sont considérées comme anormales et enfermées dans un asile!  Il vaut mieux aussi quant on est un fils de famille entrer dans le rang et obéir à son père, ce qui n'est pas le cas du fils de Jules Verne considéré pour cette raison comme fou.
De plus, cet essai nous fait rencontrer des écrivains et des artistes célèbres et ce n'est pas le moindre de ses intérêts car Laure Murat va à travers eux étudier les rapports entre la folie et la création artistique ou littéraire. 

Gérard de Nerval
 Un des premiers malades suivi par Esprit Blanche puis par Emile est Gérard de Nerval. Les registres de la Maison du docteur Blanche sont assez elliptiques sur son cas et c'est son oeuvre Aurélia, transposition poétique de ses troubles mentaux, de ses visions, qui est à la fois le meilleur document scientifique autant qu'un monument littéraire, un témoignage autant qu'une oeuvre d'art. Ce texte, les psychiatres du XXème siècle s'en serviront pour étudier sous la prose poétique, l'intérêt clinique du récit.
Nous rencontrons aussi à la maison du docteur Blanche  le musicien Gounod, au faîte de sa gloire, les Halévy, Marie D'Agoult, la comtesse de Castiglione, maîtresse de Napoléon III, Theo Van Gogh peu de temps après la mort de son frère Vincent. Nous assistons à l'horrible et lente agonie de Guy de Maupassant qui fut durant toute sa vie fascinée par la folie qu'il explora avec une triste prescience dans son oeuvre.  Toutes ces souffrances indicibles qu'aucun médicament ne peut soulager à l'époque font dire à Emile Blanche - et ce sont ces derniers mots  : Moi, j'ai trop vu de misères, je n'en puis plus.

J'ai beaucoup apprécié cette étude fouillée et complète sur la Maison du docteur Blanche et ses patients de 1821 à 1893, date de la disparition d'Emile qui n'a pas connu les débuts de la  psychanalyse. Une étude qui est aussi un témoignage historique, traversé par les révolutions, la guerre franco-prussienne, la Commune, de la vie parisienne et de la société du XIXème siècle dans les milieux littéraires et artistiques.




Chez l'Ogresse de Paris

jeudi 17 janvier 2013

Citation avec Montaigne : Le trajet d'une rivière



Je suis en train de lire Le trajet d'une rivière d'Anne Cuneo, roman historique qui nous amène dans le passé, d'abord en Angleterre à l'époque élizabethaine puis en voyage en Europe déchirée par les guerres de religion.  Or, qui ai-je rencontré dans ce XVI siècle où s'affronte les fanatismes et où  l'on tue au nom de Dieu?  Montaigne, bien sûr, et ce texte magnifique et si vrai qui explique le titre de ce roman dont je vous parlerai bientôt.



Ce que notre raison nous conseille de plus vraisemblable, c'est généralement à chacun  d'obéir au loi de son pays, comme est l'avis de Socrate inspiré, dit-il d'un conseil divin. Et par là que veut-elle dire, sinon que notre devoir n'a d'autre règle que fortuite? La vérité doit avoir un visage pareil et universel.. Il n'est rien de sujet à de plus continuelle agitation que les lois. Depuis que je suis né, j'ai vu trois et quatre fois rechanger celle des Anglais, nos voisins, non seulement en sujet politique, qui est celui que l'on veut dispenser de la constance, mais au plus important sujet qui puisse être, à savoir la religion. De quoi j'ai honte et dépit, d'autant plus que c'est une nation à laquelle ceux de mon quartier ont eu autrefois une si privée accointance qu'il reste encore en ma maison aucunes traces de notre ancien cousinage… Que dira donc en cette nécessité que la philosophie? Que nous suivons les lois de notre pays? C'est à dire cette mer flottante des opinions d'un peuple ou d'un Prince, qui me peindront la justice d'autant de couleurs et la réformeront d'autant de visages qu'il y aura en eux de changements de passion? Je ne peux pas avoir le jugement si flexible.
Quelle bonté est-ce, que je voyais hier en crédit et demain plus, et que le trajet d'une rivière fait un crime? Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà?

mardi 2 octobre 2012

Lorenza Foschini : Le manteau de Proust



Dans Le manteau de Proust, Lorenza Foschini, journaliste italienne, raconte qu'à l'occasion d'une enquête effectuée pour Luchino Visconti sur La Recherche du temps perdu, elle découvre l'existence du vieux manteau de l'écrivain archivé dans une caisse du musée Carnavalet.  C'est une vieille pelisse noire, usagée, dans lequel on voit Marcel Proust enveloppé sur une photographie de 1905, à Evian, un manteau qui lui sert de couverture quand il écrit son oeuvre, au fond de son lit, luttant contre la maladie et la mort. Elle s'intéresse alors à celui qui en a fait don au musée, Jacques Guérin, un grand parfumeur parisien, collectionneur fortuné, bibliophile et amoureux de l'oeuvre de Proust.
L'enquête menée par Lorenza Foschini sur ce personnage lui permet, bien évidemment, d'entrer dans le monde de Proust et de sa famille. Car Jacques Guérin, en effet, rencontre le "petit frère" de Marcel, Robert, qui lui montre les manuscrits de l'écrivain et les meubles de celui-ci. A la mort de Robert, le collectionneur n'aura de cesse d'acquérir toutes ces reliques. Il y parviendra, mais seulement en partie, car l'épouse de Robert, Marthe, jette au feu tout ce qui lui paraît compromettant sur son beau-frère (dédicaces, lettres, manuscrits..). Nous découvrons peu à peu les secrets de famille, les non-dits qui pèsent et font plus de mal que ce qui est exprimé clairement, notamment en ce qui concerne l'homosexualité de Proust dont sa famille homophobe avait honte. Jacques Guérin, investi dès lors d'une mission de "sauveur", parvient à réunir le manteau mais aussi le lit, le bureau, des lettres et des objets de l'écrivain.
Jean Genet qualifiait le collectionneur-bibliophile de "fétichiste". Je le suis un peu quand il s'agit d'un écrivain et la découverte d'un lieu où il a vécu, d'un objet lui ayant appartenu, parle toujours à mon imagination. C'est pourquoi je me suis emparée de ce petit livre avec impatience. Aucune émotion!  Le style est journaliste, il s'agit d'une enquête bien menée, efficace. Les objets y sont décrits comme dans un rapport administratif avec méthode et rigueur et accompagnés de photographies qui  font un peu redondance :
C'est un manteau croisé, fermé par une double rangée de trois boutons. Quelqu'un de plus maigre a déplacé le boutonnage pour le resserrer, et les traces des précédentes attaches, des noeuds de fil noir et épais, subsistent à l'endroit de la couture. Un trou signale l'absence d'un bouton qui devait fermer le col, une étiquette blanche au bout d'un fil rouge pend du revers de la fourrure noire.
Lorenza Foschini fait allusion à des passages de l'oeuvre, elle cite des fragments de lettres, elle parle de la maladie de Proust, de ses rapports complexes avec son frère Robert malgré l'affection qui les lie, elle analyse des photographies qui les rassemblent. Le tout n'est pas inintéressant mais  m'a laissée sur ma faim.  Il faut dire que j'avais un à priori à propos de ce livre. Je pensais y rencontrer l'auteur de "Du côté de chez Swann", c'est Jacques Guérin qui en est le personnage principal!



Merci à la librairie Dialogues

lundi 13 août 2012

Jorge Semprun : Le fer rouge de la mémoire





Les éditions Gallimard édite un volume dédié à la mémoire de Jorge Semprun dans la collection Quarto, intitulé Le fer rouge de la mémoire. Ce livre regroupe cinq grands romans de l'écrivain, des essais et des préfaces sur Marc Bloch, Robert Anthelme, Paul Nothomb, Primo Levi ... Viennent s'y ajouter un glossaire sur les références littéraires qui jalonnent son oeuvre érudite, une notice biographique qui retrace sa vie en relation avec l'histoire de son pays, l'Espagne en proie à la guerre civile, avec son arrivée en France où il poursuit de brillantes études de philosophie, son engagement communiste dans la Résistance, son internement à Buckenwald puis avec son rôle politique dans l'après-guerre, lutte contre le franquisme mais aussi contre le stalinisme, dans une condamnation de tout ce qui est une atteinte à la liberté. Un bel hommage à l'écrivain disparu le 7 Juin 2011.
Le titre de cette véritable somme est emprunté à l'écrivain qui a fait du travail de mémoire une constante féconde et riche de son oeuvre car face à l'innommable, face à l'horreur, il faut  continuer  
" à remuer ce passé, à mettre à jours ces plaies purulentes, pour les cautériser avec le fer rouge de la mémoire". *

Toute l'oeuvre de Semprun est une interrogation sur la mémoire. Celle-ci est-elle fiable?
"Il se demande pourquoi il y a tant de neige dans sa mémoire, plein de neige crissante dans son insomnie. C'est le mois d'août pourtant..." ainsi débute le premier chapitre de L'évanouissement. Ce qui fait la richesse et la complexité de l'oeuvre de Jorge Semprun, c'est qu'il explore toutes les possibilités de la mémoire, irruption du présent dans le passé,  mais aussi projection dans l'avenir au milieu du passé. Le souvenir est fragmentaire, capricieux, fragile, il se présente sous forme de strates, il échappe, il revient... et c'est dans cet effort de reconstruction, cette recherche à la fois philosophique et littéraire que Semprun va atteindre son but, nous faire partager ce qu'il a vécu, rendre compte de la réalité aussi difficile que cela paraisse. Car l'expérience des camps de concentration est-elle transmissible? Comment raconter ce qui dépasse l'imagination, ce qui n'est pas crédible. Les témoignages permettront aux historiens de consigner les faits, "tout y sera vrai.. sauf qu'il manquera l'essentielle vérité, à laquelle aucune reconstruction historique ne pourra jamais atteindre, pour parfaite et omnicompréhensive qu'elle soit... L'autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l'expérience n'est pas transmissible... Ou plutôt, elle ne l'est que par l'écriture littéraire"**

C'est avec bonheur que que j'ai retrouvé les romans que je connaissais déjà de ce grand écrivain, Le grand voyage, Quel beau dimanche, l'écriture et la vie,  et que je découvre les deux autres, L'évanouissement, Le mort qu'il faut. Le sentiment que je ressens devant cette écriture puissante, ces récits poignants qui dépassent le simple témoignage pour devenir oeuvre d'art et nous cueillir de plein fouet car "racontés avec suffisamment d'artifice", est celui que Jorge Semprun, lui-même, exprime dans sa préface à propos de L'Espèce humaine de Robert Anthelme, un autre résistant déporté : "Il y a longtemps que je n'avais pas lu un livre témoignant de la grandeur humaine d'une façon aussi nue, bouleversante (...). A première vue cette affirmation peut paraître paradoxale, puisque la vie qui y est décrite est la plus misérable, la plus méprisée..."
 Et oui, c'est au moment où Jorge Semprun montre l'espèce humaine humiliée, conditionnée par la faim, réduite à l'esclavage, ravalée à l'état de bête, qu'il insuffle en nous l'espoir en l'humanité! C'est pendant ce voyage où entassés les uns sur les autres dans un wagon plombé qui les amène vers un camp dont ils ne peuvent encore mesurer l'horreur, que la beauté apparaît sous la forme de ces petites pommes juteuses que "le gars de Sémur" partage avec lui***.  Par la force de la pensée, de la littérature, de la poésie, Jorge Semprun puise la force de survivre. C'est dans la contemplation d'un arbre sous la neige,"dans la certitude de sa beauté viride, prochaine, inévitable, survivant à ma mort"****, que s'affirme l'idée fondamentale développée par l'écrivain dans toute son oeuvre et qui - au-delà de l'expérience des camps- est universelle, celle de la grandeur humaine plus forte que la barbarie. Face au Mal, l'homme a toujours la liberté de choisir le Bien.

Si vous n'avez pas lu Jorge Semprun et ne connaissez pas encore la force de son écriture, n'hésitez pas! Ce volume en forme d'hommage, Le fer rouge de la Mémoire, vous donnera l'occasion de faire une rencontre inoubliable.

* Autobiographie de Federico Sanchez
** L'écriture ou la vie
***Le grand Voyage.
**** Quel beau dimanche






Merci à La librairie Dialogues




vendredi 3 août 2012

Betty Mindlin : Carnets sauvages chez les Surui du Rondônia






Betty Mindlin est une anthropologue brésilienne. Dans Carnets sauvages elle raconte au fil des notes prises pendant ses différents séjours dans la forêt amazonienne le quotidien des Surui, un peuple qui vit en plein coeur de l'état de Rondônia. Elle nous décrit les traditions des Surui, leurs mythes, leur mode de vie, leur évolution, mais elle nous fait part aussi de ses propres sentiments par rapport à ce peuple, de ces moments de bonheur entourée de leur chaude affection, mais aussi des difficultés rencontrées, d'une vie parfois rude et âpre, des moments de déprime quand elle pense à ses propres enfants et à leur éloignement. Carnets sauvages n'est donc pas une oeuvre scientifique - Betty Mindlin a publié des études et une thèse sur ce sujet - mais plutôt une sorte de journal intime où, sous l'anthropologue, la femme apparaît.

L'intérêt des Carnets sauvages tient bien sûr à la découverte de ce peuple dont les moeurs sont pour nous surprenantes et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous pénétrons dans leur vie, que nous découvrons des coutumes et des croyances influencées, bien sûr, par le milieu, cette grande forêt sauvage où les esprits des arbres et de la terre peuvent parfois devenir dangereux. Mais ce qui est aussi passionnant c'est que cette étude n'est pas abstraite, elle est présentée à travers des personnages bien vivants, qui finissent par nous devenir familiers, que nous connaissons comme des amis, tous avec leurs qualités et leurs faiblesses, des hommes et des femmes, enfin, pas si éloignés de nous tous malgré les différences, faisant partie de la grande famille humaine!

Ce que je ressens de façon plus aiguë, c'est la simplicité et le mystère du village, que nous avons perdu dans notre routine urbaine. La nuit je regarde les corps nus qui ont besoin du feu pour se réchauffer : c'est très étrange, c'est le destin du genre humain qui se donne à voir.

Mais, disons-le tout de suite, j'ai éprouvé un grand regret avec ce récit qui aiguise notre curiosité, parce que l'édition Métailié ne propose aucune image (alors que Betty Mindlin prend beaucoup de photographies, nous dit-elle) ni des villages, ni de l'oca, la Grande Maison où vivent les familles, ni des plantations, des fêtes rituelles et même pas des hommes et des femmes que nous apprenons à connaître : Naraxar, le solitaire qui demande Betty Mindlin en mariage, Caimabina la superbe épouse de Iamabop, l'Impératrice, la Désirée des hommes, Uratugare, le beau chasseur, le séducteur,  Garapoy le pajé, puissant et dangereux sorcier, guides des âmes et  d'un autre regard sur l'espace temps, Garapoy qui dévoile le Marameipeter, le chemin de l'âme, qu'il dessine par terre. Et cette absence de documentation est frustrante!

Dans ces carnets Betty Mindlin ne cède pas à la tentation du mythe du "bon sauvage" à la Rousseau. Sa formation d'ethnologue l'en préserve, l'observation de la réalité aussi. Ainsi à propos des femmes, elle est d'abord frappée par leur beauté :

Elles sont superbes. Celles qui ont des enfants en bas âge, les allaitent ou les  portent enveloppés dans de grandes bandes de coton qui semblent bien pratiques et laissent les bras libres. elle les tissent elles-mêmes, et certaines sont décorées de dessin au rocou, de bracelet de graines de Tucuma ou de dents cousues à intervalles réguliers.

 Mais plus tard  à l'occasion d'un coup de couteau porté à l'une d'entre elles :

La violence contre les femmes était impressionnante. Jusqu'à présent, tout m'avait semblé si romantique, les hommes séducteurs et gentils. Le coup de couteau, même si c'était du côté plat, contenait une menace de mort.

Peu à peu, elle s'aperçoit de la condition de la femme dans la tribu Surui qui sert de monnaie d'échange pour satisfaire les appétits des hommes, pacifier l'humeur belliqueuse des autres. Elles sont mariées fort jeunes, voient leurs enfants mourir en bas âge (la mortalité enfantine est très élevée), sont mises en quarantaine pendant leurs règles ou après l'accouchement, ce qui permet d'échapper aux corvées mais est aussi ennuyeux qu'être en prison! et subissent coups et mauvais traitements de leur mari.

Les femmes restaient soumises au bon vouloir de la volonté masculine, et l'égalité entre les sexes disparaissait. Je n'avais vu qu'une femme avec un oeil au beurre noir. J'ai senti à partir de là que le quotidien n'était pas si paisible.

Si d'un séjour à l'autre, il y a parfois (et cela se comprend) des répétitions, des retours en arrière qui émoussent un peu notre curiosité et lassent notre intérêt, cela tient à la démarche scientifique de l'ethnologue qui progresse par recoupement, surmonte les difficultés de la langue, fait céder les résistances de ceux qui ont des réticences à se livrer. Les liens qui se nouent entre elle et ses amis lui permettent au fur et à mesure de mieux comprendre cette civilisation et de préciser ce qu'elle n'avait pas saisi en remontant à la source. Le récit, malgré ses redites, reste cependant intéressant et facile d'accès. Il s'agit d'une oeuvre de vulgarisation qui nous permet de nous investir dans cette recherche d'ethnologue comme si nous la vivions ! J'ai préféré pourtant le premier récit où Betty Mindlin semble "ensorcelée" (c'est le mot qu'elle emploie) par les Surui et nous transmet une vision presque magique de ce peuple.

Une remarque, encore, pour exprimer mon étonnement : Si tous les sujets sont abordés y compris les rapports entre hommes et femmes de la tribu tant au niveau de la sexualité que de l'organisation sociale, j'ai été tout de même un peu surprise que l'auteur nous livre ses propres fantasmes vis à vis des beaux mâles Surui dans des récits "imaginaires" qu'elle nous relate! Curieux pour une scientifique, non? Mais bon, comme je vous le disais sous l'anthropologue, la femme!

Les carnets se décomposent en six parties qui correspondant aux séjours de Betty Mindlin, le premier remontant en 1979, le sixième en 1983. Après les carnets, l'auteur est encore retournée plusieurs fois chez les Surui en 1994, dans les années 2000. Elle a vu le défrichement de la forêt et les conséquences sur le mode de vie des Surui, elle constaté le changement de mentalité de ces peuples au contact des populations blanches, elle les a vus dépossédés de leur terre au profit d'entreprises qui se sont enrichis sur leur dos, elle les a vus devenir des salariés exploités là où ils régnaient en maîtres. Elle a combattu avec eux pour qu'ils fassent valoir leurs droits. Ils se sont organisés dans la lutte mais il s'agit un peu du combat du pot de terre contre le pot de fer. Avec la destruction de la forêt, l'exploitation de gisements de diamants n'a rien arrangé, des milliards d'intérêt sont en jeu. La civilisation des Surui telle qu'elle était alors a disparu.

Les Surui ont été les grandes eaux inondant mes journées. Je veux retourner vers eux avec une âme nouvelle, pour demander aux petits-enfants de mes amis ce qu'ils pensent du monde, du Brésil, de leur nouvelle vie, quels dieux ils suivent, s'ils vont encore au pays de l'au-delà, le Marameipeter ou Gorakoied, si d'autres pajés différents vont venir.





Merci à la librairie Dialogues : 

mercredi 23 mai 2012

Déshonorée de Mukhtar Mai, une soeur de Syngue Sabour



J'ai vu un jour au journal télévisé le procès de ce jeune homme d'origine pakistanaise qui a odieusement brûlé une jeune fille dans une banlieue française. Motif? Elle avait rompu avec lui.
Et lorsque l'on interviewe le père sur ce qu'il pense de la conduite de son fils, il répond : "il a fait une bêtise!" Une bêtise! Quel euphémisme par rapport à un tel acte de barbarie ! Mais peut-être - ai-je pensé- cet homme ne possède-t-il pas assez la langue française pour en connaître les nuances?

Or voilà qu'à la bibliothèque, sans l'avoir cherché, je tombe sur le livre de Muktar Mai exposé sur un présentoir, bien en évidence comme pour répondre à mes questions. Le livre s'intitule : Déshonorée.

Il s'agit du témoignage d'une jeune femme pakistanaise, du clan des Gujjar, Muktar Mai, condamnée par le tribunal tribal de son village à un viol collectif devant tout son village. En effet, le jeune frère de Muktar Mai a osé parler à un fille du clan des Mastoï, fermiers guerriers belliqueux, de caste supérieure, qui imposent leur loi aux Gujjar. Et qu'importe que le garçon n'ait que 12 ans et la fille 20 ans! Violée, humiliée et désespérée, la jeune fille souhaite d'abord se suicider comme la plupart des femmes de ce pays soumises à de semblables brutalités, considérées comme déshonorées, et qui ne trouvent aucune autre issue. Mais elle finit par décider de se battre et porte plainte. Dès lors sa vie est menacée. La présence d'un journaliste qui publie un article dans un journal attire l'attention de tout le pays et bientôt du monde entier sur son cas. Un mouvement de solidarité se fait jour autour d'elle. Elle est mise sous la protection de la police, c'est pourquoi elle est toujours en vie aujourd'hui.

Pour une femme qui refuse la violence et survit, combien meurent, combien sont enterrées sous le sable, sans tombe, sans respect.

Si quatre des agresseurs de Muktar Mai ont été condamnés lors du premier procès sous la pression internationale, ils ont été ensuite innocentés quelques années après, en appel. Pendant le second procès, en effet, la coupable toute désignée a été, en effet, la jeune femme!

On m'a traduit des commentaires dans la presse nationale, voulant démontrer que la femme pakistanaise n'avait qu'un devoir, celui d'être au service de son mari, que la seule éducation pour une fille devait venir de sa mère, et que, en dehors des textes religieux, elle n'avait rien à apprendre. Que le silence de la soumission.
Il apparaît sournoisement dans ce tribunal que je suis coupable de ne pas respecter ce silence.


Mais Muktar Mai (Soeur aînée ainsi que la nomme ses élèves) n'a pas abandonné son combat. Elle fait appel une fois de plus*. A l'heure actuelle, elle vit dans son village et a ouvert une école pour apprendre aux filles à lire et écrire, car seule l'instruction leur permettra de s'en sortir, espère-t-elle.

Ma petite école semblait bien menue dans ce flot de malheurs. Minuscule pierre plantée quelque part dans le monde, pour tenter de changer l'esprit des hommes.Donner à une poignée de fillettes l'alphabet qui de génération en génération ferait lentement son travail. Enseigner à quelques gamins le respect dû à leur compagne, leur soeur, leur voisine.. C'était si peu encore.

Notons que le gouvernement pakistanais accepte de payer le salaire d'un instituteur pour les garçons mais pas pour les filles!! Muktar Mai a pu construire son école et assurer le salaire des enseignants pour les filles grâce à l'aide internationale et en particulier au Canada.

Lire son histoire, c'est donc découvrir le statut de la femme en général au Pakistan :

Qu'il s'agisse de divorce, d'infidélité supposée ou de règlements de compte entre hommes, la femme paie le prix fort. On la donne en compensation d'une offense, elle est violée par un ennemi de son mari, en guise de représailles. Il suffit parfois que deux hommes entament une dispute sur un problème quelconque, pour que l'un se venge sur la femme de l'autre. Dans les villages, il est courant que les hommes se rendent eux-mêmes justice, invoquant le dicton oeil pour oeil. Il est toujours question d'honneur, et tout leur est permis. Trancher le nez d'une épouse, brûler une soeur, violer la femme de son voisin.
Alors que la sexualité est un tabou, que l'honneur de l'homme dans notre société pakistanaise est justement la femme, il ne trouve de solution que dans le mariage forcé ou le viol. Ce comportement n'est pas celui que le Coran nous enseigne.

Ou encore

Zafran Bibi, une jeune femme de vingt six ans, a été violée par son beau-frère et s'est retrouvée enceinte. Elle n'a pas renié cet enfant et a été condamnée à mort par lapidation en 2002, car l'enfant représentait une preuve de zina, le péché d'adultère. Le violeur n'a pas été inquiété.(...)
Elle ne sera pas lapidée mais risque de passer plusieurs années en prison, alors que son violeur, lui, est protégé par la loi.


Une autre femme m'attend, le visage à demi couvert par un voile usé; sans âge, épuisée par les travaux domestiques. Elle a du mal à parler. Elle montre simplement son visage, discrètement, honteuse. Et je comprends; l'acide en a dévoré la moitié. Et elle ne peut même plus pleurer. Qui a fait ça? Son mari. Pourquoi? Il la battait, elle n'était pas assez rapide pour le servir à son aise.
La moitié des femmes dans notre pays subissent des violences. Soit on les marie de force, soit on les viole, soit les hommes s'en servent comme monnaie d'échange. Peu importe ce qu'elles pensent car, pour eux, il ne faut surtout pas qu'elles réfléchissent. Ils refusent qu'elles apprennent à lire et à écrire, qu'elles sachent comment va le monde autour d'elles. C'est pour cela que les femmes illettrées ne peuvent pas se défendre : elles ignorent tout de leurs droits, et on leur dicte leur propos pour tenter de briser leur révolte..

Ce témoignage  nous rappelle donc la fragilité de la condition féminine partout  dans le monde  et la nécessité de rester toujours vigilant face à tout ce qui va à l'encontre des droits des femmes y compris dans notre pays.



*voir  l'article suivant  du 8/03/2006 qui fait le bilan de la condition des femmes  : Atlas vista : Asie du Sud: malgré Mukhtar Mai, les crimes d'honneur restent quotidiens

Un article

voir article le Figaro  15/10/2007

voir The NYTimes Novembre 2008 blog Kristof


lundi 14 mai 2012

Peter Silverman : La Princesse perdue de Léonard de Vinci, Editions Télémaque



     La bella Principessa de Léonard de Vinci

Peter Silverman, collectionneur d'art, découvre dans une galerie New-Yorkaise un dessin sur vélin attribué à un peintre anonyme allemand du XIX siècle. Mais son instinct de collectionneur, le coup de foudre qu'il éprouve pour ce portrait de jeune fille en habit de la Renaissance, lui soufflent qu'il s'agit d'une oeuvre authentique de cette époque et, peut-être, d'un Vinci! Le regard expérimenté de spécialistes le confirment dans son intuition. Commencent alors les recherches pour trouver les preuves qu'il s'agit bien d'un Vinci! 

 
Amoureux de l'Art, de la Renaissance et de Léonard de Vinci, ce livre est pour vous! Il se lit comme un roman d'aventure, promenade dans l'Art, qui nous entraîne dans une enquête longue et difficile. La Bella Principessa est-elle une oeuvre de Léonard de Vinci? Quelle est l'identité de cette jeune fille au regard d'ambre clair, à la lourde tresse, au port altier, fantôme effacé par les siècles qui nous séparent? D'où vient-elle? C'est à ces questions que les spécialistes vont répondre. L'émotion ressentie au cours de ces recherches nous permet de comprendre le rôle de l'oeuvre d'art, douée de vie, qui jette un pont entre présent et passé.
Historique, l'enquête nous plonge dans des investigations savantes avec les plus grands spécialistes de Vinci et de la Renaissance italienne. Peu à peu, nous acquérons, sinon des certitudes, du moins de sérieuses présomptions sur l'attribution du tableau peint lorsque Vinci était le peintre officiel de la cour de Milan, à l'époque de Ludovic le More. La jeune princesse de la fin du XVème siècle échappe ainsi au néant, laissant deviner une tragique destinée...

La recherche se poursuit, faisant appel à des preuves scientifiques rigoureuses : datation au carbone 14 et technologie numérale multispectrale. Elle a recours aussi à des techniques d'investigation empruntées à la police scientifique. Mais ce qui prouvera l'authenticité véritable de l'oeuvre c'est la découverte de sa provenance.

Au-delà de ce récit, nous explorons les dessous du marché de l'art où l'intérêt financier prime souvent sur l'amour de l'oeuvre... surtout s'il s'agit d'un Vinci! De plus, cette attribution remet en cause la réputation, la crédibilité des experts. Voilà qui explique le scandale provoqué par la redécouverte de ce joyau qui aurait dû faire bondir de joie tous les amoureux de Vinci! Un livre vivant, érudit, passionnant!

Extrait : Je n'ai jamais acquis d'oeuvre d'art pour leur valeur financière. D'après moi, les gens qui achètent de l'art pour spéculer se trompent, l'intérêt du collectionneur c'est l'amour.. On n'a pas besoin de l'art, mais il faut l'aimer afin qu'il remplisse son rôle fondamental : être esthétique, donner un sentiment d'élévation spirituelle, inspirer et même être décoratif.
Moi-même, j'ai toujours l'impression d'être en lutte contre l'idéologie du marché, pour qui prix élevé signifie grande importance ou beauté. Dans le cas de la Bella Principessa, j'ai suivi ce processus cynique en direct. Quand le dessin était encore attribué à un artiste du XIX° siècle, on l'estimait "charmant". Quand il fut plus tard découvert que le dessin était d'un italien du XV° siècle on le trouva "assez beau". Maintenant qu'on lui a apposé l'attribution Léonard de Vinci le dessin est qualifié "d'exquis... d'extraordinaire... remarquable...", et bien d'autres superlatifs encore.

Les portraits féminins de Leonardo da Vinci

La Bella Principessa vient compléter les quatre portraits féminins connus de Léonard de Vinci :


La belle Ferronnière                                          La Joconde



         
 
Ginevra de Benci                                                               La dame à l'hermine

Un portrait réalisé par un gaucher

La Bella Principessa (détail)
Ce détail permet de noter que les hachures autour du visage sont réalisées par un gaucher. Or, nous ne connaissons que deux gauchers parmi les peintres de la Renaisssance, Vinci et Michel-Ange. Autour des cheveux, à droite, on note des lignes blanches appelées pentimenti, signes que des éléments ont été effacés et redessinés, procédé typique de Léonard de Vinci.


Domenico Ghirlandaio

Peter Silverman, une fois prouvé que le portrait était bien de la Renaissance, a d'abord pensé qu'il s'agissait d'une oeuvre de Domenico Ghirlandaio. Celui-ci est l'auteur des magnifiques fresques de l'église de Santa Maria Novella à Florence. Je les aime tellement que je ne résiste pas à vous faire admirer ce détail :

La Naissance de la Vierge (détail) Santa Maria Novella Florence

Ghirlandaio et Vinci, ayant été tous deux les élèves d' Andrea del Verrocchio, ont, en effet, un air de famille. Mais Ghirlandaio, contrairement à Vinci, est droitier. Le portrait ne peut donc être de lui.

 Ghirlandaio : Giovanna Tornabuoni

Merci aux Editions Télémaque

Pourquoi avoir créé ce blog ?
Parce que nous croyons en l’importance de maintenir, en France, une vraie diversité de l’offre éditoriale. En effet, nous avons la chance de bénéficier d’un tissu dense d’éditeurs indépendants (plusieurs centaines), attachés à jouer le rôle de découvreurs de talents, à tenter des aventures intellectuelles, à contribuer aux débats d’idées. C’est grâce à eux que voient le jour des livres de qualité/ originaux/ hors normes et, souvent, que sont édités pour la première fois les auteurs de demain. (...)
D’où l’objectif de ce blog : repérer, chaque mois, les meilleurs livres en panne de médiatisation et se faire leurs « agents littéraires », c’est-à-dire assurer leur promotion grâce à internet... Lire la suite ici

La princesse perdue de Léonard de Vinci Peter Silverman Catherine Whitney 288 p. Editions Télémaqueprix du livre : 22€





mardi 13 mars 2012

Je suis taguée : Ma corbeille de PAL


 Auguste  Renoir

Et oui, je suis taguée, le tag du sac, et c'est seulement  maintenant que je réponds à Jeenen (que la belle bretonne bretonnisante, pardonne mon retard!). Et comme l'intérieur de mon sac donne le vertige, monstre noir qui avale tout ce qu'il trouve, j'ai eu l'autorisation  extra-spéciale (de la magnanine Bigoudène) de pouvoir vous montrer l'intérieur  de ma corbeille de PAL à la place. Mais je m'arrêterai à dix livres, ne souhaitant pas vous imposer l'étendue du désastre!
Et oui, car moi aussi j'ai une PAL, cette maladie horrible qui vous saute dessus inévitablement quand vous êtes blogueuse! J'avoue que lors de mes débuts outrecuidants dans la blogosphère, non seulement je n'étais pas atteinte de ce mal pernicieux mais encore je ne savais pas ce que c'était! * Je regardais avec étonnement, pour ne pas dire commisération, les copines blogueuses. Et d'abord qu'est-ce qu'une PAL et pourquoi cela paraît-il si douloureux? 90 ans plus tard,  au cours de ma longue carrière de blogueuse, je le sais enfin! Je croule sous les livres non lus tout en m'en procurant toujours d'autres et ce n'est plus un corbeille mais une bibliothèque qu'il va me falloir! Maintenant si vous voulez une explication de ce phénomène- devrais-je dire de cette pandémie -  je laisse le soin à un sociologue ou un ethnologue  de vous l'exposer!



 La liseuse de Paul Fournel
 Celui-là, c'est Aifelle  qui m'a poussé à l'acheter. Il faut dire que je  suis depuis peu l'heureuse propriétaire d'une tablette numérique, une liseuse. Et justement le livre de Paul Fournel explore ce sujet-là! Avec humour  d'où ma curiosité! Je sens que je ne vais pas trop attendre pour le lire. NON! Mon kindle ne remplacera jamais le livre papier que j'aime tant mais je vais bientôt partir à New York et j'avoue que ne pas avoir à charger ma valise de bouquins est un argument convaincant!
La stagiaire entra dans le bureau de Robert Dubois, l'éditeur, et lui tend une tablette électronique, une liseuse. Il la regarde, il la soupèse, l'allume et sa vie bascule. Pour la première fois depuis Gutenberg....


  Camilo José Cela : Nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormes :  choisi dans le cadre du challenge des 12 d'Ys pour les prix Nobel. J'avoue que je suis curieuse de savoir  ce que  C.J. Cela a fait de Lazarillo de Tormes, un roman picaresque que j'ai aimé et étudié! Il fallait un bien grand talent -et, disons-le, une certaine audace- pour écrire un Lazarillo moderne, à l'image de l'universel chef d'oeuvre espagnol du XVI ème siècle
Pauline Klein :  Alice Khan , un livre prêté par ma fille avec ses chaudes recommandations. Je ne sais rien de lui et de l'auteur! A découvrir! 
Mais je dépose des traces de ma présence!





Höderlin : Odes, élégies, Hymnes:  Et là c'est de ma faute! Pour mon challenge romantique je me suis promis de découvrir la littérature allemande, en particulier les poètes! Notre journée humaine, ah! que ses bornes sont étroites!

 Alexis Jenni : L'art français de la guerre : Je suis en train de ressortir mes cadeaux de Noël! Et oui, un prix Goncourt, ça ne se refuse pas! J'allais mal; tout va mal; j'attendais la fin. Quand j'ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l'avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède...



Laurent Gaudé : Les Oliviers du Négus :  j'ai très envie de le lire mais arrive toujours une autre lecture plus"urgente" liée à un challenge, une LC! Un vieil homme croit entendre chevaucher Frédéric II dans le royaume des Enfers. Un centurion marche vers une Rome gangrénée dont il devance l'agonie...

Edward Abbey : Désert solitaire : Et là pour les livres de Nature Writing, c'est Keisha la fautive et Folfaerie! Peu de livres ont autant déchaîné les passions que le livre que vous tenez entre les mains. Publié la première fois en 1968, Désert solitaire fait partie de ces rares livres dont on peut affirmer sans exagérer qu'il "changeait les vies"...

 Un si parfait jardin, un petit livre déniché par mon gendre, d'un auteur algérien  Sofiane Hadjadj , illustré par des photographies de Michel Denancé, photographe d'architecture. Le 21 Juin 2003, un mois après le terrible tremblement de terre qui frappe les environs d' Alger, Naghem L..., vient évaluer les dégâts occasionnés au célèbre jardin d' Essai.







 Jean Claude Michéa : le complexe d'Orphée, la gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès :  un essai prêté par des amis.  C'est que gauche et Droite ont rallié le mythe originel de la pensée capitaliste : cette anthropologie noire qui fait de l'homme un égoïste par nature






Enfin, toujours dans le cadre du challenge d'Ys, le roman de Toni Morrisson, Tar baby que je viens de finir et dont il faut que je rédige le billet.  Mais si j'ai bien compris, ce livre n'est plus dans ma PAL mais dans ma LAC, liste de livres à commenter.

*Petite note pour un Candide faisant ses premiers pas  dans nos blogs  : P.A.L =  Pile de livres à lire et comme rien n'arrête les blogueuses, elles ont aussi inventé la L.A.L  = liste de livres à lire.