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mercredi 15 juin 2011

Faut-il manger des animaux de Jonathan Safran Foer : L’ élevage industriel par



Je parlerai bientôt du livre de Jonathan Safran Foer : Faut-il manger les animaux? qui est une  somme exhaustive, lucide  et terrifiante des méfaits de l'élevage industriel sur les animaux, mais aussi  sur les humains et sur notre planète. Je n'avais jamais réalisé avant la lecture de ce livre  l'ampleur de la catastrophe écologique que ces grandes sociétés agro-alimentaires  toutes puissantes représentent pour l'Humanité.
Pour l'instant je cite des extraits du livre de Foer qui ne vous laissent entrevoir qu'une infime partie des problèmes que soulève ce genre d'élevage; Ici, la barbarie de l'abattage. Mais les souffrances de l'élevage proprement dit sont inimaginables, la pollution de l'environnement gravissime et les répercussions de cette viande gorgée d'antibiotiques et de bactéries sur notre santé épouvantables. C'est ce que nous explique Jonathan Foer.
Les enquêtes clandestines menées par des associations à but non lucratif sont l'un des moyens les plus efficaces permettant au public d'entrevoir les défauts de la gestion quotidienne des élevages et des abattoirs industriels.
les bovins :
Parlons clairement : les animaux sont saignés, écorchés et démembrés alors qu'ils sont encore conscients. Cela arrive tout le temps et l'industrie et les autrorités le savent. Plusieurs abattoirs accusés de saigner, démembrer ou écorcher des animaux vivants ont défendu leurs actes en répliquant que ces pratiques étaient courantes et ont demandé, peut-être non sans raison, pourquoi eux étaient particulièrement pris pour cible. (p281)
Les poulets
Tyson Foods* est un des principaux fournisseurs de KFC**. Une enquête réalisée sur un grand site de Tyson a révélé que certains ouvriers avaient coutume d'arracher la tête des oiseaux parfaitement conscients (avec l'autorisation explicite de leur contremaître), qu'ils urinaient dans la zone de suspension (y compris sur le tapis roulant qui convoie la volaille), et qu'ils utilisaient sans jamais la réparer un équipement d'abattage automatisé défectueux qui entamait le corps des poulets plutôt que leur cou..   (p229)
Il faut dire que ces hommes ne sont pas complètement responsables de ces actes, l'exploitation des employés dans un abattoir et leurs conditions de travail sont inhumaines et peuvent amener à cette forme de sadisme. Quant à ceux qui veulent conserver une humanité, la vitesse des cadences et du rendement ne leur permettent pas de traiter les animaux correctement.
Si le travail se déroule à la vitesse appropriée - 105 poulets mis en caisse en 3 minutes et demi par chaque employé- (...) les oiseaux seront manipulés sans ménagement et, m'a-t-on également indiqué, les employés sentiront souvent les os des pattes se briser sous leurs doigts.
Si aucun texte législatif ne protège les volailles, il existe en revanche des lois sur la façon de traiter les employés, or ce genre de travail  a tendance à produire des douleurs ... Aussi veillez à n'embaucher que des gens qui ne sont pas en position de se plaindre, des gens comme "Maria" qui travaille dans l'un des plus gros centres californiens de transformation des poulets ... Elle endure en permanence de telles souffrances qu'elle passe ses soirées les bras immergés dans une cuvette d'eau glacée.. (p171)
Entre la  vitesse de la chaîne qui a augmenté de près de  800%  en un siècle et un personnel mal formé qui travaille dans des conditions cauchamardesques, les erreurs sont inévitables. Les ouvriers des abattoirs connaissent les plus forts  taux de blessures  de tous les secteurs professionnels  -27% par an- et touchent de bas salaires pour tuer jusqu'à 2050 animaux par vacation. (p282)

A la fin de la chaîne :
Les poulets sont plongés dans une énorme cuve réfrigérée remplie d'eau, dans laquelle sont refroidis des milliers d'oiseaux en même temps. Tom Devine, du Government Accountablility Project, a déclaré que "L'eau des cuves a pu être qualifiée à juste titre de "soupe fécale" en raison des déchets et des bactéries qu'elle contient. (p 174)
On pourrait enfermer les poulets dans des sacs hermétiques pendant le stade de refroidissement pour éliminer la contamination mais :
 cela éliminerait aussi une occasion pour l'industrie de transformer l'eau souillée en dizaines de millions de dollars de poids supplémentaire dans les produits de volaille.




Citation Sur une idée de Chiffonnette

mardi 14 juin 2011

Gitta Sereny, Robert Merle, Jonathan Littell : Au fond des ténèbres




Dans son livre Au fond des ténèbres publié pour la première fois en 1974 et réédité chez Denoël en 2007, Gitta Sereny, journaliste hongroise installée à Londres, interviewe le commandant du camp de Treblinka, Frantz Stangl. Ce dernier, après avoir échappé à la justice en s'évadant à la fin de la guerre grâce à la filière du Vatican, a été retrouvé par Simon Wiesenthal, au Brésil. Jugé en 1970 en Allemagne, il a été condamné à la prison à vie. C'est là, alors qu'il attend son verdict en appel, que Gitta Sereny va le voir et réalise avec lui une série d'entretiens.
Le but de Gitta Sereny est d'essayer de comprendre comment un homme en apparence normal a pu être ainsi associé au mal absolu. Evaluer le passé d'un tel individu, analyser ses motivations, ses réactions d'adulte, apprendre comment il juge ses propres actes, "permettrait peut-être mieux de comprendre dans quelle mesure le mal est déterminé chez l'être humain par ses gènes, et dans quelle mesure il l'est par la société et son environnement."
Cet essai historique passionnant est minutieusement documenté, d'une intégrité totale, Gitta Serny refusant de se laisser gouverner par ses parti-pris et ses sentiments de rejet. La journaliste a vérifié toutes les assertions de Frantz Stangl, a croisé de nombreux témoignages, interrogeant l'épouse, les enfants, d'anciens SS qui ont été ses collaborateurs, des rescapés des camps d'extermination, des témoins extérieurs.
On éprouve une fascination presque morbide à voir cet homme ordinaire qui, placé dans d'autres circonstances, serait resté dans la "normalité", au demeurant bon époux et bon père de famille et à ses débuts fonctionnaire de police consciencieux, glisser progressivement vers la déshumanisation la plus totale, devenir "le meilleur des commandants des camps de Pologne", l'un des plus grands meurtriers de l'histoire de l'Humanité...
C'est comme si Gitta Sereny en sondant la mémoire de Frantz Stangl nous amenait au bord d'un abîme sans fond qui donne le vertige. Elle pose cette question angoissée que j'aurais tout simplement refusé d'envisager quand j'étais plus jeune, tant la frontière entre le Bien et le Mal me paraissait nette : Qu'aurions-nous fait à sa place? Il est tellement plus simple et plus rassurant de se dire que ceux qui ont agi ainsi sont des monstres. Gitta Sereny nous révèle tout simplement que le Mal peut être en chacun de nous et que c'est parfois une question de circonstances. Elle nous montre de quelle façon sournoise, insidieuse, le nazisme et son idéologie haineuse et perverse, corrompt tout, détruit la part d'humanité et cela aussi bien chez les bourreaux que chez les victimes. Témoin cette scène horrible racontée par un survivant où l'on voit les prisonniers s'inquiéter de l'arrêt momentané des convois de juifs à Tréblinka, ce qui signifie pour eux la famine et la mort :
"Notre moral était au plus bas quand Kurt Frantz a pénétré dans nos baraques le visage tout réjoui : "A partir de demain les convois recommencent" Et savez-vous ce que nous avons fait? Nous avons crié :"Hurah! Hurrah!. Ca semble incroyable aujourd'hui. Chaque fois que j'y pense, j'éprouve comme une petite mort".
Tout au long de ces entretiens Frantz Stangl refusera de se reconnaître coupable voire responsable. "J'ai la conscience nette sur tout ce que j'ai fait moi-même"
Une des intérêts de ce livre et pas le moindre est de montrer le fonctionnement sur deux niveaux de la conscience de cet homme. En fait, il était double : d'un côté l'administrateur irréprochable de Tréblinka, un parfait policier qui exécutait les tâches qui lui incombaient d'une manière parfaite; de l'autre un père idéal, un mari aimant. Comment était-ce possible? Parce qu'il n'était pas conscient de sa responsablité ou plutôt il s'interdisait de l'être). Il n'exerçait, d'après lui, aucune violence personnelle sur les juifs, ce n'était pas lui qui avait ordonné leur mort, ce n'était pas lui qui les poussait vers la chambre à gaz, ni lui qui infligeait des sévices aux prisonniers.
Pourtant à la fin des entretiens Gita Sereny lui demande de se regarder en face, de chercher la vérité.
"je n'ai jamais fait de mal à personne volontairement moi-même." a-t-il dit d'une voix indifférente, moins énergique, moins incisive, et de nouveau il a attendu un long moment. (..) Il a saisi des deux mains le rebord de la table comme pour s'y cramponner. "Mais j'étais là", a-t-il dit, alors avec résignation d'une voix curieusement sèche et lasse. Il lui fallut plus d'une demi-heure pour émettre ces quelques dernières phrases. Et finalement très bas : "Donc, en réalité, j'ai ma part de culpabilité".. 



Dès les années 50, Robert Merle publie un livre sur le commandant du camp d'Auschwitz, Rudol Hoess, qui devient sous le nom de Rudolf Lang, le personnage de : La Mort est mon Métier. Un roman, sorti trop tôt, qui fut mal accueilli en France où il heurta trop de tabous. Dans cette oeuvre fictionnelle et historique à la fois, Robert Merle s'appuie sur les entretiens de Hoess avec un psychologue américain Gilbert et sur des documents du procès de Nuremberg. Il arrive au même constat que Gitta Sereny. C'est ce qu'il explique dans la préface de l'édition de poche Folio datant de 1972 :
"Il a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait ça sont des allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s'écrier avec horreur, comme un prêtre que j'ai connu : "Mais c'est le démon! mais c'est le Mal!"
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion populaire.
"Qu'on ne s'y trompe pas : Rudolf Lang n'était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l'échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat, bref en homme de devoir: et c'est en cela justement qu'il est monstrueux.






Quant à Jonathan Littell dans Les Bienveillantes, il fait dire à un SS, personnage fictif mais qui ressemble beaucoup à Frantz Stangl :
"Comme pour la plupart je n'ai jamais demandé à devenir un assassin"(...) et j'ai passé les sombres bords, tout ce mal est entré dans ma propre vie, et rien de tout cela ne pourra être réparé jamais. Les mots non plus ne servent à rien, ils disparaissent comme de l'eau dans le sable, et ce sable emplit ma bouche. Je vis, je fais ce qui est possible. Il en est ainsi de tout le monde, je suis un homme comme les autres, je suis un homme comme vous. Allons, puisque je vous dis que je suis comme vous!"



vendredi 10 juin 2011

Montaigne: Le philosophe sur les deux tours de Notre-Dame



Dans le chapitre de l'Apologie de Raymond de Sebond, Michel de Montaigne décrit la faiblesse de l'homme qui dans son outrecuidance croit être maître du monde alors qu'il est dominé par ses sens, précieux intermédiaires entre le monde et lui mais certainement insuffisants pour lui permettre de porter un jugement valable sur ce qui l'entoure.
Quant à l'erreur et l'incertitude de l'opération des sens, chacun peut s'en fournir autant d'exemples qu'il lui plaira, tant les fautes et les tromperies qu'ils nous font sont ordinaires.
Une idée philosophique qui n'est pas nouvelle même à l'époque de Montaigne et qui a fait et fait toujours l'objet d'un débat à la fois scientifique et philososophique. De plus, Montaigne dénonce aussi l'insuffisance du nombre de nos sens.
"Nous avons formé une vérité par la consultation et concurrence de nos cinq sens; mais à l'aventure fallait-il l'accord de huit ou de dix sens et leur contribution pour l'apercevoir certainement et en son essence."
Il aborde ici l'idée qui est restée même de nos jours sous forme d'hypothèse -puisqu'il semble que nous ne puissions aller plus loin dans nos connaissances- que l'homme n'exploite, faute de savoir le faire, qu'une infime partie de ses possibilités.
La piperie des sens autrement dit le fait que l'homme soit trompé, abusé par ces sens, Montaigne nous en donne de nombreux exemples toujours illustrés concrètement et de manière vivante. J'ai retenu ce passage.
Qu'on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clairsemés, qui soit suspendue au haut des tours de Notre-Dame de Paris, il verra par raison évidente qu'il est impossible qu'il en tombe, et si, ne se saurait regarder (s'il n'a accoutumé le métier des recouvreurs) que la vue de cette hauteur extrême ne l'épouvante et ne le transisse. (...) Qu'on jette une poutre entre ces deux tours, d'une grosseur telle qu'il nous la faut à nous promener dessus : il n'y a sagesse philosophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y marcher comme nous le ferions si elle était à terre .
Plus encore que la vue ce que Montaigne dénonce ici, c'est l'imagination, la mauvaise imagination, "la folle du logis", toute puissante, celle qui nous tourmente inutilement, nous fait souffrir en nous faisant voir des choses qui n'existent pas, en nous projetant dans les affres de l'avenir :
Le sang-froid de certains devant la mort vient d'un manque d'imagination, ils meurent mieux parce qu'ils ne meurent pas avant dit Pradines
L'imagination vécue comme une faiblesse, une torture de l'esprit. Oui, mais..
Lors de mes voyages à Paris, quand je passe devant Notre-Dame, je ne manque jamais de lever les yeux vers les tours de la cathédrale. Ce que j'y vois? Un petit bonhomme  vêtu de noir, un peu chauve, la fraise autour du cou, avançant, les bras en balancier, sur la poutre du philosophe tendue au-dessus de l'abîme. Un petit bonhomme pas fier de lui qui chancelle. Passera, passera pas? La question reste entre lui et moi car personne d'autre ne le remarque. Et là, je pense à l'imagination, la bonne, la créatrice, celle qui est à l'origine de la littérature, de l'oeuvre d'art, celle qui met de la fantaisie et de la joie dans notre vie et je le laisse là, le philosophe, sur sa poutre jusqu'à la prochaine fois.

La sagesse de Montaigne




Comme la sagesse de Montaigne nous paraît simple, banale, voire peu héroïque. Nous nous imaginons qu'elle  est aisée à mettre en pratique. Et pourtant! Essayez un peu et vous verrez! Ne vivrions-nous pas plus heureux si nous parvenions à la faire nôtre.

Il n'est rien de si beau et de si légitime que de bien faire l'homme et dûment, ni science plus ardue que de bien et naturellement savoir vivre sa vie. (Livre III chapitre 13)

"Je n'ai rien fait aujourd'hui?" Quoi, n'avez-vous pas vécu? C'est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de vos occupations. (Livre III chapitre 13)

Je n'ai eu besoin que de la suffisance de me contenter qui est pourtant un règlement d'âme, à bien le prendre, également difficile en toute sorte de condition. (Livre II chapitre 17)

Sur une idée de Chiffonnette

Le bonheur selon Montaigne



J'ai un dictionnaire tout à part moi : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m'y tiens. Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l'usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et échapper, de la passer, gauchir, et, autant qu'il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et dédaignable.
Principalement à cette heure que j'aperçois la mienne si brève en temps, je la veux étendre en poids; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l'usage compenser la rapidité de son écoulement; à mesure que la possession de vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine.
                                                                                           Livre III chapitre 13
56270471_p.1283356242.gif par Chiffonnette.

Montaigne, les blogueuses et la critique



Il paraît que les blogueuses qui tiennent des blogs littéraires sont plus nombreuses que les blogueurs.  Il paraît aussi qu'elles ne devraient pas se parer d'un mot aussi noble : littéraire! Quelle outrecuidance, en effet! De là à les renvoyer à leur vaisselle ou à leur repassage, il n'y a qu'un pas... vite franchi.  Et oui! Surtout lorsqu'elles osent écrire qu'elles n'aiment pas le livre de ces messieurs (les  écrivains, du moins ceux qui sont mal embouchés!) et qu'elles semblent faire ombrage aux critiques de profession.
Vous ne me croyez pas? Et bien allez voir le blog de Cynthia et ses contes défaits ( ici    et là  ) qui a eu le malheur de ne pas apprécier un roman publié aux éditions Alphée!!
Pourtant ces blogueuses ne prétendent à rien d'autre que ce que dit Montaigne dans son blog * :

Chapitre X : Les livres
Je ne fais point de doute qu'il ne m'advienne souvent de parler de choses qui sont mieux traitées chez les maîtres du métier, et plus véritablement. C'est ici purement l'essai de mes facultés naturelles et nullement des acquises; et qui me surprendra d'ignorance, il ne fera rien contre moi, car à peine répondrai-je à autrui de mes discours, qui ne m'en réponds point à moi; ni n'en suis satisfait. Qui sera en cherche de science, si la pêche où elle se loge: il n'est rien de quoi je fasse moins de profession. Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point de donner à connaître les choses, mais moi..."
 Je dis librement mon avis de toutes choses, voire et de celles qui surpassent à l'aventure ma suffisance, et que je ne tiens être aucunément de ma juridiction. Ce que j'en opine, c'est aussi pour déclarer la mesure de ma vue, non la mesure des choses.

*appelé : Les Essais

Car Michel de Montaigne aurait été blogueur, bien sûr! D'abord parce qu'il était ouvert à toutes les nouveautés, parce qu'il se plaisait à échanger des idées à tel point, disait-il, qu'il aurait préféré être aveugle plutôt que sourd ou muet. Ensuite, parce qu'il aimait lire et que, pour  subvenir un peu à la trahison de "sa" mémoire, il annotait ses livres et écrivait un petit résumé de ses idées à la fin de chacun, enfin parce que son écriture à sauts et à gambades aurait pu se déployer librement sur le web.
Librement?

Montaigne : encore une nouvelle "traduction" des Essais


Une nouvelle "traduction" des Essais en français contemporain vient de paraître. Il s'agit d'un livre intitulé Vivre à propos traduit du japonais par Pascal Hervieu aux éditions Flammarion, préfacé par Michel Onfray.
Oui, vous avez bien lu : "traduit du japonais" : accéder à Montaigne par le biais d'une traduction, voilà qui a de quoi surprendre! mais après tout pourquoi pas? Je suis d'avis que tout est bon pour connaître Montaigne : "et que le japonais y arrive si le français n'y peut aller"!*
N'ayant pas lu  cette traduction je serais bien en mal de vous dire ce que j'en pense mais je vous livre ici des extraits de l'article que Dominique consacre à cette traduction dans son blog  littéraire A sauts et à gambades dont le titre est un hommage à notre grand Montaigne, blog  que vous aurez ainsi le plaisir de découvrir :
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Michel Onfray (...) est lui aussi un grand admirateur de Montaigne, les heures qu’il lui a consacrées et que l’on peut retrouver dans sa Contre-Histoire de la philosophie sont là pour en témoigner.
Que nous propose-t-il ici ?  A première vue une idée folle et saugrenue, accéder à Montaigne par le détour d’une traduction.
Montaigne est difficile d’accès certes, mais qu’en font les américains, les hongrois, les japonais ? Ils lisent et admirent Montaigne en n’ayant pas accès à la langue d’origine.
Le pari fou tenté et à mon sens réussi c’est celui de la traduction d’une traduction de deux des chapitres majeurs des Essais. Pascal Hervieu à partir de la traduction en japonais
Pascal Hervieu a utilisé les traductions des trois plus grands écrivains japonais traducteurs de Montaigne, Pour Sekine Hideo, ce fut l’oeuvre de toute une vie. Il a traduit à l’aveugle, sans se référer au texte français, une année lui fut nécessaire pour traduire ces deux essais. des Essais, à fait un nouveau travail de traduction vers le français, un français actuel.

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Qui perd et qui gagne dans l’aventure ?
Le gain évident le lecteur se sent moins intimidé, la lisibilité est plus grande, il y a un accès immédiat à l’idée sans le détour d’un vocabulaire parfois rare, sans tournures de phrases inusitées aujourd’hui, c’est à mon avis un accès intéressant pour une première lecture de Montaigne, pour une approche simple, sans barrière.
Ai-je l’impression d’une perte? oui, ma réponse eut été très différente quelques années en arrière, après des lectures multiples et aidées par des accompagnateurs (Marcel Conche,Jean Starobinsky, Michel Onfray etc.) je trouve aujourd’hui belle, voire familière, la langue de Montaigne, s’en priver est dommage.
Mais... car il y a un mais, si la langue doit faire barrage, faut-il se passer de la lecture ou faut-il adapter la langue sans la trahir, je suis résolument pour la seconde solution et c’est en cela que j’applaudis le travail de Pascal Hervieu. Le texte n’est en rien dénaturé, il y gagne parfois beaucoup en clarté, des choix ont été fait par le traducteur, la pensée de Montaigne est préservée me semble-t-il.
* "Et que le gascon y arrive si le français n'y peut aller"

De Montaigne à Cees Nooteboom : Les raisons de mes voyages

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Je pars en Espagne : Madrid, Galice, Asturies.. Et voilà que je me projette déjà dans l'avenir, que j'imagine avec une hâte impatience mes retrouvailles avec Madrid et la découverte de régions nouvelles. Comment expliquer que le voyager soit un tel besoin?
Comme toujours, dans toutes circonstances de ma vie, je feuillette Les Essais et c'est bien sûr là qu'est la réponse :
Dans le chapitre IX  du livre III, Montaigne explique, à propos du voyage, qu'il cherche à fuir le gouvernement de sa maison qui est un plaisir trop uniforme et languissant ainsi que les pensements fâcheux concernant le monde qui l'entoure. Mais lorsqu'on lui demande pourquoi il voyage, il a cette réponse lucide :
Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent la raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche.
Pourtant malgré cette réponse, il trouve de nombreuses raison de voyager :
Si on me dit que parmi les étrangers, il peut y avoir aussi peu de santé, et que leurs moeurs ne valent pas mieux que les nôtres, je réponds, premièrement qu'il est malaisé "tant le crime s'est multiplié parmi nous!" (Virgile) et secondement, que c'est toujours gain de changer un mauvais état à un état incertain, et que les maux d'autrui ne nous doivent point poindre comme les nôtres.
J'estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un Polonais comme un Français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune.
Outre ces raisons, le voyager me semble être un exercice profitable. L'âme y a une continuelle exercitation à remarquer des choses inconnues et nouvelles. Et je ne sache point meilleure école à façonner la vie que de lui proposer incessamment la diversité de tant d'autres vies, fantaisies et usances et lui faire goûter une si perpétuelle variété de formes de notre nature.
Quant à sa manière de voyager :
Nulle saison m'est ennemie, que le chaud âpre d'un soleil poignant... J'aime les pluies et les crottes comme les canes.
S'il fait laid à droite, je prends à gauche; si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m'arrête... Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi, j'y retourne; c'est toujours mon chemin. Je ne trace aucune ligne certaine, ni droite, ni courbe,
... je pérégine très saoul de nos façons, non pour chercher des Gascons en Sicile, j'en ai assez laissé au logis; je cherche des grecs plutôt ou des persans; j'accointe ceux-là, je les considère; c'est là où je me prête et je m'emploie. Et qui plus est, il me semble que je n'ai rencontré guère de manières qui ne vaillent les nôtres.
Cependant, si je consulte Montaigne avant de partir, c'est avec Cees Nooteboom que je voyagerai cette fois-ci, en Espagne, dans les régions que je vais découvrir : Le labyrinthe du pèlerin ou Mes chemins de Compostelle
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Je rencontre chez l'auteur néerlandais des désirs d'Espagne qui font écho à ceux de Montaigne :
Alors, je ne suis plus là, d’autres lois régissent ma vie : le voyage, la sensation grisante de dépaysement, le besoin de collectionner ce qui est autre.
Ou encore la même façon d'éviter la ligne droite, de retourner sur ses pas, de se fier au hasard. Pour Cees Nooteboom, en effet, les chemins se divisent comme les fils d'une corde...
Mes flèches ne peuvent voler en ligne droite, toujours s'interpose quelque chose qui m'écarte de l'itinéraire prévu, lequel apparaîtra plus tard comme un seul long voyage, le détour comme parcours".
... et forment un labyrinthe!
Mon voyage est devenu un détour fait d'une d’une multiplicité de détours dont je trouve toujours le moyen de m'écarter.
Pourtant que de différences entre le Gascon si "expert" en "véritable amitié" et le Néerlandais austère et solitaire !
Si Montaigne au cours de ses périgrinations ne souhaitent pas s'encombrer d'une compagnie importune, ennuyeuse, il n'est jamais aussi heureux que de rencontrer un honnête Homme, d'entendement ferme, et de moeurs conformes aux vôtres,qui aime à vous suivre.
Nul plaisir n'a saveur pour moi sans communication; Il ne me vient pas seulement une gaillarde pensée à l'âme, qu'il ne me fâche de l'avoir produite seul, et n'ayant à qui l'offrir.
Très loin donc du désir de Cees Nooteboom à la recherche du silence, du vide, du temps suspendu, d'une Espagne qui ne se laisse pas facilement approcher :
L’Espagne, surtout dans ces régions, demande que l’on se donne du mal. Il faut la conquérir, parcourir de longues distances. Le caractère espagnol a quelque chose de monacal, même leurs grands rois sont un peu des anachorètes : Philippe II et Charles Quint firent construire des couvents pour eux-mêmes et vécurent très longtemps le dos tourné au monde qu’ils devaient gouverner.
Cees Nooteboom mène donc une quête spirituelle sans Dieu, à la recherche de lui-même :
Non pas en pèlerinage vers l’apôtre, comme le firent les autres, mais plutôt pour retrouver l’ombre de ce que je fus, pour revenir sur les traces d’un voyage passé. En quête de quoi ? L’une des rares constantes de ma vie, c’est mon amour – il n’existe pas d’autre mot – pour l’Espagne. Femmes et amis ont disparu de mon existence, mais un pays ne s’en va pas.
Je parcours ce pays depuis trente ans et je ne vois jamais la fin du voyage .

Quoi de neuf Montaigne?


Je lis dans Le Monde du 28 Février 2009 un article sur Montaigne  de Vincent Roy annonçant la traduction des Essais de Montaigne en français moderne*

Lecteur neuf, ce livre de bonne foi est pour toi : voilà Montaigne adapté, "traduit" en français moderne ! Tu t'y trouveras de plain-pied avec le caracolant auteur des Essais. Finis, comme l'écrivait Marc Fumaroli ("Le Monde des Livres" du 15 juin 2007), "l'orthographe escogriffe" et les "Himalayas de notes" des éditions savantes, dont on ne déniera sûrement pas l'intérêt scientifique. Mais il y a du profit au change. (...)

"Quoi de neuf ? Montaigne. Voilà le message secret du philologue, dialectologue et médiéviste André Lanly, disparu en 2007, qui, pendant quinze ans, adapta en français moderne et non en français modernisé, Les Essais. Lanly, et c'est le tour de force, n'a pas touché à la structure de la phrase de Montaigne. Il a restauré des mots, non parce qu'ils manquaient, mais parce que leur couleur n'était plus visible pour l'oeil d'aujourd'hui, parce que leur intensité n'était plus perceptible. Alors il s'est attaché à leur donner un éclat nouveau ; il a restitué leur radiation, leur rayonnement.
*Adaptation d'André Lanly, Gallimard, "Quarto", 1 354 p., 29,50 €.
Je vous invite à lire l'article complet de Vincent Roy : Quoi de neuf?

Montaigne : De la conscience




Dans le chapitre V du livre II intitulé : De La conscience le propos de Michel de Montaigne est clair : il analyse le rôle de la conscience morale qui nous fait souffrir quand nous nous sentons coupable :
La méchanceté fabrique des tourments contre soi : comme la mouche guêpe pique et offense autrui, mais plus soi-même, car elle y perd son aiguillon et sa force pour jamais..
conscience qui, au contraire, nous donne assurance et confiance quand nous nous sentons innocent :
Et je puis dire avoir marché en plusieurs hasards d'un pas bien plus ferme, en considération de la secrète science que j'avais de ma volonté et innocence de mes desseins.
Cette considération l'amène à peser la question de la légitimité de la torture (les géhennes) en usage à cette époque pour déterminer l'innocence ou la culpabilité d'une personne, pratique qui est fondée sur l'idée que l'innocent qui a sa conscience pour lui est plus fort pour résister à la souffrance que celui qui se sent coupable!
Pour dire vrai, c'est un moyen plein d'incertitude et de danger. Que ne dirait-on, que ne ferait-on pour fuir à de si grièves douleurs  conclut Montaigne.
Et il ajoute cette phrase  qui a presque une résonnance à la Voltaire :
Car il advient que celui que le juge a géhenné pour ne le faire mourir innocent, il le fasse mourir innocent et géhenné.
Pourtant au-delà de ces considérations philosophiques,  le récit qui ouvre ce chapitre retient particulièrement mon attention :
Voyageant un jour, mon frère sieur de la Brousse et moi, durant nos guerres civiles, nous rencontrâmes un  honnête gentilhomme et de bonne façon. Il était du parti contraire au nôtre, mais je n'en savais rien, car il contrefaisait autre. Et le pis de ces guerres, c'est que les cartes sont si mêlées, votre ennemi n'étant distingué d'avec vous de aucune marque apparente, ni de langage, ni de port, ni de façon, nourri en mêmes lois, moeurs et même foyer, qu'il est malaisé d'y éviter confusion et désordre. Cela me faisait craindre à moi-même de rencontrer nos troupes en lieu où je ne fusse connu, pour n'être en peine de dire mon nom, et de pis à l'adventure, comme il m'était autrefois advenu ; car en un tel mécompte je perdis et hommes et chevaux, et m'y tua lon misérablement entre autres un page, gentilhomme italien, que je nourrissais soigneusement; et fut éteinte en lui une très belle enfance et pleine de grande espérance. Mais, cettui-ci* en avait une frayeur si éperdue, et je le voyais si mort à chaque rencontre d'hommes à cheval et passages de villes qui tenaient pour le roi, que je devinai enfin que c'étaient alarmes que sa conscience lui donnait. Il semblait à ce pauvre homme qu'au travers de son masque et des croix de sa casaque on irait lire juques dans son coeur ses secrètes intentions  tant est si merveilleux l'effort de la conscience. Elle nous fait trahir, accuser et combattre nous-même, et, à faute de témoin étranger, elle nous produit contre nous "nous servant elle-même de bourreau et nous frappant d'un fouet invisible".**
J'aime ces récits pleins de vie qui interviennent très souvent dans les Essais pour illustrer une idée philosophique et qui nous font pénétrer de plein pied dans l'Histoire de ce  XVIème siècle, qui nous font vivre comme si nous y étions l'époque terrible de ces guerres de religion, guerres civiles où rien ne distingue l'ami de l'ennemi, miroir qui nous renvoie l'image de notre monde actuel déchiré par les mêmes haines, les mêmes fanastismes.
Pour comprendre ce récit il faut se souvenir qu'il n'y eut pas moins de huit guerres de religion en France dans la seconde moitié du XVIème siècle opposant protestants et catholiques. Les idées nouvelles de la Réforme surgissent dès les années 1520  et sont suivies de persécution. Les querelles religieuses se doublent d'un conflit politique, certaines grandes familles de la noblesse - le prince de Condé, l'amiral de Coligny- épousant la cause de la Réforme pour lutter contre le pouvoir royal.
La première guerre de religion débute en 1562 et finit avec le siège de Rouen en 1563.  La deuxième a lieu de 1567 à 1568, la troisième de 1568 à 1570, la quatrième guerre, de 1572 à 1573...
Montaigne s'est retiré dans sa librairie en 1571, période de réflexion et de travail qui durera  jusqu'en 1580 date à laquelle aura lieu la première publication des Essais. Mais de 1572 à 1574 il rejoint l'armée du duc de Montpensier qui l'envoie en mission auprès du parlement de Bordeaux.
Il semble que Montaigne ait rédigé l'essentiel du premier livre et les six premiers chapitres du livre II des Essais (dont celui de la Conscience) de 1572 à 1574. Tout porte à croire, donc, que les deux évènements dont parle l'auteur dans ce passage aient eu lieu entre la première ou deuxième guerre pour la mort du page et  la troisième pour la rencontre avec la protestant? La quatrième guerre est trop récente pour justifier les termes : Voyageant un jour... Mais je ne suis pas historienne et je ne puis l'affirmer!
Ce qui me plaît surtout ce sont les questions que je me pose à propos du texte et qui ne recevront jamais de réponse.
Nous voyons une action qui se déroule devant nous mais qui s'arrête car le propos de Montaigne n'est pas de nous raconter sa vie mais de réfléchir à partir de l'anecdote qu'il nous rapporte. Pourtant, l'histoire a eu une suite, une fin, une sorte de hors champ temporel qui lui donne une autre dimension, un prolongement muet.
Il y a tout qui n'est pas dit dans le texte, frustration à laquelle notre imagination va suppléer de sorte que ce texte pourrait devenir le sujet d'un roman ou d'une enquête : Que faisait ce gentilhomme protestant en pays catholique? Qui était-il? D'où venait-il? Qui essayait-il de rejoindre? Comment a-t-il eu l'idée de se joindre à la suite de Montaigne? Est-ce qu'il a été protégé jusqu'au bout? Montaigne l'a- t-il dénoncé? Comment a réagi le frère de Montaigne? Son entourage? Comment s'en est-il sorti?
Et il y a aussi ce que cela révèle du caractère de l'auteur : Michel de Montaigne est, en effet, catholique, fidèle à son roi, il a été courtisan, a prêté  le serment en 1562- sans y avoir obligation- d'adhérer au formulaire catholique présenté par la Sorbonne.  Catholique donc! et il entend le rester moins par conviction que par refus de la nouveauté; il est plus facile de rester dans le parti où l'on est né, dit-il, que d'en changer! Conservatisme, diront les uns. Moi, j'y vois surtout le refus du fanatisme.
Et ce récit en est la preuve! Car le voici découvrant dans cet homme qui voyage avec lui, un protestant! Nous sommes  en plein milieu de guerres fratricides qui ont entraîné massacres et violences.  Il serait normal que la haine attise la haine. Pourtant ce que Montaigne éprouve envers cet homme, c'est de la pitié et même de l'empathie : Il semblait à ce pauvre homme... Ce qu'il éprouve c'est de l'incompréhension, de la tristesse, face à l'absurdité de la guerre qui doit nous amener à haïr notre voisin sous prétexte qu'il est du parti contraire au nôtre et ceci même si on le tient pour un  honnête gentilhomme et de bonne façon.
Ce qu'il tire de cette histoire c'est une leçon de philosopohie qui l'amène à cette prise de position courageuse contre la torture et à la critique de la justice qu'il est le seul à avoir osé présenter lors d'une visite royale.
Je me donne alors le plaisir d'avoir au moins une réponse à une de mes questions : Non! Montaigne n'a pas livré ce gentilhomme protestant aux soldats du roi!
* cettui-ci : le gentilhomme protestant ; **Juvénal

Montaigne : la guerre pour témoignage de notre imbécillité



Les hommes et les animaux ont beaucoup en commun.  C'est ce que constate Michel de Montaigne dans L'Apologie de Raymond de Sebond ... Mais les animaux sont-ils inférieurs ou supérieurs aux hommes?
 Tout d'abord, si l'homme veut se prévaloir de son intelligence, il doit savoir que celle-ci n'est pas moindre chez les animaux :

"En la manière de vivre des thons, on y remarque une singulière science  des trois parties de  la Mathémathique.(...) Quant à la Géométrie et l'Arithmétique, ils font toujours leur bande de figure cubique,  carrée en tout sens, et en dressent un corps de bataillon solide, clos et environné tout à l'entour, à six faces toutes égales.."

D'autres arguments font pencher la balance en faveur de l'infériorité de l'homme  mais il sont parfois un peu surprenants :

La beauté :
"Celles (les bêtes) qui nous retirent* le plus, ce sont les plus laides et les plus abjectes de toute la bande : car, pour l'apparence extérieure et forme du visage, ce sont les magots et le singe (...) Pour le dedans et parties vitales, c'est le pourceau. Certes, quand j'imagine l'homme tout nu (Ouï en ce sexe qui semble avoir plus de part pour la beauté), ses tares, sa sujétion naturelle et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raison que nul autre animal de nous couvrir. Nous avons été excusables d'emprunter ceux que  nature avait favorisés en cela plus qu'à nous, pour nous parer de leur beauté et nous cacher sous leur dépouille, laine, plume, poil, soie."

* retirer = ressembler  *Ouï  en ce sexe... = à l'exception de ce sexe (féminin)

La génération : l'action d'engendrer
"La génération est la principale des actions naturelles :  Nous avons quelque disposition des membres qui nous est plus propre à cela; toutefois ils (les médecins) nous ordonnent de nous ranger à l'assiette et disposition brutale*, comme plus  effectuelle*. Et rejettent comme nuisibles ces mouvements indiscrets et insolents que les femmes y ont mêlé de leur cru, le ramenant  à l'exemple et usages des bêtes  de leur sexe, plus modeste et plus rassis : "Car la femme s'empêche de concevoir si, lascive, elle stimule l'amour de l'homme par ses déhanchements et fait jaillir de son corps disloqué les flots de sa liqueur; elle écarte ainsi le soc de la ligne droite du sillon et détourne de son but le jet de la semence" * 
* disposition brutale =  la manière de s'accoupler des bêtes           *effectuelle = efficace     * citation de Lucrèce 
Mais  c'est l'argument suivant, prouvant définitivement la sottise de l'homme, qui me paraît le plus  convaincant. Jugez plutôt!

La guerre :
"Quant à la guerre, qui est la plus grande et pompeuse des actions humaines, je saurais volontiers si nous  nous en voulons servir pour argument de quelque prérogative, ou, à rebours, pour témoignage de notre imbécillité et imperfection; comme de vrai la science de nous entredéfaire et entre-tuer, de ruiner et perdre notre propre espèce, il semble qu'elle n'a pas beaucoup de quoi se faire désirer aux bêtes qui ne l'ont pas."

Finalement la balance ne penche pas en faveur des hommes...
.. nous avons pour notre part l'inconstance, l'irrésolution, l'incertitude,  le deuil, la superstition, la sollicitude des choses à venir*, voire, après notre vie,  l'ambition, l'avarice; la jalousie, les appétits déréglés, forcenés et indomptables, la guerre, le mensonge, la déloyauté, la détraction et la curiosité. Certes, nous avons étrangement surpayé ce beau discours* de quoi nous nous glorifions, et cette capacité de juger et de connaître, si nous l'avons achetée au prix de ce nombre infini de passions auxquelles nous sommes incessamment en prise.
* la sollicitude des choses à venir = la crainte de l'avenir    *ce beau discours = la raison

Montaigne : chacun appelle barbarie


Ce qu'il y a de passionnant chez Michel de Montaigne, c'est que ses Essais vont toujours retentissant de tout ce qui se passe autour de lui, non seulement dans le royaume de France, mais aussi loin qu'il puisse aller à son époque dans l'espace terrestre, dans ce monde que l'on dit Nouveau, livré à la concupiscence et la cruauté de ses Conquérants. Or ces interrogations sur les peuples de ces contrées lointaines, pour qui il éprouve curiosité et bienveillance, sont autant d'occasions pour lui de mettre en lumière les barbaries et les atrocités de son propre pays. N'oublions pas que le massacre de la Saint Barthélémy vient d'avoir lieu (1572), que les guerres de religion font rage, que le génocide des  premières nations américaines a commencé, que l'obscurantisme religieux et l'intolérance règnent autour de lui... Comme dans un jeu de miroirs, sa pensée se réfléchit dans l'Espace au-dessus de l'océan, du Monde Nouveau à l'Ancien, mais aussi à l'infini, et cette fois-ci dans le temps, de son époque à la nôtre... comme si la voix de Montaigne n'avait jamais cessé de résonner.
Or je trouve, pour en revenir à mon propos qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas conforme à son usage; à vrai dire, il semble que nous n'ayons d'autre critère de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et des usages du pays où nous sommes.
Montaigne cherche à comprendre ces peuples à travers leurs représentants qui ont été été amenés en France, "ignorant  combien coûtera un jour à leur repos et leur bonheur la connaissance des corruptions de notre monde..". Et ce faisant, il nous montre la relativité des moeurs et des coutumes pour mieux nous inciter à la Tolérance. On verra comment la critique s'adresse à son temps et par certains aspects au nôtre. Voici un exemple parmi tant d'autres :
Le roi (Charles IX) leur parla longtemps; on leur fit voir notre façon d'être, notre pompe, l'aspect d'une belle ville. Après cela quelqu'un demanda leur avis à tout cela et voulut savoir d'eux ce qu'ils avaient trouvé de plus surprenant; ils répondirent trois choses, dont j'ai oublié la troisième, et je le regrette bien; mais j'ai encore deux en mémoire. Ils dirent qu'ils trouvaient en premier lieu étrange que tant d'hommes grands, portant la barbe, forts et armés, qui étaient autour du roi (il est vraisemblable qu'ils parlaient des Suisses de la garde) acceptent d'obéir à un enfant, et qu'on ne choisisse pas plus tôt l'un d'entre eux pour commander; secondement (ils ont une façon de parler telle qu'ils nomment les hommes "moitié" les uns des autres) qu'ils avaient remarqué qu'il y avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de privilèges, et que leurs moitiés mendiaient à leurs portes, décharnés de faim et de pauvreté; et ils trouvaient étrange la façon dont ces moitiés nécessiteuses pouvaient supporter une telle injustice, sans prendre les autres à la gorge ou mettre le feu à leurs maisons.
Pas si bêtes, ces "sauvages"! C'est ce que nous dit Montaigne qui termine son essai par cette pointe aussi ironique que  brillante :
Tout cela ne va pas trop mal: mais quoi, ils ne portent point de hauts-de-chausses!

Essai des Cannibales Livre 1 chapitre 31

Montaigne : J’accuse toute violence..




"J'accuse toute violence en l'éducation d'une âme tendre, qu'on dresse pour l'honneur et pour la liberté."*
Telle est la conception que Montaigne se fait de l'éducation. Elle doit s'adresser à l'âme de l'enfant, pas seulement à son esprit ou à sa mémoire, et ceci quand il est tout jeune c'est à dire à l'âge tendre. Montaigne joue sur la polysémie du mot tendre qui évoque aussi une matière malléable, qui n'a pas encore pris sa forme, une cire prête à subir une empreinte définitive ou encore une argile que l'on façonnera à son gré. De là, la fragilité de l'enfance car si cette âme peut-être modelée pour le  bien, elle peut l'être aussi pour le mal. "Dresser" n'a pas ici un sens péjoratif  et ne renvoie pas à l'idée de "dressage" d'un animal, par la contrainte, sans appel à l'intelligence et la réflexion. Au contraire, il fait référence à l'étymologie latine directus : droit  que l'on peut retrouver dans droiture ou le droit chemin. Il s'agit d'amener  le jeune  enfant à respecter l'honneur et la liberté, à le rendre "droit". Le mot violence encore renforcé par le verbe "j'accuse" et l'adjectif indéfini "toute" est donc mis en antithèse avec les  deux termes "honneur et liberté" présentés comme le but de l'éducation.  L'une ne peut conduire aux deux autres. Le mot éducation retrouve son sens premier : éduquer,  "conduire",  amener en douceur vers l'honneur et la liberté, valeurs humanistes dont le sens est toujours d'actualité...
 "Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur et la contrainte, et tiens que ce qui peut se faire par la raison, et par prudence et adresse, ne se fait jamais par la force."*
Bien sûr, il s'agit d'un idéal chevaleresque, celui d'un noble hobereau qui entend transmettre ses valeurs aux enfants de son lignage et il ne saurait concerner le peuple à l'époque de Montaigne. Il faudra bien des siècles pour que cette maxime fasse force de loi et que les châtiments corporels soient interdits dans les familles comme à l'école, tout au moins dans notre pays...
Comment Montaigne s'est-il comporté avec ses propres enfants?  Ne serait-il comme Jean- Jacques Rousseau qui écrit  un fort beau traité d'éducation, L'Emile, et met ses propres enfants à l'assistance publique?
Au XVIème siècle, les nobles envoyaient leurs enfants en nourrrice jusqu'à l'âge de raison, c'est à dire sept ans. Montaigne considérait effectivement que "les enfants à peine encore nés, n'ayant ni mouvement en âme,ni forme reconnaissable au corps, par où ils se puissent rendre aimables" étaient peu intéressants. Pour lui, s'amuser comme on le fait "aux jeux et niaiseries de nos enfants" quand ils sont en bas âge, c'est les aimer "pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes". Cette conception de l'enfance était  souvent encore celle de la société jusqu'au XIXème siècle.
Michel de Montaigne eut quatre filles mortes en nourrice. Seule Léonor, née 1571, survécut.
"... mais une seule fille qui eschappée à cette infortune a atteint six ans et plus, sans qu'on ait employé à sa conduite et pour le châtiment de ses fautes puériles, l'indulgence de sa mère s'y appliquant aisément, autre chose que paroles, et bien douces."
Montaigne, lui-même fut élevé par un père tendre et bon qui a cherché dit-il à "élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et sans contrainte."** C'est de cette manière qu'il a appris le latin et le grec et qu'il était réveillé en musique, le matin, par des parents soucieux de ne pas le troubler en l'arrachant brusquement au sommeil. Vision du petit garçon, Montaigne, ouvrant les yeux au son de l'épinette ou la viole de gambe ...
* Montaigne dans le chapitre VIII Livre II De l'Affection des pères aux enfants.
** Chap XXVI Livre I De l'institution des enfants

Montaigne : Notre monde vient d’en trouver un autre…

 Michel de Montaigne


"Notre monde vient d'en trouver un autre..." écrit Montaigne dans son essai intitulé Des coches.
La simplicité, la pureté de l'énoncé ainsi que le passé proche "vient de trouver" nous frappent comme s'il s'agissait d'une nouvelle apprise la veille que cet homme du XVIème siècle nous  transmettait dans la première surprise de la découverte.
J'ai toujours été touchée par la beauté de ces quelques mots détachés d'une longue phrase. Ils résonnent comme un vers  de dix syllabes:
Notre monde vient d'en trouver un autre...
Et ce vers présente une belle symétrie: Notre monde en balance avec un autrecomme posés sur deux plateaux mais pourtant en déséquilibre. L'un pèse plus lourd, 3 syllabes prolongé par le e muet de monde, l'autre plus léger, 2 syllabes avec l'écho menu du e muet de l'autr(e), écho plein de promesses. L'un est appuyé par l'adjectif possessif "notre" qui lui donne le poids des choses connues et anciennes, l'autre est introduit par un article indéfini "un" car il est inconnu, nouveau.. et c'est peut-être pour cela qu'il exerce un tel attrait. Il évoque de grands espaces, il fait naître des images de paysages vierges, de peuples vivant dans la nature. Il donne un élan, un espoir.
Un espoir vite mis à mal. "C'était un monde enfant" dit Montaigne et ce passé sonne comme le glas du Nouveau Monde.
"Nous nous sommes servis de leur ignorance et de leur inexpérience pour les plier plus facilement vers la trahison, la luxure, l'avarice et vers toute sorte d'inhumanité et de cruauté, à l'exemple et sur le patron de nos moeurs. Qui fit jamais payer un tel prix pour les profits du commerce et du trafic? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l'épée, et la plus riche et la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre! brutales victoires."
Il me paraît toujours étonnant d'entendre, par delà les siècles, cette prise de position de Montaigne si véhémente et passionnée contre le colonialisme et l'exploitation des peuples par d'autres et de penser que cette belle voix n'a jamais et ne sera jamais écoutée.

mardi 31 mai 2011

Montaigne : en cet humain voyage

Si j'ai appelé ce blog "Ma Librairie" c'est grâce à ce bon vieux Montaigne qui m'a suivie durant toute ma vie, alors je me dis que "à tout seigneur, tout honneur" et qu'il sera le premier à paraître ici.
J'ouvre son livre, une vieille édition Flammarion de 1934 découverte dans la bibliothèque familiale quand j'avais quinze ans et me voilà dans "sa librairie"; il s'adresse à moi comme un ami :
" Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie... Je suis sur l'entrée, et vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et dessein, à pièces décousues. Tantôt je rêve; tantôt j'enregistre et dicte en me promenant, mes songes que voici. Elle est au troisième étage d'une tour; le premier, c'est ma chapelle, le second, une chambre et sa suite, où je me couche souvent, pour être seul; au-dessus, elle a une grande garde-robe. Je passe là et la plupart des jours de ma vie, et la plupart des heures du jour; je n'y suis jamais la nuit."
Ainsi, c'est dans "le commerce des livres" que Montaigne se plaît par dessus tout :
"Il me console en la vieillesse et en la solitude; il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse"; Il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est pas du tout extrême et maîtresse. Pour me distraire d'une imagination importune, il n'est que de recourir aux livres..."
Et là, je pourrais parler à sa place, décrire ce sentiment de sécurité que j'éprouve lorsque j'ai une pile de livres non lus sous la main,
" Le malade n'est pas à plaindre qui a la guérison dans sa manche".
cette impression de posséder un trésor dont je peux disposer à mon gré,
"J'en jouis, comme les avaricieux d'un trésor"
ce plaisir anticipé et gourmand de la découverte
"Ils sont à mon côté pour me donner du plaisir à mon heure"
et surtout l'impression que quoi qu'il m'arrive ( qui ne soit pas une souffrance "extrême" ou "maîtresse") les livres ne me trahiront pas.
"c'est la meilleure munition que j'aie trouvée à cet humain voyage.."
Oui, Montaigne, la littérature nous accompagne en "cet humain voyage " et nous permet de vivre.

dimanche 13 février 2011

Jérôme Coignard : Une femme disparaît, le vol de la Joconde au Louvre en 1911


A la Santé
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles




Guillaume qu'est-tu devenu? C'est le cri d'angoisse que jette Guillaume Apollinaire dans A la Santé publié dans Alcools. En prison, il est accusé de complicité dans le vol de La Joconde! Et l'on sait que Picasso sera lui aussi inquiété. Depuis la lecture de ce poème, j'ai toujours eu envie, sans arriver à avoir une vue d'ensemble sur tous ces évènements, de savoir pourquoi notre pauvre poète s'était trouvé pris dans un tel imbroglio! Aussi quand Dialogues croisés a présenté parmi les lectures possibles, l'essai de Jérôme Coignard  : Une femme disparaît, le vol de la Joconde au Louvre en 1911, je me suis précipitée.
Ma curiosité est donc satisfaite à présent grâce à ce livre très bien documenté. Il procède comme une enquête policière en suivant pas à pas les tribulations de La Joconde depuis son enlèvement au Louvre le 22 août 1911 jusqu'à son retour à Paris le 31 décembre 1913 après avoir été transportée en Italie par le voleur, un ouvrier italien qui travaillait en France.
Le livre nous apprend des fait étonnants sur ce qu'était Le Louvre dans ces années-là. Voler une oeuvre, fut-ce une peinture aussi célèbre que La Joconde, était un jeu d'enfant  à cette époque. En effet, les tableaux étaient accrochés à de simples clous, sans dispositif de sécurité, et il était coutume, de plus, de les transporter d'une salle à l'autre pour qu'ils soient photographiés ou copiés sans que personne ne s'inquiète de leur absence! C'est depuis le vol de la Joconde, d'ailleurs, qu'est né l'habitude de laisser un panneau en lieu et place de l'oeuvre annonçant le déplacement du tableau, la raison de son absence, sa destination, et la date de son départ!
Ce à quoi, je ne m'attendais pas en lisant cet essai, c'est à l'aspect franchement comique voire absurde de toute cette affaire! Jérôme Coignard nous offre de véritables moments vaudevillesques qui mettent en scène les ridicules de tous, à toutes les échelles, des gardiens du Louvre au directeur, de la police à ces messieurs du gouvernement. Les écrits des journalistes  prêtent à rire aussi avec leur prose ampoulée déplorant le vol du tableau en des termes pompiers. Ridicule aussi toute cette foule qui n'était jamais allée voir Monna Lisa de "son vivant" - si l'on peut dire- et qui vient par milliers admirer les trois clous qui la retenaient. Les cafouillages de la police, les facéties des parisiens qui se livrent à des vols dans les musées et rendent ensuite leur larcin pour mieux prouver l'impéritie des services de sécurité sont autant de petits récits comiques que peut savourer le lecteur. Mais le plus absurde de tous est décidément le voleur, un italien immigré qui avait lu que Napoléon avait volé des oeuvres à l'Italie. D'où sa décision de rendre le tableau de Vinci à son pays tout en touchant un bon pactole! Curieuse alliance de patriotisme et d'intérêt personnel! Or, la Joconde n'a jamais été italienne. C'est une oeuvre que Léonard de Vinci a réalisée en France quand il était l'invité de François 1er et que le roi a acquis pour une coquette somme.
Mais sous l'aspect de comédie se dessine la menace de la guerre toute proche que cette folie liée à La Joconde semble repousser à l'arrière plan et les propos anti-germanistes mais aussi antisémites (on est tout prêt de l'affaire Dreyfus)  fleurissent dans les journaux, en particulier dans  l'Action française.

Un essai que j'ai lu avec plaisir et qui reconstitue toute une époque!

capture-d_ecran-2010-07-15-a-12-49-41.1297635945.png Merci à Dialogues croisées et aux éditions Le Passage

jeudi 25 novembre 2010

Simon Critchley : Les philosophes meurent aussi


Avec Les philosophes meurent aussi, Simon Critchley prend au mot Montaigne qui écrivait : Si j'étais faiseur de livres, je ferais un registre commenté des morts diverses.
En effet, si Philosopher, c'est apprendre à mourir, il est bien juste après tout que l'on s'intéresse à la façon dont ont disparu ceux qui font profession de regarder la Mort en face. Le britannique Simon Critchley, professeur de philosophie à la New School for Social Research de New York a relevé le défi en commentant les derniers moments de nombreux philosophes de l'antiquité à nos jours. Mais il ne s'agit pas pour lui en écrivant ce livre d'un passe-temps original ou d'un effet de style. Constatant le déni de la mort qui est propre à notre société, il se donne pour but de nous faire réfléchir à notre condition et accepter les limites de notre existence humaine.
Cela signifie-t-il que les philosophes ont tous une fin qui pourrait nous servir d'exemple et que tous ont su, l'heure venue, considérer leur propre disparition avec équanimité? Il est évident que non et le lecteur le découvre assez vite lors de cette lecture. Nous ne pouvons tirer aucune leçon de la diversité de ces expériences; en dépit de leur doctrine, les philosophes sont avant tout des hommes avec leurs forces et leurs faiblesses. Mais lire cet essai, c'est être amené à ne plus considérer la Mort comme un tabou. Car le livre n'est pas sinistre et présente même des aspects inattendus, saugrenues, involontairement comiques, des anecdotes étranges qui provoquent notre étonnement : Héraclite s'étouffa dans de la bouse de vache; Pythagore préfère se faire tuer par ses ennemis plutôt que de traverser un champ de fèves; Chrysippe est mort de rire; Rousseau est entré en collision avec un chien danois; La Mettrie fut emporté par une indigestion de pâté aux truffes...
En parlant de la mort écrit Simon Critchley et même en riant de notre fragilité et de notre mortalité, nous acceptons la limitation de notre état de créature qui est la condition même de la liberté humaine.

Ces anecdotes alternent avec la description de grandes souffrances et de beaux moments de courage que nous ne pouvons qu'admirer. Bien entendu je suis allée voir Montaigne. Mon Montaigne a beaucoup souffert de calculs rénaux (la gravelle dont il parle dans ses Essais) mais aussi d'une attaque d'angine phlegmoneuse qui lui ôta l'usage de la parole.
Ce que j'ai apprécié aussi dans cet essai c'est qu'il s'agit d'une histoire de la philosophie, certes peu approfondie car ce n'est pas le propos de Simon Critchley, mais traitée de manière à nous faire comprendre la manière dont ces philosophies concevaient la mort. C'est une belle récapitulation surtout pour moi qui n'ai qu'une vague et lointaine approche de la philosophie. Je me suis demandée par exemple quels étaient les philosophes dont je me rapprochais le plus dans l'idée qu'ils se font de la mort : Epicure et Hume, deux athées qui meurent bien car ils n'ont pas les angoisses liées à l'immortalité de l'âme :
Les épicuriens, explique Simon Critchley, contrairement aux pythagoriciens, aux platoniciens et aux stoïciens, considèrent donc la mort comme une extinction totale, l'âme n'étant rien de plus qu'un amalgame provisoire de particules atomiques.
Ceci contrairement à Voltaire qui accepte les derniers sacrements et meurt dans la religion catholique, ce qui peut passer pour un reniement de ses idées mais qui est bien compréhensible. Voltaire s'attaquait à l'Eglise, aux dogmes et au fanatisme mais il n'était pas athée. A partir du moment où l'on est en proie au doute et où l'on a peur de l'Enfer, mieux vaut assurer ses arrières. C'est du moins ce qu'il a dû penser!
 Et Montaigne, bien sûr, avec qui nous terminerons ce billet :  Qui a appris à mourir, il a désappris à servir.


logotwitter2.1290705399.jpgMerci à BOB et à François Bourin Editeur