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vendredi 12 octobre 2012

Alice Dekker : Chardin, la petite table de laque rouge

Une dame qui prend le thé.

"Je n'ai eu d'autre désir que de faire naître le sentiment grâce à des volumes, à des couleurs et a des formes. Toucher, émouvoir, attendrir, révéler à chacun, l'ignorant comme le connaisseur, la poésie qui frémit dans les choses les plus humbles, dans les scènes les plus banales…"
Voilà les paroles que Alice Dekker prête à au peintre des natures mortes, dans son livre Chardin, la petite table de laque rouge paru aux éditions Arléa.
L'écrivain imagine que l'artiste vieillissant, s'adresse à son fils disparu dans une longue lettre, bilan de sa vie, pour lui révéler tout ce qu'il a tu sur lui-même jusqu'alors, lui si réservé, si pudique. Le peintre nous y apparaît en tant qu'homme avec ses qualités : son grand amour pour sa femme qu'il a épousé sans dot malgré l'opposition de leurs familles; son deuil profond à la mort de celle-ci. C'est elle, attablée à une table de laque rouge, qui figure dans le tableau une dame qui prend le thé. C'est aussi un travailleur méticuleux, un artiste honnête qui peint peu car il est toujours à la recherche de la perfection. Mais il n'est pas sans faiblesses pourtant : quand déçu par son fils, il l'oblige à renoncer au testament de sa mère, sa vanité, parfois, qui le pousse à la recherche des honneurs. Comme tout artiste, Jean Simeon Chardin a des doutes sur son talent et il a besoin de se l'entendre confirmer. Ceci nous introduit dans la vie artistique du XVIII siècle à une époque où les arts sont classés dans une hiérarchie très stricte sur laquelle veille scrupuleusement l'Académie royale, la peinture historique représentant le sommet de cet art. Chardin y fut admis comme "peintre dans le talent des animaux et des fruits", c'est à dire au bas de l'échelle, lui qui délaissant l'héroïque, ne prenait ses modèles que dans le quotidien :
 Et pourtant, si beaucoup dédaignaient la banalité de l'original, ils allaient bel et bien en admirer la copie, et en être les premiers surpris.




Ce roman, d'un tableau à l'autre, mis en perspective avec les autres peintures de son siècle, nous permet de mieux connaître l'oeuvre de Jean Simeon Chardin et surtout de mieux la comprendre, en ce qu'il transcende la réalité et l'anoblit. Et comme celui-ci, héritier des peintres flamands et de Vermeer, fait partie de mes peintres préférés du XVIII ème français, je dois dire que j'ai aimé ce petit livre qui en fait le tour.  


Chardin, héritier de ....


Vermeer







mercredi 10 octobre 2012

Emmanuelle Urien : Tous nos petits morceaux





Dans son recueil Tous nos petits morceaux, Emmanuelle Urien nous en met plein vue tout comme les miroirs de ses nouvelles qui reflètent la vie des gens et nous révèlent sur eux beaucoup plus que nous ne souhaiterions parfois pour notre tranquillité d'esprit!

Le livre est composé d'une douzaine de récits qui  sont tous reliés entre eux par le premier : Eclats de miroirs dans laquelle nous voyons un femme entreposer  des miroirs de toutes formes et de toutes tailles dans une cave obscure. Nous ne saurons la raison de cette étrange collection qu'à la fin mais, en attendant, chaque miroir, touché par un rayon de soleil qui filtre par le soupirail et se déplace selon les heures de la journée, donne un aperçu de ce qu'il a vécu! Et ce n'est pas toujours rose une vie de miroir, le lecteur va vite s'en apercevoir!

 Certaines de ces nouvelles sont fortes, très noires, comme Le signe du miroir, La corde pour le pendre,  Psyché et Tanatos, Le jeu du miroir, Témoins spéculaire ... Ils ne sont pas rassurants, en effet, ces miroirs, témoins de nos faiblesses, nos mensonges, notre déchéance, témoins aussi de notre mort!  Il se font le reflet de nos souffrances, la peur de vieillir,  la solitude, la folie... Pourtant certains finissent par nous paraître sympathiques comme celui, tout petit, tout modeste, de L'article de la mort, récit qui oscille entre noirceur et humour. Ce dernier n'est autre que le miroir des morts, celui que l'on applique sous le nez du défunt pour vérifier qu'aucun souffle ne s'en échappe!  Pauvre miroir qui rêve de refléter un nez de vivant!

Emmanuelle Urien fait preuve d'une idée originale en mettant en scène toutes ses vies dans le reflet d'un miroir. Son recueil est un brillant exercice de style, rédigé d'une plume alerte, où la difficulté de vivre se révèle être l'un des thèmes principaux.

Merci Clara pour cette belle lecture


lundi 8 octobre 2012

Challenge breton : Les participants




 Le challenge breton est ouvert. Vous pouvez vous inscrire. Je publie ici la liste des premiers participants et billets sur la Bretagne.

George Sand disait en parlant des écrivains bretons : Génie épique, dramatique, amoureux, guerrier, tendre, triste, sombre, naïf, tout est là! En vérité aucun de ceux qui tiennent une plume ne devrait  rencontrer un breton sans lui ôter son chapeau."

et Michel Lebris écrit : " Que serait un voyage sans le livre qui l'avive et en prolonge la trace - sans le bruissement de tous ces livres que nous lûmes avant de prendre la route? Samarcande, Trébizonde, tant de mots, dès l'enfance, qui nous furent comme des portes, tant de récits, tant de légendes !

Voir une liste non exhaustive des livres qui peuvent être lus dans le cadre du challenge breton.  N'hésitez pas à nous donner des conseils et nous communiquer d'autres titres! ICI
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Aifelle






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Aymeline

La légende d'ys de Charles Guyot

Ys, le monde englouti de Gabriel Jan






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Clara

Fabienne Juhel : les oubliés de la lande

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Claudialucia


  1. Remorques, Roger Vercel (Brest)
  2. Les noces noires de Guernaham, Anatole le Braz
  3. Le sang de la sirène, Anatole le Braz (Ouessant)
  4. La fée des grèves, ( 1) , Paul Féval (Bretagne et Normandie : autour du Mont Saint Michel)
  5. La fée des grèves Paul Féval ( 2) (Bretagne et Normandie : autour du Mont Saint Michel)
  6. Le gardien du feu Anatole Le Braz 
  7. La tour d'amour de Rachilde 
  8. Ys, le monde englouti de Gabriel Jan  
  9. La légende de la vile d'Ys de Charles Guyot
  10. Marcof le Malouin  de Ernest Capendu  
  11. Sophie de Tréguier de Henri Pollès 
  12. Le gardien du feu de Anatole LeBraz 
  13. Becherel la cité du livre en Bretagne
  14.  Dinan (rencontre entre blogueurs
  15.  Ernest Renan : la vérité sera un jour la force
  16. Perros Guirec et la côte de granit rose
  17. René Guy Cadou : L'enfant précoce (poème)
  18. Félicité Lamennais : le plus puissant de tous les leviers...(citation)
  19. Bretagne les enclos paroissiaux(2)
  20. Bretagne les enclos paroissiaux (1)
  21. Jean-Pierre Boullic : Iroise (poème)
  22. Douarnenez : Rencontres entre blogueurs
  23. Eugène Guillevic : Je connais l'étrange variété du noir (poème)
  24. Anatole Le Braz : Chanson pour la Bretagne :( poème)
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Elora

Présentation du challenge

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Eeguab






Le Tempestaire de  Jean Epstein  : Alors la mer se calma

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Gwenaelle







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 Jeneen







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Keisha










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Lystig

La trilogie de L'auberge du bout du monde





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Mazelannie

1. Le championnat d'insultes en breton






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Mireille chez Claudialucia

Jean-Marie Deguignet : Mémoires d'un paysan Bas-Breton

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Miriam





1. La fée des grèves Paul Féval
2. Le gardien du feu Anatole Le Braz 
3 Ys, le monde englouti de Gabriel Jan
4. La légende de la ville d'Ys de Charles Guyot 
5. Les demoiselles de Concarneau de Simenon 

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Nathalie

Les chouans Honoré de Balzac

souvenirs d'enfance et de jeunesse d'Ernest Renan(LC)





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Oncle Paul









  1. Les Loups de la Terreur, Béatrice Nicodème (Brocéliande)
  2.  Le Réveil des Menhirs, Gabriel Jan
  3. Ys, le Monde englouti, Gabriel Jan  (Douarnenez?)
  4. Les Filles de Roz-Kelenn, Hervé Jaouen
  5.  Ceux de Ker-Askol, Hervé Jaouen 
  6.  Flora des Embruns Herve Jaouen

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Wens

1. Remorques de Grémillon d'après Vercel (Brest)
 2. Les enclos paroissiaux (Cornouailles et Léon)
 3. Le chien jaune de Simenon (Concarneau)
 4. Nuits assassines à Paimpol  de Michèle Corfdir (Paimpol)

dimanche 7 octobre 2012

Un livre/ Un film :John Buchan : Les Trente-neuf marches




Réponse à l'énigme n° 42
 Le livre ; Les Trente-neuf marches de John Buchan
 Le film : Les Trente-neuf marches d'Alfred Hitchcock

Bravo à : Dasola, Eeguab,  Jeneen, Keisha, Pierrot Bâton

Merci à tous ceux qui ont cherché parfois en vain mais ce sera pour la prochaine fois!




John Buchan crée un personnage Richard Hannay  qui va revenir dans cinq de ses romans.
1915: The Thirty-Nine Steps (Les trente-neuf marches) - Les aventures de Richard Hannay
1916: Greenmantle (Le Prophète au manteau vert ou Le Manteau vert) - Les aventures de Richard Hannay 2
1919: Mr Standfast (La troisième aventure de Monsieur Constance) - Les aventures de Richard Hannay 3
924: The Three Hostages (Les trois otages) - Les aventures de Richard Hannay 4
1936: The Island of Sheep (L'Île aux moutons) - Les aventures de Richard Hannay 5

Dans Les Trente-neuf marches, Richard Hannay,  d'origine écossaise, a 37 ans. Après avoir amassé une petite fortune en Afrique du sud, il revient à Londres pour mener une bonne vie. Mais il s'ennuie vite jusqu'au jour où son voisin, manifestement traqué vient lui demander de le cacher. Il lui raconte une histoire suspecte où il apparaît qu'il est en danger car il est au courant d'un complot qui risque de mettre en péril la sécurité de la Grande-Bretagne et la paix en Europe. Hannay héberge l'homme mais le retrouve assassiné dans son appartement. Pour ne pas être accusé du crime, le jeune homme fuit. Il est bientôt poursuivi à la fois par la police et par les espions. Une inconfortable situation!


Le livre publié en 1915 est très proche du film malgré quelques petits changements et porte le même titre. L'on y retrouve certains épisodes clefs que Hitchcock a exploités : le marchand de lait, la fuite sur le pont, l'avion qui le cherche quand il est en Ecosse. Quelques transpositions sont assez légères et sans conséquence, l'espion qui est le cerveau du complot est affligé d'un tic aux yeux au lieu d'avoir une phalange absente à l'un de ses doigts comme dans le film.
Mais le génie de Hitchcock par rapport au livre est d'avoir imaginé deux personnages féminins qui décuplent l'intérêt de l'action. Ce n'est pas un homme mais une énigmatique et froide blonde, dans le style femme fatale, comme les aime le réalisateur, qui se fait assassiner chez Hannay (Robert Donat). Cette mystérieuse inconnue procure un frisson supplémentaire au spectateur. Le deuxième personnage féminin est la jeune femme au caractère bien trempée, Pamela (Madeleine Caroll), que Hannay rencontre par hasard et qu'il fait semblant d'embrasser pour échapper à ses poursuivants. C'est le début d'une histoire d'amour qui ne va pas sans chamaillerie, situations amusantes bien dosées entre érotisme et romantisme, qui laisse libre à l'humour caustique de Hitchcock. Une géniale trouvaille!


samedi 6 octobre 2012

Un livre/ Un film : énigme n° 42





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.


Enigme 42
 
 
Le livre publié en 1915 par un auteur anglais est très proche du film malgré quelques modifications et porte le même titre. Le personnage principal est le héros récurrent de cinq romans dont celui qui nous intéresse et qui nous promène de Londres en Ecosse.
J'avais projeté de descendre à l'une des prochaines gares, mais le train m'offrit une occasion meilleure encore, car il s'arrêta subitement à l'extrémité d'un petit pont qui enjambait une rivière mordorée. Je passai la tête par la portière : toutes les vitres des wagons étaient fermées, et pas une figure humaine ne se montrait dans le paysage. J'ouvris la portière et sautai vivement dans le fouillis de noisetiers qui bordait la voie.
Tout cela eut été parfait s'il n'y avait eu ce maudit chien, qui se mit à aboyer comme un furieux en plantant ses crocs dans mon pantalon.

jeudi 4 octobre 2012

Marguerite Duras : L'amante anglaise, premier livre de Objectif PAL noire





Avant d'ouvrir un blog, je vivais paisiblement, sereine et innocente : je ne savais pas ce qu'était une PAL*. Maintenant, elle est plus haute qu'une maison. Comment ai-je pu en arriver là?... J'allais dire comment ai-je pu tomber si bas mais le mot serait impropre! Vaine interrogation!  
Aussi quand L'Or et George ont proposé un challenge anti-pal intitulé Objectif PAL noire, avec un adorable logo, j'ai sauté sur l'occasion.

Voir  chez ces gentes damoiselles  les modalités du challenge : George et L'Or

Il s'agit de lire un ou deux (ou plus pour les courageux) livres par mois en piochant dans votre pile, sachant cependant (car il faut être lucide) que ce que vous entreprenez vous rend digne d'un héros  tout droit sorti d'un mythe grec : Vider sa PAL, c'est comme remplir le tonneau des Danaïdes mais à l'envers! Alors que le tonneau se vide sans cesse, La PAL se remplit toujours.

J'ai donc commencé à dresser une liste des livres qui attendent patiemment leur tour depuis des lustres, souvent relégués au dernier rang par d'ambitieux petits nouveaux, qui se haussent du col et intriguent pour passer devant eux!

A l'heure actuelle, la liste n'est pas encore terminée mais je vous la livre telle quelle car il est temps de s'y attaquer : VOIR ICI l'étendue du désastre!

Et pour commencer, un petit livre qui me tendait les bras depuis très longtemps en suppliant d'être enfin  lu.

Marguerite Duras  : L'amante anglaise 

 


A l'origine de L'amante anglaise, un fait divers, une femme assassinait son mari à coups de hachette. Dans le récit de Duras on découvre un morceau de corps humain dans un train; les jours suivants d'autres sont découverts dans d'autres trains. Seule la tête n'est pas retrouvée. Un recoupement ferroviaire permet de constater que la victime, une femme, après avoir été découpée en morceaux a été jetée du Viaduc de Viorne. La meurtrière, Claire Lannes, est vite retrouvée et avoue son crime. Elle a tué sa cousine Marie-Thérèse Bousquet, sourde et muette.  Mais elle est incapable de donner une explication à son geste.  Pourquoi a-t-elle tué? C'est ce qui va intéresser Marguerite Dumas.

Le narrateur qui enquête sur le meurtre cherche comprendre cet acte et à cerner la personnalité de Claire en interrogeant des témoins. C'est donc à travers différents points de vue qui se recoupent, se complètent ou se contredisent que le lecteur cherche à comprendre les mobiles du crime. Le premier témoin Robert Lamy est le propriétaire du café Le Balto à Viorne, le second est le mari, Pierre Lannes, le troisième, Claire Lannes la meurtrière. En fait qui sont-ils réellement?
Avec Claire, Marguerite Duras explore  un thème qu'elle aime, celui de la folie  : la folie exerce sur moi une séduction, c'est à l'heure actuelle le seul véritable élargissement de la personne, dans le monde de la folie, il n'y a rien, ni bêtise, ni intelligence, c'est la fin du manichéisme, de la responsabilité, de la culpabilité. Le personnage "normal" Pierre finit par comprendre que c'est lui qui aurait dû être tué.
Il n'y a pas de réponse. L'écrivaine n'impose sa vérité. C'est au lecteur de se faire un idée en interprétant ces trois témoignages.  Le texte a souvent été adapté au théâtre.

* pour les bienheureux ignorants  PAL = Pile à  lire

Paul Féval : La fée des Grèves (2): Le Mont Saint Michel, Tombelène et le Couesnon

Le Mont Saint Michel dans Les très riches heures du duc de Berry (XV°)

 Le Mont Saint Michel était originellement appelé Mont Tombe. Aubert, évêque d'Avranches fait construire l'abbaye sur le Mont au VIII ième siècle lorsque l'archange Saint Michel lui apparaît pour le lui demander. L'église est consacrée en 709.
L'enluminure de Les très riches heures du duc de Berry montre à quoi devait ressembler le Mont Saint Michel à l'époque où se situe le roman de Paul Féval La fée des grèves au XV siècle, sous François 1er, duc de Bretagne et  sous le règne du roi de France, Charles VII.
Et le voici aujourd'hui Septembre 2012

 Paul Féval le décrit ainsi en cette année 1450 lorsque François 1er se rend au Mont pour obtenir  du ciel "le repos et le salut de l'âme de son de M. Gilles, son frère, mort à quelque temps de là au château de la Hardouinays"*.

Au sortir de la porte d’Avranches, ce fut un spectacle magique et comme il n’est donné d’en offrir qu’à ces rivages merveilleux.
Un brouillard blanc, opaque, cotonneux, estompé d’ombres comme les nuages du ciel, s’étendait aux pieds des pèlerins depuis le bas de la colline jusqu’à l’autre rive de la baie, où les maisons de Cancale se montraient au lointain perdu.
De ce brouillard, le Mont semblait surgir tout entier, resplendissant de la base au faîte, sous l’or ruisselant du soleil de juin.
Vous eussiez dit qu’il était bercé mollement dans son lit de nuées, cet édifice unique au monde ! et quand la brume s’agitait, baissant son niveau sous la pression d’un souffle de brise, vous eussiez dit que le colosse, grandi tout à coup, allait toucher du front la voûte bleue :
La ville de Saint-Michel, collée au roc et surmontant le mur d’enceinte, la plate-forme dominant la ville, la muraille du château couronnant la plate-forme, le château hardiment lancé par-dessus la muraille, l’église perchée sur le château, et sur l’église l’audacieux campanile égaré dans le ciel !


 Le cloître

À mesure qu’on montait, le roman disparaissait pour faire place au gothique, car l’histoire architecturale du Mont-Saint-Michel a ses pages en ordre, dont les feuillets se déroulent suivant l’exactitude chronologique.
Le soleil de midi éclairait le cloître, qui apparut aux pèlerins dans toute sa riche efflorescence : Un carré parfait, à trois rangs de colonnettes isolées ou reliées en faisceaux qui se couronnent de voûtes ogivales, arrêtées par des nervures délicates et hardies.
Le prodige ici, c’est la variété des ornements dont le motif, toujours le même, se modifie à l’infini dans l’exécution, et brode ses feuilles ou ses fleurs de mille façons différentes, de telle sorte que la symétrie respectée laisse le champ libre à la plus aimée de nos sensations artistiques : celle que fait naître la fantaisie. 


La flèche

La basilique de Saint-Michel n’était pas entièrement bâtie à l’époque où se passe notre histoire. Le couronnement du chœur manquait; mais la nef et les bas côtés étaient déjà clos. L’autel se dressait sous la charpente même du chœur qui communiquait avec le dehors par les travaux et les échafaudages.
Le duc François s’arrêta là. Il ne monta point l’escalier du clocher qui conduit aux galeries, au grand et au petit Tour des fous et enfin à cette flèche audacieuse où l’archange saint Michel, tournant sur sa boule d’or, terrassait le dragon à quatre cents pieds au-dessus des grèves**. 

Entre le Mont Saint Michel et Tombelène 

Les gens de la rive disent que le deuxième jour de novembre, le lendemain de la Toussaint, un brouillard blanc se lève à la tombée de la nuit.
C’est la fête des morts.
Ce brouillard blanc est fait avec les âmes de ceux qui dorment sous les tangues.
Et comme ces âmes sont innombrables, le brouillard s’étend sur toute la baie, enveloppant dans ces plis funèbres Tombelène et le Mont-Saint-Michel.
Au matin, des plaintes courent dans cette brume animée; ceux qui passent sur la rive entendent :
—    Dans un an ! Dans un an !
Ce sont les esprits qui se donnent rendez-vous pour l’année suivante.
On se signe. L’aube naît. La grande tombe se rouvre, le brouillard a disparu.


Autour du Mont Saint Michel
Ces défauts de la grève forment quand la mer monte, des espèces de rivières sinueuses qui s’emplissent tout d’abord et qu’il est très difficile d’apercevoir dès la tombée de la brune, parce que ces rivières n’ont point de bords.
L’eau qui se trouve là ne fait que combler les défauts de la grève.
De telle sorte qu’on peut courir, bien loin devant le flot, sur une surface sèche et être déjà condamné. Car la mer invisible s’est épanchée sans bruit dans quelque canal circulaire, et l’on est dans une île qui va disparaître à son tour sous les eaux.
C’est là un des principaux dangers des lises ou sables mouvants que détrempent les lacs souterrains.

 Tombelène
 
Le mont Tombelène est plus large et moins haut que le Mont-Saint-Michel, son illustre voisin.
À l’époque où se passe notre histoire, les troupes de François de Bretagne avaient réussi à déloger les Anglais des fortifications qui tinrent si longtemps le Mont-Saint-Michel en échec. Ces fortifications étaient en partie rasées. Il n’y avait plus personne à Tombelène.
C’était sur le rocher de Tombelène, parmi les ruines des fortifications anglaises, que monsieur Hue de Maurever avait trouvé un asile, après la citation au tribunal de Dieu, donnée en la basilique du monastère.( Voir La fée des Grèves (1) ICI)


 Tombelène et les lises vus d'une meurtrière du Mont Saint Michel

Quand Reine, l'héroïne, la fée des Grèves  s'enfonce dans les lises de Tombelène, son amoureux aperçoit la scène du haut du Mont Saint Michel à travers un tube qui provoque l'incrédulité de chacun car il permet de voir de près, comme par magie, ce qui est fort loin. Un tube miraculeux!

Aubry mit son oeil au hasard à l'une des extrémités.
Il vit distinctement les vaches qui passaient sur le Mont-Dol, à quatre lieues de là.
Un cri de stupéfaction s'étouffa dans sa poitrine.
Le tube fut dirigé vers le point sombre qui tranchait sur le sable étincelant. Cette fois, Aubry laissa tomber le tube et saisit sa poitrine à deux mains.
-Reine ! Reine ! dit-il ; Julien et Méloir ! ! ! Au risque de se briser le crâne, il se précipita à corps perdu dans l'escalier de la plate-forme. (...)
Bientôt, on put le voir galoper à fond de train sur la grève. Il tenait à la main la lance de Ligneville. Devant lui, un grand lévrier noir bondissait. Ils allaient, ils allaient.- C'était un tourbillon ! Jeannin avait dit :
-Dans dix minutes, la mer couvrira ce point noir. Ce point noir, c'était Reine.


   Le Couesnon

Que venez-vous quérir sur les domaines du Roi ? demanda monsieur de Ligneville.
-Nous venons, par la volonté de notre seigneur le duc, répondit Corson, quérir monsieur Hue de Maurever, coupable de trahison.
-Et portez-vous licence de franchir la frontière ?
-De par Dieu ! monsieur de Ligneville, riposta Corson, quand notre seigneur François a sauvé votre sire des griffes de l'Anglais, il a franchi la frontière sans licence.
Ligneville fit un geste. Ses soldats se rangèrent en bataille. Hue de Maurever perça les rangs.
-Messire, dit-il, si ces gens de Bretagne veulent s'en retourner chez eux en se contentant de ma personne et en laissant libres tous les pauvres paysans de mes anciens domaines, je suis prêt à me livrer en leurs mains.
-Donc, pour ce, franchissez la rivière de Couesnon**, messire, répliqua Ligneville ; sur la terre du Roi, on ne se rend qu'au Roi.
       

*M Gilles, le frère de François 1er de Bretagne (qui était aussi son héritier), a été incarcéré par son frère. Il fut retrouvé étranglé dans sa cellule. On n'a jamais pu savoir si c'était sur l'ordre du Duc.  Mais ce dernier est  mort quelques mois après.

** Paul Féval fait une erreur ; La flèche actuelle n'a été construite qu'en 1899 

***Le Mont était rattaché depuis l'époque de Charlemagne au diocèse d'Avranches, en Neustrie. En 867, le traité de Compiègne attribua l'Avranchin à la Bretagne : c'était le début de la période "bretonne" du mont Saint-Michel. L'Avranchin, tout comme le Cotentin ne faisaient pas partie du territoire concédé à Rollon lors de l'établissement des Normands en 911 - le mont Saint-Michel restait provisoirement breton. Il l'était encore en 933 lorsque Guillaume Ier de Normandie récupéra l'Avranchin : la frontière était alors fixée à la Sélune, fleuve côtier qui se jetait à l'est du Mont.
Quelques décennies plus tard, en 1009, la frontière sud de l'Avranchin (et, partant, de la Normandie) fut déplacée jusqu'au Couesnon, fleuve côtier dont l'embouchure marqua pendant des siècles la limite officielle entre la Normandie et la Bretagne (bien avant d'être remplacée par une limite topographique fixe).

L'histoire et la légende se brouillent à cette date. Les textes de l'époque ne précisent pas le sort du mont Saint-Michel (ni sa localisation par rapport au Couesnon), mais son rattachement à la Normandie est attesté quelques décennies plus tard, et il est déjà effectif lorsque Guy de Thouars incendie le Mont en avril 1204.
Or, une légende affirme que le Couesnon, lors d'une de ses fréquentes divagations, se serait mis à déboucher à l’ouest du Mont, faisant ainsi passer ce dernier en Normandie. Si cette légende est exacte, le Mont aurait été situé à l'ouest du Couesnon en 1009 et la divagation du Couesnon se situerait quelques décennies plus tard. Si elle est fausse, le Couesnon se jetait déjà à l'ouest du mont Saint-Michel en 1009. (source Wikipedia)





mercredi 3 octobre 2012

Paul Féval : La fée des grèves (1) Bretagne et Normandie





Paul Féval est né à Rennes en 1816 où il a passé les premières années de sa vie. La Bretagne est d'ailleurs toujours très présente dans ses oeuvres car il s'inspire de la culture bretonne, de son folklore et de ses légendes. Paul Féval a écrit de grands romans populaires et s'est illustré dans tous les genres :  de cape et épée (Le Bossu, La Capitaine Fortune), les récits bretons (La fée des grèves, La Belle étoile, La première aventure de Corentin Quimper), récit fantastique (Le vampire, Le chevalier Ténèbre)  de mystère urbain ( Les habits noirs, l'adaptation des Mystères de Londres de Reynolds). La plupart des romans de Paul Féval s'inscrivent dans la tradition romantique, en particulier La Fée des grèves, romantisme un peu tardif pourtant car le livre est publié en 1850 : Retour au Moyen-âge, grand amour chevaleresque baigné dans les brumes et les sortilèges de la baie du Mont Saint Michel….

Paul Féval, l'auteur du Bossu, est feuilletoniste. Il a l'art de tenir en haleine son lecteur, de piquer sa curiosité, de le maintenir en haleine et de lui faire vivre des aventures haletantes, affronter des dangers horribles tout en ayant la certitude que la belle, courageuse héroïne et son prince charmant, vaillant et sans reproches, vont s'en sortir. Tout ceci dans un style vif, clair et alerte. J'adore! Si j'avais lu La Fée des grèves à 13 ans, j'aurais vécu au premier degré et en claquant des dents les instants terrifiants où la marée montante entre le Mont Saint Michel et Tombelène va prendre au piège la blonde héroïne prisonnière des sables mouvants.  Et quand je le lis maintenant? Euh! J'ai un petit sourire attendri pour les invraisemblances et le manichéisme des personnages mais.. et oui, je l'avoue, ils sont bien attachants les "gentils", ils me font peur les "méchants" et je vis à cent à l'heure ce combat  pour arracher la jeune fille à une mort terrible. Paul Féval crée aussi des personnages qui semblent tout droit sortis d'une histoire à la Robin des Bois avec son moine guerrier, bavard impénitent, ce qui introduit des passages amusants en pleine histoire d'amour romantique. J'adore, je vous dis! Mais de quoi s'agit-il?

François 1er de Bretagne (source : Vigiles du roi Chalres VII)


L'action se déroule en 1450, sous le règne de François 1er, duc de Bretagne. Celui-ci se rend au Mont Saint-Michel pour assister à la messe à la mémoire de son frère Gilles de Bretagne décédé, en prison, d'une mort suspecte. Reine de Maurever, une jeune fille de seize ans, fait partie de l'escorte et suscite une rivalité entre le jeune Aubry de Kergariou, gentilhomme de Basse-Bretagne et son cousin le chevalier Méloir. Le premier est aimé de la jeune fille, le second prétend la prendre de force s'il le faut. Mais pendant la cérémonie funèbre Hue de Maurever, écuyer de M. Gilles, intervient, accusant le duc François de fratricide et le citant à comparaître dans un délai de quarante jours au tribunal de Dieu. Désormais, Le sire de Maurever, accusé de haute trahison, est traqué. Il sera aidé dans sa lutte par sa fille Reine et par Aubry mais aussi par ses domestiques et ses fermiers. Parmi eux la charmante Simonette et son amoureux , le petit Jeannin…. Jeannin qui croit avoir aperçu, revenue dans le village depuis quelques jours, la fée des Grèves, présente dans l'imaginaire breton, cet être étrange dont le nom revenait toujours dans les épopées rustiques, racontées au coin du feu. Le lutin caché dans les grands brouillards. Le feu follet des nuits d'automne.. Le fantôme qui glisse sur les lises dans les ténèbres de minuit.

En dehors des talents de conteur dont j'ai parlé ci-dessus, un autre des intérêts du roman tient au cadre dans lequel il se déroule et l'époque dans laquelle il nous fait retourner.. Nous redécouvrons le pays tel qu'il fut, lorsque le marais de Dol était encore une baie, à une époque où passer la frontière de la Bretagne à la Normandie, c'était quitter le territoire du Duc de Bretagne pour entrer dans celui du roi de France. Nous sommes jetés dans les geôles du mont Saint Michel et sommes assiégés dans Tombelène, voyageons sur les routes de Bretagne et allons jusqu'à Nantes assister le duc de Bretagne sur son lit de mort. L'auteur connaît bien ce pays  et lorsque nous fermons le livre nous n'ignorons plus rien de la différence entre les tangues, les lises et les paumelles, les dangers des marées de la baie de Cancale, les perfidies du Couesnon dont le lit est si capricieux qu'il a placé le Mont Saint Michel … en Normandie

Le filet d'eau qui raie la grève et qui tranche en quelque sorte comme le soc de la charrue, c'est Le Couesnon. Cette grande rivière large comme la Loire, c'est encore le Couesnon. Dans ce cas-là, le Couesnon étale sur le sable une immense nappe d'eau de trois pouces d'épaisseur; le soleil  s'y mire, éblouissant. Vous diriez une mer.
Et cette mer a ses naufrages, ses sables tremblent sous les pas du voyageur; ils brillent, ils s'ouvrent, on s'enfonce; ils se referment et brillent.

Une bien plaisante lecture




mardi 2 octobre 2012

Lorenza Foschini : Le manteau de Proust



Dans Le manteau de Proust, Lorenza Foschini, journaliste italienne, raconte qu'à l'occasion d'une enquête effectuée pour Luchino Visconti sur La Recherche du temps perdu, elle découvre l'existence du vieux manteau de l'écrivain archivé dans une caisse du musée Carnavalet.  C'est une vieille pelisse noire, usagée, dans lequel on voit Marcel Proust enveloppé sur une photographie de 1905, à Evian, un manteau qui lui sert de couverture quand il écrit son oeuvre, au fond de son lit, luttant contre la maladie et la mort. Elle s'intéresse alors à celui qui en a fait don au musée, Jacques Guérin, un grand parfumeur parisien, collectionneur fortuné, bibliophile et amoureux de l'oeuvre de Proust.
L'enquête menée par Lorenza Foschini sur ce personnage lui permet, bien évidemment, d'entrer dans le monde de Proust et de sa famille. Car Jacques Guérin, en effet, rencontre le "petit frère" de Marcel, Robert, qui lui montre les manuscrits de l'écrivain et les meubles de celui-ci. A la mort de Robert, le collectionneur n'aura de cesse d'acquérir toutes ces reliques. Il y parviendra, mais seulement en partie, car l'épouse de Robert, Marthe, jette au feu tout ce qui lui paraît compromettant sur son beau-frère (dédicaces, lettres, manuscrits..). Nous découvrons peu à peu les secrets de famille, les non-dits qui pèsent et font plus de mal que ce qui est exprimé clairement, notamment en ce qui concerne l'homosexualité de Proust dont sa famille homophobe avait honte. Jacques Guérin, investi dès lors d'une mission de "sauveur", parvient à réunir le manteau mais aussi le lit, le bureau, des lettres et des objets de l'écrivain.
Jean Genet qualifiait le collectionneur-bibliophile de "fétichiste". Je le suis un peu quand il s'agit d'un écrivain et la découverte d'un lieu où il a vécu, d'un objet lui ayant appartenu, parle toujours à mon imagination. C'est pourquoi je me suis emparée de ce petit livre avec impatience. Aucune émotion!  Le style est journaliste, il s'agit d'une enquête bien menée, efficace. Les objets y sont décrits comme dans un rapport administratif avec méthode et rigueur et accompagnés de photographies qui  font un peu redondance :
C'est un manteau croisé, fermé par une double rangée de trois boutons. Quelqu'un de plus maigre a déplacé le boutonnage pour le resserrer, et les traces des précédentes attaches, des noeuds de fil noir et épais, subsistent à l'endroit de la couture. Un trou signale l'absence d'un bouton qui devait fermer le col, une étiquette blanche au bout d'un fil rouge pend du revers de la fourrure noire.
Lorenza Foschini fait allusion à des passages de l'oeuvre, elle cite des fragments de lettres, elle parle de la maladie de Proust, de ses rapports complexes avec son frère Robert malgré l'affection qui les lie, elle analyse des photographies qui les rassemblent. Le tout n'est pas inintéressant mais  m'a laissée sur ma faim.  Il faut dire que j'avais un à priori à propos de ce livre. Je pensais y rencontrer l'auteur de "Du côté de chez Swann", c'est Jacques Guérin qui en est le personnage principal!



Merci à la librairie Dialogues

lundi 1 octobre 2012

Wilkie Collins : La robe noire



Qu'est-ce que la robe noire? C'est celle du machiavélique jésuite, le père Benwell, qui cherche à récupérer une ancienne abbaye qui appartenait jadis à l'église catholique mais confisquée, en son temps, par Henri VIII. Machiavélique, ce jésuite, car après avoir converti le propriétaire de l'abbaye, Lewis Romayne, il place auprès de celui-ci un autre membre de son ordre, Penrose, fervent  et sincère mais convaincu d'agir pour le bien de la religion. Le mariage de Lewis avec Stella Eyrecourt et l'arrivée d'un enfant, met en péril le complot du jésuite qui cherche à obtenir un testament en faveur de l'église. Parviendra-t-il à ses fins? Lewis Romeyne sous influence va-t-il déshériter son fils?

Comme d'habitude, Collins fait preuve de talent pour nous conter une histoire noire, autant que la fameuse robe, couleur qui symbolise l'église catholique mais aussi l'âme du jésuite. Il sait créer une ambiance qui tient le lecteur en haleine, faire vivre des personnages torturés et pas seulement le "méchant" père  Benwell mais aussi le tourmenté et mystique Lewis Romayne. Il sait décrire à merveille les rapports de domination spirituelle du religieux sur son disciple et montrer comment il exploite la faiblesse psychique du jeune homme dans des buts intéressés. Nous retrouvons ici un thème toujours d'actualité, celui du pouvoir exercé par des "gourous" sur des personnages fragiles et sous influence.
Ceci dit ce livre est loin d'être mon préféré. Il souffre d'être trop démonstratif, ce qui nuit au récit. Collins a une thèse, celle de démontrer l'ineptie et la malhonnêteté de l'église catholique et l'on sent trop le pamphlet dans le roman. C'est tellement gros que cela prête parfois un peu à sourire!
Quant à la vision de la femme dans ce roman! Où est passé, je vous prie de me le dire, le Collins de Mari et femme qui prenait fait et cause pour les femmes en critiquant violemment la législation sur le mariage qui place l'épouse sous la tutelle de son mari et lui ôte tout pouvoir de décision sur sa propre vie? Wilkie Collins se laisse aller à une misogynie de bas étage. Jugez plutôt  :

Mais où se trouve la femme qui peut s'associer intimement avec le dur travail cérébral d'un homme qui s'est voué à des recherches intellectuelles absorbantes. Elle peut l'aimer, l'admirer, le servir, croire en lui plus que tout autre homme mais- en dépit d'exceptions qui ne viennent que confirmer la règle- elle n'est pas à sa place lorsqu'elle pénètre dans le cabinet de travail au moment où l'homme a la plume en main."

Il oublie de préciser que l'éducation de la jeune fille maintenue dans l'ignorance et la soumission par sa famille et la loi de la société victorienne, d'une part, et l'impossibilité, d'autre part, d'accéder au savoir détenu par les hommes sont peut-être les causes de cette prétendue infériorité de la femme. Il oublie aussi que même à son époque des écrivaines féminines (des exceptions?) lui tenaient la dragée haute et ne déméritaient pas, bien au contraire, à côté de lui!!




dimanche 30 septembre 2012

Un livre/Un film Jim Thompson : 1275 âmes/ Bertrand Tavernier : Coup de torchon




Réponse à l'énigme n° 41
Le livre est1275 âmes de Jim Thompson. Le film de Tarvernier a pour titre Coup de Torchon.
Ceux qui ont trouvé :Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Pierrot Bâton..
Bravo à tous et merci!

Le titre du roman de Jim Thompson Pop. 1280 (population 1280), a été traduit par Marcel Duhamel d'une manière bizarre en français :  1275 âmes! Il s'agit du nombre d'habitants  du canton de Potts, un trou perdu au sud des Etats-Unis, dont le personnage principal Nick Corey est shérif en chef. Que sont devenus les cinq habitants et pourquoi ont-ils été supprimés? Mystère! C'est un détail me direz-vous et je suis bien d'accord mais il m'amuse. Par contre, ce titre POp 1280 que Tavernier transpose en Coup de torchon, n'est pas anodin. Il prend toute sa signification lors du dialogue de Nick Corey, le héros du livre et de son collègue, l'infect shérif  Ken Lacey,  qui affirme qu'il ne peut y avoir 1275 âmes à Pottsville! Et pourquoi n'y a-t-il pas 1275 âmes ?
Comprenez Nick, ces 1275 âmes, ça serait en comptant les nègres… que ces sacrés législateurs yankees nous forcent à compter. Et ces nègres, ils n'ont pas d'âmes.

Le ton est donné! Dans ce livre, Jim Thompson règle ses comptes avec une société sudiste raciste, violente, corrompue où les pauvres blancs et les noirs perdent toujours et où  ceux qui ont le pouvoir et l'argent peuvent tout se permettre. Nick Corey a toujours fait partie des perdants. Dès son enfance, il est battu par son père qui lui reproche d'avoir tué sa mère à sa naissance. Trop bon, trop naïf peut-être, à l'origine, il est la cible des moqueries et des coups de ses collègues mais aussi de sa femme qui le trompe et le méprise. Il s'est donc fait une philosophie qu'il applique à la lettre en tant que shérif, ne rien voir, ne pas intervenir surtout s'il s'agit de personnes importantes, être lâche pour survivre et toucher sa paye. Et il ne dédaigne pas non plus les pots de vin! Seulement un jour la coupe des humiliations et des brimades est pleine et celui que l'on prend pour un imbécile va se venger. Il va tuer ceux qui le gênent en se débrouillant pour faire accuser les petits malins qui se moquent de lui!

Jim Thompson par son âpreté, son pessimisme n'est pas sans rappeler Céline. Nick est un Bardamu, comme lui il porte un regard lucide et sans complaisance sur la société et sur l'homme. Pour lui, la noirceur de l'âme humaine est absolue! L'homme est mauvais, personne n'est jamais vraiment innocent même le noir que Nick assassine est à sa manière coupable, il pactise avec les blancs pour en obtenir des faveurs..  Comme Céline, Jim Thompson  fait descendre le lecteur dans des abysses qui semblent sans fond! Et pourtant on rit, un rire grinçant, certes, que Marcel Duhamel dans sa préface qualifie de bouffonnerie. Voilà sa conclusion à propose de ce roman : J'ai lu et relu le bouquin, révisé ma traduction, réfléchi et réfléchi encore, pour finalement jeter à la poubelle mes velléités de critique littéraire et décider que, pareil en cela à n'importe quel autre échantillon de l'espèce humaine, "j' savais foutre point c'qu'i' fallait en penser." Sinon, peut-être que le pouvoir rend fou, même à Ploucville.
Un livre/ Un film : La transposition de l'intrigue dans l'Afrique coloniale française par Bertrand Tavernier est une idée excellente comme l'est l'interprétation de tous, en particulier de Noiret dans le rôle de Nick. La société française coloniale se comporte avec les noirs comme les blancs américains, persuadés de leur supériorité et exploitant et opprimant une main d'oeuvre docile et peu coûteuse.  Les dialogues sont presque entièrement conservés et l'adaptation est très fidèle au récit et surtout à son esprit.   


samedi 29 septembre 2012

Un livre/un film : Enigme n°41





Pour les nouveaux venus : De quoi s'agit-il?

Wens de En effeuillant le chrysanthème et moi-même, nous vous proposons, le samedi, un jeu sous forme d'énigme qui unit nos deux passions : La littérature et le cinéma! Il s'intitule : Un livre, Un film.

Chez Wens vous devez trouver le film et le réalisateur, chez moi le livre et l'auteur.
Consignes :  Vous pouvez donner vos réponses par mail que vous trouverez dans mon profil : Qui êtes-vous? et  me laisser un mot dans les commentaires sans révéler la réponse pour m'avertir de votre participation. Le résultat de l'énigme et la proclamation des vainqueurs seront donnés le Dimanche.
Pendant les vacances, nous arrêtons le jeu Un livre/ Un film.


Enigme 41
Le livre adapté au cinéma sous un autre titre est écrit par un écrivain américain qui a une vision pessimiste de l'humanité et un univers très noir.  Le réalisateur du film a transposé l'action du roman - qui se déroule dans le Sud des Etats-Unis -  dans l'Afrique coloniale française. J'ai choisi cet extrait qui montre les rapports du personnage, quand il était enfant, avec son père parce que cela explique en partie sa personnalité et ses actes.
Je lui montre le prix de lecture que j'ai eu à l'école. Je suis sûr que ça va lui faire plaisir, et puis il faut bien que je le montre à quelqu'un. Et je rêve... non, je me retrouve par terre, après avoir reçu mon prix en pleine figure, une petite coupe qui m'a mis le nez en sang. Et lui m'injurie, en braillant que je n'irai plus à l'école parce qu'il sait, maintenant, que je suis un hypocrite, en plus de tout le reste. En fait, il ne supporte pas que je fasse quoi que ce soit de bien. Parce qu'autrement, je ne pourrais pas être l'ignoble petit monstre qui a tué sa propre mère en venant au monde; et il faut que je sois ça pour qu'il ait quelqu'un à blâmer.
A l'heure qu'il est, je ne lui en veux plus guère, parce que j'en ai connu pas mal de son espèce. De ceux qui cherchent une solution facile aux problèmes compliqués. De ceux qui mettent leurs ennuis sur le dos des juifs ou des gens de couleur....