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jeudi 3 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Albertine et l'homosexualité : Gomorrhe (2)

 


Marcel :  homosexuel ou un mufle ? 
 
Marcel Proust

J’avoue que je comprends pas bien les relations entre Marcel et Albertine ! Chaque fois que Marcel parle d’amour, on s’aperçoit que ce qu’il  éprouve se confond avec la jalousie. Son amour n’existe que lorsque la femme « aimée » semble lui échapper et qu’il risque de ne plus la dominer.

Pourquoi cette attitude ?  On peut se demander si ce n’est pas une manière de se cacher à lui-même ( je parle de Marcel, le personnage) et aux yeux de la société son homosexualité. En fait, il n’est peut-être pas réellement attirée par les femmes de même que Marcel Proust, l'écrivain.
 D’Albertine, Marcel nous avertit seulement qu’il l’a « possédée », un terme qui, en dehors de peindre sa prétention à être le maître du corps féminin, reste vague et sans consistance. Plus tard, on apprend qu’ils s’embrassent dans la voiture mais le jour où Albertine boit un peu d’alcool, c’est elle qui semble manifester le plus de sensualité et qui se presse contre lui.

Pourtant quand il est avec Saint Loup, ils échangent leurs impressions sur leurs rendez-vous dans des maisons de passe et Saint Loup lui donne des tuyaux pour trouver des femmes faciles. Des conversations d’homme à homme, une façon d'afficher leur virilité ! Il en est de même avec Bloch. En fait Marcel et ses amis sont des purs produits de leur époque, jeunes bourgeois ou jeunes nobles, aisés ou riches, élevés dans un patriarcat qui professe à l’égard des femmes, du moins celles qui n’appartiennent pas à leur classe sociale, un certain mépris. Il agit comme un fat qui se vante de ses conquêtes et affiche, en particulier, à l'égard d'Albertine une muflerie manifeste.

"J’ose avouer que beaucoup de ses amies — je ne l’aimais pas encore — me donnèrent, sur une plage ou une autre, des instants de plaisir. Ces jeunes camarades bienveillantes ne me semblaient pas très nombreuses. Mais dernièrement j’y ai repensé, leurs noms me sont revenus. Je comptai que, dans cette seule saison, douze me donnèrent leurs frêles faveurs. Un nom me revint ensuite, ce qui fit treize. J’eus alors comme une cruauté enfantine de rester sur ce nombre. Hélas, je songeais que j’avais oublié la première, Albertine qui n’était plus et qui fit la quatorzième. "

 
La femme est un objet que l’on prend et que l’on jette lorsque l’envie lui en prend. C’est ce qu’affirme le jeune homme et l’on peut constater qu’il en use ainsi avec la jeune fille qui doit se soumettre à ses caprices même lorsqu’elle n’en pas pas envie. Parfois, il refuse de la recevoir, trop fatigué pour cela. Parfois, il lui adresse des paroles humiliantes qui la font pleurer. Souvent, il l’envoie chercher comme une domestique quand il en a besoin dans son lit ou comme une maîtresse que l'on paye.

"D’ailleurs nos désirs pour différentes femmes n’ont pas toujours la même force. Tel soir nous ne pouvons nous passer d’une qui, après cela, pendant un mois ou deux, ne nous troublera guère. Et puis les causes d’alternance, que ce n’est pas le lieu d’étudier ici, après les grandes fatigues charnelles, font que la femme dont l’image hante notre sénilité momentanée est une femme qu’on ne ferait presque que baiser sur le front. Quant à Albertine, je la voyais rarement, et seulement les soirs, fort espacés, où je ne pouvais me passer d’elle. Si un tel désir me saisissait quand elle était trop loin de Balbec pour que Françoise pût aller jusque-là, j’envoyais le lift à Egreville, à la Sogne, à Saint-Frichoux, en lui demandant de terminer son travail un peu plus tôt."

Manifestement, il est le maître, et plus le jeu est cruel, plus il la fait souffrir, plus il l’aime.

« Est-ce que je peux rester, si je ne vous dérange pas, me demanda Albertine (dans les yeux de qui restaient, amenées par les choses cruelles que je venais de lui dire, quelques larmes que je remarquai sans paraître les voir, mais non sans en être réjoui), j’aurais quelque chose à vous dire. »

Alors Marcel est-il homosexuel ou un mufle ? Ou les deux ?  Mais au moment où je pose cette question, il y a la souffrance infinie de Marcel pleurant dans sa chambre d'hôtel à la pensée que tout est fini avec Albertine. Il y a cette distorsion entre le réel et le monde intellectuel, cette impossibilité de vivre dans la réalité : 

"J'eus l'idée  que le monde où était cette chambre et ces bibliothèques était si peu de chose, était peut-être un monde intellectuel, qui était la seule réalité, et mon chagrin quelque chose comme celui que donne la lecture d'un roman et dont un fou seul pourrait faire une chagrin durable et permanent et se prolongeant dans sa vie; qu'il suffirait d'une petit mouvement de ma volonté pour atteindre ce monde réel, y entrer en dépassant ma douleur comme un cerceau de papier qu'on crève, et ne me plus me soucier de ce qu'avait fait Albertine que nous nous soucions des actions de l'héroïne imaginaire d'un roman que après que nous avons fini la lecture."

Il ne faut pas oublier ce qu'il a déjà  affirmé à propos de Saint Loup et Rachel, que l'amour n'a pas de réalité en soi, "nous sentons que c'est, non à quelques pas de nous, mais en nous qu'était la créature chérie" mais que la souffrance, elle, est réelle.

 Il y a aussi cette affirmation :

J'étais trop porté à croire que, du moment que j'aimais, je ne pouvais pas être aimé et que l'intérêt seul pouvait attacher à moi une femme...  Et de ce jugement, peut-être erroné, naquirent bien des malheurs qui allaient fondre sur nous".

 
 
Albertine homosexuelle, vénale ?
 

Alfred Agostinelli le chauffeur de Proust est l'un des modèles d'Albertine

Albertine ? Elle aussi, je ne la comprends pas ou, peut-être, pour la comprendre, faut-il se placer dans la société de son temps et tenir compte de la condition féminine au début du XX siècle ! Voilà une adorable jeune fille, avec ses joues rondes, « son petit nez rose de chatte », son goût vestimentaire exquis. Intelligente et cultivée, elle est peintre mais l’on remarquera que Marcel ne la considère pas comme une artiste et qu'il ne prend pas la peine de regarder son travail même s’il admire l’église qu’elle a choisie pour thème de sa peinture. Toujours aussi mufle, le petit Marcel ! Elle aime la fête et n’a pas obligatoirement envie de tenir compagnie à Marcel et de rester auprès du malade (ou dans son lit) quand il la veut auprès de lui. Elle pourrait avoir tous les amoureux (ou amoureuses) qu’elle souhaite. Oui, mais dans un autre siècle !

Pourquoi se prête-t-elle aux caprices de Marcel ? J’ai d’abord pensé qu’elle était vraiment amoureuse de lui. Mais les soupçons qui pèsent sur elle permettent de se poser la même question que pour Marcel. Est-elle homosexuelle et doit elle le cacher ?

« Une des jeunes filles que je ne connaissais pas se mit au piano, et Andrée demanda à Albertine de valser avec elle. Heureux, dans ce petit Casino, de penser que j’allais rester avec ces jeunes filles, je fis remarquer à Cottard comme elles dansaient bien. Mais lui, du point de vue spécial du médecin, et avec une mauvaise éducation qui ne tenait pas compte de ce que je connaissais ces jeunes filles, à qui il avait pourtant dû me voir dire bonjour, me répondit : « Oui, mais les parents sont bien imprudents qui laissent leurs filles prendre de pareilles habitudes. Je ne permettrais certainement pas aux miennes de venir ici. Sont-elles jolies au moins ? Je ne distingue pas leurs traits. Tenez, regardez, ajouta-t-il en me montrant Albertine et Andrée qui valsaient lentement, serrées l’une contre l’autre, j’ai oublié mon lorgnon et je ne vois pas bien, mais elles sont certainement au comble de la jouissance. On ne sait pas assez que c’est surtout par les seins que les femmes l’éprouvent. Et, voyez, les leurs se touchent complètement. »

On voit que nous sommes ici dans le volet Gomorrhe, qui fait pendant symétriquement à celui de Sodome et du baron Charlus. Il n’en faut pas plus pour provoquer la jalousie de Marcel qui ne cesse, dès lors, de de surveiller la jeune fille et de la maltraiter. Plus il est féroce envers elle, plus elle se montre docile, plus il l’aime ou croit l’aimer.

« Aussitôt seuls et engagés dans le corridor, Albertine me dit : « Qu’est-ce que vous avez contre moi ? »
Elle avait l’air si doux, si tristement docile et d’attendre de moi son bonheur, que j’avais peine à me contenir et à ne pas embrasser, presque avec le même genre de plaisir que j’aurais eu à embrasser ma mère, ce visage nouveau qui n’offrait plus la mine éveillée et rougissante d’une chatte mutine et perverse au petit nez rose et levé, mais semblait dans la plénitude de sa tristesse accablée, fondu, à larges coulées aplaties et retombantes, dans de la bonté. Faisant abstraction de mon amour comme d’une folie chronique sans rapport avec elle, me mettant à sa place, je m’attendrissais devant cette brave fille habituée à ce qu’on eût pour elle des procédés aimables et loyaux, et que le bon camarade qu’elle avait pu croire que j’étais pour elle poursuivait, depuis des semaines, de persécutions qui étaient enfin arrivées à leur point culminant. «

Marie Finally, l'un des autres modèles d'Albertine


Autre question ? Albertine Simonet est orpheline. Elle a été élevée par sa tante Madame Bontemps. On la dit pauvre. Entendons-nous, son oncle n’est pas nécessiteux, il est conseiller d’Ambassade. Disons qu'elle n'est pas fortunée et appartient à une classe bourgeoise moyenne.
Est-elle attirée par les cadeaux que lui offre Marcel ? Une trousse de toilettes avec des accessoires en or, une toque et un voile qu’elle est heureuse de porter, la location d’une voiture avec chauffeur, ce qui est un luxe dispendieux à l’époque. La mère de Marcel, qui n’aime pas Albertine et qui est très conservatrice au niveau social, lui reproche d’ailleurs d’être trop dépensier et l’incite à plus de prudence. Françoise aussi ne l'aime pas parce que la jeune fille est pauvre !

C'est certain qu'Albertine apprécie le luxe. Son amie, Andrée, lui faisait profiter de sa fortune dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Albertine, pourtant n’est pas vénale comme le prouve ses réactions lorsque Marcel, trop lâche pour dire la vérité, cherche à rompre avec elle en lui mentant et en feignant d’aimer une autre femme :

"C’est pour cela que je vous ai demandé hier soir si vous ne pourriez pas venir coucher à Balbec. Si j’avais dû mourir, j’aurais aimé vous dire adieu. » Et je donnai libre cours aux larmes que ma fiction rendait naturelles. « Mon pauvre petit, si j’avais su, j’aurais passé la nuit auprès de vous », s’écria Albertine, à l’esprit de qui l’idée que j’épouserais peut-être cette femme et que l’occasion de faire, elle, un « beau mariage » s’évanouissait ne vint même pas, tant elle était sincèrement émue d’un chagrin dont je pouvais lui cacher la cause, mais non la réalité et la force."

En fait, il semble qu’elle cherche à réaliser ainsi l’idéal de toutes les jeunes filles de l’époque :  Un beau mariage mais elle a une affection qui semble sincère pour Marcel !  Et elle se comporte, peut-être, après tout, comme on l’attend d’une jeune fille bien éduquée et sans fortune : Douceur et soumission !  (bien que Marcel la trouve mal élevée et manifeste de la condescendance envers elle et ceci d'autant plus qu'il a couché avec elle ! ). On voit aussi qu'elle est maternelle : "Mon petit", même si elle n'attend plus rien de lui. Elle lui conseille même d'épouser l'autre femme. Toutes les qualités que ce début du siècle attend d'une femme, du moins de la femme que l'on épouse, douceur, soumission, maternité ! Evidemment, on peut se demander qui se cache derrière ce masque ? Parfois le jeune homme sent qu'elle n'aime pas être contrainte " et désireuse de se montrer gentille mais contrarié d'être asservie...". Qui est réellement Albertine ? A ce stade du récit, nous ne le savons pas encore.

 Pourtant, comme elle m’avait paru indépendante, fière et fantasque, "l'effrontée" Albertine, quand elle était encore une jeune fille en fleurs !



Demain Vendredi 4 Octobre : Sodome et Gomorrhe : L'humour de Proust

mercredi 2 octobre 2024

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité : Sodome (1)

 

La première partie de Sodome et Gomorrhe est pour Marcel la révélation du secret du baron Palamède Charlus et l’éclaire enfin sur tout ce qui lui avait paru jusqu’alors incompréhensible dans ce personnage. Il comprend maintenant la raison de l’attitude du Baron lors de la première rencontre au Grand Hôtel de Balbec, il comprend pourquoi, plus tard, Charlus lui propose de devenir son protecteur, les regards dubitatifs que lui jettent « ceux qui savent » en le voyant avec lui, et la colère infantile du baron quand Marcel dédaigne sa protection.
La critique reproche à Proust la cécité de son personnage vis à vis de la vraie nature du Baron Charlus et l’accuse d’invraisemblance. Mais, même si l’on ne connaît pas exactement l’âge de Marcel à Balbec, on sait qu’il est encore très jeune et qu’il vit dans un milieu familial très protégé. C’est encore un enfant par bien des côtés. Sa grand-mère lui retire ses chaussures pour éviter qu’il se fatigue et préside à son lever, Françoise l’aide à s’habiller. Avec les jeunes filles en fleurs, il joue à des jeux qui nous paraissent, de nos jours, bien enfantins. Et comme lui-même ( Marcel, le personnage) est hétérosexuel, manifestement, il ne sait pas ce qu’est l’homosexualité ou tout au moins il n'y pense pas. Mais, nous dit-on, il est possible aussi que ce déni soit une façon pour Marcel de se cacher à lui-même sa propre homosexualité. Certes, le  personnage est amoureux d'Albertine mais leurs relations restent floues et on a du mal à croire à cet amour.

Dès le début de cette scène, une révolution, pour mes yeux dessillés, s’était opérée en M. de Charlus, aussi complète, aussi immédiate que s’il avait été touché par une baguette magique. Jusque-là, parce que je n’avais pas compris, je n’avais pas vu. Le vice (on parle ainsi pour la commodité du langage), le vice de chacun l’accompagne à la façon de ce génie qui était invisible pour les hommes tant qu’ils ignoraient sa présence. La bonté, la fourberie, le nom, les relations mondaines, ne se laissent pas découvrir, et on les porte cachés.

Daniel Van Hein : Sodome détruit par le feu

C’est en attendant le duc et la duchesse dans les escaliers de l’hôtel de Guermantes que Marcel découvre, caché derrière les persiennes d’une fenêtre, la parade amoureuse de Charlus et Jupien qui se déroule au-dessous de lui. Marcel, et ce n’est pas la première fois dans la Recherche se fait voyeur. Cela peut choquer par rapport à la moralité du personnage mais c’est en fait le statut de l’écrivain qui est décrit ici, l’écrivain vu comme « voyeur » de ses semblables. Les deux hommes se rencontrent pour la première fois et se « reconnaissent ». Marcel établit alors une correspondance entre eux et l’orchidée exposée en plein air dans la cour, attendant le bourdon qui va la féconder.

 "Je savais que cette attente n’était pas plus passive chez la fleur mâle, dont les étamines s’étaient spontanément tournées pour que l’insecte pût plus facilement la recevoir ; de même la fleur-femme qui était ici, si l’insecte venait, arquerait coquettement ses « styles », et pour être mieux pénétrée par lui ferait imperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la moitié du chemin."

De même Jupien "enraciné comme une plante" répond au message délivré silencieusement par l’attitude du baron, prenant "des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidée pour le bourdon providentiellement survenu "

Le baron apparaît passablement ridicule, ce que fait ressortir comiquement l’antithèse montrant Jupien "émerveillé " par "l’embonpoint vieillissant" de Charlus et tous les termes qui le décrivent insistent sur l’aspect négatif du personnage "affectée, fat, négligent", face à la fleur-Jupien qui ne lui cède en rien dans le ridicule et "donnait à sa taille un port avantageux, son poing sur la hanche, impertinence grotesque, faisait saillir son derrière". Ces deux portraits ont donc une charge satirique assez poussée.

Paradoxalement, c’est au moment où il le dépeint comme grotesque dans cette approche  amoureuse qui le déshumanise en le transformant en  gros  « bourdon »,  que Marcel aperçoit toute l’humanité du Baron qui, ne se sachant pas observé, laisse tomber le masque de "potinages, d’arrogance, de dureté" et  laisse apercevoir humanité et bonté. Et après avoir décrit cette scène de rencontre où il affecte un regard moqueur voire cynique, Proust ajoute une phrase qui en  modifie le sens :

"Cette scène n’était, du reste, pas positivement comique, elle était empreinte d’une étrangeté, ou si l’on veut d’un naturel, dont la beauté allait croissant. "

Et il va s’attacher à en montrer la beauté et le naturel !

"Mais justement la beauté des regards de M. de Charlus et de Jupien venait, au contraire, de ce que, provisoirement du moins, ces regards ne semblaient pas avoir pour but de conduire à quelque chose.

C’est que, peu à peu, Marcel Proust glisse d’une comparaison « comme un plante » à une étroite métaphore entre l’humain et la nature, « la fleur-femme », puis, toujours à propos des deux hommes, « l’homme-oiseau », « l’homme-insecte », aboutissant à une sorte d’osmose où toutes les espèces y compris humaines sont liées et semblables. Voilà qui dédouane l’homosexualité de tout jugement de valeur et de morale ! On sait qu’à l’époque de Proust, l’homosexualité que l’écrivain nomme « vice » pour satisfaire à la prudence, tout en n’acceptant pas ce terme, pouvait mettre au ban de la société et était punie par la loi.

On verra que Charlus est en butte aux moqueries, à la cruauté des invités des Verdurin, que ses efforts pour cacher ses amours le rendent souvent ridicule, pitoyable ou vindicatif et arrogant, se retirant derrière le privilège de sa classe sociale pour affirmer sa supériorité. C’est une situation que Proust a dû bien connaître surtout quand il était au lycée et que, encore naïf, il ne cachait pas ses sentiments. Il se doit donc d’être prudent dans sa description. Après avoir donné l’assurance à ses lecteurs qu’il trouve la scène ridicule et par conséquent  immorale, il affirme ainsi le contraire :

 Cette beauté, c’était la première fois que je voyais le baron et Jupien la manifester. Dans les yeux de l’un et de l’autre, c’était le ciel, non pas de Zurich, mais de quelque cité orientale dont je n’avais pas encore deviné le nom, qui venait de se lever.

 

Joos de Momper le jeune :  Loth ses filles et les anges fuyant Sodome et Gomorrhe en feu La femme de Loth changée en statue de sel à gauche
 


Suit alors un très beau plaidoyer contre l’homophobie qui dépeint la souffrance de ceux qui ne peuvent jamais se montrer tels qu’ils sont et dont l’amour est un crime aux yeux de la société.

"Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pour toute créature la plus grande douceur de vivre ; qui doit renier son Dieu, puisque, même chrétiens, quand à la barre du tribunal ils comparaissent comme accusés, il leur faut, devant le Christ et en son nom, se défendre comme d’une calomnie de ce qui est leur vie même ; fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l’heure de lui fermer les yeux ; amis sans amitiés, malgré toutes celles que leur charme fréquemment reconnu inspire et que leur cœur souvent bon ressentirait ; mais peut-on appeler amitiés ces relations qui ne végètent qu’à la faveur d’un mensonge et d’où le premier élan de confiance et de sincérité qu’ils seraient tentés d’avoir les ferait rejeter avec dégoût, à moins qu’ils n’aient à faire à un esprit impartial, voire sympathique, mais qui alors, égaré à leur endroit par une psychologie de convention, fera découler du vice confessé l’affection même qui lui est la plus étrangère, de même que certains juges supposent et excusent plus facilement l’assassinat chez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisons tirées du péché originel et de la fatalité de la race."

Il est vrai aussi que ces interdits qui pèsent sur les amours homosexuels engendrent bien des corruptions, amours tarifés avec des jeunes garçons des classes populaires, les riches tirant parti de leur misère. Charlus aurait des scrupules à profiter des jeunes gens bien nés, il les aime mais il ne les touche pas, il n’en a plus quand il s’agit de jeunes commis, employés ou apaches !

On comprend alors le sens du titre de ce quatrième volume de la Recherche : Sodome et Gomorrhe, du nom des deux cités bibliques réprouvées par le ciel, en butte au feu divin qui punit et détruit les amours considérés contre-nature, masculins et féminins. En début de roman avec Charlus il est question de Sodome, en deuxième partie avec Albertine, de Gomorrhe. Car nous annonce Proust, les homosexuels sont partout dans la société et si nous les apercevons pas, eux savent se reconnaître et se protéger autant que possible malgré le danger.

Si dans la littérature avant Marcel Proust, les homosexuels sont présents, il en est toujours parlé d’une manière fortuite et en des termes choisis, par allusion. C’est la première fois, avec Proust qu’un roman met l’homosexualité au centre de l’action et  en parle avec autant de franchise, sans employer de circonvolutions, en termes directs et parfois crus.

 La citation  de Vigny, en exergue, donne d'ailleurs le ton : "La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome". " Et le sous-titre "Première apparition des Hommes-femmes descendants de ceux des habitants de Sodome qui furent épargnés par le feu du ciel"

Dans quelle mesure l'écrivain a-t-il contribué à l’évolution des mentalités ?

"… partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée ; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône ; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés."

 

 

Demain Jeudi 3 Octobre : Sodome et Gomorrhe : Albertine et l'homosexualité : Gomorrhe (2)


samedi 28 septembre 2024

Jane Austen : Persuasion


Le sens du comique de Jane Austen



 

En lisant la biographie de Jane Austen par David Cecil, j’ai eu envie de relire Persuasion, le dernier roman de l’écrivaine si l’on excepte Sanditon qu’elle commença en janvier 1817 mais qu’elle laissa inachevée, trop affaiblie pas sa maladie. Elle meurt le 18 juillet 1817.  Elle a 42 ans. Le biographe parle de Persuasion achevé en août 1816, édité après sa mort en 1818, comme d’une oeuvre plus grave, où le ton a changé par rapport aux précédents écrits :

« Le discours d’Anna ( le personnage principal de Persuasion) écrit David Cecil «témoigne d’une innovation de l’art de la romancière aussi bien que de sa thématique. C’est la première fois qu’elle exprime des sentiments passionnés de manière aussi réussie. »

Je crois me souvenir que Virginia Wool parlait elle aussi de Persuasion comme d’une oeuvre de la maturité, plus profonde que les autres romans. Je le dis tout de suite, ils ont raison, l’oeuvre est plus grave, plus mature, mais combien moins amusante, ironique et féroce. Jane Austen exprime des sentiments comme elle ne l'avait jamais fait auparavant mais un peu au détriment de son sens de l’humour ! ( pas complètement heureusement !). Certes, il y a encore des personnages ridicules et l’écrivaine a encore la dent dure comme  lorsqu’elle campe le personnage de Sir Walter Eliott  :

"Il avait été remarquablement beau dans sa jeunesse, et à cinquante-quatre ans, étant très bien conservé, il avait plus de prétentions à la beauté que bien des femmes, et il était plus satisfait de sa place dans la société que le valet d’un lord de fraîche date. À ses yeux, la beauté n’était inférieure qu’à la noblesse, et le Sir Walter Elliot, qui réunissait tous ces dons, était l’objet constant de son propre respect et de sa vénération."

Cependant, Sir Eliott ainsi que ses filles, Elizabeth et Mary, les soeurs d’Anna, s’ils sont l’objet d’un portrait chargé sont souvent plus méchants que comiques. Je ne retrouve pas la légèreté caustique de la Jane Austen campant une Mrs Bennett ou Mr Collins dans Orgueil et préjugés, ni la verve malicieuse  et comique lorsqu’elle met en scène la naïve Catherine de Northanger Abbey dont elle se moque avec beaucoup de tendresse.
Pour tout dire, j’aime Persuasion mais je préfèrerai toujours Orgueil et préjugés, quand Jane Austen s’adonne à la caricature, provoque le rire, quand sa jeunesse n’a pas encore rencontré les regrets de l’âge mûr, quand elle est encore enjouée, acerbe, quand elle croit que ses héroïnes sont maîtresses de leur vie et ceci avec brio et en présentant une satire impitoyable des ridicules de la société dont elle ne remet pas en cause, pourtant, l’ordre et la hiérarchie. Avec Persuasion, Jane Austen voit encore le comique des situations et de ses semblbles mais elle s’amuse moins et sa vision s’est assagie. Peut-être aussi a-t-elle plus d'indulgence envers les adultes, l'âge aidant, et ses jugements ne sont-ils plus aussi intransigeants que lorsqu'elle avait l'âge d'Elizabeth Bennett ?  Pensez à ce qu'aurait pu devenir le portrait de Lady Russel, l'amie qui est responsable de la rupture entre Anna et Frederic, du temps de Orgueil et préjugé ! Voilà comment elle est décrite dans Persuasion. Sagement ?

 Lady Russel avait une stricte intégrité et un délicat sentiment d’honneur ; mais elle souhaitait de ménager les sentiments de Sir Walter et le rang de la famille. C’était une personne bonne, bienveillante, charitable et capable d’une solide amitié ; très correcte dans sa conduite, stricte dans ses idées de décorum, et un modèle de savoir-vivre.

Jane a perdu en comique, peut-être a-t-elle gagné en humanité ?

 

Persuasion : le récit

 


Dans Persuasion, Anna Eliott, la deuxième fille du baronnet Sir Walter Eliott, être vaniteux et sec, a perdu sa mère quand elle était jeune. Elle accorde sa confiance et son affection à Lady Russell, amie de sa mère. Il faut dire qu’elle trouve peu d’affection dans sa famille, entre un père égoïste, imbu de lui-même, qui n’a de considération que pour sa fille ainée, Elizabeth, tout aussi vaniteuse et dure que lui. Son autre soeur Mary mariée à Charles Musgrove est égoïste et geignarde, toujours en train de se plaindre et d’appeler Anna au secours.

Il y a quelques années alors que Anna est amoureuse de Frederic Wenworth, jeune capitaine sans le sou, Lady Russel qui est snob et conservatrice lui conseille de rompre ses fiançailles.

Sir Walter, sans refuser positivement son consentement, manifesta un grand étonnement, une grande froideur et une ferme résolution de ne rien faire pour sa fille. Il trouvait cette alliance dégradante, et lady Russel, avec un orgueil plus excusable et plus modéré, la considérait comme très fâcheuse. Anna Elliot ! avec sa beauté, sa naissance, son esprit, épouser à dix-neuf ans un jeune homme qui n’avait d’autre recommandation que sa personne, d’autre espoir de fortune que les chances incertaines de sa profession, et pas de relations qui puissent l’aider à obtenir de l’avancement ! La pensée seule de ce mariage l’affligeait ; elle devait l’empêcher si elle avait quelque pouvoir sur Anna.

Anne se laisse « persuadée », elle rompt mais elle ne parvient pas à oublier son amour pour le jeune homme et sa vivacité, sa beauté se fânent. Or, le roman commence huit ans après cette rupture quand Frederic Wenworth, désormais capitaine de vaisseau et riche, revient dans la région et qu’elle ne peut éviter de le rencontrer à nouveau. Frederic s’est enrichi et s’est couvert d’honneurs dans les guerres napoléoniennes contre la France. Quand Anna le revoit, elle se rend compte que son amour pour lui est toujours aussi fort.

Elle l’avait vu ! Ils s’étaient trouvés encore une fois dans la même chambre !

Bientôt, cependant, elle se raisonna, et s’efforça d’être moins émue. Presque huit années s’étaient écoulées depuis que tout était rompu. Combien il était absurde de ressentir encore une agitation que le temps aurait dû effacer ! Que de changements huit ans pouvaient apporter ! tous résumés en un mot : l’oubli du passé ! C’était presque le tiers de sa propre vie. Hélas, il fallait bien le reconnaître, pour des sentiments emprisonnés, ce temps n’est rien. Comment devait-elle interpréter les sentiments de Wenvorth ?

 Manifestement, Fréderic n’a pas pardonné à Anna ce qu’il appelle sa faiblesse de caractère, il lui reproche d'avoir cédé à la persuasion, et courtise les filles de son voisin, les demoiselles Musgrove, Henrietta et Louisa. Epousera-t-il l’une ou l’autre ? Est-il vrai qu’il n’aime plus Anna ? Je vous laisse lire la suite !

 

De Raison et sentiment à Persuasion : L’évolution de Jane Austen


Anna Eliott et Marianne Dashwood de Raison et Sentiment ont des points communs : elles aiment toutes les deux un jeune homme sans fortune et souhaitent l’épouser. Mais dans Raison et sentiment, Marianne, passionnée, imprudente, n’écoute pas la raison (sa soeur Elinor et sa mère) et elle va déchanter, s’exposer aux railleries de la société et souffrir de la trahison de celui qu'elle aime. Le jeune homme, John Williboughby,  n’est pas digne d’elle et l’abandonne pour épouser une femme fortunée. La souffrance de la jeune fille est telle qu’elle risque d’en mourir. Certes, on n’est pas toujours maître de ses sentiments et de sa sensibilité mais la raison doit les dominer et guider notre conduite conclut Jane Austen. La jeune fille épousera un propriétaire terrien aisé, le colonel Brandon, paré de vertus, même s’il porte des caleçons de flanelle comme un vieux monsieur ( de 35 ans ! ) ! Pas folichon, tout de même pour une jeune fille de 17 ans !

Anna Eliott, elle aussi, aime Frederic Wenworth. Celui-ci n’est pas un propriétaire terrien, il est marin, il n’a pas de fortune mais il est bien décidé à faire son chemin. Il ne compte pas sur un riche mariage mais sur son travail, sa volonté, son courage et sa chance. Il réussit, prouvant à la jeune fille qu’elle a eu tort de ne pas lui faire confiance.

"La confiance qu’il avait en lui-même avait été justifiée. Son génie et son ardeur l’avaient guidé et inspiré. Il s’était distingué, avait avancé en grade, et possédait maintenant une belle fortune ; elle le savait par les journaux, et n’avait aucune raison de le croire marié."

 Nous sommes donc dans la situation inverse de Raison et Sentiment paru en 1811 mais rédigé vers 1795 alors que Jane Austen achève Persuasion en 1816, qu’elle est malade et qu’elle va bientôt mourir. Et voilà ce que pense son héroïne :

« Elle pensait qu’en dépit de la désapprobation de sa famille ; malgré tous les soucis attachés à la profession de marin ; malgré tous les retards et les désappointements, elle eût été plus heureuse en l’épousant qu’en le refusant, dût-elle avoir une part plus qu’ordinaire de soucis et d’inquiétudes, sans parler de la situation actuelle de Wenvorth, qui dépassait déjà ce qu’on aurait pu espérer. »

Il ne s’agit pas, bien sûr, de ne pas respecter la morale -  Jane Austen est une fervente protestante -  mais d’envisager le mariage non comme un contrat financier, non comme une assurance tout risques, mais comme un partage, une aventure à deux, qui, si elle est source de difficultés, doit être vécu avec amour. Il s’agit de surmonter ensemble l’absence de fortune, les difficultés de la vie : elle eût été plus heureuse en l’épousant. Il s’agit de bonheur ! Jane Austen regrette-t-elle de ne jamais avoir  écouté ses sentiments, d’avoir laissé parler la raison ? En tout cas, jamais Jane n’a prêté des accents aussi passionnés à l’un de ses personnages !  

 

Thomas Langlois Lefroy

David Cecil explique que le seul amour de Jane Austen, fut Thomas Langlois Lefroy, un jeune étudiant irlandais sans fortune qu’elle a rencontré dans le Hampshire. Elle avait 20 ans. Elle a dansé avec lui, bavardé, flirté, les jeunes gens se sont découvert des affinités (Elle l’avoue à sa soeur Cassandre dans une des rares lettres qui ont échappé à la destruction). Mais le jeune homme est comme elle, sans fortune. Sa famille attend beaucoup de lui. Il doit épouser une héritière et oui, comme dans Raison et sentiment. Leurs familles les éloignent bien vite l’un de l’autre. Bien sûr, certains biographes doutent que Jane ait réellement aimé le jeune homme. Il ne s’agissait que d’un flirt, disent-ils. Il n’en reste pas moins qu’à l’âge de la maturité alors que la maladie l’affaiblit, alors qu'elle va bientôt mourir, elle écrit   : 

"Elle ne blâmait pas lady Russel ; cependant si une jeune fille dans une situation semblable lui eût demandé son avis, elle ne lui aurait pas imposé un chagrin immédiat en échange d’un bien futur et incertain."

  Quand elle rédige Persuasion, sa nièce Fanny lui demande des conseils à propos d’un de ses amoureux. Que doit-elle répondre à une demande en mariage ? Jane Austen y répond en lui conseillant la prudence mais elle s’angoisse bientôt et craint de faire le malheur de sa nièce en l’éloignant d’un véritable amour !

"Combien Anna eût été éloquente dans ses conseils ! Combien elle préférait une inclination réciproque et une joyeuse confiance dans l’avenir à ces précautions exagérées qui entravent la vie et insultent la Providence !"

Enfin cette phrase n’est-elle pas un aveu fervent qui résume à mon avis cette évolution et révèle les regrets qui sont au coeur d'Anna-Jane : 

"Dans sa jeunesse on l’avait forcée à être prudente plus tard elle devint romanesque, conséquence naturelle d’un commencement contre nature."

 
Quant à la conclusion : 

"Qui peut douter de la suite de l’histoire ? Quand deux jeunes gens se mettent en tête de se marier, ils sont sûrs, par la persévérance, d’arriver à leur but, quelque pauvres, quelque imprudents qu’ils soient. C’est là peut-être une dangereuse morale, mais je crois que c’est la vraie...  "

 

jeudi 26 septembre 2024

Olivier Norek : Les guerriers de l'hiver

 

 

 

La guerre d'Hiver Wikipedia

 

« Longtemps la Finlande appartint à d’autres. »

C’est l’incipit du livre d’Olivier Norek. La Finlande fut d’abord sous domination suédoise, puis gagna une relative autonomie sous l’empire russe tsariste. C’est en 1917 qu’elle obtint enfin son indépendance.
En 1939, Staline veut créer une zone protectrice à la frontière de la Russie et de la Finlande pour protéger Léningrad des troupes hitlériennes qui pourraient envahir le pays par la Finlande, profitant de sa neutralité.
Devant le refus du gouvernement finlandais de céder des territoires, les soviétiques déclarent la guerre le 30 Novembre 1939. Une guerre éclair pense Staline, l’affaire de quelques jours :  une immense armée contre une poignée d’hommes, un gigantesque pays contre un minuscule.

Les Finlandais savent qu’ils vont perdre la guerre mais ils opposent une résistance acharnée aux envahisseurs. Le combat meurtrier des deux côtés, va durer 105 jours. Les Soviétiques finissent par occuper les zones demandées mais la force militaire soviétique est discréditée et Hitler voyant ses faiblesses décide d’envoyer ses armées contre les soviétiques en Juin 1941 renonçant à son projet initial qui consistait à attendre que le front ouest soit vaincu. 

 

Pekka Halonen


C’est cette guerre, la Guerre d’Hiver, que raconte Olivier Norek qui, abandonnant le polar, se lance dans un roman historique. Et c'est une réussite !

L’écrivain s’attache à nous peindre le sisu, un mot finlandais intraduisible qui décrit la force intérieure des Finlandais, leur esprit de résistance même en l’absence d’espoir, un mot difficile à définir car il contient plusieurs composantes et qui s’élève au rang de mythe national.

 Et le Sisu des Finlandais dans cette guerre disproportionnée participe à un récit prenant, que l’on suit avec empathie et intérêt :

Le sisu est l’âme de la Finlande. Il dit le courage, la détermination…

Ce qui joue en faveur des Finlandais, c’est bien sûr cette motivation, la nécessité de défendre leur pays qui vient à peine d’être reconnue après des siècles d'occupation, leur adaptation à un hiver encore plus rigoureux que d’habitude, habitués peut-être aussi aux privations et à l’endurance par une vie rurale très dure où il faut s’adapter pour survivre.

 "Une vie austère, dans un environnement hostile, a forgé leur mental d’un acier qui nous résiste aujourd’hui"  reconnaît Molotov lui-même.

Enfin l’impréparation des troupes russes mal équipées pour le froid, mal nourries, peu motivées et mal formées aussi bien les soldats que les officiers (Staline avait envoyé les officiers de carrière au goulag), expliquent les difficultés rencontrées. De plus, Staline mettait en première ligne les peuples des républiques de l’Union (plutôt que les Russes) peu motivés pour une guerre qui n’était pas la leur.

 

Simo Häyhä La Mort blanche


Le récit de Norek tout en nous montrant l’universalité du combat reprend la légende de Simo Häyhä, un jeune paysan, de ses amis Toivo, Onni, Pietari, Leena... et de leurs officiers, personnages historiques.
Simo Häyhä est un paysan qui a appris à tirer pour tuer du gibier. Pendant la guerre, il devient un sniper redoutable qui atteint ses cibles presque à chaque coup. Sa légende se répand et les soldats russes le surnomment Белая смерть, Belaïa smert, la Mort blanche, tout en lui accordant un pouvoir presque surnaturel. La Mort blanche car les soldats finlandais sont vêtus de combinaisons chaudes de couleur blanche qui leur permettent de passer inaperçus dans la neige alors que les soviétiques sont en uniforme de couleur, un autre désavantage.

Et c’est parce que l’écrivain fait oeuvre d’historien, qu’il s’en tient à l’Histoire - même dans les paroles prononcées ou écrites -  qu’il manque parfois aux personnages une couleur romanesque qui permettrait de s’attacher plus étroitement à eux. Simo est un symbole, celui du Sisu, celui d'un peuple opprimé, injustement envahi. C'est au récit national que l'on s'attache à travers lui, au  récit de cette résistance passionnante et même fascinante tant on épouse le combat du plus faible contre le plus fort. Mais j’ai apprécié que, tout en racontant la légende de Simo, Olivier Norek tienne à montrer l’horreur de la guerre et que, pour Simo et ses amis, le fait de tuer, fut-ce des ennemis, c’est toujours tuer un homme. Certains comme le lieutenant Juutilainen deviennent des tueurs qui ne savent plus vivre en paix. Comment rester humain quand on est confronté à la banalité de la mort ? C’est une des grandes questions du roman. 

"Lors de cette journée, l'unité finlandaise de soixante hommes avec leurs mitrailleuses tua à elle seule plus de deux mille soldats envoyés à l'abattoir." 

"Ils étaient hier simples fermiers, pères de famille, amis et maris. Aujourd'hui ils devenaient tueurs de masse."

Le roman d'Olivier Norek, même si nous ressentons de l'admiration pour ce peuple ainsi attaqué, loin d'être une glorification de la guerre nous en peint les aberrations et nous place toujours du côté de l'humain. Et c'est en cela, aussi, qu'il me touche particulièrement.

Et Olivier Norek conclut :  

« Si ces évènements ont bientôt un siècle, ils nous renvoient à l’Histoire actuelle et nous mettent en garde.
La guerre survient souvent par surprise, et il faut toujours un premier mort sur notre sol pour y croire vraiment »

Une belle lecture !

 

Rentrée littéraire 2024  Les guerriers de l'hiver a été sélectionné pour le prix Goncourt (entre autres).

lundi 23 septembre 2024

Normandie : l'abbaye de Jumièges

L'abbaye de Jumièges
 

 

 L'abbaye de Jumièges située dans les boucles de la Seine ( département Seine-Maritime) fut fondée vers 654 par  Saint Philibert et connut un essor rapide. Ce fut l'un des plus importants et des plus anciens monastères bénédictins de Normandie. A la révolution elle fut vendue comme bien national et partiellement détruite pour exploiter les pierres.

 

 Un tiers de ses bâtiments sont encore visibles aujourd'hui. Mais se promener au milieu ces vestiges permet de saisir la beauté et la puissance de ces ruines grandioses.

 

Jumièges en 1678


L'abbaye de Jumièges


L'abbatiale Notre-Dame érigée entre 1040 et 1060 est considérée comme l'un des chefs d'oeuvre de l'art roman.

 

L'abbatiale Notre-Dame façade ouest

Sa façade ouest comporte un porche surmonté d'une tribune et encadré de deux tours jumelles d'une hauteur de 46 mètres.

 

L'abbatiale Notre-Dame nef  en direction de  la façade ouest intérieur.

 La nef avec ses 25 mètres de haut est la plus haute de Normandie.

 

L'abbatiale Notre-Dame : intérieur nef vue du mur nord
 

 La nef présente une élévation à triple niveau, grandes arcades, triforium et fenêtres. Quelques traces de peinture datant du XIII et XVI siècle subsistent encore.

 

L'abbatiale Notre-Dame nef vue sur la façade est

 A la croisée du transept seul la tour lanterne est encore visible.

 

Emplacement du choeur : vestiges chapelles gothiques( les nuages :  clouds theory de Laurent Grasso)

 

Du choeur ne demeurent que les vestiges de deux chapelles rayonnantes gothiques.


Passage vers l'église Saint Pierre

Reliée à l’abbatiale Notre-Dame par le passage Charles VII, l’église Saint-Pierre conserve d’intéressants vestiges de la période carolingienne.

 

Logis abbatial du XVII siècle

 Dans l'immense parc l'on découvre la résidence des abbés de l'abbaye. La construction de ce bâtiment fut commencé en 1666 pour remplacer l'ancien logement médiéval abandonné. D'un style classique avec sa haute toiture à la Mansart, il est habité dès 1671 par François II de Harlay de Champvallon, archevêque de Paris et abbé de Jumièges.

 

La porterie

La porterie : on entre par un porche du XIV siècle dans un bâtiment qui a été remanié au XIX siècle dans un style néo-gothique

jeudi 19 septembre 2024

David Cecil : Un portrait de Jane Austen


 

J’ai retrouvé sur une étagère de ma maison lozérienne, cet été, un vieux livre tout gondolé intitulé Un portrait de Jane Austen de David Cecil. Nul doute qu’il appartienne à l’une de mes trois filles puisqu’elles ont eu chacune leur période Jane Austen et nul doute aussi qu’il ait trempé dans une baignoire (du genre livre que l’on ne peut abandonner même pour aller se laver) comme en témoigne l’état piteux de cette relique !



J’ai dont lu ce pauvre rescapé qui avait échappé à ma vigilance ! Le lire c’est entrer dans la vie de Jane Austen et de sa famille, de sa soeur Cassandre qui était très proche d'elle mais qui a détruit la plus grande partie de ses lettres, de ses sept frères et ses nièces qu’elle aimait beaucoup et qui ont laissé des témoignages sur elle. Son neveu James Edward Austen Leigh a d’ailleurs écrit un livre de souvenirs sur sa tante. Mais je ne vais pas m’étendre sur les faits biographiques assez succincts du livre de David Cecil, je retiendrai avant tout son analyse de l’Angleterre du XVIII siècle pour expliquer l’oeuvre de l’écrivaine.

Jane Austen musée de Bath

Il y a une époque de ma vie où j’ai écrit sur Jane Austen dans mon blog (à la suite d’un voyage à Bath) et où je répétai d’un billet à l’autre que Jane Austen n’était pas romantique. Je suppose que celles qui m'ont lue alors devaient en avoir par dessus la tête de mes obsessions littéraires ! Mais là, pour cette biographie,  ce n’est pas de ma faute ! Comment commence David Cecil ? Devinez ? Il nous dit que Jane Austen, bien qu’ayant vécu un partie de sa vie d’adulte après 1800, appartient en fait au XVIII siècle par l’esprit (l’ironie, le côté comique de sa peinture de la nature humaine, la causticité et parfois la méchanceté car les ridicules l'énervent ! ) et par le style (loin des envolées lyriques du romantisme, par sa sobriété, sa concision, sa retenue). 

Vivant dans une famille aisée de la gentry campagnarde, elle est tout à fait à l’aise dans son milieu et épouse entièrement les idées de l’Angleterre du XVIII dont on retrouve les caractéristiques dans son oeuvre. Il ajoute que Jane Austen - à qui certains reprochent de n’avoir décrit qu’une société restreinte, celui de sa classe sociale, d’une bourgeoisie ou d’une petite noblesse campagnarde aisée -,  était très consciente de ses possibilités. 

« Je ne pourrai pas plus écrire un roman historique qu’un roman épique écrit-elle. (…) et si par hasard je pouvais m’y résoudre sans me moquer de moi-même ou du monde, je mériterais d’être pendue avant la fin du premier chapitre ».

Elle décrivait son milieu mais avec une connaissance de la nature humaine et un sens de la dérision qui fait que la plupart de ses oeuvres sont à la fois pleines de finesse et d’humour.

Walter Scott qui l'admirait beaucoup disait regretter que  "Cette exquise délicatesse qui rend les choses et les gens ordinaires intéressants dans leur banalité grâce à la vérité de la description et des sentiments..." lui soit refusée.

"En somme, écrit David Cecil, on peut décrire l’oeuvre de Jane Austen comme une peinture de la vie sociale et domestique sous la plume d’une femme et sur le mode comique."

 

Ozias Humpfry : Jane Austen

Mais quelle est cette société ?


L’Angleterre du XVIII siècle n’est pas une société démocratique mais hiérarchisée « dirigée par une oligarchie héréditaire des nobles et de châtelains dans laquelle tous acceptent les distinctions de rang comme relevant de l’ordre naturel des choses tel qu’il a été établi par Dieu ». »

Jane Austen ne remet jamais en question cet ordre social. L’individu doit régler sa conduite sur des critères définis  : le réalisme et le bon sens. Ainsi, même si Jane Austen admet les désordres de la passion et du désir charnel, elle pense qu’ils doivent être contrôlés par la raison. De même, elle estime que l’on ne doit pas se marier sans amour, uniquement pour des raisons financières,. Par contre, il  n’est pas raisonnable, non plus, de mépriser l’argent et la réussite sociale, ce qui serait contraire au bon sens.

Raison et sentiment comme le titre l’indique en est une démonstration qui oppose les soeurs Elinor (la raison) et Marianne (La passion). Mais le réalisme et le bon sens, précise Cecil, s’accompagnent d’un certain pessimisme. On doit rester à sa place et se contenter de ce que l’on a, la vie ne satisfait pas les passions et ne fait pas de miracles. C’est ce qu’apprend Marianne qui, après avoir failli mourir par amour, épouse un homme honorable qu’elle aime « raisonnablement »!  Seule Elizabeth de Orgueil et préjugés  échappe à  la règle et  monte dans l’échelle sociale en épousant Darcy mais c’est parce qu’elle a su faire preuve de mesure et de sagesse et a su maîtriser son orgueil et combattre ses préjugés.

Car la seconde règle du XVIII siècle est la morale : bienveillance, prudence, honnêteté, respect de la famille, obéissance à ses parents, esprit civique et amour de Dieu. Là encore un foi solide et contenue aux antipodes des tourments du doute ou du mysticisme exalté.
Jane Austen est très croyante mais sans pudibonderie contrairement à ce qui se passera après dans l’Angleterre victorienne. Son oeuvre est morale mais elle donne rarement des « leçons » de morale. C’est surtout sa philosophie de la vie qu’elle exprime dans ses récits sauf une exception : Mansfield Park.
C’est d’ailleurs le roman que j’aime le moins de Jane Austen dans lequel son héroïne Fanny Price est une bigote pudibonde qui fait la paire avec son pasteur Edmond (qu’elle  va épouser). Elle réprouve les  activités théâtrales de ses cousins, refusant d’y participer et critiquant le manquement à la bienséance et aux bonnes moeurs. Qu’arrive-t-il à Jane Austen dans ce livre ? Si ce n’est pas une leçon de morale, cela?  Sa Fanny Price ne manquerait-elle pas de fantaisie ? Quelle rigidité ! Mais il faut dire que le personnage de Fanny Price est plus complexe que l’on veut bien le penser. D’une part, elle paraît soumise, bégueule, moralisatrice et sans grande personnalité, d’autre part elle résiste à son oncle qui veut la marier à Henry Crawford qu’elle n’aime pas et nul ne pourra fléchir sa volonté ! Il faudrait donc approfondir le personnage mais, à priori, je n’aime pas ce côté moralisateur.

Lire cette biographie m’a redonné envie de relire Persuasion que, contrairement aux autres romans, je n’ai pas lu plusieurs fois. David Cecil explique que le ton est plus grave et que l’on sent la maturité de Jane par rapport à ses oeuvres de jeunesse.  Elle avait quarante ans quand elle l'écrivait, était malade et elle allait bientôt mourir. Je vous parlerai donc bientôt de Persuasion.



mardi 17 septembre 2024

Bilan 3 : Marcel Proust , Le côté de Guermantes


 

 

Nous avons terminé, avec plus ou moins de plaisir, le très, (trop ?) long Côté de Guermantes fidèles au poste et au défi de la lecture commune

Claudialucia

Proust Le côté de Guermantes :  lucidité et pessimisme

Miriam

Proust Le côté de Guermantes :(1ère partie) Le téléphone

Proust Le Côté de Guermantes :(2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de madame de Villeparisis

Proust Le côté de Guermantes :  (3ème partie) Un dîner chez la Duchesse de Guermantes

J’ai eu le grand plaisir de visiter la Maison de tante Léonie (Musée Proust) à Illiers-Combray

 

La prochaine publication des billets sera au début Octobre pour Sodome et Gomorrhe

 

 

 

lundi 16 septembre 2024

Normandie : Pont Audemer et l'exposition Adolphe Binet


Adolphe Binet : la Convalescente ou taches de soleil (1893) Musée des Beaux-arts de Rouen
 

Adolphe Binet : Convalescence (détail) le chien de l'artiste  Black


Pont-Audemer ses ruisseaux, ses maisons à Colombage

 

Pont-Audemer
 

Pont-Audemer est située dans le département de l'Eure en Normandie  dans le Val de la Risle, un affluent de la Seine. La ville est traversée par d'étroits canaux constitués par les bras de la Risle.

Pont-Audemer
 

 

Pont-Audemer
 

Pont-Audemer
 

 

Pont-Audemer

 

 L'église Saint Ouen

 

Pont-Audemer église de Saint Ouen

L'église saint Ouen n'a jamais été terminée. Elle présente différents styles roman, gothique et Renaissance. Ces  beaux vitraux du XVI siècle sont très riches.

 

Pont-Audemer église de Saint Ouen



Pont-Audemer montage de deux vitraux église Saint Ouen
 

Pont-Audemer église de Saint Ouen


 

Pont-Audemer église Saint Ouen

 

Pont-Audemer L'orgue de Saint Ouen
 

 

 Le musée Alfred Canel : Exposition Adolphe Binet, les dernières lueurs

 

Adolphe Binet : le vieux jardinier

C'est dans le musée Alfred-Canel qu'a lieu, dans le cadre du festival Normandie-Impressionnisme, l'exposition consacrée au peintre normand Adolphe Binet (1854-1897) et ceci jusqu'au 1er Décembre, l'exposition ayant été prolongée. Le musée est installé dans la demeure de l'écrivain normand Alfred Canel consacré à l'art et aux sciences et qui possède une bibliothèque d'archives.

Encore une belle découverte que ce peintre, Adolphe Binet dont l'oeuvre évolue du naturalisme au néo-impressionnisme au symbolisme. Dans le Vieux jardinier l'artiste joue avec les lumières comme il le fait avec un autre tableau La convalescente ou les taches de soleil, ou encore dans Avant le déjeuner, tableaux dont l'esthétique se rapproche de l'impressionnisme. Même dans ses oeuvres naturalistes on voit qu'il attache une grande importance aux variations de la lumière et à l'atmosphère en demi-teinte qu'elles créent. 

L'exposition est accompagnée de petits cartons qui expliquent bien chaque toile et l'évolution de l'artiste, ce dont je me sers pour commenter ces tableaux.

 

 Le vieux jardinier (détail) les jeux de la lumière et des taches d'or

A l’école des beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, Adolphe Binet a d'abord peint la ville de Paris en pleine transformation, la tour Eiffel en construction, la gare Saint-Lazare, les travaux pour l'exposition universelle qu’il traite dans une veine naturaliste.

 

Tailleurs de pierre pour pour l'exposition universelle de 1889

Mais Binet est aussi un observateur attentif de ses contemporains, il peint la bourgeoisie parisienne dans ses loisirs. Ainsi il s'intéresse particulièrement aux courses de chevaux, à ceux qui en vivent comme les jockeys, les propriétaires, les parieurs et tous les gens de la haute société qui fréquentent les champs de course ainsi que les milieux interlopes. (La pelouse ou quelques types d'amateurs)

 

Le paddock 1890

 

Adolphe Binet La pelouse ou quelques types d'amateurs 1890

 

A la façon d’Emile Zola, en littérature, la peinture naturaliste d’Adolphe Binet décrit le monde du travail. Originaire lui-même du monde paysan, du côté de sa mère, le peintre est attentif aux petites gens, aux ouvriers qu’il met en scène dans de grandes compositions destinées au Salon.

 

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers (grande composition)

 

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers(1888)
 

Le déjeuner des Terrassiers  est une grande composition dans le goût naturaliste qui décrit avec réalisme et précision les travailleurs, ici saisis dans un moment de repos. Mais Binet y introduit dès cette époque quelques détails qui annoncent son glissement, plus tard, vers le symbolisme et la spiritualité. La femme debout avec son chemisier constellé d'étoiles tenant l'enfant dans ses bras symbolise la Vierge Marie et Jésus. Les cheveux de ces deux personnages sont nimbés de lumière. Sur la droite, à côté du jeune garçon, assis en retrait, figure le chardon, fleur souvent présente dans l'oeuvre d'Adolphe Binet, qui symbolise les peines terrestres supportées par l'Homme.

 

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers (détail)

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers (détail) le chardon

 

 La peinture naturaliste à laquelle adhère Adolphe Binet retranscrit un monde en profonde mutation technique et humaine, ce qui  correspond aux  préoccupations du régime républicain en 1880.

 

Adolphe Binet: les chevaux de Halage


Adolphe Binet: les chevaux de Halage

 

De 1892 à 1896 Adolphe Binet peint une série de chevaux de Halage qui a pour cadre Lagny-sur-Marne. Le sujet est toujours le même mais le peintre varie ses points de vue, l'heure de la journée, et fixe les variations de lumière, les reflets dans l'eau, l'atmosphère qui s'en dégage et ceci dans une recherche tout à fait impressionniste. Ces tableaux sont aussi un hommage aux chevaux que le peintre, issu d'un milieu rural, aime beaucoup. Il choisit de montrer la beauté et la noblesse des hommes et des bêtes qui travaillent  plutôt que la dureté du métier.
 

Adolphe Binet :  Crépuscule

Crépuscule raconte le retour au logis des pêcheuses de crevettes après une journée de travail. Ce sont les femmes ( ou des vieillards et des enfants) qui pêchent les crevettes pour assurer la subsistance. Il s'agit d'un rude labeur et assez misérable. On le voit à la démarche pesante des personnages, les têtes baissées, les pieds nus et rougis par l'eau de mer, le bas des robes détrempées qu'une jeune fille cherche à essorer. Toute la scène est éclairée et colorée par les dernières lueurs du soleil couchant.



 

 A l'entrée de la demeure, près du muret, un chardon symbolisant la condition du travailleur.

 

Diptyque : la Leçon à la poupée, le déjeuner des poupées

 

Vivant à Paris l’année, Adolphe Binet retourne en Normandie tous les étés où il séjourne, avec son frère, dans la maison familiale à Saint-Aubin-sur-Quillebeuf. Une atmosphère sereine et lumineuse enveloppe les scènes qu’il réalise dans la sphère familiale. Ombres colorées, couleurs vives, touches presque pointillistes témoignent d’expériences néo-impressionnistes. Il est probable qu’Adolphe Binet ait côtoyé le groupe de Lagny (Maximilien Luce, Cavallo-Péduzzi et Léo Gausson).

Le Groupe de Lagny, formé en 1885 était composé de quatre néo-impressionnistes Émile-Gustave Cavallo-Péduzzi, Léo Gausson, Maximilien Luce et Lucien Pissarro, fils de Camille Pissarro).

Avant-gardistes, ils furent un temps, adeptes d'une technique dite le divisionnisme qui est plus connue sous le nom de pointillisme inventée par Georges Seurat. Ils travaillèrent ensemble et mettant en commun leur impression sur la technique. Ils peignaient principalement les berges de la Marne, le monde rural.

Ils organisèrent en 1889, le salon des Beaux-Arts à Lagny-sur-Marne jusqu'à sa disparition en 1907.

Ils furent rejoints dans cette technique par Édouard Cortès, Paul-Émile Colin et et Henri Lebasque (wikipédia)

 

Adolphe Binet : la leçon à la poupée
 

 Le peintre fait le portrait de sa nièce Marie jouant avec la poupée qu'il lui a apporté de Paris. Touche impressionniste des éclats de lumière et des ombres bleues.


Adolphe Binet : le déjeuner des poupées
 

 
 
Adolphe Binet : Avant le déjeuner
 

 
Adolphe Binet Avant le déjeuner


A partir des années 1890, Adolphe Binet représente souvent ses scènes dans les dernières lueurs du jour. Ces effets de lumière tantôt douce, tantôt incandescente sont remarqués par la critique et confèrent un caractère tout à fait original à son œuvre. Puis, ses tableaux glissent progressivement vers une voie plus mystique dans la mouvance du Symbolisme, courant artistique alors en plein essor.


Adolphe Binet : Marie- Madeleine

Adolphe Binet peint des sujets religieux qu’il ancre dans des scènes contemporaines comme cette Marie-Madeleine penchée sur le Christ.

  Curieuse Marie-Madeleine nue, penchée sur le corps de celui qui pourrait être Jésus mais qui est en même temps le cadavre d'un communard tué sur les barricades et à qui des hommes du peuple, ouvriers, rendent hommage. Manière de dire que Christ serait, à cette époque,  du côté des victimes de la répression sanglante de la Commune menée par Adolphe Thiers qui a fait 20 000 morts parmi les Communards  en 1871 ?

 La mort d'Adolphe Binet  en 1897 (à l’âge de 43 ans) ne  permet pas de savoir si le symbolisme de sa peinture était un essai ou une réorientation profonde de sa peinture.

 

Sur Pont-Audemer voir Miriam